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LE PARFUM DU DÉSERT - ANDREW HARVEY & ERYK HANUT

LE PARFUM
DU DÉSERT
ANDREW HARVEY
ET
ERYK HANUT
Aux sources de la sagesse soufie
A Karen Kellejian,
La plus charmante des compagnes sur la Voie, avec notre amour et
notre reconnaissance éternels.
A.H et E.H.
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TABLE DES MATIÈRES
Introduction par Andrew Harvey
3
Introduction par Eryk Hanut
9
Epigraphes
11
Prière préliminaire
12
Chapitre 1 : L’appel
13
Chapitre 2 : Le secret intérieur
26
Chapitre 3 : Ô Dieu, accorde-moi l’amour de Toi
44
Chapitre 4 : Epreuve et anéantissement
60
Chapitre 5 : La vie de l’union
79
Prière finale
92
Remerciements
93
3
INTRODUCTION PAR ANDREW HARVEY
Alors âgé d’une vingtaine d’années, je lus une histoire soufie dans un livre à propos de
Lawrence d’Arabie qui n’a cessé de me hanter depuis lors. La voici, telle que je m’en
souviens. Un groupe de jeunes Bédouins encore sauvages parcouraient le désert avec leur chef
qui était un homme religieux, ainsi qu’un grand leader. Au cours de leurs pérégrinations, ils
parvinrent auprès d’un vaste palais en ruine. Les jeunes hommes visitèrent les pièces laissées
à l’abandon et cassèrent des morceaux de plâtre et de brique pour sentir ce qui était entré dans
leur composition. L’un d’eux s’écria : ‘’Dans cette terre, il y a des essences de rose et de fleur
d’oranger.’’ Un autre s’exclama : ‘’Dans cette terre, je sens le jasmin ! Quelle merveille !
Le chef se tenait à l’écart et ne pipait mot. Quand les hommes eurent visité toutes les pièces et
savouré les différents parfums que l’on pouvait toujours sentir dans la terre du palais en ruine,
ils demandèrent à leur chef : ‘’Et quel est votre parfum favori ?’’ Il sourit et se pencha aussi
loin qu’il le put par l’une des fenêtres du palais dans l’air du désert. Il tendit les mains et les
mit en coupe. Puis, il présenta ses mains creusées aux hommes et leur dit : ‘’Sentez ceci ! Le
meilleur parfum d’entre tous est le parfum du désert, car il ne sent rien.’’
Dix ans plus tard, je me trouvais à Paris chez une vieille amie soufiegrande traductrice,
érudite et chercheuse avec qui je travaillais sur des traductions de Rumi. Je lui racontai
l’histoire et lui demandai ce qu’elle signifiait pour elle. Elle garda le silence pendant un long
moment, puis elle dit :
‘’Chaque fois que je pense aux soufis et au soufisme, je pense au désert. Je pense au
caractère sauvage du désert, à sa solitude superbe et terrible, à son silence, à sa pureté.
Je pense à la manière où dans le désert vous vous sentez à la fois anéanti et pourtant
totalement vivant et présent dans toutes les choses qui vous entourent et qui vous
surmontent, comme si vous étiez devenu simultanément les sables qui s’étendent d’un
horizon à l’autre et le ciel si vaste, si vide et si immobile. Et je pense également à ce
qui est écrit dans le Coran : ‘’Tout est périssable, excepté la Face de Dieu.’’ Le désert
est la Face de Dieu, l’ultime miroir dans lequel les êtres humains voient leur néant et
leur absolue splendeur en Lui. Les soufis sont ceux qui passent leur vie à contempler
le miroir du désert et à préserver la pureté, la gloire et la rigueur du désert dans leur
vie. Et chez les plus grands philosophes et poètes soufis, vous sentez ce que le chef de
cette histoire appelle ‘’le meilleur parfum de tous’’le parfum du désert, la fragrance
du vide, le doux parfum extatique et enivrant de la Présence qui est à la fois Tout et
Rien.’’
Je fus touché par ce qu’elle dit, mais je voulais qu’elle parle à propos de l’histoire même.
Aussi je lui demandai de me dire ce que l’histoire lui disait à elle. ‘’Pour moi, c’est évident’’,
dit-elle.
‘’Peut-être que le fait d’avoir un peu plus de quatre-vingts ans aide à ce que ce soit si
clair. Le palais en ruine, c’est le monde avec tous ses jeux, ses désirs et ses projets.
Chacun d’eux est fabriqué à partir d’un désir ‘’aromatique’’ qui laisse une trace
persistante. Un vers des Quatre Quatuors de T.S. Eliot me vient à l’esprit : ‘’De la
cendre sur la manche d’un vieil homme, voilà toute la cendre que laissent les roses
brûlées.’’ Toutes les joies du monde, malgré leur merveille, passent et ne peuvent
durer longtemps. Le seul parfum éternel est celui qui sent la Vacuité de Dieu. C’est ce
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‘’parfum’’cette gnose, cette félicité, cette extaseque tous les mystiques cherchent
à ‘’sentir’’, parce qu’ils savent qu’il les rend ivres du Bien-aimé et qu’il les pousse à
réaliser leur identité avec Lui.’’
Elle fit une pause et contempla ses vieilles mains arthritiques en souriant d’un air narquois.
‘’Et une fois que vous avez senti ce parfum, votre vie est ruinée, parce que rien d’autre ne sera
jamais aussi parfumé et tout votre être commence à se languir.’’
Et elle me raconta une histoire soufie. ‘’Vous m’avez raconté une histoire qui vous touche, je
vais vous en raconter une que j’aime. Je pense qu’elles sont liées et que si vous écoutez votre
histoire et la mienne ensemble, vous pouvez entendre presque toute la symphonie du
soufisme.
‘’J’ai entendu cette histoire au cours de ma première visite au Kenya où vivait Rumi, et en
l’entendant, quelque chose en moi s’est à jamais transformé :
‘’C’était un empereur qui avait un esclave qu’il aimait passionnément et qui, croyait-il,
l’aimait de tout son cœur. Mais l’empereur voulait en être certain. Aussi il remplit dix
pièces de tous les trésors imaginablesdes rubis et des émeraudes, des colliers de
grosses perles noires, des coffres remplis des étoffes les plus riches et des manuscrits
les plus rares, les plus merveilleusement enluminés, de grands porte-documents en cuir
contenant des actes de propriété pour des maisons et des domaines à la campagne.
Quand les pièces furent remplies de ces trésors et quand les murs semblèrent luire et
étinceler de l’éclat d’une telle gloire, l’empereur fit appeler tous les membres de sa
cour, tous ses serviteurs et tous ses esclaves et il dit : ‘’Aujourd’hui, je vous libère tous
de mon service. Vous êtes parfaitement libres d’emporter tout ce que vous souhaitez
de ces pièces.’’ Vous pouvez imaginer le tohu-bohu qui s’ensuivit ! Même le grand
vizir, d’ordinaire plutôt austère, se mit à danser la gigue et empila sous ses bras autant
de bijoux et d’actes de propriété qu’il put trouver.’’
Elle s’interrompit pour jeter un regard par la fenêtre et le bruit de la rue parisienne en
contrebas parut s’estomper.
‘’Mais l’esclave que l’empereur aimait tant ne bougea pas’’, dit-elle d’une voix
légèrement tremblante.
‘’Il demeura où il était, silencieux, son visage tourné vers l’empereur jusqu’à ce que
l’entièreté du trésor ait été emportée et qu’il ne reste plus que lui et l’empereur dans un
désert de pièces vides. L’empereur dit tranquillement : ‘’Et toi qui es resté et qui n’as
rien cherché pour toi-même, qu’est-ce que tu veux ? Tu peux avoir tout ce que tu veux
dans n’importe lequel des mondes que je possède.’’ L’esclave ne dit toujours rien et
l’empereur cria presque : ‘’Qu’est-ce que tu veux ? Je t’ordonne de me le dire.’’ Et
l’esclave dit : ‘’Je vous veux.’’ Il répéta lentement : ‘’Je vous veux. Je vous veux.’’
C’était ce qui lui, le vrai soufi voulaitpas le palais ni le pouvoir ni les bijoux ni les
autres dons de l’empereurmais l’empereur lui-même.’’
Elle se rappuya dans l’ombre de sa chaise et récita un poème de Rumi :
‘’Tu es un océan de gnose caché dans une goutte de rosée.
Tu es un univers entier caché dans un sac de sang.
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Que sont tous ces mondes, ces plaisirs et ces joies
Que tu ne cesses de tenter de saisir pour te rendre vivant ?’’
Un profond silence s’établit entre nous. Puis elle dit :
‘’Pour sentir le ‘’parfum du désert’’, il vous faut apprendre à aimer comme cet esclave
aimait son empereur. Les gens me demandent tout le temps ce qu’est le soufisme.
Parfois, quand je suis paresseuse, je leur dis que c’est le ‘’côté ésotérique de l’islam’’
ou je leur débite une citation d’un sage ou d’un philosophe soufi. Mais quand je me
sens téméraire, je dis juste : ‘’Le soufisme est l’ancienne sagesse du cœur. Il est
antérieur à l’islam comme l’éternité est antérieure au temps. Il a toujours été là depuis
le début de l’adoration humaine de Dieu. Le soufisme est l’ancienne sagesse du cœur
et la science de l’amour née de cette sagesse, une science aussi précise, mais beaucoup
plus bénéfique que les sciences extérieures, perfectionnée au cours de siècles de
courageuse exploration du Désert de l’Absolu.’’ Saviez-vous que dans le soufisme,
tariqah, le terme qui désigne le sentier mystique, désigne le sentier du désert que les
Bédouins empruntent pour voyager d’oasis en oasis ? Manifestement, un tel sentier
n’est pas clairement marqué comme une autoroute et n’est même pas une route visible.
Mais il est là pour ceux qui savent. Pour retrouver votre chemin dans le désert sans
piste, vous devez connaître intimement la région. Les soufis sont ceux qui connaissent
intimement la région.’’
Dans la décennie qui suivit cette conversation, le soufisme a commencé à attirer un nombre
toujours croissant de chercheurs et à profiter d’une extraordinaire renaissance dans le monde
occidental.
Je pense que la raison majeure qui explique ceci est que l’approche soufie de la réalité et de la
quête de Dieu est extrêmement passionnée. La passion pour laquelle le mystique soufi prie est
une passion qui embrasse toute la réalité comme une manifestation du Divin et qui aspire à
s’immoler dans le feu de l’amour. Une telle passion dévore tout. C’est un haut-fourneau dans
lequel toutes les autres passions, désirs et ordres du jour sont rapidement incinérés. Une telle
passion exige également tout, car l’être entier et tous ses pouvoirs doivent lui être
énergiquement consacrés à tous moments et en toutes circonstances pour la garder vivante et
brûlante. Rumi dit dans ses Odes que cette passion est un ‘’ouragan mugissant dans lequel
toutes les maisons du faux soi sont rasées à tout jamais.’’
En cette époque sans passion et psychologiquement dévastée comme la nôtre, le témoignage
des grands saints et des grands philosophes soufis à propos de la plus haute, de la plus noble
et de la plus ravageuse de toutes les passions humainescelle de l’âme pour le Bienaimépossède une énorme force d’éveil. Nos addictions modernes à la raison et aux jeux de
l’ironie et du contrôle ont drainé nos psychés et nos âmes du sang chaud qui maintient la vie
dans l’abondance et dans le miracle. Les amants soufis pompent à nouveau ce sang dans nos
veines, nous remplissent en fait de leur sang. Cette longue adoration et gnose s’est
transformée en un vin mystique le plus pur et le plus enivrant. La passion des soufis témoigne
de la gloire toujours bouleversante du Bien-Aimé et de la splendeur du voyage vers Lui qui
nous restaure à la grandeur de notre vie réelle, à sa vaste capacité de souffrance et de joie, à la
croissance de l’esprit infinie dont nous sommes capables, si nous nous laissons posséder et
dévorer par l’Amour divin.
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Toute passion authentique possède une grande rigueur et le vrai mysticisme soufi n’est rien
sinon rigoureux. La voie de l’amour exige de tous ceux qui l’empruntent une terrible sincérité
d’être et un engagement à mourir encore et encore dans le Néant du Divin. Les philosophes et
poètes mystiques soufis sont impitoyablement confrontés aux épreuves et aux
anéantissements de la transformation authentique : leur œuvre possède les stigmates et le
parfum du désert. Comme mon amie de Paris l’a dit cet après-midi-là : ‘’Ils connaissent la
région intimement’’, et nous savons qu’ils savent parce qu’ils nous parlent avec l’autorité des
vrais amants dont le cœur a été brisé. Ils nous disent de la façon la plus nue, la plus prenante
et la plus humaine ce que l’Amour exige exactement de nous et à quoi ressemblent ces morts
multiples. Parce qu’ils possèdent une vision et une connaissance aussi totale et aussi
magnifique de l’Amour, ils ne prétendent jamais que toutes les horreurs et les épreuves du
voyage vers lui ne valent pas la peine d’être vécues et ils ne bradent jamais les dangers
auxquels chaque âme doit faire face au cours de son voyage vers l’Absolu. Ce sont des guides
fiables sur la tariqah qui traverse le désert de l’Absolu et ils nous emmènent d’oasis en oasis
de gnose et de révélation avec une aisanceet surtout une pureté de discoursqui étonnera
et qui réconfortera tous ceux qui se tournent vers eux pour recevoir leur aide.
Les plus grands soufis nous parlent d’une voix qui est aussi pratique que passionnée, et ce
mélange de passion et d’esprit pratique est l’une des grandeurs particulières du soufisme et
une autre raison profonde de son attirance moderne. Il y a bien sûr une forte tradition
ascétique au sein du soufisme : beaucoup parmi les plus grands saints
soufisparticulièrement pendant la première période du développement du
soufismeétaient, comme Rabia, des chercheurs qui abandonnèrent le monde pour se
concentrer entièrement sur Dieu, mais la majorité des plus grands soufis ont été des hommes
et des femmes qui vécurent dans le monde et qui utilisèrent ses frictions, ses terreurs et ses
tensions comme moyens pour approfondir leur pratique de la Présence et comme tests
constants de leur stabilité et de leur sincérité. Le plus grand idéal du soufismecomme du
christianismen’est pas de fuir le monde, mais d’y vivre dans la paix, la vérité et dans la
sobriété en servant tous les êtres et toutes les créatures. Les soufis sont des guides
extrêmement sages pour ce qui est de l’intégration qui doit se produire à chacun des différents
niveaux de notre être, si nous ne voulons pas seulement entrapercevoir l’Absolu, mais aussi le
vivre au cœur de l’enfer de la vie ordinaire avec toutes ses distractions et ses soucis. La
tradition soufie n'offre pas seulement un témoignage vaste et complexe de l’extase et de la
passion de la voie de l’Amour, mais aussi un guide pratique sur la manière d’intégrer l’extase
et la passion avec les exigences de la vie quotidienne. Cette synthèse d’ivresse et de sobriété,
de la gnose la plus haute et la plus sauvage avec la compréhension la plus réfléchie sur la
manière d’insuffler le quotidien de vérité divine est ce qui fait du soufisme l’une des traditions
mystiques indispensables du monde, traditions dont les chercheurs de tous poils ont tout à
apprendre, spécialement à une époque aussi troublée que la nôtre.
C’est dans l’espoir d’éveiller le cœur sacré en nous tous et d’insuffler sa passion dans tous les
choix de vie que j’ai créé cette anthologie. J’ai choisi de n’y inclure que des poèmes, histoires
ou fragments philosophiques qui m’ont directement inspiré. Je voulais que chaque choix
‘’respire le parfum du désert’’ et qu’il enivre avec sa fragrance. L’exposé ou l’instruction
soufie n’est jamais linéaire. Les poètes et les cheiks soufis tenteront presque n’importe quoi
pour éveiller leurs auditeurs. Ils passeront de la plus haute philosophie au fragment d’une
grande ode de Hafiz ou de Rumi, puis d’une histoire dans le journal d’hier à une blague de
Nasrudin. Je me rappelle avoir entendu un vieux cheik de l’ordre Mevlevi parler à Paris
pendant deux heures et l’avoir vu tenir en haleine surnaturellement son auditoire parce que
tout ce qu’il disait était clair, intense et vif et que personne n’avait la moindre idée de ce qu’il
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allait ensuite trouver. C’était comme écouter la vie même dans ce qu’elle a de plus excitant,
de plus précaire et de plus évolutif. J’ai essayé de maintenir ce courant électrique en alternant
tout au long de l’anthologie des poèmes et des fragments de prose, des histoires avec des
envolées de philosophie extatique et des blagues avec des définitions diamantines de la
conscience. Je veux inviter le lecteur à rester totalement attentif et à participer à la création de
cette anthologie en plongeant profondément dans ses silences intenses et dans les espaces
vides remplis du parfum du vent du désert.
Le Parfum du Désert possède une structure. C’est réellement une symphonie mystique de
mots en cinq parties que j’ai conçue pour emmener l’ ‘’auditeur’’ du premier éveil de l’âme
vers Dieu, à travers toutes les splendeurs et les rigueurs de son voyage dans le Désert de Dieu,
jusqu’à la gloire et la stabilité de l’union avec le Bien-Aimé. Chaque partie possède une
introduction simple qui initiera le lecteur aux thèmes principaux qui formeront la suite. Dans
chaque chapitre, les sélections sont placées dans un ordre ‘’musical’’ qui reflète ce que je suis
parvenu à comprendre du voyage vers l’Amour même. J’espère communiquer le rythme
authentique de l’éveil avec ses périodes qui alternent et mutuellement éclairantes d’expansion
et de contraction, de passion et de discipline, d’extase et d’intégration.
Quelle que soit la voie sur laquelle vous vous trouvez, permettez à ces amis soufis, à leurs
paroles et à leurs visions de vous emmener un peu plus profondément à l’intérieur de votre
cœur. Laissez-les vous enflammer de passion sainte pour l’Absolu, vous éveiller à la nécessité
sacrée de la souffrance, ennoblir votre acceptation de l’épreuve et rendre humble votre
adoration. Et avec leur aide et la grâce de Dieu, puissions-nous en arriver tous à servir le Réel
comme ils le fontavec l’enchantement et la précision de celui que l’Amour a tué et
ressuscité !
8
INTRODUCTION PAR ERYK HANUT
Tous les livres qui traitent du désertqu’ils soient spirituels ou noncommencent par la
même question : ‘’Qu’est-ce qu’un désert ?’’ Aucun de ceux que j’ai lus n’a réussi à donner
une réponse.
J’ai grandi dans des villes, des villes froides du nord de l’Europe. Mais j’ai aussi connu des
zones de différentes tailles qui étaient vierges de toute occupation humaine : des kilomètres de
champs de lavande, là où la Provence devient les Alpes ; la Sierra Madre en Espagne ; les
plaines de l’ouest de la Hollande où les œufs bleus des mouettes reposent à même le sol ; les
falaises déchiquetées de la Californie du Nord ; la jungle humide de Hana, hérissée
d’héliconias roses, prêts à mordre ; la grande mer de sable parsemée de palmiers d’un vert
surréaliste et de ruines de temples qui s’étend de Madras jusqu’à l’Océan Indien. J’ai vraiment
aimé chaque paysage. De manière différente, incontestablement, mais avec une passion que
les années perdues ont sans nul doute embellie.
Personne ne peut être préparé au désert. Comme une maladie grave, il vous attaque par
surprise en sapant votre résistance physique et morale. Si je tentais une définition du désert—
pensée idiote—elle ne consisterait qu’en des répétitions innombrables d’un seul mot :
‘’lumière’’.
Lumière—Lumière—Lumière…
Même quand elle devient rose, au crépuscule, la lumière du désert est aussi féroce que jamais.
Elle continue de vous envahir. Elle tue les moteurs des voitures et brûle la peau des visages.
Soudain, elle part et pendant quelques heures, un grand froid prend sa place. Peut-être qu’en
quittant le désert, chacun devrait subir un rituel de purification. J’ai écrit ‘’purification’’, mais
‘’exorcisme’’ est vraiment ce que j’ai à l’esprit, car il s’agit essentiellement d’une possession.
Ou de passion, ce qui revient au même.
Dans la forêt pétrifiée d’Arizona, sur les falaises de Zion ou dans le Sonora coincé entre deux
rochers comme un lézard pour prendre des photos, j’ai parfois secrètement pensé que je
resterais là pour toujours et que je ne partirais jamais.
Le désert ne paraît pas dormir. La vie ne s’y définit pas comme elle le fait ailleurs. Il n’est pas
végétal ou animal ou minéral, mais un peu des trois à la fois. C’est la vie qui a besoin de
toutes ses facettes pour survivre. Un cactus saguaro n’est pas loin d’être un serpent, un serpent
d’être un rocher brûlant. Chacun—parce qu’il se bat contre le même vieil ennemi—en est
venu à ressembler à l’autre.
Cette immense rudesse est synonyme de pureté. Il est aujourd’hui ce que la planète était
quand rien ni personne ne la foulait. Il a quelque chose de l’Atlantide ou de Shangri-La. Les
premiers Pères de l’Eglise chrétienne coururent s’y vêtir de mystère. La corruption n’existe
pas là-bas et ce que nous prenons pour de la solitude est peut-être un autre nom de
l’innocence.
Je suis certain que les soufis polirent leur philosophie dans le vent du désert. Les plantes qui
poussent là-bas sont odorantes, pour la plupart. Les pins et l’aloès y survivent. L’odeur de
leurs feuilles frottées entre deux doigts—le parfum du désert—est concentrée, distillée dans sa
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quintessence, sublimée peut-être par l’absence d’eau. C’est ainsi que les soufis parlent et que
leurs voix nous parviennent via ce livre. Concentrées, sans fioritures. Farouchement, trop
noblement que pour consoler.
‘’Incolore et un, éternel et invisible. Les vents du changement ne s’y lèvent jamais.’’
Comment auraient-ils pu développer une tradition moins dépouillée, moins austère et moins
acérée dans un environnement comme celui-ci, cernés comme ils l’étaient souvent par le
Désert Eternel, le moins flatteur des miroirs ?
‘’Ne vous étonnez pas de ceux qui sont assassinés dans la poussière devant la porte de l’Ami.
Etonnez-vous qu’on puisse survivre…’’
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ÉPIGRAPHES
Le soufisme, c’est Dieu qui vous fait mourir à vous-même pour vous unir à Lui.
Junayd
Le soufisme veut dire que vous ne possédez rien et que rien ne vous possède.
Summun
Les soufis sont des gens qui ont préféré Dieu à tout le reste, c’est pourquoi Dieu les a préférés
à tout le reste.
Dhu-al-Nun
Le soufi ne s’incline devant nul autre que Dieu.
Traditionnel
Vous êtes un soufi quand votre cœur est aussi doux et chaud que de la laine.
Traditionnel
Un soufi ne se soucie pas d’une cape rapiécée et d’un tapis de prière. Un soufi ne
s’embarrasse pas de la convention et de la coutume d’être un soufi. Un soufi, c’est quelqu’un
qui n’est pas.
Kharaqani
Le soufisme est un mode de vie. Ce n’est ni une religion ni une philosophie. Il y a des soufis
hindous, des soufis musulmans, des soufis chrétiens…nous n’appartenons à aucun pays ni à
aucune dénomination, mais nous agissons toujours en accord avec les besoins des gens de
l’époque.
Bhai Sahib
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PRIÈRE PRÉLIMINAIRE
Ô Dieu, mets ta lumière dans mon cœur, sur ma langue, dans mon écoute, dans ma vision,
dans mes sensations, dans chaque partie de mon corps, devant et derrière moi, à ma droite et à
ma gauche, au-dessus et en dessous de moi..
Ö Seigneur, puisse ta lumière grandir en moi, donne-moi ta lumière et éclaire-moi.
Le Prophète
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CHAPITRE 1 : L’APPEL
Le grand voyage de l’âme vers l’union commence avec l’âme qui s’éveille à sa nature divine,
émerveillée, et avec sa réponse à l’appel de l’amour qui résonne toujours de tous les côtés de
l’univers. L’une des plus grandes odes de Rumi commence ainsi :
A chaque instant, l’appel de l’Amour
Nous assaille de tous côtés.
Voulez-vous venir avec nous ?
Ce n’est pas le moment de rester chez vous,
Mais de sortir et de vous donner au jardin…
Dans la sourate 7.172 du Coran, Allah s’adresse à l’entièreté de l’humanité, non encore
créée : ‘’Ne suis-Je pas votre Seigneur ?’’ et l’humanité est censée avoir répondu : ‘’Oui, nous
en témoignons.’’ Les mystiques soufis appellent ce ‘’témoignage’’ le Pacte d’Alast. Pour eux,
il prouve la divinité essentielle et l’immortalité de chaque âme et que le voyage de l’âme vers
l’union est aussi un retour à l’origine. Dhul-Nun, un des premiers grands saints soufis a défini
la ‘’personne parfaite’’ comme ‘’celle qui est ce qu’elle était avant d’être ce qu’elle était.’’
Les manières dont cet ‘’appel’’ peut être entendu sont innombrables. Peut-être y en a-t-il
autant qu’il n’y a de gens. Certains l’entendent en rêve ou dans le déclenchement de visions
qui font exploser ce qu’ils comprenaient avant de la réalité. D’autres rencontrent d’abord le
Bien-Aimé dans la douleur et la révélation de l’amour humain. D’autres encore, déroutés par
une perte, une banqueroute, une maladie ou une trahison réexaminent tout à la lumière de
l’Eternité. Pour certains, l’amour les appelle sous le déguisement d’un maître ; pour d’autres,
il les appelle du cœur de la Messe Solennelle de Beethoven ou d’une rose épanouie ou dans la
cabriole d’un dauphin.
Les manières de recevoir l’appel différeront et donc les réponses varieront. Une poignée
seulement fera peut-être ce que le véritable chercheur fait quand l’appel de l’amour est
entendu—réorganiser entièrement sa vie pour essayer d’absorber de plus en plus ce que dit
l’amour. Pour entreprendre ce que les soufis appellent le premier voyage—le voyage vers
Dieu—vous devez prendre l’appel au sérieux, reconnaître sa demande sacrée de transformer
votre vie et votre être et tourner complètement votre cœur vers le Bien-Aimé. Personne ne
peut commencer à le faire avec succès sans une pratique quotidienne constante de prière, de
méditation, de contemplation et de service aimant, car seule la pratique peut commencer à
user les ‘’septante mille voiles entre le moi et le Soi, entre la conscience humaine et la
conscience divine.’’
Ceux qui s’autorisent à oser se tourner vers l’amour seront infiniment récompensés. Ils seront
récompensés par non moins que la vérité ultime à propos de la vie humaine—qu’elle est
divine, entourée et imprégnée par l’Eternel. Ils en arriveront à savoir que leur vrai foyer n’est
pas dans le temps, mais dans l’éternité. Ils pénétreront dans le temps les mystères suprêmes. A
la fin, ils en arriveront à savoir que la voix de l’amour qui ‘’nous assaille de tous côtés à
chaque instant’’ est la voix de leur identité la plus profonde et qu’ils commencent à voyager
vers eux-mêmes. Ecoutons encore Rumi :
Avant que n’existât le moindre jardin ou grappe ou vin,
Notre âme était ivre du vin éternel.
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Dans la Bagdad de l’éternité, extatiquement nous proclamions tous :
‘’Je suis la Suprême Réalité !’’
QUELQUE CHOSE CHANTA
Le luth commença…
Mon cœur brisa ses chaînes.
Des cordes, quelque chose chanta—
‘’Fou blessé…viens !’’
Rumi
♦
VIENS, VIENS, QUI QUE TU SOIS
Viens, viens, qui que tu sois—
Nomade, adorateur, amateur d’érudition—
Peu importe,
La nôtre n’est pas la caravane du désespoir.
Viens, même si cent fois,
Tu as brisé tes voeux—
Viens, viens encore. Viens !
Rumi
♦
MÊME UN ANIMAL EST ÉBRANLÉ
Un jour, je voyageais avec quelques pieux compagnons vers le Héjaz en Arabie. Il y avait
toutefois une personne dénigrante dans notre groupe, un homme qui rejetait tout propos
mystique comme de la '‘camelote’’. Un soir, près de l’oasis Beni Hilal, un garçon se mit à
chanter. Il chanta avec tellement d’exaltation et de douceur que le chameau de la personne
dénigrante se mit à danser, puis disparut dans le désert.
Je me tournai vers la personne dénigrante et je dis : ‘’Monsieur, vous restez de marbre,
pourtant le chant du garçon a même ébranlé un animal.’’
Sadi
♦
AIDE-MOI, SEIGNEUR
Fouetté par le désir,
Je parcourus les rues du Bien et du Mal.
Pour quel bénéfice ? Aucun.
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Le feu du désir ne fit que croître.
Tant que le souffle de la vie souffle en moi,
Aide-moi, Seigneur.
Toi seul entends ma prière.
Cheik Ansari
♦
SANS TA MISÉRICORDE
Des conséquences de mes actes,
Des dangers de l’avenir,
Je ne vois pas comment me sortir.
Seigneur, je suis horrifié par le mal qui est en moi.
Montre-moi comment me sauver
Des pièges de l’ego.
Prends-moi par la main—
Sans Ta miséricorde,
Je n’ai rien vers quoi me tourner.
Cheik Ansari
♦
CONDUIS-MOI DE LA MISÈRE A LA JOIE
Ô Seigneur ! J’ai gaspillé ma vie,
Blessé mon âme,
Fait tout mon possible
Pour réjouir le Malin.
Que je continue à vivre ou pas
N’a pas d’importance.
Accepte mon repentir, pardonne mes péchés.
Conduis-moi de la misère à la joie.
Cheik Ansari
♦
FAITES TOUT CE QUE VOUS POUVEZ
Au cœur de la nuit, un soufi se mit à pleurer.
Il dit : ‘’Ce monde est pareil à un cercueil fermé dans lequel
Nous sommes prisonniers, et dans lequel, par ignorance,
Nous passons nos vies dans la folie et dans l’affliction.
Quand la mort vient ouvrir le couvercle du cercueil,
Celui qui a des ailes s’envolera vers l’Eternité,
Mais ceux qui n’ont pas d’ailes resteront enfermés dans le cercueil.
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Aussi mes amis, avant que le couvercle du cercueil ne soit enlevé,
Faites tout ce que vous pouvez pour devenir un oiseau sur la voie de Dieu,
Faites tout ce que vous pouvez pour développer vos ailes et vos plumes.’’
Attar
♦
PARVENIR À DIEU
Le soufi est la personne qui dès le départ entend parvenir à Dieu, la Vérité Créatrice. Tant
qu’il n’a pas trouvé cette Vérité, il ne se repose pas et ne fait attention à personne.
Pour Toi, je franchis les terres et les mers.
Pour Toi, je traverse le désert et je brise la montagne en deux
Et je détourne mon visage de toute chose
Jusqu’à ce que je parvienne à l’endroit
Où je suis seul avec Toi.
Hallaj
♦
VOTRE ANCIEN FOYER
Vous pouvez avoir longtemps vécu dans une ville,
Mais sitôt que vous tombez endormi,
Une autre ville se dresse dans votre esprit
Pleine de son propre bien et mal
Et votre propre ville—celle où vous avez si longtemps vécu—
Disparaît complètement de votre mémoire.
Vous ne dites pas : ‘’Ici je suis un étranger. Ce n’est pas ma ville.’’
Vous pensez avoir toujours vécu là.
Vous pensez être né et avoir été élevé là.
Etes-vous étonné, alors, que votre âme
Ne se souvienne pas de son ancien foyer ?
Comment pourrait-elle s’en souvenir ?
Elle est enveloppée dans le sommeil de ce monde,
Comme une étoile est voilée par les nuages,
Et elle a marché dans tant de villes,
Et la poussière qui obstrue sa vision
Ne s’est pas encore déposée.
Rumi
♦
16
NE T’ENORGUEILLIS PAS
Kabir, ne t’enorgueillis pas de ton corps,
Cette housse de peau remplie d’os.
Des princes qui montèrent des étalons royaux
Sous des ombrelles d’or
Reposent maintenant sous terre.
Kabir, ne t’enorgueillis pas
De tes splendides palais.
Aujourd’hui ou demain,
Le sol sera ton lit
Et l’herbe recouvrira ta tête.
Ne t’enorgueillis pas de ta chance, Kabir,
Et ne méprise pas le désespéré :
Ton navire est toujours en mer—
Qui connaît son destin ?
Kabir, ne t’enorgueillis pas
De ta beauté et de ta jeunesse.
Aujourd’hui ou demain,
Tu devras les abandonner,
Comme un serpent sa propre peau.
Kabir
♦
RÉPRIMANDÉ PAR UN CHAMELIER
Une nuit, dans le désert de Faid, je m’endormis. Un chamelier me secoua et dit : ‘’Debout,
maintenant ! La cloche sonne ! Veux-tu rester en plan ? Moi aussi comme toi, j’aimerais bien
dormir, mais le désert s’étend devant nous. Comment parviendras-tu au terme du voyage si tu
dors quand bat le tambour du départ ?’’
Heureux sont ceux qui ont préparé leurs affaires avant le battement du tambour ! Ceux qui
sont endormis au bord de la route ne lèvent pas la tête et la caravane s’éloigne.
Qui s’éveille tôt voyage le plus loin. A quoi cela sert-il de se réveiller quand la caravane est
partie ?
C’est maintenant le moment de semer les graines des fruits que vous voulez récolter. N’allez
pas ruiné à la Résurrection : les regrets amers seront inutiles. Le stock que vous avez déjà,
vous pouvez l’augmenter, mais il n’y a pas de profit sur ce que vous consommez vous-même.
Faites l’effort maintenant, lorsque l’eau ne dépasse pas votre taille ; n’attendez pas que les
flots aient dépassé votre tête.
17
Ecoutez aujourd’hui le conseil des sages, car demain l’Ange de la Mort vous questionnera
sans merci. Jugez votre âme inestimable, car une cage sans oiseau est sans valeur. Ne
gaspillez pas votre temps en pleurs ni en regrets ; l’opportunité est précieuse et le temps est un
couperet.
Sadi
♦
LE PACTE D’ALAST
Le Pacte d’Alast (Alastu bi-Rabbikum ? —‘’Ne suis-je pas votre Seigneur ?’’) concernait tous
les êtres et s’adressait à tous, et tous reconnaissaient la souveraineté de Dieu. Cependant,
puisque l’homme seul possédait la faculté de la conscience parfaite et puisque c’était à lui que
l’enseignement des noms et des attributs avait été conféré, ce fut donc l’homme qui était le
détenteur de la Conscience véritable.
Nous avons été créés pour Ton amour, depuis la prééternité.
Depuis lors, nous sommes ivres, amoureux, conscients.
Avant la création du monde et d’Adam,
Nous étions Tes compagnons au festin d’Amour.
Lahiji
♦
SOYEZ UN PASSANT
Soyez dans ce monde comme si vous étiez un passant, un voyageur avec vos vêtements et vos
souliers pleins de poussière. Parfois vous vous assoirez à l’ombre d’un arbre, parfois vous
marcherez dans le désert. Soyez toujours un passant, car ce monde n’est pas votre foyer.
Hadith du Prophète
♦
LES CHOSES DE CE MONDE
Quelqu’un interrogea une fois le Saint Prophète :
‘’Qu’avez-vous à dire
A propos des choses de ce monde ? ’’
Le Prophète dit : ‘’Que puis-je dire à leur propos ?
On ne les obtient que par un dur labeur,
On ne les garde que par une vigilance incessante,
Et on les abandonne à regret.’’
Cheik Ansari
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♦
LE CHEMIN DE LA VÉRITÉ
Un homme qui désirait être accepté comme disciple dit à Dhu al-Nun : ‘’Je veux m’engager
sur le chemin de la Vérité qui dépasse toute autre chose dans le monde.’’
Voici ce que Dhu al-Nun lui répondit : ‘’Tu ne pourras accompagner notre caravane que si tu
acceptes d’abord deux choses. L’une est que tu seras obligé de faire des choses que tu ne veux
pas faire. L’autre est que tu ne seras pas autorisé à faire des choses que tu veux faire.
‘’Vouloir’’ est ce qui s’interpose entre les êtres humains et le chemin de la Vérité.’’
Dhu al-Nun
♦
LA VIEILLE SORCIÈRE (1)
Une fois, le monde fut révélé à Jésus sous la forme d’une vieille sorcière hideuse. Il lui
demanda combien de maris elle avait eus. ‘’Je ne m’en souviens plus’’, répondit-elle. Puis il
lui demanda s’ils étaient morts ou s’ils avaient divorcé. Elle répondit qu’elle les avait tous
tués.
‘’Ce qui me stupéfie’’, dit-il, ‘’c’est le nombre d’imbéciles qui voient ce que tu as fait aux
autres et qui te veulent encore.’’
Ghazali
♦
LA VIEILLE SORCIÈRE (2)
Le monde est rusé comme une vieille sorcière
Et ses combines sont infinies.
Elle nous a piégés dans ses filets—
Très peu en réchappent jamais.
Ne comptez jamais sur vos propres forces,
Vous ne pouvez pas vous libérer tout seul.
Appelez Dieu et accrochez-vous à Lui.
Ne vous vantez jamais : ‘’Je lutterai contre le monde !
Je ne serai jamais la victime de ses jeux !
Je vivrai en paix,
Et jamais je ne céderai à ses ruses !’’
Même si vous lui résistez pendant deux cents ans,
A la fin, croyez-moi,
Vous serez conquis.
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Le Jour de la Résurrection,
Chacun hurlera de douleur
A cause de la sorcière et de ses ruses.
La seule âme heureuse est celle
Qui se détache d’elle rapidement
Et qui ne la regarde jamais avec envie.
Elle sait que c’est un dangereux reptile et elle s’enfuit—
Aussi vite qu’elle en est capable sur les ailes de la prière,
De l’adoration et du jeûne—dans le monde au-delà.
Nul n’a jamais échappé au Dragon,
Excepté celui qui prend refuge en Allah.
Sultan Valad
♦
LACHE LA BRANCHE
Un homme fut chassé d’une falaise par un tigre. Il tomba et parvint tout juste à se rattraper à
une branche. Deux mètres plus haut se trouvait le tigre qui rugissait. Trente mètres plus bas,
une mer déchaînée fouettait des rocs déchiquetés. A sa grande horreur, il constata que deux
rats étaient en train de grignoter par la racine la branche à laquelle il était suspendu. Voyant
qu’il était condamné, il s’écria : ‘’Seigneur, sauve-moi !’’
Il entendit une Voix répondre : ‘’Bien sûr, Je vais te sauver. Mais d’abord, lâche la branche !’’
Histoire traditionnelle soufie
♦
LA PERLE
Shibli rechercha le maître Junayd et lui dit : ‘’Beaucoup de gens m’ont dit que vous êtes un
expert incomparable pour ce qui est des perles de l’éveil et de la sagesse divine. Donnez-moi
une de ces perles ou bien vendez-la moi.’’
Junayd sourit : ‘’Si je t’en vends une, tu ne pourras pas en payer le prix. Si je t’en donne une,
l’obtenir si facilement te fera la sous-estimer. Fais comme moi : plonge dans l’océan la tête la
première. Si tu es patient, tu obtiendras ta perle.’’
Junayd
♦
COUREZ VERS LUI
La prééternité vint de Dieu, le ‘’oui’’ de vous.
Il vous soutira ce ‘’oui’’, sans bouche ni lèvres.
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Lorsque l’ordre ‘’descendez toutes‘’ fut donné aux âmes,
Elles partirent alors trouver des corps.
Dieu expédia les âmes hors du ciel pour révéler ce secret :
Tous les ‘’ouis’’ ne sont pas pareils.
Certains sont fermes, d’autres faibles ; certains sont justes, d’autres faux.
Certains sont sages et intelligents, d’autres simplement conformistes.
Le ‘’oui’’ du sage se distingue des autres
Par la distance qui sépare la Turquie de l’Afghanistan.
Les esprits envoyés par Dieu entrèrent dans des corps subtils
Pleins de rires, comme de l’eau versée dans un pichet,
Puis, ils quittèrent ces demeures subtiles
Et entrèrent dans des corps matériels.
Pourquoi l’inconditionné chuta-t-il dans cette condition ?
Pour se perfectionner, pour obéir aux ordres de Dieu en Son absence,
Et pour gagner plus de paix après chaque acte de soumission.
Restez humble dans ce monde trompeur, vivez dans la crainte de Dieu.
Avoir la foi pendant Son absence et obéir à Dieu ici-bas
A plus de valeur que d’obéir à Dieu en Sa Présence.
Un esclave se révolte-t-il quand le roi arrive avec son armée ?
Non, il tremble de peur et se soumet rapidement à lui.
Comment un acte aussi servile peut-il avoir le moindre mérite ?
Lorsque le roi est présent, la liberté n’existe pas
Et l’obéissance sincère n’a pas de valeur.
C’est pendant l’absence qu’il est essentiel
De pratiquer l’obéissance de toutes vos forces.
Puis, c’est le moment où les pratiques religieuses ont un sens,
Parce que vous vivez ballotté entre la peur et l’espoir.
Pourtant, malgré toutes les difficultés, vous endossez vos responsabilités.
A cause de l’espoir fervent qui vous inspire,
Vous abandonnez ce qui est tangible pour ce que vous attendez
Et vous faites confiance à une promesse, de toutes vos forces.
Vous supportez mille souffrances dans l’espoir
Que vous arriverez le visage pur le Jour de la Résurrection.
Vous vivez une vie difficile pour pouvoir jouir d’une mort douce.
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Vous quittez l’éclat du monde par amour de la foi.
Savez-vous pourquoi Dieu estime l’homme plus que les anges ?
Parce qu’en dépit de toutes les terreurs, il accourt vers Lui.
Sultan Valad
♦
HÂTEZ-VOUS VERS LA SOURCE
Cachée derrière le voile du mystère, la Beauté est à jamais libre de la moindre trace
d’imperfection. A partir des atomes du monde, Il a créé une multiplicité de miroirs. Dans
chacun d’eux, Il a projeté l’image de Son Visage. Pour l’œil averti, tout ce qui semble beau
n’est qu’un reflet de ce Visage.
A présent que vous avez vu le reflet, hâtez-vous vers la Source. Dans cette Lumière
primordiale, le reflet disparaît complètement. Ne vous attardez pas loin de cette Source
originelle. Quand le reflet s’évanouira, vous serez perdu dans les ténèbres. Le reflet est aussi
éphémère que le sourire d’une rose. Si vous voulez la permanence, dirigez-vous vers la
Source. Si vous voulez la fidélité, cherchez la Mine de fidélité. Pourquoi déchirer votre âme
pour quelque chose qui est ici un moment et qui aura disparu l’instant d’après ?
Jami
♦
LA PIERRE DE TOUCHE
La pierre de touche de Dieu ne peut faillir :
Le toc ne peut y échapper.
Seul supportera le test
Celui qui vivant sait comment mourir.
Kabir
♦
MAINTENANT, VOYEZ LA MER
Mahomet dit qu’aucun de ceux qui ont quitté le monde
Ne ressent l’angoisse et le regret d’être mort.
Non, ils éprouvent de la peine pour avoir manqué une occasion unique
Et pleurent : ‘’Pourquoi n’ai-je pas fait de la mort mon objectif—
La mort qui est la mine d’or de toutes les vraies merveilles ?
Pourquoi ai-je continué à voir double et à fixer mon regard
Sur des fantômes qui se sont dissous quand mon heure est venue ?’’
Le chagrin des morts n’est pas dû à la mort,
22
Mais parce qu’ils étaient obsédés par des formes qui meurent,
Et que jamais ils ne virent que toute cette écume est mue par la Mer.
La Mer a rejeté ses flocons d’écume sur la plage—
Si vous voulez les voir, allez dans n’importe quel cimetière
Et dites-leur : ‘’Où sont vos tourbillons frénétiques, maintenant ?’’
Si vous écoutez, vous les entendrez répondre silencieusement :
‘’Interrogez la Mer, pas nous.’’
Après tout, comment l’écume pourrait-elle flotter sans vague ?
Comment la poussière pourrait-elle tourbillonner sans vent ?
Vous avez vu la poussière, maintenant osez voir le vent.
Vous avez vu l’écume, maintenant voyez la Mer de l’Energie Créatrice.
Rumi
♦
VOUS ÊTES LE VOILE
Sachez ceci : vous êtes vous-même le voile qui vous sépare de vous. Sachez aussi que vous ne
pouvez atteindre Dieu par vous-même. Vous L’atteignez par Son intermédiaire. Lorsque Dieu
vous fait grâce de la vision de L’atteindre, Il vous somme de Le chercher et vous le faites.
Junayd
♦
MON CYGNE, ENVOLONS-NOUS
Mon cygne, envolons-nous vers ce pays
Où ton Bien-aimé vit pour toujours.
Ce pays possède un puits retourné
Où l’âme mariée puise de l’eau
Sans cruche ni corde
De la bouche aussi étroite qu’un fil.
Mon cygne, envolons-nous vers ce pays
Où ton Bien-aimé vit pour toujours.
Jamais les nuages ne s’amassent là-bas,
Pourtant, il ne cesse pas de pleuvoir.
Ne reste pas dehors accroupi dans la cour—
Entre ! Sans corps, sois trempé !
Mon cygne, envolons-nous vers ce pays
Où ton Bien-aimé vit pour toujours.
Ce pays est toujours baigné du clair de lune,
L’obscurité ne peut jamais l’approcher.
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Toujours il est baigné de l’éclat
Non pas d’un, mais d’un million de soleils.
Mon cygne, envolons-nous vers ce pays
Où ton Bien-aimé vit pour toujours.
Kabir
♦
CEUX QUI RÉALISENT L’UN
Un jour, Jésus vit un groupe de gens à l’air abattu assis sur un mur au bord de la route. Il leur
demanda : ‘’Pourquoi avez-vous l’air aussi malheureux ?’’
Ils gémirent : ‘’La crainte de l’Enfer nous a rendus comme cela.’’
Jésus poursuivit son chemin et arriva auprès d’un autre groupe de gens déprimés assis au bord
de la route. Il leur demanda : ‘’Pourquoi êtes-vous si malheureux ?’’
Ils pleurèrent : ‘’La nostalgie du Paradis nous a rendus ainsi.’’
Jésus continua à marcher et il parvint auprès d’un troisième groupe. De manière évidente, ces
gens avaient beaucoup souffert, mais leurs visages étaient éclairés par la joie.
Jésus leur demanda : ‘’Qu’est-ce qui vous rend aussi joyeux ?’’
Ils sourirent : ‘’L’Esprit de la Vérité même. Nous avons vu la Réalité et nous nous sommes
détournés des moindres buts.’’
Jésus dit : ‘’Les gens comme eux sont ceux qui réalisent l’Un. Le Jour du Jugement Dernier,
ce seront des gens comme eux qui se tiendront en présence de Dieu.’’
Ghazali
♦
JUSQU'À CE QUE LES RAYONS DE SON AMOUR N’ÉMETTENT
Personne ne peut trouver le chemin qui mène à Lui à partir de ses propres forces ;
Quiconque avance dans Sa direction marche avec Ses pieds.
Jusqu’à ce que les rayons de Son Amour n’émettent pour guider l’âme,
Elle ne s’ébranlera pas pour voir l’amour de Sa face.
Mon cœur ne s’émeut d’aucune passion pour Lui,
Avant qu’une passion ne L’enflamme et ne touche mon cœur.
Depuis que j’ai appris que le Tout-Glorieux se languissait de moi,
Me languir de Lui n’a plus cessé un seul instant.
Maghribi
♦
24
SON MYSTÈRE
Ce qui est le plus fort dans le cœur du mystique qui prie, c’est sa conscience du mystère de
Celui dans lequel il est dans la Présence, du pouvoir de Celui qu’il cherche et de Son amour
qui le bénit d’une familiarité aussi tendre et directe avec Lui-même. Il est conscient de tout
ceci jusqu’à ce qu’il ait fini de prier et qu’il prenne congé avec un visage aussi transfiguré que
ses amis ne le reconnaîtraient pas, à cause de l’admiration respectueuse qu’il ressent devant la
majesté de Dieu.
Muhasibi
♦
DE L’USAGE DE L’UN
Un petit garçon fut envoyé à l’école. Il débuta ses leçons avec les autres enfants et la première
leçon que le professeur lui enseigna fut la ligne droite, le chiffre ‘’un’’. Mais tandis que les
autres enfants progressaient, celui-ci continuait à écrire le même chiffre.
Après deux ou trois jours, le professeur vint le trouver et lui dit : ‘’As-tu fini ta leçon ?’’
Il répondit : ‘’Non, je suis toujours en train d’écrire ‘’un’’. Il continua, et quand à la fin de la
semaine, le professeur lui reposa la même question, il dit : ‘’Non, je n’ai pas encore fini.’’
Le professeur pensa que c’était un idiot et qu’il devait être renvoyé puisqu’il ne pouvait pas
ou qu’il ne voulait pas apprendre. Chez lui, l’enfant continua le même exercice et les parents
finirent par s’en lasser et dégoûtés. Il dit simplement : ‘’Je n’ai toujours pas appris, je suis en
train d’apprendre. Quand j’en aurai terminé, je passerai aux autres leçons.
Les parents dirent : ‘’Les autres enfants progressent, ton école t’a abandonné et tu ne montres
pas le moindre signe de progrès. Nous sommes las de toi.’’ Et le garçon pensa tristement que
puisqu’il avait aussi déplu à ses parents, il ferait mieux de quitter la maison. Aussi, il se rendit
dans le désert et il y vécut de fruits et de noix.
Longtemps après, il retourna dans sa vieille école et quand il vit le professeur, il lui dit : ‘’Je
pense avoir appris ma leçon. Vérifiez, je vous prie. Je vais l’écrire sur ce mur.’’ Il écrivit le
chiffre un et le mur se fendit en deux.
Hazrat Inayat Khan
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CHAPITRE 2 : LE SECRET INTÉRIEUR
Au fur et à mesure que le chercheur approfondit son expérience de la nature de Dieu et de
l’âme, un incroyable secret commence à le troubler—il réalise que ce qu’il a lu dans les
grands livres mystiques de chaque tradition n’est pas de la poésie ou une exagération
enthousiaste, mais une vérité littérale et bouleversante : que lui et le Bien-aimé ne sont pas
distincts mais un et que l’Un qu’il recherche le recherche également. Ce secret intérieur de
l’identité avec l’Absolu possède de multiples aspects, et lentement, miraculeusement, chacun
de ces aspects s’éclaire pour le chercheur, à la lumière du cœur, jusqu’à ce qu’il réalise avec
une certitude au-delà de la ‘’foi’’ ou de toute terminologie possible que toute la création est
une avec le Créateur, que tout tient ensemble par la force de l’amour, que chaque atome est
ivre de cet amour et que l’univers qui avant paraissait si ordonné tourne en fait toujours dans
une danse ivre et extatique. Il en vient à savoir ce que Shabistari veut dire quand il dit : ‘’Sous
le voile de chaque atome est caché le visage ravissant de beauté du Bien-Aimé.’’
Au fur et à mesure que les implications de ce secret commencent à prendre de l’extension
dans le cœur et dans l’esprit du chercheur par le biais d’une pratique constante de la prière, de
la méditation et du service et par révélations successives, la propre passion du chercheur pour
la quête devient de plus en plus ardente. Au plus il permet à la gloire du secret de l’éveiller et
de l’informer, au plus passionné devient son amour pour le Bien-Aimé jusqu’à ce qu’il
consume sa vie entière et brûle sous chaque pensée et chaque émotion. Rien n’est plus
important à ce stade, nous disent tous les plus grands mystiques soufis que d’observer aussi
précisément que possible toutes les rigueurs de la vertu et toutes nos obligations et devoirs
envers les autres. Une coupe très résistante doit être préparée pour contenir le vin de plus en
plus brûlant de la gnose et cette solide coupe ne peut être créée en nous que par un désir de
nous purifier de chaque habitude, de chaque appétit désordonné et de chaque fantasme qui
nous gardent esclaves de nous-mêmes.
La connaissance du ‘’secret intérieur’’ nécessite alors un choix de subir la première grande
purification de la Voie—celle des sens—qui clarifie l’être du chercheur et qui le rend de plus
en plus transparent à l’œuvre de l’amour. Dans cette purification, le travail essentiel est un
travail d’humilité et d’ardent désir. Les amants soufis du Bien-Aimé nous disent sans détour
que dans notre propre intérêt, nous devons toujours nous tenir sur les genoux devant la
majesté de Dieu et que nous devons toujours oser entretenir dans nos cœurs un courant
permanent de désir ardent pour le Seigneur, même si cela peut être parfois douloureux. Sans
humilité, la révélation même peut être une source d’ignorance, parce qu’elle rend son
receveur vaniteux. Le désir ardent est à la fois l’angoisse qui brûle les voiles de la séparation
entre l’âme et Dieu et le fil qui nous conduit de plus en plus profondément en nous-mêmes, là
où l’amour attend toujours pour nous emmener plus loin dans son mystère.
26
CE QUE DIEU DÉPOSA EN CHAQUE ÊTRE HUMAIN
Dieu déposa la connaissance de toutes choses en chaque être humain, et puis les empêcha de
la percevoir : ceci est l’un des mystères divins que la raison nie complètement et pense
impossible.
La proximité du mystère, pour ceux qui ne le connaissent pas, est comme la proximité de
Dieu vis à vis de Son serviteur, comme il est proclamé dans Ses mots : ‘’Nous sommes plus
proches de Lui que toi, mais tu ne le vois pas’’ (Coran 56 : 83) et ‘’Nous sommes plus
proches de Lui que Sa veine jugulaire’’ (Coran 50 : 16). En dépit de cette proximité, le
serviteur ne perçoit ou ne connaît rien. Personne ne peut connaître ce qu’il y a à l’intérieur de
lui-même avant que cela ne lui soit révélé moment après moment.
Ibn Arabi
♦
L’OISEAU SUR L’ARBRE DE MON CORPS
Il y a un oiseau sur l’arbre de mon corps
Qui danse dans l’extase de la vie.
Personne ne sait où il est,
Et qui pourrait jamais savoir
Ce que signifie sa musique ?
Il niche où les branches projettent des ombres profondes.
Il arrive au crépuscule et s’envole à l’aube
Et ne pipe jamais mot de ses intentions.
Personne ne peut dire quoi que ce soit
A propos de cet oiseau qui chante dans mon sang.
Il n’est ni coloré ni incolore,
Il n’a ni forme ni contour,
Il perche toujours dans l’ombre de l’amour.
Il vit au cœur de l’Inaccessible, de l’Infini, de l’Eternel
Et nul ne peut dire quand il arrive et quand il part.
Kabir dit : ‘’Ami chercheur,
Le mystère de cet oiseau
Est merveilleux et profond.
Sois sage, efforce-toi de savoir
Où cet oiseau vient se reposer.’’
Kabir
♦
LA SECONDE NAISSANCE
Vous êtes une mine dont la terre est mélangée à de l’argent.
L’argent est caché dans la mine.
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La terre est visible, comme le corps
Et comme l’âme, l’argent est caché.
Extrayez l’argent de la terre.
La terre est sans valeur et jetée sur le côté.
La valeur de la terre vient de l’argent.
Sans lui, elle n’est que terre,
Et quoique cette terre provienne de la mine,
En même temps que l’argent,
Elle n’acquiert pas la même valeur.
S’il ne s’échappe pas de lui-même,
Il restera inutile et stérile.
Il ne sera bon à rien
Et ne sera jamais forgé en un calice précieux.
Pensez à une huître que vous pêcheriez
Et qui n’aurait donné naissance à aucune perle.
Quelle est son utilité ? Qui voudra l’acheter ?
Sa valeur n’apparaîtra à aucun œil,
Aussi averti soit-il.
Vous devez donc vous donner naissance à vous-même une seconde fois,
Comme l’argent et l’or qui sont nés de la terre
Et vous libérer de tout danger
Et vivre en paix sous la protection de Dieu…
Quand la terre de la mine est jetée dans le four,
Elle fond, se transmute et devient précieuse.
Vous aussi, si vous êtes un chercheur véritable, vous devez fondre
Dans le four de l’absolue sincérité
Par la passion du feu de l’amour.
Comment pourriez-vous vous libérer autrement des voiles
De votre existence et devenir ivre de Dieu ?
Oui, il vous faut naître deux fois, une fois de votre mère,
Et la seconde fois, de vous-même.
Vous êtes déjà passé par la première naissance.
A présent, efforcez-vous d’atteindre la seconde
Pour pouvoir connaître le secret de l’Union.
Consacrez votre âme à la voie de la Réalité
Pour pouvoir recevoir l’aide et l’enseignement de Dieu.
Sultan Valad
♦
QUE VOTRE DESTINÉE SOIT LA GLOIRE OU LA DISGRÂCE
Que votre destinée soit la gloire ou la disgrâce,
Purifiez-vous de la haine et de l’amour du moi.
Polissez votre miroir et cette sublime Beauté
Des régions de mystère
Flamboiera dans votre cœur
28
Comme elle le fit pour les saints et les prophètes.
Alors, le cœur en feu avec cette splendeur,
Le secret du Bien-Aimé ne sera plus caché.
Jami
♦
LE MONDE N’EST JAMAIS ÉLOIGNÉ DE LUI
Celui qui est parfait sur le chemin de la foi
Ne sera jamais trompé par la terre d’Adam.
En Adam, il percevra toujours la Lumière—
Sa brillance ne restera pas secrète.
Dans la pierre, le bois, la paille ou la montagne,
En tout temps, il ne verra rien d’autre que Dieu.
Bayazid lui-même ne voyait-il pas Dieu en toutes choses ?
Dans la plus petite feuille, il voyait le Visage de Dieu.
Le monde n’est jamais éloigné de Lui.
Le parfum pourrait-il se perdre loin de la roseraie ?
Celui qui est privé du sens de l’odorat
Ne peut distinguer les fragrances,
Tout comme le lit de la rivière n’est pas conscient
De l’eau qui toujours le suit.
Si j’en disais plus au sujet de ces choses,
Les deux mondes disparaîtraient
Et je deviendrais Son ennemi
Et il allumerait un feu dans mon âme et dans mon corps.
Sultan Valad
♦
LES VRAIS NOMS
Ceux qui savent disent que la personne qui veut connaître l’Essence Divine par des noms, des
attributs et des actes ressemble au rêveur qui dans son sommeil voit des images qui ne sont
pas réelles. Ceux qui connaissent les vrais noms, les vrais attributs et les vraies actions de
Dieu sont ceux qui par le biais de la vision mystique ont atteint une compréhension de
l’Essence et qui ensuite descendent au niveau des noms et des attributs. Ils ont compris que
c’est l’Essence Absolue de Dieu qui se manifeste à chaque instant sous l’apparence d’un nom
et d’un attribut. Ils sont pleinement éveillés et voient la réalité des choses.
Lahiji
♦
29
MON VRAI SERVITEUR
L’homme est Mon secret et Je suis le sien. La connaissance intime de l’essence spirituelle est
un secret de Mes secrets. Moi seul l’y ai placée dans le cœur de Mon vrai serviteur, et nul ne
peut connaître son état à par Moi.
Hadith du Prophète
♦
VOICI TON CŒUR
Je vis Dieu dans les rues secrètes qui tenait quelque chose dans Sa main. Je Lui dis : ‘’Mon
Seigneur, que tenez-Vous là ?’’
Il me répondit : ‘’Ton cœur.’’
Je Lui dis : ‘’Mon cœur occupe-t-il un tel rang pour se trouver dans Vos mains ?’’
Il regarda mon cœur, et il ressemblait à quelque chose qui était plié. Il le défroissa et l’étendit
et mon cœur couvrit la distance qui séparait le Trône de la Terre.
Il dit : ‘’Voici ton cœur, et c’est la chose la plus vaste de l’existence.’’
Puis, Il emporta mon cœur dans les régions angéliques et je L’accompagnai jusqu’à toucher
les trésors du secret d’entre les secrets.
Ruzbihan Baqli
♦
LE SECRET
Comment pourrais-je jamais exprimer le Secret ?
Si je dis qu’Il est en moi,
L’univers entier baisse la tête de honte.
Si je dis qu’Il est en dehors de moi,
Je sais que je suis un menteur.
Il fait Un les mondes intérieur et extérieur :
Conscient, inconscient sont tous deux Ses repose-pieds.
Il n’est ni manifesté ni caché.
Il n’est ni révélé ni non révélé.
Il n’y a pas de mots pour décrire ce qu’Il est.
Kabir
♦
LA LUMIERE DE L’UN
Que sont ‘’je’’ et ‘’tu’’ ?
De simples treillis
30
Dans la niche d’une lampe
Par lesquels rayonne la Lumière de l’Un.
‘’Je’’ et ‘’tu’’ sont le voile
Entre le Ciel et la Terre.
Soulève ce voile et tu verras
Que toutes les sectes et toutes les religions sont une.
Soulève ce voile et tu demanderas —
Quand ‘’je’’ et ‘’tu’’ n’existent pas,
Qu’est-ce qu’une mosquée ?
Qu’est-ce qu’une synagogue ?
Qu’est-ce qu’un temple ?
Shabistari
♦
CEUX QUI SAVENT
Ceux qui savent
Que les milliards de couleurs et de formes
Emanent d’une seule couleur, une seule forme
Ne prêtent pas la moindre attention
Aux castes et aux divisions.
Ceux qui ne reconnaissent pas Dieu
Meurent.
Ceux qui donnent leur cœur
A tout, sauf à Dieu
Meurent.
Ceux qui s’extasient à propos des Ecritures
Meurent également.
Ils vénèrent les mots
Mais ne réalisent jamais
L’Esprit au-delà des mots.
Tout ce qu’ils font en fait,
C’est appliquer du fard
A des yeux déjà aveuglés par des préjugés.
Ô Cheik Tazi, réalise
Une fois pour toutes
Que le Seigneur de l’Eternité vit
Dans chaque pot.
Kabir
♦
31
DU FAIT QUE JE LE CONNAIS, JE LE CRÉE
Il me loue et je Le loue.
Il m’adore et je L’adore.
Comment peut-Il être indépendant
Quand je L’aide et je L’assiste ?
Du fait que je Le connais, je Le crée.
Ibn Arabi
♦
L’ÂME QUI NE VIT PAS EN DIEU N’EST PAS VIVANTE
Le printemps fait apparaître les fleurs rouges et blanches sur les arbres,
Mais le printemps, origine des couleurs est incolore.
Comprenez ce que j’ai dit et cessez de parler.
Courez jusqu’à l’Origine sans couleur et unissez-vous à Elle.
Anéantissez-vous dans l’Existence Unique
Pour que des milliers de mondes jaillissent de vous
Et que votre pure existence flamboie d’elle-même
Et continue à engendrer différentes formes.
Bien sûr, aucune de ces formes ne durera.
Heureux est celui qui connaît ce mystère !
Heureux est celui qui donne sa vie pour connaître ceci !
Il quitte cette maison pour une autre, beaucoup plus lumineuse.
Vous ne pouvez pas comprendre ce mystère par la raison.
La Voie de la Connaissance passe par la souffrance et par le tourment.
Si vous ne ressentez pas la douleur, vous ne chercherez pas la guérison.
L’âme qui ne vit pas en Dieu n’est pas vivante.
Elle ressemble à une âme, mais ne mérite pas ce nom.
Elle n’a pas été vivifiée par le Bien-Aimé.
L’âme reçoit la vie des quatre éléments,
Comme une lampe qui brûle la nuit :
Cette lumière provient de l’huile et d’une mèche, elle n’est pas éternelle.
Tant que l’huile existe, la lampe brûle, puis s’éteint.
Celui que Dieu a rendu vivant ne mourra jamais.
Il vit par Dieu, et non pas par l’or ou le pain.
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Dieu est la Lumière, la Source Eternelle de Lumière.
Cette Lumière est sans cause, comme l’est Son éclat radieux.
Comme l’or, la valeur de Dieu vient de son essence pure et parfaite.
Sultan Valad
♦
EN CE CORPS
En ce corps,
Il y a des champs et des forêts enchantées,
Les sept mers et d’innombrables étoiles.
En ce corps,
Il y a la pierre de touche et le bijoutier.
En ce corps,
L’Eternel ne cesse de chanter
Et Sa source coule, coule, coule.
Kabir dit : ‘’Ecoute, mon ami, écoute—
Mon bien-aimé Seigneur est à l’intérieur.’’
Kabir
♦
LES GENS DE LA LETTRE CACHÉE
Il me dit : ‘’Qui sont les gens du feu ?’’
Je dis : ‘’Les gens de la lettre extérieure.’’
Il me dit : ‘’Qui sont les gens du jardin ?’’
Je dis : ‘’Les gens de la lettre cachée.’’
Il me dit : ‘’Qu’est-ce que la lettre extérieure ?’’
Je dis : ‘’La connaissance qui ne conduit pas à l’action.’’
Il dit : ‘’Qu’est-ce que la lettre cachée ?’’
Je dis : ‘’La connaissance qui conduit à la réalité.’’
Il dit : ‘’Qu’est-ce que l’action ?’’
Je dis : ‘’La sincérité.’’
Il dit : ‘’Qu’est-ce que la réalité ?’’
Je dis : ‘’Ce par quoi vous vous révélez.’’
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Il me dit : ‘’Qu’est-ce que la sincérité ?’’
Je dis : ‘’Se tourner vers votre visage.’’
Il dit : ‘’Qu’est-ce que la révélation de soi ?’’
Je dis : ‘’Ce que vous trouvez dans le cœur de vos adorateurs.’’
Niffari
♦
CÈDE TA PLACE
Au commencement de ma quête mystique, je ne connaissais rien et ainsi, je m’attachai à
l’imam Sayyed Mohammed Nurbaksh. Au cours de ma seconde retraite de quarante jours, je
vis l’imam en rêve et il me dit : ‘’Peux-tu te lever et céder ta place à quelqu’un d’autre ?’’ A
mon réveil, je pensai que, puisque je n’avais quasiment fait aucun progrès, ce rêve signifiait
que je devais céder ma place à quelqu’un d’autre qui pourrait mieux tirer parti de la présence
du cheik.
Ce soir-là, je fis part de mon rêve au cheik et de ce que j’en avais déduit. Il me dit :
‘’L’interprétation réelle de ton rêve est celle-ci : tu dois t’oublier toi-même et ‘’céder la
place’’ à la Réalité Suprême.’’ Ces paroles qui causèrent une douleur dans mon cœur
marquèrent le début de mon évolution spirituelle.
Lahiji
♦
LA FAIM SPIRITUELLE
La faim spirituelle est un feu vivant, éclatant placé par Dieu dans le cœur de Ses serviteurs
pour que leur ego puisse être brûlé. Lorsqu’il a été brûlé, ce feu devient alors le feu de
l’aspiration qui ne meurt jamais, ni dans ce monde, ni dans le suivant.
Il n’y a pas de chemin plus rapide vers Dieu que la faim spirituelle. Si elle traverse de la roche
solide, l’eau jaillit. La faim spirituelle est essentielle pour les soufis. C’est Dieu qui répand sur
eux Sa miséricorde.
Abu Said Ibn Abi Khayr
♦
CE SIMPLE SOUPIR
Si les huit paradis m’étaient révélés dans ma hutte et si la direction du monde entier était
placée entre mes mains, je n’échangerais pas pour eux ce simple soupir qui jaillit à l’aube, des
profondeurs de mon âme, quand je me rappelle ma nostalgie pour Lui.
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Bayazid Bistami
♦
À PROPOS DE LA CHARITÉ
Si vous êtes sage, aspirez à la vérité essentielle car celle-ci reste, tandis que toutes les choses
extérieures passent. Si vous n’avez ni connaissance, ni générosité, ni dévotion, vous n’avez
que la forme d’un être humain. Si sous terre, vous voulez reposer en paix, apaisez le cœur des
êtres qui marchent dessus.
Partagez maintenant votre or et vos richesses, car bientôt, ils vous échapperont. Ouvrez
aujourd’hui la porte de votre trésor, car demain, la clé ne sera plus entre vos mains.
Si vous ne voulez pas être malheureux le Jour du Jugement Dernier, n’oubliez pas ceux qui
sont malheureux maintenant. Ne chassez pas le mendiant de votre porte ou vous errerez un
jour désespérément devant la porte des étrangers. Dieu protège celui qui craint que lui aussi
un jour, il puisse avoir besoin de l’aide d’autrui. N’êtes-vous pas également un suppliant ?
Soyez reconnaissant et ne chassez jamais ceux qui se tournent en larmes vers vous.
Sadi
♦
QUATRE CHOSES À SAVOIR
Hatim al-Asamm dit : ‘’J’ai choisi de connaître quatre choses et rejeté tout autre type de
connaissance.
‘’La première est celle-ci : Je sais que mon pain quotidien est mesuré et qu’il ne sera ni
augmenté ni diminué, aussi ai-je cessé d’essayer d’en avoir plus.
‘’Deuxièmement, je sais que je dois une dette à Dieu que personne d’autre ne peut
rembourser, aussi suis-je occupé à la rembourser.
‘’Troisièmement, je sais que quelqu’un me poursuit—la Mort—à qui je ne peux échapper,
aussi me suis-je préparé à la rencontrer.
‘’Quatrièmement, je sais que Dieu m’observe, aussi ai-je honte de faire ce que je ne devrais
pas.’’
Attar
♦
35
À PROPOS DE LA GRATITUDE
Comment pourrais-je jamais remercier mon Ami ?
Aucun remerciement ne pourrait jamais commencer à être digne.
Chaque cheveu de mon corps est un don de Lui.
Comment pourrais-je Le remercier pour chaque cheveu ?
Louez à jamais le Seigneur prodigue,
Qui de rien à fait apparaître tous les êtres vivants !
Qui pourrait jamais décrire Sa bonté ?
Sa gloire infinie rend vaine toute louange.
Regardez, Il vous a fait grâce d’une robe de splendeur
De la prime enfance jusqu’à la vieillesse !
Il vous a créé pur à Sa propre image. Restez pur !
Il est horrible de mourir noirci par le péché.
Ne laissez jamais la poussière se poser sur le brillant de votre miroir.
Qu’il devienne terne et il ne retrouvera jamais son lustre.
Si vous travaillez dans le monde pour gagner votre vie,
Ne comptez pas un seul instant sur vos propres forces.
Vous qui vous rendez à vous-même un culte, n’avez-vous donc pas encore compris ?
C’est Dieu seul qui donne leur force à vos bras.
Si par vos efforts, vous accomplissez quelque chose de bien,
N’en réclamez pas tout le crédit pour vous-même.
C’est le destin qui décide du gain et de la perte
Et tout succès n’émane que de la grâce de Dieu.
Dans ce monde, vous n’êtes pas là de vos propres forces,
C’est l’Invisible qui vous soutient à chaque instant.
Sadi
♦
DES VENTS DE FAVEUR
J’ai été guéri de la maladie du scepticisme, non par la démonstration systématique ou
l’argumentation magnifiquement étayée, mais par une lumière que Dieu a projetée dans mon
cœur. Cette lumière est la clé qui ouvre sur la plus grande part de la connaissance. Celui qui
s’imagine que la compréhension des choses divines repose sur des preuves strictes et exactes
diminue la largesse de la miséricorde de Dieu.
Quand on interrogea le Messager de Dieu (la Paix soit avec lui !) à propos de l’
‘’élargissement’’ et de son sens dans le vers ‘’Chaque fois que Dieu veut guider un homme, Il
élargit son cœur pour qu’il s’abandonne à Dieu’’, le Prophète dit : ‘’C’est une lumière que
Dieu projette dans le cœur’’. Quand on lui demanda : ‘’Quel est son signe ?’’, il répondit :
‘’Le retrait de la demeure de la tromperie et le retour dans la demeure de l’Eternité.’’
C’est à propos de cette lumière que Mahomet (la Paix soit avec lui !) dit : ‘’Dieu créa les
créatures dans l’obscurité, puis les aspergea d’un peu de Sa lumière.’’ C’est à partir de cette
lumière que vous devez rechercher la connaissance intuitive des choses divines. De temps en
temps, cette lumière jaillit de la source de la Générosité Divine. Il vous faut être vigilant et
36
attendre car, comme le dit le Prophète (la Paix soit avec lui !) : ‘’Le Seigneur a des vents de
faveur. Placez-vous sur leurs routes.’’
Ghazali
♦
LES LUMIÈRES
Il y a des lumières qui montent et des lumières qui descendent. Les lumières qui montent sont
les lumières du cœur ; les lumières qui descendent sont celles du Trône. Le faux moi est le
voile entre le Trône et le cœur. Quand ce voile est déchiré et qu’une porte s’ouvre dans le
cœur, qui se ressemble s’assemble. La lumière monte vers la lumière et la lumière descend
vers la lumière et ‘’c’est lumière sur lumière’’ (Coran 24 : 35).
Najm al-Din Kubra
♦
LE SECRET DU VOYAGE
A chaque fois que le cœur soupire après le Trône, le Trône soupire après le cœur, aussi ils en
viennent à se rencontrer. A chaque fois qu’une lumière émane de vous, une lumière descend
vers vous. A chaque fois qu’une flamme émane de vous, une flamme correspondante descend
vers vous. Si leurs énergies sont identiques, elles se rencontrent à mi-chemin. Mais lorsque la
substance de lumière s’est accrue en vous, cela constitue un tout en relation avec ce qui est de
même nature au Ciel. Alors, c’est la substance de la lumière du Ciel qui se languit de vous,
qui est attirée par votre lumière et qui descend vers vous. Ceci est le secret du voyage
mystique.
Najm al-Din Kubra
♦
LE ROYAUME DE LA GLOIRE DIVINE
Par le biais des Lumières Divines, le cœur devient si reluisant qu’il brille comme un miroir
poli. Lorsqu’il devient un tel miroir, vous pouvez voir en lui le reflet de toutes les choses
existantes et le reflet du Royaume de Dieu comme ils sont réellement.
Lorsque vous voyez la gloire et la majesté de Dieu dans Son Royaume, alors, toutes les
lumières deviennent une seule lumière et votre poitrine déborde de cette lumière radieuse.
Vous êtes maintenant comme une personne qui observe son reflet dans un miroir : en vous
regardant, vous voyez aussi le reflet de chaque chose devant vous et derrière vous.
Maintenant, si le miroir est frappé par un rayon du soleil, toute la maison sera inondée de la
lumière émanant de la rencontre entre ces deux lumières—la lumière du rayon solaire et celle
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du miroir. Cela vaut également pour le cœur : lorsqu’il est poli et lumineux, il perçoit le
Royaume de la Gloire Divine et la Gloire divine s’y trouve révélée.
Hakim al-Tirmidhi
♦
L’ENFANT DU CŒUR
Les soufis parlent d’un état spirituel comme d’un bébé, parce que ce ‘’bébé’’ naît au fond du
cœur, qu’il y est soigné, nourri et qu’il y grandit. Le cœur, comme une mère, engendre, allaite
et élève l’enfant du cœur. On enseigne aux enfants les diverses formes matérielles de la
connaissance et on enseigne à l’enfant du cœur la sagesse intérieure. Tout comme un enfant
ordinaire n’est pas encore pollué par les péchés du monde, l’enfant du cœur est pur, sans
égoïsme, négligence ou doute. La pureté d’un enfant apparaît souvent dans sa beauté
physique ; la pureté de l’enfant du cœur apparaît dans les rêves sous la forme d’anges.
N’espérez pas entrer au Paradis simplement par la force de vos actions. Permettez aux dons
du Paradis de venir à vous, ici et maintenant, par l’intermédiaire de l’enfant du cœur.
Jilani
♦
LE SECRET DE L’UNIVERS
Le non-être est le miroir de l’Etre Absolu.
Là, l’éclat de la réalité est reflété
Et saisit son reflet en une seconde.
L’unité se manifeste dans la pluralité,
Tout comme lorsque vous comptez un, il devient multiple.
Tous les nombres commencent par un.
Pourtant, vous ne pouvez jamais trouver leur fin.
Comme le non-être est pur en lui-même,
C’est en lui que se reflète le ‘’trésor caché’’.
Lisez le hadith ‘’J’étais un trésor caché’’
Pour pouvoir pénétrer ce mystère infini.
Le non-être est le miroir, le monde est le reflet,
L’homme est l’œil reflété de la Personne Invisible.
Vous êtes cet œil reflété, Il est la lumière de l’œil,
Et dans cet œil, Son œil voit Son propre œil.
Le monde est un homme et un homme est un monde.
Lorsque vous plongez dans l’abîme de ce mystère,
Vous êtes à la fois le voyant, l’œil qui voit et ce qui est vu.
La tradition sacrée l’a affirmé
Et démontré ‘’sans yeux ou oreilles’’—
Sachez alors que l’univers entier est un miroir.
Dans chaque atome nichent cents soleils flamboyants.
Fendez le cœur d’une seule goutte d’eau,
Cent océans purs en jailliront.
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Examinez un seul grain de poussière,
Mille Adam en sortiront.
En ses membres, une mouche est comme un éléphant.
Dans ses qualités, une goutte de pluie est comme le Nil.
L’univers entier est caché
Dans le cœur d’un grain de millet.
Le cœur d’un grain d’orge
Est plus riche que cent récoltes.
Dans l’aile d’une mouche
Pulse l’océan de Vie.
Dans la pupille de l’œil
S’ouvre le ciel infini.
Peu importe la petitesse du grain du cœur,
Le Seigneur du monde entier y a fait Sa demeure.
Là, les deux mondes n’en font plus qu’un :
Le Tentateur manifeste la terrible majesté de Dieu,
Et Adam Sa divine beauté.
Contemplez le monde comme il est,
Les anges se mêlent aux diables, Satan avec Gabriel.
Tout est assemblé comme un noyau et son fruit—
Le non-croyant avec le croyant, le loyal avec le déloyal.
Chaque chose est unie sur la pointe de diamant du présent—
Les cycles et les saisons, le jour, le mois, l’année,
Le monde sans commencement ni fin.
La mission de Jésus coïncide avec la création d’Adam :
De chaque point de ce cercle toujours en rotation
Naissent des milliers de formes.
En tournant, chaque point est
Parfois un centre, parfois une circonférence.
Si vous deviez enlever un seul atome de sa place,
L’univers entier s’écroulerait.
Le Tout est un tourbillon vertigineux ; pourtant aucune de ses parties
Ne se trouve au-deçà des limites de la contingence
Car l’Emanation garde tout dans la dépendance.
Chaque chose se désespère d’être séparée du Tout.
Chaque chose voyage incessamment et pourtant demeure à sa place.
Chaque chose est toujours en mouvement et pourtant toujours en paix—
Sans jamais commencer, sans jamais finir.
Chaque chose connaît son essence, et c’est pourquoi
Chaque chose se hâte toujours vers le Trône.
Sous le voile de chaque atome est cachée
La beauté ravissante du visage du Bien-Aimé.
Shabistari
♦
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Ô ROI QUI CONSUME L’UNIVERS
Shabistari nous dit que la lumière de l’Essence n’est pas contenue dans les endroits de la
manifestation. ‘’Comment la raison humaine peut-elle alors parvenir à la connaissance
authentique de Dieu, puisqu’elle est obligée de juger les choses à partir des phénomènes ?’’,
demanda-t-il. Je veux vous dire ici ce qui m’est arrivé alors que j’étais en retraite.
Alors que j’étais endormi, je me vis en train de voler et de tournoyer au-dessus d’une grande
ville remplie de chandelles et de lampes et si lumineuse qu’aucune parole ne peut le décrire.
Brusquement, je commençai à m’élever vers le ciel et je parvins au premier ciel. Je vis que
j’étais devenu ce ciel et je fis l’expérience de choses extrêmement étranges. Puis, je parvins au
second ciel et je devins aussi ce ciel. Là aussi, je fis l’expérience de choses incroyables et
inexplicables. Je continuai ainsi jusqu’au septième ciel. Je sentis que je volais dans un monde
subtil et je vis la Réalité Suprême se manifester en tant que Lumière Absolue. A cause de Sa
splendeur, de l’émerveillement qu’Elle inspirait et de Son éclat, l’univers entier prit feu et tout
fut consumé. Je sentis moi aussi ce feu et je fus anéanti. Puis, je vis que j’étais revenu à moimême et dans mon extase, je récitai :
‘’Ô mon Roi qui consume l’univers et qui donne une âme à chaque chose,
Ô Toi, ma brûlure et ma patience, quand Te reverrai-je encore ?’’
Lahiji
♦
LES DEUX VOILES DOIVENT PARTIR
Un jour, on vit Rabia courir avec du feu dans une main et de l’eau dans l’autre. On lui
demanda ce qu’elle faisait et où elle allait. Elle répondit : ‘’Je cours allumer un feu au Ciel et
verser de l’eau sur les flammes de l’Enfer pour que les deux voiles disparaissent à jamais de
Sa Face.’’
Rabia
♦
JE PRENDS REFUGE EN TOI
On demanda une fois à Rabia : ‘’Comment avez-vous atteint ce que vous avez atteint ?’’
‘’En priant souvent : ’’Je prends refuge en Toi, Ô Dieu, contre tout ce qui me distrait de Toi et
contre tout obstacle qui m’empêche de T’atteindre.’’
Rabia
♦
40
TOUTES LES CHOSES SONT OBÉISSANTES
Omm Ahmad était une sainte femme égyptienne qui était aussi sage-femme. Elle ne faisait
jamais payer ses services, mais ne faisait son travail que pour plaire à Dieu.
‘’Une nuit d’hiver’’, nous raconte son fils, ‘’elle m’ordonna d’allumer la lanterne. Je lui
répondis que nous étions tombés à court d’huile. Elle m’ordonna alors de verser de l’eau dans
la lanterne et de penser à Dieu. Je fis ainsi et la mèche s’enflamma toute seule. Je fus
abasourdi et lui demandai : ‘’Mère, l’eau brûle-t-elle réellement ?’’ ‘’Non’’, répondit-elle,
‘’mais pour celui qui obéit à Dieu, toutes les choses sont obéissantes.’’
Attar
♦
LE BON SENS DU MONDE
‘’Tous les jours’’, dit Nasrudin à sa femme, ‘’je suis de plus en plus surpris de la manière
merveilleusement efficace dont ce monde est organisé, et pour le meilleur de l’humanité.’’
‘’Donne-moi un exemple’’, dit sa femme.
‘’Les chameaux. Pourquoi penses-tu qu’ils n’ont pas d’ailes ? ’’
‘’Aucune idée.’’
‘’C’est facile—si les chameaux avaient des ailes, ils pourraient s’accroupir sur le toit des
maisons et perturber notre tranquillité en tapant du pied et en nous crachant dessous, de làhaut !’’
Nasrudin
♦
LA PEUR, C’EST TOUT CE QU’IL FAUT
Un jour, un roi cruel et brutal dit à Nasrudin : ‘’Je te ferai pendre, traîner et écarteler, si tu ne
prouves pas que tu as des intuitions aussi profondes que celles qui te sont attribuées.’’
Immédiatement, Nasrudin dit : ‘’Je peux voir un grand oiseau doré quand je me tourne vers le
ciel et des démons qui hurlent et qui dansent sous terre quand je me tourne vers le bas.’’
‘’Comment peux-tu faire cela ?’’
‘’La peur’’, dit Nasrudin, ‘’c’est tout ce qu’il faut.’’
Nasrudin
41
♦
DES ÂNES
Nasrudin traversait la frontière chaque jour avec son âne chargé de paniers remplis de paille.
Parce qu’il confessait librement être un contrebandier chaque fois qu’il rentrait chez lui, les
gardes-frontières le fouillaient de fond en comble. Ils le déshabillaient, passaient la paille au
crible, la trempaient dans l’eau et parfois même, ils la brûlaient. Néanmoins, Nasrudin
devenait de plus en plus riche.
Alors, il prit sa retraite et s’en alla vivre dans un autre pays. C’est là que l’un des gardesfrontières le rencontra par hasard, des années plus tard.
‘’Maintenant, tu peux me le dire, Nasrudin’’, dit-il. ‘’Que diable passais-tu donc en
contrebande pendant tout ce temps, que nous n’avons jamais pu te prendre ?’’
‘’Des ânes’’, dit Nasrudin.
Nasrudin
♦
LA DÉCOUVERTE
J’ai trouvé quelque chose de si rare,
De si miraculeux
Que personne ne peut estimer
Sa valeur.
Il est incolore et Un.
Il est éternel et indivisible.
Les vagues du changement ne L’atteignent jamais.
Il remplit chaque récipient.
Il n’a pas de poids. Il n’a pas de prix.
Nul ne peut Le mesurer.
Nul ne peut Le compter.
Il ne peut être connu,
Ni par le langage ni par l’érudition.
Il n’est ni lourd ni léger.
Aucune pierre de touche dans aucun monde
Ne peut révéler sa valeur.
Je vis en Lui, Il vit en moi
Et nous sommes un, comme de l’eau
Mélangée à l’eau.
Qui le connaît
Ne peut jamais mourir.
Qui ne Le connaît pas
42
Meurt encore et toujours.
Kabir
♦
LA BALANÇOIRE
Entre les poteaux du ‘’conscient’’ et de l’ ‘’inconscient’’,
L’esprit a suspendu une balançoire.
Y sont suspendus tous les êtres, tous les mondes,
Et jamais elle ne cesse d’osciller.
Des millions d’êtres s’y assoient,
Et le soleil et la lune aussi.
Des millions d’ères vont et viennent,
Mais la balançoire reste.
Tout bascule !
Le ciel et la terre, l’air et l’eau,
Et le Bien-Aimé en personne,
Lorsqu’Il prend forme.
Voir ceci
A fait de Kabir un serviteur.
Kabir
43
CHAPITRE 3 : Ô DIEU, ACCORDE-MOI L’AMOUR DE TOI
L’ ‘’appel’’ du Bien-Aimé a été entendu et le ‘’secret intérieur’’ a commencé à irradier son
feu de la connaissance dans tous les aspects de l’esprit, du cœur et de la vie du chercheur. A
ce troisième stade de la quête, le chercheur devient comme un rondin sec plongé dans le feu.
Il apprend à brûler et veut brûler toujours plus passionnément avec l’ardeur du pur amour
pour Dieu.
Ce qui est maintenant devenu parfaitement clair pour le chercheur est que la seule chose qui le
sépare de Dieu, c’est lui-même et que le moyen le plus rapide, le plus puissant et le plus beau
d’user ce faux moi avec toutes ses vanités désastreuses et ses distractions, c’est de tomber
toujours plus complètement amoureux de l’Amour. Dans le feu de l’Amour se consument
lentement toutes les imperfections du moi et tout ce qui est froid—ou même gelé—et pervers
est lentement guéri.
Tout doit être donné pour poursuivre un amour de l’Amour aussi exigeant et aussi absolu.
Chaque désir, appétit, passion, pensée, émotion doit être donné en pâture à cet Amour, forcé
de devenir un avec lui. Ceci demande un travail intérieur extrêmement ferme—un travail du
cœur constant—et ce qui constitue la plus grande aide pour le chercheur à ce stade, c’est de
maintenir un courant continu de prière dans le cœur, un flux permanent de souvenir en
répétant le Nom Divin dans chaque situation et dans chaque circonstance. Le souvenir continu
du Bien-Aimé est la clé pour toujours rester dans la Présence ; invoquer constamment l’aide et
la grâce du Bien-Aimé est la clé pour toujours leur rester ouvert ; s’épancher constamment
dans la louange et la gratitude est la clé pour expérimenter l’amour qui afflue toujours du
Bien-Aimé vers vous et qui est aussi votre propre nature la plus intime.
‘’Où que vous soyez’’, nous dit Rumi dans ses Discours, ‘’en toute situation ou circonstance,
tâchez d’être un amant et un amant passionné. Une fois que votre cœur est possédé par
l’amour, vous serez toujours un amant au tombeau, à la Résurrection, au Paradis, pour
toujours et à jamais.’’
Au troisième stade du voyage, le chercheur apprend comment ‘’le cœur est possédé par
l’amour’’, suivant la belle expression de Rumi. Une telle possession initie progressivement le
chercheur à la gloire—ce que les soufis appellent kibriya—du Bien-Aimé. Comme Rumi nous
le dit : ‘’Adorez-Le et aimez-Le de tout votre être et Il vous révélera que chaque chose dans
l’univers est un vaisseau rempli à ras bord de sagesse et de beauté. Il vous montrera que
chaque chose est une goutte de la rivière infinie de Son Infinie Beauté.’’
Les mystiques savent qu’une telle vision rend le cœur ivre d’émerveillement. Comme les dons
éblouissants de cette folie divine deviennent de plus en plus clairs au chercheur, il s’efforce de
tout son être de mourir de plus en plus complètement dans l’Amour qu’il sait maintenant être
la vraie Vie et la source de l’être immortel. Tout en lui commence à implorer comme Rumi :
‘’Donne-moi l’extase, donne-moi la merveille nue, Ô mon Créateur !
Fais naître le Bien-Aimé en moi, et que cet amant meure.
Qu’un millier de désirs contradictoires deviennent un seul Amour.’’
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Ô DIEU, ACCORDE-MOI L’AMOUR DE TOI
Le Prophète enseigna cette prière à ses compagnons :
‘’Ô Dieu, accorde-moi l’amour de Toi et d’aimer ceux qui T’aiment et d’aimer tout ce qui me
rapproche de Toi.
Ô Dieu, que Ton amour soit pour moi plus précieux que l’eau fraîche pour l’assoiffé.’’
Ghazali
♦
LE SEUL REMÈDE
La source de ma souffrance et de ma solitude se trouve au tréfonds de mon cœur.
C’est une maladie qu’aucun médecin ne peut guérir.
Seule l’union avec l’Ami peut la guérir.
Rabia
♦
VIDE-MOI DE TOUT SAUF DE TON AMOUR
Seigneur, fais-moi tituber avec le vin
De Ton Amour !
Entoure mes pieds
Des chaînes de Ton esclavage !
Vide-moi de tout sauf de Ton amour
Et en lui, détruis-moi et ressuscite-moi !
Toute faim que Tu suscites
Ne peut finir qu’en Festin !
Cheik Ansari
♦
TIRE -LE MAINTENANT DE LA JARRE DE L’ETERNITE
Viens, viens, réveille tous les vrais ivrognes !
Verse le vin de la Vie même !
Ô échanson du Vin Eternel,
Tire-le maintenant de la jarre de l’Eternité !
Ce vin ne s’écoule pas dans la gorge,
Mais il libère des torrents de mots !
Echanson, rends mon âme parfumée comme le musc,
Mon âme noble qui connaît l’Invisible !
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Verse le vin pour les buveurs du matin !
Verse-leur ce musc subtil et inestimable !
Distribue-le à chacun dans l’assemblée
Dans les coupes de tes yeux ivres et brillants !
Transmets de tes yeux un philtre à chacun
D’une façon dont la bouche ne sait rien,
Car c’est ainsi que les échansons offrent toujours
Le saint et mystérieux breuvage aux amants.
Hâte-toi, les yeux de chaque atome de la Création
Ont faim de ce flamboiement de splendeur !
Procure-toi pour toi cette fragrance de musc
Et avec elle ouvre le sein du ciel !
Les vagues du parfum de ce musc
Rendent tous les Josephs fous pour toujours !
Rumi
♦
AMOUR
Ô Amour, Ô Amour pur et profond, sois ici, sois maintenant.
Sois tout—les mondes se dissolvent dans ta radiance immaculée et infinie.
Avec toi, de frêles feuilles vivantes flamboient plus que les froides étoiles—
Fais-moi ton serviteur, ton souffle, ton âme.
Rumi
♦
QUAND LE RÉEL VOUS DONNE UN CŒUR
Rabia dit : ‘’Le mystique est celui qui demande un cœur au Réel. Quand le Réel lui donne un
cœur, il le rend immédiatement à l’Omnipotent et Glorieux. Pourquoi ? Pour qu’il puisse être
protégé dans Sa main et caché de toutes les créatures sous Son voile.’’
Rabia
♦
UNE PREUVE CERTAINE
Frères, ma paix est dans ma solitude.
Mon Bien-Aimé est seul avec moi là, toujours.
Dans tous les mondes, je n’ai rien trouvé
Qui pouvait rivaliser avec Son amour,
Cet amour qui tourmente les sables de mon désert.
Si j’en venais à mourir de désir
Et que mon Bien-Aimé ne soit toujours pas satisfait,
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Je vivrais dans le désespoir éternel.
Renoncer à tout ce qu’Il a conçu
Et tenir dans la paume de ma main
La preuve certaine qu’Il m’aime—
C’est le nom et le but de ma recherche.
Rabia
♦
LE VÉRITABLE ADORATEUR DE DIEU
Bien-aimé Seigneur,
Ou bien je suis fou,
Ou bien Ton monde l’est.
L’adoration même dont Tu n’as cure
Est celle dans laquelle tout le monde est piégé.
Pour ce qui est du culte que Tu aimes,
Personne n’en sait quasi rien.
T’aimer Toi, T’aimer Toi et personne d’autre,
C’est l’adoration que Te réjouit.
C’est la raison pour laquelle l’âme fut séparée de Toi—
Pour Te retourner par l’adoration.
Pourquoi s’enferrer dans des formalités vides ?
Je chante la gloire de mon amour.
Je chante ce que j’ai moi-même vu.
Qui parvient au rang d’amant
Est le véritable adorateur de Dieu.
Kabir
♦
LA VRAIE GÉNÉROSITÉ
Une fois, Rabia interrogea Sofyan Thawri : ‘’Quelle est votre définition de la générosité ?’’
Il répondit : ‘’Pour les habitants de ce monde, la générosité consiste à donner ce que l’on a.
Pour ceux du monde au-delà, la générosité, c’est de sacrifier sa propre âme.’’
Rabia y vit une objection et dit qu’il avait tort. Sofyan lui demanda alors quelle était sa
définition de la générosité.
47
‘’La générosité’’, dit-elle, ‘’c’est de L’adorer pour l’amour de Lui-même, seul, et non pour un
bénéfice ou pour une récompense.’’
Rabia
♦
PROCHE DE L’AMOUR
Que veut dire être proche de l’Amour ?
Devenir sang, avaler votre propre sang,
Attendre à la porte de la fidélité avec les chiens…
En pleurant, l’amant est comme les nuages ;
Dans la persévérance, comme les montagnes ;
Dans la prosternation, comme l’eau ;
Dans l’humilité, comme la poussière sur la route.
Rumi
♦
Ô SEIGNEUR
Ô Seigneur,
Si demain, le Jour du Jugement Dernier,
Tu m’envoies en Enfer,
Je divulguerai un tel secret
Que l’Enfer s’éloignera de moi
De mille années-lumière.
Ô Seigneur,
Quelle que soit la part de ce monde
Que tu puisses me donner,
Donne-la à Tes ennemis.
Quelle que soit la part du prochain monde
Que tu veuilles me donner,
Donne-la à Tes amis.
Pour moi, Tu es assez.
Ô Seigneur,
Si je Te vénère
Par crainte de l’Enfer, brûle-moi en Enfer.
Si je Te vénère
Dans l’espoir du Paradis,
Ferme-moi ses portes.
Mais si je Te vénère pour Toi seul,
Alors, accorde-moi pour toujours la splendeur de Ta face.
48
Rabia
♦
UNE HISTOIRE QUI ILLUSTRE LA RÉALITÉ DE L’AMOUR
Un jeune homme qui aimait Dieu se tourna vers le désert. Son père, chagriné par son absence,
ne pouvait manger ni dormir. Un ami de la famille s’insurgea contre le comportement du fils.
Celui-ci ne put que répondre : ‘’Mon Ami m’a revendiqué comme Sien. Maintenant, je ne
puis plus avoir d’autre amitié que la Sienne. Lorsqu’Il me révéla Sa beauté, tout ce que je vis
d’autre me parut irréel. Ceux qui L’aiment ne peuvent aimer personne d’autre. Leurs sens sont
fermés et muets d’adoration, leurs oreilles sourdes à tout reproche.
Sans caravane, ils vagabondent dans le désert de la divine connaissance.
Ils ne nourrissent aucun espoir de compréhension ni d’approbation de la part de leurs
semblables, car ils sont les élus des élus de Dieu.
Sadi
♦
QUE RESTE-T-IL, À PART LA NOYADE ?
L’Amour ne vit pas dans la science et dans l’érudition
Ou dans un ordre soigné de pages et de lettres.
Tout ce sur quoi les gens bavardent
N’est pas la voie des amants.
Les branches de l’Amour sont dans la pré-éternité,
Ses racines dans le post-éternel.
C’est un Arbre qui n’existe
Sans aucun support du ciel ou de la terre.
Nous avons détrôné la raison et emprisonné le désir,
Car la majesté de l’Amour Divin
Ne peut vivre avec de tels bouffons et leurs habitudes.
Tant que vous avez le désir ardent de quelque chose,
Ce que vous désirez sera une idole.
Quand l’Amour décidera de vous aimer en retour,
Vous n’existerez plus.
Tous les marins vacillent sur les planches de la peur et de l’espoir—
Mais quand les ‘’planches’’ et les ‘’marins’’ ont disparu,
Que reste-t-il à part la noyade ?
Shams de Tabriz, vous êtes mer et perle ;
Le mystère de votre être
Est le secret du Créateur.
Mon âme, la première fois que je vous vis,
Mon âme entendit des merveilles de votre âme
Et lorsque mon cœur but de l’eau à votre fontaine,
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En vous, il se noya et la rivière m’emporta.
Rumi
♦
LA FEMME DU DÉSERT
Une fois, je rencontrai une femme dans le désert.
‘’D’où viens-tu ?’’, lui demandai-je.
‘’De mon pays d’origine.’’
‘’Où vas-tu ?’’
‘’Chez moi.’’
‘’Où sont tes provisions ?’’
‘’Celui qui m’a appelée m’accorde tout ce dont j’ai besoin parce que j’ai foi en Lui.’’
‘’N’as-tu pas d’eau ?’’
‘’Seuls ceux qui ont peur emmènent de l’eau.’’
‘’N’as-tu pas d’âne ou de chameau ? Le voyage est long.’’
‘’J’ai quatre montures différentes. La première est la résignation, et je m’y assois chaque fois
que la Providence de Dieu m’opprime. Puis, quand viennent des temps difficiles, je monte la
patience et pratique l’endurance. Puis, quand je suis bénie par la grâce divine, je m’assieds sur
la monture de la gratitude et je loue Dieu. Chaque fois que je suis bénie de l’amour de Dieu, je
monte l’étalon du désir ardent.’’
Elle tourna son regard vers le ciel et dit : ‘’Ô Seigneur, Ton amour a consumé mon âme, m’a
poussée hors de chez moi et transformée en voyageur errant.’’
La femme se mit à pleurer et je lui demandai pourquoi.
‘’Le désir ardent partout me tire et pourtant, mon Ami est absent. Mon cœur est rendu fou par
l’amour et complètement indifférent à lui-même. Comment puis-je trouver la paix quelque
part ?’’
Je vis par sa passion qu’elle était sincère.
‘’Quelle est la vraie voie qui mène au Transcendant ?’’, lui demandai-je.
‘’Chercher le Bien-Aimé avec le cœur sur la bascule du Monde Invisible.’’
Abu Muhammed Morta’ash
♦
SI TU NE BRÛLES PAS DE DÉSIR
Nuit et jour, j’ai gaspillé ma vie
Avec ceux que je croyais être mes amis
Et maintenant je suis terrifiée.
Le palais de mon Seigneur se situe si haut
Que mon cœur tremble en montant les marches,
Mais à présent, je ne puis plus être timide
Si j’espère un jour gagner Son amour.
Mon cœur doit s’accrocher à Lui.
50
Je dois écarter tous mes voiles
Et Le rencontrer de tout mon être.
A présent mes yeux doivent accomplir
La cérémonie des lampes de l’amour.
Kabir dit : ‘’Ecoute, mon amie—
Celui qui aime, sait.
Si tu ne brûles pas de désir
Pour le Bien-Aimé,
Ne prends pas la peine d’envelopper ton corps dans de la soie,
Ne prends pas la peine de maquiller tes yeux.
Kabir
♦
HISTOIRE DU PAPILLON DE NUIT ET DE LA CHANDELLE
Quelqu’un dit à un papillon de nuit : ‘’Vas-t’en, ridicule petite créature et associe-toi avec
quelqu’un de ta propre espèce. Ton amour est trop différent de celui de la chandelle. Tu n’es
pas une salamandre—ne volette pas autour du feu. Il te faut être brave avant de pouvoir te
battre. Il est absurde d’essayer d’embrasser comme un ami quelqu’un que tu sais être ton
ennemi.’’
‘’Que m’importe-t-il si je brûle ?’’, répondit le papillon de nuit.’’ Mon cœur est plein d’amour
et la flamme de la chandelle est comme une fleur pour moi. Je ne me jette pas dans le feu de
ma propre volonté. La chaîne de Son amour est autour de mon cou. Tu peux te moquer de
mon amour pour mon Ami autant qu’il te plaît. Je suis heureux de mourir à Ses pieds. Je brûle
parce qu’Il m’est précieux et parce que ma destruction peut L’émouvoir. Il ne faut pas
demander à un homme désespéré à qui les rênes ont échappé de conduire prudemment.’’
Sadi
♦
TUEZ-MOI, MES FIDÈLES AMIS
Tuez-moi, mes fidèles amis,
Car dans ma disparition est ma vie.
L’amour, c’est que vous restiez
Devant votre Bien-Aimé
Lorsque vous êtes dépouillé de tous vos attributs ;
Alors Ses attributs deviennent vos qualités.
Entre moi et Toi, il n’y a que moi.
Enlève le moi pour que Toi seul restes.
Hallaj
51
♦
NE SOIS SATISFAIT QUE DE MOI
Ma Joie,
Ma Nostalgie,
Mon Sanctuaire,
Mon Ami,
Ma Nourriture pour le voyage,
Mon But final—
Tu es mon esprit et mon espoir.
Tu es mon désir ardent.
Tu es tout mon Bien.
Sans Toi, ô ma vie, mon amour—
Je n’aurais jamais traversé
Ces pays interminables.
Combien de dons et de grâces Tu m’as faits !
Combien de faveurs Tu m’as distribuées de Ta main !
Je cherche Ton amour dans toutes les directions.
Et puis soudain, sa bénédiction brûle en moi.
Ô Capitaine de mon cœur,
Œil brillant de désir dans ma poitrine—
Jamais je ne serai libre de Toi,
Aussi longtemps que je vivrai.
Ne sois satisfait que de moi,
Vie de mon cœur,
Et je suis comblée.
Rabia
♦
DIEU SE CONTEMPLE LUI-MÊME À TRAVERS L’HOMME
Dans sa Roseraie du Mystère, Shabistari écrit :
‘’Par amour est apparu tout ce qui existe
Et par amour, ce qui n’existe pas semble exister.’’
Shabistari veut dire ici que l’homme est l’œil du monde et que le monde est le reflet de Dieu
et que Dieu Lui-même est la lumière de cet œil. L’homme est l’œil qui regarde dans le miroir
et tout comme le miroir reflète le visage de la personne qui regarde dedans, le reflet lui-même
possède un œil. Au même instant où l’œil regarde dans le miroir, le reflet de cet œil le
regarde. Dieu qui est l’œil de l’homme se contemple à travers l’homme.
Ce point est extrêmement subtil. D’un certain point de vue, Dieu est l’œil de l’homme. D’un
autre, l’homme est l’œil du monde, parce que le monde et l’homme sont un. Cet homme—qui
est l’œil du monde—est appelé l’Homme Parfait. Puisque l’homme est un résumé de tout ce
qui existe, il est un monde en lui-même et la relation qui existe entre Dieu et l’homme existe
entre l’homme et le monde.
52
Lahiji
♦
RIEN QUE POUR TOI
Dans mon corps, la vie ne pulse rien que pour Toi.
Mon cœur bat suivant Ta volonté.
Si sur ma tombe, une touffe d’herbe
Devait pousser,
Chaque brin tremblerait
De ma passion pour Toi.
Cheik Ansari
♦
NE ME BLÂME PAS
Ne me blâme pas si je mise
Ma vie entière sur Ta voie ;
Que puis-je faire ?
C’est tout ce que j’ai.
Je bouterais le feu
A l’arbre de la vie
Si je pouvais saisir une branche embrasée
Des flammes de Ton amour…
Khusrawi
♦
AUSSI LONGTEMPS QUE JE VIVRAI
Aussi longtemps que je vivrai, je mangerai et boirai
La douleur de T’aimer.
Je ne la céderai à personne,
Même quand je serai mort.
Demain,
Le Jour de la Résurrection,
Je m’avancerai avec cette soif
Qui me tenaillera toujours.
Hamadani
♦
53
HISTOIRE DU SULTAN MAHMUD ET DE SON AMOUR POUR AYAZ
Un de ses sujets se moqua derrière le dos du roi de Ghazni et dit avec mépris : ‘’Pourquoi le
sultan s’est-il tellement entiché d’Ayaz ? Il n’est même pas beau. Que c’est étrange qu’un
rossignol aime une rose qui ne soit ni colorée ni parfumée !’’
Ceci fut rapporté à Mahmud qui dit : ‘’Mon amour est pour la bonté d’Ayaz, par pour sa
beauté.’’
Quelques temps plus tard, le roi et sa cour partirent en expédition. Un des chameaux chuta
dans un étroit défilé du désert et un coffre rempli de perles se brisa. Le roi fit signe que le
pillage pouvait commencer et éperonna son cheval. Les autres cavaliers éperonnèrent
également leurs montures, et dépassant le roi, ils s’emparèrent de toutes les perles pour euxmêmes. Ayaz fut le seul qui resta auprès de Mahmud.
‘’Eh bien, combien de perles as-tu attrapées ?’’, lui demanda Mahmud.
‘’Aucune’’, répondit Ayaz. ‘’J’ai continué à vous suivre, résolument. Vous servir est toute la
richesse que je pourrais jamais désirer.’’
Sadi
♦
SEULS LES AMANTS NE SERONT PAS DÉTRUITS
Le Jour du Jugement Dernier, le Seigneur de la Sagesse demandera aux érudits : ‘’Qu’avezvous fait avec la connaissance et l’érudition que Je vous ai données ?’’
Ils répondront : ‘’Nous les avons utilisées sur la Voie.’’
Alors, le Seigneur de la Sagesse dira : ‘’Vous êtes des menteurs.’’
Il poursuivra : ‘’Vous dites que vous avez utilisé votre connaissance et votre érudition ‘’sur la
Voie’’. Balivernes ! Vous les avez utilisées à mendier des éloges, à tenter de vous faire passer
pour des savants, à soutirer la vénération des masses.’’
Le Seigneur de la Magnificence demandera aux riches : ‘’Qu’avez-vous fait avec la richesse
que Je vous ai donnée ?’’
Ils diront : ‘’Nous l’avons distribuée sur la Voie.’’
Alors, le Seigneur de la Magnificence et ses anges diront : ‘’Vous mentez, vous n’avez
distribué que juste assez que pour que les gens disent que vous étiez charitables.’’
Puis le Seigneur du Pouvoir convoquera tous ceux qui ont sacrifié leur vie dans des Guerres
Saintes et Il leur demandera : ‘’Qu’avez-vous fait de votre vie ?’’
Ils répondront : ‘’Nous l’avons donnée pour la Voie.’’
54
Le Seigneur du Pouvoir et les anges riront, les traiteront de menteurs et diront :’’Vous n’avez
sacrifié votre vie que pour que les gens disent que vous étiez courageux et qu’ils vous
qualifient de martyrs.’’
Ghazali
♦
L’ÂME-ÉPOUSE SE LANGUIT DE SON ÉPOUX, LE BIEN-AIMÉ
Quand viendra ce jour, Mère,
Où Celui pour qui je suis venue au monde
Me serrera contre Son cœur d’un amour éternel ?
J’aspire à la félicité de l’union divine.
J’aspire à perdre mon corps, mon esprit et mon âme,
Et à devenir une avec mon époux.
Quand ce jour viendra-t-il, Mère ?
Epoux, exauce maintenant le désir que j’ai
Depuis avant que l’univers ne soit créé.
Pénètre-moi entièrement et libère-moi.
Seule, pendant ces terribles années sans Toi,
Je me languis et me languis de Toi.
Je passe des nuits sans sommeil à Te chercher,
Fouillant l’obscurité
Avec des yeux écarquillés et désespérés.
Quand ce jour viendra-t-il, Mère ?
Quand mon Seigneur me serrera-t-il contre Son cœur ?
Mon lit désert, comme une tigresse affamée,
Me dévore à chaque fois que je tente de dormir.
Ecoute la prière de ton esclave—
Viens et éteins ce feu douloureux
Qui consume mon âme et mon corps.
Quand me serrera-t-Il contre Son cœur ?
Quand ce jour viendra-t-il, Mère ?
Kabir chante : ‘’Si jamais je Te rencontre, mon Bien-Aimé,
Je m’accrocherai à Toi si férocement que Tu fondras en moi.
A l’intérieur de Toi, je chanterai des chants d’union,
Des chants de béatitude éternelle qui dissolvent le monde.’’
Kabir
♦
LA TRAÎNE DE LA ROBE DE LA BIEN-AIMÉE
Un derviche apparut dans une tribu de Bédouins. Un jeune homme lui offrit un repas.
Alors que le jeune homme était en train de servir le derviche, il tomba en syncope. Le
derviche demanda aux autres Bédouins présents la raison de son évanouissement et ils dirent :
‘’Il est tombé passionnément amoureux de sa cousine. Alors qu’elle se déplaçait dans sa tente,
le jeune homme a aperçu la poussière soulevée par la traîne de sa robe et s’est évanoui.’’
55
Le derviche se rendit dans la tente de la jeune fille et lui dit :’’Je souhaiterais intercéder en
faveur du jeune homme. Montre-lui tes faveurs ! Son amour pour toi est si grand !’’
La jeune fille sourit. ‘’Il ne peut même pas supporter d’apercevoir la traîne de ma robe.
Comment imaginez-vous qu’il pourrait vivre en ma présence ?’’
Sadi
♦
DANS LA POUSSIÈRE
Ne vous étonnez pas de ceux qui sont assassinés
Dans la poussière devant la porte de l’Ami.
Etonnez-vous que quiconque puisse survivre
L’âme intacte !
Tohfah de Syrie
♦
LE SEIGNEUR EST EN MOI
Le Seigneur est en moi et le Seigneur est en toi,
Tout comme la vie est cachée dans chaque graine.
Aussi ravale ton orgueil, mon ami,
Et cherche-Le à l’intérieur de toi.
Lorsque je m’assieds dans le cœur de Son monde,
Un million de soleils étincèlent de lumière,
Une mer bleue lumineuse s’étale dans le ciel,
Le désarroi de la vie se calme
Et les traces de la souffrance s’éliminent.
Ecoutez les cloches et les tambours muets !
L’amour est ici. Plongez dans son ravissement !
Les pluies se répandent sans eau.
Les rivières sont des courants de lumière.
Comment pourrais-je jamais exprimer
Combien je me sens béni
De baigner dans une telle extase
Dans mon propre corps ?
C’est la musique
De la rencontre de l’âme et de l’âme,
De l’oubli de toute peine.
C’est la musique
Qui transcende toute allée et venue.
56
Kabir
♦
LE SOUVENIR VÉRITABLE
Le souvenir véritable est que vous contempliez le souvenir de vous-même par Lui dont on se
souvient en ne cessant jamais de vous souvenir de Lui. Alors votre souvenir de Lui sera
anéanti dans Son souvenir de vous et seul Son souvenir de vous restera et se maintiendra audelà du temps et de l'espace.
Fatimah Barda’iyah
♦
MON DIEU ET MON SEIGNEUR
Les yeux sont au repos, les étoiles se couchent.
Dans leurs nids, les mouvements des oiseaux se font feutrés,
Dans l’océan, les monstres sont muets.
Tu es le Juste qui ne connaît aucun changement,
La Balance qui jamais ne peut faire un écart,
L’Eternel qui ne meurt jamais.
Les portes des rois sont maintenant verrouillées et gardées par des soldats.
Ta porte est ouverte à tous ceux qui T’appellent.
Mon Seigneur,
Chaque amante est maintenant seule avec son bien-aimé,
Et je suis seule avec Toi.
Rabia
♦
JE SUIS LA RELIGION DE l’AMOUR
Mon cœur est devenu capable de prendre toutes les formes :
C’est un pâturage pour les gazelles
Et un monastère pour les moines chrétiens,
Un temple pour les idoles
Et la Ka’ba des pèlerins,
Les tablettes de la Torah
Et le Livre du Coran.
Je suis la religion de l’Amour :
Qu’importe le chemin qu’emprunte le chameau de l’Amour,
C’est ma religion et ma foi.
57
Ibn Arabi
♦
LAISSE-MOI ÊTRE FOU
Ô Incomparable Donneur de vie, détache donc la raison !
Qu’elle vagabonde tristement de vanité en vanité.
Fais éclater mon crâne et verses-y le vin de la folie !
Laisse-moi être fou, comme Toi, fou avec Toi, avec nous.
Au-delà du bon sens des idiots, il y a un désert brûlant
Où ton soleil tourbillonne dans chaque atome :
Bien-Aimé, entraîne-moi là-bas, laisse-moi rôtir dans la Perfection !
Rumi
♦
JE NE SUIS PAS A BLÂMER
Si le ciel résonne de mes cris, je ne suis pas à blâmer,
Ni si le désert scintille de mes larmes…
Tu es mon âme—je Te pourchasse—
Qui pourrait me blâmer pour pourchasser mon âme ?
Rumi
♦
TA FOLIE EST LE DIAMANT
L’univers ne contemple rien d’autre que Ton Visage.
Lorsqu’elles Te voient, les âmes pleurent et arrachent leurs peaux.
Dans les yeux de ceux que la passion a rendus sages,
Ta folie est le diamant, la fontaine du Paradis.
Rumi
♦
PAS DE FIN
Un jour sur une plage, je rencontrai une vieille femme qui me révéla de nombreux mystères
de la Voie. Je lui demandai : ‘’Quelle est la fin de l’amour ?’’
Elle se mit à rire et dit : ‘’Espèce d’idiot ! L’amour n’a pas de fin !’’
Je lui demandai : ‘’Pourquoi ?’’
Et elle répondit : ‘’Parce que le Bien-Aimé n’a pas de fin.’’
58
Dhu al-Nun
59
CHAPITRE 4 : ÉPREUVE ET ANÉANTISSEMENT
Les soufis disent que la quête est composée de deux voyages différents, mais reliés—le
voyage vers Dieu et le voyage en Dieu. Le voyage vers Dieu est celui que l’âme fait
lorsqu’elle laisse le monde et tous les jeux du faux moi derrière elle dans un embrasement
progressif d’amour et de gnose. Ce voyage se termine avec la grâce de Dieu—dans l’union,
dans la possession permanente de l’identité divine consciente. Le second voyage débute avec
l’union et ne finit nulle part, car il est entrepris dans l’amour par l’Amour et l’Amour est
infini. Pour que le voyage vers Dieu devienne le voyage en Dieu et pour que le chercheur
s’établisse de manière permanente dans la Conscience divine, une mort doit se produire—la
mort du faux moi.
Même l’amant mystique le plus passionné du Bien-Aimé est toujours conscient du ‘’moi qui
aime’’ (et qui est aimé). Bien qu’il soit irradié par la passion et les illuminations de la gnose
directe, le ‘’moi’’ du chercheur reste toujours intact. Mais la culmination de l’œuvre
d’Amour, c’est que le chercheur reçoit enfin la force de se laisser complètement détruire par
l’Amour, d’avoir son être gommé et anéanti dans l’Amour pour être recréé en Lui. Cette
‘’mort’’ est connue dans toutes les traditions mystiques sérieuses. Dans la tradition
chrétienne, on l’appelle ‘’la nuit noire de l’âme’’. Tout comme Saint-Jean de la Croix et
Angela de Foligno, les soufis savent que personne ne peut vivre la Vie de la Résurrection sans
être passé par tous les dépouillements, toutes les humiliations et tous les tourments de la
crucifixion.
Le test de la croix de l’anéantissement est l’ultime test de la sincérité du chercheur et seul
quelqu’un qui s’est longuement préparé (et que Dieu a préparé) est à même de le subir. D’une
certaine manière, toute la quête jusqu’à ce stade a été une préparation pour cette grande mort.
Le but secret de tous les dons, de toutes les extases et de toutes les visions de l’Amour est de
procurer au chercheur la force et la confiance insondable nécessaire pour accepter la mort
finale qu’est l’anéantissement. Seul le chercheur qui a ouvert tout son être à la gloire de
l’Amour trouvera en lui-même le fol abandon nécessaire pour mourir dans l’Amour et renaître
en tant que tel.
L’un des plus grands dons offerts par les mystiques soufis est leur sagesse à propos de la
souffrance et de l’épreuve. Ils ne nous enseignent pas seulement la nécessité de l’épreuve
répétée pour la purification radicale de l’être, mais aussi comment subir avec une confiance
accrue et même avec gratitude ces épreuves qui nous sont envoyées par l’Amour pour nous
aider à mourir dans la vie éternelle. Ce qui devient progressivement clair pour le chercheur,
quand il se soumet à l’alchimie de l’amour, c’est que la ‘’mort’’ et la ‘’naissance’’ dans
l’Amour sont les deux moitiés, les deux faces d’un seul processus miraculeux. Apprendre à
‘’mourir’’ au faux moi—souvent dans d’atroces souffrances—c’est simultanément apprendre
comment vivre dans une dimension fraîche et élargie de la Vérité. Il faut qu’une telle
connaissance se pratique dans un millier de terreurs et de pertes mineures avant que l’horreur
et la perte finales de l’anéantissement puissent seulement être approchées, sans parler d’être
endurées.
Précisément à l’heure fixée survient l’épreuve de la croix—taillée à la mesure de la
personnalité de chaque chercheur : la grâce du Bien-Aimé prépare précisément la catastrophe
ou l’ensemble de catastrophes nécessaires pour aider le chercheur à abandonner même le petit
vestige de foi en ses propres pouvoirs et à s’abandonner complètement à la nuit de Dieu.
60
Dans cet abandon à la nuit de Dieu, le faux moi est crucifié et le vrai Soi ‘’renaît’’ pour
toujours pour ne plus jamais mourir dans aucun monde ni aucune dimension.
LA ROSE
La souffrance et la joie ont la même forme dans ce monde :
Vous pouvez appeler la rose un cœur ouvert ou un cœur brisé.
Dard
♦
PAS DE GLOIRE SANS BRAVOURE
Nasrudin s’adressa à une grande foule et cria :
‘’Voulez-vous la connaissance sans épreuves, la vérité sans mensonge, l’accomplissement
sans labeur et le progrès sans sacrifice ?’’
Tout le monde cria : ‘’Oui !’’
‘’Merveilleux !’’, dit Nasrudin. ‘’Moi aussi, et si jamais un jour j’y parviens, je serai heureux
de vous le faire savoir.’’
Nasrudin
♦
QUI PEUT GUERIR MA MALADIE ?
Qui peut guérir ma maladie ? Je suis devenu un exclu. Que sont devenues famille et maison ?
Nul chemin n’y ramène et aucun ne conduit à ma Bien-Aimée. Mon nom et ma réputation
sont anéantis, comme du verre brisé sur les rochers. Le tambour qui autrefois annonçait de
bonnes nouvelles est cassé et à présent, tout ce que mes oreilles entendent, c’est le battement
du tambour cruel de la séparation.
Obéissant, je suis ma Bien-Aimée. C’est elle qui possède mon âme. Si elle m’ordonne d’être
ivre, je le suis. Si elle me dit d’être fou, je le suis.
Majnun dans Leyla et Majnun de Nizami
♦
61
COMMENT POURRAIS-JE NE PAS LE CONNAÎTRE ?
On demanda à un Bédouin : ‘’Connaissez-vous le Seigneur ?’’
Il répondit : ‘’Comment pourrais-je ne pas connaître Celui qui m’a envoyé la faim, qui m’a
dépouillé et appauvri et qui m’a conduit à errer de pays en pays ?’’
A ces mots, il entra en extase.
Abu Said Ibn Abi Khayr
♦
IL SAIT
Il sait tout ce qu’il y a de bon et tout ce qu’il y a de mauvais en nous.
Rien ne Lui est caché et rien ne peut Lui être caché.
Il sait aussi quel est le meilleur remède
Pour guérir notre mal
Et sauver ceux qui sont voués à la destruction.
Soyez humble, car Il exalte les humbles.
Cheik Ansari
♦
Ô MON DIEU ET MON CRÉATEUR
Ô mon Dieu et mon Créateur,
Bien que Tu m’affliges
De tourments de toutes sortes,
Ce n’est rien en comparaison
Que d’être éloigné de Toi !
Et même si Tu me bénis
De toute la richesse du ciel,
Ce sera toujours moins que l’extase
Que Ton amour a répandu dans mon cœur.
Roqiyah
♦
LA GLOIRE VÉRITABLE
Il est glorieux pour une personne de supporter le poids des problèmes que lui impose le BienAimé : en réalité, la mauvaise fortune est la gloire et la prospérité l’humiliation. La gloire est
ce qui vous rend présent à Dieu et l’humiliation ce qui vous éloigne de Lui.
Mahjub
62
♦
DIS À MON CRUEL COMBIEN JE SOUFFRE
Hier, je T’ai envoyé une étoile comme messager.
Je lui ai dit : ‘’Porte mes salutations à ma Lune de Beauté.’’
Je me suis prosterné : ‘’Transmets cette prosternation à mon Soleil,
Lui qui par Son éclat transmute les pierres en or !’’
J’ai ouvert mon cœur, lui ai montré ses blessures
Et je lui ai dit : ‘’Dis à mon cruel combien je souffre !’’
J’ai avancé en titubant jusqu’à ce que mon cœur, cet enfant devienne calme ;
Un enfant s’endort si vous balancez son berceau.
Bien-Aimé, à chaque seconde, Tu guéris mille épaves comme moi !
Depuis le début, le Royaume de l’union avec Toi
A toujours été et sera toujours le vrai refuge de mon être :
Combien de temps exileras-tu mon cœur torturé ?
Rumi
♦
UNE FLAMME NE CESSE DE JAILLIR DE MON CŒUR
Je ne t’ai pas seulement perdu, toi ; je ne me connais plus moi-même. Qui suis-je ? Je tourne
et je tourne autour de moi-même et je me demande : ‘’Quel est ton nom ? Es-tu amoureux ?
De qui ? Es-tu aimé ? Par qui ?’’
Une flamme ne cesse de jaillir de mon cœur, une flamme immense, incommensurable, qui a
consumé tout mon être. Est-ce que je sais encore où je vis ? Puis-je encore savourer ce que je
mange ? Je suis perdu dans mon propre désert…Je suis attiré vers la mort. La mort vit en moi.
Majnun dans Leyla et Majnun de Nizami
♦
NE REPROCHEZ PAS À L’AMOUR
Ne reprochez pas à l’Amour la douleur qu’il apporte.
L’Amour est le roi de toutes les voies,
Et le cœur qui n’est pas ivre de désir
Est déjà mort. C’est un cimetière.
Kabir
♦
63
LA SOUFFRANCE ET LE TRÉSOR INFINI
Nul n’a jamais atteint par la souffrance
Le Trésor Infini de l’Union—
Néanmoins, bizarrement, sans souffrir,
Personne n’a jamais vu ce Trésor.
Abu Said
♦
LA TRANSFORMATION PAR LE FEU
Quand le minerai d’or devient-il de l’or ? Quand il subit une transformation par le feu. De
même l’être humain pendant sa formation devient aussi pur que l’or par la souffrance. C’est
l’élimination du rebut. La souffrance possède une grande qualité rédemptrice. De même
qu’une goutte d’eau qui tombe est immédiatement absorbée par le sable du désert, nous
devons devenir rien du tout, nulle part… et disparaître.
Bhai Sahib
♦
LA ROBE D’HONNEUR
Quel que soit le coup qui vous tombe du ciel,
Attendez pour recevoir par la suite une robe d’honneur :
Il n’est point un Roi qui vous bat
Sans vous donner ensuite une couronne et un trône pour vous reposer.
Le monde vaut moins que l’œil d’un moustique,
Mais pour un simple coup, la récompense est infinie :
Ôtez de votre cou le collier en or du monde,
Recevez sans vous protéger les coups envoyés par Dieu.
Les Prophètes n’ont-ils pas reçu une volée de coups ?
Cette douleur est ce qui les força à garder la tête haute.
N’abandonnez jamais, même un seul instant, votre être le plus intime ;
Que le Bien-Aimé vous trouve toujours à la maison.
Sinon, Il ôtera Sa robe d’honneur et Il dira :
‘’Je suis venu Moi-même le voir et Je n’ai trouvé personne.’’
Rumi
♦
LA VÉRITABLE CONNAISSANCE
J’ai découvert que ceci était la véritable connaissance—
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Ceux qui se bousculent pour monter à bord d’un bateau
Coulent comme une pierre au milieu du courant,
Alors que les sans-abris et les délaissés
Gagnent l’autre rive.
Ceux qui osent prendre
La route difficile, épineuse et sinueuse
Arrivent finalement au but
Et ceux qui flânent sur la route facile
Se font voler ou même tuer,
Peu après leur départ.
Chacun est pris dans la toile de l’illusion—
Le soi-disant ‘’saint’’ autant que le profane,
Et ceux qui courent se réfugier
Sous l’estrade confortable
De la forme, du rituel et du dogme—
Eh bien, l’ouragan de la vie les balaie.
Restez à découvert.
Vous serez au sec et en sécurité.
Ceux qui ne sont jamais déchirés par l’Amour
Vivent dans l’ennui et dans la douleur ;
Ceux que l’Amour dévore comme un cannibale
Vivent dans le bonheur éternel.
Ceux qui perdent leur propre vision
En viennent à voir toute la Création
Brillant dans leur propre Lumière ;
Ceux qui s’attachent à leurs vues
Restent aveugles comme des chauves-souris en plein midi.
Quand je commençai à m’éveiller à la Vérité,
Je vis à quel point le monde est réellement bizarre et fou.
Kabir
♦
LE DERNIER VOILE
Le but final de l’amour est de devenir dépouillé comme le désert. Tant que l’amour en est au
stade initial du voyage, la forme du Bien-Aimé fournit la nourriture intérieure dont l’amant a
besoin. Cependant, une fois que l’amour a atteint son but final, il laisse toute forme loin
derrière lui.
Juste avant d’atteindre cette ultime étape, la forme du Bien-Aimé apparaît dans toute sa
splendeur et se pose en obstacle entre l’amant et l’amour. Tous les efforts possibles doivent
alors être faits pour enlever ce dernier voile.
Ghazali
♦
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HISTOIRE D’UNE GOUTTE DE PLUIE
Une goutte de pluie tomba d’un nuage, aperçut pour la première fois la grandeur de l’océan et
fut stupéfaite et honteuse.
‘’Que suis-je à côté de l’océan ?’’, murmura-t-elle en elle-même. ‘’Comparé à l’océan, je suis
moins que rien. C’est comme si je n’existais pas du tout.’’
Emue par le mépris de la goutte envers elle-même, une huître la prit dans son cœur et le sort
façonna ainsi sa destinée qu’elle devint finalement une perle royale exceptionnelle. Elle fut
élevée, parce qu’elle était humble. Elle frappa à la porte de l’anéantissement et elle devint
enfin vivante.
Sadi
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MOURIR DE S’ABANDONNER
Meurs de t’abandonner, et tu vivras toujours.
Sois mis à mort par l’abandon
Et la mort n’existera plus pour toi.
Tu seras déjà mort.
Poème traditionnel persan
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LES SOUFFRANCES SONT DES AILES
Un homme qui ne connaît pas la souffrance mystique
N’est pas vraiment vivant.
Il est comme de la glace.
La souffrance de l’âme est un signe de vie.
Elle témoigne de la soumission à Dieu.
Le corps vit par l’âme.
L’âme vit par cette sainte souffrance.
Qui en est privé
Ne peut être appelé un être humain.
Une femme enceinte n’accouche jamais sans douleur.
Une armée ne conquiert jamais sans difficulté.
L’union sans souffrance est impossible—
Un cœur froid ne s’en approche jamais.
Les souffrances sont les ailes de l’oiseau de l’âme.
Un oiseau sans ailes ne peut prendre son envol.
Ainsi pleure, gémis, lamente-toi, mon ami,
Afin de pouvoir te libérer de cette prison
66
Et de t’envoler vers ce lieu invisible où tu seras
A jamais libre dans le ciel infini de Dieu.
Sultan Valad
♦
LE SOLEIL DOIT VENIR
Puisque l’Amour a fait de mon cœur un champ de ruines,
Le soleil doit venir les illuminer.
Une telle générosité m’a rempli de honte :
Le Roi a prié pour moi et a exaucé Sa prière.
Pour m’apaiser, combien de fois n’avait-t-il pas montré Son Visage ?
J’ai dit : ‘’J’ai vu Son Visage’’, ce n’était qu’un voile.
Il a calciné un univers en embrasant ce voile.
Comment un tel Roi pourrait-il être sans voile ?
L’Amour m’est apparu et je L’ai suivi.
Il a fait volte-face, m’a saisi comme un aigle
Et quelle bénédiction ce fut d’être sa proie !
Plonger dans un océan d’extase et échapper à toute douleur…
Si l’angoisse n’est pas pour vous un mets délicieux,
C’est parce que vous n’avez jamais goûté cette liqueur.
Les Prophètes acceptent toute angoisse avec confiance
Car l’Eau n’a jamais craint le Feu.
Rumi
♦
HISTOIRE D’UN VAUTOUR ET D’UN CERF-VOLANT
Un vautour dit à un cerf-volant : ‘’Personne ne peut voir aussi loin que moi !’’
‘’C’est peut-être vrai’’, dit le cerf-volant, ‘’mais que vois-tu maintenant, quand tu contemples
le désert ?’’
Le vautour s’écria : ‘’Un grain de blé !’’
Ils se laissèrent choir sur le sol. Le vautour se posa près du grain de blé et fut immédiatement
capturé. Comment aurait-il pu savoir que le Destin avait prévu de le piéger ?
Toutes les huîtres n’abritent pas une perle et tous les archers n’atteignent par leur cible.
Le cerf-volant dit : ‘’A quoi bon avoir vu le grain, alors que tu n’as pas pu distinguer le piège
de ton ennemi ?’’
‘’La circonspection est inutile face au destin’’, répondit le vautour captif.
Au moment où les décrets de l’Eternité entrent en action, les yeux les plus perçants sont
comme aveuglés par le sort.
Au large, il n’y a pas de côte et le nageur s’épuise en vain.
Sadi
♦
67
MÊME SI VOUS PERDEZ TOUT CE QUE VOUS AVEZ
Apprenez le sens de ce secret
Que Dieu a révélé dans le Coran :
Qu’Il vous rende heureux ou malheureux,
Qu’Il vous rende triste ou qu’Il vous donne espoir,
Même si vous perdez tout ce que vous avez
Ou si vous souffrez extrêmement dans votre esprit,
Soyez patient car cent grâces divines
Arrivent vers vous de Sa main.
Celui qui endure patiemment la douleur
Qui est envoyée par Dieu
Obtiendra, c’est certain,
La force et la vérité de la foi.
De merveilleuses nouvelles sont envoyées aux patients,
Ils obtiendront une grande joie.
Vous devez pouvoir percevoir la grâce,
Même quand Sa colère divine vous fouette
Et penser toujours à Lui avec sérénité,
Et toujours, quoi qu’il arrive, vous accrocher à Lui
De tout votre cœur et de toute votre âme.
Sultan Valad
♦
DE LA CIRE, UNE AIGUILLE ET UN CHEVEU
Une fois, Rabia envoya trois objets à Hasan : de la cire, une aiguille et un cheveu.
‘’Eclaire le monde’’, lui dit-elle, ‘’bien que comme la cire, tu brûles toi-même. Et comme une
aiguille, sois toujours occupé à du travail spirituel, bien qu’extérieurement aride. Quand tu
auras acquis ces vertus, rends ton ego aussi fin qu’un cheveu pour que tous tes efforts ne
soient pas vains.’’
Rabia
♦
UN SEUL AMOUR
Un jour Rayhanah rendit visite à Hayyunah. Cette nuit-là, il y eut un violent orage et
Rayhanah était terrifiée. Hayyunah cependant riait. Elle la gronda et dit : ‘’Tu trembles ! Si
jamais je sentais que mon cœur nourrissait un amour autre que le Sien ou une peur de quoi
que ce soit en dehors de Lui, je le frapperais avec un couteau ! ‘’
Attar
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LA STATION DE LA MER
Il m’arrêta dans la mer.
Je vis des bateaux sombrer et des planches flotter.
Je vis des planches couler.
Il me dit : ‘’Personne à bord ne sera sauvé.’’
Danger pour celui qui s’y jette et ne monte pas à bord.
Destruction pour ceux qui montent à bord et qui n’acceptent pas le danger.
Il me dit : ‘’Dans le danger, il y a une part de salut.’’
Puis survint la vague
Qui emporta tout ce qu’il y avait en dessous
Et qui courut le long du rivage.
La surface de la mer est une luminosité inaccessible
Et les profondeurs de la mer sont des ténèbres insondables
Et qu’y a-t-il entre les deux ? Des monstres marins qui ne permettent aucun refuge…
Ne prends pas le bateau ou le bateau fera écran
Ne te jette pas dans la mer où la mer elle-même fera écran.
Il y a des gouffres dans la mer : lequel te soutiendra ?
Si tu te donnes à la mer et si tu te noies,
Tu deviens comme l’une de ses créatures.
Je te tromperais, si je te guidais vers un autre que Moi.
Si tu meurs ailleurs qu’en Moi,
Tu appartiens à ce en quoi tu meures.
Ce monde appartient à celui duquel je l’ai détourné
Et duquel j’ai détourné le monde
Et le monde à venir appartient à celui vers qui je le tourne –
A quiconque se tourne vers Moi.
Niffari
♦
NE PAS S’OPPOSER À LA VOLONTÉ DE DIEU
Je rendis visite à Rabia, alors qu’elle était malade, avec Sofyan Thawri, et sa présence nous
impressionna tellement qu’aucun de nous deux ne pouvait prononcer un mot.
‘’Dis quelque chose, dis-je finalement à Sofyan.
‘’Pourquoi ne demandes-tu pas à Dieu d’atténuer ta douleur ?’’, demanda-t-il à Rabia.
‘’C’est Lui qui veut que je souffre, n’est-ce pas évident pour vous ?’’, répondit-elle.
‘’Oui’’, dis-je.
‘’Vous dites oui, mais vous me pressez encore de poursuivre mon propre désir contre le Sien,
alors qu’il est mal de s’opposer à la Volonté du Bien-Aimé.’’
Abdul Wahed Ebn Aer
♦
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POURQUOI ES-TU SI AGITÉ ET SI IMPATIENT, MON CHER ?
Pourquoi es-tu si agité et si impatient, mon cher ? Il veille sur les oiseaux, les animaux, le plus
minuscule insecte—
Il t’aimait, alors que tu étais encore dans le ventre de ta mère.
Imagines-tu sérieusement
Qu’Il ne s’occupera pas de toi
Maintenant que tu es ici ?
Ô mon cher, comment as-tu pu supporter
De te détourner de Son sourire
Et de t’éloigner si loin de Lui ?
Tu as abandonné ton véritable Bien-Aimé
Et tu en désires d’autres—
C’est pourquoi toutes tes œuvres sont inutiles.
Kabir
♦
LE TRAVAIL VÉRITABLE
Hasan de Basra s’adonnait à des pratiques ascétiques extrêmes par lesquelles il obtint certains
pouvoirs occultes qu’il était très fier d’exhiber.
Un jour, il aperçut Rabia au bord de la rivière. Il lança sur l’eau son tapis de prière et lui cria :
‘’Rabia, viens ! Prions ensemble !’’
Rabia répondit : ‘’Est-il vraiment nécessaire que tu te vendes ainsi ? Si c’est le cas, c’est parce
que tu es faible.’’
Alors, Rabia s’éleva dans les airs sur son tapis de prière et cria : ‘’Hasan, viens me rejoindre.
Tout le monde nous verra !’’ Hasan qui n’était pas aussi avancé qu’elle resta silencieux.
Rabia lui dit : ‘’Ce que tu as fait, un poisson peut le faire. Ce que j’ai fait, une mouche peut le
faire. Le travail véritable se situe au-delà de nos tours. La seule chose nécessaire est
d’accomplir le travail véritable.’’
Rabia
♦
PEAU NEUVE
On a dit : ‘’L’instant est une épée’’. Tout comme une épée coupe, de même l’instant prévaut
dans ce que le Réel fait apparaître et accomplit. Il est dit : ‘’L’épée est douce au toucher, et
qui la manie avec douceur n’est pas blessé par elle. Qui la manipule brutalement se coupe.’’ Il
en va de même avec l’instant : celui qui se soumet à son exigence est sauvé, mais celui qui va
à l’encontre est renversé et détruit.
70
Mon maître Abu Ali al-Daqqaq disait :
‘’L’instant est une lime. Il vous use sans vous effacer. S’il devait vous effacer, vous seriez
libéré. Toutefois, l’instant vous vole sans vous anéantir tout à fait.’’ Il avait l’habitude de
réciter ceci :
‘’Chaque jour qui passe
Vole une partie de moi,
Laisse à mon cœur une perte fraîche
Et meurt.’’
Et aussi :
‘’Je suis comme ceux qui rôtissent dans le feu de l’enfer :
Leur peau est calcinée,
Mais ils continuent de faire peau neuve
Pour souffrir.’’
Qushayri
♦
SUR LA SINCÉRITÉ
Hasan Basri, Malik Dinar et Shaqiq Balkhi rendirent visite à Rabia. Ils parlèrent de la
sincérité.
Hasan dit : ‘’La personne sincère est patiente sous les coups de Son Seigneur.’’
Rabia dit : ‘’Cela empeste l’égoïsme.’’
Shaqiq dit : ‘’La personne sincère est celle qui se réjouit sous les coups de son Seigneur.’’
Rabia rit : ‘’Vous pouvez sûrement trouver mieux que cela !’’
Tous les trois dirent : ‘’Eh bien Rabia, à ton tour, maintenant.’’
Rabia dit : ‘’La personne sincère oublie toute blessure dans la vision de son Seigneur.
Pourquoi ceci serait-il absurde ? Les Egyptiennes n’oublièrent-elles pas qu’elles se coupaient
les mains quand elles contemplèrent stupéfaites la beauté de Joseph ?’’
Rabia
♦
L’ACTE DE PATIENCE LE PLUS DIFFICILE
Un homme vint trouver Shebli et lui dit : ‘’Quel est l’acte de patience le plus difficile pour
quelqu’un qui est patient ?’’
Shebli dit : ‘’La patience en Dieu.’’
‘’Non’’, dit l’homme.
‘’La patience pour Dieu.’’
‘’Non.’’
‘’La patience avec Dieu.’’
‘’Non.’’
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Shebli s’emporta et dit : ‘’Eh bien, va au diable ! Qu’est-ce que c’est ?’’
La patience sans Dieu.’’
Shebli poussa alors un cri qui faillit déchirer son âme.
Sarraj
♦
LA VOIE DES SAINTS
Ne parlez pas de votre souffrance—Il parle.
Ne Le recherchez pas partout—Il vous cherche.
La patte d’une fourmi touche une feuille. Il la sent.
Un galet bouge dans le lit du ruisseau. Il le sait.
S’il y a un ver profondément enfoui sous une pierre,
Il connaîtra son corps, plus petit qu’un atome,
Le son de sa louange, sa secrète extase—
Tout cela Il le connaît par la connaissance divine.
Il a donné au plus petit ver sa nourriture.
Il vous a ouvert la Voie des Saints.
Sanai
♦
RABIA ET L’ÂNE
Rabia décida d’entreprendre le pèlerinage à La Mecque et partit dans le désert. Elle prit avec
elle un âne qu’elle chargea avec ses rares possessions. Cependant, au beau milieu du désert,
l’âne mourut. Les autres membres de la caravane dirent : ‘’Nous transporterons tes affaires
pour toi.’’
Rabia répondit : ‘’Je ne suis pas arrivée jusqu’ici en plaçant ma foi et ma confiance en vous.
Continuez.’’
C’est ainsi que la caravane continua sans elle. Rabia s’écria : ‘’Ô mon Seigneur, les vrais rois
traitent-ils une femme sans défense de cette façon ? Tu m’as invitée dans Ta demeure et
maintenant, Tu tues mon âne en plein milieu du voyage et Tu m’abandonnes toute seule dans
le désert.’’
L’âne se releva immédiatement. Rabia le chargea à nouveau et poursuivit son pèlerinage. La
personne qui raconta cette histoire a dit que peu de temps après, elle vit que l’on vendait ce
petit âne.
72
Rabia
♦
DANS LE DÉSERT, IMPUISSANTE
Sur la route de son pèlerinage à La Mecque, Rabia fut abandonnée dans le désert. Elle
s’écria : ‘’Ô mon Seigneur, je suis au supplice. Où vais-je aller maintenant ? Je ne suis qu’une
motte de terre et la Maison où je me rends est une pierre. Je dois Te posséder.’’
Alors le Réel Ultime lui parla dans son cœur, sans aucun voile : ‘’Ô Rabia, tu baignes dans le
sang de dix-huit mille mondes ! Ne comprends-tu pas que lorsque Moïse (la Paix soit toujours
avec lui !) eut l’ardent désir d’une vision, nous jetâmes quelques atomes de la manifestation
du Soi sur le Sinaï et qu’il éclata en quarante morceaux ?’’
Rabia
♦
BÉNÉDICTION DÉGUISÉE
Un jour, Nasrudin buvait du thé avec un groupe de chercheurs. L’un d’eux (qui croyait tout
savoir) se leva et dit : ‘’Mon maître m’a appris que l’humanité ne pourra jamais évoluer
comme elle se doit, tant que la personne qui n’a pas été injustement traitée ne s’indigne pas
autant à propos d’une injustice que celle qui l’a été.’’
Le groupe béa d’admiration devant la profondeur supposée d’une telle déclaration. Puis
Nasrudin dit : ‘’Mon maître m’a appris que nul ne devrait se mettre en colère à propos de quoi
que ce soit avant d’être certain que ce qu’il croit être une injustice en soit réellement une—et
non une bénédiction déguisée.’’
Nasrudin
♦
CELUI QUE TU TUES
Celui que Tu tues,
Seigneur,
Ne sent pas le sang,
Et celui que Tu brûles,
Ne sent pas la fumée.
Celui que Tu brûles rit en se consumant
Et celui que Tu tues
Pousse un cri d’extase,
Quand Tu le tues.
73
Cheik Ansari
♦
LA CORDE
Lorsqu’al-Hallaj fut mis en prison
Pour avoir dit qu’il était un avec Dieu,
Shebli, son ami, lui demanda :
‘’Quel est l’amour dont tu parles ?’’
‘’Viens demain et je te le dirai’’,
Répondit al-Hallaj.
Demain arriva et Shebli le trouva
Devant la potence.
Al-Hallaj le regarda et dit :
‘’Maintenant tu peux voir la réponse :
L’amour commence par séduire le ‘’je’’
Et se termine ainsi :
‘’Son nœud coulant se resserre de plus en plus
Pour extraire le moi,
Puis vient le test de la Croix.
Reste si tu comprends ; sinon, pars tout de suite.’’
Cheik Ansari
♦
ÉCHEC
Le Roi de l’Amour vous a mis en échec.
Ne soyez pas fâché. Ne cherchez pas à vous venger.
Entrez dans le jardin de l’anéantissement et contemplez
Le paradis qui vit dans votre âme éternelle.
Lorsque vous vous serez détaché de vous-même,
Votre regard pénétrera au-delà des cieux.
Quand arrivera l’Empereur des sens cachés,
Ne lui demandez pas miracles et merveilles,
Car les miracles et les merveilles ne sont que des signes.
La plage de l’océan est visible pendant un instant,
Mais quand elle est inondée, que reste-t-il alors ?
Shams de Tabriz, ta splendeur nous a conquis.
Nous sommes tes esclaves. Accepte nos pleurs ébahis.
Rumi
74
♦
FANA : L’ANÉANTISSEMENT
Quand Dieu, le Seul, l’Unique, le pleinement victorieux se révèle à l’un de Ses serviteurs en
Sa qualité de destructeur, alors ce serviteur voit tout anéanti. Alors, ‘’tout est anéanti sauf Son
Visage.’’ Comme le dit le Coran : ‘’Tout sur terre sera anéanti et il ne restera plus que le
Visage de Votre Seigneur qui est à la fois terrible de majesté et généreux.’’
Il est indispensable de mourir avant la mort pour connaître cet état. Cette mort doit se dérouler
selon un choix voulu et résolu et cette personne en qui cet état de mort apparaît verra le total
anéantissement de tout sauf de Dieu et n’existera plus elle-même. Cette non-existence est la
non-existence totale. Cet état est connu comme l’ ‘’anéantissement en Dieu’’ : rien ne reste,
sauf la splendeur divine.
Qui parvient à connaître cet état est détruit et anéanti. Pourtant, Dieu lui accorde aussi une
existence au cœur de Sa propre existence et le pare d’éclat divin. Toutes ses qualités
intérieures et extérieures sont transformées. Ce jour-là, la terre devient une toute autre terre et
le ciel, un tout autre ciel.
Puis, Dieu Lui-même donne à la personne qui connaît cet état une vision, une ouïe et une
langue divines. Son serviteur passe de la non-existence à l’existence de Dieu Lui-même.
Sa compréhension et sa connaissance réelles commencent après ceci.
Ibn Arabi
♦
TOTALEMENT BRÛLÉ
Quand votre cœur est consumé par le désir et réduit en cendres, la brise de l’Amour se lève,
balaye les cendres, et remplit le ciel et la terre du totalement brûlé.
Kharaqani
♦
LES DEUX CONFUSIONS
On demanda une fois à Dhu al-Nun : ‘’Quelle est la première étape que le gnostique doit
franchir ?’’
Il répondit : ‘’La confusion, puis le besoin, puis l’union, et puis de nouveau la confusion.’’
La première confusion est la confusion vis à vis des actes et des dons de Dieu à son égard, car
il voit que sa gratitude ne pourra jamais égaler les dons de Dieu, et il sait qu’il doit être
75
reconnaissant pour eux. Il sait aussi que, même s’il est reconnaissant, cette gratitude ellemême est un don de Dieu pour lequel il devrait être reconnaissant.
La deuxième confusion se situe dans le désert sans piste de l’unification où la compréhension
du gnostique se perd complètement et où son intellect se ratatine devant la grandeur du
pouvoir de Dieu, Sa capacité à inspirer la crainte mêlée d’admiration et Sa majesté. Cette
deuxième confusion enlève tout orgueil, car elle lui enseigne qu’il ne peut jamais rien savoir.
Il parcourt désert après désert, gloire après gloire.
Kalabadhi
♦
LES PILIERS DE TAVERNE
Etre un pilier de taverne signifie
Que vous êtes libéré de vous-même.
La taverne est l’endroit où les amoureux se donnent des rendez-vous galants,
Où l’oiseau de l’âme vient se reposer
Dans un sanctuaire au-delà de l’espace et du temps.
Le pilier de taverne erre seul dans un désert
Et voit le monde entier comme un mirage.
Ce désert est sans limite et sans fin—
Nul n’a jamais vu son commencement ni sa fin,
Et si vous deviez errer dedans pendant cent ans,
Vous ne vous trouveriez pas vous-même ni personne d’autre.
Ceux qui y vivent n’ont ni pieds ni tête,
Ne sont ni ‘’croyants’’ ni ‘’incroyants’’.
Ivres du vin du désintéressement,
Ils ont renoncé au bien comme au mal,
Ivres, sans lèvres ni bouche, de Vérité,
Ils ont rejeté toute pensée de nom et de renom,
Toute parole de merveilles, visions, états spirituels,
Rêves, chambres secrètes, lumières et miracles.
L’arôme du Vin Divin
Les a fait renoncer à tout.
La saveur de l’anéantissement
Les a fait s’étaler comme des ivrognes.
Pour une gorgée du vin de l’extase,
Ils ont jeté bâton de pèlerin, cruche d’eau et rosaire.
Ils tombent puis se relèvent,
Parfois joyeux dans l’union,
Parfois perdus dans la douleur de la séparation ;
Tantôt versant des larmes de sang,
Tantôt élevés dans un monde de félicité,
Tendant le cou comme des chevaux de course,
Tantôt le visage noirci contemplant un mur,
76
Ou enflammés par l’Unité, enchaînés à une potence ;
Tantôt tournoyant dans une danse mystique,
Perdus dans les bras du Bien-Aimé,
Perdant la tête et les pieds comme les cieux tournants.
Chaque air que leur chante le Chanteur
Transmet le ravissement du monde invisible,
Car le chant mystique n’est pas que des mots et des sons.
Chaque note révèle un mystère inestimable.
Ils ont rejeté leurs sens
Et fui toute couleur et tout parfum.
Ils ont lavé dans le vin purifié
Toutes les différentes teintures : noir, vert ou bleu.
Pour eux, dévotion et piété ne sont qu’hypocrisie.
Ils sont las d’être maîtres ou disciples.
Ils ont balayé la poussière de leur âme
Sans même dire une petite part de ce qu’ils voient
Et tenté de saisir dans la félicité les robes tourbillonnantes des ivrognes.
Ils ont bu une coupe de vin pur
Et sont devenus—enfin—de vrais soufis.
Shabistari
♦
SEULEMENT DIEU
Sur la place du marché, au monastère, je vis seulement Dieu.
Dans la vallée, sur le sommet de la montagne, je vis seulement Dieu.
Dans les ténèbres de l’épreuve, je Le vis, lumineux, à côté de moi.
Dans le bonheur ou la tragédie, je vis seulement Dieu.
Dans la prière, dans le jeûne, la célébration, la contemplation,
Dans toute la gloire de la religion du Prophète, je vis seulement Dieu.
Je ne vis ni âme, ni corps, ni accident, ni substance,
Ni attributs, ni causes, je vis seulement Dieu.
J’ouvris tous grands les yeux et dans l’éclat de Son Visage,
Dans tout ce que le regard découvrit, je vis seulement Dieu.
Dans le feu de Son extase, je fondis comme une chandelle,
Ses flammes m’entourant de toutes parts, et je vis seulement Dieu.
Avec mes propres yeux, je ne voyais que moi-même ;
Avec les yeux de Dieu, je vis seulement Dieu.
Je fus anéanti par l’Amour et disparus dans le Néant—
77
Soudain, je fus l’Un qui est toute vie et je vis seulement Dieu.
Baba Kuhi de Shiraz
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CHAPITRE 5 : LA VIE DE L’UNION
Bayazid, un maître soufi du neuvième siècle, a dit : ‘’Je me suis débarrassé de mon moi
comme un serpent se débarrasse de sa peau, j’ai regardé en moi-même et j’ai vu que je suis
Lui.’’
Dans la ‘’Vie de l’Union’’—ce que les soufis appellent Baqa ou ‘’subsistance dans l’Etre
Eternel’’—cette ‘’vision que je suis Lui’’ est continue et normale.
La perfection ultime du soufisme—comme de toutes les traditions mystiques les plus
sérieuses—n’est pas celle d’une transe perpétuelle ou d’une vision extatique continue. Ces
ferveurs et révélations merveilleuses appartiennent à l’avant-dernière étape de la voie.
L’union elle-même se caractérise par l’aisance naturelle, la joie, la paix et une sobriété d’être
allègre et imperturbable. Dans la vie de l’union, l’amant et le Bien-Aimé sont consciemment
et normalement Un. Ce stade ultime n’est généralement pas un stade d’extases ou de
révélations extrêmes. Le Soi vit à présent une vie humaine divine, conscient à chaque instant
de son origine divine et de sa conscience immortelle.
Comme dans toutes les traditions mystiques adultes, l’objectif de la quête du soufi n’est pas
de vivre dans une transe de félicité divine, mais de vivre comme une part de Dieu sur la terre
et dans le temps en aimant et en servant tous les êtres avec un peu du pouvoir de l’humilité
désintéressée de Dieu.
Beaucoup des plus grands maîtres soufis n’ont été ni des reclus ni des ermites, mais des
tailleurs ou des potiers ou des commerçants locaux, des hommes et des femmes qui vivent
réalistement et humblement leur réalisation suprême au centre de la vie ordinaire. Comme
l’écrivit Abu Sa’id au huitième siècle : ‘’Le mystique parfait n’est pas un dévot extatique
perdu dans la contemplation de l’Unité ni un saint reclus évitant tout commerce avec
l’humanité. Le saint véritable circule parmi le peuple, mange et dort avec lui, achète et vend
sur le marché, prend part aux échanges sociaux et n’oublie jamais Dieu un seul instant.’’
De tels ‘’saints véritables’’ deviennent pour l’Amour ce qu’une main est à une personne : ils
deviennent dans la réalité les instruments efficaces de la Volonté de Dieu, les serviteurs de
Dieu et les serviteurs de tous les êtres en Dieu et pour Dieu. Où qu’ils se trouvent, une
lumière de Dieu est allumée ; quoi qu’ils fassent, Dieu le fait par eux. Leurs paroles inspirent
l’amour divin et de leurs actions émanent la clarté de la justice divine et la générosité de la
clémence divine. Ce qui est remarquable à propos de ceux qui atteignent cette gloire est qu’ils
sont toujours humbles et intégrés. Comme le dit Junayd à propos du soufi réalisé : ‘’Il est
celui dont le cœur suit le pied. Il est pleinement présent : son âme est là où est son corps et
son corps est là où est son âme et son âme là où est son pied.’’
Ceux qui vivent la Vie de l’Union récitent avec chacun de leurs souffles la prière de Cheik
Ansari :
Donne-moi la vie,
Que je puisse la dépenser
Au salut du monde.
79
FANA ET BAQA
Fana (la perte de soi en Dieu) et Baqa (rester en communion avec Dieu au milieu de l’activité
matérielle) sont deux termes s’appliquant au serviteur qui reconnaît que Dieu est Un. Le
premier niveau de sens de Fana et Baqa est la disparition de l’ignorance dans l’état stable de
la connaissance, la disparition de la révolte dans un état stable d’obéissance, la disparition de
la froideur dans l’état d’adoration continue et la disparition de l’examination des actions du
serviteur qui sont temporaires dans la vision directe de la Grâce Divine qui est éternelle.
Sarraj
♦
DANS LE DÉSERT DU SANS-ATTRIBUT
Les parfaits ont réalisé tous les rangs et tous les états et les ont dépassés jusqu’au rang audessus de la majesté et de la beauté. Ils n’ont pas d’attributs et sont indescriptibles.
Quelqu’un demanda à Bayazid : ‘’Comment allez-vous ce matin ?’’
Il répondit : ‘’Je n’ai ni matin ni soir. Matin et soir appartiennent à quelqu’un que des attributs
limitent, et je n’ai pas d’attributs.’’
Ibn Arabi
♦
L’AMOUR OCCUPE ET ORNE MA DEMEURE
Qui penses-tu que je suis ? Un ivrogne ? Un idiot abruti par l’amour, un esclave de ses sens
rendu fou par le désir ? Comprends—Je plane loin au-dessus de tout cela, je suis le Roi de
l’Amour dans toute sa splendeur. Mon âme est purifiée de la nuit de la luxure, mon désir est
purifié de toutes les faims obscures, mon esprit est libre de toute honte. J’ai démoli le bazar
fourmillant des sens dans mon corps.
L’Amour est l’essence de mon être. L’Amour est le feu et je suis le bois carbonisé par la
flamme. L’Amour occupe et orne ma demeure. Mon moi a fait son baluchon et a disparu. Tu
imagines que tu me vois, mais je n’existe plus. Ce qui reste est le Bien-Aimé.
Majnun dans Leyla et Majnun de Nizami
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SOIS LIBRE COMME LE CYPRÈS
On demanda à un philosophe : ‘’Quel secret y a-t-il ici, à savoir qu’alors que Dieu le Très
Haut a créé tant d’arbres merveilleux et porteurs de fruits, les gens ne les considèrent pas
comme ‘’libres’’, excepté le cyprès ?’’
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Il répondit : ‘’Les autres arbres donnent des fruits à un moment donné : à une époque, pendant
la bonne saison, ils sont frais et verts ; à une autre époque, ils sont flétris. Mais le cyprès est
toujours resplendissant et neuf, et tel est l’état de celui qui est libre.’’
Sadi
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L’ÉPIPHANIE DE L’ESSENCE
La persistance en Dieu qui advient aux êtres parfaits signifie que le chercheur de Vérité arrive
après son anéantissement à l’épiphanie de l’Essence qui le conduit à l’état de supra-existence :
il se voit alors dans l’Absolu sans plus d’individualité matérielle, corporelle ou spirituelle. Il
établit que sa conscience inclut tout ce que l’univers entier contient, tous les attributs divins et
qu’il ne voit qu’une seule Réalité. C’est la véritable Unité Divine. Ainsi que l’écrivit
Shabistari :
Bayazid qui s’écria ‘’Gloire à Moi ! ’’, à ce moment même
Entra dans le Royaume de ces sublimes vérités.
C’est pour cette raison même que cet Océan de Pureté dit :
‘’Il n’y a rien sous ma robe à part Dieu.’’
Al Hallaj qui déclara ‘’Je suis la Suprême Réalité’’
Comprit aussi la même vérité finale.
Hélas, cela fut pris pour de la prétention blasphématoire.
Mahomet qui proclama : ‘’Il n’y a rien d’autre que Dieu dans les deux mondes’’,
Avait également raison et parlait du niveau de la connaissance totale.
Si aucune trace d’individualité ne demeure en vous,
Vous comprendrez ce que je viens juste d’exprimer.
Lahiji
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LA CLARTÉ DE LA SOBRIÉTÉ
Totalement présent en Dieu, il est totalement perdu au moi. Ainsi, il est présent devant Dieu et
absent en lui-même—absent et présent en même temps. Il est là où il n’est pas et il n’est pas
là où il est. N’étant plus, il est où il est avant que ne débute la Création. Il est lui-même après
ne plus avoir été vraiment lui-même. Il existe en lui-même et en Dieu après avoir existé en
Dieu et plus en lui-même. Ceci parce qu’il a dépassé l’ivresse de la submersion en Dieu et
qu’il est arrivé à la clarté de la sobriété où la contemplation lui est à nouveau rendue. A sa
lumière, il peut replacer toutes les choses à leur vraie place et estimer correctement les choses.
Junayd
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QUI S’APPROCHE
Qui aime Dieu gagnera son amitié.
Qui se réjouit développera l’aspiration.
Qui est plein d’aspiration deviendra déboussolé.
Qui devient déboussolé deviendra brave.
Qui devient brave parviendra à Lui.
Qui parvient à Lui entrera dans l’Union.
Qui entre dans l’Union deviendra sage.
Qui devient sage se rapprochera.
Et qui se rapproche ne chutera plus jamais dans le sommeil
Et les rayons d’un sublime cœur brisé le dévoreront.
Hayunnah
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L’OURAGAN DE L’AMOUR
L’ouragan de l’Amour est venu !
Le tourbillon de la Connaissance est arrivé !
Le toit de chaume de l’Illusion
A été projeté dans les quatre directions !
Ma hutte de l’illusion
Si soigneusement conçue
S’est couchée par terre !
Les deux mâts de la dualité
Se sont écroulés !
Les chevrons du désir
Ont été fendus par l’éclair !
La foudre a frappé
L’avant-toit de l’avidité !
La grande jarre de pierre des mauvaises habitudes
S’est brisée en mille morceaux !
Par la contemplation et la pure dévotion,
Les saints ont reconstruit mon toit.
Il est solide et fixe à présent
Et jamais ne fuit ni ne goutte.
Quand les mensonges et toute tromperie
Fuirent la maison de mon corps,
Je réalisai le Seigneur
Dans toute Sa splendeur.
La pluie tomba à seaux.
Après la tempête,
Des torrents d’amour divin
Me trempèrent corps et âme.
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Puis le soleil perça, Ô Kabir,
Le Soleil de la Gloire, le Soleil de la Réalisation
Et les ténèbres disparurent à jamais.
Kabir
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QUAND J’AIME UN SERVITEUR
Le vrai soufi devient plus humble d’heure en heure, car chaque heure le rapproche de Dieu.
Les vrais soufis voient sans savoir, sans vision, sans recevoir d’information, sans observation,
sans description, sans déguisement, sans voile. Ils ne sont plus eux-mêmes. Si l’on peut dire
qu’ils existent bel et bien, ils existent en Dieu. Chacun de leurs mouvements est provoqué par
Dieu ; leurs paroles sont les paroles de Dieu prononcées avec leurs langues, leur vision est
celle de Dieu qui est entré dans leurs yeux. Dieu, le Glorieux a dit : ‘’Quand J’aime un
serviteur, Moi, le Seigneur, Je suis son oreille et il entend par Moi, Je suis son oeil et il voit
par Moi, Je suis sa langue et il parle par Moi, Je suis sa main et il saisit par Moi.’’
Dhu al-Nun
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AUCUNE TRACE OU AUCUN SIGNE
Bayazid dit : ‘’La première fois que j’entrai dans la Sainte Maison, je vis la Sainte Maison. La
deuxième fois, je vis le Seigneur de la Maison. La troisième, je ne vis ni la Maison ni son
Seigneur.’’
Bayazid voulait dire par là : ‘’Je me perdis en Dieu et je ne sus plus rien. Si j’avais vu quoi
que ce soit, j’aurais été Dieu.’’ Une anecdote appuie cette interprétation : Un homme se
présenta à la porte de Bayazid et appela.
‘’Qui cherches-tu ?’’, demanda Bayazid.
‘’Bayazid’’, répondit l’homme.
‘’Pauvre idiot !’’, dit Bayazid. Je cherche Bayazid depuis trente ans et je ne peux trouver
aucune trace ou aucun signe de lui.’’
Bayazid Bistami
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L’HISTOIRE DE L’AMOUR
L’histoire de l’Amour ne peut jamais être racontée.
C’est le sorbet de l’homme muet
Qui le mange et qui sourit silencieusement.
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Sans aucune terre et sans aucune graine,
L’arbre de l’Amour Divin pousse et pousse,
Chargé d’un million de fruits éclatants
Que mon Amant choisit pour que je goûte.
L’histoire de l’Amour ne peut jamais être racontée.
Lorsque je calmai mon esprit
Et entrai dans mon cœur,
L’Amour du Seigneur
Bondit comme une flamme à l’intérieur de moi.
Toutes mes vieilles idées et vieilles croyances
S’envolèrent comme de la balle au vent.
Ce n’était pas en raison de ce que je suis,
Ce n’était pas en raison de ce que je fis,
Mais seulement à cause de Lui et de Sa grâce miraculeuse et folle
Qu’enfin j’appris la leçon de l’Amour.
C’en est fini de mes allées et venues :
Mon esprit s’est fondu dans l’Esprit.
Ne me demandez plus de parler—
L’histoire de l’Amour ne peut jamais être racontée.
Kabir
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WADATJA !
Bistami dit : ‘’Le renoncement n’a pas de situation.’’
Je demandai : ‘’Pour quelle raison ?’’
Il dit : ‘’Parce que j’ai passé trois jours dans le renoncement. Lorsque le quatrième jour arriva,
je le laissai derrière moi. Le premier jour, je renonçai à ce monde et à tout ce qu’il contient.
Le deuxième jour, je renonçai au prochain monde et à tout ce qu’il contient. Le troisième jour,
je renonçai à toute chose en dehors de Dieu. Quand le quatrième jour arriva, il ne me restait
plus que Dieu. Je compris.
‘’J’entendis une voix dire : ‘’Abu Yazid, tu ne pourras pas supporter d’être avec Nous.’’
‘’Je dis : ‘’Mais c’est ce que je veux !’’
‘’Alors, j’entendis la voix dire : ‘’Wadatja ! Tu as trouvé ce que tu cherchais !’’
Sulami
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TAWAKKUL (CONFIANCE EN DIEU)
Lorsque le chercheur comprend que tout est en Dieu et qu’il n’y a pas d’autre force que la
Sienne, il acquiert la stabilité. Il se rend compte que les pouvoirs qu’il pensait être les siens
appartiennent en réalité à Dieu, qu’il n’est qu’un lieu de la manifestation divine et un
réceptacle. Comme le prophète Abraham, il atteint l’état de tawakkul (la confiance en Dieu) et
comprend que tout ce qui arrive émane de Dieu.
Comme le dit Abraham dans le Coran : ‘’C’est Lui qui me dirige, Lui qui me nourrit et qui me
donne à boire ; c’est Lui qui me guérit quand je suis malade. Il me fera mourir et me rendra à
nouveau la vie. C’est Lui qui, ainsi que je le désire ardemment, pardonnera mes fautes le Jour
du Jugement Dernier’’ (XXVI 78 : 82).
A l’instant où Nimrod voulut jeter Abraham dans le feu, l’Ange Gabriel lui demanda :
‘’Veux-tu quelque chose ?’’
Abraham, confiant en Dieu, répondit : ‘’Rien qui ne vienne de toi.’’
Lahiji
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UNIR LES DEUX
Celui qui possède la loi extérieure sans la réalité intérieure
A abandonné la vraie voie.
Celui qui possède la réalité intérieure sans la loi extérieure
N’est qu’un hérétique.
Unis les deux et tu seras réalisé.
Adage soufi traditionnel
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LE DEGRÉ AU-DELÀ DUQUEL IL N’EXISTE PLUS D’AUTRE ÉTAT
Obaydah n’importuna jamais son guide, Malek Dinar avec aucune question, excepté une fois
où elle demanda : ‘’Quand le dévot atteint-il un degré au-dessus de tous les autres états ? ‘’
Malek répondit : ‘’Quand le dévot parvient à un degré au-delà duquel il n’existe plus d’autre
état, il n’aimera rien sans arriver à Dieu d’autant plus vite !’’
Obaydah pleura tellement en entendant ceci qu’elle s’évanouit.
Attar
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OBSERVEZ ET VOYEZ
Si vous voyez quelqu’un qui a été béni d’une telle faveur divine qu’il peut s’envoler dans les
airs, ne soyez pas trompé. Observez et voyez comment il respecte l’ordre et l’interdiction, la
préservation des limites et l’exécution de la Loi.
Bayazid Bistami
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L’HOMME PARFAIT
L’homme parfait est celui qui, en toute perfection,
Agit comme un esclave malgré sa souveraineté.
Lorsqu’il est parvenu au terme de son voyage,
La Réalité pose sur sa tête la couronne du régnant.
Il découvre la vie éternelle après être mort à lui-même,
Et entame un nouveau chemin de sa fin à son origine.
Se revêtant de la Loi comme d’une cape extérieure,
Il fait du Chemin mystique son être le plus intime.
Sache que la Vérité est la mesure de sa nature—
Il comprend immédiatement croyance et incroyance.
Il est paré de toutes les vertus éclatantes et loué
Pour sa conscience, sa dévotion, son calme saint.
Toutes les choses sont en lui, mais il est loin de toutes choses,
Abrité sous l’estrade des voiles du Mystère.
Shabistari
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LORSQUE VINT LE JOUR
Lorsque vint le Jour—
Le Jour pour lequel j’avais vécu et pour lequel j’étais mort—
Le Jour qui n’est renseigné sur aucun calendrier—
Des nuages chargés d’amour
Plurent à profusion.
En moi, mon âme fut trempée.
Autour de moi, même le désert reverdit.
Kabir
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LA GOUTTE ET L’OCÉAN
Parti à Sa recherche,
Je me perdis.
La goutte s’est fondue dans l’Océan—
Qui peut la trouver à présent ?
Cherchant après Lui, encore et encore,
Je me perdis.
L’Océan s’est fondu dans la goutte—
Qui peut la trouver à présent ?
Kabir
♦
CE RIEN
Un jour, un roi entra dans la cour royale et vit qu’il y avait là un étranger qui à la différence
de tous les autres ne s’inclina pas devant lui. Il fut choqué par cette insolence et
cria : ‘’Comment oses-tu ne pas t’incliner devant moi ! Seul Dieu ne s’incline pas devant moi
et il n’y a rien de plus grand que Dieu ! Qui es-tu donc ?’’
L’étranger dépenaillé répondit avec un sourire : ‘’Je suis ce rien.’’
Histoire soufie traditionnelle
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L’AMOUR EST ICI
L’Amour est ici. C’est le sang dans mes veines, ma peau.
Je suis détruit. Il m’a rempli de Passion.
Son feu a envahi les nerfs de mon corps.
Qui suis-je ? Juste mon nom. Le reste est Lui.
Rumi
♦
NUL AUTRE QUE LUI ICI
J’observe ma main. Il la meut.
J’entends ma voix. Il parle…
Je me déplace de pièce en pièce—
Nul autre que Lui ici.
Rumi
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MON CORPS EST ENVAHI
Mon corps est envahi
Par la flamme de l’Amour.
Mon âme vit dans
Une fournaise de félicité.
La fragrance de l’Amour
Remplit ma bouche
Et attise toute chose
A chaque expir.
Kabir
♦
LA STATION DE LA GLOIRE
Nul ne possède la Gloire à part Moi.
A personne la Gloire n’est appropriée sauf à Moi.
Je suis le Glorieux
Dont la proximité ne peut être supportée,
Dont l’éclat ne peut être enduré de façon prolongée par personne.
J’ai manifesté tout ce qui est,
Et Je suis plus manifeste que lui.
Sa proximité ne Me touche pas.
Son existence n’est pas guidée vers Moi.
J’ai dissimulé l’intérieur de l’intérieur
Et Je suis plus caché que lui.
Aucun signe de lui ne s’applique à Moi.
Aucune voie de lui ne mène réellement à Moi.
Je suis plus proche de chaque chose
Que sa gnose d’elle-même.
Sa gnose d’elle-même ne va pas
Au-delà d’elle-même jusqu’à Moi
Et elle ne se connaît pas elle-même
Tant qu’elle-même
Est l’objet de sa gnose.
Sans Moi, comment les yeux pourraient-ils voir ce qui leur est propre ?
Sans Moi, comment les oreilles pourraient-elles entendre ce qu’elles doivent entendre ?
Si jamais J’avais prononcé la Parole de Gloire,
Elle aurait fauché toute opinion.
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Elle aurait anéanti toute gnose, tel le désert
Le jour où le vent déferle sur lui.
Si la voix de la Gloire avait parlé,
Les voix de toutes compétences
Seraient devenues à jamais muettes,
Les accomplissements de chaque attribut
Seraient retournés au néant.
Où est-il celui qui fait de Ma gnose
Un moyen de venir à Moi ?
Si Je lui avais montré la langue de la souveraineté,
Sa gnose aurait reculé en chancelant dans l’ignorance
Et il aurait été ébranlé
Comme le sont les cieux le Jour du Jugement Dernier.
Ne vous plaignez pas que Je ne vous ai pas faits
Les témoins de Ma Gloire.
Dans tout ce que vous voyez,
Je vous ai fait le don de l’abaissement,
Je vous ai mis à genoux dans la splendeur.
Le groupe des gens du ciel et de la terre
Sont tous dans l’abaissement et cernés par Ma Gloire,
Mais J’ai des serviteurs
Que le ciel ne peut contenir avec toutes ses sphères,
Dont les flancs de l’univers ne peuvent soutenir les cœurs.
J’ai fait en sorte que les yeux de leurs cœurs
Soient les témoins des lumières de Ma Gloire
Qui ne frappent quelque chose
Que pour l’anéantir.
Leurs cœurs ne voient rien dans les neuf cieux
Qu’ils pourraient revendiquer,
Et ils n’ont nulle part où retourner sur terre,
Nulle part où ils peuvent vivre.
Prenez tout ce qu’il vous faut
Pour vous concentrer sur Moi
Ou Je vous renverrai dans le besoin
Et je vous séparerai de Moi.
Lorsque Ma Gnose est présente,
Aucun besoin ne peut exister.
Tandis que Ma Gnose advient,
Prenez tout ce dont vous avez besoin.
Niffari
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♦
AU SEPTIÈME CIEL
Je continuai à voler et franchis royaume après royaume, voile après voile, domaine après
domaine, mer après mer, rideau après rideau jusqu’à ce que je parvienne finalement à un
trône. Là, je fus reçu par des anges. Leurs yeux étaient aussi innombrables que les étoiles du
firmament. Dans chaque œil brillait une lumière qui illuminait celui qui la contemplait. Ces
lumières devinrent des lampes. De l’intérieur des lampes, j’entendis des chants de louange et
d’unité divine.
Je continuai à voler jusqu’à ce que je parvienne à une mer de lumière avec des vagues
déferlantes. A côté de cette lumière, le soleil est sombre. Sur la mer, il y avait un vaisseau de
lumière. A côté de sa lumière, la lumière des mers elles-mêmes était sombre.
Je continuai de franchir les mers jusqu’à ce que je parvienne à la plus grande mer où se
dressait le trône royal du Miséricordieux. Je continuai à chanter Ses louanges jusqu’à ce que
je voie que tout ce qu’il y avait—du trône à la terre, des chérubins aux anges, des porteurs du
trône royal aux autres créés par Allah le Glorieux dans tous les cieux et sur la terre—était plus
petit, du point de vue du vol depuis le secret de mon cœur en quête de Lui, qu’un grain de
moutarde entre ciel et terre.
Il continua de me montrer quelques-unes des subtilités miraculeuses de Sa générosité, la
plénitude majestueuse de Son pouvoir et la grande vastitude de Sa souveraineté qu’il userait la
langue de tenter de décrire. Devant toutes ces merveilles, je ne cessai de me dire : ‘’Ô, mon
Bien-Aimé, mon but véritable est différent de tout ce que Tu me montres…
Et lorsqu’Allah le Glorieux sut la sincérité de ma volonté en Le cherchant Lui et Lui seul, Il
s’écria : ‘’Viens à Moi ! Viens à Moi ! ‘’, et puis dit : ‘’Ô mon élu, viens près de Moi et
contemple les plaines de Ma Splendeur et tous les royaumes de Mon Eclat. Installe-toi sur la
carpette de Ma Sainteté jusqu’à ce que tu voies les subtilités de Mon Etre qui crée
indéfiniment les univers. Tu es mon élu, mon bien-aimé et la plus fine de toutes mes
créatures.’’
Quand j’entendis cela, c’était comme si je fondais comme du plomb qui fondait. Ensuite, Il
m’offrit à boire de la source de la Grâce dans la coupe de l’intimité. Puis, Il m’attira de plus
en plus près de Lui jusqu’à ce que je sois plus proche de Lui que l’esprit l’est du corps.
Bayazid Bistami
♦
COMMENT LE ROI TUKLA FUT RÈPRIMANDÈ PAR UN SAINT HOMME
Un jour, Tukla, le roi de Perse, visita un saint homme et lui dit : ‘’Mes années sur la terre ont
été inutiles. Seul un saint homme qui mendie comme vous emporte des richesses de ce monde
vers le suivant. Tout ce que je désire faire à présent, c’est m’asseoir dans la dévotion et passer
le restant de mes jours à prier.’’
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‘’Absurde !’’, s’exclama le saint homme. ‘’La religion consiste à servir les gens. Vous n’avez
pas besoin d’accessoires tels qu’un rosaire, un tapis de prière ou une robe en lambeaux. Soyez
un roi puissant et un dévot aux mœurs pures. La véritable religion exige l’action et non les
mots. Les paroles sans l’action sont creuses.’’
Sadi
♦
Ô SEIGNEUR, DONNE-MOI DES YEUX
Ô Seigneur, donne-moi des yeux
Qui ne voient rien d’autre que Ta gloire.
Donne-moi un esprit
Qui trouve la joie à Te servir.
Donne-moi une âme
Ivre du vin de Ta sagesse.
Cheik Ansari
♦
DÈVOTION TOTALE
Ô Seigneur,
Puisse mon esprit tanguer avec des révélations de Toi,
Puisse mon cœur s’enflammer avec les mystères de Ta grâce,
Puisse ma langue ne remuer que pour chanter Ta louange.
Cheik Ansari
♦
DONNE-MOI
Ô Seigneur, donne-moi un cœur,
Que je puisse m’épancher en gratitude.
Donne-moi la vie,
Que je puisse la passer
A œuvrer au salut du monde.
Cheik Ansari
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PRIÈRE FINALE
—Ô MON DIEU, LUMIÈRE DES LUMIÈRES—
Ô mon Dieu, Lumière des lumières et maître de tous les mondes, Tu es le premier, il n’y avait
personne avant Toi. Tu es le dernier, il n’y aura personne après Toi. Les anges ne peuvent
comprendre Ta majesté et les êtres humains ne peuvent atteindre la connaissance de la
perfection de Ton Essence.
Ô Dieu, libère-nous des choses qui nous enchaînent et délivre-nous de tout mal qui pourrait
nous gêner. Envoie sur nos esprits Ta gracieuse influence et irradie nos âmes de l’éclat de Ta
lumière. L’esprit n’est qu’une goutte dans l’océan de Ton Royaume et l’âme n’est qu’une
étincelle de Ta Gloire Divine.
Louange à Toi qu’aucun œil ne peut voir, dont nulle pensée ne peut imaginer l’apparence.
Gratitude et louange à Toi. Tu donnes et Tu reprends : Tu es la générosité même et Celui qui
dure toujours. Louange à Toi toujours car Tu as pouvoir sur toutes choses et c’est à Toi que
nous retournerons.
Suhrawardi Halabi
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REMERCIEMENTS
Nos plus profonds remerciements à :
Leila et Henry Luce III, pour tout leur amour protecteur.
Gloria Cooper, pour la noblesse sensible de son esprit.
Mollie Corcoran, pour sa gentillesse infaillible.
Notre éditrice, Brenda Rosen, pour sa foi et sa pureté de cœur.
Notre maquettiste, Beth Hansen-Winter, pour la sûreté de son goût.
Notre correctrice, Dawna Elaine Page, pour tout son travail sincère et scrupuleux.
William Chittick et Peter Wilson, les éminents traducteurs de Divine Flashes de Fakhruddin
Iraqi écrivirent : ‘’Nous avons tenté de ‘’transcréer’’ aussi bien que de traduire, d’offrir
quelque chose qui aura sa valeur propre en tant qu’œuvre dans la littérature anglaise et qui
proposera une interprétation plus exacte de la pensée d’Iraqi qu’une simple traduction
littérale.’’ Ces principes ont constamment inspiré Le Parfum du Désert. J’ai voulu créer une
‘’symphonie’’ mystique soufie complète en cinq parties soigneusement élaborées, chacune
constituée de textes inspirants rendus d’une manière aussi précise, fraîche et lucide que
possible.
Pour mes ‘’transcréations’’ de Rumi, Shabistari, Lahiji, Ibn Arabi et Sultan Valad, je me suis
considérablement appuyé sur les traductions de leurs œuvres en langue française réalisées par
la grande érudite islamique Eva de Vitray Meyerovitch avec qui j’ai travaillé à Paris et dont
l’exemple à la fois de rigueur et de sensibilité poétique a servi de pierre de touche pour tout le
travail que j’ai entrepris dans cette matière.
Mes interprétations de Kabir se réfèrent beaucoup aux versions de Tagore et V.K. Sethi ;
celles de Rabia se réfèrent, dans une large mesure, à celles de Charles Upton dans son livre
Doorkeeper of the Heart qui le premier m’a fait prendre conscience de l’étendue du génie
poétique de Rabia. Mon travail sur Sadi a été influencé par toute une série de traducteurs du
dix-neuvième siècle et contemporains en diverses langues européennes, le plus notable étant
Edward Rehatsek. Mes transcréations de Cheik Ansari doivent beaucoup aux traductions
fidèles de Sir Jogendra Singh. Les traductions de A.J. Arberry m’ont aidé à produire des
versions claires d’Attar, d’Al-Hallaj, de Bayazid Bistami, de Jami, de Muhasibi et de Niffari.
Les transcréations de Nasrudin d’Idries Shah m’ont aidé à préparer les miennes. Dans ma
recherche de documentation, deux livres m’ont particulièrement inspiré : Traveling the Path
of Love de Llewellyn Vaughan-Lee (Golden Sufi Center Publishing) et Early Islamic
Mysticism dans les Classiques des Séries de la Spiritualité Occidentale (Paulist Press). Tous
deux m’ont conduit à des textes et à des écrivains mystiques que je n’aurais autrement pas
connus et je leur suis reconnaissant de leurs conseils.
J’aurais voulu qu’il y ait suffisamment de place ici que pour remercier tous les excellents
érudits et traducteurs à qui je dois plus que les mots ne peuvent dire. Si dans le Parfum du
Désert, j’ai pu arriver à un résultat pour transmettre aux autres la gloire de la tradition
mystique soufie, c’est à cause de leur aide, de leur inspiration et de leur passion. Puisse le
Bien-Aimé les embrasser et les bénir tous de Son Eternelle Présence d’Amour !
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