AU-DELÀ DE LA RAISON : LA CERTITUDE DES MYSTIQUES, DEPUIS AL-HALLAJ JUSQU’À DAVID R. HAWKINS FRAN GRACE, PhD., Professeure d’études religieuses et coordinatrice de la salle de méditation de l’Université de Redlands, Californie, et directrice de l’Institute for Contemplative Life RÉSUMÉ Cet article examine les enseignements de plusieurs mystiques chrétiens et soufis par rapport à la place de la raison dans la vie spirituelle, depuis Al-Hallaj (mort en 922) jusqu’à David R. Hawkins (né en 1927). Dans toutes les cartes, les stades et les échelles discutés par les mystiques, le niveau de la raison est souvent considéré comme un échelon de l’accomplissement spirituel. Néanmoins, la raison seule n’est pas suffisante pour transporter l’âme jusqu’aux royaumes spirituels les plus intimes. L’amour qui émane du cœur est l’instrument le plus puissant qui ouvre au Bien-Aimé, à la Réalité ou à Dieu. Cet article se focalise sur la différence qu’il y a entre penser à Dieu ou à la Réalité par l’intermédiaire de la raison conceptuelle et réaliser Dieu ou la Réalité par l’entremise d’une certitude née de l’expérience, lorsqu’on se dissout ou qu’on s’unit à Dieu ou à la Réalité. De tels êtres ‘’réalisés’’ exercent leur impact bénéfique sur le monde via le phénomène de la transmission silencieuse… 1. INTRODUCTION : QU’EST-CE QU’UN MYSTIQUE ? Le mystique soufi Al-Hallaj a été exécuté à Bagdad en 922 pour avoir déclaré son unité avec le Bien-Aimé : ‘’Je suis le Réel’’ (Schimmel, 1975, 72). Son amour pour Dieu était si intense qu’il consuma chaque obstacle : ‘’Entre moi et Toi, il n’y a que moi. Enlève le moi pour que Toi seul reste’’ (Lewis, 2001). Marguerite Porete a été brûlée sur le bûcher pour hérétisme, en 1310. Les autorités catholiques l’excommunièrent, la firent emprisonner et brûlèrent publiquement son livre, ‘’Le miroir des âmes simples et anéanties’’. Cependant, elle refusa de réfuter son expérience subjective de Dieu. Elle demeura silencieuse dans sa prison, en laissant passer des opportunités de se défendre, de se rétracter par rapport à ses ‘’erreurs’’ ou de recevoir l’absolution. Elle se soumit au bûcher plutôt que de nier cette vérité intérieure : ‘’En Lui, je suis dissoute’’ (Porete, 156). Tout au long de l’histoire, les mystiques ont décrit l’état intemporel de la dissolution de l’ego, quand tout sentiment d’un moi personnel se dissout dans ce qui est universel et éternel – un peu comme du sucre qui fond dans de l’eau chaude ou comme une goutte de pluie qui tombe dans l’océan. Ce qui reste, c’est un silence intérieur sidérant, vide de toute pensée ou de tout bavardage mental, et une conscience inaltérable de ne pas être séparé du reste. Cet article explore la certitude du mystique à la suite d’une telle expérience, une certitude inébranlable, même au moment de mourir. Maintenant, beaucoup de personnes peuvent avoir leur propre connaissance d’un flux d’intemporalité passager, d’instants où l’on se retrouve dans la vacuité, où l’autosurveillance permanente de l’ego-mental est coupée et où l’orientation coutumière dans le temps et l’espace se perd. Ceci peut arriver quand vous êtes pris par un travail créatif, en faisant l’amour, lors d’une performance athlétique ou d’une prestation scénique, à l’occasion de la naissance d’un enfant, durant un rituel religieux, pendant la méditation, au moment de la mort ou en vivant d’autres expériences extrêmes. Toutefois, très peu de gens évoquent jamais un tel état comme étant une base fixe et nous appelons généralement ‘’mystiques’’, ‘’sages’’ ou ‘’saints’’ ceux qui le font. De par la rareté de ce type d’état intérieur, la tendance règne chez ceux qui n’en ont jamais fait l’expérience de le nier comme une hallucination ou une imposture. Quand bien même des charlatans spirituels et des religieux délirants existent certainement, une position aussi abrupte et sceptique est compliquée à maintenir à un niveau universel, si on tient compte de l’inspiration et de l’élévation globales qui sont survenues par l’entremise de rares et précieux individus qui accréditent leur état intérieur de dissolution de l’ego (c’est-à-dire plus de moi personnel) avec leur amour pour le monde et leur désir d’enseigner, des personnes comme Mohandas K. Gandhi et Mère Teresa. Dans des cas pareils, la certitude et l’endurance infatigable pour l’amour universel et le service désintéressé émergent de l’expérience de la réalisation de l’unité de l’existence. Les mystiques restent sûrs et certains du royaume qu’ils ont expérimenté, même si des sceptiques laïques et ecclésiastiques protestent et prétendent le contraire. Les mystiques peuvent être vus comme ces âmes intrépides qui traversent le royaume de l’esprit, à l’image de Marco Polo et de sa traversée du royaume géographique. Tandis que beaucoup d’Européens du 13ème siècle se gargarisaient de leur croyance que la Chine n’existait pas, Marco Polo insista avec une persévérance sans faille pour découvrir des terres inconnues. Atteignant les destinations les plus lointaines possibles et imaginables, il rentra par la suite à Venise pour partager ses cartes de la ‘’route de la soie’’. Néanmoins, après avoir entendu les récits de Marco Polo concernant d’autres terres, les sceptiques ne le prirent pas au sérieux et l’éconduisirent, comme un filou à l’imagination fertile. Il en a toujours été ainsi avec les mystiques. Ils s’aventurent dans les royaumes intérieurs les plus lointains pour atteindre la destination suprême, l’union mystique, et comme Marco Polo, les mystiques demeurent certains du royaume qu’ils ont expérimenté, quand bien même ce territoire demeure largement méconnu de la plupart des gens. 2. LA CONSCIENCE MYSTIQUE ET LA TRANSMISSION DE LA VÉRITÉ VÉCUE Cet article suggère que la connaissance expérientielle de la Réalité ultime du mystique a le pouvoir de transmettre un impact puissant et inspirant, beaucoup plus qu’un système de croyances auquel on arrive par la raison conceptuelle et la preuve apodictique. C’est le pouvoir du cœur. Le savant mystique soufi Al-Ghazali plaisantait à propos de cette différence, quand il fit remarquer que les théologiens intellectuels de son époque savaient gloser tant et plus sur tous les points de la loi concernant le divorce, mais ne savaient rien dire concernant l’amour sincère pour Dieu. En d’autres termes, la certitude qui émane de l’expérience véhicule avec elle une transmission puissante de la vérité vécue (Grace, 2011a). ‘’Qui a goûté, sait’’, dit une parole soufi bien connue. Goûter du chocolat est plus convaincant qu’étudier sa composition chimique. Tandis que l’érudit propose un savoir bien raisonné qui se base sur la maîtrise cognitive de données et de doctrines, le mystique offre un autre type de connaissance qui se fonde sur une ‘’réalisation’’ intérieure. Par contraste avec de l’information acquise intellectuellement, la vérité expérientielle véhicule une vibration d’une fréquence élevée qui active une transformation profonde chez le chercheur spirituel. On représente souvent ce rayonnement du mystique, du saint ou du sage sous la forme d’un halo et on parlera classiquement de ‘’transmission silencieuse’’. On connaît intuitivement depuis longtemps cette transmission dans l’histoire des religions, notamment via les voyages périlleux entrepris par les pèlerins pour rendre visite à des saints ou à des sages, que ce soit en personne ou qu’il s’agisse de leurs reliques. A notre époque moderne, d’innombrables chercheurs ont fait la file pour se retrouver dans une salle, être touché ou s’asseoir dans la présence silencieuse de Sa Sainteté le Dalaï Lama, Mère Teresa, Gandhi, Ramana Maharshi, David R. Hawkins, Padre Pio, Bawa Muhaiyaddeen et d’autres. De tels voyages impliquent souvent de traverser le monde et de grands sacrifices et l’impact semble réel, même après leur décès. Par exemple, des centaines de milliers de fidèles continuent d’embrasser les tombes des saints soufis.1 Suivant les traditions ésotériques, une expérience de première main est plus complète que des connaissances conceptuelles. C’est une chose de lire un livre sur le Taj Mahal, mais c’est tout à fait différent d’aller le voir, de s’y asseoir, de le parcourir et de respirer son atmosphère. Le poète soufi, Rumi, fait une comparaison avec l’alchimie. Le niveau le plus basique, c’est d’étudier la théorie de l’alchimie, puis le niveau suivant, c’est de mettre en œuvre ses principes et le niveau supérieur est de nature expérientielle : la transmutation en or (Chittick, 2005, 21). Dans Le Livre de la Certitude, Abu Bakr Siraj Ad-Dîn explique les trois niveaux de connaissance du soufisme en analogie avec le Buisson Ardent qui symbolise l’ultime Réalité : ceux qui entendent parler du Buisson Ardent par l’intermédiaire de Moïse possèdent le niveau de la connaissance le plus inférieur, appelé ‘’Parole de la Certitude’’. Il s’agit de la connaissance d’un tiers, rapportée et obtenue par l’entremise d’un d’autre. Il est intéressant de noter que ce type de connaissance est fréquemment considéré comme étant le plus légitime en ce qui concerne les études académiques conventionnelles. Ceux qui possèdent le degré de connaissance suivant, dénommé l’ ‘’Œil de la Certitude’’, ont vu les flammes du Buisson Ardent, comme Moïse, lorsqu’il s’est approché de lui. Pour finir, la ‘’Vérité de la Certitude’’ est le niveau de connaissance le plus élevé et n’est la propriété que de ceux qui sont devenus un avec le Buisson Ardent en étant consumés par ses flammes (1992, 1-2). Al-Ghazali identifie les trois niveaux comme : 1) la connaissance de Dieu acquise par l’étude ; 2) la foi acquise en entendant parler de l’expérience spirituelle d’autrui ; 3) l’expérience de la réalisation acquise par l’intimité directe avec la Divinité / Réalité (2000, 58). Al-Ghazali nous intéresse particulièrement, parce que c’est un érudit à l’accomplissement suprême, connu sous le nom de ‘’Preuve de l’Islam’’. A un moment crucial de sa carrière académique, il en est arrivé à se considérer comme un hypocrite, car il parlait de vérités sublimes qui n’étaient que les vérités d’autrui, et non les siennes. C’est la raison pour laquelle il quitta son poste académique pour devenir un derviche errant et pour entreprendre des pratiques soufies continues durant de nombreuses années, de manière à ce que ses connaissances des royaumes spirituels puissent se vérifier dans son cœur (2000, 5152). Au-delà de l’étude de la théorie de l’alchimie, il voulait être ‘’transmuté en or’’. C’est 1 Pour un exemple extraordinaire, contemporain et réellement miraculeux, le lecteur pourra lire avec beaucoup d’intérêt l’article passionnant intitulé ‘’Sai Shiva nous emmène au Kailash et à Manasarovar’’, qui concerne plus particulièrement Sathya Sai Baba et son tombeau, à l’origine de miracles vraiment sidérants…, NDT. seulement alors, déclara-t-il, qu’il pourrait enseigner avec autorité. Les fidèles de tels mystiques décrivent une ‘’transmission’’ de paix et de pouvoir, en leur présence. D’où provient cette ‘’transmission’’ ? Dans son étude du yoga, Harold Coward remarque que l’autorité de la transmission verbale provient de l’expérience originelle, primordiale, que les paroles d’un sage rapportent. Sans une telle connaissance intérieure expérientielle, il n’y a rien à transmettre. ‘’Les mots contiennent de la connaissance, s’ils sont vrais’’ (2002, 12). Les paroles du mystique qui concernent la Réalité ont du pouvoir pour l’auditeur, parce que le mystique est Cela qui connaît la Réalité en s’étant uni à Elle. Les scientifiques découvrent le moyen de mesurer la ‘’physique de la transmission silencieuse’’. D’après cette science émergente, les vrais mystiques, les vrais saints ou les vrais sages émettent un champ extraordinaire de cohérence énergétique, de sorte que les chercheurs qui pénètrent dans le ‘’champ’’ des mystiques (souvent appelé ‘’aura’’) peuvent profiter des capacités de guérison qui sont intrinsèques à cette cohérence énergétique (Hawkins, 1995 ; Grace, 2011b ; Hunt, 1996 ; Targ and Katra, 2003).2 La ‘’Carte de la Conscience’’ conçue par le mystique moderne et scientifique clinique, David R. Hawkins, innove en ce qui concerne l’explication de l’impact transmetteur et du pouvoir inspirant si souvent remarqué chez les saints, les sages et les mystiques. Basée sur l’application des ‘’champs d’attraction’’ de la théorie de la dynamique non linéaire et du chaos, la ‘’Carte de la Conscience’’ avance que les ‘’champs d’énergie supérieurs’’ ou ‘’champs d’attraction’’ de l’Amour, de la Paix et de la Réalisation du Soi génèrent un effet qui élève le monde, au niveau énergétique (Hawkins, 1995). La connaissance expérientielle est parfois considérée comme suspecte par l’académisme et certains dogmatiques religieux, mais la connaissance qui procède de l’expérience a tendance à faire davantage autorité que les connaissances livresques dans la vie réelle. Par exemple, si j’emprunte un chemin de randonnée que je ne connais pas, je préférerais connaître les conditions du chemin auprès d’un randonneur qui redescend depuis le sommet de la montagne qu’auprès d’un randonneur qui consulte un guide de voyage au départ du chemin. Dans un autre registre, la personne qui n’a plus bu une seule goutte d’alcool depuis vingt ans a une faculté de témoigner qui transmet une inspiration invisible, mais profondément ressentie à un alcoolique invétéré qui se demande s’il survivra jamais à une journée sans picoler. Un conjoint ou un médecin pourrait utiliser des paroles similaires, mais leurs paroles véhiculeront moins d’inspiration et d’espoir, car sans l’expérience vécue, il ne s’agira que 2 Bien avant tout cela, on peut également mentionner les expériences du Dr Frank G. Baranowski, de l’Université d’Arizona, qui a étudié de très près l’aura des saints hommes – ou prétendus tels – de l’Inde et en particulier celle de Sathya Sai Baba, la plus remarquable, selon lui. Voir l’article intitulé ‘’L’aura de la divinité’’, NDT. d’une simple remontrance - ‘’tu devrais arrêter de boire !’’ – qui n’aura pas l’autorité d’un témoignage authentique, comme ‘’Je sais que c’est possible, parce que je suis maintenant sobre depuis vingt ans !’’ Le mystique témoigne de l’existence d’un royaume au-delà de la perception ordinaire. Comme Annemarie Schimmel l’écrit dans sa préface aux lettres du mystique soufi, Ibn Abbad, le mystique a atteint l’état le plus élevé de la vie spirituelle. ‘’La certitude, la confiance inconditionnelle en la sagesse de Dieu, est l’état le plus élevé que le voyageur peut espérer et celui qui l’a atteint n’aura besoin d’aucune révélation de mystères cachés. Il est la clairvoyance même’’ (Schimmel, 1986, viii). Comment relier la certitude issue de l’expérience et l’épistémologie ? Le psychologue de l’expérience religieuse, l’Américain Henry James, faisait la distinction entre la connaissance conceptuelle et la connaissance par contact direct (James, 1996, 56ff). Plus récemment, le spécialiste du mysticisme, Robert K.C. Forman a soutenu la ‘’connaissance par identité’’ pour spécifier la pure Conscience qui existe en tant que ‘’capacité innée’’ dans tous les humains : ‘’Je connais ma conscience…parce que c’est ce que je suis’’ (1998, 21). David R. Hawkins, un mystique moderne, fait très clairement la distinction entre ‘’l’identité avec la Réalité’’ et ‘’la description de la Réalité’’ et déclare : ‘’La seule manière de connaître une chose, c’est de l’ÊTRE.’’ Le mystique connaît la Réalité, puisqu’il L’est dans son identité réelle, tandis que le non mystique ne peut que tenter de décrire la Réalité : ‘’Le mystique est devenu ce que le religieux voudrait décrire’’ (June 2007, CD Track 3). Cela a une profonde signification humanitaire. En dernière analyse, la conscience mystique n’est pas qu’un sujet de recherche intellectuelle intéressant. Tout au long de l’histoire et dans les diverses cultures, on a postulé qu’elle guérissait, qu’elle inspirait et qu’elle offrait la libération ultime par rapport à la souffrance. Une fraction de seconde d’Illumination est remémorée toute une vie durant et peut avoir un impact mondial. Mère Teresa et Mohandas K. Gandhi connurent chacun une illumination qui changea leur vie au cours d’un voyage en train et l’impact sur le monde fut impressionnant. Rumi, le poète soufi médiéval bien-aimé communique une conscience mystique de la Beauté qui a véhiculé de la joie au fil de nombreux siècles dans de nombreuses cultures. Nous vivons à une époque de grandes souffrances. Que peuvent nous apprendre les mystiques à propos de nos ressources intérieures inexploitées ? Quel est exactement l’impact d’une personne qui irradie une paix totale et une compassion universelle ?3 Est-il réellement possible que notre conscience 3 Personnellement, je recommanderais d’aller rendre visite le plus vite possible à ce genre de personnes, des personnes comme le regretté Sathya Sai Baba ou encore Mata Amritanandamayi Devi. Leurs darshans ont changé la vie de millions de personnes et les ont orientées vers une vie plus spirituelle plus satisfaisante, avec parfois des guérisons physiques spectaculaires dans certains cas – Voir mon anthologie intitulée ‘’Médecins, détienne le pouvoir de nous élever nous-mêmes, mais également le monde ? Les mystiques disent que oui et cet article enquête sur leur ‘’oui’’. 3. DAVID R. HAWKINS, EXEMPLE DE RECHERCHE DE LA VÉRITÉ QUI TRANSCENDE LA RAISON Puisque les spécialistes de la mystique ne connaissent pas si bien Hawkins (il est l’unique mystique encore vivant dans cet article), voici un bref compte-rendu descriptif (voir Grace, 2011b). En 1965, c’était un psychiatre âgé de 38 ans. Même si c’était une personnalité accomplie dans le monde, il gisait, mortellement malade, et il était confronté à un désespoir agonisant. Tandis que l’instant final approchait, ‘’il y eut une émergence dans les ténèbres spirituelles totales et l’angoisse de la terreur et de la solitude existentielles’’. Quasiment perdu à tout jamais dans les ‘’profondeurs éternelles de l’enfer’’, il consentit soudain à ‘’une voix intérieure’’ qui dit : ‘’S’il y a un Dieu, alors je demande Son aide.’’ Il lui fallut ensuite trente ans pour pouvoir raconter aux autres le mystère incompréhensible de ce qui s’est passé, suite à cette prière : L’oubli. Quand la conscience revint, une transformation extraordinaire avait eu lieu et il n’y avait plus que le silence et l’émerveillement. La ‘’personne’’ qui avait été n’existait plus. Il n’y avait plus ni ‘’je’’ personnel, ni moi, ni ego, rien qu’une Présence infinie au pouvoir illimité qui avait remplacé ce qui avait été ‘’moi’’. Le corps et ses actions n’étaient plus contrôlés que par la Volonté infinie de la Présence. Le monde était illuminé par la clarté d’une unité infinie. Toutes les choses révélaient leur infinie beauté et perfection, comme expressions de la divinité…Là où le monde voyait de la laideur, il n’y avait que beauté éternelle. L’amour spirituel imprégnait toute la perception et toutes les frontières entre ici et là, alors et maintenant, et la séparation disparurent (2003, 365–366). Quoique Hawkins avait reçu l’éducation d’un épiscopalien et qu’il était agnostique au moment de cette expérience, la recherche intense de la Vérité ultime avait caractérisé sa vie entière : ‘’Il y avait un profond noyau au sein de la conscience qui se désespérait d’atteindre une Vérité supérieure’’ (2003, 365). Il avait maîtrisé le monde de la raison : il avait lu Socrate et Platon dans sa jeunesse, fait des études supérieures de théologie dans une université jésuite, terminé ses études de médecine, fondé un cabinet clinique prospère et rédigé beaucoup d’articles scientifiques. Néanmoins, toutes ces études et toutes ces médecine, miracles et Sai Baba’’, NDT. Il y en a d’autres, bien sûr, et chacun est souvent mystérieusement conduit vers un ou plusieurs de ces êtres spéciaux avec lequel ou avec lesquels il a des affinités… recherches n’engendrèrent qu’un désespoir plus profond et ne purent faciliter l’intégration des profondes expériences spirituelles vécues durant sa jeunesse. Par exemple, à l’âge de 12 ans, Hawkins circulait à vélo dans la campagne du Wisconsin pendant l’hiver, lorsqu’une tempête le frappa de plein fouet avec des rafales de vent et une température de ―20°. Il trouva refuge dans une congère de neige dans laquelle il avait creusé un trou le long de la route. Au lieu d’avoir peur de la mort, Hawkins fit l’expérience d’une Présence intemporelle et douce d’un Amour submergeant qui fit fondre son esprit dans un silence complet. Bientôt les frissonnements cessèrent et il y eut une délicieuse chaleur, puis un état de paix au-delà de toute description. Ceci s’accompagnait d’une suffusion de lumière et d’une Présence d’un Amour infini qui n’avait ni commencement, ni fin et qui n’était pas différent de ma propre Essence…L’esprit devint silencieux ; toutes les pensées cessèrent. La Présence infinie était tout ce qu’il y avait ou qui pouvait être, au-delà de toute temporalité et description (2001, 335). Quand cet état de Présence et d’Amour infini revint à l’âge de 38 ans, il apporta avec lui la certitude concernant l’existence qui avait manqué dans la recherche de la Vérité par les efforts de la raison. L’expérience de la vie, d’Hawkins, se transforma alors radicalement, rappelant les descriptions de Thérèse d’Avila sur ses expériences dans la septième Demeure et celles de la mystique médiévale, Marguerite Porete, de ‘’l’âme anéantie’’, vide de soi. Le sentiment d’un soi séparé s’était dissout : ‘’Si je regarde dans les yeux d’autres personnes, il n’y a qu’un seul Soi’’ (Hawkins, 2008). De fait, à ce jour, il se réfère au ‘’Dr Hawkins’’ à la troisième personne et non pas comme à un ‘’je’’ ou un ‘’moi’’. Hafiz, le poète soufi utilise cette même troisième personne en référence à lui-même dans sa poésie. La Conscience mystique est universelle et impersonnelle. Hawkins finit par quitter son cabinet new-yorkais et conduisit son pick-up dans une région reculée du sud-ouest où il espérait ‘’se perfectionner’’ en tant qu’instrument et explorer la capacité de guérison au sein de la conscience elle-même. Il vécut plus ou moins la vie d’un ermite durant quelques années, dormant sur un lit de camp d’occasion, mangeant rarement et passant le plus clair de son temps en méditation et à étudier les Ecritures et les mystiques du monde. Il explorait sens dessus dessous la nature de la conscience, espérant découvrir un mécanisme à l’aide duquel il pourrait alléger la souffrance humaine. En 1995, avec la publication de Pouvoir Contre Force : les Déterminants Cachés du Comportement Humain, il communiqua ses révélations intérieures non-linéaires à l’aide d’un cadre-système linéaire et qui par conséquent pourrait être compris par des non mystiques. La ‘’Carte de la Conscience’’ qui est expliquée dans son livre apparut comme un outil d’enseignement de premier choix pour favoriser la conscience spirituelle et apporter ainsi un soulagement à la souffrance. La ‘’Carte de la Conscience’’ propose une carte routière à l’aide de laquelle on peut naviguer dans sa vie intérieure, quelles que soient les particularités religieuses,4 C’est le travail de tous les mystiques : révéler le ‘’substrat le plus intérieur’’, comme l’appelait Jean Tauler, le mystique chrétien médiéval. La ‘’Carte de la Conscience’’ est un tableau d’une page qui expose la progression depuis les ‘’niveaux de conscience’’ les plus inférieurs, comme la honte, la culpabilité, la peur, le désir, la colère et l’orgueil (c’est-à-dire des niveaux dominés par des pulsions égoïstes) aux niveaux médians du courage, de la volonté, de l’acceptation et de la raison (c’est-à-dire les niveaux caractérisés par l’intégrité personnelle), jusqu’aux niveaux supérieurs de l’amour, de l’amour inconditionnel, de la joie, de la guérison, de l’extase, de la paix et de l’Illumination. Ces niveaux supérieurs sont de plus en plus dénués d’objectifs personnels et le domaine des saints, des mystiques, des arhats et des avatars. La ‘’Carte de la Conscience’’ a des parallèles avec les étapes et les niveaux qui sont mentionnés dans la littérature soufie, juive, bouddhiste, hindoue et chrétienne, le classique occidental, ‘’La Grande Chaîne de l’Être’’ et la ‘’Grammaire Universelle des Visions du Monde’’ de l’érudit Huston Smith (2009, 189-196). Tout ce qui existe irradie de l’énergie. La ‘’Carte de la Conscience’’ suggère qu’on peut distinguer les énergies en deux groupes de base : celles qui ont une orientation négative et qui épuisent l’énergie du monde et celles qui ont une orientation positive et qui donnent de l’énergie au monde. Dans le groupe orienté positivement, on trouve les rares mystiques et les saints qui ont perfectionné leur amour pour tous les êtres. Simplement en étant ce qu’elles sont – c’est-à-dire un état de joie, d’amour inconditionnel et de paix inébranlable – ces personnes irradient un champ d’énergie qui a un effet curatif sur ceux qui les entourent et sur le monde lui-même. 4. LA PLACE DE LA RAISON DANS LE DÉVELOPPEMENT SPIRITUEL La raison est une énergie puissante qui accomplit beaucoup dans le monde, mais l’Amour a la capacité de guérir sans effort. Dans ‘’l’ascension’’ de l’âme vers Dieu, les mystiques 4 Si cela intéresse le lecteur ou la lectrice, j’ai créé ma propre ‘’carte routière’’ qui se base elle sur le système des cinq valeurs humaines de Sathya Sai Baba (la vérité, la conduite juste, l’amour, la paix et la non-violence), les trois grands yogas de la Bhagavad Gita (le yoga de l’action, le yoga de la dévotion et le yoga de la connaissance) et les cinq koshas du Vedanta. Voir l’article intitulé ‘’La structure qui libère : valeurs humaines, yogas et vedanta’’. Son champ d’application est certes moins vaste, puisqu’elle n’intéressera potentiellement que les védantins, mais elle offre néanmoins une vision d’ensemble intéressante, me semble-t-il, NDT. placent généralement la rationalité au niveau le plus haut de ce qui est possible pour les humains, ‘’naturellement’’. Elle se situe généralement à mi-chemin sur l’échelle qui mène à l’Ultime. Au-delà de la raison, il y a l’ouverture du cœur, le ‘’troisième’’ œil (le discernement spirituel) et des niveaux supérieurs d’Illumination. Pour les mystiques que l’on examine ici, la raison est considérée comme un objectif pour un débutant en matière de spiritualité, mais comme une entrave pour des contemplatifs plus avancés, s’ils s’y arrêtent. Etant eux-mêmes arrivés à leur destination spirituelle traditionnellement décrite comme étant le but de la vie religieuse - ‘’l’union avec Dieu’’, ‘’l’autoréalisation’’ ou ‘’l’Illumination’’ - les mystiques éclairent la voie pour les autres conformément à leurs perspectives religieuses et historiques spécifiques. Ils ont atteint ce que le philosophe soufi, Seyyed Hossein Nasr appelle ‘’le but ultime de la vie humaine, le couronnement de l’existence humaine’’, la ‘’connaissance’’ personnelle de ‘’Celui qui est l’origine et la fin de toutes choses, qui est Sat (l’Etre), Chit (la Conscience) et Ananda (la Félicité), le ‘’Je de tous les je’’ (2007, 229). Leur transmission de leur Illumination intérieure sert de phare aux autres voyageurs, même s’il leur est impossible de mettre en mots l’effulgence rayonnante de leur Illumination. Comment définir la Réalité infinie, silencieuse, non verbale, indifférenciée, non linéaire, non localisable et non conceptuelle ? L’auteur chrétien médiéval anonyme du ‘’Nuage de l’Inconnaissance’’ conclut, non sans une certaine ironie, que tout ce que l’on peut dire concernant l’expérience de Dieu n’est pas Cela : Ne soyez pas dès lors étonné, si ma langue humaine maladroite ne parvient pas à expliquer sa valeur, de manière appropriée. Et que Dieu empêche que l’expérience elle-même ne devienne tellement dégénérée que pour se caser dans les limites étroites du langage humain…Tout ce que l’on peut dire à son propos n’est pas Cela, mais concerne seulement Cela (1973, Book of Privy Counseling, 169). L’utilisation du paradoxe et de la métaphore est dès lors courante. Par exemple, Thérèse d’Avila qui vécut en Espagne au 16me siècle parle d’un ‘’château intérieur’’ au sein duquel l’âme progresse à travers sept ‘’demeures’’ d’une communion toujours plus profonde avec Dieu. L’être humain est ‘’naturellement…richement doué’’ pour pouvoir communier directement avec Dieu. Ainsi, Thérèse indique ‘’la prière et la méditation’’ comme ‘’porte d’entrée du château’’. Comme ‘’nous sommes nous-mêmes le château’’, il est conseillé à l’âme ‘’d’entrer en elle-même’’ (2004, 6-7). Elle déclare qu’ ‘’il est absurde de penser que nous pourrons entrer au Paradis sans avoir d’abord pénétré notre propre âme’’ (31). La raison gouverne l’âme quand elle réside dans les trois premières demeures, mais ensuite, le raisonnement moral, l’étude discursive et l’effort vertueux cèdent la place, avec l’humilité, à l’Amour et à la Grâce dans la quatrième demeure. Marguerite Porete parle des sept ‘’étapes’’ de la vie spirituelle. Le progrès requiert trois ‘’morts’’ à différents points du parcours : tout d’abord, il y a mourir au péché, lorsqu’on naît à la vie chrétienne ; puis il y a la mort à la nature, lorsque l’on n’est plus guidé par la raison humaine, mais par l’Amour divin ; et pour finir, il y a la mort de l’ego spiritualisé, lorsque l’on renonce à la volonté personnelle et tous ses efforts désespérés pour atteindre Dieu et que l’on renaît ainsi à son Etre éternel d’origine et que l’on repose en Dieu (1993, 118-119, 189-194). Le texte bref, mais lumineux de Denys l’Aréopagite, intitulé ‘’La Théologie mystique’’, est sans équivoque dans son affirmation que le Suprême se situe au-delà des concepts, au-delà de la forme et au-delà de toute tentative pour L’analyser ou pour Le catégoriser : ‘’La Cause suprême de toute chose conceptuelle est Elle-même non conceptuelle’’ ; ‘’Elle est indicible et ne peut être saisie par la compréhension’’ ; ‘’Elle se situe au-delà de l’affirmation et de la négation’’ (1987, 141). L’âme doit s’aventurer au-delà de tout ce qui est appréhendé par les sens ou perçu par la compréhension : Ce que je vous conseille, si vous recherchez la vision des choses mystérieuses, c’est de laisser derrière vous tout ce qui est perçu et compris, tout ce qui est perceptible et compréhensible, tout ce qui n’est pas et tout ce qui est, et la compréhension ainsi mise de côté, d’aspirer à vous élever autant que possible vers l’union avec Lui qui se situe au-delà de toute existence et connaissance (135). Le ‘’Nuage d’Inconnaissance’’ décrit deux stades essentiels de la vie chrétienne, le stade actif et le stade contemplatif. La vie chrétienne active, où l’on agit et où l’on pense est bonne, mais ‘’inférieure’’ à la vie contemplative. La raison vise le salut par le biais de l’étude de livres et de sermons spirituels, par l’accomplissement de prières apprises et par la soumission aux rituels de l’Eglise (1973, 85). C’est là la Marthe de l’Evangile de Luc 10 : 38-42, qui veut agir pour Jésus. L’âme intermédiaire, qui se situe entre l’action et la contemplation, entreprend de cultiver une orientation méditative ‘’plus intérieure, vivant à partir de ses propres profondeurs’’. La contemplative avancée (par exemple, Marie qui s’occupait seulement de la présence de Jésus dans l’histoire de Luc 10) ‘’se tourne vers Dieu avec le désir brûlant de Lui uniquement et repose dans la conscience ‘’aveugle’’ de son Etre nu, sans pensées, ni paroles, même au sujet de Dieu (1973, 94). Ceci ressemble à ce que David R. Hawkins décrit comme ‘’un abandon de la volonté à un niveau profond’’ (correspondance avec l’auteur, 2007). Par ce vidage (‘’l’oubli de soi-même’’) et cette ‘’pureté d’intention’’, on transcende la nature et on est élevé par la Grâce jusqu’au ‘’Nuage d’Inconnaissance’’. L’âme avancée jouit d’une connaissance ‘’intuitive’’ et d’une ‘’certitude secrète’’ – ‘’sans intervention de la pensée analytique’’ (1973, 94). Même s’il est ‘’louable de réfléchir à la bonté de Dieu’’, selon le Nuage d’Inconnaissance, ‘’il est nettement meilleur de permettre à votre esprit de reposer dans la conscience de Lui (Dieu) dans Son existence nue’’ (1973, 54).5 Jean Tauler, le prédicateur mystique catholique médiéval fait référence aux étapes progressives de la vie spirituelle. Dans ses sermons, il décrit deux ‘’types’’ de chrétiens qui sont touchés par la nostalgie de Dieu : les premiers ‘’asphyxient’’ leur désir en essayant de Le ‘’comprendre’’ avec les ‘’idées’’ et les ‘’techniques’’ de la raison naturelle et les seconds qui se sont ‘’désencombrés’’ de leurs idées propres se permettent ‘’de tomber dans Ses bras affectueux’’, étant ‘’morts à eux-mêmes’’ (1985, 46-47). Le ‘’sommet’’ de l’ascension de l’âme est, paradoxalement, la ‘’divine abîme’’ où Dieu ‘’se réjouit dans Son Etre propre’’, alors que ‘’l’âme oublie son être propre’’ et permet la mort de l’ego/moi comme source de son existence, en s’unissant à l’Etre sans nom, qui ne figure sur aucune carte et sans aucun chemin (1985, 94).6 Jean Climaque, l’ancien ascète du désert si influent de l’Eglise orthodoxe d’Orient place l’Amour sur l’échelon le plus élevé de son échelle de l’ascension divine, parce que Dieu est Amour et l’âme qui recherche Dieu doit donc le faire en aimant (Climacus, 1982). Sur la Carte de la Conscience conçue par le Dr David R. Hawkins, l’énergie de l’Amour se situe au-delà de celle de la raison. Dans le domaine de l’Amour, il y a un transfert de l’action extérieure au renoncement intérieur, puisque ‘’l’intention spirituelle passe maintenant au lâcher-prise, comme si on flottait sur l’eau plutôt que s’agiter en tous sens ou de nager’’ (2006, 61). Dans l’Amour, le focus passe des tâches intellectuelles de la collecte de données et des spéculations théologiques à être tout ce qui est connu : ‘’Faites don de votre vie et 5 Le lecteur ou la lectrice trouvera peut-être intéressant d’établir une comparaison avec ‘’Les quatre étapes du voyage vers Dieu’’ de Sathya Sai Baba qui évoque une progression assez similaire dans l’optique de la culture indienne, NDT. 6 Cela me fait songer au premier chapitre du Tao Te King : Le Tao n’est pas une voie qui peut être montrée, Ni un concept qui peut être défini. Le Tao est la totalité originelle indéfinissable. Les concepts créent l’apparence des choses séparées. Toujours caché, il est l’essence mystérieuse. Toujours manifeste, il est les apparences extérieures. Essence et apparence sont identiques. Seuls des concepts les séparent. Mystifié ? Le Tao est mystère. Ceci est la porte de la compréhension. (Timothy Freke, Le Tao Te King de Lao Tseu), NDT. élevez toute l’humanité en faisant preuve de bonté, de considération, de pardon et de compassion, à tout moment, en tout lieu et en toutes conditions à l’égard de tout le monde, comme de vous-même’’ (2001, 257). Le niveau de l’amour inconditionnel décrit la personne qui aime réellement chaque chose et tout le monde sans condition et cet amour n’est pas personnel : ‘’Le désir existe alors d’utiliser notre état de conscience pour le bénéfice de la Vie plutôt que pour des individus particuliers’’ (2001, 256). Hawkins emploie le mot ‘’extase’’ pour dénoter le niveau le plus élevé de l’amour en bordure de l’état de non-dualité, de paix, d’union et d’Illumination. Dans cet état d’extase, l’âme vibre du désir intense de s’unir à l’Un, au Bien-Aimé. Le courant sous-jacent du dualisme (amant - Bien-Aimé) fusionne à l’instant de l’union ou de l’Illumination et alors, il n’y a plus de chercheur individuel ou de dévot. On est devenu l’Amour Lui-même. Pour les niveaux au-delà de l’Amour, la Carte de la Conscience esquisse la rare progression du mystique dans plusieurs niveaux de non-dualité. Hawkins décrit les gradations de l’Illumination avec un souci du détail qui conduit l’érudit à conclure qu’Hawkins a luimême fait l’expérience de ces niveaux, à tout le moins à un certain degré. Si l’on considère les ‘’stades’’, les ‘’étapes’’ et les ‘’échelles’’ historiques des divers mystiques, il apparaît clairement que l’on ne peut pas dessiner une carte d’un lieu où l’on n’a pas été. D’après la Carte de la Conscience d’Hawkins, les niveaux de non-dualité progressent depuis l’Illumination initiale voyant Dieu/la Réalité comme Etreté à l’état d’autoréalisation, au royaume du vide (sans-forme) et enfin, à la totalité de la Réalité infinie : Réaliser le Soi, c’est connaître le Dieu immanent, ce qui s’accorde avec l’enseignement du Christ d’après lequel le Ciel est en nous. Historiquement, on a également fait référence à la Réalité infinie et éternelle, comme à la Nature de Bouddha, à la Conscience christique, au Suprême, selon Krishna, etc. (2003, 23). Pour le mystique, selon Hawkins, ‘’il est tout à fait clair et évident que Dieu est à la fois et simultanément immanent (en tant que Soi) et transcendant (le Suprême). L’emploi de l’expression ‘’à la fois’’ est une commodité sémantique, puisque ‘’à la fois’’ implique deux états différents, alors qu’en réalité, Dieu est une unité totale, et les termes ‘’immanent’’ et ‘’transcendant’’ sont des catégories de perception et de mentalisation non représentatives de la Réalité’’ (2003, 87-88). Des concepts comme l’immanence et la transcendance sont des tentatives pour décrire les qualités de Dieu, alors que l’expérience réelle de Dieu révèle que tous les concepts sont seulement partiellement vrais. Hawkins écrit à partir de sa propre expérience : ‘’La Réalité efface tout fonctionnement mental. Aucun concept n’est possible dans la Lumière infinie de la Gloire de Dieu’’ (2003, 94). 5. LA CERTITUDE DE LA RÉALISATION DIVINE Voici le paradoxe du mystique : reconnaître que l’on ne sait rien ouvre la porte pour tout connaître et le connaître avec une éternelle certitude. Ste Thérèse d’Avila déclare : [Dans l’union, il y a] une certitude qui demeure dans l’âme et qui ne peut être mise là que par Dieu…Et si quelqu’un n’a pas cette certitude, je dirais alors que ce qu’il a expérimenté n’est pas l’union de toute l’âme avec Dieu (2004, 87-88). Hawkins confirme la vérité de la déclaration de Thérèse : ‘’La Révélation est une Révélation d’une gloire éblouissante qui efface toute pensée’’ (Correspondance avec l’auteur, 2007). Maître Eckhart, le mystique médiéval dit : ‘’On voit comme Dieu voit’’ (Ladinsky, 2002, 120). Pour toute personne religieuse ordinaire, une telle proclamation pourrait paraître dogmatique, élitiste, orgueilleuse et autoritaire, mais pour le mystique, il s’agit d’une vérité intérieure inconditionnelle et d’une Illumination incontestable – même face à la mort, comme nous l’avons vu avec Marguerite Porete et Al-Hallaj. Hawkins explique : L’état est inconditionnel, ainsi, sa verbalisation l’est aussi ; il est libre du doute et de dépendances extérieures. La raison en est que la connaissance émane du royaume de l’Essence plutôt que de l’apparence et elle est donc libre de conditionnels, tels que paraître ou sembler… Sans comprendre cet état, certaines déclarations faites par un sage pourraient être identifiées à tort comme dogmatiques ou autoritaires, ce qu’elles ne sont pas (2006, 176). Paradoxalement, l’incontestabilité du propre état du mystique comme étant un avec la Vérité s’accompagne d’une humilité absolue par rapport à la vie des autres. La certitude est là, mais sans dogmatisme. Thérèse d’Avila le confirme : ‘’Il n’y a aucune raison que nous nous attendions à ce que tout le monde suive notre propre chemin et nous ne devrions pas tenter de leur indiquer la voie spirituelle….Le Seigneur prendra soin des siens’’ (2004, 49-50). Térèse et l’auteur du Nuage d’Inconnaissance mettent en garde contre tout ‘’zèle inapproprié’’ et tout effort motivés par la vanité de vouloir appliquer ‘’la loi de Dieu en déracinant le péché du cœur d’autrui.’’ L’auteur du Nuage d’Inconnaissance dénonce une telle ‘’supervision’’ des autres pour ‘’l’amour de Dieu’’ comme un ‘’mensonge’’, car il s’agit plutôt du ‘’feu de l’enfer dans son cerveau et son imagination’’ qui l’incitent à ‘’s’arroger le droit d’admonester les autres.’’ Ces dogmatistes n’ont aucun ‘’flair spirituel’’ et sont incapables d’un discernement authentique (Cloud, 1973, 119-120 ; Avila, 2004, 19). Le mystique authentique ne prend aucun intérêt à convertir les autres. Un tel but serait le fruit d’une conviction que les autres ne sont pas là où ils devraient être, ce qui s’oppose à la certitude du mystique que ‘’le monde est parfait tel qu’il est’’, ce qui inclut sa souffrance (Hawkins, 2003, 209). Les mystiques voient souvent la souffrance comme le moyen de croître spirituellement. Marguerite Porete dit que la raison est choquée, lorsqu’elle révèle sa conscience que la souffrance ‘’est le moyen par lequel il (son ‘’prochain’’) arrivera à la porte de son salut.’’ Le caractère de la raison va même jusqu’à dire que Porète est une ‘’pècheresse’’ pour affirmer qu’il y a un bénéfice à souffrir (1993,186). Le mystique a abandonné toute opinion et toute volonté personnelle de vouloir changer le monde et les autres, car un tel point de vue supposerait que l’on sache mieux que Dieu, alors que Dieu voit toute la création comme déjà parfaite. Ainsi, selon Hawkins, il n’y a aucune prétention à caractère exclusif qui serait la base pour chercher à convertir ou changer les gens : ‘’Dieu ne fait preuve d’aucun favoritisme, ni d’aucune exclusivité…Chacun est déjà ‘’l’élu de Dieu’’… L’amour de Dieu est absolu et inconditionnel’’ (2003,107). Les mystiques se proposent souvent pour être des canaux de paix dans le monde. C’est une approche différente de celle de l’activiste qui travaille pour ‘’changer le monde’’. Le mystique est un simple ‘’crayon dans les mains de Dieu’’, comme Mère Teresa l’a souvent dit. La certitude du mystique provient d’une révélation intérieure : ‘’La vérité attend d’être découverte à l’intérieur’’ (Hawkins, 2003, 347). La révélation se produit par l’expérience et pas par l’argumentation discursive. Parce qu’ils déclarent que Dieu est à l’intérieur, les mystiques sont souvent condamnés de leur vivant par les théologiens et par les érudits. On peut comprendre une telle hostilité, si l’on se souvient que la plupart des doctrines ont souligné que Dieu et la Réalité sont transcendants. Hawkins considère avec compassion les condamnateurs : ‘’La personne moyenne, y compris la personne religieuse, se sent tellement séparée de Dieu que la possibilité que Dieu puisse être connu expérientiellement paraît incroyable’’ (2003,16). En dépit des préjugés doctrinaux contre la conscience subjective, Tauler exhortait ses auditeurs à faire l’expérience de Dieu en eux plutôt que de se contenter de faire des études sur Dieu : ‘’Ainsi, laissons les discours érudits aux savants, mais vous, vous devriez permettre à la Sainte Trinité de naître au cœur de votre âme, non pas en usant de la raison humaine, mais en Essence et en Vérité, non pas en mots, mais en Réalité’’ (1985, 104). Tauler confirme que ‘’la raison naturelle procure une telle satisfaction que les plaisirs du monde ne sont rien comparés à elle’’, tout en mettant en garde que celle-ci n’est pas ‘’la vraie lumière’’ et qu’elle maintient les gens dans des ‘’ténèbres éternelles’’ (1985,52). Al- Ghazali distingue la lumière de la raison humaine de la ‘’Lumière que le Dieu Très-Haut a placé dans mon sein’’ (2000, 23). L’âme qui a atteint le niveau de la raison a non seulement maîtrisé les pulsions charnelles les plus basses ou les plus basiques, mais elle a également perfectionné la pratique des vertus et transcendé ce que le Père Thomas Keating appelle ‘’les programmes émotionnels du bonheur’’ enfantins et puérils qui poussent des âmes moins matures à rechercher l’estime, la sécurité, le pouvoir et l’affection en dehors de soi (2005, Disc 1). La description de Ste Thérèse d’Avila de la troisième demeure est appropriée ici. Dans la troisième demeure, les personnes ‘’ont vécu une vie droite et soigneusement ordonnée dans leur âme et dans leur corps’’ (2004, 38-39). Cependant, la limite de ceux et de celles qui se situent au niveau de la raison, c’est de s’imaginer que leur position privilégiée spécifique est tout le panorama, c’est la présomption de ‘’savoir’’ plutôt que de ‘’ne pas savoir’’. Par exemple, Thérèse se plaint qu’il est inutile d’offrir des conseils à ceux et à celles qui sont dirigés par la raison, puisqu’ ‘’ils pratiquent la vertu depuis tellement longtemps qu’ils croient être capables d’enseigner aux autres’’ (2004, 42). Tauler décrit les ‘’gens raisonnables’’ comme étant ignorants de la réalité spirituelle avancée et comme étant déroutés par la joie et par la paix de Dieu : ‘’Nous sommes devenus ‘’ivres’’, l’état de la ‘’jubilation’’. Parfois, celui qui est dans cet état se mettra à crier, à chanter ou à rire et alors arrivent des ‘’gens raisonnables’’ qui ignorent tout en dehors de l’ordre naturel et qui s’exclament : ‘’Pourquoi faire des histoires d’une manière aussi ridicule ?’’ …Parce que l’amour brûle en eux, les embrase, les illumine et les consume de félicité’’ (1985, 58).7 En fait, il dit même dans un autre sermon que de nombreux chrétiens sont ‘’prisonniers’’ de leur ‘’raison naturelle’’ et qu’ils ‘’gâchent tout ce qui est spirituel en l’abaissant au niveau de la faculté du raisonnement.’’ Pas du tout conscients de leur extrême banalité pour le mystique, ils se donnent de grands airs parce que, quoi qu’il arrive, ils l’interprètent rationnellement et glosent dessus, ce qui accroît fortement leur propre estime…Il y a une grande différence entre ceux et celles qui vivent les Ecritures et ceux et celles qui se contentent juste de les étudier…’’ (1985, 70-71). Dans la même veine, Rumi remarque qu’il y a ceux qui sont devenus une Ecriture tellement vivante (‘’le Coran est devenu l’essence de leur esprit’’) qu’il est tout simplement pareil d’être avec eux et étudier l’Ecriture même (Rumi, 1998, 36). La vie de Rumi illustre parfaitement la différence entre la connaissance théorique et la certitude mystique. C’était un professeur de théologie très savant et Shams était un derviche mystique errant. Soudain, Shams apparut sur la place du marché et posa une question à Rumi qui l’arracha à son érudite sobriété et le plongea dans l’ivresse tourbillonnante d’une poésie qui remua son cœur. Shams était un feu 7 Si le lecteur ou la lectrice veut davantage d’exemples, il ou elle pourra consulter ‘’Le parfum du désert’’, d’Andrew Harvey, une anthologie de textes soufis qui regorge de petites pépites, NDT. vivant et le cœur de Rumi s’alluma à son contact. Shams lui dit : ‘’L’intellect te conduit jusqu’au seuil, mais il ne te fait pas entrer dans la maison.’’ Il expliqua : ‘’Celui qui est de plus en plus savant s’éloigne du but. Plus sa pensée devient abstruse, plus il s’éloigne du but. C’est l’œuvre du cœur, et pas de la tête’’ (Shams iTabrizi, 2004, 39, 36). La différence entre le savoir théorique et la vérité mystique est évidente pour l’écrivain soufi Ibn’ Abbad, mais il reconnaît que les chercheurs projettent souvent et erronément sur un maître une réalisation intérieure profonde, simplement parce qu’il maîtrise un savoir conceptuel et théorique : ‘’Ces individus que beaucoup de gens considèrent actuellement comme ayant une connaissance intime sous sa forme la plus aboutie manipulent en fait des hypothèses et un savoir formel qui n’ont rien à voir avec la Vérité mystique’’ (1986, 70). Il éclaire la supériorité de la certitude du mystique par rapport au raisonnement analogique du savant : ‘’Au cœur de la première voie, nous avons la recherche de preuves de l’intellect et son incapacité à comprendre, sinon par un genre de raisonnement analogique…Mais la seconde voie repose dans la lumière de la certitude par laquelle seule la Vérité limpide est manifeste. C’est la chose la plus sublime qui peut descendre du Ciel dans les cœurs des fidèles élus qui comprennent ainsi la vérité mystique des Attributs et des Noms (1986, 62). Hawkins remarque qu’au moment où les chercheurs arrivent à l’étude théologique, ils sont déjà ‘’érudits’’, car ils ont accumulé beaucoup d’informations sur Dieu dans leur mental. Cependant, fondamentalement, la structure de l’ego demeure intacte et se raffine en fait, parce que dans notre société, on est formé de manière à ce que pour atteindre un but, il faut simplement étudier davantage’’ (2003, 32-34). Des études supérieures de théologie pourront renforcer l’ego plutôt que le démanteler, dit l’auteur du Nuage d’Inconnaissance, aussi exhorte-t-il à ‘’rechercher l’expérience plutôt que les connaissances. En raison de l’orgueil, les connaissances peuvent te tromper, mais cette affection douce et aimante ne te trompera pas. Les connaissances ont tendance à engendrer la suffisance, l’amour édifie. Les connaissances sont pleines de labeur, l’amour est plein de repos’’ (1973, Book of Privy Counseling, 88-89). Hawkins est d’accord sur le fait que ‘’le moi illusoire se propage’’ en essayant d’en apprendre sur les choses ou de comprendre les choses ; de telles études solidifient le moi plutôt qu’elles ne le dissolvent. Il est nécessaire de cesser d’en apprendre sur la Réalité et de ‘’devenir’’ la Réalité. Ellen Babinsky, la traductrice du livre de Porete, identifie le problème pour l’âme ‘’malheureuse’’ qui sait qu’il y a des royaumes supérieurs au-delà de l’effort mental ou moral : ‘’Plus ces âmes s’engagent dans les pratiques spirituelles enseignées par la raison et par les vertus et plus elles aspirent à un meilleur moyen qu’elles croient être au-delà de leur portée. Plus elles pratiquent la présence à Dieu par l’entremise de messes, de sermons, du jeûne, de prières et de tout type de sacrifice de soi, et plus Dieu leur paraît absent…La détresse de la vie spirituelle de l’âme malheureuse agrandit le lieu où l’Amour divin peut conduire l’âme à la vie spirituelle meilleure à laquelle elle aspire (2003,40). Quand l’âme réalise que la réponse n’est pas ‘’plus d’informations’’ ou ‘’plus de travail spirituel’’, mais plutôt un dépouillement, elle arrive alors à la maturité nécessaire. Al- Ghazali cite le Prophète Mahomet sur l’importance d’agir diligemment à son niveau et alors, il sera donné plus : ‘’Celui qui agit en accord avec ce qu’il sait, Dieu le fera héritier de ce qu’il ne sait pas’’ (Al-Ghazali, 2000, 63). A ce moment-là, la Grâce (ce que Porete appelle l’Amour divin) est disponible par tout moyen qui est approprié pour le chercheur, souvent par le contact d’un Maître éclairé ou d’un mystique avancé qui fournit le contexte de l’expérience intérieure à laquelle aspire le chercheur, par une transmission catalytique silencieuse : Un Maître réellement éclairé transmet via l’aura un contexte d’une énergie élevée qui éclaire et qui active le contenu de l’étudiant, du corps mental aux corps spirituels supérieurs. La lumière de l’Illumination du Maitre transmet l’activation nécessaire par le pouvoir de la Grâce pour faciliter la transformation de données intellectuelles à l’expérience personnelle subjective (Hawkins, 2003,32-33). Un tel ‘’rayonnement’’ s’accompagne souvent de la faculté remarquable d’un mystique de voir à l’intérieur de ‘’l’âme’’ ou du soi profond des autres, ce qui n’est permis par la Divinité/Réalité que parce que.la présence de l’amour inconditionnel du mystique voit l’innocence d’autrui. Paradoxalement, se dépouiller de la raison permet à la Connaissance omniprésente d’émerger et l’Esprit universel remplace le mental égoïque. L’auteur du Nuage d’Inconnaissance décrit le rayonnement visible du contemplatif avancé qui ’’apparaît adorable à contempler’’ et qui a la capacité psychique de ‘’discerner le caractère et le tempérament des autres, si nécessaire’’ (1973, 117). 6. CONCLUSION : LE RAYONNEMENT DE L’AMOUR ÉLÈVE LE MONDE Les références au rayonnement, à l’aura ou à la transmission peuvent provoquer de la suspicion, mais des pèlerins de toutes les religions ont, tout au long de l’histoire, senti intuitivement le rayonnement de l’énergie élevée des saints et des mystiques – même décédés (reliques).8 Les mystiques paraissent conscients d’un tel impact ou d’une telle ‘’transmission’’ et cette conscience les a souvent conduits à consentir à être accessibles aux autres par le contact physique, le darshan, les enseignements publics et les écrits. Ils sentent intuitivement ou savent que l’énergie d’amour inconditionnel et de paix imperturbable qui a remplacé leur moi identitaire ordinaire élève le reste du monde. On pourrait se demander à quoi ressemblerait le monde sans la présence de ses saints, sages, mystiques et avatars… C’est comme si leur unité avec l’Infini rendait possible de prendre sur eux ou d’assumer la souffrance et la négativité des autres9. Jean Tauler peint un tableau spectaculaire de l’élévation globale, intemporelle, générée par l’être qui a réalisé Dieu, qui ‘’annihile la culpabilité accumulée des hommes depuis le commencement du monde’’ et qui est devenu un ‘’pilier qui soutient le monde’’ (1985, 73). Hawkins affirme que la présence de même un petit groupe de gens dont la réalité intérieure est l’amour inconditionnel et la joie l’emporte sur la négativité de la haine, de la peur, de l’apathie, de l’avidité et de l’orgueil qui opèrent généralement dans le monde. Chaque chose est connectée à tout le reste et donc, le moyen d’alléger la souffrance globale, c’est se consacrer à un travail intérieur persévérant : ‘’Nous changeons le monde, non pas par ce que nous disons ou ce que nous faisons, mais en conséquence de ce que nous sommes devenus’’ (2001, 69). Aussi le chemin du mystique sert-il l’ensemble de l’humanité par son acharnement à transcender toute illusion de séparation et à devenir un avec l’Amour infini. L’unité de l’Amour infini dissout la division dualiste qui est inhérente à la raison qui postule un ‘’ceci’’ connaissant un ‘’cela’’. La certitude rayonne, quand le Connaissant se révèle sous la forme du connu. Ibn ‘Arabi, un grand Maître du soufisme du 12ème siècle faisait souvent référence à l’enseignement coranique qui dit que ‘’celui qui se reconnaît lui-même reconnaît le Seigneur.’’ Selon lui, les êtres humains vraiment réalisés sont ceux qui ont une connaissance directe – et non théorique – du Réel que l’on peut découvrir à l’intérieur : 8 En ce qui concerne ces deux points, le lecteur et la lectrice peuvent se référer aux deux articles déjà mentionnés, ‘’L’aura de la divinité’’, de Frank G. Baranowski et ‘’Sai Shiva nous emmène au Kailash et à Manasarovar’’, de Ramesh Agraharam, NDT. 9 Le lecteur et la lectrice pourront découvrir différents exemples et des cas variés dans mon anthologie déjà mentionnée, ‘’Médecins, médecine, miracles et Sai Baba’’ – Pierre-Albert Hayen, NDT. ‘’Tous les [Noms divins’’] se rapportent à un seul Nommé et à une Essence unique. Ce Nommé était l’objet de ma contemplation et cette Essence était mon Etre même. Mon voyage n’avait lieu qu’en moi-même et c’est vers moi-même que j’étais guidé. Et c’est à partir de cela que je sus que j’étais un serviteur à l’état pur, sans qu’il y eût en moi la moindre trace de souveraineté’’ (Chittick, 2005, 25). Ste Thérèse d’Avila, chérie pour les doutes qui l’assaillaient, termine néanmoins son chefd’œuvre sur la vie spirituelle, ‘’Le Château Intérieur’’, avec une description sans équivoque de la septième demeure qui émane de la certitude d’en avoir fait l’expérience : L’âme ‘’s’unit à Dieu’’ et demeure dans l’état du ‘’silence le plus profond’’ où prévaut une ‘’certitude inébranlable’’ (2004, 224, 226, 229). Dieu est connu empiriquement. Il ne reste plus rien à étudier ‘’sur’’ Dieu, puisque la recherche de la raison s’est accomplie dans la Réalisation effective et expérientielle de Dieu. De même, Porete est certaine qu’elle n’a besoin de rien d’autre. Après s’être unie à Dieu, ‘’une telle dame ne recherche plus Dieu…Il ne lui manque plus rien’’ (1993, 174). Elle n’a plus besoin de traités érudits et ‘’ne veut plus rien qui arrive par un intermédiaire’’ (1993, 83). Après avoir atteint la paix suprême et s’être dissoute dans le Bien-Aimé, la quête est terminée et d’autres études sont hors de propos. Tout ce qu’il peut encore y avoir, c’est un partage de soi-même avec le monde – si quelqu’un écoute. RÉFÉRENCES Al-Ghazali. (2000). Deliverance from error. Louisville, KY: Fons Vitale. Babinsky, E.L. (2003). Christological transformation in The Mirror of Souls by Marguerite Porete. Theology Today 60, 34-48. Climacus, J. (1982). Ladder of divine ascent. New York: Paulist Press. Cloud of unknowing and book of privy counseling. (1973). New York: Doubleday. Chittick, W. (2005). Sufi doctrine of Rumi. Bloomington, IN: World Wisdom. ________. (2005). Ibn ‗Arabi: heir to the prophets. Oxford: Oneworld. Coward, H. (2002). Yoga and psychology. Albany: SUNY, 2002. Forman, R.K.C. (1998). The innate capacity: mysticism, psychology, and philosophy. New York: Oxford University Press. Grace, F. (2011a). From content to context to contemplation. In J. 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