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et met sa main dans la sienne.
Cest aussi l’instant précis
Élisabeth comprend quelle
est vraiment enceinte : en
sentant l’enfant « tressaillir »
dans son ventre.
Pour signifier la grossesse
des deux femmes, l’artiste ne
se contente pas de faire gonfler
les deux robes ; il a recours à
un procédé fréquent dans le
monde germanique aux XIVe
et XVe siècles qui consiste à
montrer les fœtus. Soit ils
sont placés dans des niches
évidées sensées représen-
ter l’intérieur de l’utérus des
deux femmes, soit, comme
ici, ils sont posés devant les
ventres maternels en posi-
tion extra-utérine.
Figurés comme des homon-
cules, ces fœtus sont des
modèles réduits d’adultes
à l’époque, on ignore tout du
développement anatomique
de l’embryon et du tus. Le
petit Jean-Baptiste est age-
nouillé devant Jésus qui le
bénit : cette posture signifie
quil nest que le « Précurseur »
du Christ et qu’il le reconnaît
comme son maître ; devenu
adulte, il dira qu’il n’est pas
digne de « délier la courroie
de ses chaussures ».
A la fin du Moyen Age, la
fortune du thème des gros-
sesses transparentes, attes-
tée par de nombreuses minia-
tures, peintures, sculptures,
s’explique par le besoin d’une
piéplus familre. Au cœur
de la méditation sur l’Incarna-
tion, chère à la nouvelle devo-
tio moderna, la personne de
Marie est particulièrement
nérée, notamment chez les
femmes, dans ses aspects les
plus intimes. C’est le cas pour
sa grossesse, deuxme de ses
cinq mystères joyeux1. Cette
grossesse sacrée est à lhon-
neur au moment de la te
de la Visitation, initiée par
les Franciscains au XIIIe siè-
cle, puis célébrée par toute
l’Église à partir de 1389.
Les dernières Visitations
« avec embryons » sont peintes
au début du XVIe siècle, mais
dès le XVe siècle les théolo-
giens les plus éminents les ont
condamnées. En 1545-1563,
le concile de Trente itère
ces condamnations au nom
de la théologie, mais aussi
de la décence. Les représen-
tations de Vierges encein-
tes, d’Annonciations ou de
Visitations avec embryons
disparaissent donc au cours
des XVIe et XVIIe siècles, au fur
et à mesure que progresse la
Contre-Réforme.
Peut-on ainsi
montrer les femmes
enceintes ?
A Zadar, en Croatie, un
tableau de l’église Saint-Jean
montrant une Visitation avec
un saint Jean-Baptiste gam-
badant de joie dans le ventre
de sa mère, bien que vénéré
par les fidèles particulière-
ment par les femmes encein-
tes , qui lui attribuaient des
miracles, a été brûlé, sur ordre
de l’évêque, après le concile
de Trente.
En 1957 encore, l’historien
d’art Louis Réau jugeait incon-
venantes ces anciennes ico-
nographies de la Visitation :
« Par malheur l’art réaliste du
déclin du Moyen Age […] a
complaisamment souligné
la grossesse des deux fem-
mes et montré leurs enfants à
l’état d’embryons visibles “in
utero”. […] On n’imagine rien
de mieux que de montrer deux
matrones se palpant l’abdomen
pour sassurer réciproquement
de leur grossesse. […] Ce nest
pas tout. Comme si ces préci-
sions nétaient pas suffisan-
tes, on en vient à représenter
les deux enfants visibles dans
le ventre évidé ou transparent
de leurs mères. La responsa-
bilité de cette aberration du
goût ne doit pas être imputée
à l’art occidental de la fin du
Moyen Age. Lorigine orien-
tale de ce thème […] n’est pas
douteuse2. »
Il est intéressant de voir
comment un grand intellec-
tuel comme Louis Réau reste
tributaire des préjugés de
son temps à propos des fem-
mes enceintes : elles doivent
se montrer le moins possible
dans l’espace public et l’art
NOTES
1. Les quatre
autres mystères
joyeux sont
l’Annonciation,
la Nativité, la
Purification, et
les Retrouvailles
avec Jésus au
Temple.
2. L. Réau,
Iconographie de
l’art chrétien,
tome II, 2, PUF,
1957, pp. 199-
200.
3. Ainsi, dans
les icônes
byzantines, la
scène de la
Visitation avec
les deux fœtus
est représentée
tardivement,
aux XIVe et
XVe siècles,
surtout en Crète
et à Chypre
glise Sainte-
Croix à
landri) : il est
probable que
c’est l’influence
occidentale
apportée par
la colonisation
qui est à
l’origine de ces
représentations.
M AT H É M AT I Q UE S
2 a ses raisons
La racine carrée de 2, notée 2, compte parmi les nombres qui ont fasci les
mathématiciens, mais aussi les philosophes ou les architectes. Dans un livre récent,
Benoît Rittaud nous raconte son histoire, qui commence il y a quatre mille ans*.
Benoît Rittaud
Maître de conférences à
l’université Paris-XIII
L
es nombres sont pro-
bablement les objets
mathématiques qui
exercent le plus grand pou-
voir de fascination hors des
cercles spécialisés. Le plus
célèbre d’entre eux est le nom-
bre pi (π), mais le Panthéon des
nombres est rempli d’autres
merveilles. La racine carrée
de 2, notée 2 et dont la valeur
approche 1,414, est de celles-
là, à la fois pour ses propriétés
mathématiques et pour l’inté-
t qu’elle a suscité dans des
domaines comme la philoso-
phie ou l’architecture.
Lhistoire connue de la
racine carrée de 2 débute il y
a quatre mille ans, lorsqu’un
scribe babylonien représente
sur une tablette d’argile un
carré et ses deux diagona-
les, assortissant son dessin
de valeurs dont l’une corres-
pond au rapport de la diago-
nale au côté (ci-contre). Cest
NOTE
* B. Rittaud, Le
Fabuleux Destin
de √2, Le
Pommier, 2006.
Tablette babylonienne, 2000 av.
Cdfssfn IM/Khdsfsdfdsfsdfbor
J.-C.
ACTUALITÉ
L’HISTOIRE N° 308 AVRIL 2006
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ce rapport que nous appelons
la racine carrée de 2. Le scribe
en donne une évaluation au
dix-millième près, ce qui est
tout à fait remarquable : aucun
autre nombre ne sera calcu
avec une telle précision avant
plusieurs millénaires.
Cest en Gce antique,
probablement au IVe ou au
Ve siècle avant notre ère,
quest démontrée l’une des
caractéristiques mathémati-
ques les plus essentielles de
la racine carrée de 2 qui est
d’être un nombre « irration-
nel ». Autrement dit, il n’est
pas possible de trouver deux
entiers dont la division de l’un
par l’autre égale 2 les Grecs
formulaient le phénomène de
façon assez différente, bien
quéquivalente.
Lorigine de la démonstra-
tion de ce résultat est nimbée
de mystère, certains auteurs
comme Jamblique , un philo-
sophe néo-platonicien du IIIe-
IVe siècle, rapportant même
qu’une punition divine aurait
frappé le pythagoricien qui
aurait divulgué cette décou-
verte ! Sans aller jusque-là,
il est permis de penser que
la démonstration de l’irra-
tionalité de 2 a joué un rôle
important dans l’avènement
de la science grecque, car elle
a sans doute été l’une des tou-
tes premières monstrations
mathématiques de l’histoire,
voire la première.
La raison en est que la struc-
ture même de la question de
l’irrationalité rend impos-
sible le recours à une quel-
conque intuition géométri-
que ou numérique et oblige
à produire un raisonnement
abstrait. Rien détonnant,
donc, à ce que Platon aussi
bien qu’Aristote y revien-
nent si souvent : le fait que
« la diagonale est incommen-
surable au côté » est cité plus
d’une trentaine de fois dans
l’œuvre du second.
En architecture, les réfé-
rences à la racine carrée de
2 remontent à larchitecte
romain Vitruve, au Ier siècle
avant notre ère. Outre divers
intérêts pratiques, lauteur
de lArchitecture ou art de
bien tir accorde au rap-
port entre le côté et la dia-
gonale du carré un intérêt
esthétique que reprennent à
leur compte les plus grands
architectes de la Renaissance
italienne, de Leon Battista
Alberti à Andrea Palladio,
en passant par Francesco di
Giorgio Martini ou encore
Sebastiano Serlio.
Palladio, pour ne donner
qu’un exemple, explique au
chapitre VI du livre II de ses
Quatre livres de l’architecture
que lors de la construction
du couvent de la Charité, à
Venise, il a eu recours au rap-
port de la diagonale au côté
du carré.
Larchitecture étant
« science des proportions », il
n’est certes guère étonnant
d’y trouver fréquemment des
rences aux nombres et aux
rapports entre nombres. La
présence de la racine carrée
de 2 n’en est pas moins éton-
nante. A l’époque, tout ce qui
touche à l’harmonie des pro-
portions est, dans une tradi-
tion qui remonte aux pytha-
goriciens, affaire de rapports
rationnels. Si l’on en croit l’his-
torien Rudolph Wittkower,
la racine carrée de 2 serait
même le seul rapport irra-
tionnel à avoir été largement
utilisé par les architectes de
la Renaissance (contraire-
ment à une légende tenace
selon laquelle ils auraient
utilisé le « nombre dor »,
(1+5)/2).
Le format de papier
A4 utilise les propriétés
de 2
Bien après la Renaissance,
on retrouvera cette proportion
tout à fait identifiable aussi
bien sur la façade de la mai-
rie de Tizi-Ouzou, en Algérie,
que dans l’architecture de
l’université de Virginie, con-
çue par le président américain
Thomas Jefferson.
Les architectes ne sont pas,
loin s’en faut, les seuls à s’être
servis de la racine carrée de
2. Savez-vous qu’à chaque fois
que vous prenez une feuille
de papier de format ordinaire
(21×29,7), vous avez affaire à
un rectangle dont le rapport
de la longueur à la largeur est
aussi voisin que possible de
2 ? Proposé par l’Allemand
Georg Christoph Lichtenberg
en 1786, c’est en France que
ce type de format a éléga-
lisé pour la première fois, en
1798, en raison de ses nom-
breux intérêts pratiques liés
à une propriété particulière :
en pliant en deux un tel rec-
tangle dans le sens de la lon-
gueur, on obtient un rectan-
gle deux fois plus petit et dont
le rapport de la longueur à la
largeur est toujours le même,
égal à 2. Entre autres cho-
ses, cela permet de simpli-
fier la fabrication du papier
et d’économiser de la place
lors du stockage de papiers
de tailles difrentes.
Un autre argument, à l’épo-
que, était le prix du timbre
fiscal de certains documents
tels que les actes judiciaires.
Il est raisonnable et objec-
tif de fixer le prix du timbre
(sous-entendu : fiscal) d’un
acte en fonction de la taille
de la feuille nécessaire à sa
rédaction. Les difrents
formats en vigueur à l’épo-
que n’étant pas dans des rap-
ports d’aires simples, les prix
des difrents timbres man-
quaient de cohérence. Utiliser
un format rectangulaire dans
lequel le rapport de la lon-
gueur à la largeur est de 2
simplifie les choses.
Jamais appliquée et rapi-
dement tombée dans l’oubli
en France, cette excel-
lente idée a été retrouvée
en Allemagne au XIXe siè-
cle par Wilhelm Ostwald
puis Walter Porstmann. La
norme qui fixe nos formats
de papier actuels a été adop-
tée en 1922 en Allemagne,
avant de se répandre à tra-
vers le monde.
Depuis 1975, elle est recon-
nue au niveau international,
illustrant de façon specta-
culaire à quel point la racine
carrée de 2 mérite une place
éminente au Panthéon des
nombres. n
Xxoxooxoxox xoxoxoxxoxooxoxox xoxoxoxxoxoxoxoxoxooxooxoxox xoxoxoxxoxoxox
oxoxooxooxoxox xoxoxoxxoxoxoxoxoxooxooxoxox xoxoxoxxoxoxoxoxoxooxooxoxox
xoxoxoxxoxoxoxoxoxooxoxox xoxoxoxxoxoxoxoxoxooxooxoxox xoxoxoxoxox xoxoxoxx
oxoxoxoxoxooxooxoxox xoxoxoxoxoxoxoxo
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