ACTUALITÉ
L’HISTOIRE N° 308 AVRIL 2006
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ce rapport que nous appelons
la racine carrée de 2. Le scribe
en donne une évaluation au
dix-millième près, ce qui est
tout à fait remarquable : aucun
autre nombre ne sera calculé
avec une telle précision avant
plusieurs millénaires.
C’est en Grèce antique,
probablement au IVe ou au
Ve siècle avant notre ère,
qu’est démontrée l’une des
caractéristiques mathémati-
ques les plus essentielles de
la racine carrée de 2 qui est
d’être un nombre « irration-
nel ». Autrement dit, il n’est
pas possible de trouver deux
entiers dont la division de l’un
par l’autre égale √2 – les Grecs
formulaient le phénomène de
façon assez différente, bien
qu’équivalente.
L’origine de la démonstra-
tion de ce résultat est nimbée
de mystère, certains auteurs
comme Jamblique , un philo-
sophe néo-platonicien du IIIe-
IVe siècle, rapportant même
qu’une punition divine aurait
frappé le pythagoricien qui
aurait divulgué cette décou-
verte ! Sans aller jusque-là,
il est permis de penser que
la démonstration de l’irra-
tionalité de √2 a joué un rôle
important dans l’avènement
de la science grecque, car elle
a sans doute été l’une des tou-
tes premières démonstrations
mathématiques de l’histoire,
voire la première.
La raison en est que la struc-
ture même de la question de
l’irrationalité rend impos-
sible le recours à une quel-
conque intuition géométri-
que ou numérique et oblige
à produire un raisonnement
abstrait. Rien d’étonnant,
donc, à ce que Platon aussi
bien qu’Aristote y revien-
nent si souvent : le fait que
« la diagonale est incommen-
surable au côté » est cité plus
d’une trentaine de fois dans
l’œuvre du second.
En architecture, les réfé-
rences à la racine carrée de
2 remontent à l’architecte
romain Vitruve, au Ier siècle
avant notre ère. Outre divers
intérêts pratiques, l’auteur
de l’Architecture ou art de
bien bâtir accorde au rap-
port entre le côté et la dia-
gonale du carré un intérêt
esthétique que reprennent à
leur compte les plus grands
architectes de la Renaissance
italienne, de Leon Battista
Alberti à Andrea Palladio,
en passant par Francesco di
Giorgio Martini ou encore
Sebastiano Serlio.
Palladio, pour ne donner
qu’un exemple, explique au
chapitre VI du livre II de ses
Quatre livres de l’architecture
que lors de la construction
du couvent de la Charité, à
Venise, il a eu recours au rap-
port de la diagonale au côté
du carré.
L’architecture étant
« science des proportions », il
n’est certes guère étonnant
d’y trouver fréquemment des
références aux nombres et aux
rapports entre nombres. La
présence de la racine carrée
de 2 n’en est pas moins éton-
nante. A l’époque, tout ce qui
touche à l’harmonie des pro-
portions est, dans une tradi-
tion qui remonte aux pytha-
goriciens, affaire de rapports
rationnels. Si l’on en croit l’his-
torien Rudolph Wittkower,
la racine carrée de 2 serait
même le seul rapport irra-
tionnel à avoir été largement
utilisé par les architectes de
la Renaissance (contraire-
ment à une légende tenace
selon laquelle ils auraient
utilisé le « nombre d’or »,
(1+√5)/2).
Le format de papier
A4 utilise les propriétés
de √2
Bien après la Renaissance,
on retrouvera cette proportion
tout à fait identifiable aussi
bien sur la façade de la mai-
rie de Tizi-Ouzou, en Algérie,
que dans l’architecture de
l’université de Virginie, con-
çue par le président américain
Thomas Jefferson.
Les architectes ne sont pas,
loin s’en faut, les seuls à s’être
servis de la racine carrée de
2. Savez-vous qu’à chaque fois
que vous prenez une feuille
de papier de format ordinaire
(21×29,7), vous avez affaire à
un rectangle dont le rapport
de la longueur à la largeur est
aussi voisin que possible de
√2 ? Proposé par l’Allemand
Georg Christoph Lichtenberg
en 1786, c’est en France que
ce type de format a été léga-
lisé pour la première fois, en
1798, en raison de ses nom-
breux intérêts pratiques liés
à une propriété particulière :
en pliant en deux un tel rec-
tangle dans le sens de la lon-
gueur, on obtient un rectan-
gle deux fois plus petit et dont
le rapport de la longueur à la
largeur est toujours le même,
égal à √2. Entre autres cho-
ses, cela permet de simpli-
fier la fabrication du papier
et d’économiser de la place
lors du stockage de papiers
de tailles différentes.
Un autre argument, à l’épo-
que, était le prix du timbre
fiscal de certains documents
tels que les actes judiciaires.
Il est raisonnable et objec-
tif de fixer le prix du timbre
(sous-entendu : fiscal) d’un
acte en fonction de la taille
de la feuille nécessaire à sa
rédaction. Les différents
formats en vigueur à l’épo-
que n’étant pas dans des rap-
ports d’aires simples, les prix
des différents timbres man-
quaient de cohérence. Utiliser
un format rectangulaire dans
lequel le rapport de la lon-
gueur à la largeur est de √2
simplifie les choses.
Jamais appliquée et rapi-
dement tombée dans l’oubli
en France, cette excel-
lente idée a été retrouvée
en Allemagne au XIXe siè-
cle par Wilhelm Ostwald
puis Walter Porstmann. La
norme qui fixe nos formats
de papier actuels a été adop-
tée en 1922 en Allemagne,
avant de se répandre à tra-
vers le monde.
Depuis 1975, elle est recon-
nue au niveau international,
illustrant de façon specta-
culaire à quel point la racine
carrée de 2 mérite une place
éminente au Panthéon des
nombres. n
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