il y a quelques années2– le premier défendant le constructivisme en s’ap-
puyant sur Wittgenstein et le second le combattant au nom du même
Wittgenstein.
Mais la culture n’est pas le tout de la société. Au sein de cette dernière,
tout un ensemble d’ordres d’activité sont en rapport avec son extérieur, avec
telle ou telle portion de la nature, et entrent donc en contact avec la sphère
de la nécessité : la technique, l’économique et la science notamment. Mais
aussi les corps, le sol, l’environnement, etc., tout ce que M. Mauss à la
suite de Durkheim rangeait sous la rubrique de la « morphologie sociale ».
Et c’est ici que nos problèmes rebondissent. Ces activités qui sont en rela-
tion non pas avec la société elle-même et avec sa culture, mais avec ce qui
lui est externe, sont-elles organisées et structurées conformément à une
logique naturelle, nécessaire et universelle, ou bien conformément à une
logique proprement culturelle, arbitraire et particulière? Si on adopte la pre-
mière réponse, alors les choses sont assez simples. Elle suggère que l’éco-
nomie et la technique se rationalisent à mesure qu’elles comprennent de
mieux en mieux le poids des déterminismes objectifs, de même que la science
progresse en se débarrassant des préjugés issus des traditions culturelles
pour refléter de manière toujours plus exacte les lois objectives de la réa-
lité physique. Parmi ceux qui choisissent la seconde réponse, celle du déter-
minisme par la culture, il est possible de distinguer trois positions assez
différentes :
– la première ne nie pas l’existence des contraintes naturelles, mais
considère qu’elles sont subordonnées aux impératifs culturels qui déter-
minent sinon toujours le contenu, au moins la forme et la structure des
activités qui se rapportent à la nature. Il est possible de la qualifier de position
culturaliste3.
– la deuxième position met en doute l’idée que les contraintes naturelles
et la réalité externe puissent jouer en tant que telles un rôle déterminant. Ce
que nous connaissons de la réalité physique par exemple, nous ne le connais-
sons qu’à travers des activités sociales coordonnées et informées par des
schèmes culturels transmis et inculqués. C’est ce travail de coordination des
activités de connaissance et d’épuration des schèmes culturels qui construit
la manière dont nous appréhendons la réalité physique externe4.
CHASSEZ LE NATUREL… ÉCOLOGISME, NATURALISME ET CONSTRUCTIVISME8
2. Ph. de Lara ayant écrit une critique du livre de Ph. Corcuff (Les nouvelles sociologies,
Nathan, 1995) dans le Débat (« Un mirage sociologique, “la construction sociale de la réa-
lité” », n° 97, nov.-déc. 1997), Ph. Corcuff lui répondit avec « Entre malentendus sociologiques
et impensé politique » dans la même revue (n° 103, janv.-fév. 1999), article auquel Ph. de Lara
répliquait dans le même numéro avec « Nouvelle sociologie ou vieille philosophie? ». Les
échanges se sont encore poursuivis dans le n° 4 de Raisons politiques intitulé « Le construc-
tivisme sociologique en question » (paru en 2000).
3. L’exemple classique est ici celui de la médecine chinoise (cf. D. Bloor et B. Barnes).
4. On trouve ici la position ultra-relativiste typique de tous ceux (Collins et Pinch, ou
Latour et Woolgar dans La vie de laboratoire) qui nous proposent une ethnographie des
activités scientifiques (par exemple, la construction des quarks, les expériences en laboratoire,
etc.).