Comprendre l’effet placebo pour mieux traiter la douleur

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Mise au point
Comprendre l’effet placebo pour mieux traiter la douleur
Understand placebo effect to better treat pain
C. Guy-Coichard *, F. Boureau
Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France
Reçu le 7 juillet 2004 ; accepté le 2 novembre 2004
Disponible sur internet le 07 décembre 2004
Résumé
Propos. – L’efficacité clinique de toute thérapeutique, médicamenteuse ou autre, comporte une part d’effet non spécifique, ou effet pla-
cebo, dont la fréquence d’apparition et l’importance, dans le traitement de la douleur, peuvent être particulièrement élevées. Les praticiens
utilisent souvent, intentionnellement ou non, cet effet pour moduler leur efficacité thérapeutique ou dans un but diagnostique tenter d’explorer
le mécanisme d’une douleur. Notre objectif est d’analyser, à la lumière d’une revue de la littérature médicale récente, ce qu’apporte la
compréhension de l’effet placebo au traitement de la douleur.
Actualités et points forts. – Les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent l’effet placebo commencent à être mieux compris par
plusieurs études montrant notamment le rôle des mécanismes opioïdes endogènes. D’autres études permettent de mieux appréhender les
déterminants psychologiques de l’effet placebo : mécanismes de conditionnement, et/ou des variables cognitives, comme les attentes du
patient ou du thérapeute.
Perspectives et projets. –
Au terme de cette revue, on conclura que l’utilisation d’un placebo n’a pas valeur de test diagnostique quant au
mécanisme de la douleur ; elle n’est ni nécessaire ni souhaitable pour mettre en œuvre l’effet placebo dans la pratique quotidienne car toute
thérapeutique agit en associant des effets propres et des effets non spécifiques. La qualité de la relation médecin–malade permettra de mobiliser les
facteurs non spécifiques susceptibles de moduler favorablement toute action thérapeutique. Pour les essais cliniques contrôlés, certaines métho-
dologies récentes peuvent être envisagées pour contourner l’administration d’un placebo, réduisant ainsi les contraintes éthiques liées à son usage.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Purpose. –
The clinical efficiency of every therapeutic, medicinal or other, contains a part of not specific effect, or placebo effect
, of which the
frequency of appearance and the importance, in the treatment of pain, can be particularly raised. The practitioners use often, deliberately either
not, this effect to modulate their therapeutic efficiency, or in a diagnostic purpose to investigate the mechanism of a pain; our objective is to
analyze, in the light of a review of the recent medical literature, what the understanding of the placebo effect brings to the treatment of pain.
Current knowledge and key points. – Neurobiologic mechanisms which sub-aim placebo effect begin to be understood by several studies
showing the role of endogen opioid mechanisms. Other studies allow better to understand the psychological determiners of the effect placebo:
conditioning mechanisms, and/or cognitive variables, as expectations of the patient or the therapist.
Future prospects and projects. – At term of this review, we will conclude that the use of a placebo has no value of diagnostic test as for
the mechanism of the pain; it is neither necessary nor desirable to implement placebo effect in the daily practice because any therapeutics acts
by associating specific and not specific effects. The quality of the relation doctor–patient will allow to mobilize not specific factors susceptible
to modulate favorably any therapeutic action. For controlled clinical trials, certain methodologies can be envisaged to by-pass the adminis-
tration of placebo, reducing so ethical constraints bound to their use.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Placebo ; Douleur ; Effet placebo
Keywords: Placebo; Pain; Placebo effect
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (C. Guy-Coichard).
La revue de médecine interne 26 (2005) 226–232
http://france.elsevier.com/direct/REVMED/
0248-8663/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.revmed.2004.11.002
1. Introduction
L’effet placebo participe quotidiennement aux résultats thé-
rapeutiques de tout médecin. L’existence et la puissance de
cet effet imposent par ailleurs désormais couramment le
recours à une méthodologie contrôlée versus placebo pour
démontrer les propriétés d’une thérapeutique. On trouvera
pourtant dans le Tableau 1 quelques idées fausses sur le pla-
cebo encore très largement répandues, mais par là révélatri-
ces de nos limites dans la connaissance des mécanismes phy-
siologiques et psychologiques qui sous-tendent l’effet
placebo. La douleur est le domaine d’élection de l’étude de
l’effet placebo. De nombreuses études ont permis d’y mettre
en évidence les caractéristiques propres de cet effet, mais aussi
de jauger l’implication possible des mécanismes opioïdes
endogènes et de structures centrales. Même si la recherche
de déterminants individuels de la réponse au placebo reste
peu concluante, l’effet placebo reste cependant au premier
chef une variable sensible aux facteurs comportementaux
(conditionnement) et cognitifs (attentes).
Le praticien de la douleur dispose-t-il désormais d’argu-
ments suffisants, non seulement pour évaluer la valeur dia-
gnostique de la réponse à l’administration d’un placebo, mais
aussi pour déterminer la place de ce placebo dans sa pratique
quotidienne ?
2. Effet du placebo vs effet placebo
L’administration d’un placebo n’induit pas nécessaire-
ment les effets favorables que l’on désignera par effet pla-
cebo (et nocebo en cas d’effets défavorables). À l’inverse,
l’effet placebo n’est pas exclusivement le fait des placebos :
toute thérapeutique agissant par association d’effets spécifi-
ques et non spécifiques, l’effet clinique de tout traitement actif
comporte une part variable d’effet placebo (Tableau 2). C’est
vers la fin du XVIII
e
siècle que le terme « placebo » (« je
plairai ») prend sa signification médicale et va devenir la pres-
cription donnée pour complaire et satisfaire le désir thérapeu-
tique du malade. Shapiro donne du placebo la définition sui-
vante en 1964 : « Tout procédé thérapeutique donné
intentionnellement pour avoir un effet sur un patient, symp-
tôme, syndrome ou maladie, mais qui est objectivement sans
activité spécifique pour la condition traitée » [1].
On distingue plusieurs types de placebo : le placebo pur
est une substance inerte, comme le lactose ou le sérum phy-
siologique, alors que le placebo impur est une substance inac-
tive sur la pathologie traitée. On utilisera par ailleurs un pla-
cebo actif pour produire certains effets secondaires, évitant
ainsi le démasquage du traitement administré. L’effet pla-
cebo est pour Shapiro « l’effet psychologique, physiologique
ou psychophysiologique de toute médication ou procédé
Tableau 1
Idées reçues concernant le placebo
Un tiers des malades répond systématiquement au placebo dans tout
essai clinique.
L’effet placebo est obligatoirement de courte durée.
Pour éliminer l’effet placebo dans une étude, il faut exclure les placebo-
répondeurs.
Les malades qui répondent au placebo ont un profil de personnalité parti-
culier.
Le placebo permet de distinguer les douleurs organiques et fonctionnel-
les.
Donner un placebo équivautà«nerien faire ».
Tableau 2
Facteurs non spécifiques d’une thérapeutique
227C. Guy-Coichard, F. Boureau / La revue de médecine interne 26 (2005) 226–232
donné avec une intention thérapeutique qui est indépendante,
ou très faiblement reliée aux effets pharmacologiques de la
médication ou des effets spécifiques du procédé et qui opère
au travers d’un mécanisme psychologique ». Pour Pichot,
l’effet placebo correspond à la différence entre l’évolution
constatée sous placebo et l’évolution spontanée [2]. Il s’ajoute
à l’effet pharmacologique de la substance active pour former
l’effet thérapeutique. Cette dernière définition a le mérite de
souligner que toute thérapeutique agit par combinaison
d’effets spécifiques (du médicament ou de la technique) et
d’effets non spécifiques (effet placebo).
3. La mise en évidence de l’effet placebo
Beecher, sur les données de 15 études cliniques incluant
au total 1082 patients ayant reçu un placebo dans diverses
indications, avance en 1955, l’existence d’un effet placebo
induisant un soulagement significatif chez 35 % des patients
en moyenne, avec des extrêmes allant de 15 et 53 % selon les
pathologies traitées et les traitements administrés [3]. On
remarque donc que la fréquence d’apparition de l’effet pla-
cebo est variable et que le chiffre de 35 %, classiquement
cité, n’est qu’une valeur moyenne. L’effet placebo peut donc
dépasser le classique seuil de 1/3. Dans un essai multicentri-
que, en double insu, portant sur des douleurs métastatiques
osseuses, Boureau et al. ont observé sur un échantillon de
patients cancéreux, après un délai de 15 jours, un effet anal-
gésique placebo dont les caractéristiques qualitatives, quan-
titatives et temporelles ont dépassé les prédictions des inves-
tigateurs : 50 % des sujets présentent une amélioration
moyenne, variable selon les critères choisis, de 30 à 40 % [4].
On peut faire l’hypothèse que, chez ces patients en phase pal-
liative, l’introduction d’une nouvelle thérapeutique et un
entretien quotidien d’environ 30 minutes pour remplir les dif-
férentes échelles d’évaluation de la douleur, ont servi de sup-
port relationnel favorisant l’apparition d’un effet placebo aussi
marqué.
L’effet placebo ne concerne pas uniquement les traite-
ments pharmacologiques mais toutes les psychothérapies ou
la chirurgie. Un exemple classique remonte aux années 1950 :
les conceptions physiopathologiques de l’époque condui-
saient à proposer la ligature de l’artère mammaire interne pour
traiter l’angine de poitrine. Dans deux essais contrôlés, ont
été réalisées des interventions placebo, qui consistaient uni-
quement en une incision cutanée. Une majorité de patients a
été améliorée en termes de douleur, de périmètre de marche,
de consommation médicamenteuse, et ce, de façon durable
(6 mois) [5,6]. Les effets peuvent ne pas être favorables et
mimer des effets adverses. Le placebo peut aussi provoquer
de la douleur chez des sujets normaux. Des céphalées ont été
rapportées par 70 % des sujets (étudiants) qui étaient infor-
més qu’un courant électrique (inexistant) était appliqué au
niveau céphalique [7].
3.1. Effet placebo ou évolution spontanée ?
Il serait toutefois inexact d’attribuer uniquement à l’effet
placebo l’amélioration observée dans un groupe témoin rece-
vant un placebo. L’amélioration constatée est en fait la résul-
tante de plusieurs facteurs : évolution spontanée, régression à
la moyenne (la tendance des mesures de variations aléatoires
à évoluer vers des valeurs moyennes), artefacts liés à la
mesure, erreurs d’appréciation du médecin comme du pa-
tient... Les patients ont tendance à consulter dans des moments
où leurs symptômes sont les plus gênants. L’évolution la plus
probable est alors le retour à des valeurs de bases moyennes.
Mentionnons également l’« effet Hawthorne » selon lequel
le seul fait de participer à un protocole de recherche modifie
les comportements [8]. On ne peut toutefois pas réduire l’effet
placebo aux seuls biais méthodologiques. Les études sur
l’effet placebo apportent des arguments qui permettent de
l’appréhender comme une forme d’analgésie psychogène.
Tous les travaux ne s’accordent pas à reconnaître l’impor-
tance de l’effet placebo. Hrobjartsson et Gotzsche ont cher-
ché à préciser l’importance relative de l’effet placebo et de
l’évolution spontanée (ou sans traitement), dans une analyse
systématique de la littérature des essais affectant les patients
à des groupes contrôles et verum dans des indications variées
[9]. Cette méta-analyse de 29 essais cliniques sur la douleur
retrouve une faible importance de l’effet placebo par compa-
raison à un groupe « évolution naturelle » : réduction moyenne
de 6,5 mm sur une EVA de 100 mm. Dans leur conclusion,
les auteurs remettent en question l’importance accordée à
l’effet placebo et à sa pertinence clinique. Mais le groupe
sans traitement (liste d’attente) est-il qualitativement diffé-
rent d’un groupe avec traitement par placebo, les malades
non traités s’orientant vers d’autres formes de traitement, et
bénéficiant malgré tout d’une prise en charge mettant en jeu
une relation médecin–malade ?
3.2. Placebo et méthodologie
Les attentes induites par l’information donnée à des sujets
participant à un essai avec placebo doivent également être
prises en compte.Vase et al. [10], reprenant le travail de Hrob-
jartsson et Gotzsche [9], retrouvent un effet placebo plus
important dans les études dont l’objectif était l’étude du pla-
cebo, que dans les études comportant un placebo uniquement
comme contrôle. Il est probable que dans les premières, les
suggestions sont plus fortes : les malades reçoivent l’infor-
mation qu’ils ont 100 % de chance de recevoir un traitement
actif. On peut à l’extrême étudier l’effet placebo sans avoir
recours à l’administration d’un placebo, en comparant les
effets de l’administration « cachée » (produit, mais surtout
moment d’administration à l’insu du patient) d’un produit
avec son administration en ouvert. Dans l’étude de Lévine et
Gordon, une injection ouverte de 8 mg de morphine par voie
intraveineuse entraîne, dans une population de patients en pos-
topératoire, un soulagement de la douleur non significative-
ment différent de celui obtenu avec une injection cachée de
sérum physiologique. Les deux mécanismes sont bloqués par
la naloxone, mettant ainsi en évidence une analgésie « endo-
gène non spécifique » [11]. Dans l’étude de Amanzio et al.,
est mise en évidence, sans groupe placebo, la réduction des
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effets analgésiques de différentes substances lors d’une admi-
nistration cachée, en comparaison à une administration
ouverte [12]. Par ailleurs, la même technique permet d’attri-
buer à l’effet placebo une part importante de la variabilité des
réponses aux analgésiques. Ces études ouvrent la voie à une
méthodologie originale permettant, dans un certain nombre
d’études postérieures sur l’effet placebo, de s’affranchir des
contraintes éthiques et économiques de l’administration d’un
placebo [13].
4. Les caractéristiques de l’effet placebo
4.1. Propriétés pharmacodynamiques
Les essais thérapeutiques contrôlés ont permis de montrer
que l’effet placebo ne possède pas de caractéristique propre,
si ce n’est celle d’imiter les effets du verum auquel il est com-
paré. Il mime en effet dans plusieurs études les propriétés
pharmacologiques de l’agent actif testé : nature des effets
indésirables, mais aussi évolution temporelle des effets [14].
Les courbes dose–réponse ou effet–temps paraissent cal-
quées sur celles de l’agent actif.
4.2. Effıcacité analgésique
Evans constate, en reprenant une série d’essais cliniques
en double insu sur la morphine et l’aspirine, qu’il existe un
rapport quasi constant effet placebo–effet du principe actif
testé (verum), proche de 50 % quel que soit le produit [14].
En d’autres termes, la puissance du placebo est relative, et
paraît directement proportionnelle à l’efficacité apparente de
l’agent actif.
4.3. Durée de l’effet
On a souvent avancé que l’effet placebo a une efficacité
toujours brève et non durable dans le temps. En fait, cette
caractéristique reste relative et la littérature comporte de nom-
breux exemples d’effets placebo durable : plus d’un an dans
le traitement chirurgical de l’angine de poitrine [15], de 60 à
180 jours dans des pathologies arthrosiques [16].
4.4. Interactions et synergie
L’effet placebo interagit avec celui du verum.Ainsi, l’effi-
cacité d’une administration de morphine s’observe dans 60 %
des cas chez des sujets placebo-résistants, et dans 77 % des
cas chez des sujets placebo-sensibles [17]. Pour cette raison,
il est inutile d’exclure les placebo-répondeurs dans un essai
clinique : un placebo-répondeur n’est pas nécessairement un
mauvais discriminateur des traitements. En laboratoire, Chen
et Dworkin ont montré la synergie d’un effet pharmacologi-
que verum ou placebo avec certains facteurs cognitifs [18].
Deux groupes de sujets ont reçu des informations les incitant
à croire, ou à ne pas croire, au pouvoir analgésique de la subs-
tance. Après placebo, une analgésie a été observée dans le
groupe « qui croyait » dans la substance. En revanche, aucun
effet n’a été constaté dans le groupe « qui n’y croyait pas ».
Après aspirine, une analgésie plus importante a été observée
dans le groupe « qui croyait ». Ces résultats montrent à l’évi-
dence les effets d’instructions cognitives sur le placebo et leur
synergie avec l’analgésie de l’aspirine.
La conséquence de cette synergie est que l’effet placebo
peut permettre de réduire les doses d’antalgiques. Pollo et
al. ont comparé trois groupes de patients souffrant de dou-
leurs postopératoires [19]. Selon le groupe, la signification
d’une perfusion de sérum physiologique était différente : un
groupe « évolution naturelle » recevait une « hydratation »,
un groupe « double insu » recevait « soit un placebo, soit un
antalgique », un troisième groupe recevait un « antalgique
puissant ». Les doses de buprénorphine, pendant les trois jours
postopératoires, par comparaison avec le groupe « évolution
naturelle », ont été réduites de 20,8 % dans le groupe « dou-
ble insu » et de 33,8 % dans le groupe avec antalgique puis-
sant. L’effet placebo peut parfois s’exercer sur la seule zone
impliquée par la suggestion et non pas de façon diffuse sur
l’ensemble du corps. Cet effet peut être bloqué par la na-
loxone. L’analgésie du placebo peut s’accompagner d’effets
dépresseurs respiratoires, cardiovasculaires et sympathiques
qui seraient antagonisés par la naloxone [20].
5. Les mécanismes neurobiologiques de l’effet placebo
Les mécanismes analgésiques endogènes mis en évidence
dans le système nerveux central ont rapidement constitué des
pistes séduisantes pour donner un fondement neurophysiolo-
gique à l’effet placebo.
5.1. Implications des opioïdes endogènes
La première étude, réalisée en 1978, par Levine et al.,
recueillait en double insu, sur une douleur postextraction den-
taire, les effets d’un placebo puis de la naloxone [21]. Les
sujets recevant un placebo ont été classés en placebo-
répondeurs et non-répondeurs. L’administration de naloxone
a augmenté le niveau de douleur chez les répondeurs, mais
pas chez les non-répondeurs, permettant de formuler l’hypo-
thèse d’une libération d’endorphines après administration de
placebo. Mettant en relation un phénomène considéré comme
« psychogène », l’effet placebo, et la libération de morphini-
ques endogènes, ce travail a connu un retentissement consi-
dérable, mais aussi suscité de nombreuses hypothèses alter-
natives : caractère arbitraire de la classification des sujets en
placebo-répondeurs et non-répondeurs [22], hyperalgésie pro-
duite par la naloxone relativisant l’effet placebo [23].
Chez des sujets volontaires soumis à une douleur ischémi-
que, l’inversion partielle de l’effet placebo après naloxone se
développe progressivement au cours de trois expérimenta-
tions successives, réalisées à une semaine d’intervalle, ce qui
milite en faveur d’un mécanisme de conditionnement [24].
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Toutefois, le type de conditionnement (par opioïde ou non-
opioïde) module, dans d’autres études, la réponse de l’effet
placebo à la naloxone, montrant que celui-ci ne se résume
pas à la mise en jeu de mécanismes opioïdes endogènes [25].
La proglumide, antagoniste CCK A, potentialiserait l’effet
placebo [26]. Les patients, qui répondent au placebo admi-
nistré en intrathécal, ont des élévations plus importantes
d’endorphines dans le LCR [27]. D’autres études ou revues
sont venues confirmer la possibilité d’une implication, au
moins partielle, de morphiniques endogènes [12,20,28,29].
5.2. Structures centrales impliquées
L’imagerie cérébrale par tomographie par émission de posi-
tons (PET) a permis de montrer que l’administration de pla-
cebo et d’un morphinique (remifentanil) mettait en jeu des
réseaux neuronaux communs et s’accompagnait de l’activa-
tion du cortex cingulaire antérieur et du cortex orbitofrontal
latéral, zones connectées à des structures du tronc cérébral
impliquées dans l’analgésie opioïde (substance grise périac-
queducale) [30]. Ajoutons que les études sur le placebo dans
la dépression ou la maladie de Parkinson font apparaître des
médiations respectivement sérotoninergiques ou dopaminer-
giques.
6. Déterminants psychologiques de l’effet placebo
Divers facteurs psychologiques ont été suspectés de favo-
riser l’apparition d’un effet placebo : profil particulier de la
personnalité, réduction d’anxiété, conditionnement, attentes,
désir de soulagement...
6.1. Une « personnalité placebo répondeur » ?
Divers travaux ont tenté, sans résultat probant, d’identifier
des traits de personnalité caractérisant le placebo répondeur.
Selon la revue de Lasagna en 1980, 14 % seulement des sujets
sont des répondeurs constants, 31 % des non répondeurs cons-
tants et 55 % des répondeurs intermittents. La grande fré-
quence des sujets placebo-répondeurs intermittents semble
indiquer que la réponse au placebo dépend plus de facteurs
situationnels que d’une prédisposition individuelle. Tout sujet
peut, un jour ou l’autre, en fonction de facteurs de circons-
tances et de contexte, répondre favorablement après adminis-
tration d’un placebo et devenir placebo-répondeur. La notion
de placebo-répondeur peut cependant être biaisée, comme
dans les essais de phase I, où les sujets volontaires décrivent
fréquemment des effets négatifs (nocebo) après administra-
tion de placebo. Les volontaires pour de tels essais présen-
tent en effet avec une fréquence significative une personna-
lité de type A, sur l’échelle de Bortner, c’est-à-dire encline à
manifester une tendance à la compétition, l’urgence du temps,
l’agressivité... [31].
La réduction de l’anxiété est souvent citée comme facteur
en cause dans la manifestation d’un effet placebo. En fait, on
ne dispose que de peu de données [32,33]. Dans des condi-
tions expérimentales, il a été montré que le placebo modifiait
la composante affective de la perception de douleur [34]. La
question soulevée est de savoir si la réduction de l’anxiété est
cause ou conséquence de la réponse au placebo.
6.2. Conditionnement et facteurs cognitifs dans l’effet
placebo
On peut concevoir qu’une réponse initialement non condi-
tionnelle (par exemple diminution de la douleur après admi-
nistration d’un antalgique), puisse, après un mécanisme
d’apprentissage, devenir une réponse conditionnée à un sti-
mulus, par exemple l’administration de placebo. Un tel méca-
nisme de conditionnement a été réalisé dans des conditions
expérimentales [35,36] : des variations du niveau de la stimu-
lation expérimentale nociceptive (iontophorèse), laissant
croire au sujet à un effet analgésique marqué, ont permis aux
auteurs de modifier le pourcentage de sujets placebo-
répondeurs. L’importance de ce mécanisme a été confirmée
par une autre étude comparant un groupe témoin, un groupe
recevant un conditionnement et des suggestions, un groupe
recevant des suggestions seules, et un groupe recevant un
conditionnement seul. Le conditionnement est le plus puis-
sant parmi les facteurs responsables de l’effet placebo [36].
Les techniques thérapeutiques psychocomportementales
considèrent le placebo comme un conditionnement permet-
tant d’induire une réponse émotionnelle positive, diminuant
le niveau de douleur [37].
D’autres travaux ont cherché à étudier le rôle de variables
cognitives, comme les attentes, dans la manifestation de l’effet
placebo. Gracely et al., dans une expérimentation en double
insu, ont étudié deux groupes de patients ayant subi une
extraction dentaire sous anesthésie locale [38]. Dans un pre-
mier groupe, les sujets recevaient une injection i.v. soit de
naloxone, soit de placebo, dans le second, ils recevaient une
injection de naloxone, de placebo ou d’un opioïde. La diffé-
rence entre les deux groupes portait donc uniquement sur la
connaissance qu’avait l’expérimentateur des substances pos-
sibles. Il savait quel groupe pouvait recevoir un analgésique
puissant, tout en restant en aveugle concernant la substance
administrée. La comparaison des deux groupes fait apparaî-
tre que l’effet placebo est nettement plus marqué dans le
groupe susceptible de recevoir un opioïde. Malgré les condi-
tions du double insu, les attentes d’efficacité des expérimen-
tateurs ont ainsi pu être communiquées subtilement aux sujets.
Les deux modèles, conditionnement et cognitifs–attentes,
ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Les attentes peuvent venir
moduler les mécanismes d’apprentissage [39]. En outre, les
mécanismes de conditionnement et les attentes ont un rôle
additif dans l’effet placebo [25,10]. Les attentes d’efficacité
sont liées aux croyances concernant la thérapeutique. Des étu-
des avaient ainsi montré que deux capsules ont un effet supé-
rieur à une seule capsule [40]. On hiérarchise classiquement
les effets selon la voie d’administration (les voies injectables
sont réputées plus efficaces que la voie orale), le lieu de trai-
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