La revue de médecine interne 26 (2005) 226–232 http://france.elsevier.com/direct/REVMED/ Mise au point Comprendre l’effet placebo pour mieux traiter la douleur Understand placebo effect to better treat pain C. Guy-Coichard *, F. Boureau Centre d’évaluation et de traitement de la douleur, hôpital Saint-Antoine, 184, rue du Faubourg-Saint-Antoine, 75012 Paris, France Reçu le 7 juillet 2004 ; accepté le 2 novembre 2004 Disponible sur internet le 07 décembre 2004 Résumé Propos. – L’efficacité clinique de toute thérapeutique, médicamenteuse ou autre, comporte une part d’effet non spécifique, ou effet placebo, dont la fréquence d’apparition et l’importance, dans le traitement de la douleur, peuvent être particulièrement élevées. Les praticiens utilisent souvent, intentionnellement ou non, cet effet pour moduler leur efficacité thérapeutique ou dans un but diagnostique tenter d’explorer le mécanisme d’une douleur. Notre objectif est d’analyser, à la lumière d’une revue de la littérature médicale récente, ce qu’apporte la compréhension de l’effet placebo au traitement de la douleur. Actualités et points forts. – Les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent l’effet placebo commencent à être mieux compris par plusieurs études montrant notamment le rôle des mécanismes opioïdes endogènes. D’autres études permettent de mieux appréhender les déterminants psychologiques de l’effet placebo : mécanismes de conditionnement, et/ou des variables cognitives, comme les attentes du patient ou du thérapeute. Perspectives et projets. – Au terme de cette revue, on conclura que l’utilisation d’un placebo n’a pas valeur de test diagnostique quant au mécanisme de la douleur ; elle n’est ni nécessaire ni souhaitable pour mettre en œuvre l’effet placebo dans la pratique quotidienne car toute thérapeutique agit en associant des effets propres et des effets non spécifiques. La qualité de la relation médecin–malade permettra de mobiliser les facteurs non spécifiques susceptibles de moduler favorablement toute action thérapeutique. Pour les essais cliniques contrôlés, certaines méthodologies récentes peuvent être envisagées pour contourner l’administration d’un placebo, réduisant ainsi les contraintes éthiques liées à son usage. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Purpose. – The clinical efficiency of every therapeutic, medicinal or other, contains a part of not specific effect, or placebo effect, of which the frequency of appearance and the importance, in the treatment of pain, can be particularly raised. The practitioners use often, deliberately either not, this effect to modulate their therapeutic efficiency, or in a diagnostic purpose to investigate the mechanism of a pain; our objective is to analyze, in the light of a review of the recent medical literature, what the understanding of the placebo effect brings to the treatment of pain. Current knowledge and key points. – Neurobiologic mechanisms which sub-aim placebo effect begin to be understood by several studies showing the role of endogen opioid mechanisms. Other studies allow better to understand the psychological determiners of the effect placebo: conditioning mechanisms, and/or cognitive variables, as expectations of the patient or the therapist. Future prospects and projects. – At term of this review, we will conclude that the use of a placebo has no value of diagnostic test as for the mechanism of the pain; it is neither necessary nor desirable to implement placebo effect in the daily practice because any therapeutics acts by associating specific and not specific effects. The quality of the relation doctor–patient will allow to mobilize not specific factors susceptible to modulate favorably any therapeutic action. For controlled clinical trials, certain methodologies can be envisaged to by-pass the administration of placebo, reducing so ethical constraints bound to their use. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Placebo ; Douleur ; Effet placebo Keywords: Placebo; Pain; Placebo effect * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Guy-Coichard). 0248-8663/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2004.11.002 C. Guy-Coichard, F. Boureau / La revue de médecine interne 26 (2005) 226–232 1. Introduction L’effet placebo participe quotidiennement aux résultats thérapeutiques de tout médecin. L’existence et la puissance de cet effet imposent par ailleurs désormais couramment le recours à une méthodologie contrôlée versus placebo pour démontrer les propriétés d’une thérapeutique. On trouvera pourtant dans le Tableau 1 quelques idées fausses sur le placebo encore très largement répandues, mais par là révélatrices de nos limites dans la connaissance des mécanismes physiologiques et psychologiques qui sous-tendent l’effet placebo. La douleur est le domaine d’élection de l’étude de l’effet placebo. De nombreuses études ont permis d’y mettre en évidence les caractéristiques propres de cet effet, mais aussi de jauger l’implication possible des mécanismes opioïdes endogènes et de structures centrales. Même si la recherche de déterminants individuels de la réponse au placebo reste peu concluante, l’effet placebo reste cependant au premier chef une variable sensible aux facteurs comportementaux (conditionnement) et cognitifs (attentes). Tableau 1 Idées reçues concernant le placebo Un tiers des malades répond systématiquement au placebo dans tout essai clinique. L’effet placebo est obligatoirement de courte durée. Pour éliminer l’effet placebo dans une étude, il faut exclure les placeborépondeurs. Les malades qui répondent au placebo ont un profil de personnalité particulier. Le placebo permet de distinguer les douleurs organiques et fonctionnelles. Donner un placebo équivaut à « ne rien faire ». Tableau 2 Facteurs non spécifiques d’une thérapeutique 227 Le praticien de la douleur dispose-t-il désormais d’arguments suffisants, non seulement pour évaluer la valeur diagnostique de la réponse à l’administration d’un placebo, mais aussi pour déterminer la place de ce placebo dans sa pratique quotidienne ? 2. Effet du placebo vs effet placebo L’administration d’un placebo n’induit pas nécessairement les effets favorables que l’on désignera par effet placebo (et nocebo en cas d’effets défavorables). À l’inverse, l’effet placebo n’est pas exclusivement le fait des placebos : toute thérapeutique agissant par association d’effets spécifiques et non spécifiques, l’effet clinique de tout traitement actif comporte une part variable d’effet placebo (Tableau 2). C’est vers la fin du XVIIIe siècle que le terme « placebo » (« je plairai ») prend sa signification médicale et va devenir la prescription donnée pour complaire et satisfaire le désir thérapeutique du malade. Shapiro donne du placebo la définition suivante en 1964 : « Tout procédé thérapeutique donné intentionnellement pour avoir un effet sur un patient, symptôme, syndrome ou maladie, mais qui est objectivement sans activité spécifique pour la condition traitée » [1]. On distingue plusieurs types de placebo : le placebo pur est une substance inerte, comme le lactose ou le sérum physiologique, alors que le placebo impur est une substance inactive sur la pathologie traitée. On utilisera par ailleurs un placebo actif pour produire certains effets secondaires, évitant ainsi le démasquage du traitement administré. L’effet placebo est pour Shapiro « l’effet psychologique, physiologique ou psychophysiologique de toute médication ou procédé 228 C. Guy-Coichard, F. Boureau / La revue de médecine interne 26 (2005) 226–232 donné avec une intention thérapeutique qui est indépendante, ou très faiblement reliée aux effets pharmacologiques de la médication ou des effets spécifiques du procédé et qui opère au travers d’un mécanisme psychologique ». Pour Pichot, l’effet placebo correspond à la différence entre l’évolution constatée sous placebo et l’évolution spontanée [2]. Il s’ajoute à l’effet pharmacologique de la substance active pour former l’effet thérapeutique. Cette dernière définition a le mérite de souligner que toute thérapeutique agit par combinaison d’effets spécifiques (du médicament ou de la technique) et d’effets non spécifiques (effet placebo). 3. La mise en évidence de l’effet placebo Beecher, sur les données de 15 études cliniques incluant au total 1082 patients ayant reçu un placebo dans diverses indications, avance en 1955, l’existence d’un effet placebo induisant un soulagement significatif chez 35 % des patients en moyenne, avec des extrêmes allant de 15 et 53 % selon les pathologies traitées et les traitements administrés [3]. On remarque donc que la fréquence d’apparition de l’effet placebo est variable et que le chiffre de 35 %, classiquement cité, n’est qu’une valeur moyenne. L’effet placebo peut donc dépasser le classique seuil de 1/3. Dans un essai multicentrique, en double insu, portant sur des douleurs métastatiques osseuses, Boureau et al. ont observé sur un échantillon de patients cancéreux, après un délai de 15 jours, un effet analgésique placebo dont les caractéristiques qualitatives, quantitatives et temporelles ont dépassé les prédictions des investigateurs : 50 % des sujets présentent une amélioration moyenne, variable selon les critères choisis, de 30 à 40 % [4]. On peut faire l’hypothèse que, chez ces patients en phase palliative, l’introduction d’une nouvelle thérapeutique et un entretien quotidien d’environ 30 minutes pour remplir les différentes échelles d’évaluation de la douleur, ont servi de support relationnel favorisant l’apparition d’un effet placebo aussi marqué. L’effet placebo ne concerne pas uniquement les traitements pharmacologiques mais toutes les psychothérapies ou la chirurgie. Un exemple classique remonte aux années 1950 : les conceptions physiopathologiques de l’époque conduisaient à proposer la ligature de l’artère mammaire interne pour traiter l’angine de poitrine. Dans deux essais contrôlés, ont été réalisées des interventions placebo, qui consistaient uniquement en une incision cutanée. Une majorité de patients a été améliorée en termes de douleur, de périmètre de marche, de consommation médicamenteuse, et ce, de façon durable (6 mois) [5,6]. Les effets peuvent ne pas être favorables et mimer des effets adverses. Le placebo peut aussi provoquer de la douleur chez des sujets normaux. Des céphalées ont été rapportées par 70 % des sujets (étudiants) qui étaient informés qu’un courant électrique (inexistant) était appliqué au niveau céphalique [7]. 3.1. Effet placebo ou évolution spontanée ? Il serait toutefois inexact d’attribuer uniquement à l’effet placebo l’amélioration observée dans un groupe témoin rece- vant un placebo. L’amélioration constatée est en fait la résultante de plusieurs facteurs : évolution spontanée, régression à la moyenne (la tendance des mesures de variations aléatoires à évoluer vers des valeurs moyennes), artefacts liés à la mesure, erreurs d’appréciation du médecin comme du patient... Les patients ont tendance à consulter dans des moments où leurs symptômes sont les plus gênants. L’évolution la plus probable est alors le retour à des valeurs de bases moyennes. Mentionnons également l’« effet Hawthorne » selon lequel le seul fait de participer à un protocole de recherche modifie les comportements [8]. On ne peut toutefois pas réduire l’effet placebo aux seuls biais méthodologiques. Les études sur l’effet placebo apportent des arguments qui permettent de l’appréhender comme une forme d’analgésie psychogène. Tous les travaux ne s’accordent pas à reconnaître l’importance de l’effet placebo. Hrobjartsson et Gotzsche ont cherché à préciser l’importance relative de l’effet placebo et de l’évolution spontanée (ou sans traitement), dans une analyse systématique de la littérature des essais affectant les patients à des groupes contrôles et verum dans des indications variées [9]. Cette méta-analyse de 29 essais cliniques sur la douleur retrouve une faible importance de l’effet placebo par comparaison à un groupe « évolution naturelle » : réduction moyenne de 6,5 mm sur une EVA de 100 mm. Dans leur conclusion, les auteurs remettent en question l’importance accordée à l’effet placebo et à sa pertinence clinique. Mais le groupe sans traitement (liste d’attente) est-il qualitativement différent d’un groupe avec traitement par placebo, les malades non traités s’orientant vers d’autres formes de traitement, et bénéficiant malgré tout d’une prise en charge mettant en jeu une relation médecin–malade ? 3.2. Placebo et méthodologie Les attentes induites par l’information donnée à des sujets participant à un essai avec placebo doivent également être prises en compte. Vase et al. [10], reprenant le travail de Hrobjartsson et Gotzsche [9], retrouvent un effet placebo plus important dans les études dont l’objectif était l’étude du placebo, que dans les études comportant un placebo uniquement comme contrôle. Il est probable que dans les premières, les suggestions sont plus fortes : les malades reçoivent l’information qu’ils ont 100 % de chance de recevoir un traitement actif. On peut à l’extrême étudier l’effet placebo sans avoir recours à l’administration d’un placebo, en comparant les effets de l’administration « cachée » (produit, mais surtout moment d’administration à l’insu du patient) d’un produit avec son administration en ouvert. Dans l’étude de Lévine et Gordon, une injection ouverte de 8 mg de morphine par voie intraveineuse entraîne, dans une population de patients en postopératoire, un soulagement de la douleur non significativement différent de celui obtenu avec une injection cachée de sérum physiologique. Les deux mécanismes sont bloqués par la naloxone, mettant ainsi en évidence une analgésie « endogène non spécifique » [11]. Dans l’étude de Amanzio et al., est mise en évidence, sans groupe placebo, la réduction des C. Guy-Coichard, F. Boureau / La revue de médecine interne 26 (2005) 226–232 effets analgésiques de différentes substances lors d’une administration cachée, en comparaison à une administration ouverte [12]. Par ailleurs, la même technique permet d’attribuer à l’effet placebo une part importante de la variabilité des réponses aux analgésiques. Ces études ouvrent la voie à une méthodologie originale permettant, dans un certain nombre d’études postérieures sur l’effet placebo, de s’affranchir des contraintes éthiques et économiques de l’administration d’un placebo [13]. 4. Les caractéristiques de l’effet placebo 4.1. Propriétés pharmacodynamiques Les essais thérapeutiques contrôlés ont permis de montrer que l’effet placebo ne possède pas de caractéristique propre, si ce n’est celle d’imiter les effets du verum auquel il est comparé. Il mime en effet dans plusieurs études les propriétés pharmacologiques de l’agent actif testé : nature des effets indésirables, mais aussi évolution temporelle des effets [14]. Les courbes dose–réponse ou effet–temps paraissent calquées sur celles de l’agent actif. 4.2. Effıcacité analgésique Evans constate, en reprenant une série d’essais cliniques en double insu sur la morphine et l’aspirine, qu’il existe un rapport quasi constant effet placebo–effet du principe actif testé (verum), proche de 50 % quel que soit le produit [14]. En d’autres termes, la puissance du placebo est relative, et paraît directement proportionnelle à l’efficacité apparente de l’agent actif. 229 tance. Après placebo, une analgésie a été observée dans le groupe « qui croyait » dans la substance. En revanche, aucun effet n’a été constaté dans le groupe « qui n’y croyait pas ». Après aspirine, une analgésie plus importante a été observée dans le groupe « qui croyait ». Ces résultats montrent à l’évidence les effets d’instructions cognitives sur le placebo et leur synergie avec l’analgésie de l’aspirine. La conséquence de cette synergie est que l’effet placebo peut permettre de réduire les doses d’antalgiques. Pollo et al. ont comparé trois groupes de patients souffrant de douleurs postopératoires [19]. Selon le groupe, la signification d’une perfusion de sérum physiologique était différente : un groupe « évolution naturelle » recevait une « hydratation », un groupe « double insu » recevait « soit un placebo, soit un antalgique », un troisième groupe recevait un « antalgique puissant ». Les doses de buprénorphine, pendant les trois jours postopératoires, par comparaison avec le groupe « évolution naturelle », ont été réduites de 20,8 % dans le groupe « double insu » et de 33,8 % dans le groupe avec antalgique puissant. L’effet placebo peut parfois s’exercer sur la seule zone impliquée par la suggestion et non pas de façon diffuse sur l’ensemble du corps. Cet effet peut être bloqué par la naloxone. L’analgésie du placebo peut s’accompagner d’effets dépresseurs respiratoires, cardiovasculaires et sympathiques qui seraient antagonisés par la naloxone [20]. 5. Les mécanismes neurobiologiques de l’effet placebo Les mécanismes analgésiques endogènes mis en évidence dans le système nerveux central ont rapidement constitué des pistes séduisantes pour donner un fondement neurophysiologique à l’effet placebo. 4.3. Durée de l’effet 5.1. Implications des opioïdes endogènes On a souvent avancé que l’effet placebo a une efficacité toujours brève et non durable dans le temps. En fait, cette caractéristique reste relative et la littérature comporte de nombreux exemples d’effets placebo durable : plus d’un an dans le traitement chirurgical de l’angine de poitrine [15], de 60 à 180 jours dans des pathologies arthrosiques [16]. La première étude, réalisée en 1978, par Levine et al., recueillait en double insu, sur une douleur postextraction dentaire, les effets d’un placebo puis de la naloxone [21]. Les sujets recevant un placebo ont été classés en placeborépondeurs et non-répondeurs. L’administration de naloxone a augmenté le niveau de douleur chez les répondeurs, mais pas chez les non-répondeurs, permettant de formuler l’hypothèse d’une libération d’endorphines après administration de placebo. Mettant en relation un phénomène considéré comme « psychogène », l’effet placebo, et la libération de morphiniques endogènes, ce travail a connu un retentissement considérable, mais aussi suscité de nombreuses hypothèses alternatives : caractère arbitraire de la classification des sujets en placebo-répondeurs et non-répondeurs [22], hyperalgésie produite par la naloxone relativisant l’effet placebo [23]. Chez des sujets volontaires soumis à une douleur ischémique, l’inversion partielle de l’effet placebo après naloxone se développe progressivement au cours de trois expérimentations successives, réalisées à une semaine d’intervalle, ce qui milite en faveur d’un mécanisme de conditionnement [24]. 4.4. Interactions et synergie L’effet placebo interagit avec celui du verum. Ainsi, l’efficacité d’une administration de morphine s’observe dans 60 % des cas chez des sujets placebo-résistants, et dans 77 % des cas chez des sujets placebo-sensibles [17]. Pour cette raison, il est inutile d’exclure les placebo-répondeurs dans un essai clinique : un placebo-répondeur n’est pas nécessairement un mauvais discriminateur des traitements. En laboratoire, Chen et Dworkin ont montré la synergie d’un effet pharmacologique verum ou placebo avec certains facteurs cognitifs [18]. Deux groupes de sujets ont reçu des informations les incitant à croire, ou à ne pas croire, au pouvoir analgésique de la subs- 230 C. Guy-Coichard, F. Boureau / La revue de médecine interne 26 (2005) 226–232 Toutefois, le type de conditionnement (par opioïde ou nonopioïde) module, dans d’autres études, la réponse de l’effet placebo à la naloxone, montrant que celui-ci ne se résume pas à la mise en jeu de mécanismes opioïdes endogènes [25]. La proglumide, antagoniste CCK A, potentialiserait l’effet placebo [26]. Les patients, qui répondent au placebo administré en intrathécal, ont des élévations plus importantes d’endorphines dans le LCR [27]. D’autres études ou revues sont venues confirmer la possibilité d’une implication, au moins partielle, de morphiniques endogènes [12,20,28,29]. 5.2. Structures centrales impliquées L’imagerie cérébrale par tomographie par émission de positons (PET) a permis de montrer que l’administration de placebo et d’un morphinique (remifentanil) mettait en jeu des réseaux neuronaux communs et s’accompagnait de l’activation du cortex cingulaire antérieur et du cortex orbitofrontal latéral, zones connectées à des structures du tronc cérébral impliquées dans l’analgésie opioïde (substance grise périacqueducale) [30]. Ajoutons que les études sur le placebo dans la dépression ou la maladie de Parkinson font apparaître des médiations respectivement sérotoninergiques ou dopaminergiques. 6. Déterminants psychologiques de l’effet placebo Divers facteurs psychologiques ont été suspectés de favoriser l’apparition d’un effet placebo : profil particulier de la personnalité, réduction d’anxiété, conditionnement, attentes, désir de soulagement... 6.1. Une « personnalité placebo répondeur » ? Divers travaux ont tenté, sans résultat probant, d’identifier des traits de personnalité caractérisant le placebo répondeur. Selon la revue de Lasagna en 1980, 14 % seulement des sujets sont des répondeurs constants, 31 % des non répondeurs constants et 55 % des répondeurs intermittents. La grande fréquence des sujets placebo-répondeurs intermittents semble indiquer que la réponse au placebo dépend plus de facteurs situationnels que d’une prédisposition individuelle. Tout sujet peut, un jour ou l’autre, en fonction de facteurs de circonstances et de contexte, répondre favorablement après administration d’un placebo et devenir placebo-répondeur. La notion de placebo-répondeur peut cependant être biaisée, comme dans les essais de phase I, où les sujets volontaires décrivent fréquemment des effets négatifs (nocebo) après administration de placebo. Les volontaires pour de tels essais présentent en effet avec une fréquence significative une personnalité de type A, sur l’échelle de Bortner, c’est-à-dire encline à manifester une tendance à la compétition, l’urgence du temps, l’agressivité... [31]. La réduction de l’anxiété est souvent citée comme facteur en cause dans la manifestation d’un effet placebo. En fait, on ne dispose que de peu de données [32,33]. Dans des conditions expérimentales, il a été montré que le placebo modifiait la composante affective de la perception de douleur [34]. La question soulevée est de savoir si la réduction de l’anxiété est cause ou conséquence de la réponse au placebo. 6.2. Conditionnement et facteurs cognitifs dans l’effet placebo On peut concevoir qu’une réponse initialement non conditionnelle (par exemple diminution de la douleur après administration d’un antalgique), puisse, après un mécanisme d’apprentissage, devenir une réponse conditionnée à un stimulus, par exemple l’administration de placebo. Un tel mécanisme de conditionnement a été réalisé dans des conditions expérimentales [35,36] : des variations du niveau de la stimulation expérimentale nociceptive (iontophorèse), laissant croire au sujet à un effet analgésique marqué, ont permis aux auteurs de modifier le pourcentage de sujets placeborépondeurs. L’importance de ce mécanisme a été confirmée par une autre étude comparant un groupe témoin, un groupe recevant un conditionnement et des suggestions, un groupe recevant des suggestions seules, et un groupe recevant un conditionnement seul. Le conditionnement est le plus puissant parmi les facteurs responsables de l’effet placebo [36]. Les techniques thérapeutiques psychocomportementales considèrent le placebo comme un conditionnement permettant d’induire une réponse émotionnelle positive, diminuant le niveau de douleur [37]. D’autres travaux ont cherché à étudier le rôle de variables cognitives, comme les attentes, dans la manifestation de l’effet placebo. Gracely et al., dans une expérimentation en double insu, ont étudié deux groupes de patients ayant subi une extraction dentaire sous anesthésie locale [38]. Dans un premier groupe, les sujets recevaient une injection i.v. soit de naloxone, soit de placebo, dans le second, ils recevaient une injection de naloxone, de placebo ou d’un opioïde. La différence entre les deux groupes portait donc uniquement sur la connaissance qu’avait l’expérimentateur des substances possibles. Il savait quel groupe pouvait recevoir un analgésique puissant, tout en restant en aveugle concernant la substance administrée. La comparaison des deux groupes fait apparaître que l’effet placebo est nettement plus marqué dans le groupe susceptible de recevoir un opioïde. Malgré les conditions du double insu, les attentes d’efficacité des expérimentateurs ont ainsi pu être communiquées subtilement aux sujets. Les deux modèles, conditionnement et cognitifs–attentes, ne sont pas exclusifs l’un de l’autre. Les attentes peuvent venir moduler les mécanismes d’apprentissage [39]. En outre, les mécanismes de conditionnement et les attentes ont un rôle additif dans l’effet placebo [25,10]. Les attentes d’efficacité sont liées aux croyances concernant la thérapeutique. Des études avaient ainsi montré que deux capsules ont un effet supérieur à une seule capsule [40]. On hiérarchise classiquement les effets selon la voie d’administration (les voies injectables sont réputées plus efficaces que la voie orale), le lieu de trai- C. Guy-Coichard, F. Boureau / La revue de médecine interne 26 (2005) 226–232 tement (un traitement hospitalier est plus actif qu’au domicile) ou la couleur du produit. Le nom de commercialisation enfin peut rendre compte d’un quart à un tiers du soulagement global [41]. 231 tion, les attentes d’efficacité ou bien le conditionnement induit par un traitement efficace : elle ne peut avoir, dans le domaine de la douleur, de valeur diagnostique. 8.2. Quelle est la place du placebo en pratique quotidienne ? 7. Implications pour les essais contrôlés Dans le cadre des essais thérapeutiques, l’effet placebo est responsable d’un bruit de fond qui rend impérative une méthodologie contrôlée, avec double insu. Même dans les essais de phase I, chez les volontaires sains, l’effet placebo contraint à respecter cette méthodologie [42]. Le placebo doit posséder des caractéristiques sensorielles qui ne permettent pas de le distinguer du traitement actif, de façon à créer des attentes analogues. Nous avons signalé plus haut la possibilité de recours à un placebo « actif », mimant certains effets indésirables du verum. Ces contraintes méthodologiques ont inévitablement un coût. Elles rendent délicates et sont même parfois dissuasives pour une recherche de qualité dans le domaine de la douleur. Mais les résultats obtenus « en ouvert » sont à l’inverse peu informatifs... L’utilisation du placebo fait surgir en regard des interrogations éthiques, particulièrement sur certaines populations (malades en fin de vie, enfants, patients fragilisés...), incitant à développer les méthodologies d’étude comparant perfusions « cachées » et « ouvertes », sans placebo. 8. Implications pour la pratique quotidienne 8.1. La réponse au placebo a-t-elle une valeur diagnostique ? Une attitude encore très largement répandue consiste à utiliser un placebo comme traitement d’épreuve, prétendant apprécier la part « organique » ou « réelle » d’une douleur. Cette démarche, en assimilant la cause de la douleur au « phénomène douleur » avec ses possibilités de modulation, crée une confusion. En premier lieu, l’effet placebo est trop fréquent (environ 35 % des patients) pour que la réponse au placebo puisse nous renseigner sur l’étiologie de la douleur. Par ailleurs, si la réponse au placebo traduit une analgésie psychogène, ce phénomène peut tout à fait concerner une douleur d’origine somatique. Sur une réponse favorable au placebo, on ne peut donc en aucune façon conclure que la douleur est « imaginaire », « simulée », « psychogène », « hystérique », ... et ainsi légitimer ou disqualifier une plainte de douleur. Remarquons en outre les attitudes négatives, péjoratives qui sont rattachées à cet effet placebo et qui amorcent souvent le rejet du malade. La relation sera définitivement altérée si le malade apprend qu’il a été trompeusement traité par un placebo. Signalons également le risque de relâcher la vigilance vis-à-vis d’une douleur sans étiquette, mais placebosensible, et ne pas poursuivre les investigations nécessaires. La réponse au placebo ne fait qu’illustrer la qualité de la rela- Nous avons vu que tout traitement agit par des effets propres et des effets non spécifiques : il est donc inutile de recourir à un placebo pour induire un effet placebo. Tous les médecins pensent du reste avoir moins souvent recours au placebo que leurs confrères, comme l’a montré Hofling en 1995. Mais pour survenir, l’effet placebo a besoin d’un support sur lequel se greffer ; sa probabilité de survenue est d’autant plus grande que le médecin est convaincu de l’efficacité de la thérapeutique. Les traitements ayant fait la preuve de leur efficacité sont donc les mieux adaptés pour favoriser l’apparition d’un effet placebo. À l’inverse, on peut penser que la répétition de traitements sans efficacité crée un conditionnement défavorable au soulagement. Pourrait-on y voir un rôle iatrogène dans la douleur chronique ? La seule situation où il pourrait paraître légitime de prescrire un médicament placebo serait celle d’un patient pour lequel aucun traitement reconnu actif n’est disponible. Mais là aussi, cette attitude n’est pas sans susciter des remarques car elle risque de renforcer chez le malade une confiance dans le recours obligatoire au médicament là où une attitude psychothérapique serait, peut-être, mieux adaptée. 8.3. Utiliser les effets non spécifiques-placebo pour toute thérapeutique L’effet placebo nous incite donc à ne pas utiliser de placebo mais à savoir susciter les facteurs non spécifiques qui peuvent moduler toute action thérapeutique. Tout praticien doit savoir potentialiser les facteurs spécifiques d’une thérapeutique par une relation médecin–malade de qualité qui permettra d’induire des facteurs non spécifiques complémentaires. Se préoccuper des facteurs psychologiques, lors de tout acte thérapeutique, est la conséquence clinique logique des mécanismes de l’effet placebo. L’entretien avec le patient douloureux est toujours riche d’informations permettant de préciser ses attentes, ses croyances vis-à-vis des thérapeutiques. On recherchera notamment les conditionnements (les réponses antérieures, favorables ou défavorables, à des produits pour d’autres types de douleur, par exemple postopératoire, céphalées...). À l’inverse, une longue histoire de traitements inefficaces ou de chirurgie itérative peut également être comprise comme un conditionnement. Le contexte dans lequel ces traitements ont été administrés est également un facteur possible de conditionnement qu’il faudra rechercher ou éviter. Ceci englobe de nombreux facteurs environnementaux concernant les soignants, les odeurs, le cadre de l’hôpital, la vue des aiguilles, des appareillages,... La connaissance, la compréhension, les croyances, que le patient a d’une intervention thérapeutique sont cruciales pour 232 C. Guy-Coichard, F. Boureau / La revue de médecine interne 26 (2005) 226–232 la manifestation d’un effet placebo. Les attentes d’efficacité, l’enthousiasme et la façon dont la confiance et la conviction sont communiqués au patient (grâce à une relation médecin– malade de qualité) y jouent aussi un rôle de premier plan, que le thérapeute saura donc renforcer par des effets de suggestions sur la pertinence du traitement (information sur le degré de preuve). Dans tous les cas, on se souviendra que la meilleure façon de produire un effet placebo est de dispenser un traitement réellement efficace. Références [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10] [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] [19] [20] Shapiro AK. Factors contributing to the placebo effect. Am J Psychother 1964;18:73–88. Pichot P. A propos de l’effet placebo. Rev Med Psychosom 1961;3: 37–40. Beecher HK. 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