LES CAHIERS DE L’IREA N° 13 - 2017 Revue de l’Institut de recherches et d’études africaines (IREA) Le management en Afrique : entre universalité et contingence L’Harmattan LES CAHIERS DE L’IREA N° 13 - 2017 Revue de l’Institut de recherches et d’études africaines (IREA) Le management en Afrique : entre universalité et contingence L’Harmattan © L'Harmattan, 2016 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-343-13204-4 EAN : 9782343132044 Comité scientifique de l’IREA Monsieur François-Xavier AMHERDT (Faculté de théologie de l’université de Fribourg), Monsieur Dominique YANOGO (UCAO-UUA d’Abidjan), Konan Jérôme KOUAKOU (CRD), Tanden Joseph DIARRA (UUBA/UCAO), Jean Robert TCHAMBA (université de Dschang), Dia Édith COULIBALY née TRAORÉ (université de Ouagadougou), Windpagnangdé Dominique KABRE (université OUAGA Il), Pétillon Muyambi DHENA (université de Kisangani-RDC), Pierre Samuel NEMB (Universite de Maroua), Innocent FOZING (université de Yaoundé I), Kengne FODOUOP (université de Yaoundé I), Gabriel NYASSOGBO (université de Lomé), Monsieur Moussa OUEDRAOGO (coordonnateur de projet de développement – B F), Maurice BAZEMO (université de Ouagadougou), Sindani KIANGU (université de Kinshasa - RDC), Alphonse Sekré GBODJE (université Alassane Ouattara de Bouaké-RCI), Augustin COLY (.L.S.H/U.C.A.D – Dakar/Sénégal), Effoh Clément EHORA (université Alassane Ouattara, Côte d'Ivoire), Edmond BILOA (université de Yaoundé I), Mounkaila Abdo Laouali SERKI (université Abdou Moumouni de Niamey), Faloukou DOSSO (université Alassane OUATTARA – RCI), Ilango-Banga Jean-Pierre LOTOY (université de Kinshasa – RDC), Albert MULUMA MUNANGA (université de Kinshasa - RDC), Kouakou Appoh Énoc KRA (université Félix Houphouët-Boigny de Cocody – RCI), Ram Christophe SAWADOGO (université de Ouagadougou), Roch YAO GNABELI (université FHB d'Abidjan - RCI), Issa A. MOUMOULA (université de Koudougou), Joseph YAO (l'université de Cocody), Fodé NDIAYE (Banquier professionnel), Pierre Samuel NEMB (Université de Maroua Yaoundé Cameroun), Justin KOFFI, Gbaklia Elvis KOFFI, Philémon MUAMBA, Augustin MILAMBO BAÏKA MUNGANGA. Comité de lecture de l’IREA Hammou HAIDARA (Consultant international indépendant), Pierre MOUANDJO (Univ. Catholique d’Afrique centrale), Paulin POUCOUTA (Institut Catholique de Yaoundé), Judicaël BOUKANGA (Doctorant), NDoumy Noel ABE (université Alassane Ouattara-RCI), Matthieu FAU-NOUGARET (Conseiller des Présidents des universités Publiques du Burkina Faso), Dieudonné Kalindyé BYANJIRA (université de Kinshasa - RDC), Pierre FONKOUA (université de Yaoundé), Jean Paulin KI (OCADES‐Dédougou), Jérôme KOUNDOUNOU (Global Water Initiative-Afrique de l'Ouest), Louis Bernard TCHUIKOUA (université de Yaoundé 1), Sindani KIANGU (université de Kinshasa), Kouamé René ALLOU (université Félix Houphouët Boigny. Abidjan-Cocody), Kouakou Siméon KOUASSI (université Félix Houphouet-Boigny. Abidjan-Cocody), Désiré ATANGANA KOUNA (université de Yaoundé I), Gérard Marie NOUMSSI (université de Yaoundé I), Diané Véronique ASSI (l'université Félix Houphouet-Boigny. Abidjan-Cocody), PierreClaver ILBOUDO (École Supérieure d'Interprètes et de Traducteurs – Ouagadougou), Vincent Davy KACOU OI KACOU (grand séminaire Saint-Paul d'Abadjin-Kouté - RCI), Jean-Claude SHANDA FONME (Directeur exécutif du Centre africain de politique internationale), Emmanuel KABONGO MALU (IPGC), N'guessan Jérémie KOUADIO (université Félix HouphouëtBoigny de Cocody), Adou APPIAH (université de Bouaké/Côted’Ivoire), Jean-Claude ANGOULA (Prêtre spiritain camerounais), Omar NDOYE (université Cheikh Anta Diop de Dakar), Amouzou Essè AZIAGBÉDÉ (professeur titulaire des universités - Togo), Dieudonné ZOGNONG (université de Tromso - Norvège), Louis Hervé NGAFOMO (université de Yaoundé I), Hamadou ADAMA (University of Ngaoundéré – Cameroun), Patrice TOE (Institut du développement rural (IDR)/Bobo-B F), Bertin G. KADET (l'école normale supérieure d'Abidjan – RCI). Présentation des coordonnateurs scientifiques de ce numéro Emmanuel KAMDEM est professeur titulaire des universités, hors échelle, Directeur de l’École Supérieure des Sciences Économiques et Commerciales (ESSEC) de l’Université de Douala, Cameroun. Il y dirige le Centre d’Études et de Recherches Africaines en Management et en Entrepreneuriat (CÉRAME). Professeur invité dans différents établissements universitaires (FSEG, Université de Ngaoundéré, Cameroun ; FSEG, Université de Strasbourg, France ; ESSCA, Angers, France ; ESCA, Casablanca, Maroc ; FSESG, Université de Reims Champagne-Ardenne, France ; Sup de Com, Libreville, Gabon), ses enseignements et ses travaux portent principalement sur le management interculturel, le management de la diversité, le comportement organisationnel en contexte africain ; ainsi que l’analyse socio-anthropologique des organisations et des entreprises africaines. Administrateur d’entreprises, il est membre du Cercle de Réflexion Économique du Groupement Inter-Patronal du Cameroun (GICAM), principale organisation patronale du Cameroun, fortement impliquée dans les projets et les activités de professionnalisation de la formation universitaire au Cameroun. Il est auteur ou co-auteur d’un ouvrage individuel, de 6 ouvrages collectifs, de 37 articles et chapitres d’ouvrages tous principalement dédiés au management interculturel, au management de la diversité, à l’éthique managériale et au comportement organisationnel en contexte africain. Evalde MUTABAZI est professeur permanent à l’École de Management de Lyon depuis plus de 20 ans. Sa thèse de doctorat à l’Institut d’Études Politiques (IEP) de Paris ayant porté sur l’entreprise multiculturelle en Afrique en 1999, il intervient aussi comme consultant, formateur et coach de dirigeants et cadres en Afrique et en Europe. Depuis la publication de son premier ouvrage sur le rapprochement des entreprises (fusions, acquisitions, alliances et coopérations) en1994, il s’appuie sur de nombreuses recherches et publications réalisées depuis pour proposer des prestations dans 7 les domaines du leadership, de la conduite du changement et du management des équipes en contextes multiculturels. De nationalités française et rwandaise, Evalde MUTABAZI a développé une forte expertise dans le management des entreprises mettant en jeu des partenaires marqués par des systèmes de valeurs, des modèles d’organisation et des expériences managériales différentes. Fort de sa double expérience des systèmes de valeurs, des contraintes et des règles qui orientent les comportements et la mise en œuvre concrète des modèles d’organisation ou des théories du management au sein des entreprises publiques ou privées en Afrique et en Occident, Evalde Mutabazi consacre aujourd’hui l’essentiel de son temps à accompagner les managers et dirigeants africains et occidentaux qui souhaitent tirer partie de leurs différences pour mieux entreprendre et réussir pleinement et durablement leurs entreprises dans l’intérêt bien compris. 8 Présentation des contributeurs à ce numéro Désirée Altante BIBOUM est maître de conférences agrégée en sciences de gestion (CAMES). Elle est enseignante au Département de gestion marketing de l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) de l’Université de Douala (Cameroun). Elle occupe actuellement la fonction de Chef de division des affaires administratives et financières à la Faculté de médecine et des sciences pharmaceutiques de cette Université. Elle est co-fondatrice du Centre d’études et de recherches africaines en management et en entrepreneuriat (CÉRAME). Auteur ou co-auteure de chapitres d’ouvrages et d’articles sur la gestion des relations clients, l’accompagnement des dirigeants des PME et TPE, l’entrepreneuriat féminin en contexte africain. Elle est experte internationale certifiée par le Centre international de Genève (CCI/ICT) pour l’accompagnement des femmes d’affaires africaines au commerce international. Sa dernière publication d’ouvrage est : (sous la direction d’E. Kamdem), Pratiques d’accompagnement et performances : très petites et petites entreprises camerounaises en phase de démarrage, Dakar, Codesria, 2011. Yannick EGNONGO est docteur en gestion des ressources humaines et enseignant chercheur à l’Institut national des sciences de gestion (INSG) de Libreville (Gabon). Ses travaux de recherche portent principalement sur l’influence du facteur culturel sur les outils de gestion. Kais GANNOUNI est docteur en sciences de gestion. Il est enseignant-chercheur au Département de Business Administration, College of Economics and Administrative Sciences, Imam Muhammad Ibn Saud Islamic University, Riyadh (Arabie Saoudite). Ses principaux domaines d’enseignement et de recherche sont : la gestion des ressources humaines, le comportement organisationnel. 9 Adel GOLLI était professeur assistant à Kedge Business School (France). Il y enseignait la gestion des ressources humaines, l’éthique des affaires et la responsabilité sociale de l’entreprise. Ses recherches ont porté sur le climat éthique, la satisfaction au travail et l’implication organisationnelle dans l’espace euro-méditerranéen. Il avait conduit plusieurs travaux de recherche internationaux dont Agora-Rh. Il est auteur ou coauteur de plusieurs publications d’articles ou de chapitres d’ouvrages dont la plus récente est : (avec A. Yahiaoui, P. Micheletti), « Responsabilité sociale des entreprises : l’application du modèle de Carroll », F. de Bry, J. Igalens, J.M. Peretti (dir.), Éthique et responsabilité sociale, Caen, Éditions Management et Société (EMS), 2010. Assya KHIAT est titulaire d’un doctorat d’État en économie, option gestion. Professeure à l’Université d’Oran 2 Mohamed Benahmed (Algérie). Enseignante-chercheure responsable du programme doctoral gestion, marketing, ressources humaines (GMRH) ; du Master professionnalisant ressources humaines et communication (RHC) ; du projet CNEPRU Audit de la fonction ressources humaines. Consultante auprès de cabinets conseils-formations. Auteur de plusieurs ouvrages, chapitres d'ouvrages collectifs et conférences à l’échelle internationale. Membre de l’Institut international d’audit social (IAS). Membre du conseil scientifique de la revue Questions de Management, 2è VicePrésidente de la Revue internationale RESADDESE. Ses récentes publications d’ouvrages sont : Je rédige mes écrits scientifiques aux normes APA, Oran, Dar El Adib, 2016 ; Un audit de la fonction Ressouces Humaines en Algérie, Oran, Dar el adib, 2015. Mustapha MEZIANI est maître de conférences A (HDR) en sciences de gestion à l’Université A/Mira de Bejaia, campus Aboudaou (Algérie) où il est responsable du Master « Management des organisations », depuis 2011. Ses principaux domaines d’enseignement et de recherche concernent le management de la qualité et la démarche qualité selon les 10 normes internationales ISO, et leur adaptation au contexte algérien (culturel, politique et historique). Ses publications récentes sont : “The effect of the ISO 9001 Certificate on Company Performance : the Case of certificated Companies in Wilaya Bejaia (Algeria)”, Revue Resaddersse International, vol. 21-22, 2015, p. 97-125 ; (avec Daniel Labaronne), Au cœur de la dimension culturelle du management, 2015. Nathalie MONTARGOT est titulaire d’un doctorat en sciences de gestion. Occupant les fonctions de professeure associée au sein du Groupe Sup de Co La Rochelle (France), elle est à la fois affiliée au laboratoire de recherche du CEREGE Poitiers et membre de la Chaire ESSEC du Changement. Auteure et co-auteure de chapitres d'ouvrages et d'articles sur la gestion des relations humaines, sa dernière publication co-écrite avec B. Benlahouel (2016) est “Exploring change conversations through the rhetoric of French leaders”, European Business Review, vol. 28, Iss : 4. Ses axes de recherche portent sur l'accompagnement du changement, la diversité, la socialisation organisationnelle et le bien-être au travail. Raphaël NKAKLEU est maître de conférences agrégé en sciences de gestion (CAMES). II enseigne la gestion des ressources humaines et l’entrepreneuriat à l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC) de l’Université de Douala (Cameroun) où il est co-fondateur du Centre d’études et de recherches africaines en management et en entrepreneuriat (CÉRAME). Auteur ou co-auteur d’ouvrages, de chapitres d’ouvrages et d’articles sur la gestion des ressources humaines dans les PME africaines ; et sur l’entrepreneuriat en contexte africain. Ses récentes publications d’ouvrages sont : (sous la direction d’E. Kamdem), Profils et pratiques d’entrepreneurs camerounais : expériences et témoignages, Paris, L’Harmattan, 2015 ; Pratiques d’accompagnement et performances : très petites et petites entreprises camerounaises en phase de démarrage, Dakar, Codesria, 2011. 11 Lovanirina RAMBOARISON-LALAO est titulaire d’un doctorat en sciences de gestion, qualifié MCF. Il est enseignantchercheur affilié au Laboratoire HuMaNis à l’École de Management de l’Université de Strasbourg (France) où il est responsable pédagogique de l’Axe RH/DPP dans le programme BAI. Ses principaux domaines d’enseignement et de recherche sont : la gestion des ressources humaines, le comportement organisationnel, le leadership, la responsabilité sociétale des organisations. Serge Francis SIMEN est maître de conférences agrégé en sciences de gestion (CAMES). Il enseigne la gestion des ressources humaines à l’École supérieure polytechnique de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal) où il est rattaché au laboratoire de recherche « GRH, organisation et stratégie » du Centre de Recherche Entreprise et Développement (CRED). Il est responsable du programme de formation doctorale « Entrepreneuriat, PME et développement local » et co-responsable du programme de formation doctorale « GRH, organisation et stratégie ». Il a publié (sous la direction de B. Tidjani et E. Kamdem), « La gestion des compétences dans les établissements hospitaliers publics de santé au Sénégal : cas d’un Centre Hospitalier Universitaire à Dakar », Gérer les ressources humaines : entre processus sociaux et pratiques organisationnelles, Caen, Édition Management et Société (EMS), 2010, p. 169-191. Abdelaziz SWALHI est titulaire d’un doctorat en sciences de gestion. Il est maître de conférences à l’Université de Montpellier où il enseigne la gestion des ressources humaines et l’analyse des données. Il est membre du Laboratoire Montpellier Research Management (MRM) de cette université, ainsi que de la Chaire Jacques Coeur pour l’accompagnement entrepreneurial. Il est co-responsable du Master 2 Management International des PME. Ses recherches portent sur les pratiques de GRH, la justice organisationnelle, l’employabilité et les comportements au travail dans les grandes entreprises et les PME. Sa publication récente est : (avec M. Hofaidhllaoui, M. 12 Malik, S. Frimousse), “Exhaustion of Employees in SMEs: the role of Employability”, Revue de Gestion des Ressources Humaines, n° 94, 2014, p. 71-85 Luther TALLA FOTSING est titulaire d’un doctorat en sciences de gestion. Enseignant-chercheur à la Faculté des sciences économiques et de gestion de l’université de Ngaoundéré (Cameroun), principalement dans les domaines de la gestion des ressources humaines et du management stratégique des organisations. Il est enseignant-associé à l’Université de Moundou (Tchad). Il est co-auteur de chapitres d’ouvrage notamment sur l’éthique et l’entreprise. Mathurin TCHAKOUNTÉ DJODA est titulaire d’un Doctorat/Ph D. en sciences économiques. Il est enseignantchercheur, principalement en économie du travail, à la Faculté des sciences économiques et de gestion à l’Université de Ngaoundéré (Cameroun). Dorra YAHIAOUI titulaire d’un doctorat en sciences de gestion et actuellement responsable du groupe de recherche « Management des ressources humaines » à EuroMed Research Business Institute. Elle est professeure et responsable du parcours d’excellence « Leadership and change management » à Kedge Business School, France. Elle enseigne la gestion des ressources humaines et le comportement organisationnel. Ses recherches portent sur le transfert international des pratiques de GRH, la GRH dans l’espace euro-méditerranéen, l’innovation transnationale, la comparaison des pratiques de RSE. Ses publications récentes sont : “Hybridization : striking the balance between the adoption and adaptation of human resource management practices within french MNCs and thier Tunisian subsidiaries”, The International Journal of Human Resource Management, vol 26, n° 13, 2015, p. 1665-1693 ; (avec Chebbi H., Thrassou D., Vrontis A.), “Building Multi-Unit ambidextrous organizations : A transformative framework”, Human Resource Management, vol. 54, n° 1, 2015, p. 155-177. 13 Remerciements Les coordonnateurs scientifiques adressent leurs sincères remerciements aux différentes personnes dont la contribution a été capitale pour la production de ce numéro spécial : Vincent CALVEZ, professeur à l’ESSCA (Angers, France) qui a accompagné ce projet dans la phase d’élaboration ; les contributeurs qui ont accepté de produire un article ; les évaluateurs et relecteurs anonymes. 15 Sommaire Sommaire..................................................................................17 Éditorial Le management en Afrique : entre universalité et contingence19 Compétences des entrepreneurs et performance des PME : le rôle des structures d’accompagnement au Cameroun et au Sénégal .....................................................................................27 Altante Désirée BIBOUM et et Raphaël NKAKLEU L’impact des TIC sur le développement des compétences professionnelles : une analyse théorique sur des données du secteur industriel camerounais.............................................61 Luther TALLA FOTSING et Mathurin TCHAKOUNTÉ NJODA L’impact de la culture lors de l’importation d’une instrumentation de gestion des compétences dans une entreprise : cas de la GPEC dans un groupe bancaire africain ..................93 Yannick EGNONGO Genre, leadership et auto-efficacité chez les managers africains de demain : regard sur les futurs managers d’origine malgache, tunisienne et sud-africaine .....................123 Lovanirina RAMBOARISON-LALAO et Kais GANNOUNI Climat éthique et implication organisationnelle : quels liens dans le contexte des entreprises tunisiennes ? ........................161 Adel GOLLI Abdelaziz SWALHI Dorra YAHIAOUI Pratiques de GRH dans les très petites entreprises sénégalaises : pertinence d’une gestion qui concilie tradition et modernité..199 Serge F. SIMEN Analyse exploratoire du comportement des travailleurs chinois dans la communauté de travail lgérienne ...................233 Assya KHIAT Nathalie MONTARGOT 17 Éditorial Le management en Afrique : entre universalité et contingence I l y a environ 50 ans, René Dumont publia L’Afrique noire est mal partie1 : un pronostic catastrophiste sur l’avenir de l’Afrique noire. Alors que son intention est à cette époque, d’exhorter les Africains à repenser la gestion de leurs ressources, son pronostic va se réaliser pendant plusieurs dizaines d’années, au-delà du seul secteur agricole et des seuls pays d’Afrique noire précisément concernés dans son ouvrage. Bien qu’il ait provoqué un tollé général d’indignation et de rejet au lendemain de sa sortie en 1962, une année très fortement marquée par l’euphorie de l’accès aux indépendances politiques, cet ouvrage, suivi par L’Afrique étranglée2 en 1980, a été plus récemment réédité sous le même titre et dans les mêmes termes en 2012, lors du cinquantième anniversaire de l’accès aux indépendances. Par ailleurs, en signant la préface de cette seconde édition, Abdou Diouf et Jean Ziegler3 confirment l’état de l’Afrique annoncé par cette prophétie auto-réalisante (Robert K. Merton)4 ; d’où la question cruciale de savoir comment l’Afrique pourrait mettre en échec cette prophétie, pour sortir de l’échec répétitif des projets et du dysfonctionnement devenu endémique notamment au niveau des organisations publiques. 1 René Dumont, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Éditions du Seuil, 1962. 2 René Dumont et Marie-France Mottin, L’Afrique étranglée, Éditions du Seuil, 1980. 3 L’Afrique noire est mal partie, Préface d’Abdou Diouf et Jean Ziegler, Paris, Éditions du Seuil, 2012 4 Robert K. Merton, Social Theory And Social Structure, New York, Free Press, 1949. 19 Vis à vis de cette épineuse question d’une gouvernance et d’un management plus efficaces en Afrique, la lecture attentive de nombreux ouvrages publiés entre 1962 et 2012 montre une focalisation massive des auteurs sur les dimensions politiques et sociologiques ; en considérant souvent celles-ci comme les seules variables causales de la déficience de nombreuses organisations africaines. Toutes disciplines de référence confondues, ces auteurs convergent pour expliquer les dysfonctionnements observés par « l’action conjuguée » de deux facteurs : les structures politiques (Jean-François Bayart, 19895 ; Jean Dussey, 20086 ; Laurent Gaba7, etc.) et les cultures africaines (Axelle Kabou, 19918 ; Alain Henri, 19919 ; André Julien Mbem, 200810 ; Henri Bourgoin, 198211 ; Philippe Delalande, 198712 ; Daniel Etounga- Manguellé13 ; Philippe d’Iribarne, 199814 ; Moussa Konaté15 ; etc.) Un grand nombre d’entre eux procèdent enfin comme si ces 2 facteurs étaient externes à la fois aux organisations et aux 5 Jean François Bayart, L’Etat en Afrique : la politique du ventre, Paris, Éditions Fayard, 1989. 6 Jean Dussey, L’Afrique malade de ses hommes politiques, Paris, Éditions Jean Picollec, 2008. 7 Laurent Gaba, L’état de droit, la démocratie et le développement économique en Afrique subsaharienne, Paris, L’Harmattan, 2000. 8 Axelle Kabou, Et si l’Afrique refusait le développement, Paris, L’Harmattan, 1991. 9 Alain Henri, « Vers un modèle de management africain », Cahiers des Études africaines, vol 31, n° 121, 1991. 10 André Julien Mbem, Et si l’Afrique était malade de ses intellectuels ?, Paris, L’Harmattan, 2008. 11 Henri Bourgoin, L’Afrique malade du management, Paris, Éditions Picollec, 1982. 12 Philippe Delalande, Gestion de l’entreprise industrielle en Afrique, Paris, Economica, 1987. 13 Daniel Etounga-Manguellé, L’Afrique a-t-elle besoin d’un programme d’ajustement culturel ?, Paris, L’harmattan, 1992. 14 Philippe d’Iribarne, Cultures et mondialisation, Paris, Éditions du Seuil, 1998. 15 Moussa Konaté, L’Afrique noire serait-elle maudite ?, Paris, Éditions Fayard, 2012. 20 individus, mais aussi comme s’ils agissaient dans une Afrique totalement coupée du monde d’une part ; dans une Afrique dont les habitants seraient parfaitement capables de résister à toutes les influences des autres continents et cultures d’autre part ; et enfin dans une Afrique dont ils mesurent souvent les insuffisances à l’aune des seules normes occidentales. À l’opposé de ces travaux marqués par une vision africaine de l’époque coloniale, des approches novatrices (Emile-Michel Hernandez, 199716 ; Evalde Mutabazi, 198917, 199918 ; 200719 ; Emmanuel Kamdem, 200220, 201621 ; Bassirou Tidjani et Emmanuel Kamdem22, 2010 ; Jean Nizet & François Pichault, 2007 ; Terence Jackson, 199123 ; etc.) considèrent que l’Afrique et l’Occident sont des univers tellement différents que leur comparaison ne peut conduire qu’aux constats répétitifs de carences (absence d’histoire industrielle, d’approches organisationnelles, d’outils de gestion et de méthodes de management) et de faiblesses endémiques de l’Afrique ; en oubliant souvent de signaler celles des pays occidentaux. 16 Emile-Michel Hernandez, Le management des entreprises africaines, Paris, L’Harmattan, 1997. 17 Evalde Mutabazi, « Le management en situations multiculturelles en Afrique », Revue Afrique industrie, Janvier 1989. 18 Evalde Mutabazi : « Les dirigeants d’entreprises en Afrique noire », Bournois F. & al., Préparer les dirigeants de demain, Paris, Éditions d’organisations, 1999. 19 Evalde Mutabazi : « Vers l’intégration des modèles managériaux africains et occidentaux », Jean Nizet & François Pichault (dir.), .Les performances des organisations africaines, Paris, L’Harmattan, 2007. 20 Emmanuel Kamdem, Management et interculturalité en Afrique. Expérience camerounaise, Paris, L’Harmattan ; Québec, Presses de l’Université Laval, 2002. 21 Emmanuel Kamdem (dir.), Innovation entrepreneuriale et développement durable en Afrique : défis et opportunités, Paris, L’harmattan, 2016. Paris, 2002 22 Bassirou Tidjani et Emmanuel Kamdem (dir.), Gérer les ressources humaines en Afrique : entre processus sociaux et pratiques organisationnelles, Caen, Editions Management et Société (EMS), 2010. 23 Terence Jackson, Indigenous African Institutions, New York, Transnational Publishers, 1991. 21 Par ailleurs, ces approches récentes vont au-delà des stéréotypes pourtant ressassés depuis longtemps jusqu’à la lie par de nombreux médias ; et sans pour autant tomber dans l’angélisme ou l’afro-optimisme béats. L’Afrique vient très rapidement et très largement de passer du tam-tam au téléphone portable (voire au Smartphone pour ceux qui peuvent s’en offrir). Les Africains considèrent dorénavant ces instruments comme de beaux outils d’échange d’informations, sans délaisser l’oralité et l’échange de face à face qui constituent toujours leur mode plus privilégié de communication. Ces auteurs nous invitent donc à prendre du recul vis à vis des dysfonctionnements encore assez souvent présentés aujourd’hui comme des tares réservées à l’Afrique (népotisme, tribalisme, corruption, exclusion, guerre identitaire, etc.). Tout en sachant que l’Afrique souffre (au même titre que les autres continents)24 d’une profonde crise des institutions de gouvernance dont le fonctionnement et les pratiques en Afrique se fondent sur une dualité de références (locales et occidentales)25, ces auteurs refusent de voir l’Afrique dans la seule perspective de l’échec et du déficit, ni dans l’image projetée de ce qu’elle devrait devenir en référence aux modèles occidentaux. Dans cette optique, ce numéro spécial dédié au management en Afrique a pour objet de contribuer à développer une compréhension plus fine et juste des dynamiques à l’œuvre dans le fonctionnement des organisations africaines. Une compréhension sur laquelle il est possible de s’appuyer pour 24 Les grandes institutions mondiales ( FMI, BM ) sont devenus quasi ingouvernables ; le G20 ou le NEPAD… organisent des réunions sans effets réels sur la vie des citoyens; sauf exceptions de plus en plus rares, les fonction suprêmes ne sont plus occupées par les meilleurs hommes ou les femmes, mais par ceux qui savent se faire élire par la peur ou la force des médias, mais sans pour autant savoir gouverner de façon démocratique… 25 Roland Finifter et Gérard Verna, L’entreprise africaine : essai sur la mal gouvernance, Paris, L’Harmattan ; Québec, Presses de l’Université Laval, 2011. 22 développer des approches managériales plus pertinentes et prospères au sein des entreprises publiques et privées africaines. L’Afrique est en marche avec des taux de croissance économique positifs depuis une quinzaine d’années ; elle dispose déjà de puissants moteurs pour avancer et grandir ; mais aussi elle a encore beaucoup à faire pour tirer le meilleur avantage de ses immenses ressources humaines et matérielles. Dans cette perspective, plusieurs contributeurs de ce numéro spécial s’appuient sur l’observation de faits concrets (attitudes, comportements, pratiques et routines de gestion) au travail ; afin de mieux comprendre la manière dont les Africains (dirigeants, managers ou salariés) s’inspirent et se servent à la fois des traditions locales et des apports des autres continents et cultures. Les contributions présentent des expériences managériales dans plusieurs pays africains (Afrique du Sud, Algérie, Cameroun, Gabon, Madagascar, Sénégal, Tunisie). Au-delà des signes précurseurs (observables dans quelques pays dont le Cameroun, la Côte d’Ivoire, l’Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie, le Sénégal, le Rwanda) de la capacité de l’Afrique à valoriser cette multiculturalité, la totalité des auteurs observent une Afrique ouverte sur le monde depuis la nuit des temps. Cette Afrique nouvelle est aujourd’hui constituée d’un assemblage de formes organisationnelles et de pratiques managériales issues à la fois de ses diversités (régionale, communautaire, ethnique, religieuse, linguistique, écologique, etc.) et de ses rapports avec les autres continents. L’objectif étant d’identifier, comprendre et gérer l’effet des pratiques inspirées à la fois des modèles de management importés et des traditions locales, plusieurs situations managériales concrètes sont examinées dans ce numéro spécial : le recrutement ; l’insertion et l’évolution professionnelle ; l’attachement à l’entreprise ; l’implication au travail ; les performances individuelles et collectives ; le recours des entrepreneurs ou des managers africains à la fois aux structures formelles et aux réseaux informels d’accompagnement ; l’usage 23 simultané ou parallèle des procédures importées et des manières ancestrales d’organiser un travail collectif. L’analyse de très riches informations ainsi recueillies montre que la pression mimétique et la tendance à adopter tels quels les modèles importés demeurent assez fortes en Afrique, mais qu’elles sont aujourd’hui de plus en plus remises en question. Cette situation s’explique par l’échec des projets et le dysfonctionnement endémique des organisations publiques, et plus récemment par la mise en concurrence des partenaires originaires des cinq continents. Ces derniers proposent des approches quelquefois diamétralement opposées et avec des coûts qui vont du simple au quintuple. Autrement dit, toutes les contributions présentées dans ce numéro spécial convergent pour exprimer que les cultures et les comportements africains n’entraînent ni l’appropriation totale, ni le rejet systématique ou catégorique des outils et des méthodes de management importés. Ces contributions révèlent des opinions, des attitudes et des comportements que l’on ne peut ni bien comprendre, ni gérer correctement sans une véritable prise en compte des caractéristiques du contexte politique et économique, historique et sociologique local. Ainsi, et contrairement aux idées reçues, ni l’âge ni le niveau ou le lieu de formation d’un dirigeant africain ne semblent déterminants pour les résultats d’une entreprise dans l’Afrique actuelle. L’important est que celui-ci soit à la fois culturellement et techniquement ouvert sur le monde ; qu’il reste capable d’intégrer les opportunités et les contraintes de l’environnement (interne et externe, local et international) de son entreprise ; qu’il prenne en compte la diversité des enjeux stratégiques et identitaires de ses partenaires proches et lointains. Plus globalement, ce numéro spécial apporte des éléments de réflexion permettant au lecteur d’opérer un réel changement de regard sur l’Afrique et les organisations africaines. Sa lecture attentive lui permettra d’appréhender autrement les 24 informations souvent diffusées sur ce continent et renforcera sa capacité à identifier ce qui, des autres continents, est rejeté ou adopté tel quel ou au contraire transformé, intégré et africanisé par les Africains et mis au service des entreprises, des organisations et des communautés. La phrase prononcée par Emmanuel Kamdem, « Ni Taylor, ni folklore : pour un management interculturel et créatif en Afrique », il y a plus de 20 ans lors d’un colloque international26, exprime bien la profondeur des contributions présentées dans ce numéro spécial. Cela est fait à partir des observations réalisées dans différents pays africains et qui donnent à voir une Afrique en marche qui gagnera à concilier davantage son ouverture et son identité. Emmanuel KAMDEM27, Evalde MUTABAZI28 26 Colloque international « L’individu dans l’organisation : les dimensions oubliées », Montréal, École des HEC, novembre 1990. 27 Professeur à l’ESSEC, Université de Douala, Cameroun [email protected] 28 Professeur à l’École de Management, Lyon, France [email protected] 25 Compétences des entrepreneurs et performance des PME : le rôle des structures d’accompagnement au Cameroun et au Sénégal29 Altante Désirée BIBOUM30 et Raphaël NKAKLEU31 Introduction L es statistiques de l’Institut National de la Statistique (INS, 2009) relevent que le tissu des entreprises au Cameroun compte moins de 100.000 entreprises, avec une forte représentation d’entreprises individuelles (89%). La jeunesse des entreprises camerounaises (81% des entreprises sont créées il y a moins de 10 ans) et sénégalaises justifie la promotion de l’entrepreneuriat et l’accompagnement à la création d’entreprise. En effet, les petites et moyennes entreprises (PME) ont du mal à se développer en raison de multiples 29 Cet article présente une partie des résultats d’un projet de recherche réalisée grâce à une subvention de Trust Africa. Nos sincères remerciements à tous nos collègues Camerounais et Sénégalais qui ont participé à ce projet 30 Maître de conférences agrégée, CÉRAME, ESSEC, Université de Douala, Cameroun - [email protected] 3 Maître de conférences agrégé, CÉRAME, ESSEC, Université de Douala, Cameroun - [email protected] 27 contraintes, institutionnelles, organisationnelles, ou de la formation insuffisante des entrepreneurs (défaut de compétences) pour assurer une gestion efficace et efficience de leurs entreprises (Capiez et Hernandez, 1998 ; Reynolds et al., 2004 ; Kamdem, 2011). Ainsi, la recherche sur les compétences des entrepreneurs (Laviolette et Loué, 2007) et/ou sur la performance des PME en démarrage (Sammut, 2011) répond à une demande sociale et managériale dans un contexte où plus de 60% des entreprises opérationnelles ont du mal à fonctionner après quatre ans d’existence (OCDE, 2001). Dans la perspective de la recherche en entrepreneuriat, les compétences des entrepreneurs sont de nature diverse : entrepreneuriales, managériales et technico-fonctionnelles (Chandler et Jansen, 1992 ; Loué et Baronet 2011). Or la diversité des compétences dont ont besoin les entrepreneurs pose le problème des espaces et des conditions de leur acquisition. Des études ont montré que l’accompagnement est une relation d’aide qui permet aux créateurs d’entreprise d’accéder aux informations utiles et d’acquérir les connaissances et compétences indispensables pour transformer leur projet en entreprise opérationnelle viable, pérenne et performante (Bréchet, 1994 ; Sammut, 2003 ; Chrisman et Mc Mullan, 2004 ; Chabaud et al., 2010). Son efficacité reste cependant en débat dans la mesure où les dispositifs d’accompagnement, la nature de l’accompagnement et les profils des acteurs sont différents selon les contextes. Si en Occident l’accompagnement se fait au travers des incubateurs ou des pépinières (Chabaud et al., 2010), les singularités de l’accompagnement entrepreneurial en Afrique subsaharienne (Kamdem, 2011) sont marquées par la prédominance des structures informelles d’accompagnement (réseaux sociaux de proximité familiale, amicale, ethnique ou culturelle des porteurs de projets) et par l’insuffisance, voire l’absence d’incubateurs et de pépinières d’entreprises (structures formelles). De plus, l’insuffisance des structures d’accompagnement ainsi que la qualité de l’accompagnement (Kamdem, 2011) renforcent la 28 problématique de l’accompagnement en contexte camerounais et sénégalais. Ainsi pourrait-on questionner l’existence de différence de performance des PME en démarrage selon le type de compétences acquises par les entrepreneurs auprès des structures d’accompagnement (formelles versus informelles). L’objectif de notre article est d’expliquer l’impact des compétences des entrepreneurs sur la performance postcréation des PME camerounaises et sénégalaises d’une part, et d’évaluer la place des structures d’accompagnement (formelles versus informelles) dans la production des compétences des entrepreneurs, d’autre part. Nous procèderons d’abord à la revue de littérature sur la modélisation de la relation structure d’accompagnement, compétences des entrepreneurs et performance des PME en démarrage. Ensuite nous présenterons la méthodologie adoptée pour tester nos hypothèses auprès d’un échantillon de 491 PME camerounaises et sénégalaises. Enfin nous discuterons des résultats de la relation entre la structure d’accompagnement, les compétences et la performance des PME. 1. Revue de la littérature 1.1. Les compétences de l’entrepreneur Dans le champ de l’entrepreneuriat, deux approches dominantes s’emploient depuis une trentaine d’années d’expliquer la performance entrepreneuriale: Il s’agit de l’approche par les traits et de l’approche par les faits (Fayolle, 2005 ; Verstraete et Saporta, 2006). L’approche par les traits, qui s’inscrit dans la tradition des recherches en psychologie industrielle et organisationnelle, considère que les facteurs psychologiques ou les traits de caractères sont les seuls facteurs explicatifs de la réussite ou de l’échec des entreprises nouvellement créées (Mc Clelland, 1961 ; Gartner, 1988 ; 29 Shaver et Scott, 1991). Or, il se trouve que dans la réalité, il est difficile de trouver chez un individu toutes les qualités qui feraient de lui un entrepreneur performant (Bayad et al., 2006). A ce titre, des études empiriques confirment la difficulté de discriminer, sur la base des traits de personnalité, les entrepreneurs qui réussissent de ceux qui échouent (Lorrain et Dussault, 1998). Face aux limites de l’approche par les traits, l’approche par les faits ou l’approche comportementaliste propose de définir l’entrepreneur par ce qu’il fait (Verstraete et Saporta, 2006). Dans cette perspective, les compétences constituent de meilleurs prédicteurs de la performance des entrepreneurs (Chandler et Jansen, 1992 ; Herron et Robinson, 1993 ; Lorrain et Dussault, 1998). Nous souscrivons pour l’approche comportementaliste puisqu’elle permet d’identifier les compétences entrepreneuriales indispensables pour transformer le projet d’entreprendre en projet d’entreprise (Brechet, 1994) ; et d’assurer la gestion efficace de l’entreprise créée (Sammut, 2003). La compétence représente ce que la personne est capable de faire (Belley et al., 1998). Elle est appréhendée comme la capacité des individus à apprendre et à exécuter des tâches qui leur sont confiées (McCormick et Tiffin, 1974). De ce fait, la compétence est constituée des aptitudes, des habiletés et des connaissances (Pettersen et Jacob, 1992 ; Loué et Baronet, 2011). Pour Pettersen et Jacob (1992), les aptitudes renvoient aux capacités potentielles susceptibles d’influencer les apprentissages des comportements alors que les habiletés sont des capacités apprises, par formation ou par expérience, à partir des aptitudes. Les connaissances sont quant à elles des habiletés particulières fondées sur la possession d’informations. Nous définissons les compétences des entrepreneurs comme un ensemble de capacités apprises ou potentielles et de connaissances dont l’acquisition et l’exploitation permettent de concrétiser un projet entrepreneurial et/ou de gérer l’entreprise créée. Par conséquent, il nous semble intéressant d’identifier les compétences que doit posséder un entrepreneur pour devenir un entrepreneur/manager performant. 30 1.2. Typologie des compétences des entrepreneurs Compte tenu de la complexité des activités (tâches) du propriétaire dirigeant qui doit à la fois piloter les activités entrepreneuriales et assurer le management de l’entreprise en démarrage, leur réalisation nécessite, d’après Bird (1989), une multitude de compétences. C’est ainsi que dans les années 90, des auteurs nord-américains ont identifié des compétences entrepreneuriales telles la capacité à élaborer une vision d’affaires (Hambrick et Crozier, 1985), la capacité à identifier des opportunités d’affaires (Vesper, 1989) ou l’habileté à mobiliser les réseaux sociaux (Aldrich et al., 1987). Progressivement, d’autres auteurs vont proposer une typologie plus ou moins complète des compétences des entrepreneurs (tableau 1). Cette synthèse révèle plusieurs catégories de compétences dont la diversité pourrait s’expliquer par le fait que les auteurs n’ont pas toujours tenu compte ou très peu des travaux antérieurs. En effet, le contenu des compétences (leur caractérisation et le nombre de variables retenues) varie considérablement d’un auteur à un autre. En outre, les catégories mises en exergue pourraient également s’expliquer par des situations contextuelles différentes. Par exemple, les travaux de Chandler et Jansen (1992) ainsi que ceux de Lorrain et al. (1998) ont été réalisés dans des contextes nord-américains (USA et Canada) ; alors que pour Loué et Baronet (2011) ou encore Charles-Pauvers et al., (2004) le cadre d’études empiriques est francophone. 31 32 Tableau 1 : Principaux travaux sur les compétences des entrepreneurs (Adapté de Laviolette et Loué, 2007, p. 8) Auteurs Compétences identifiées Herron et Robinson • Concevoir des produits/services (1993) • Évaluer les diverses fonctions de l’entreprise • Comprendre son secteur d’activité et ses tendances • Motiver son personnel • Créer des relations d’influence dans son réseau d’affaire • Planifier et administrer les activités de l’entreprise • Implanter des opportunités Chandler et Jansen • Identifier et exploiter des opportunités (1992) • Travailler intensément • Diriger des individus • Affirmer sa position dans un réseau d’affaires • Capacités techniques Baum (1995) • Capacité cognitive • Capacité organisationnelle Charles-Pauvers, Schieb-Bienfait urbain (2004) Belley, Dussault Lorrain (1998) • • • et • • • • • • • • • • • et • • • • 33 Capacité décisionnelle Capacité technique Identifier et implanter des opportunités Capacité à identifier des opportunités Capacité à développer une vision stratégique Capacité à gérer son réseau d’affaires Capacité à gérer son temps Capacité à gérer ses opérations Capacité à gérer son personnel Capacité à gérer les lois et règlements gouvernementaux Capacité à gérer son travail Capacité d’une gestion financière Capacité d’une gestion marketing Faire valider un projet et le médiatiser Formaliser la vision du projet Capacité de leadership Capacité d’écoute Capacité de délégation 34 • Capacité à construire une équipe Pettersen (2006) • Gestion stratégique et gestion générale de l’entreprise (visionner, innover, prendre des risques, traiter ses clients en partenaires) • Gestion opérationnelle (planifier, organiser le travail et les projets, diriger les personnes, contrôler, suivre, évaluer…) • Résolution de problèmes et prise de décision (jugement, analyse, sens pratique, décider, passer à l’action…) • Relations interpersonnelles et influence (être à l’écoute, savoir négocier…) • Gestion de soi (s’adapter, être fiable, intégrité, équité, efficacité) Loué et Baronet • Détection et exploitation d’opportunités (2011) • Compétences managériales et leadership • Gestion des ressources humaines • Gestion commerciale et marketing • Gestion financière • Gestion de soi et organisation • Marketing et gestion des activités • Intuition et vision Néanmoins, on constate quelques similitudes dans ces travaux : les différentes habiletés ou aptitudes identifiées peuvent s’intégrer dans les trois catégories de compétences de Chandler et Jansen (1992). En effet, les entrepreneurs ont besoin de compétences entrepreneuriales pour transformer leur projet d’entreprendre en projet d’entreprise (Brechet, 1994) d’une part, et le projet d’entreprise en entreprise opérationnelle (Gasse et al., 2004) d’autre part. Une fois les entreprises créées, les entrepreneurs qui assurent également la fonction managériale dans les PME (Torrès, 2003) doivent mobiliser les compétences managériales et technico-fonctionnelles pour gérer efficacement et rendre performantes leurs entreprises. Aussi, le regroupement par nature des tâches que doivent exécuter les entrepreneurs selon différents auteurs (voir tableau 1) conduit-il à prendre en compte les trois types de compétences de Chandler et Jansen (1992) : les compétences entrepreneuriales, les compétences technicofonctionnelles et les compétences managériales. Nous admettons avec Belley et al. (1998) que les compétences entrepreneuriales sont indispensables dans le processus entrepreneurial qui aboutit à la création/reprise de l’entreprise. Les compétences technicofonctionnelles relèvent de la maîtrise du métier de l’entreprise et des activités support tandis que les compétences managériales confèrent une maîtrise de la gestion de l’entreprise. Nous retenons que les compétences des entrepreneurs sont constituées des compétences entrepreneuriales, des compétences techniques et des compétences managériales. 1.3. Compétences des entrepreneurs et performance des PME en démarrage : le rôle des structures d’accompagnement L’acquisition de compétences au travers de l’accompagnement des entrepreneurs met en relief l’importance des mécanismes d’apprentissage (Dokou, 2001) ou de la légitimité de la structure d’accompagnement (Cullière, 2003). Si l’on admet que la structure d’accompagnement propose un accompagnement entrepreneurial et managérial aux entrepreneurs (Chabaud et al., 2010), la perception positive 35 qu’ont les entrepreneurs des services délivrés par une structure d’accompagnement ainsi que la relation de confiance entre l’accompagnant et l’entrepreneur sont autant d’éléments susceptibles de rendre l’accompagnement performant. Dans cette perspective, nous soutenons que l’accompagnement s’inscrit dans un processus de servuction, au sens de Eiglier et Langeard (1987), d’apprentissages divers du métier d’entrepreneur et de manager. Étant donné que l’accompagnement performant permet aux entrepreneurs de développer leurs compétences ou d’acquérir de nouvelles connaissances (Bayad et al., 2006), nous pouvons dès lors envisager la relation entre les compétences des entrepreneurs et la performance des PME camerounaises et sénégalaises. La question de la performance de l’accompagnement reste posée parce que ce dernier revêt plusieurs aspects (Paul, 2002) et il se déploie à travers plusieurs dispositifs localisés dans des espaces contingents (Chabaud et al., 2010). Contrairement au contexte occidental où l’on recense les structures formelles d’accompagnement telles les incubateurs et les pépinières d’entreprises, les coopératives d’activité et d’emploi (Chabaud et al., 2010), les structures d’accompagnement en Afrique sont différentes. Si on y recense quelques structures formelles (incubateurs, banques, coopératives d’épargne et de crédit, organismes publics et associations délivrant des formations aux porteurs de projets), des études récentes ont mis en relief la prédominance des structures informelles (amis, famille, membres de la communauté ethnique de l’entrepreneur, etc.) qui apportent essentiellement des informations et/ou des aides financières ; et facilitent l’accès aux ressources (Kamdem, 2011 ; Aydi, 2003). Plus précisément, les travaux d’Aydi (2003) montrent que la performance des entreprises tunisiennes naissantes s’explique par l’accompagnement dont ont bénéficié les entrepreneurs auprès de leurs familles et amis. Dans ces conditions, au regard des contraintes environnementales qui pèsent sur la conduite des affaires au Cameroun (Kamdem, 2011) ; des faibles capacités cognitives et 36 des compétences des entrepreneurs dirigeants de petites entreprises (Capiez et Hernandez, 1998), nous considérons que les structures informelles d’accompagnement sont les plus sollicitées par les entrepreneurs africains. Car ces réseaux sociaux de proximité permettent aux entrepreneurs africains (et donc camerounais et sénégalais) de nouer avec leurs relationnels des liens forts (au sens de Granovetter, 1973), à partir desquels ils vont construire, sur la base de valeurs partagées, un capital social entrepreneurial (Aydi, 2003) qui s’avère un relais de mobilisation de ressources et compétences. Ainsi, nous pouvons admettre que la particularité du contexte socioculturel camerounais et sénégalais, en tant que société communautaire (Kamdem, 2011), apparaît plus favorable à la prévalence des structures informelles d’accompagnement. 1.4. Modèle de recherche et hypothèses Nous avons construit le modèle conceptuel de recherche (figure 1, infra) qui ressort quatre hypothèses de travail. 37 Structure formelle d’accompagnement Structure informelle Structure informelle d’accompagnement d’accompagnement Figure 1 : Notre modèle conceptuel de recherche 38 Compétences technicofonctionnelles Compétences managériales Compétences entrepreneuriales Performance des PME Les compétences des entrepreneurs s’avèrent un prédicteur de la performance de l’entreprise (Herron et Robinson, 1993 ; Loué et Baronnet, 2011). Il se trouve qu’en contexte camerounais et sénégalais, les entrepreneurs sont marqués par un déficit de compétences managériales. De ce fait, lors du démarrage de la PME, la performance managériale (qui se traduit par l’efficacité des pratiques managériales) et la performance commerciale (qui consiste à améliorer son positionnement commercial) sont les deux dimensions pertinentes de la performance des PME (Kamdem, 2011). Ces apports nous conduisent à soutenir que les compétences des entrepreneurs influencent positivement la performance managériale et commerciale des PME camerounaises et sénégalaises (H1). Les structures d’accompagnement mettent en place de dispositifs permettant aux entrepreneurs, par divers apprentissages, d’acquérir, voire de développer les compétences (Chabaud et al., 2010). En contexte africain, des études empiriques ont mis en évidence la prédominance des structures informelles dans la stratégie d’acquisition de ressources et des compétences des entrepreneurs africains (Aydi, 2003 ; Kamdem, 2011). Ces apports nous conduisent à proposer l’hypothèse suivante : les structures informelles apportent davantage de compétences aux entrepreneurs que les structures formelles d’accompagnement en contexte camerounais (H2). 2. Méthodologie quantitative 2.1. Collecte de données Nous avons mené une étude quantitative par l’administration d’un questionnaire auprès d’un échantillon de 500 PME camerounaises et sénégalaises en démarrage32 dont la 32 Nous avons retenu la durée cinq ans comme période du démarrage des PME camerounaises en raison de la lenteur des services d’encadrement, de la faiblesse des moyens des structures d’encadrement, et des ressources 39 liste nous a été communiquée par les structures formelles d’accompagnement. Le questionnaire compte quatre parties : caractéristiques de l’accompagnement ; caractéristiques des compétences de l’entrepreneur ; caractéristiques de la performance de l’entreprise au démarrage et fiche signalétique. L’implication des structures formelles d’accompagnement dans la conduite de l’enquête (échantillon de convenance ; introduction auprès des entrepreneurs), nous a permis d’obtenir 391 questionnaires (au Cameroun) et 101 questionnaires (au Sénégal) renseignés valides, soit un taux de réponses valides de 92%. L’administration du questionnaire prenait en moyenne 45 minutes. Le questionnaire a été pré-testé auprès d’une dizaine d’entrepreneurs et professionnels de l’accompagnement camerounais et sénégalais avec pour finalité de valider les dimensions pertinentes des compétences des entrepreneurs et de la performance (managériale et commerciale) des PME en démarrage. La performance managériale comporte 7 items (par exemple, je rembourse régulièrement mes dettes, je paie à temps mes fournisseurs, je paie régulièrement les salaries de mon personnel). La performance commerciale comporte quant à elle 5 items (par exemple, la qualité de produits ou services, le prix, le réseau de distribution). Pour les items mesurant les compétences des entrepreneurs, nous avons soumis pour validation à la dizaine de professionnels de l’accompagnement et d’entrepreneurs le questionnaire sur les compétences des entrepreneurs (QCE) de Belley et al. (1998). Ce QCE a été amendé et 26 items ont été retenus. La structure de l’échantillon présente un poids important de la jeunesse et des hommes chez les entrepreneurs camerounais et sénégalais (63% des hommes et 37% des femmes au Cameroun ; 77% des hommes contre 23% des femmes au Sénégal). Pour ce qui concerne l’âge des entrepreneurs, les limitées des entrepreneurs qui poussent les entreprises à remplir tardivement les procédures administratives de création d’entreprise. 40 populations camerounaises porteuses de projets entrent plus jeunes en affaires, alors que les Sénégalais semblent plus âgés. 39% des entrepreneurs camerounais sont âgés entre 25 et 34 ans et 24% des entrepreneurs entre 45 et 54 ans ; alors que le pourcentage des entrepreneurs sénégalais appartenant aux mêmes tranches d’âges est respectivement de 26% et 18%. Par contre, cette tendance est inversée dans les tranches d’âge 35 et 44 ans (37% contre 33%) ; 55 et 64 ans (11% contre 2.5%) ; et 65 ans et plus (3% contre 0.5%). Pour ce qui concerne la représentation ethnique des entrepreneurs, nous avons retenu parmi les grandes composantes ethniques dans les deux pays, celles auxquelles appartiennent le plus souvent les entrepreneurs. Notre échantillon présente au Cameroun une forte domination des Bamiléké (52,4%), suivie des Bassa’a (12%), puis des Betis (9%). Au Sénégal, ce sont les Wolofs (42%) qui dominent, suivis des Sereres (7%) et des Toucouleurs (7%). S’agissant de la formation des entrepreneurs, 41% des entrepreneurs camerounais ont suivi une formation secondaire contre 5% des entrepreneurs sénégalais ; 18% des entrepreneurs sénégalais ont suivi des formations additionnelles contre seulement à peine 1% des entrepreneurs camerounais. Enfin des formations spécifiques (ciblées) sont suivies exclusivement par des entrepreneurs sénégalais. Les entreprises étudiées se caractérisent par une forte disparité des secteurs d’activités auxquels elles évoluent : informatique, bureautique et NTIC (16%), couture et industrie de l’habillement (12%), hôtellerie et restauration (7%), enseignement et formation (6%), maintenance industrielle (5%), santé (5%), BTP (4%) et autres (45%). 2.2. Analyse des données Dans le cadre de l’analyse de données, nous avons scindé aléatoirement l’échantillon (n = 492) en deux sous échantillons (n1 = 292 et n2 = 200). Le premier sous-échantillon a été utilisé pour confirmer la structure identifiée au préalable. Le second a 41 servi à valider cette structure, en l’insérant dans un réseau nomologique. Dans les deux cas, nous avons mené des analyses de structures de covariances, avec estimation par le maximum de vraisemblance. Les logiciels SPSS 15.0 et AMOS 7.0 ont été utilisés respectivement pour les analyses exploratoires et confirmatoires. Pour l’ensemble des variables, nous avons choisi des échelles de Likert à cinq points, considérées comme des variables d’intervalles. Les instruments d’analyse des données sont essentiellement des analyses factorielles exploratoires (AFE), des analyses factorielles confirmatoires (AFC) et des analyses bivariées. Nous avons déterminé la structure factorielle des compétences des entrepreneurs en réalisant une première ACP, avec rotation Varimax conduite sur les vingt-six items, et qui met en évidence une structure à 5 facteurs selon le critère de Kaiser. Dans cette dernière situation, plusieurs items présentant des communautés particulièrement faibles (inférieures à 0,5) ou encore des items comportant des loadings significatifs sur des dimensions différentes ont été exclus. Après épuration des items, une structure correspondant à trois dimensions apparaît clairement selon le critère de Kaiser des valeurs propres supérieures à 1 (tableau 2). Les critères usuels de factorisation sont respectés (KMO = 0,935 ; chi² approximé de Bartlett = 3911,66, ddl = 136, p 0,000). Le pourcentage de variance obtenu pour les trois facteurs est de 64,59%. L’Alpha de Cronbach indique une bonne fiabilité des composantes. S’agissant de la structure factorielle de la performance des PME en démarrage, nous avons réalisé une première ACP de l’échelle de performance avec rotation Varimax sur les douze items. Nous avons alors procédé à un processus d’épuration au cours duquel plusieurs items présentant des communautés particulièrement faibles (inférieures à 0,5) ont été exclus. Après épuration des items, cette ACP met en évidence une structure à deux facteurs selon le critère de Kaiser des valeurs propres supérieures à 1. Sur les douze items de départ, seuls six (06) d’entre eux sont retenus dans la solution factorielle finale. Les 42 critères usuels de factorisation sont respectés (KMO = 0,64 ; chi² approximé de Bartlett = 604,45, ddl =15, p 0,000). Le pourcentage de variance obtenu pour ce facteur est de 66,8%. Les structures factorielles ont été confirmées à travers une analyse factorielle confirmatoire réalisée sur l’ensemble de ces items. Un premier modèle obtenu est inacceptable en l’état. En effet, le test du Chi² ainsi que les indicateurs heuristiques d’ajustement global sont tous inférieurs aux normes communément admises (Hu et Bentler, 1998). Nous avons alors éliminé cinq items dont les variances extraites étaient inférieures à 50%. Il s’agit des items suivants : excès de coûts, relations professionnelles, contacts avec les gens utiles, négociation avec les banques, puis coordination du personnel. La figure 3 montre les résultats obtenus avec la nouvelle structure. Toutes les échelles montrent une fiabilité et une qualité d’ajustement satisfaisantes. Tous les indices incrémentaux dépassent la valeur minimale de 0,9. La valeur de l’indice RMSEA est également au-dessous du seuil de 0,08. Pour vérifier le bon ajustement du modèle théorique aux données empiriques, nous avons examiné l’ajustement de chaque construit et de ses indicateurs : d’abord la significativité des contributions factorielles, ensuite la cohérence interne et la validité de chaque construit. Nous avons obtenu un indice standardisé du Rho de Jöreskog supérieur au seuil souhaité de 0,7 pour toutes nos échelles ainsi que des indices de fiabilité et de validité satisfaisants. De même, nous avons obtenu des indices de la validité convergente et discriminante convenables pour la validité du construit. Enfin, la structure finale des compétences de l’entrepreneur est tridimensionnelle à l’instar de la catégorisation de Chandler et Jansen (1994). Par contre la structure bidimensionnelle de la performance de la PME n’est pas validée. On note certes des indices absolus (GFI, AGFI) et incrémentaux (NFI et TLI) conformes au seuil d’acceptabilité (≥ 0,9), mais aussi un indice de parcimonie (Chi² normé) non conforme par rapport au seuil (≤ 0,5). L’examen 43 des liens structurels entre les dimensions performance commerciale et performance managériale montre une valeur du ratio critique du t de Student inférieur au seuil accepté (CR≤1,96). Le Rhô de Jöreskog (0,57) est inférieur au seuil admis qui est de 0,70. La cohérence interne du modèle est faible. La structure bidimensionnelle initiale de la performance de l’entreprise ; elle est unidimensionnelle et se réduit à la performance commerciale des PME. 1.4. Validité prédictive de l’influence des compétences des entrepreneurs sur la performance des PME en démarrage La validité prédictive est testée en évaluant empiriquement l’effet des compétences de l’entrepreneur sur la performance commerciale de l’entreprise qui en est théoriquement la conséquence. On observe des valeurs associées aux indices d’ajustement satisfaisantes (tableau 2). Par ailleurs, les liens sont significatifs entre les dimensions « compétence technique » et « performance commerciale » d’une part ; entre « compétence managériale » et « performance commerciale » d’autre part. Par contre, la relation s’avère non significative entre les trois dimensions des compétences des entrepreneurs et la composante « performance managériale », résultat qui semble confirmer le rejet de la structure bidimensionnelle de la performance des PME. La part de variance restituée dans le modèle est de 63%, soit largement supérieure à la valeur 0.20 généralement tolérée. Les résultats sont globalement satisfaisants quant à une relation significative entre les compétences de l’entrepreneur et la performance de l’entreprise (H1). Résultats qui confirment l’influence positive des compétences des entrepreneurs sur la performance des entreprises (Baum, 1995 ; Herron et Robinson, 1993). 44 2,05 203,1/99 P=0,000 Chi²normé Chi² /ddl 0,93 GFI 0,91 AGFI 45 0,07 RMSEA 0,05 RMR 0,92 NFI 0,95 TLI 0,96 CFI Tableau 2 : Indices d’ajustement du modèle Compétences de l’entrepreneur-Performance de l’entreprise COT_TECHEMB 0,63 COT SYSREM COM CONTFA COM GESANG 0,82 0,83 0,87 COT MOP CEN IDMARCH 0,78 CEN AMTACH 0,84 CEN IDCL 0,85 0,65 CEN EVAREND CEN DEFOBJ 0,82 0,78 46 COMPMANAG 0,24 COMPTECH 0,17 COMPENTR 0,20 0,63 0,23 PERFCOMM sav prom distri Figure 2 : Principaux résultats de l’effet des compétences des entrepreneurs sur la performance de la PME en démarrage 2.4. Structures d’accompagnement et acquisition des compétences des entrepreneurs camerounais et sénégalais Les résultats révèlent que les entrepreneurs camerounais et sénégalais ont recours à deux types de structures d’accompagnement (tableau 3) : les structures informelles (amis, famille, parents) et les structures formelles (organismes d’appui à la création d’entreprise, associations ou ONG, syndicats des entrepreneurs). Les structures d’accompagnement contribuent à hauteur de 41% à l’acquisition des compétences des entrepreneurs camerounais et sénégalais, avec une nette domination des structures informelles (30%). Il apparaît également une prédominance des structures d’accompagnement informelles dans l’acquisition des trois types de compétences (entrepreneuriales, managériales et techniques). En outre, les deux types de structures d’accompagnement contribuent plus à l’acquisition des compétences entrepreneuriales (24%) que des compétences managériales (10%) et techniques (7%). Finalement, les entrepreneurs camerounais s’adressent davantage aux structures informelles qui leur permettent de développer leurs compétences. Au Sénégal par contre, les structures formelles participent presqu’autant que les structures informelles dans l’acquisition des compétences. Ces résultats confirment notre hypothèse H2 et corroborent les conclusions des travaux de Kamdem (2011) ainsi que ceux d’Aydi (2003). 47 1% 4% 5,60% 25,50% 1% 5,80% 48 des structures des Poids des informelles (en %) Cameroun Sénégal 14,10% 2% Compétences entrepreneuriales Compétences managériales Compétences techniques Total Acquisition compétences entrepreneurs Poids des structures formelles (en %) Total Cameroun Sénégal 5,20% 2% 23,30% 2,50% 1% 10,30% 0,60% 0% 7,20% 3% 8,30% 40,80% Tableau 3 : L’importance des structures d’accompagnement dans l’acquisition des compétences des entrepreneurs camerounais et sénégalais 3. Discussion et conclusion 3.1. Discussions des résultats Au terme de l’étude empirique quatre principales contributions peuvent être mises en relief au regard des résultats obtenus. Premièrement, nous avons appliqué aux contextes camerounais et sénégalais la perspective tridimensionnelle des compétences des entrepreneurs. Cette perspective est fondée sur la combinaison des compétences entrepreneuriales, managériales et technico-fonctionnelles (Chandler et Jansen, 1992). Nous avons testé empiriquement et validé l’échelle de mesure des compétences des entrepreneurs de Belley et al. (1998). Nonobstant quelques singularités (liées à l’adaptation de cette échelle de mesure), globalement les compétences des entrepreneurs camerounais et sénégalais sont à la fois entrepreneuriales, managériales et techniques. La deuxième contribution est une construction de la performance des PME en démarrage sur la base des dimensions « performance managériale » et « performance commerciale ». Le test de l’échelle de mesure élaborée remet en cause le caractère bidimensionnel supposé de la performance des PME en démarrage en contextes camerounais et sénégalais. Ce résultat peut s’expliquer par la taille des entreprises (en majorité ce sont des auto-entrepreneurs), combinée à l’âge des entreprises échantillonnées qui sont pour la plupart en phase de démarrage. En outre, les indices mesurant la contribution des items à la formation de la performance managériale et commerciale ne sont pas discriminants. On pourrait imaginer une proximité perçue par les entrepreneurs entre les deux dimensions de la performance. La troisième contribution établit une influence significative des compétences des entrepreneurs sur la performance des PME camerounaises et sénégalaises en démarrage. Cette contribution corrobore la relation entre les compétences des entrepreneurs et 49 la performance des entreprises (Baum, 1995 ; Herron et Robinson, 1993). On note cependant une singularité en contextes camerounais et sénégalais : seules les compétences managériales et techniques des entrepreneurs déterminent la performance commerciale. Les compétences managériales ont une contribution à la performance commerciale légèrement supérieure à celle des compétences techniques. Ce résultat n’est pas très étonnant dans la mesure où la formation des autoentrepreneurs (surtout en contexte camerounais) leur confère la maîtrise des compétences techniques liées à leur métier. Dès lors, les compétences managériales apparaissent critiques dans la réalisation de la performance des PME en démarrage. Par ailleurs, le fait que les compétences managériales et techniques influencent plutôt la performance commerciale que la performance managériale peut s’expliquer par la priorité qu’accordent les entrepreneurs dirigeants des entreprises de petite taille à la réalisation du chiffre d’affaires permettant de dépasser le « point mort ». En effet, la mobilisation des compétences managériales et techniques permet d’assurer le fonctionnement efficace de l’entreprise opérationnelle (Gasse et al., 2004). Il semble donc logique que les compétences entrepreneuriales n’influencent pas la performance des PME en démarrage, ce d’autant plus que l’âge de la majorité des entreprises de l’étude se situe entre deux et cinq ans. Durant cette période les entrepreneurs sont moins attachés à l’exploitation des compétences entrepreneuriales qui semblent davantage mobilisées durant la phase précédant la création d’entreprise (Borges et al., 2005). La quatrième contribution la plus originale à notre avis, valide l’importance du rôle des structures d’accompagnement informelles dans l’acquisition, voire le développement des compétences des entrepreneurs. En effet, les compétences entrepreneuriales, managériales et techniques sont davantage acquises par le canal des structures informelles que formelles. Ce résultat semble étonnant et même paradoxal, dans la mesure où les pouvoirs publics, les institutions internationales et autres 50 professionnels de l’accompagnement des entreprises ont souvent souligné l’utilité des dispositifs d’accompagnement formalisés (formation des entrepreneurs à la création et à la gestion de l’entreprise, outils de montage de projet, outils de gestion de l’entreprise, etc.) dans la construction de la performance de l’entreprise. Or, ce sont les structures informelles d’accompagnement qui apportent les compétences dont les entrepreneurs camerounais et sénégalais ont besoin pour assurer la gestion efficace de leurs entreprises en phase de démarrage. Nous pouvons expliquer cette situation par la confiance qu’ils accordent aux personnes issues de leur réseau relationnel pour les accompagner dans l’aventure entrepreneuriale. Cette confiance reposerait sur l’implication active de chaque partie (mise à disposition de ressources, donner son temps sans compter, partage du fruit de la création d’entreprise, etc.). En revanche, le faible recours aux structures formelles s’expliquerait par l’absence de relation de confiance entre les entrepreneurs et les structures formelles ainsi que par le manque de légitimité des structures formelles d’accompagnement (Cullière, 2003). Ce manque de légitimité auprès des entrepreneurs camerounais et sénégalais résulterait du déséquilibre perçu de la relation d’accompagnement (Chabaud et al. 2010). Sur le plan managérial, la faible perception qu’ont les entrepreneurs du rôle des structures d’accompagnement formelles dans l’acquisition et le développement des compétences, alors même que les compétences influencent significativement la performance des PME en démarrage, amène à questionner la légitimité des structures d’accompagnement formelles en contexte camerounais. Il s’agit de questionner en profondeur l’efficacité de la relation d’accompagnement. Des études ont montré que le marché de l’accompagnement des TPE et PME au Cameroun et au Sénégal n’est pas efficace, parce que la relation entre les parties prenantes ne s’inscrit pas dans une relation de servuction 51 (Eiglier et Langeard, 1987 ; Chabaud et al. 2010). L’amélioration de cette relation consisterait notamment, pour les accompagnateurs et les structures d’accompagnement formelles, à proposer des services plus attractifs qui prennent davantage en compte les besoins des entrepreneurs. Étant donné que les entrepreneurs font plus confiance aux structures informelles qui leur apportent plus facilement des ressources et des compétences, une innovation pourrait être apportée dans les services proposés par les structures d’accompagnement formelles. Elles pourraient par exemple associer le réseau relationnel de proximité des entrepreneurs dans le processus de transfert des compétences aux entrepreneurs. Cette mise en réseau (structures formelles, structures informelles, entrepreneurs) pourrait contribuer à la construction d’offres de services adaptés et au renforcement de la légitimité des structures d’accompagnement des TPE et PME, fondée sur la relation de confiance (Cullière, 2003). Cette légitimité serait d’autant plus affirmée que la relation d’accompagnement s’inscrirait dans une perspective gagnantgagnant: les structures d’accompagnement apportant aux entrepreneurs les ressources et les compétences indispensables pour construire un avantage concurrentiel durable (Hamel et Prahalad, 1990) ; et les entreprises accompagnées créant de la valeur (Bruyat, 1993). 3.2. Limites et perspectives de recherche Toutefois, les limites de cette étude empirique tiennent par exemple au choix ad hoc de l’échantillon qui réduit la validité externe de nos résultats. Alors que notre échantillon a été constitué des entreprises dont la liste a été communiquée par les structures d’accompagnement formelles, l’étude a révélé que les propriétaires-dirigeants de ces entreprises se sont adressés parallèlement aux structures d’accompagnement informelles. Ainsi, deux groupes distincts d’entreprises n’ont pas été constitués (les entreprises accompagnées et les entreprises non accompagnées). Ceci aurait permis de mieux les discriminer et 52 d’analyser l’influence des compétences des entrepreneurs sur la performance selon que les entrepreneurs ont été accompagnés ou non. Une autre limite tient à la construction du modèle de recherche qui, dans son opérationnalisation, s’est limité à une analyse en coupe instantanée de la performance des PME en démarrage impulsée par les compétences des entrepreneurs. En adoptant un modèle en cascades, il aurait été intéressant de prendre également en compte la performance entrepreneuriale, et d’analyser alors l’influence des catégories de compétences sur la création d’entreprise opérationnelle (performance entrepreneuriale) et sur la gestion d’entreprise opérationnelle (performance managériale et commerciale). La prise en compte de variables modératrices ou de contrôle auraient permis d’affiner les résultats. Aussi envisageons-nous dans les recherches futures, adopter un modèle en cascade pour étudier l’impact des compétences des entrepreneurs sur la performance des entreprises africaines, en identifiant les compétences mobilisées par les entrepreneurs et/ou managers durant les différentes phases du processus entrepreneurial. Nous analyserons in fine l’influence des types de compétences sur les types de performance appropriée à chaque phase du processus dans une perspective multi-sources (perception des compétences des entrepreneurs par les entrepreneurs eux-mêmes et les salariés). Nous intégrerons, dans le modèle revisité, des variables modératrices (genre, ethnie des entrepreneurs) pour mesurer le poids des influences sur la performance des PME. Cette perspective devrait déboucher sur l’identification des compétences des entrepreneurs camerounais et sénégalais, dirigeants des PME en démarrage. Nous envisageons également de mener une étude auprès des structures d’accompagnement aux fins d’identifier les compétences des accompagnants et de construire le référentiel des compétences des accompagnants dans un contexte socioculturel spécifique. 53 Résumé L’objectif de cette recherche est d’identifier les sources d’acquisition des compétences des entrepreneurs d’une part et la nature des relations entre les compétences des entrepreneurs et la performance des PME en démarrage d’autre part. Une mobilisation de la théorie comportementale, en particulier l’analyse de la structuration des compétences des entrepreneurs (Lorrain et Dussault, 1998), ainsi que les développements théoriques sur les dimensions de la performance des PME, nous permet d’énoncer des hypothèses de travail que nous avons testées auprès d’un échantillon de 491 PME camerounaises et sénégalaises. Il ressort que les réseaux familiaux et amicaux apportent plus de compétences aux entrepreneurs que les structures d’accompagnement officielles. En outre, l’utilisation de la méthode des équations structurelles révèle le poids élevé des compétences managériales et techniques des entrepreneurs dans l’amélioration de la performance des PME camerounaises et sénégalaises en démarrage. Mots clés : Compétences des entrepreneurs, performance des PME, structures d’accompagnement formelles, structures d’accompagnement informelles. Entrepreneurs skills and SME performance : the role of support structures in Cameroon and Senagal Abstract The objective of this research is to identify the sources of acquisition of the skills of entrepreneurs and the nature of relations between the skills of entrepreneurs and performance of start-up SMEs. Mobilization of behavioral theory, especially the analysis of the structure of entrepreneurs skills (Lorrain and Dussault, 1998), as well as the theoretical developments on the dimensions of the performance of SMEs, allows us to formulate working hypotheses we tested with a sample of 491 54 Cameroonian and Senegalese SMEs. It appears that family and friendship networks provide more skills to entrepreneurs that official support structures. In addition, the use of structural equation method reveals the heavy weight of managerial and technical skills of entrepreneurs in improving the performance of Cameroonian and Senegalese SME start. Keywords: Entrepreneurs skills, SMEs performance, formal support structures, informal support structures. Bibliographie ALDRICH H., ROSEN B., WOODWARD W. (1987), “The impact of social networks on business foundings and profit: a longitudinal study”, Frontiers of Entrepreneurial Research, Babson College. AYDI G. 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La compétence, nous dit 33 Enseignant Chercheur, FSEG, Université de Ngaoundéré, Cameroun [email protected] 34 Enseignant Chercheur, FSEG, Université de Ngaoundéré, Cameroun 61 Lichtenberger (1998, p. 21), est « une responsabilité, à la fois capacité présumée et confiance donnée. Est compétent celui qui assume la responsabilité d’une situation professionnelle qui lui a été confiée. Explorer ce qui constitue la compétence revient donc à explorer les conditions même d’une action professionnelle dans ses différentes dimensions. » La compétence est une notion complexe. Selon Zarifian (1999), sa définition repose sur 3 piliers : la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations professionnelles auxquelles il est confronté ; l’intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des connaissances acquises et les transforme, avec d’autant plus de force que la diversité des situations augmente ; la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes situations, à partager des enjeux, à assumer des domaines de co-responsabilité. Au cœur de la nouvelle pratique managériale, se trouve le souci d’accorder au personnel plus d’autonomie et d’initiative. Lichtenberger (1998, p. 7) explique ainsi les enjeux de la compétence dans la gestion des ressources humaines : « La compétence émerge donc dans le débat social comme l’indice d’un nouveau défi productif : faire de l’initiative et de la créativité des individus une source de performance, y compris dans les activités d’exécution. » La compétence professionnelle revêt donc une importance particulière dans l’entreprise. Durant ces dernières années, plusieurs auteurs ont tenté d’analyser les différents aspects de cette question (Hamel et Prahalad, 1990 ; Amadieu et Cadin, 1996 ; Dugué, 1994 ; Lévy-Leboyer, 1996 ; Rabasse-Dupuich, 1999 ; et Zarifian, 2001). Le regain d’intérêt que suscite la notion de compétence est accentué à la faveur de l’influence grandissante exercée par les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Ces technologies étendent désormais leur emprise au-delà de la gestion des ressources humaines (Veltz, 2000). Compte tenu du fait que l’industrie est le moteur du développement et, face à la multiplicité et à la complexité des contraintes qui pèsent sur les entreprises industrielles, il apparaît 62 intéressant de s’interroger sur les bénéfices que le système productif camerounais peut tirer de cette nouvelle donne. Les systèmes de production comme l’industrie ne peuvent plus être assimilés aux simples processus séquentiels, comme le préconise l’idéal taylorien de l’enchaînement d’opérations élémentaires. Avec la montée des "aléas" et des innovations qui font l’objet de nécessaires adaptations, l’on se doit de trouver de nouvelles règles d’efficience. Le renforcement de l’organisation et l’accroissement de la productivité du travail par une absorption efficiente des nouvelles technologies sont d’autant plus déterminants que, individuellement et collectivement, la performance de la main-d’œuvre utilisée par le tissu industriel passe par l'accroissement du niveau de compétence des travailleurs. Ces motifs figurent parmi autant de facteurs convergents qui provoquent une réflexion sur les voies et moyens de promotion de la compétence dans l’industrie. En effet, parmi les préoccupations qui sont au centre de la coordination des postes de travail, il y a la professionnalisation. L’usage de ces technologies coïncide avec une crise profonde des identités professionnelles de métier (Rabasse-Dupuich, 2001). Comment les TIC peuvent-elles favoriser l’acquisition des compétences techniques ? Quelles en sont les retombées en termes de management des ressources humaines ? Tels sont les questionnements que sous-tend la problématique examinée dans cet article, et auxquels on tentera d’apporter des réponses à partir de l’analyse des données secondaires issues du secteur industriel camerounais. L’industrie est un secteur très important en matière de création de valeur ajoutée, de mutations technologiques et d’emplois, car elle joue un rôle majeur dans la croissance et partant, dans le développement d’un pays ou d’une région. D’ailleurs, la plupart des pays asiatiques qui présentent des économies concurrentielles de nos jours, ont pu atteindre cet objectif grâce au développement de leur secteur industriel. Pourtant, le tissu industriel camerounais demeure très embryonnaire et, face au développement de plus en 63 plus soutenu du secteur des TIC, il ne s’appuie pas encore véritablement sur une transformation avérée des produits locaux. Cette faible capacité dans l’utilisation de nouvelles technologies relève aussi bien de la faible qualification de la main-d’œuvre, que d’une orientation managériale à parfaire. Les TIC apparaissent indubitablement comme des instruments de compétitivité certains, dont la maîtrise et l'utilisation ouvrent de nouvelles opportunités de développement. Cependant plusieurs entreprises n'intègrent pas encore cet aspect dans leurs activités, notamment du fait de la défaillance de formation du personnel, et du manque d'intérêt pour les TIC que porte la plupart des dirigeants de ces entreprises, alors même que les TIC sont devenues les moyens fondamentaux pour réduire les distances géographiques entre les entreprises et leurs marchés internes ou internationaux (Dupuy, 2002). Après avoir spécifié le rôle des TIC dans l’acquisition des compétences techniques et précisé l’approche méthodologique adoptée (1), nous analyserons les effets de leur prise en compte sur les compétences techniques dans l’industrie camerounaise (2), pour enfin dégager les orientations managériales qui en découlent (3). 1. Le rôle des TIC dans l’acquisition des compétences techniques Plus que par le passé, les TIC apparaissent aujourd’hui comme une donnée nécessaire à l’acquisition des compétences techniques et professionnelles. 1.1. Éléments structurels importants : la place des TIC Avant de voir comment l’emploi des TIC pourrait structurer le système d’organisation du travail industriel, il serait judicieux de cerner les contours de ce concept. 64 1.1.1. TIC : contours d’un concept Au rang des manifestations essentielles qui caractérisent aujourd’hui le monde industriel, on peut citer l’avènement de la nouvelle communication et la domination de la « société de l’information ». Cette dernière expression est utilisée par Masuda (1980) pour signifier que la « société de l’information » est la caractéristique principale de la société postindustrielle. Les enjeux de cette mutation technologique sont d’autant plus considérables que leurs effets sont observés sur le plan du progrès social, économique et culturel. Les autoroutes de l’information apparaissent comme un prolongement ou un complément des réseaux déjà existant sous d’autres formes ; mais la ruée des entreprises vers cette nouvelle donne devrait leur offrir des possibilités d’instantanéité et d’interactivité dans des formes jusque-là insoupçonnées. Les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) représentent l’ensemble des outils permettant d’accéder à l’information (qu’elle soit sous forme orale, écrite ou audiovisuelle), de l’utiliser en s’appuyant sur des technologies informatiques ou de télécommunication (Rabasse-Dupuich, 2001). On parle aussi souvent de Technologies de l’Information et de la Communication (TIC), ou de Technologies de l’Info-Communication (TI), par symétrie avec la terminologie adoptée par les acteurs anglo-saxons : « Information Technology ». Ces technologies font référence à une multitude d’activités et d’acteurs à l’instar d’Internet, des services et des équipements de télécommunication, des services d’informations sur les réseaux, des applications opta-numériques aux médias autonomes, des fournisseurs d’informations commerciales, etc. En gros, l’émergence des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication s’appuie finalement sur la coexistence des trois domaines techniques que sont l’audiovisuel, les télécommunications et l’informatique. Elles ne sont finalement "nouvelles" que du fait qu’elles permettent à 65 notre société de s’accomplir dans le nouveau contexte mondial que favorise la société de l’information (Fame Ndongo, 2001). Si dans les relations industrielles, la communication n’existe que du fait de la différence des acteurs-opérateurs, la vie économique elle-même nécessite que des réseaux s’établissent entre les différentes activités, les entreprises, les emplois, permettant à la fois la circulation de l’information et des valeurs. En fait, les avancées marquées par la double révolution technologique et informationnelle se traduisent par des changements continus, de sorte que l’émergence et la convergence des savoirs qui en découlent auront des conséquences inévitables sur les pratiques entrepreneuriales, managériales et organisationnelles. L’« Innovation Mediated Production » auquel se réfèrent Kenney et Florida (1993) prend en considération cette donnée dans les processus de production et de mise à disposition ; et pose à la fois comme principe et conséquence inéluctable une prospérité alimentée par le savoir et l’innovation continue. 1.1.2. De l’environnement technologique au système d’organisation du travail industriel En amont de la fonction « ressources humaines », se trouve un certain nombre d’éléments structurels qui la déterminent plus ou moins fortement. Ceux-ci sont de nature très diverse : technologique, réglementaire, économique, organisationnelle, normative, morale, idéologique. L’analyse de la figure 1 montre que l’organisation du travail subit trois types d’influences : celles de l’environnement externe de l’entreprise ; celles du secteur d’activité (industrie) ; et celles de l’environnement interne de l’entreprise. Chaque structure doit adapter le système par rapport à ses besoins propres. 66 Source : Auteurs INFLUENCE RECIPROQUE ENVIRONNEMENT TECHNOLOGIQUE INDUSTRIE 67 ENTREPRISE Figure 1 : Influences sur le système d’organisation du travail industriel ORGANISATION DU TRAVAIL INDUSTRIEL En tant qu’accélérateur de l’information et de la communication, les TIC ont un impact non négligeable sur le système de GRH et partant, génèrent de nouveaux modes d’organisation du travail, notamment dans l’industrie. Ce n’est plus principalement le volume de travail réalisé qui compte, mais la qualité et la rapidité des interactions entre différentes séquences de la production, comme l’affirment Le Moigne et Bartoli (1996, p. 99) : « La vision de l’organisation comme un réseau de sous-systèmes en interactions permanentes met l’accent sur la nécessaire coordination des différents acteurs et des fonctions… » À la place du modèle hiérarchico-fonctionnel décrit par Fayol (1916), se substituent des organisations cellulaires en réseaux. Ces organisations reposent sur un centre de contrôle hiérarchique et sur des entités décentralisées, nécessitant parfois des délocalisations et des prises de décisions réparties (Veltz, 2000). Dans les pratiques de GRH, on observe de nouveaux modes de gestion ; par exemple, la gestion collective du travail industriel, l’évolution des modes de coopération entre acteurs, la résolution consensuelle des problèmes, etc. Ainsi, dans plusieurs cas, ces nouveaux modes de gestion permettent une remise en cause des "identités" de métiers ou de spécialités. Ils permettent aussi l’émergence des « communautés d’action » et des réseaux dont la sphère est pluridimensionnelle, pluriprofessionnelle et pluri-expertise. Ils mobilisent simultanément une forte intensité de compréhension et d’actions réciproques et favorisent la nécessité de prendre des initiatives convergentes. À cause du développement technologique, et en partie du fait de la spécialisation des marchés industriels, l’organisation du travail s’oriente vers des modes plus polyvalents et donc plus ouverts : il s’agit des organisations apprenantes et/ou qualifiantes. Grâce aux mutations ainsi induites, on passe des tâches humaines, parfois élémentaires et sectorielles car définies par une dépendance envers les équipements, à des 68 fonctions aux contenus moins rigides, qui contribuent à l’élaboration de produits répondant à une clientèle précise. En effet, l’une des caractéristiques fondamentales de l’emploi industriel est la multiplicité de ses formes : des tâches d’exécution à l’ingénierie. Par conséquent, les directives relevant de l’instruction, de l’ordre ou de la consigne auront tendance à céder la place à l’initiative et donc à la responsabilité du réseau d’actions ayant la charge de cette activité. Une telle souplesse dans l’organisation du travail industriel procure une plus grande importance aux interactions, aux relations et à la circulation des flux d’échanges et d’informations entre les travailleurs, le groupe et l’entreprise. Au total, il y a un repositionnement des technologies, pas uniquement à cause de leur fonction d’information ; mais davantage de par leur rôle comme support d’information et de communication dans une organisation axée sur le collectif. 1.2. Informations statistiques sur les ressources humaines dans l’industrie camerounaise Les données sur l’utilisation ou la répartition des ressources humaines ainsi que leurs compétences dans les entreprises du secteur secondaire au Cameroun sont très parcellaires et limitées. Cela concerne notamment l’offre de main-d’œuvre sectorielle ; l’évolution du niveau de qualification et des caractéristiques de l’emploi ; la transformation des conditions d’activité et les déterminants de la mobilité de l’emploi ; les modifications dans les revenus, leur distribution et leur différenciation ; l’impact de la formation professionnelle, des programmes/projets de TIC, etc. Nous utilisons dans cette étude des informations statistiques de sources principalement secondaires. Ces ensembles de données, qui émanent de sources officielles d’organismes gouvernementaux, prennent en compte la dimension macro/micro de notre étude, étant donné que cette dernière concerne aussi bien le secteur industriel que les travailleurs employés dans ce secteur. 69 L'insuffisance qualitative et quantitative des ressources humaines reste une importante source d’handicaps dans l’évolution interne et externe des entreprises. Par exemple, les industries agroalimentaires qui constituent le moteur de la croissance économique au Cameroun, représentent seulement 10% de la population active, 33% de la production industrielle, 27% de la valeur ajoutée, 11% du produit intérieur brut, 6% des exportations, etc. La plupart des employés n’ont pas de contrat de travail. C’est parfois une main-d’œuvre occasionnelle qui est employée à des tâches régulièrement modifiées. Or la productivité des employés dépend entre autres de la qualité de la relation contractuelle qui les lie à l’employeur. Le recensement général des entreprises au Cameroun effectué en 2013 par l’Institut national de la statistique, révèle que le secteur secondaire compte environ 12154 entreprises, constituées de moitié d’entreprises agroalimentaires, la plupart étant des petites et moyennes entreprises. Dans les entreprises industrielles camerounaises, la plupart des besoins en compétences se résument en la technologie, les ressources humaines, le besoin en information indispensable dans l'analyse et la compréhension des tâches. De même, très peu de dirigeants ont conscience que les différents stades de vie de leur entreprise sont intimement liés à leur capacité d'organisation, et que la croissance de l'entreprise doit s'accompagner d'une bonne gestion des ressources humaines et d'une meilleure répartition fonctionnelle des tâches. Faute certainement de moyens financiers, les entreprises ne s'entourent pas de cadres compétents pour renforcer leur capacité de gestion ou compenser leurs lacunes techniques en matière de marketing, comptabilité, finance, approvisionnement, gestion des stocks, et surtout production des biens et services. 70 2. Compétences techniques, savoirs et travail : la prise en considération des TIC dans l’industrie camerounaise Le renouveau suscité par la notion de compétence est lié à la transformation des savoirs qui sont nécessaires à l’absorption de la technologie, cette dernière étant elle-même valorisée par les nouvelles formes d’organisation du travail. Selon Schwartz (1990), mieux que celui de qualification, le terme de compétence rend compte de l’articulation nouvelle de la dimension "expérimentale" et de la dimension "conceptuelle" des savoirs indispensables à l’action. La compétence fait référence aux évolutions mises en œuvre par les dirigeants d’entreprises, à telle enseigne que sa définition permet de mieux comprendre les visions et les pratiques de GRH. Avec la compétence, le bricolage, le savoir-faire issu de l’expérience, et les pratiques nées de l’apprentissage individuel ou collectif des individus se développent aux côtés de connaissances plus théoriques qui sont valorisées par la qualification. Après avoir situé la notion de compétence par rapport à la qualification, nous analyserons comment les TIC se manifestent aussi bien dans les compétences individuelles que dans les compétences collectives. 2.1. De la qualification aux compétences Après l’époque du « travail à la chaîne », développé avec le taylorisme, la qualification s’était imposée comme l’un des concepts clés de la gestion des ressources humaines (Dugué, 1994). La qualification professionnelle s’explique par la reconnaissance de la fonction qu’elle permet de déceler chez les individus. Plus précisément, la qualification est l’ensemble des aptitudes et des connaissances acquises par une personne, ou des qualités requises pour occuper un emploi. La prise en compte de la notion de poste de travail permet notamment de faire la distinction entre la qualification requise et la qualification acquise ; c’est-à- 71 dire entre les exigences des postes et les connaissances acquises par les travailleurs. La qualification et les débats auxquels elle donne lieu tentent de s’opposer à la parcellisation des savoirs engendrée par ces nouveaux modes d’organisation. S’agissant de l’industrie camerounaise, le tableau 1 fait apparaître des disparités interindustrielles au niveau des qualifications. Un examen par branche masque des différences internes aux industries ; différences pouvant être dues à la taille, à la technologie ou à la stratégie des entreprises. Toutefois, ce tableau nous aide à situer, tout au moins, la qualification d’une branche à une autre. Tableau 1 : Structure des qualifications dans l'industrie camerounaise Travailleurs camerounais (en %) Travailleurs Travailleurs sous-qualifiés qualifiés -Alimentation 94,2 5,8 -Agro-industrie 79,1 20,9 -Textile 85,8 14,2 -Bois 93,9 6,1 -Industrie du 80,7 19,3 papier 83,6 16,4 -Chimie 87,4 12,6 -Industrie 98,2 1,8 pétrolière 80,6 19,4 -Industrie du 77,2 22,8 caoutchouc 60,9 39,1 -Fabrication machines -Construction -Electricité, eau et gaz Cadres étrangers (en %) Moyenne 2,8 Type d'industrie 83,8 16,2 2,0 1,3 1,1 2,8 6,2 1,2 2,4 0,2 1,7 11,9 0,2 Source : Ministère de l’Économie et des Finances (1998) ; Annuaire Statistique du Cameroun (2001). 72 Dans la plupart des branches, une hiérarchie (écrasante) est observée entre les personnes non qualifiées et les personnes qualifiées. En effet, pour l’ensemble des entreprises, les pourcentages sont respectivement de 83,8% contre 16,2%. Les branches qui emploient le plus d’employés non qualifiés sont respectivement l’industrie du caoutchouc (98,2%), l’alimentation (94,2%), le bois (93,9%), l’industrie pétrolière (87,4%). Si ces industries sont utilisatrices de main-d’œuvre sous-qualifiée, c’est probablement dû au fait qu’il s’agit des branches exportatrices nettes de matières premières sans véritables transformations techniques pouvant impliquer une main-d’œuvre hautement qualifiée et abondante. Comparativement aux autres secteurs, deux se distinguent par leur faible utilisation de personnel non qualifié : la construction (77,2%) ; l’électricité, l’eau et le gaz (60,9%). S’agissant des secteurs utilisant le plus du personnel fortement qualifié, on retrouve principalement: l’eau, l’électricité et le gaz (39,1%), la construction (22,8%), l’agroalimentaire (20,9%), la fabrication des machines (19,4%), et l’industrie du papier (19,3%). Enfin, certaines industries emploient davantage de salariés étrangers : construction (11,9%), industrie du papier (6,2%). Tandis que les pays développés font désormais face au phénomène de surqualification de la main-d’œuvre, l’industrie camerounaise est encore à la recherche de la qualification du personnel. Tandis que les nécessités de l’organisation du travail reposent actuellement sur la notion de compétence, on en est encore à parler de qualification. Le passage de la qualification à la compétence vient du fait que la révolution affectant les systèmes de travail nécessite une adaptation du personnel aux modifications permanentes de la technologie qui sont l’une des manifestations de notre époque (Dadoy, 1990). Cependant, il est difficile de maintenir des contenus d’activité en perpétuelle évolution, comme c’est le cas avec la classification des qualifications professionnelles, de la 73 première catégorie à la douzième catégorie. Cette classification permet non seulement de classer les travailleurs, mais aussi de déterminer les grilles salariales. Par ailleurs, les déstructurations/restructurations incessantes rendent obsolètes les référentiels d’activité à l’instar des classifications. C’est ainsi que l’approche par le poste de travail et la qualification, davantage adaptée à des organisations stables, est progressivement remplacée par une approche plus dynamique axée sur les compétences. Les compétences mettent les potentialités des personnes au cœur des modes d’analyse et des formes d’action, et deviennent des instruments indispensables des politiques d’entreprise. L’approche par les compétences traduit la volonté des dirigeants d’accompagner les évolutions observées dans l’organisation du travail (Dugué, 1994). Par ailleurs, puisqu’elles se définissent avant tout comme une relation mettant en jeu un individu et une situation professionnelle, les compétences peuvent difficilement être répertoriées, exception faite du contexte dans lequel elles sont supposées être observées. Grâce aux TIC, la notion de compétence, qui reste largement associée à celle de transférabilité, favorise l’élaboration d’espaces professionnelles permettant de guider les salariés dans les cheminements nécessaires à la flexibilité du travail. Cette notion, largement associée à celle de transférabilité, favorise l’élaboration d’espaces professionnels permettant de guider les salariés dans les cheminements nécessaires au dynamisme de chacun. 2.2. Les compétences individuelles Contrairement à la notion de qualification, la notion de compétence recouvre à la fois la définition du poste de travail, celle du profil de l’individu qui doit l’occuper, et celle des exigences de l’organisation et des aptitudes recherchées chez le salarié. Elle désigne donc le rapport du sujet à son action. Par la même notion, on qualifie l’action du salarié sur le poste, puisque ce dernier varie en fonction des compétences de la personne qui 74 l’occupe. Ainsi, la négociation (sur l’emploi ou le salaire), qui était collective et explicite dans la logique de la qualification, devient individuelle et implicite avec la nouvelle logique de la compétence. C’est au sein du poste, dans les actes concrets du travail quotidien, que chacun négocie, non seulement le contenu du poste et la possibilité d’exercer une compétence, mais aussi la reconnaissance de celle-ci. Bien avant les nouvelles évolutions engendrées par les TIC, la compétence était déjà au centre des évolutions mises en œuvre par les directions d’entreprises (Courpasson et Livian, 1991). La notion de compétence sert alors à comprendre la relation qui existe entre l’homme et la tâche, et à interpréter les actions visant à agir sur cette relation. Deux éléments permettent de mieux comprendre cette situation. Premièrement, la mobilisation des compétences individuelles est sous-tendue par la pratique des cercles de qualité. Ces compétences traduisent à la fois la survivance du taylorisme et son échec, puisqu’elles impliquent la reconnaissance du fait que, sans la participation active et dynamique des travailleurs au processus de production, les méthodes idéales conçues par les ingénieurs ou les experts seraient vouées à l’échec (Chanaron et Perrin, 1986). Deuxièmement, la mobilisation des compétences s’explique aussi par le constat de l’existence des savoirs et de l’expérience qui, seuls, conduisent les salariés à pouvoir résoudre les problèmes nés de l’écart entre les décisions centralisées et la réalité quotidienne. Les compétences individuelles naissent du refus de donner un rôle majeur aux savoirs limités aux connaissances académiques. La volonté manifeste de ne pas maintenir les salariés dans un statut de simples exécutants se justifie par le fait que cela ne leur permettrait pas d’avoir accès à la sphère décisionnelle au moyen de la communication. L’avantage acquis grâce à ces compétences découle de la valorisation de l’expérience, mais aussi de la dévalorisation de la pensée savante, souvent très théorique. Les 75 connaissances théoriques ont l’inconvénient de ne pas s’adapter aux nécessités de l’action, c’est-à-dire de la pratique. Les savoirs ne sont valorisés que parce qu’ils sont nécessaires dans la nouvelle donne technologique. Dans cette perspective, la division du travail n’a pas pour but de fragmenter l’activité productive, mais de mobiliser les acteurs autour d’un idéal commun ; d’où l’utilité des compétences collectives. 2.3. Les compétences collectives Si les NTIC s’intègrent dans un changement de modes de GRH dans le travail, c’est d’abord en termes de mobilisation croisée de compétences. Dupuich-Rabasse et Zarafian (2001, p. 530) définissent la compétence collective comme « une combinatoire de savoirs différenciés mis ensemble, afin d’atteindre un objectif commun dont les acteurs en entreprise ont des représentations mentales communes et dont la résolution des problèmes est commune». Les compétences collectives ne sont pas une simple juxtaposition de compétences individuelles, et encore moins l’existence d’une "entité" supérieure qui aurait vocation à transcender les compétences et les rationalités d’action de chaque employé. Elles sont la résultante d’interactions entre des acteurs individuels. Ces interactions suscitent des confrontations de savoirs différents, l’émergence d’idées et de schémas de raisonnement qu’aucun acteur isolé ne possédait auparavant, ainsi que des compréhensions réciproques. Tout cela s’opère au sein d’un groupe parfaitement encadré. À cet effet, il importe de noter la faiblesse du niveau d’encadrement du personnel dans l’industrie camerounaise ; cette faiblesse est encore plus marquée dans les entreprises de taille moyenne (figure 2). 76 Figure 2 : F T Taux d’enccadrement du perso onnel danss camerounaisse (en % dess effectifs em mployés) l’industrrie 10 0 Taux d'e encadrement 8 6 4 2 0 moins de 30 30 - 49 550 - 99 100 - 199 200 - 49 99 500 et pluss Taille des entreprises Source : Min S nistère de l’É Économie ett des Financces, Camerouun (11998). pétences colleectives émerrgent et se dééveloppent ppar Les comp lees relations. Il I est possiblle d’observerr leurs maniffestations danns lees organisatiions de travvail en réseaaux, lorsque celles-ci soont enngagées dans la réalisatioon d’objectiffs identiques. une entreprisse, L’intelligeence collectiive apparaît au sein d’u loorsque d’un ne part, onn observe l’utilisation l commune dde coonnaissancess et d’inform mations difféérenciées, déttenues par lles trravailleurs ; et e que, d’auutre part, cettte démarchee aboutit à la sttimulation d’un consensuss d’actions de groupe par l’entremise dde processus cog gnitifs se mannifestant uniq quement danss un cadre plu lus laarge. L’utiliisation des TIC favorrise ainsi l''apparition dde coompétences collectives. La mise en commun n d’expertisses inndividuelles est e possible, ggrâce à la miccro-informatique en réseauux ett aux logiciels de travvail en grou upe appelés "groupwarre" (R Rabasse-Dup puich, 2000).. Avec de teels logiciels, les nouveauux m modes d’actiivité peuvennt permettre le travail de différennts professionnelss sur un mêm me projet san ns pour autan nt qu’ils soieent 77 regroupés dans un même lieu. L’acquisition de compétences collectives par ces moyens se fait de façon continuelle dans le temps. Les compétences collectives, dans la mesure où elles s’acquièrent dans et par l’organisation du travail, se développent dans l’action grâce à un meilleur management des ressources humaines. 3. Mutations technologiques et orientations managériales L’introduction des technologies informatiques et les conséquences qu’elles peuvent provoquer sur l’organisation du travail sont édifiantes, de par les méthodes de production modernes induites. La transformation fondamentale du contenu et du processus de travail justifie la nécessité d’une approche nouvelle des pratiques de GRH. 3.1. NTIC et formation La formation est une des premières exigences pour l’appropriation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. 3.1.1. L’urgence de la formation Il n’y a pas de véritable appropriation de la technologie, futelle de l’information et de la communication, sans la formation préalable des personnes appelées à utiliser cette innovation technologique. Par exemple, le télé-enseignement accroît non seulement les chances de l’éducation et de la formation, mais améliore les méthodes d’apprentissage. Ce nouveau domaine de formation nécessite une forte mobilisation des technologies de l’information et de la communication. La question est donc de savoir quelles sont les catégories de personnes susceptibles d’en bénéficier et quels en sont les enjeux. 78 Au regarrd de la réépartition de l’emploi industriel aau Cameroun, résumée danns la figure 3, on voitt bien que la C réépartition de la main-d’œ œuvre industrielle n’est pas p homogènne. L division du La d personnel en trois prin ncipales catéégories perm met d d’observer des d écarts considérablles entre les catégoriies soocioprofessio onnelles : ouuvriers (79,1 1%) ; emplo oyés (10,6%)) ; caadres et agen nts de maîtriise (10,3%). Les besoinss en formatioon soont donc imm menses. Le ddéveloppemeent de l’industrialisation se trraduit par l’eextension dess catégories ouvrières do ont les besoinns d formation sont multiplees et divers. de xte camerounnais, travailleeurs manuelss ou tâcheronns, En contex lees ouvriers sont d’aboord des ind dividus sanss compétencce professionnelle consistannte. Leur prroportion éleevée dans lles enntreprises seemble traduirre l’absence d’une formaation adéquaate d personnel. Si l’on conssidère que laa productivitéé du travail aau du seein d’une entreprise, e dd’un secteu ur ou de l’ensemble dde l’’économie déépend de la qualification n des travaillleurs à la baase (S Sevestre, 1990), il y a lieu de s’in nterroger sur le niveau dde productivité des d entreprisees cameroun naises. Figure 3 : F R Répartition de l’emploii selon le poste p de tra avail, dans le seecteur indusstriel camerrounais 80 60 e % Effectif 40 en 20 0 Ouvriers s Emp loyés Cadres C et agents a de Maîtrise Sou urce : Annuaaire Statistiqque du Camerroun, 2001. 79 Chaque technologie a sa propre modalité d’apprentissage qui nécessite des mécanismes spécifiques de formation. Compte tenu de la rapidité de l’innovation technologique, on observe la création régulière de nouveaux produits informatiques et télématiques très sophistiqués et évolutifs. Par conséquent, les exigences en termes d’apprentissage, de formation et d’acquisition des connaissances nouvelles changent profondément. Dans les entreprises, un nouveau paradigme s’impose pour ce qui est des structures de fonctionnement, des processus et des méthodes de production. L’objectif de la formation ne saurait se limiter à une simple transmission d’un corpus de connaissances exogènes. Il faudrait aussi, dans le même temps, améliorer les capacités des travailleurs à générer de nouveaux procédés de fabrication, ou à accéder à ces procédés de façon autonome. 3.1.2. Vers le développement des savoirs techniques ? Analysant les relations entre les systèmes de travail et les systèmes de formation, Colardyn et Lantier (1982) montrent que l’instabilité des systèmes de travail engendre l’impossibilité de s’appuyer sur l’analyse des tâches pour guider et définir les formations. Parce que la performance attendue à un poste ne peut plus servir de point d’ancrage pour la formation, celle-ci, autrefois chargée de transmettre les connaissances, ne vise plus qu’à faciliter l’« adaptabilité professionnelle » au moyen de l’acquisition de compétences transversales. Par conséquent, il est possible de préparer les travailleurs à faire face à des situations technologiques peu définies et évolutives dans le présent, ainsi qu’à des progressions ultérieures dans un champ de travail indéterminé. Selon Donnadieu et al. (1994), cette tendance trouve un intérêt dans la méthode dite de « segmentation des emplois à partir des compétences ». Cette dernière permet de diviser les emplois en définissant ceux-ci, non par le contenu, mais bien à partir d’une somme de situations donnant lieu à des compétences pouvant facilement être isolées des fonctions claires et précises. 80 Pour ne prendre qu’un exemple, la mise en place d’ateliers flexibles d’une part et la polyvalence du personnel au sein de l’entreprise d’autre part, sont liées au niveau des savoirs techniques et professionnels des travailleurs. Les itinéraires professionnels correspondent aux contraintes spécifiques à chaque type d’industrie. Donnadieu et al. (1994, p. 35-36) font le constat suivant : « Il ne s’agit plus de définir ce qui manque pour accéder à un poste supérieur (…), mais de se préoccuper de ce que le salarié peut faire concrètement en cas de besoin dans l’entreprise. » Avec la création des familles professionnelles, qui ont comme vocation le remplacement des filières se référant aux métiers, la place du travail et des savoirs professionnels se réduit au profit des qualités plus générales supposées nécessaires, dans des situations artificiellement regroupées. L’accent mis sur les compétences transversales sert ainsi à favoriser la mobilité des salariés au sein d’espaces professionnels fictivement homogènes dont les limites et la configuration dépendent plus de la flexibilité que de la proximité d’activité. 3.1.3. TIC : Instrument de flexibilité et de compétitivité La flexibilité de l’entreprise désigne son aptitude au changement, dans un contexte d’incertitude. Avec les TIC, la flexibilité de l’entreprise devient multidimensionnelle. Elle se déploie tout d’abord dans une dimension quantitative et correspond alors au phénomène classique de la dynamique "verticale" des activités. Elle se déploie ensuite dans une dimension plus qualitative et concerne la diversification "horizontale" des activités et des produits. Dans l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies de GRH, les outils de la flexibilité sont très variés : la définition et l’organisation du travail, le temps de travail et les horaires, l’évaluation du personnel, la promotion, la gestion des carrières, la politique sociale, l’emploi (recrutement, rotation, licenciement), les relations sociales, jusqu’à la formation, etc. Toutes ces 81 activités sont des instruments classiques et d’utilisation habituelle. Les unes (recrutement, gestion des carrières, rémunération, évaluation des performances et formation) relèvent de la gestion des flux. Les autres au contraire (amélioration des conditions de travail, mise en place de la modification des systèmes de communication et de participation, organisation de la fonction RH, identification et évaluation des dysfonctionnements, etc.) relèvent de la gestion des structures. Par exemple, l’ampleur de la compétitivité des entreprises japonaises grâce à l’introduction et au perfectionnement des technologies productives, a suscité un nouveau mode d’organisation de la production, de la commercialisation et de la gestion des ressources humaines qui a connu beaucoup de succès au-delà du Japon (notamment en Amérique du Nord et en Europe). C’est ainsi que les principes du "toyotisme" japonais ont été perçus comme une réponse aux limites du "fordisme" américain. Au début, le "toyotisme" représentait une série de changements dans l’organisation du travail. Ces changements se traduisaient par des innovations reposant essentiellement sur la même technologie de base que celle de la chaîne de montage fordienne (Coriat, 1994 ; O.C.D.E., 1992). La Conception et la Fabrication Assistées par Ordinateur (C.F.A.O.) et les Systèmes de Montage Flexible (S.M.F.) n’ont été développés que plus tard. Les principales innovations apportées par le "toyotisme", dans l’organisation du travail, étaient perceptibles à plusieurs niveaux : l’utilisation des réseaux de sous-traitants et le recours au principe de livraison à « flux tendus » ; la réorganisation du travail au niveau de l’usine comme de l’atelier (Shimada, 1991) ; la réduction sensible du cloisonnement et de la hiérarchisation des activités de recherche-développement, de conception ou d’ingénierie. L’application de ces principes de gestion et le potentiel des nouvelles technologies ont débouché sur un système qui implique une plus forte intégration des activités. De même, dans les ateliers, les techniques informatisées ont rendu bien plus facile le passage 82 des chaînes de montage à une organisation du travail décentralisée et efficiente. L’évolution vers des structures plus décentralisées et attentives aux impulsions du marché a donc entraîné un changement important du mode d’organisation du travail et de la gestion des ressources humaines de l’entreprise. Les experts japonais ont proposé le terme "humanware", défini comme la part de productivité provenant de la qualité des relations sociales dont dépend l’efficacité des relations entre les ressources humaines et les autres éléments de base du processus de production, tels que les machines et l’outil informatique (Shimada, 1991). 3.2. TIC et productivité du travail Comme le montre l’analyse précédente, la promotion de la compétence professionnelle revêt une importance capitale pour l’entreprise industrielle. La recherche d’une compétence plus accrue se manifeste concrètement dans l’amélioration de l’efficience et de la productivité du travail. Les gains de productivité correspondent à un surplus de richesses créées grâce à l’amélioration de l’efficacité productive. Ces gains permettent de diminuer le coût de revient des produits, diminution qui se diffuse aux salariés sous forme de hausse de salaires nominaux et/ou de baisse des prix de vente des produits qui élèvent leur pouvoir d’achat. Les gains de productivité, à travers leurs effets sur les revenus et les prix, dynamisent la production. La baisse des prix réels des biens et services stimule la consommation des ménages. Les entreprises peuvent conserver une partie des gains de productivité sous forme de hausse des profits facilitant l’autofinancement des investissements. Les actions requises pour y parvenir constituent autant de défis à relever dans le court terme. Trois principales stratégies peuvent être employées. 3.2.1. L’accroissement de la "qualité" de la main-d’œuvre L’amélioration de la productivité du travail suppose une croissance soutenue du niveau de la main-d’œuvre, aussi bien quantitativement que qualitativement. Dans l’industrie 83 camerounaise, le taux de variation de la productivité du travail industriel de 1990 à 2000 est très important (figure 4). Après avoir subi une évolution en dents de scie jusqu’en 1995, il a légèrement augmenté. De 1997 à 1999, il a diminué. Pour qu’une entreprise industrielle puisse s’approprier des nouvelles technologies, elle doit disposer de ressources humaines formées et qualifiées. En outre, une entreprise en phase de mutation technologique a besoin d’ingénieurs et d’experts informatiques capables d’impulser des innovations et de les mettre en œuvre. Le fait d’effectuer des dépenses importantes en matière d’apprentissage et de formation améliore à la fois les compétences des salariés et la productivité de l’entreprise. Ces dépenses sont des investissements en capital humain, au même titre que des investissements en bâtiments et en équipement (capital physique). 84 Années 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 85 Source : Institut national de la statistique, Cameroun, Comptes nationaux, 2000. 0,4 0,3 0,2 0,1 0 -0,1 -0,2 -0,3 -0,4 -0,5 Figure 4 : Taux de variation de la productivité apparente du travail industriel de 1990 à 2000 variation de la productivité du travail Ainsi, les investissements en capital humain représentent l’une des principales sources de la croissance de la productivité. Par contre, si le système éducatif camerounais présente des points forts, il a aussi un certain nombre de problèmes qui peuvent contribuer au ralentissement de la productivité, ce qui ferait douter de la capacité des entreprises à maîtriser l’innovation et le changement qu’entraînent les nouvelles technologies. 3.2.2. La maîtrise de l’innovation et du changement La maîtrise de l’innovation et du changement est d’une importance capitale pour l’entreprise. Elle dépend évidemment de la possession de ressources humaines très qualifiées et de capacités techniques de pointe. De nos jours, les firmes acquièrent des avantages sur leurs concurrents internationaux parce qu’elles découvrent un nouveau terrain de compétition ou parce qu’elles mobilisent des formes innovantes de concurrence (Porter, 1986). Dans son acception stratégique, l’innovation inclut non seulement les nouvelles technologies, mais aussi de nouvelles méthodes ou de nouveaux procédés de fabrication qui, parfois, ne paraissent pas d’une grande originalité. Du fait des difficultés que présente l’innovation, ce sont souvent des "évènements" en dehors de la firme ou de la branche qui servent de déclencheurs. Les innovations génératrices de compétences sont fréquemment fondées sur de nouvelles méthodes ou de nouvelles techniques qui rendent obsolètes les installations et les équipements existants. Elles exigent un flux constant d’investissements dans les compétences spécialisées et dans les équipements, ainsi qu’un renouvellement permanent. L’innovation technologique sera à l’origine d’une hausse de la productivité si les entreprises maîtrisent tous les segments. Au sein des entreprises, le changement s’opère rarement de manière autonome. En effet, c’est l’environnement qui devrait secouer leur apathie et les contraindrait à évoluer. Elles doivent s’exposer aux pressions et stimulateurs externes qui servent de 86 motivation et de guide au besoin d’action. Elles doivent susciter l’impulsion, et intégrer le processus qui entraîne le changement. Du fait de la difficulté que présente tout changement éventuel, ce qui apparaît comme un processus lent ou comme un désavantage, peut s’avérer en fait bénéfique en conduisant toute la structure organisationnelle à améliorer sa productivité. 3.2.3. L’incitation d’un ensemble de systèmes de valeurs Les systèmes de valeurs représentent un ensemble de fondements ou d’éléments qu’impliquent le contrôle et l’utilisation de nouvelles technologies. Quoi que très éparses, les composantes des systèmes de valeurs ne peuvent être dissociées. Par exemple, les pesanteurs technico-économiques, l’environnement télé-communicationnel, les facteurs culturels, font partie intégrante du processus d’acquisition et de maintien des bénéfices nés de l’appropriation technologique. Les facteurs culturels sont d’autant plus importants qu’ils façonnent l’environnement des entreprises. Ces facteurs sont à l’origine de certaines ruptures susceptibles de dégeler ou de remodeler les structures industrielles. En agissant sur ces systèmes de valeurs, il est possible que les entreprises parviennent à réagir aux tendances de la mode, à élaborer une nouvelle conception du travail, à organiser les activités de production afin de réduire les pertes de temps inutiles, d’assurer un accroissement de la productivité. L’action des pouvoirs publics peut renforcer la capacité des entreprises à intégrer les TIC. Les incitations fiscales encouragent l’importation des équipements informatiques haut de gamme ; ceux-ci réduisent les coûts de production. La réglementation modifie les conditions d’utilisation des réseaux. Les investissements dans la formation augmentent l’adéquation formation-emploi. Toutefois, les mesures qui seraient mises en œuvre sans que soit prise en considération leur influence sur l’ensemble du système de valeurs pourront autant affaiblir l’impact des TIC que de le renforcer. 87 Conclusion Il est désormais difficile d’imaginer un entrepreneur novateur qui ne prend pas en considération l’importance des TIC. La valorisation de ces nouvelles technologies dépend d’abord de la compétence des personnels et du développement de ces compétences. La compétence est un potentiel à développer chez tous les salariés. La vitesse d’apprentissage constitue un élément déterminant, au point où les pratiques qui viseraient à développer les organisations qualifiantes devront faire en sorte que les entreprises et leurs salariés soient en situation d’apprentissage permanent. Dans le contexte de l’entreprise camerounaise, les enjeux deviennent plus importants qu’ailleurs, car la main-d’œuvre industrielle reste encore largement sous-qualifiée, et la notion même de compétence reste encore floue. Mais, autant les qualifications requises dans la société de l’information sont de plus en plus complexes, autant l’industrialisation fondée sur la mobilisation des ressources humaines est une priorité. Pour les entreprises innovantes camerounaises, les facteurs clés du succès reposent sur la qualité de la main-d’œuvre, la maîtrise de l’innovation technologique, l’appropriation culturelle des TIC. L’impératif d’une "endogénéisation" des TIC par le biais de la valorisation des compétences est donc incontournable si les entreprises camerounaises veulent éviter le risque d’une « fracture numérique » ; ou encore celui de tomber durablement dans le « fossé cybernétique ». Résumé Comment promouvoir les compétences professionnelles dans l’industrie camerounaise grâce aux Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) ? Telle est la question qui est au cœur de notre analyse. Si les TIC permettent de centraliser le contrôle du travail à partir du sommet, elles sont aussi un outil stratégique pour l’orientation, la 88 coordination et l’adaptation ; favorisant un repositionnement du rôle de chaque catégorie de personnel. L'assimilation des technologies nouvelles dépend surtout de l’élargissement des capacités d’action de l’ensemble des salariés et donc, du développement des compétences techniques et professionnelles. Il s’agit concrètement de remodeler la gestion des ressources humaines en donnant une priorité à la formation, ce qui peut améliorer la productivité du travail. Mots clés : Compétence professionnelle, TIC, GRH, travail industriel, formation. The impact of ICT on the development of professional skills: a theoretical analysis on data of the Cameroonian industry Abstract How to promote professional competences in the Cameroonian industry through Information Technology and Communication (ICT)? This is the question posed in this paper. If ICT enables centralized control of the work from the top, they are also a strategic tool for the direction, coordination and adaptation, favoring a repositioning of the role of each staff category. The assimilation of new technologies depends mainly on the expansion of activities of all employees and therefore, the development of technical and vocational skills building. It is actually reshape the management of human resources by giving priority to training, which can improve labor productivity. Keywords: Professional competence, ICT, HRM, industrial work, training. Bibliographie AMADIEU J.-F., CADIN L. 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(2001), Le modèle de la compétence : trajectoires historiques, enjeux actuels et propositions, Paris, Éditions Liaisons. 92 L’impact de la culture lors de l’importation d’une instrumentation de gestion des compétences dans une entreprise : cas de la GPEC dans un groupe bancaire africain Yannick EGNONGO35 Introduction L a "coca-colonisation", c’est avec ce terme pour le moins original que Fleutôt (2004, p. 29) traduit la force d’une mondialisation conduisant à la perte des identités nationales : « La mondialisation culturelle participe activement à l'érosion de cultures singulières…Dans ce contexte, la mondialisation culturelle participe à la fois à un rapprochement entre les peuples mais aussi à une atténuation des écarts de développement au prix d'une perte d'identité culturelle. » Avec l’avènement de la mondialisation, d’aucuns ont envisagé une sorte d’homogénéisation internationale. La conception occidentale de la démocratie, l’avènement des nouvelles technologies, l’intensification du commerce international, allaient progressivement annihiler les différences entre pays. La disparition tacite ou dans certains cas de figures 35 Enseignant chercheur en GRH, CERAG, Grenoble, France [email protected] 93 explicite des frontières allait semble-t-il favoriser l’unification des mœurs et des institutions, faisant du monde « un grand village ». Or, il convient de dire que la réalité semble bien différente. De toute évidence, la promesse d’une unification culturelle planétaire paraît aujourd’hui totalement illusoire. La perspective d’un monde dans lequel s’effacerait toute particularité nationale, bute indubitablement sur la dure réalité du terrain (Cazal, Davoine, Louart, Chevalier, 2010). Contrairement à certaines prédictions, les individus, d’où qu’ils viennent, font montre d’une volonté insoupçonnée pour ce qui est de la préservation de leurs particularités culturelles. La mondialisation, aussi puissante soitelle, n’a donc pas réussi dans les faits à effacer les habitus socioculturels des individus ; bien au contraire, elle réveille chez certains un sentiment d’appartenance beaucoup plus fort (d’Iribarne, 1998). La littérature académique en GRH internationale aborde également ces questions en mettant en exergue la nécessité d’adapter les outils de gestion au contexte de leur implantation. Or, Malgré ces théories pointant l’importance de l’adaptation des outils de gestion au contexte de leur mise en œuvre, force est de constater que sur le continent africain, des entreprises continuent d’importer des systèmes de GRH et de les implanter tels quels. Le Gabon, pays sur lequel nous nous focaliserons, est également victime de ce que Mutabazi (2006) considère comme une hégémonie culturelle. Par cette expression, il désigne la pression exercée par un pays dominateur sur un pays dominé, au point que ce dernier tienne pour modèle et cherche à imiter le pays dominateur. C’est par exemple le cas de la Banque Gabonaise et Française Internationale (BGFI), la plus grande banque du pays, première banque sous régionale, qui a décidé en 2006 d’implanter un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Un an plus tôt, cette dernière avait été certifiée ISO 9001, et à la suite de ce processus de certification 94 qui comprend dans son chapitre 6 un volet sur la gestion des compétences, la banque a décidé de se lancer dans cette aventure en implantant donc une GPEC très "franco-française". S’il est aujourd’hui possible d’avoir plusieurs retours sur le fonctionnement de la GPEC dans les entreprises françaises, nous ne pouvons en dire autant de son fonctionnement dans un contexte culturel différent. Quel est donc le devenir d’une instrumentation de gestion des compétences implantée dans un contexte différent de celui de son lieu d’élaboration ? Notre recherche vise à enrichir la connaissance d’un instrument de gestion des compétences à l’épreuve du contexte gabonais encore peu étudié. Son objectif est de proposer une grille de compréhension de la situation, à partir d’un cas concret et emblématique en terre africaine. Notre thèse est qu’une instrumentation de gestion des compétences, même lorsqu’elle revendique une "neutralité", évolue et se transforme par et dans la culture qui la reçoit. La première partie du texte présente la mise en perspective conceptuelle et théorique du sujet. La deuxième partie présente le contexte de l’étude, la méthodologie, les résultats et les implications managériales. 1. Culture et instrumentation de gestion : la GPEC à l’épreuve des cultures La culture revêt aujourd’hui une importance capitale en management international. Depuis environ une vingtaine d’années, se sont multipliées au sein du champ spécifique de la GRH, aussi bien des études comparatives que des recherches visant à comprendre l’interaction entre des contextes multiples (Cazal, 2010). La présente recherche s’inscrira dans cette dernière perspective en analysant l’influence du facteur culturel lors de l’importation d’une instrumentation de gestion. Comme nous le verrons tout au long de l’article, la question de 95 l’articulation entre culture et gestion (même si elle est toujours d’actualité) a été abordée depuis plusieurs années, avec en trame de fond le débat entre universalistes et culturalistes (1.1). L’instrumentation de la GPEC, très franco-française, sera analysée comme un modèle importé d’un autre contexte culturel (1.2). Puis nous analyserons, à l’aide de notre grille, l’influence de la culture sur cette dernière (1.3). 1.1. Culture et gestion : universalistes vs culturalistes Le développement de l’internationalisation des firmes soulève depuis longtemps de multiples interrogations quant à l’évolution des méthodes de management. Se posent naturellement les questions de la diffusion des pratiques de GRH et de la compatibilité entre des pratiques de GRH se voulant universelles et les spécificités culturelles de chaque pays (Livian, 2010). Ce débat ancien repose sur une controverse de fond, celle qui oppose les deux paradigmes de l’universalisme et de la contingence. L’approche universaliste (Delery et Doty, 1996 ; Huselid, 1995 ; Tzafrir, 2006) s’inspire principalement du taylorisme et du fordisme, en termes organisationnels. Elle se caractérise par la mise en place de règles, d’outils et de procédures, censés être efficaces indépendamment du contexte dans lequel ils sont implantés (Hakizumukama, 2011). Pendant de nombreuses années, l’enseignement de la GRH reposait intégralement sur le recensement des meilleures pratiques. Se voulant plus rationnelles et plus optimisatrices que toutes les autres, elles sont très souvent présentes dans les firmes multinationales qui valorisent des « meilleures pratiques », supposées plus performantes dans tous les contextes. La culture nationale est un concept polymorphique et surutilisé en management (Livian, 2011). Le décryptage des liens existant ainsi entre culture nationale et pratiques de gestion a généré une grande quantité d’approches que l’on peut qualifier de "culturalistes". Ces approches reposent sur le décryptage des liens entre les cultures et les pratiques de gestion. Elles mettent 96 l’accent sur l’importance des rationalités et des représentations locales, et soutiennent l’idée d’une gestion spécifique à chaque pays. L’implantation d’un outil de gestion, sans prise en compte des spécificités locales, s’apparenterait ainsi à une remise en question des normes culturelles. Ce qui pourrait susciter des frustrations et/ou des détournements dans l’usage de cet outil. Ne considérer que le paradigme économique de la gestion, en occultant le facteur culturel, serait comme l’affirme Loth (2000), totalement réducteur et diminuerait considérablement les chances d’une organisation d’atteindre ses objectifs de performance. Les pratiques locales des acteurs, loin d’être superflues, s’inscrivent dans une tradition culturelle dont il serait malvenu de sousestimer le poids. Considéré comme le pionnier du paradigme culturaliste, Hofstede (1987, 1993) a été le premier à mettre en lumière la nécessité de la prise en compte du facteur culturel lors de l’importation des outils de gestion et des pratiques managériales. Ses travaux ont par ailleurs été fortement critiqués en raison d’une vision trop homogène (Tayeb, 2001) ; d’un ethnocentrisme supposé ; ou de graves biais méthodologiques (Livian, 2011). Pour la présente recherche, nous préférerons l’approche culturelle de d’Iribarne (2008) qui appréhende la culture comme un univers de sens qu’il est important de décrypter. Toutefois, si l’omniprésence des thèses culturalistes laisse à penser que les arguments universalistes sont aujourd’hui totalement obsolètes, la diffusion intensive d’ouvrages de gestion faisant référence aux « meilleures pratiques » de GRH, démentent ces croyances. 1.2. La GPEC : une instrumentation importée dans un autre contexte L’étude de l’importation d’une instrumentation de GPEC ne saurait se faire sans un véritable focus sur cette dernière. Très souvent décrié et même donné pour obsolète il y a quelques années, le dispositif de GPEC semble immortel. Comme le disent 97 si bien Parlier et Gilbert (2005), il n’existe pas de définition de la GPEC unanimement reconnue ; chaque entreprise étant libre de la concevoir à sa façon. Partant de ce constat, il est de plus en plus tentant de mobiliser quelques définitions pertinentes. Mallet (1991), par exemple, évoque la gestion prévisionnelle des ressources humaines en faisant référence aux procédures, aux démarches et aux méthodes qui permettent d’analyser et d’anticiper les différents avenirs possibles de l’entreprise ; et de faciliter les prises de décisions sur les ressources. Pour Citeau (2000) par contre, la GPEC consiste, à partir d’une stratégie définie en termes d’objectifs, à mettre en place des plans d’actions visant à neutraliser de façon anticipée les inadéquations quantitatives et/ou qualitatives entre les besoins futurs (emplois) et les ressources humaines (compétences disponibles). Le Cohu (2006), quant à lui, s’appuyant sur la définition de l’association « développement et emploi » préfère parler de gestion prévisionnelle et préventive des compétences (GPPEC). Cette expression, de son point de vue, illustre mieux le caractère préventif du dispositif. Dans tous les cas, la GPEC est généralement perçue comme la conception, la mise en œuvre et le suivi de politiques cohérentes dont l’objectif principal est d’anticiper et de réduire les potentiels écarts entre les besoins (en termes d’employés et de compétences de l’entreprise) et les ressources humaines de cette dernière ; en s’inscrivant dans le même temps dans la stratégie de l’entreprise. La GPEC s’inscrit sur un double versant : collectif et individuel. Le versant collectif renvoie à la stratégie globale de l’entreprise et permet à cette dernière de maîtriser quantitativement et qualitativement les évolutions de l’emploi à moyen terme. Le versant individuel permet au salarié d’être l’acteur principal de sa propre carrière et de participer ainsi activement à l’élaboration de son projet professionnel (Sauret et Thierry, 1993). 98 Souvent perçue à tort comme un simple outil de gestion, la GPEC gagnerait à être vue comme un instrument de gestion. En effet, selon Moisdon (1997), un outil de gestion peut être vu comme l’ustensile du manager, le prolongement de sa main. Par contre, l’instrument de gestion est décrit par Gilbert (1998, p. 23) comme : « Tout moyen, conceptuel ou matériel, doté de propriétés structurantes, par lequel un gestionnaire, poursuivant certains buts organisationnels, dans un contexte donné, met en œuvre une technique de gestion. » Une instrumentation de gestion des compétences décrit à la fois un contenu et un processus. Un contenu en ce qu’elle désigne un « (…) ensemble d’instruments couvrant le même champ fonctionnel et permettant la conduite des pratiques de gestion sur ce champ. » ; et un processus, car elle désigne une « création formée d’une succession d’activités qui aboutissent à l’application d’un ou plusieurs instruments à des pratiques de gestion. » Gilbert (1998, p.25). Nous avons, dans le cadre de notre recherche, choisi de nous appuyer sur la définition d’un « instrument de gestion », au sens de Gilbert. Mettant en valeur la dynamique des instruments de gestion, cette définition s’oppose d’emblée à une vision statique des instruments. Les instruments de gestion étant conçus pour atteindre un objectif déterminé et simplifier le réel, c’est-à-dire réduire la complexité, en avoir une vision statique signifierait que l’on considère qu’ils ne sont plus d’aucune utilité lorsque les objectifs ne sont pas atteints. Or, il est de nombreux cas où les instruments ne remplissent pas leur fonction première, mais en remplissent d’autres tout aussi importantes (Gilbert, 1998). Cependant, nous parlerons d’instrumentation de gestion pour désigner le processus par lequel des instruments sont conçus et déployés dans le temps au sein d’une organisation. 1.3. Intégrer culture et instrumentation de gestion : proposition d’une grille d’analyse Comme nous avons pu le constater jusqu’ici, l’institutionnalisation de la GPEC en France (à travers la Loi 99 Borloo), fait qu’elle paraît aujourd’hui incontournable dans l’implantation d’un système de gestion des compétences. Progressivement sortie de son contexte, la GPEC est dans certains cas de figure exportée dans des organisations opérant dans des environnements a priori différents de son pays ou de son organisation d’origine. Or, comme nous le signalions, l’importation d’une instrumentation de gestion dans un autre contexte soulève plusieurs interrogations. Que peut donc devenir une telle instrumentation de gestion lorsqu’elle est importée dans un autre contexte national ? De nombreuses grilles de lectures peuvent être mobilisées pour répondre à cette question. Comme l’a rappelé Livian (2000), certains auteurs s’appuient sur la "crossvergence" développée par Ralston (1993) pour analyser ce problème. D’autres se basent sur le concept de « situating culture » développé par Weisinger et Trauth (2003). Il nous a paru judicieux ici d’associer deux modèles de recherche que nous jugeons complémentaires dans l’analyse et la compréhension du devenir d’une instrumentation de GPEC importée dans un autre contexte culturel : l’approche culturelle de d’Iribarne et la modélisation d’un processus de gestion des compétences d’Oiry (2006). S’inscrivant dans une vision interprétative du management interculturel, l’approche culturelle de d’Iribarne s’attèle à comprendre l’influence de la culture sur les différentes pratiques de management ; de façon à favoriser leur adaptation au contexte national. Elle propose de s’éloigner des conceptions courantes de la culture et de s’appuyer sur deux strates principales permettant, selon lui, de mieux caractériser une culture nationale : une première, correspondant à une image idéale d’univers où on se trouve bien ou mal. Ces images font référence à une certaine conception de l’autorité, de la dignité, du devoir, de la liberté et des processus d’arbitrage. Une seconde, caractérisée par une zone d’inquiétude présente dans toutes les sociétés politiques. 100 En effet, les images idéales d’une bonne et d’une mauvaise manière de vivre ensemble et les affects qui leur sont liés, mettent en évidence l’existence au sein de chaque société politique d’un type spécifique d’inquiétudes, de craintes et d’angoisses qu’il serait important de combattre. Ces images ne déterminent pas les comportements ; elles influencent plus directement la manière dont chacun tend à se représenter les situations sociales et à en interpréter le sens. Dans la société américaine, par exemple, la crainte principale est de subir l’intrusion d’autrui. Pour y échapper, les logiques sociales tendent à encadrer strictement les pouvoirs de chacun, par des règles que l’on peut regarder comme librement consenties. Tandis que dans la société française, ce qui est redouté, c’est d’avoir à plier devant quelqu’un qui peut vous nuire ou vous faire bénéficier de ses faveurs. La voie de salut est de montrer que l’on peut se sentir protégé par un statut honorable et s’élever en refusant de plier par peur ou par intérêt, quelles que soient les conséquences (d’Iribarne, 2008). Nous proposons d’associer cette théorie de la culture avec une modélisation de la dynamique des instruments de gestion. Partant du constat de l’essoufflement des outils de gestion des compétences, Oiry (2006) a élaboré un cadre d’analyse qui invite à se pencher sur cinq étapes : la conception, depuis l’idée à la problématisation et l’intéressement ; la stylisation, pour donner une version unique et cohérente de l’instrument ; le fonctionnement satisfaisant, période pendant laquelle l’instrument se déploie sans embûche apparente ; les usages émergents, composés à la fois de résistances et d’amélioration ; et les modifications, consistant à incorporer plus ou moins les usages imprévus. Nous souhaitons ici partir de cette modélisation, en l’adaptant quelque peu et en y intégrant la théorie de la culture nationale de d’Iribarne, afin d’observer et de comprendre comment les logiques locales d’une culture nouvelle où est implanté un outil de GPEC ont un impact sur le processus 101 d’instrumentation. Cela nous conduit à structurer notre grille d’analyse en quatre étapes et quatre questions. - Phase 1 : comment l’instrument de GPEC est-il conçu et stylisé ? Dans cette première étape, il s’agit de se poser la question de l’influence de la culture lors de la conception de la GPEC. Les acteurs en charge de cette conception ont-ils volontairement occulté l’aspect culturel, ou à l’inverse invoqué leur image idéale ou leur crainte centrale pour donner du sens à la conception de cette instrumentation de gestion des compétences. - Phase 2 : comment la GPEC est-elle introduite sur le terrain ? L’objectif ici est de regarder de plus près la méthode d’introduction de la GPEC par la direction, le service des ressources humaines et ses relais hiérarchiques. Les logiques culturelles locales se retrouvent-elles dans la manière de proposer, valoriser ou imposer le nouvel instrument ? - Phase 3 : comment la GPEC a-t-elle été reçue par les acteurs sur le terrain ? Nous essaierons de voir si la culture gabonaise a pu jouer un rôle dans l'acceptation ou le rejet de l'instrumentation de la GPEC. En d’autres termes, doit-on considérer la culture comme un facilitateur ou au contraire comme un élément qui oriente l'accueil de la GPEC par les salariés ? Dans les deux cas de figure, quel a été le rôle de la culture dans l’acceptation ou le rejet de la GPEC ? A-t-elle influencé la perception des salariés ? - Phase 4 : Comment la GPEC a-t-elle fonctionné et évolué dans le temps? Ici, le regard est enfin porté sur le fonctionnement et le devenir de la GPEC à la BGFI Bank. Comment a-t-elle été utilisée ? Les utilisateurs ont-ils été satisfaits ? L'instrumentation a-t-elle tenu ses promesses ? Si non pourquoi ? A-t-elle évolué ? 102 C grandes étapes Ces é sont reetracées ci-dessous dans la figure 1. Source : Oiry (2006). 2. Im mportation n de la GPEC dans un ne banque gabonaiise Nous av vons eu l’opportunitéé d’observ ver de prrès l’’importation d’un moddèle françaiis de GPE EC dans unne organisation africaine, a nouus permettan nt ainsi de no ous pencher een profondeur su ur le devenirr d’une tellee instrumentaation importéée d dans un conteexte culturell différent. Nous en préésentons ici le coontexte et la méthodologgie (2.1), l’hiistoire de sa mise m en œuvvre (22.2), le décrryptage de la grille d’interprétation n des acteuurs (22.3), et en nfin notre interprétatio on à traveers la grillle d d’interprétatio on culturelle des personn nes concernéees (2.4). 2.1. Conteexte et méthoodologie de la recherchee Les conteextes africaiins ont déjàà fait l’objett de multiplles reecherches dans le passsé, tant su ur les pratiq ques de GR RH (E Etounga-Man nguellé, 19990 ; Tsika, 1995 ; Wachiira 2010), quue suur l’évolutio on de ces praatiques dans un contextee multiculturrel (K Kamdem, 20 002 ; Mutabaazi, 2006 ; Tiidjani et Kam mdem, 2010)). 103 Parmi l’ensemble de ces recherches, l’une d’entre elle a été faite à partir de l’approche culturelle de d’Iribarne. Il s’agit de celle d’Henry (2007), qui pour résoudre les problèmes de centralisation excessive de la Société nationale d’électricité du Cameroun, a commencé par décrypter l’univers de sens camerounais, afin d’analyser ces difficultés avec les lunettes de ses interlocuteurs, avant de proposer d’introduire des manuels de procédures très détaillés, mieux adaptés selon lui au contexte local. Néanmoins, comme le signalent Nizet et Pichault (2010), la littérature académique en GRH consacrée au continent africain est assez limitée ; alors que les organisations africaines (en quête de performance) recourent généralement à des outils de gestion occidentaux. Il est donc capital de se pencher sur des cas de ce type. Notre recherche s’intéresse à une organisation évoluant dans le contexte gabonais. Petit pays d’Afrique centrale (environ 1,7 millions d’habitants), le Gabon fait quasiment office d’exception dans une Afrique considérée à tort comme pauvre. Cette ancienne colonie française, indépendante depuis 1960, a une population à plus de 80% francophone. L’économie gabonaise comme celle de plusieurs pays africains, est une économie de rente, qui repose essentiellement sur l’exportation de matières premières, dont la pierre angulaire reste indubitablement le pétrole. Malgré sa relative faible population, le Gabon compte néanmoins une grande diversité ethnique (Téké, Punu, Fang, etc.). Des analystes identifient une cinquantaine d’ethnies aux rites et coutumes différents. Cette mosaïque culturelle explique la prolifération, au sein de cette société, des débats autour de l’existence ou non d’une culture gabonaise (Meyo-me-Nkoghe, 2005). Cependant, la mise en évidence d’un certain nombre de traits culturels majeurs communs à toutes les ethnies (mythe du chef, droit d’aînesse, importance de la communauté, sorcellerie, etc.) soutient l’idée de l’existence d’une culture gabonaise. 104 Dans le cadre de notre recherche, nous nous sommes intéressés à une entreprise pouvant être considérée comme le fleuron de l’économie gabonaise : la BGFI Bank. Créée en 1971, la Banque de Paris et des Pays-Bas Gabon (qui deviendra la BGFI Bank) est née de la volonté de la banque française (Banque de Paris et des Pays-Bas qu’on appellera couramment Paribas) de s’implanter dans un pays africain à fort potentiel économique. Actionnaire d’abord majoritaire puis minoritaire, Paribas s’est progressivement désengagé et s’est complètement retiré du capital en 1998. Présente dans plus de 10 pays et forte de 1700 collaborateurs, la BGFI Bank dégage un bénéfice net de 18 milliards de francs CFA36 et intervient comme banque de détail, d’investissement et de financement. Le discours de sa direction met en avant les ressources humaines comme première richesse de l’entreprise qui fonde sa politique de GRH sur le recrutement et la fidélisation des talents. Nous avons débuté notre travail d’observation empirique par une enquête exploratoire lors de l’été 2012, au cours de laquelle nous avons rencontré 16 personnes du monde de l’économie gabonaise, dont 10 salariés de la banque. Ces entretiens nous ont dans une certaine mesure permis de saisir les principaux discours autour de la GRH dans le pays ; mais nous ont surtout donné l’opportunité de faire connaissance de façon concrète avec le dispositif de GPEC tel qu’il existe à la BGFI Bank. S’en est suivie, une enquête beaucoup plus approfondie à l’été 2013, au cours de laquelle nous avons rencontré au total 43 salariés de la banque : 4 directeurs, 6 chefs de départements, 10 managers et 23 salariés de divers services. Nous avons opté pour des entretiens semi-directifs, qui ont été retranscrits intégralement avant d’être analysés via un codage d’abord inductif, puis générique afin de décrypter l’univers de sens gabonais. Nous avons également pu consulter des documents internes, certains réservés à la direction des 36 Source : www. bgfi.com. 1 euro = 655 FCFA. 105 ressources humaines (répertoire des emplois-types, cartographie des emplois et des compétences, etc.) ; d’autres étant distribués aux salariés (fiches d’évaluation, aires de mobilité). Nous n’avons hélas pas pu accéder aux archives, documents et manuels de la période même de conception de la GPEC ; mais les supports disponibles et la richesse des entretiens nous ont permis de reconstituer les logiques de conception et d’évolution des instruments de gestion des compétences. 2.2. La GPEC à la BGFI Bank : un projet et ses envies de modernité Le projet GPEC à la BGFI Bank a comme origine lointaine la certification ISO 9001 version 2000, obtenue par l’établissement en 2005. Selon un des cadres à l’origine du projet, « la direction générale a profité de ce contexte favorable pour initier une série de réflexions sur les moyens d’améliorer la gestion des compétences des salariés (…) La démarche qualité (…) nous a facilité la tâche, car elle nous obligeait à organiser notre activité par processus. » Dès le début de l’année 2006, un groupe de travail composé de trois cadres des ressources humaines est mis en place pour livrer une série de propositions ; parmi eux, un cadre expérimenté et deux jeunes diplômés, dont l’un a effectué son mémoire de 3è cycle sur la GPEC. Le projet est ensuite soumis à la validation de la Direction générale et reçoit une validation en mars 2006. D’après les acteurs rencontrés, l’engagement de la direction pour le projet reposait non seulement sur le souhait « de se rapprocher des concurrents africains déjà très outillés en matière de gestion des compétences » (cadre RH), mais aussi « sortir d’une politique de recrutement et de promotion principalement basée sur la présomption des compétences. À cette époque, le diplôme était seul juge de la compétence d’un salarié… » (Cadre concepteur). Un premier planning, ambitieux, prévoit une conception et un test des outils pour mars 2007. Mais la réalité se révèle rapidement plus laborieuse. La première étape consiste en effet 106 en l’identification des métiers et des emplois de la banque ; ce travail n’ayant jamais été fait dans le passé. Grâce à des entretiens menés auprès des salariés et des managers, mais aussi à des consultations auprès des partenaires sociaux, une cartographie de 10 métiers et 105 emplois et activités des collaborateurs est terminée fin 2006. Une deuxième étape est alors lancée, consistant à identifier les compétences requises pour occuper ces 105 emplois, à l’aide du triptyque classique « savoir, savoir-faire et savoir-être ». Chaque emploi est ainsi pondéré et a d’autant plus de poids que les compétences nécessaires pour le tenir sont importantes. Des emplois-types en sont tirés pour aider au recrutement, et des fiches d’évaluation en sont induites pour nourrir le processus d’appréciation et aider à déterminer si le salarié détient tout ou partie des compétences clés visées. Puis, par agrégation des différents emplois d’un même métier, des référentiels de compétences par métier sont rédigés. Une année est nécessaire pour achever cette première série d’outils. La cartographie étant prête, début 2007, une seconde année de travail se déroule pour retoucher les catalogues de formation : la BGFI souhaite à cette occasion « revoir l’intégralité de son offre de formation », et vérifier que l’ensemble des compétences disponibles dans ledit catalogue de sa « BGFI Business School » (BBS) reprend bien ce qui est identifié dans le référentiel de compétences. Vient ensuite la mise au point d’aires de mobilité. La politique interne voulant que les collaborateurs soient mutés après une période maximale de cinq années, cet outil vise à repérer les compétences à acquérir pour concrétiser les nouvelles affectations. Cartographie, référentiel des compétences, emploitype, fiche d’évaluation, aire de mobilité : l’ensemble de ces outils est achevé à la fin de l’année 2007. Selon un des concepteurs, « on n’a pas eu besoin d’adapter la GPEC au contexte local, car nos salariés s’occidentalisent de plus en plus ». Pour autant, l’introduction de la GPEC s’accompagne 107 d’une communication interne volontariste : « On a tout fait pour que la GPEC soit connue des salariés : mails d’informations, articles sur BGFI Info, affichages, etc. » (cadre RH). Néanmoins, il semble que cette communication n’ait pas donné tous les effets escomptés. Nombreux sont en effet les salariés affirmant n’en avoir entendu parler que très vaguement : « J’ai entendu parler de la GPEC, je sais qu’il s’agit de gestion des compétences, mais je ne pourrais pas vous en dire plus. » (Salarié de la banque). Pour une cadre des ressources humaines, on retrouverait là une « propension des salariés à ne retenir que les informations qui les intéressent ». Mais pour d’autres cadres du service, l’introduction n’a peut-être pas été irréprochable : « Je leur avais dit que nous avons un véritable problème de communication au sein de la banque, nous ne pouvons pas nous contenter de balancer des outils de la sorte et espérer que ça marche. » La réception de la GPEC sur le terrain s’est alors faite de manière très contrastée, provoquant soit un enthousiasme particulièrement vif, soit une méfiance totale. Une partie des salariés, visiblement désireux de voir s’instaurer plus de justesse dans la gestion de leurs compétences, exprime ainsi vigoureusement son attente d’« un moyen de résoudre certaines injustices », causées selon eux par le « trop plein de subjectivité dans leur gestion quotidienne ». Mais à l’opposé, d’autres collaborateurs manifestent une méfiance radicale : « Il y a déjà eu plusieurs projets de ce type dans l’entreprise. On y a tous cru, mais au final ça n’a jamais fonctionné… Ici nous ne sommes jamais optimistes, car la logique gestionnaire seul le manager la connaît ». Et de fait, dans le quotidien des services, le fonctionnement du système est en proie à de nombreuses contestations sur le point-clef de l’évaluation des salariés, point d’autant plus sensible que la banque verse une rétribution financière aux collaborateurs les mieux évalués. Or, l’objectivité des 108 évaluateurs est fréquemment remise en question (« nous sommes en Afrique, il y a des considérations personnelles qui rentrent en compte ») ; quand ce n’est pas la légitimité même de ces évaluateurs qui est pointée du doigt : « Le supérieur qui t’évalue a le même diplôme que toi, donc rien ne prouve qu’il soit plus compétent ». Un candidat aux élections des délégués du personnel nous a confié son souhait de proposer une « évaluation à 360 degrés », afin de ne pas laisser aux seuls managers cette mission d’évaluation. Mais pour certains cadres, ces difficultés seraient imputables à la culture du pays : « La GPEC ne pourra pas marcher au Gabon comme dans les pays occidentaux car nous sommes encore dans une logique de piston. On met quelqu’un à un poste, la personne n’a pas les compétences requises, mais elle est là du fait de ses liens avec telle ou telle personne. » Le contexte local gabonais brillerait ainsi par son "irrationalité" et la culture serait "incompatible" avec les principes mêmes de la GPEC. En 2012 et pour améliorer la situation, la direction crée un service dédié à la gestion des compétences et à la formation. Sa mission est notamment de « faire revivre la GPEC et revenir en permanence dessus (…). On a repensé le projet GPEC, on veut quelque chose de beaucoup plus concret. » (responsable gestion des compétences). Plusieurs voies d’amélioration sont alors énoncées : renoncer au triptyque « savoir, savoir-faire, savoirêtre », « trop théorique pour le contexte gabonais », actualiser les cartographies, utiliser réellement les aires de mobilité, développer des modules de formation « plus en lien avec les problématiques de l’entreprise », tout en incluant davantage les partenaires sociaux. 2.3. Grille d’interprétation culturelle des acteurs Une lecture rapide et superficielle des observations qui viennent d’être présentées pourrait nous conduire à mettre en parallèle cette expérience d’introduction de la GPEC avec bon nombre de récits de mise en œuvre d’outils de gestion des 109 compétences. N’observe-t-on pas finalement la même chose dans bien des cas européens ou français, à savoir les mêmes décalages et difficultés, et la même nécessité de redonner un « second souffle » (Oiry, 2009) ? Une telle lecture, trop rapide, est à notre sens discutable, car ces événements lus sous le prisme de la grille d’interprétation culturelle des acteurs, nous permettrait de mieux juger de l’impact de la culture sur une telle instrumentation. D’où la nécessité de décrypter l’univers de sens culturel de nos interlocuteurs, en repérant l’image idéale et la zone de crainte centrale de la société gabonaise. En analysant les discours des acteurs, on perçoit assez nettement le soupçon d’appétits abusifs, voire la crainte naturelle de manigances nuisibles : « la logique aurait voulu… » ou encore « normalement, j’aurais dû être », note-ton, comme pour souligner que les faits cachent peut-être une intention maligne, notamment à propos des promotion dans l’entreprise. L’incompréhension est formulée aussi sous la forme d’un doute inavouable : « Je ne sais pas pourquoi », « je ne comprends pas », ou encore plus nettement, « la logique, seul le manager la connaît », « je ne peux pas vous donner d’explications », ou enfin, « je ne sais pas ce qu’ils attendent ». Ces incompréhensions renvoient indirectement à la crainte insondable d’être victime de manœuvres invisibles, au profit par exemple d’autres salariés « beaucoup moins méritants. » À l’inverse, chacun semble insister implicitement sur son évidente « bonne foi », sa propre bienveillance, sa gentillesse et de faire en sorte de ne pas être soupçonnable de mauvaise intention. Il s’agit pour les acteurs de dévoiler subtilement leurs intérêts, afin d’ôter les doutes qui pourraient miner les esprits de l’entourage. Cette propension à souligner sa bonne volonté et à mettre ses bonnes intentions en avant paraît tout à fait centrale dans la manière de dévoiler sa propre attitude ; comme si l’on ressentait spontanément la nécessité de mettre en avant ses bonnes intentions et que l’on se voulait se départir d’une crainte centrale (celle d’être vu comme un individu motivé par ses seuls intérêts cachés ou par des intentions négatives). Dans ce 110 contexte sans cesse marqué par le décryptage d’arrières pensées et l’analyse de l’intentionnalité, il est capital de souligner sa bonne foi, sa sincérité et sa bienveillance, comme l’indique nombre d’expressions courantes du discours social : « je vous le dis à cœur ouvert », « ce que je vous ai dit venait du cœur », « je vais être franc », « je vous le dis de vous à moi » reviennent dans les propos, afin de rassurer les autres de sa bonne foi. Le fait d’être soupçonné et ressenti comme une personne méchante peut attiser des jalousies, potentiellement incitatives de manœuvres sourdes. Il est important de se présenter comme quelqu’un de gentil, d’une bonne volonté parfaite. Un directeur conscient de cette sensibilité met en évidence la nécessité de se montrer « accessible et humaniste », parce que « si les gars se décident de vous boycotter, tout grand directeur que vous êtes, vous ne pourrez rien à faire. » Une fois ces logiques culturelles mises en évidence, nous allons pouvoir étudier comment elles interviennent dans les différentes étapes de l’implantation de l’outil. 2.4. La culture influence chacune des étapes de l’instrumentation de la GPEC Lorsque l’on examine les différentes étapes de l’instrumentation de la GPEC à l’aune de la grille d’analyse préalablement présentée, on remarque que les événements prennent alors un autre relief. Alors que l’étape de conception s’apparente à une « instrumentation à l’occidental », sans prise en compte du contexte local, une lecture des événements avec les lunettes culturelles de nos interlocuteurs révèlent qu’en réalité une telle méthode de conception « à la française », consistait pour les concepteurs à une manière de prouver leur bonne foi, de ne pas détourner la GPEC de son but initial. En effet, dans ce contexte fortement marqué par cette crainte de manigance nuisible, toute modification substantielle de la GPEC aurait alors pris le sens d’une volonté cachée de nuire, décrédibilisant aussi bien l’instrumentation que ses concepteurs. 111 Comme le déclarait non sans humour un cadre des ressources humaines, « ici les gens te diront : pourquoi tu veux changer quelque chose qui est écrit noir sur blanc ? » Autrement dit, alors qu’en France une adaptation du modèle aurait facilement trouvé sa justification dans une référence aux traditions du secteur ou de la profession, au Gabon toute remise en question est perçue comme un éventuel détournement pouvant bénéficier aux modificateurs. La culture est donc bien présente au moment de la conception des outils, même si elle organise paradoxalement sa propre éviction, par le fait même qu’elle ravale la conception des outils à une sorte de copiercoller se voulant irréprochable. Pour ce qui est de la phase d’introduction, elle s’éclaire également sous un autre angle si l’on garde en tête la crainte centrale et l’image idéale de la société gabonaise. Au sein de la direction, les promoteurs de la GPEC revendiquent leur bonne foi par la communication d’un maximum d’informations. Ils considèrent avoir « tout mis en œuvre » afin que l’outil puisse être porté par les managers et assimilé par les salariés : « On fait tout pour que les managers adhèrent. Des campagnes de communication, de sensibilisation. Là je vous l’ai dit, on a de nouvelles fiches, je vais faire le tour de mes managers. » (Cadre des RH, filiale). Introduire la GPEC revient donc à mettre à disposition un ensemble d’outils et des modes d’emploi, à informer plus qu’à communiquer, sans forcément s’assurer de la réception du message et de son appropriation. Or, dans un tel contexte, la communication interne aurait pu montrer que tout le monde a « un intérêt » à la mise en place de l’outil et pas seulement quelques personnes. Une introduction de la GPEC montrant que le nouvel outil a pour objectif de satisfaire les intérêts de chaque salarié et de la banque tout entière aurait paru plus pertinente. Ce que souligne ainsi un salarié de la banque : « Il faut que la banque mette en avant la valeur ajoutée de la GPEC pour que les salariés adhèrent. » 112 En troisième étape, la réception sur le terrain se partage entre un enthousiasme démonstratif et une méfiance radicale, les réactions se polarisant sur les attitudes extrêmes. Certains rivalisent de bonne foi et proclament leur adhésion dans le cadre d’une stratégie plus ou moins consciente de protection, pour éviter tout soupçon, dans une société où les critiques sont peu légitimes et mal perçues : « En règle générale, dans cette agence, on adhère à tout ce que la hiérarchie demande. On se bat pour adhérer, après il peut y avoir des manquements, mais en général on adhère totalement. Vous pouvez poser la question à tout le monde, c’est rare qu’on ait dressé un mur face à un outil émanant de la RH. On se bat toujours pour s’impliquer et faire ce que la hiérarchie demande. » (Manager filiale). À tel point que « quand on écoutait certaines personnes, on avait l’impression que la GPEC était devenue une sorte d’outil magique qui permettrait de résoudre tous les problèmes. » (Cadre ressources humaines). Mais l’attitude opposée de méfiance radicale existe aussi, alimentée par cette peur centrale des manigances secrètes, intéressées ou malintentionnées. « Les changements intempestifs », survenant « sans logique gestionnaire apparente », sont généralement invoqués pour justifier le pessimisme exprimé à l’égard de la réussite des nouveaux outils implémentés. Plusieurs salariés expriment une forme de désillusion à cet égard : « À la banque, on ne peut pas être optimiste, les choses changent tout le temps, parfois on se dit que la logique ce n’est que le manager qui la connaît, sincèrement je ne suis pas optimiste. » (Collaborateur). « Je ne sais pas ce que le DRH me reproche exactement, est ce qu’il y a un problème au niveau de mes compétences ? Mes fiches d’évaluation disent le contraire. » (Cadre). Enthousiasme et scepticisme ne sont pas tant les termes d’un débat sur l’outil, que deux formes d’expression courantes face à un projet de changement. Enfin, l’étape de fonctionnement et d’évolution de la GPEC symbolise quasiment à elle seule l’échec du dispositif de GPEC 113 à la BGFI Bank. Placé au cœur du dispositif, l’outil d’évaluation était censé apporter plus de justice dans une gestion des compétences considérée comme « subjective et injuste » par la majorité des salariés. Or, dans les faits, on constate que cet outil a au contraire cristallisé la frustration des salariés qui le juge « biaisé et arbitraire », comme l’illustrent les propos de ce cadre de la banque : « Les fiches d’évaluations manquaient d’objectivité, car c’est l’homme qui évalue et l’homme a ses émotions. » Cette assertion, pour le moins surprenante, peut être comprise si l’on prend en compte la crainte de manigance nuisible propre à ce contexte. On comprend alors que dès lors que la procédure dédiée à l’évaluation n’est pas accompagnée de précautions particulières pour se prémunir du risque de subjectivité, elle laisse entières les craintes et l’absence de confiance. Un salarié qui obtient une mauvaise évaluation se dira que « c’est de la faute du manager », qui n’avait pas intérêt à bien l’évaluer ou qui manigance contre lui dans son dos. Une mauvaise évaluation est immédiatement interprétée comme le signe d’une volonté néfaste du manager à l’égard de son collaborateur. Conclusion La littérature en GRH comme celle des autres sciences de gestion, se penche sur les questions de transposition et de diffusion d’outils de gestion. Si ces problématiques interviennent dans plusieurs pays, elles se posent également avec véhémence dans le contexte africain où de nombreux groupes internationaux continuent d’importer et d’implanter des outils de gestion tels quels. Dans un tel contexte, la question de l’influence du facteur culturel sur ces outils revient avec insistance parmi les cadres et les dirigeants africains. La présente recherche, si elle montre que la culture influence bien toutes les étapes de l’instrumentation de la 114 GPEC, nous apprend par ailleurs que le facteur culturel n’entraîne ni une appropriation totale, ni un rejet catégorique de la GPEC ; mais génère des réactions que l’on ne pourrait comprendre sans une véritable prise en compte des caractéristiques culturelles gabonaises. Toutefois, il est important de préciser qu’il n’existe aucun fatum qui emprisonnerait les entreprises gabonaises dans une inefficacité culturelle. Nous avons vu en quoi le souci d’appliquer la démarche GPEC dans une intégralité presque inaltérée répondait à une crainte implicite locale d’être soupçonné de manœuvres ourdies et à la volonté de démontrer son objectivité. Or, il aurait été précisément nécessaire de l’adapter au contexte culturel de sa mise en œuvre. À la suite de cette analyse, nous sommes en mesure d’émettre quelques préconisations. Tout d’abord, les concepteurs, prenant en compte cette crainte de manigances nuisibles qui rythme indubitablement les rapports sociaux, gagneraient à communiquer tout au long de la conception du dispositif de GPEC, et veiller à impliquer un nombre plus important de managers, afin de renforcer le sentiment de transparence. Aussi, la banque pourrait songer à un modèle d’évaluation plus collectif, entretenant moins l’idée d’une manœuvre ourdie. Les revues des membres du personnel, telles qu’effectuées dans les entreprises occidentales, pourraient par exemple être systématisées. Plus qu’un obstacle, la culture gagnerait à être vue comme une source d’opportunités à mobiliser. Résumé En dépit de la prééminence des recherches en gestion des ressources humaines (GRH) pointant la nécessité d’adapter les instruments de gestion au contexte de leur implantation, la pression mimétique pour l’adoption sans nuance d’outils de gestion est toujours aussi forte, notamment dans les pays en développement. C’est par exemple le cas du continent africain, qui malgré ses influences multiples, reste soumis depuis des 115 décennies à une très forte pression mimétique. Notre recherche vise à enrichir la connaissance d’un instrument de gestion des compétences à l’épreuve de ces contextes encore peu étudiés. Son objectif est de proposer une grille de compréhension de ces phénomènes, tout en documentant un cas concret et emblématique en terre africaine. Notre thèse est qu’une instrumentation de gestion des compétences, même lorsqu’elle revendique une "neutralité", évolue et se transforme par et dans la culture qui la reçoit. Mots clés : Culture, instrumentation, gestion des compétences, banque africaine. The impact of culture on import of skills management instrumentation in a company: case of the GPEC in an African banking group Abstract Despite the prominence of human resources in research (HRM) pointing to the need to adapt the management tools to the context of their location, the mimetic pushing for unqualified management tools is still strong, particularly in developing countries. This is for example the case of the African continent, despite its many influences, remains subject for decades to very strong mimetic pressure. Our research aims to enrich the knowledge of a skills management tool for testing these poorly studied contexts. Its aim is to provide a grid of understanding of these phenomena, while documenting a concrete and symbolic event on African soil. Our thesis is that a skills management instrumentation, even when it claims a "neutrality" is evolving and changing in and by the culture that receives it. Keywords: Culture, African bank. instrumentation, 116 skills management, Bibliographie CAZAL D., DAVOINE E., LOUART P., CHEVALIER F. (2010), GRH et mondialisation. Nouveaux contextes nouveaux enjeux, Paris, Vuibert. CAZAL D. (2010), « GRH internationale : structure, limites et nouvelles perspectives de recherche », Cazal D., Davoine E., Louart P. et Chevalier F. (2010), GRH et mondialisation. Nouveaux contextes, nouveaux enjeux, Paris, AGRH-Vuibert, p. 241-267. CITEAU J.P. (2000), Gestion des ressources humaines, Paris, Édition Sirey. DELERY E, DOTY H. 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(2003), “Situating culture in the global information sector”, information Technology People, vol. 15, n° 4. 121 Genre, leadership et auto-efficacité chez les managers africains de demain : regard sur les futurs managers d’origine malgache, tunisienne et sud-africaine Lovanirina RAMBOARISON-LALAO 37 et Kais GANNOUNI 38 Introduction l’heure du nouveau millénaire, le devenir socioéconomique Àde l’Afrique repose sur le développement de son capital humain autour de compétences-clés comme l’auto-efficacité ou le leadership, dont l’articulation avec le concept genre constitue l’objet de notre recherche. Si Bolden et Kirk (2009) préconisent de mettre l’accent sur le dialogue et le partage d’expériences pour développer le leadership africain, les jeunes Africaines et Africains sont aujourd’hui concernés au premier plan par ces enjeux socioéconomiques qui requièrent entre autres, des compétences de leadership et d’auto-efficacité. Pour enrayer la pauvreté en Afrique, les leaders africains de demain seront en effet les piliers d’un développement économique et social 37 Enseignant Chercheur, École de Management Strasbourg, France [email protected] 38 Enseignant Chercheur, IHEC Tunis, Tunisie [email protected] 123 durable, d’où l’impérieuse nécessité de former la relève africaine des deux sexes, à devenir des leaders compétents. En rebaptisant le programme « Washington Fellowship Young African Leaders » par « Mandela Washington Fellowship », lors du Sommet des jeunes leaders africains du 28 juillet 2014, le président Barack Obama rappelle aux jeunes leaders africains la ligne de conduite à suivre dans cette dynamique. Que ce soit en politique ou en management, la réussite et le succès reposent sur des leaders performants, leadership devant rimer avec efficacité indépendamment du genre. Dans la gestion des organisations, le leadership fait partie des compétences-clés du manager acquises en amont de la carrière professionnelle, au travers des formations dispensées dans les écoles de management. S’inscrivant dans une optique prospective, notre étude comparative internationale questionne l’effet modérateur du genre dans l’influence du leadership sur l’auto-efficacité des futurs managers formés dans ces écoles, en établissant un regard croisé entre les étudiants africains et ceux d’autres nationalités. Deux parties structurent notre texte. Nous posons dans un premier temps le cadre conceptuel et les principes de notre étude ; puis nous présentons par la suite nos résultats en discutant de leurs implications, avant de terminer par nos conclusions. 1. Cadre et principes de l’étude Notre revue de la littérature s’intéresse, dans un premier temps, aux recherches africaines ayant abordé les trois concepts théoriques mobilisés dans notre étude : genre, leadership et auto-efficacité ; ces concepts ayant déjà fait l’objet d’une littérature occidentale foisonnante. Nous précisons par la suite le cadre conceptuel opératoire de nos hypothèses de recherche, avant de présenter la méthodologie adoptée. 124 1.1. Genre, leadership, auto-efficacité : regard sur la littérature africaine Nous présentons quelques recherches africaines en management ayant abordé le genre, le leadership et/ou l’autoefficacité. Genre Plusieurs perspectives permettent d’appréhender le concept genre. Omniprésente dans les recherches en management, l’approche classique renvoie au "sexe", variable sociodémographique au même titre que l’âge ou l’origine, utilisée par exemple par des chercheurs africains comme Ramboarison-Lalao (2003) ou Rijamampianaina (2014), pour une lecture comparée hommes-femmes des résultats de leur recherche sur le leadership. D’autres études africaines sur le genre, rapportées par Ramboarison-Lalao (2012), se penchent par ailleurs, sur différentes problématiques spécifiques aux femmes comme le plafond de verre ou les discriminations liées au sexe ; l’entrepreneuriat ou le leadership féminin. Devant les objectifs d’égalité effective entre les hommes et les femmes fixés par l’ONU pour 2015, la prédominance du modèle culturel patriarcal entretient en Afrique, la rupture entre les discours sur la promotion de l’égalité des sexes et les réalités de terrain (Foudad et Khiat, 2012). Si les préoccupations pour l’égalité des sexes restent par conséquent marginales dans les recherches africaines en gestion, les études sur la conciliation vie professionnelle-vie familiale (Diop, 2009) ou le leadership féminin (Nwabaw et Heitner, 2010) sont par ailleurs, peu nombreuses. Au-delà de ces constats, l’entrepreneuriat féminin occupe en revanche, une place de première importance dans la littérature managériale africaine liée au genre (Kandem et Ikellé, 2011 ; Epo, 2013 ; Ramboarison-Lalao, 2015). Outre l’impact vertueux de l’entrepreneuriat sur le développement économique qui en fait un sujet de prédilection en Afrique, cet intérêt s’explique aussi du fait que ces travaux 125 sont rarement empreints de l’idéologie féministe de lutte pour l’égalité des sexes ; même si certaines études mettent en avant les difficultés d’accès au crédit subies par les femmes entrepreneures (Epo, 2013 ; Ramboarison-Lalao, 2015). Deux dimensions du concept genre seront utilisées dans notre étude : la première dimension classique renvoie à la variable sociodémograhique sexe. La seconde dimension, jusqu’alors absente des recherches africaines en management, renvoie aux notions de masculinité versus féminité, que nous précisons plus loin. Leadership Face au foisonnement des problématiques managériales sur le leadership, des chercheurs africains se sont intéressés à cette thématique polymorphe, à l’instar de Nwabaw qui a étudié en collaboration avec Heitner (2010), le leadership des femmes nigériennes expatriées au Texas. Au-delà du lien entre genre et leadership, d’autres travaux africains associent les concepts de leadership et d’auto-efficacité ou de performance. Daoud Ben Arab (2011) étudie par exemple dans le contexte tunisien, le leadership d’empowerement des cadres intermédiaires, dans une finalité de performance. Dans cette même optique, Rijamampianina (2014) explore dans le secteur bancaire sud-africain, les qualités requises pour être des leaders efficaces, sur la base du référentiel de Crowder et Woods (2006). Les 61 cadres sud-africains ayant participé à son étude soulignent l’importance des qualités personnelles de self-management, pédagogiques de communication et stratégiques de vision. La mise en évidence par cet auteur du lien entre leadership et self-management, notion proche de l’auto-efficacité, nous permet de poser l’hypothèse du lien entre leadership et auto-efficacité, dans le cadre de notre recherche. Les subtilités de perception différente entre les 39 hommes et 22 femmes de l’échantillon suggèrent, par ailleurs, l’hypothèse de l’effet modérateur de la variable genre. Dans un autre contexte, les travaux de Ramboarison-Lalao (2003) sur les 126 compétences et le leadership (Blake et Mouton, 1980) de 40 cadres malgaches, ont montré une absence de différence sexuée de style de leadership. Le référentiel de leadership mobilisé dans notre étude sera exposé dans le paragraphe suivant. Auto-efficacité Peu de recherches africaines en management utilisent le concept d’auto-efficacité stricto sensu ; cette lacune motive son étude dans le contexte africain. Force est toutefois de constater que les notions voisines telles que l’efficacité ou la performance sont largement présentes dans la littérature africaine. Au-delà des travaux susmentionnés qui articulent leadership, genre et efficacité, les angles d’approche qui traitent de l’efficacité ou de ses pseudo-synonymes sont multiples. Sans être exhaustifs, citons à titre d’exemple les travaux d’Ahouanougan et al. (2010) sur la performance dans le secteur de la santé au Bénin ou ceux d’Essama et al. (2012) sur la gouvernance et la performance des institutions de microfinance au Cameroun. Le concept d’auto-efficacité des managers, utilisé dans notre recherche, sera précisé infra. Après ce regard sur quelques recherches africaines en lien avec notre objet de recherche, nous explicitons le cadre conceptuel opératoire de nos hypothèses de recherche. 1.2. Cadre conceptuel opératoire de la recherche : hypothèses et modèle de recherche Les concepts de genre, de leadership et d’auto-efficacité ont largement été étudiés dans les recherches occidentales. Nous élaborons le cadre conceptuel opératoire de notre étude autour de différents travaux qui ont conduit à la formulation de notre hypothèse principale H1, laquelle est complétée par deux hypothèses connexes H2 et H3. Hypothèse principale H1 : Le genre est une variable modératrice de l’effet du leadership sur l’auto-efficacité des futurs managers. Afin de mieux appréhender le cadre théorique 127 ayant présidé à la formulation de l’hypothèse H1, nous la déclinons en deux sous-hypothèses H11 et H12 complémentaires dans notre analyse. Sous-hypothèse H11 : Le leadership a un impact positif sur l’auto-efficacité des futurs managers. La conceptualisation du leadership mobilisée dans notre étude s’inscrit dans les paradigmes (personnaliste et comportemental) du leadership. En nous intéressant aux qualités de leadership des futurs managers, notre étude s’inscrit en effet intrinsèquement au départ dans le courant personnaliste des traits de leadership (Stogdill, 1948 ; Bennis et Nannus, 1985 ; Bass, 1981). Rappelons que l’approche personnaliste étudie les traits de personnalité et un ensemble de caractéristiques subjectives propres aux leaders efficaces : la capacité et le désir d’assumer des responsabilités ; l’initiative et l’audace dans le choix des objectifs et des moyens ; l’énergie et la persévérance dans la poursuite des objectifs ; la confiance en soi ; la capacité de résister aux stress et aux frustrations ; la volonté de prendre des décisions et d’en accepter les conséquences (Stogdill, 1948). D’autres auteurs comme Conger et Kanungo (1998) associent les caractéristiques de vision, de prise de risque, de sensibilité environnementale, de sensibilité aux besoins des subordonnés et de comportement non conformiste au leader charismatique. Pour House (1977), le leader charismatique est doté d’un sens fort de ses valeurs morales et d’un fort sentiment d’influencer les autres tout en étant plein d’assurance. Ces travaux soulignent que les différentes acceptions du leadership sont loin de faire l’unanimité, même si des auteurs comme Cornet et Cadalen (2010) proposent une définition consensuelle du leadership comme étant la capacité de mener des personnes ou des organisations vers l’atteinte d’objectifs. En formulant notre hypothèse de l’influence du leadership sur l’auto-efficacité des managers de demain, nous dépassons la posture statique de la théorie personnaliste des traits pour nous inscrire dans la dynamique de l’approche comportementale ; 128 dans le sens où le leadership induit un comportement efficace. Les travaux de Bass (1981 ; 1997) permettent d’illustrer ce glissement intégrateur de paradigmes qui encadre notre réflexion. Selon la perspective personnaliste, Bass (1981) présente dans ses premiers travaux, un portrait du leader efficace autour d’un certain nombre de traits : l’attirance pour les responsabilités et les tâches achevées ; la rigueur et la persistance dans la poursuite des buts ; l’originalité ; la capacité de rallier les gens dans la résolution des problèmes ; une tendance à exercer de l’initiative dans les situations sociales ; la confiance en soi et le sens d’identité personnelle ; la capacité d’absorber le stress interpersonnel ; la disposition à tolérer la frustration et les délais ; l’habileté à influencer le comportement des autres ; la capacité à structurer les systèmes d’interaction entre les humains en fonction des buts poursuivis. Dans le prolongement de ses recherches, Bass (1997) distingue par la suite d’un côté, le leader transformationnel qui inspire, stimule et transcende ses subordonnés par son charisme et sa considération afin d’exercer sur eux une influence durable, selon une logique « process » ; de l’autre, le leader transactionnel qui clarifie les tâches pour pousser les subordonnés à l’atteinte des objectifs fixés, selon une logique de résultats. Les comportements et actions du leader ont ainsi pour finalité l’atteinte des objectifs par les subordonnés, synonyme d’efficacité du manager ; laquelle dépend en partie de traits personnels de leadership comme le charisme. Cornet et Cadalen (2010) précisent que les rôles de leader sont souvent clairement définis en termes d’attentes au niveau des comportements. Nous reprenons dans notre hypothèse de recherche sur les futurs managers, l’idée force de l’influence du leadership sur l’efficacité du manager, alliant en toile de fond postures personnaliste et comportementale de leadership. L’approche comportementale s’imbrique ici dans la posture personnaliste selon une causalité axée sur « les conséquences » du leadership en termes d’efficacité et non pas sur « les antécédents » qui le 129 déterminent. Sachant que notre recherche concerne des étudiants en management, plusieurs travaux ont étudié le leadership et ses « conséquences » ou « antécédents » en psychosociologie dans le domaine de l’éducation. Certains auteurs ont, par exemple, étudié l’impact des caractéristiques de leadership du corps professoral ou administratif sur les performances académiques des étudiants (Coellia et Green, 2012 ; Dina, 2013). Les recherches sur le leadership des étudiants peuvent s’inscrire dans une causalité « antécédents » ou « conséquences » du leadership. Certains travaux ont ainsi souligné l’impact positif des formations universitaires sur l’acquisition des compétences de leadership par les étudiants selon la logique « antécédents » et démontrent que les formations façonnent les futurs leaders en amont de leur carrière professionnelle, dans une dynamique prospective (McIntire, 1989 ; Miller, 2001). D’autres recherches s’inscrivent dans la logique « conséquences » en étudiant l’impact du leadership des étudiants sur leur réussite académique ou leur auto-efficacité (Kuh, 1995 ; Ouellette, 1998 ; Cooper et al., 1994). Pour opérationnaliser le concept de leadership dans notre étude, face aux référentiels foisonnants, nous mobilisons le Leadership Practices Inventory (LPI) développé par Kouses et Posner (1995 ; 2002). Il s’agit d’un outil ayant fait académiquement ses preuves en termes de validité et de fiabilité, aussi bien dans la littérature managériale que dans les sciences de l’éducation. Les deux auteurs concilient les postures personnaliste et comportementale en identifiant un mix de cinq capacités émotionnelles, mentales et instinctives de leadership. Il s’agit des capacités de remettre en question les processus, d’inspirer une vision partagée, de reconnaître les contributions des subordonnés, de donner le bon exemple et d’encourager les autres à agir. Précisons par ailleurs que le concept d’auto-efficacité utilisé comme variable expliquée dans notre hypothèse de recherche 130 est issu de la théorie développée par Bandura (1977). Pour cet auteur, l’auto-efficacité renvoie pour un individu, à la croyance qu’il a la capacité à produire une tâche, notamment face à des situations complexes : plus la personne se sent capable d’effectuer une tâche, plus ses objectifs sont élevés et plus grande est sa motivation pour l’atteinte des objectifs. Au plan managérial, une forte auto-efficacité des employés est synonyme de performance professionnelle (Stajkovic et Luthans, 1998b). Cette compétence s’acquiert par la formation académique en amont de la vie professionnelle et se développe tout au long de la carrière des cadres. Dans le domaine de l’éducation, des recherches se penchent sur les facteurs qui déterminent l’auto-efficacité selon une logique « antécédents » (Koesler et Propst, 1998 ; McCormick et al., 2002). D’autres mettent en lumière l’influence de l’autoefficacité des étudiants sur leur performance académique, selon une logique « conséquences » (Moulton et al., 1991 ; Vuong et al., 2010). Face aux nombreux outils de mesure de l’autoefficacité présents dans la littérature, nous retenons celui d’Owen et Froman (1988) par convenance. L’hypothèse de l’influence du leadership sur l’auto-efficacité des futurs managers ayant été explicitée, la variable genre joue-t-elle un rôle modérateur dans ce lien ? Sous-Hypothèse H12 : Le genre modère l’effet du leadership sur l’auto-efficacité. Le genre est un concept largement étudié dans les recherches en management. Au-delà de l’omniprésence de la variable sociodémographique sexe, les axes de recherche sont nombreux dans le domaine de l’entrepreneuriat (Kolvereid et al., 1993), du marketing (Bobot, 2010), ou de la gestion des ressources humaines (LandrieuxKartochian, 2004). Les recherches s’intéressent par exemple à la carrière des femmes cadres (Landrieux-Kartochian, 2004) ou à la motivation des femmes entrepreneures (Duchéneaut et Ohran, 2000). De nombreuses recherches en management s’inscrivent par ailleurs dans le prolongement des mouvements 131 féministes de lutte pour l’égalité des sexes en Occident, face à la domination masculine (Bourdieu, 1998). Sans être exhaustives, différentes problématiques étudient les pratiques discriminatoires comme le plafond de verre (Ragins et al., 1998 ; Gutek, 1994 ; Landrieux-Kartochian, 2004), les inégalités salariales (Benraïs et Peretti, 2002), le harcèlement sexuel (Gutek et al., 1990), les discriminations en matière d’octroi de crédit pour les projets entrepreneuriaux (Coleman, 2000), les problèmes de conciliation vie professionnelle-vie privée (Tremblay, 2004) ou les problématiques de performance (Rosenthal, 1995). Deux postures encadrent en toile de fond, la conceptualisation du genre dans ces recherches : l’essentialisme et le constructivisme. Si l’essentialisme pose l’existence de caractéristiques innées propres à chacun des deux sexes, l’approche constructiviste dépasse le déterminisme biologique en soulignant au contraire, que les caractéristiques masculines et féminines sont socialement construites. Les deux postures ne sont pas mutuellement exclusives de notre point de vue car si certaines caractéristiques innées sont intrinsèques à un sexe, d’autres sont socialement construites (Ramboarison-Lalao, 2010). Que le futur manager soit une femme ou un homme, elle/il pourra développer des qualités masculines et/ou féminines et vice-versa : « On ne naît pas femme, on le devient » (De Beauvoir, 1949). Cette précision s’impose dans le cadre de notre recherche qui mobilise, au-delà de la dimension sociodémographique sexe, une conceptualisation du genre autour des notions de masculinité et de féminité. Il s’agit des qualités masculines et féminines assimilées par Mintzberg (2002) au « yin et yang » du management. Le yin désigne ce qui est féminin, calme, froid, terne, intérieur, inhibiteur, doux alors que le yang renvoie à ce qui est masculin, chaud, mobile, clair, extérieur, excitant, fort. Nous utilisons le Personal Attributes Questionnaire (PAQ) de Spence et al. (1973) pour mesurer la masculinité et la féminité 132 des futurs managers. Nous excluons à cet effet la conception bipolaire antinomique en faveur d’une logique bidimensionnelle des deux construits (Brisebois, 2001 ; Fontayne et al., 2002). En questionnant l’effet modérateur du genre dans l’influence du leadership sur l’auto-efficacité des futurs managers, plusieurs recherches sur le leadership féminin ou le management féminin sous-tendent le lien entre le genre, le leadership et l’auto-efficacité. Ce lien se retrouve en effet de facto dans les études qui cherchent à cerner, de manière explicite ou implicite, si le leadership féminin est plus efficace que le leadership masculin (Cornet et Cadalen, 2010 ; SaintMichel, 2011). En compilant 25 enquêtes européennes et américaines sur 12593 hommes et 7016 femmes et en prenant appui sur une recherche française, Saint-Michel (2011) montre par exemple dans ses travaux qu’il n’y a pas de différence sexuée de leadership, ce qui rejoint les conclusions de Bass (1981). D’autres recherches pointent au contraire, des différences entre leadership masculin et leadership féminin (Eagly et Johnson, 1990 ; Eagly et Karau, 1991 ; Billing et Alvesson, 2010). Devant ces résultats contradictoires, notre recherche pose l’hypothèse de l’effet modérateur du genre dans l’influence du leadership sur l’auto-efficacité. Si de nombreux chercheurs ont établi des liens entre le genre et le leadership (Carbonell, 1984 ; Nyquist et Spence, 1986), d’autres ont mis en évidence le lien entre le genre et l’auto-efficacité (Bandura, 1997 ; Koesler et Propst, 1998). La représentation de notre hypothèse principale H1 qui découle de ces conjectures est proposée dans le modèle de recherche ci-dessous. 133 Leadership (Kouzes & Posner 134 Masculinité/Féminit é Homme/Femme Auto-efficacité Figure 1 : Rôle modérateur du genre sur le lien entre leadership et auto-efficacité Deux hypothèses connexes H2 et H3 complètent notre hypothèse principale H1 en questionnant l’universalité de nos résultats, par rapport aux nationalités des répondants. Hypothèse H2 : Il existe une différence significative entre les futurs managers africains et ceux d’autres nationalités en matière de leadership, d’auto-efficacité et de genre. Le positionnement épistémologique positiviste aménagé de notre recherche nous conduit à questionner l’universalité de nos résultats, par rapport aux nationalités africaines versus nonafricaines, des futurs managers ayant participé à cette étude internationale. Hypothèse H3 : Il n’existe pas de différence statistiquement significative entre les trois nationalités africaines en matière de leadership, d’auto-efficacité et de genre. Devant l’absence d’études comparatives inter-africaines sur le leadership, le genre et l’auto-efficacité dans la littérature managériale, un regard croisé des résultats entre les trois nationalités africaines complète notre analyse. Nos hypothèses de recherche ayant été précisées, la méthodologie de la recherche sera exposée avant la présentation des résultats. 1.3. Méthodologie Échantillon et mode de collecte des données Notre étude internationale porte sur l’effet modérateur du genre dans l’influence du leadership sur l’auto-efficacité des futurs managers. L’échantillon ayant participé à l’enquête par questionnaire se compose au total de 841 étudiants en management issus de 31 nationalités différentes, dont 158 étudiants malgaches tunisiens et sud-africains. Notre analyse porte un regard croisé sur ces trois nationalités africaines dans une perspective comparative inter-africaine, complétée par une analyse par rapport aux autres nationalités. Les questionnaires ont été auto-administrés en ligne 135 via la plateforme Qualtrics entre juillet 2013 et février 2014. Le lien internet du questionnaire a été envoyé aux écoles de management issues du réseau professionnel des deux auteurs. Disponible en trois langues : français, anglais et arabe, la traduction du questionnaire a mobilisé la méthode de rétrotraduction (Igalens et Roussel, 1998) en ayant été soumise à la relecture de 12 collègues. Les caractéristiques des futurs managers ayant participé à l’étude sont récapitulées dans le tableau cidessous. Tableau 1 : Profil de l’échantillon (N = 841) Sexe Hommes : 600 ; Femmes : 241 Pays d’origine Madagascar : 93 ; Tunisie : 42 ; Afrique du Sud : 23. Autres nationalités : 683 Age Inférieur ou égal à 20 ans : 60 ; Entre 21 et 23 ans : 574 ; Entre 24 et 27 ans : 135 ; Supérieur à 27 ans : 72 Spécialité Finance, comptabilité : 203 ; Marketing : 76 ; GRH : 50 ; Entrepreneuriat : 37 ; Management général : 475 Niveau Bachelor : 654; Master : 175 ; doctorat : 12 études en Outils et mode de traitement des données Inscrite dans une posture positiviste aménagée (Miles et Huberman, 1991), notre démarche hypothético-déductive repose sur une analyse quantitative statistique visant à tester les hypothèses de recherche H1, H2, H3 explicitées plus haut. Il s’agit principalement des tests de comparaison des moyennes et de l’analyse des corrélations. Au-delà du vérificationnisme, nous 136 proposons des interprétations à visée compréhensive des résultats. La mesure des concepts de leadership, d’auto-efficacité et de genre repose sur la perception des étudiants selon une échelle de Likert à cinq niveaux au moyen de trois outils psychométriques largement utilisés. La mesure du leadership utilise le Leadership Practices Inventory (LPI) développé par Kouses et Posner (2002). Celle du concept d’auto-efficacité utilise l’outil d’Owen et Froman (1988). Le Personal Attributes Questionnaire (Spence et al., 1973 ; Spence et Helmereich, 1978) est enfin utilisé pour la mesure de la masculinité et de la féminité, au-delà de la variable sociodémographique sexe. Un pré-test du questionnaire sur 319 étudiants issus de 9 nationalités différentes, a montré une validité interne et externe satisfaisante des construits avec des coefficients de alphas de 0.838 pour le leadership, 0.787 pour l’auto-efficacité, 0.797 pour la masculinité et 0.896 pour la féminité. 2. Résultats de l’étude empirique Cette partie expose les résultats de la vérification empirique de nos trois hypothèses. 1.1. Le genre modère-t-il l’effet du leadership sur l’autoefficacité des futurs managers ? H1 : Le genre est une variable modératrice de l’effet du leadership sur l’auto-efficacité des futurs managers. Une comparaison des moyennes et des tests de corrélation de Pearson est effectuée pour analyser la validité de notre hypothèse principale. Les principaux résultats sont exposés par le biais de nos deux sous-hypothèses H11 et H12. Le tableau cidessous présente les moyennes et les corrélations de Pearson. Les alphas de Cronbach sont indiqués en gras sur la diagonale. 137 .61 .47 NA 2.45 4. Auto-efficacité 2.36 NA NA NA 3. Féminité 5. Nationalité 6. Sexe 7. Age .087* .040 -.150** .563** .040 .083* .830 .073* .192** -.174** .228** .749** .831 .056 .294** -.171** .131** .887 138 ** La corrélation est significative au niveau 0.01 (bilatéral) * La corrélation est significative au niveau 0.05 (bilatéral) NA NA .63 2.39 2. Masculinité .33 2.33 1. Leadership Tableau 2 : Statistiques descriptives, corrélations et validité des construits N = 841 Moyenne ET 1 2 3 .125** .188** -.218** .802 4 -.205** -.355** NA 5 .010 NA 6 NA 7 Sous-hypothèse H11 : Le leadership a un impact positif sur l’auto-efficacité des futurs managers L’analyse montre une corrélation positive significative 0.563** entre le leadership et l’auto-efficacité, ce qui confirme la validation de notre première sous-hypothèse. Par rapport aux cinq dimensions de leadership du modèle de Kouzes et Posner (2002) initialement instrumentées par 30 items, l’extraction par l’ACP effectuée lors du pré-test suggère une conception unidimensionnelle du leadership autour de 12 items (α=.838), confirmée lors de l’analyse sur l’échantillon final (α=.830). L’extraction issue du pré-test sur l’outil d’Owen et Froman (1988) qui comporte initialement 33 items, débouche sur la même tendance. L’auto-efficacité mesurée par cet outil serait également un construit unidimensionnel composé de 7 items (α=.787), l’analyse sur l’échantillon final débouchant sur 8 items (α=.802). Sous-hypothèse H12 : Le genre modère l’effet du leadership sur l’auto-efficacité En nous référant au tableau 2, rappelons que le sexe (homme versus femme), la masculinité et la féminité sont utilisés pour instrumenter le genre. Par rapport au lien entre le genre et le leadership d’un côté, on remarque une corrélation significative 0.83* entre le leadership et la masculinité, confirmant la prédominance universelle du leadership masculin au sens de Schein (1973). Les liens entre la féminité et le leadership, entre le sexe et le leadership ne sont pas significatifs avec une corrélation de 0.040. Les corrélations du genre avec l’auto-efficacité sont toutes significatives, que ce soit en termes de sexe 0.188**, de masculinité 0.228** ou de féminité 0.131**. Ces résultats nous permettent de corroborer la soushypothèse H12 et de confirmer in fine, la validation de notre hypothèse principale H1. Une lecture universaliste des résultats permet de récapituler les principales caractéristiques de l’avatar du futur manager, dans le tableau ci-dessous. Ces caractéristiques correspondent 139 aux items qui ressortent des extractions ACP. Les coefficients alphas confirment la fiabilité des construits avec des valeurs très satisfaisantes qui rejoignent celles du pré-test : 0.830 pour le leadership, 0.802 pour l’auto-efficacité, 0.831 pour la masculinité et 0.887 pour la féminité. Tableau 3 : Vers un profil-type du futur manager efficace ? Leadership Challenge4_1; Challenge5_1; Inspire1_1; Inspire2_1; Inspire4_1; Inspire5_1; Enable1_1; Enable6_1; Model2_1; Model6_1; Encourage2_1 ; Encourage3_1. Autoefficacité Efficacy2_1 ; Efficacy3_1 ; Efficacy8_1 ; Efficacy10_1 ; Efficacy11_1 ; Efficacy13_1 ; Efficacy26_1 ; Efficacy32_1. Masculinité Masculinity6 ; Masculinity10 ; Masculinity11 ; Masculinity17 ; Masculinity19 ; Masculinity20 ; Masculinity24. Féminité Femininity3; Femininity7; Femininity8; Femininity9; Femininity12; Femininity13; Femininity15 ; Femininity21 ; Femininity22 ; Femininity23. Concernant le profil-type du futur manager qui correspond aux caractéristiques extraites du tableau susmentionné, nous pourrions dire que c’est quelqu’un d’optimiste et de positif (Inspire1_1), qui montre l’exemple (Model2_1) et veille au respect des autres (Enable1_1). Il aime expérimenter de nouvelles méthodes de travail (Challenge4_1), permet aux autres de prendre des risques même si les résultats sont incertains (Challenge5_1). Il est ouvert aux discussions (Efficacy2_1) et prête attention aux sujets délicats (Efficacy8_1). Il est actif (Masculinity6), dévoué aux autres (Masculinity17), compétitif (Masculinity10), serviable (Femininity9), sensible aux opinions des autres (Femininity13) et résiste bien sous la pression (Masculinity24), etc. 140 2.1. Leadership, auto-efficacité et genre : regard croisé entre Africains et autres nationalités H2 : Il existe une différence significative entre les futurs managers africains et ceux d’autres nationalités en matière de leadership, auto-efficacité et genre Tableau 4 : Scores moyens des Africains versus Autres nationalités Futurs Africains Autres nationalités managers Score ota H H F F Total moyen Leadership 2.44 2.44 2.43 2.31 2.30 2.30 Masculinité 2.70 2.95 2.61 2.26 2.59 2.33 Féminité 2.57 2.73 2.66 2.30 2.74 2.39 Autoefficacité 2.59 2.77 2.58 2.28 2.46 2.32 Dans l’objectif de questionner l’universalité des résultats, nous cherchons à corroborer H2. La validation mobilise le test de comparaison des moyennes des trois nationalités africaines (malgache, tunisienne, sud-africaine) avec les autres nationalités. Le tableau suivant permet d’avoir une vision d’ensemble des moyennes qui feront l’objet d’un t-test. Plusieurs tendances ressortent de la première lecture de ce tableau. Que ce soit en matière de leadership, de masculinité, de féminité ou d’auto-efficacité, les scores moyens des Africains sont supérieurs d’au moins 0.10 points aux scores des autres nationalités, ce qui confirme H2. La lecture selon le sexe montre par ailleurs une supériorité des scores des femmes à 141 ceux des hommes, toutes nationalités confondues. Les tests de comparaison des moyennes récapitulées dans le tableau 5 cidessous permettent statistiquement de corroborer de manière tranchée la validation de H2. Tableau 5 : Test de comparaison des moyennes entre futurs managers africains et managers d’autres nationalités t-test (Intervalle de Significativité confiance : 95%) Leadership Sig (t=4,883) Masculinité Sig (t=6.602) Féminité Sig (t=7.431) Auto-efficacité Sig (t=8.063) Plusieurs interprétations peuvent être avancées dans l’analyse à visée compréhensive des résultats. En matière de leadership, si les scores des Africains sont supérieurs à ceux des autres nationalités, il n’y a pas de différence de perception sexuée chez les Africains, ni chez les autres nationalités. Autrement dit, les hommes et les femmes ont la même conception du leadership, laquelle est orientée vers le leadership masculin si on se réfère à la corrélation entre le leadership et la masculinité, évoquée dans le tableau 2 plus haut. En matière d’auto-efficacité, les scores des femmes sont plus élevés que ceux des hommes quelle que soit la nationalité. Cette différence sexuée suggère in fine une meilleure auto-efficacité des femmes par rapport aux hommes, les femmes seraient plus efficaces que les hommes, ceteris paribus. Concernant le genre, si on se réfère aux profils (androgyne, indifférencié, masculin ou féminin) issus des travaux de Spence et Helmereich (1978), le profil indifférencié caractérise les 142 Africains des deux sexes, en arrondissant les décimales par défaut. En les arrondissant par excès, le profil des Africaines devient androgyne suivant une logique additive des qualités masculines et féminines ; celui des Africains reste inchangé. Les autres nationalités sont également caractérisées par un profil indifférencié chez les deux sexes, en arrondissant les décimales par défaut. Les arrondis par excès débouchent sur un profil féminin chez les femmes, celui des hommes restant inchangé. Ces variations d’interprétation mettent en lumière les limites des statistiques descriptives, ce qui suggère un approfondissement qualitatif pour les pallier. 2.2. Leadership, auto-efficacité et genre chez les Malgaches, Tunisiens et Sud-Africains : analyse afroafricaine Hypothèse H3 : Il n’existe pas de différence statistiquement significative entre les trois nationalités africaines en matière de leadership, d’auto-efficacité et de genre. Une présentation des résultats de la validation de l’hypothèse H3 termine notre analyse. La validation repose sur le test de comparaison des moyennes. Le tableau suivant permet d’avoir une vision d’ensemble. 143 2.30 2.54 2.60 2.58 2.82 2.58 2.70 Leadership Masculinité Féminité Autoefficacité 2.51 F H Score moyen 2.62 2.59 2.71 2.47 Total 2.56 2.55 2.62 2.41 H 2.55 2.72 2.51 2.39 F 144 2.56 2.65 2.55 2.40 Total Tableau 6 : Scores moyens des sud-africains, malgaches et tunisiens Futurs Sud-Africains Malgaches managers 2.58 2.50 2.72 2.36 H 2.61 2.74 2.65 2.52 F Tunisiens 2.61 2.70 2.68 2.49 Total 2.59 2.57 2.70 2.44 H 2.77 2.73 2.95 2.44 F 2.58 2.66 2.61 2.43 Total Les 3 nationalités africaines Un premier constat se dégage de la lecture de ce tableau. Quelle que soit la nationalité africaine, les hommes attribuent d’un côté un score de masculinité supérieur aux femmes, ces dernières attribuent de leur côté un score de féminité supérieur aux hommes. Cette différenciation sexuée tranchée pointe en toile de fond la prédominance de la culture patriarcale masculine en Afrique. Cette tendance est accentuée chez les Malgaches et les Sud-Africains chez qui les hommes affichent un score plus élevé que les femmes pour l’auto-efficacité et le leadership. Ces résultats contrastent avec les scores plus élevés des femmes tunisiennes par rapport aux hommes, en termes de leadership, d’auto-efficacité et de féminité. Les différences culturelles entre « les Africaines du Nord » de nationalité tunisienne et « les Africaines du Sud » de nationalité sudafricaine et malgache expliquent en partie cette dualité. Dans la continuité de l’effort d’émancipation des femmes tunisiennes initiée lors de l’indépendance de la Tunisie en 1956, ces résultats traduisent au lendemain du printemps arabe, une volonté d’affirmation de soi inspirée des pays occidentaux qui leur sont géographiquement et culturellement proches. Voyons ce qui ressort des tests de comparaison des moyennes entre les trois nationalités africaines. 145 Non Sig (t=-1.483) Non Sig (t=-.799) Non Sig (t=-.791) Masculinité Féminité Auto-efficacité 146 Les résultats du tableau (Cf. Non sig) montrent qu’il n’y a pas de différence significative entre les futurs managers malgaches et tunisiens. Non Sig (t=-1.807) Leadership Tableau 7 : Comparaison des moyennes entre les futurs managers malgaches et tunisiens t-test (Intervalle de confiance : 95%) Significativité Non Sig (t=-1.841) Non Sig (t=-.960) Non Sig (t=-.959) Masculinité Féminité Auto-efficacité 147 Les tests révèlent également qu’il n’y a pas de différence significative entre les managers malgaches et sudafricains. Non Sig (t=-1.171) Leadership Tableau 8 : Comparaison des moyennes entre les futurs managers malgaches et sud-africains t-test (Intervalle de confiance : 95%) Significativité Non Sig (t=-.329) Non Sig (t=1.421) Non Sig (t=-.236) Masculinité Féminité Auto-efficacité 148 Non Sig (t=.315) Leadership Tableau 9 : Comparaison des moyennes entre les futurs managers tunisiens et sud-africains t-test (Intervalle de confiance : 95%) Significativité La comparaison entre les Tunisiens et les Sud-Africains rejoint les résultats précédents, ce qui permet corroborer notre hypothèse H3. Si les tests statistiques permettent d’aboutir à cette conclusion, il serait réducteur de croire que le leadership, l’auto-efficacité et le genre s’appliquent universellement de manière identique chez les trois nationalités africaines. Conclusion L’objectif de notre recherche était d’étudier l’effet modérateur du genre dans l’influence du leadership sur l’autoefficacité des futurs managers, avec un regard croisé sur trois nationalités africaines par rapport aux autres. Plusieurs points ressortent de la validation empirique de nos trois hypothèses qui ont toutes été statistiquement corroborées. Au plan théorique, notre état de l’art a montré que les relations entre le genre, le leadership et l’auto-efficacité ont été peu abordées dans les recherches africaines en management. Notre étude a contribué à combler partiellement cette lacune, en confrontant au terrain africain des concepts jusqu’alors peu étudiés comme l’auto-efficacité ou la masculinité versus féminité. Au-delà de cet apport, nos ACP ont permis de proposer de nouvelles conceptualisations du leadership et de l’auto-efficacité selon une perspective unidimensionnelle, ce qui s’ajoute à notre contribution théorique. Au plan managérial et sociétal, la formation aux compétences de leadership dans les écoles de management façonne l’auto-efficacité des futurs managers. Le succès dans l’art de gérer repose sur leur capacité à être des leaders performants dès leur entrée sur le marché du travail, ce qui exige en amont, des formations pointues adaptées. Face aux enjeux vitaux de développement socioéconomique en Afrique, le succès des managers, hommes et femmes, repose sur une maîtrise des compétences-clés comme le leadership et l’autoefficacité. Devant la prégnance du modèle patriarcal 149 traditionnel, la contribution de la gent féminine dans le processus de développement est importante. Des programmes de formation tels que le « Mandela Fellowship » évoqué dans notre introduction sont à développer dans une large mesure en Afrique, avec une prise en compte du contexte propre à chaque pays, ainsi que des considérations liées au genre (Mkandawire, 1991). Au plan méthodologique, notre posture positiviste aménagée a permis de dépasser le vérificationnisme en proposant des interprétations alternatives à visée compréhensive, des résultats. Si les tests statistiques ont montré qu’il n’y avait pas de différence afro-africaine entre les Malgaches, les Tunisiens et les Sud-Africains, une lecture contingente a permis de pointer des différences culturelles entre pays nord-africains versus pays africains subsahariens. Si l’universalité du leadership masculin au sens de Schein (1973) a été corroborée quelles que soient les nationalités, les tests statistiques ont montré des différences significatives entre les Africains par rapport aux autres, suggérant en filigrane des spécificités africaines qui offrent des pistes de recherche prometteuses. Les limites des analyses psychométriques invitent à conduire des recherches qualitatives pour mieux se saisir de la complexité des contingences du terrain. Devant l’arbre qui cache la forêt, beaucoup reste à faire. Résumé Notre recherche étudie les liens entre le genre, le leadership et l’auto-efficacité chez les futurs managers, en s’intéressant plus spécifiquement aux cadres africains formés dans 3 grandes écoles de commerce (malgache, tunisienne et sud-africaine)39. Si l’avenir de l’Afrique repose sur le développement de son capital humain autour de compétences-clés comme le leadership et l’efficacité, notre hypothèse principale de recherche postule 39 Les auteurs remercient en particulier l’ISCAM (Madagascar), l’IHEC Tunis (Tunisie) et la Wits Business School (Afrique du Sud). 150 que le genre est une variable modératrice de l’influence du leadership sur l’auto-efficacité des futurs managers africains. Au-delà de notre démarche hypothético-déductive, nous questionnons l’universalité des résultats au regard des nationalités notamment africaines, des futurs managers ayant participé à cette étude internationale. Notre analyse comparative s’inscrit ainsi dans une posture positiviste aménagée pour explorer les différences afro-africaines entre les trois nationalités susmentionnées d’une part, et les différences entre Africains versus non-Africains, d’autre part. Mots clés : Genre, leadership, auto-efficacité, managers de demain, Africains, universaliste, contingence. Exploring the relationship between gender, leadership and self-efficacy in Africa: the case of future managers of Malagasy, Tunisian and South African origin Abstract Our research explores the relationship between gender, leadership and self-efficacy within future managers, focusing more specifically on African future leaders trained in 3 business schools located in Madagascar, Tunisia and South Africa. Arguing the future of Africa is based on the development of its human capital around core competencies such as leadership and efficacy, our research hypothesis postulates that gender is a moderator variable of the influence of leadership on selfefficacy of future managers. Beyond our hypothetical-deductive approach, we question the universality of the results by exploring differences between the three above-mentioned African nationalities on the one hand, and differences between these African versus non-African on the other hand. Keywords: Gender, leadership, self-efficacy, future managers, African, universalist, contingency. 151 Bibliographie AHOUANOUGAN B., CHALUS-SAUVANNET M.C., NOGUERA F. (2010), « GRH et performance dans le secteur de la santé : cas d’une intervention socioéconomique dans une clinique privée au Bénin », Tidjani B. et Kamdem E., Gérer les Ressources Humaines en Afrique : entre processus et pratiques organisationnelles, Caen, EMS, p. 193-213. BANDURA A. 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Selon Thompson et Strickland (1999, p. 343), « une culture organisationnelle forte basée sur les principes éthiques est une force vitale pour atteindre le 40 Cet article est dédié à la mémoire de notre cher collègue Adel Golli, anciennement professeur à Kedge Business School, contribuable à cet article et qui nous a quitté le 14 janvier 2015. 41 Maître de conférences, Université de Montpellier, Laboratoire MRM [email protected] 42 Professeur, Kedge Business School - [email protected] 161 succès stratégique ». C’est aussi une façon efficace d’améliorer la réputation des entreprises et qui peut permettre d’acquérir un avantage compétitif par rapport à la concurrence. Dans ce contexte, le développement d’un climat éthique basé sur les perceptions partagées du comportement éthiquement correct et des moyens de résolution des problèmes éthiques est primordial (Victor et Cullen, 1988). Cependant, le climat éthique dans une entreprise est conditionné par plusieurs paramètres, à savoir les normes sociales, la forme organisationnelle et les facteurs propres à l’entreprise. En effet, la perception du climat éthique répond à une attente fondamentale des salariés qui affectent leurs réactions au travail et leurs organisations (Martin et Cullen, 2006). Le climat éthique est à l’origine de plusieurs types de comportement organisationnels tels que la satisfaction au travail (Wang et Hsieh, 2012), les intentions de départ (De Coninck, 2011), les comportements dysfonctionnels (Bulutlar et Oz, 2009) ainsi que l’implication organisationnelle (Ambrose et al. 2008). Cullen et al. (2003) par exemple ont souligné l’association positive entre implication organisationnelle, climat bienveillant et climat de principe. Ils ont également attiré l’attention sur le lien négatif entre implication organisationnelle et climat égoïste. En effet, il faut rappeler que l’implication organisationnelle est un témoignage de la volonté des employés de produire un effort conséquent pour l’accomplissement des tâches qui leur incombent ; ainsi que de l’acceptation des objectifs et des valeurs organisationnels (Porter et Lawler, 1968 ; Sheldon, 1971). C’est également une attitude globale qui résulte du fait que l’employé développe le sentiment que son entreprise reconnaît ses efforts, qu’elle le soutient dans son travail et qu’elle agit envers lui de la même façon avec laquelle il agit envers elle (Schappe et Doran, 1997). Cette implication des salariés est ainsi étroitement dépendante du climat que leur procure leur organisation (Cullen et al. 2003). Cependant il faut souligner que la seule étude qui a exploré l’impact du climat éthique et ses cinq dimensions (bienveillant, règles, loi et code, 162 indépendance et instrumentale) sur l’implication organisationnelle est celle de Cullen et al. (2003) ; et ce au sein des entreprises américaines. À notre connaissance, aucune étude n’a été réalisée sur ce sujet dans le contexte tunisien. Il faut noter que la seule recherche sur l’éthique en Tunisie a porté sur l’impact du climat éthique au travail sur les relations de confiance interpersonnelles envers le dirigeant et les collègues de travail (Chouaib et Zaddem, 2012). Par ailleurs, nous rappelons que les entreprises tunisiennes sont en marge de pratiques managériales très performantes, surtout en termes de gestion des ressources humaines et des conditions de travail d’une façon générale. En effet, le management dans les entreprises tunisiennes est plutôt oral et basé sur l’intuition sans aucune pratique formelle ni plan stratégique (Frimousse et Peretti, 2006 ; Yahiaoui, 2015). Son ouverture sur l’économie mondiale et son partenariat stratégique avec des entreprises des deux rives de la Méditerranée, en plus de la mobilité des experts, des consultants et des expatriés ont accéléré le transfert de savoir-faire européen vers les DRH tunisiens (Mansour et al., 2014). Cependant, le besoin en termes de développement des pratiques managériales performantes au sein des entreprises tunisiennes est toujours présent (Yahiaoui, 2015) et l’intérêt des recherches qui portent sur l’éthique des affaires dans ce contexte bien précis peut s’avérer assez conséquent (Darwish, 2001 ; Koh et Boo, 2001). D’où notre intérêt à travers cet article d’étudier la façon dont les différentes facettes du climat éthique pourraient influencer l’implication organisationnelle des cadres travaillant au sein des entreprises tunisiennes. Pour répondre à cette problématique, seront présentés d’abord les principaux fondements théoriques des deux concepts mobilisés dans cet article : le climat éthique et l’implication organisationnelle. Ensuite, la méthodologie et l’étude quantitative conduite au sein des entreprises tunisiennes ainsi que les principaux résultats seront présentées. Nous discuterons enfin ces résultats, à la 163 lumière des concepts mobilisés et nous ferons quelques recommandations. 1. Le climat éthique au travail : origines et définition Une multitude de travaux se sont intéressés ces dernières années à la compréhension et au développement du climat organisationnel dans les entreprises. Le concept de climat a été développé initialement pour donner des explications plausibles sur l’environnement psychologique dans lequel les individus évoluent (Dickson et al. 2001). Par ailleurs, les travaux portant sur le climat éthique sont principalement basés sur une extension des recherches sur le climat organisationnel. En effet, « l’éthique des salariés résulte, à un certain degré, du caractère moral qu’ils ont acquis avant leur entrée dans l’entreprise. » (Victor et Cullen, 1987, p. 62). Dans les premières recherches entreprises, ces auteurs ont qualifié ces « valeurs dominantes » du « climat éthique au travail »43 qui n’est qu’une dimension du climat organisationnel général. Dans ce travail, nous aborderons le climat organisationnel du point de vue de l’éthique selon le modèle de Victor et Cullen. Pour ces derniers, le climat éthique peut être défini comme étant : « la perception partagée (par les membres d’une organisation) de ce qui est le comportement éthiquement correct et de la façon avec laquelle les questions éthiques doivent être traitées. » (Victor et Cullen, 1987, p. 51). Le climat éthique permet de déterminer les problèmes relevant du domaine de l’éthique pour les membres de l’organisation et les critères que ces derniers utilisent pour comprendre, peser et résoudre ces questions (Victor et Cullen 1988 ; Cullen et al. 43 Le terme employé par les auteurs est « Ethical Work Climate ». 164 1989). Pour Victor et Cullen (1987, p. 51), l’éthique des salariés « résulte, en quelque sorte, de leur caractère moral qu’ils ont développé avant leur entrée dans l’organisation. » Dans cette configuration, les entreprises peuvent présenter jusqu’à 9 climats éthiques distincts selon deux dimensions : le critère éthique (ethical criterion) et le niveau d’analyse (locus of analysis). La figure 1 suivante présente le modèle du climat éthique de Victor et Cullen (1987). Figure 1 : Les 9 types de climats éthiques Niveau d'analyse Individu Local 2 1 Intérêt de Egoïsme Intérêt l'entreprise personnel Critère éthique Bienveillant Principes 4 Amitié 5 Intérêt pour l'équipe Cosmopolite 3 Efficience 6 Responsabilit é sociale 8 7 9 Règles et Moralité lois et codes procédures de personnelle professionnels l'entreprise Source : Victor et Cullen (1988, p. 104) Ainsi, le climat éthique dans les entreprises renvoie aux perceptions partagées par les membres d’une entreprise des procédures et des politiques éthiques qui existent dans leur entreprise (Schneider 1975 ; Victor et Cullen 1987, 1988 ; Wimbush et Shepard, 1994). Ces perceptions sont basées sur (et influencées par) les observations que les employés font en ce qui concerne la manière dont les problèmes éthiques sont traités et résolus dans l’entreprise. Il ne s’agit pas ici de sentiments ou d’attentes que les employés ont par rapport au comportement de 165 l’entreprise face aux dilemmes éthiques, mais seulement de leurs observations de ces comportements. Les travaux de Victor et Cullen (1987, 1988) se sont appuyés sur les théories relatives aux climats organisationnels (Schneider 1975), sur la théorie relative à l’éthique dans la philosophie morale (Kohlberg, 1984) et sur les travaux de Gouldner (1957) concernant le niveau d’analyse retenu et le groupe de référence. Leurs travaux ont permis de définir 9 types de « climats éthiques » qui peuvent exister dans les entreprises. Cependant, les recherches empiriques conduites sur le terrain n’ont pas pu prouver l’existence de tous les neuf types de climats. Les recherches empiriques initialement conduites par Victor et Cullen (1987) ont mis en évidence six types de climats éthiques. Les travaux de Gouldner (1957) se sont concentrés sur le construit de « Local-Cosmopolite » qui permet d’identifier la source (ou le référent) à partir de laquelle les personnes puisent des indications sur ce qui est le comportement acceptable et le comportement à éviter. Lors de leur conception de la matrice du climat éthique, Victor et Cullen ont ajouté à la dimension « Locale/Cosmopolite » la dimension "Individu" pour se référer aux réactions et aux comportements des salariés au sein de l’organisation. La plupart des autres études qui ont porté sur l’implication organisationnelle (Ambrose et al. 2008 ; Cullen et al. 2003 ; Ruppel et Harrington, 2000 ; Sims et Keon, 1997 ; Tsai et Huang, 2008), y compris celles menées en 1988 par les auteurs du Ethical Climate Questionnaire, n’ont pas pu prouver l’existence des neufs climats éthiques théoriques issus des travaux de Victor et Cullen (1987 et 1988). Ces travaux ont confirmé l’existence de 5 climats qui ont été prouvés empiriquement dans les recherches de Simha et Cullen (2012), de Bulutlar et Oz (2009), ainsi que ceux de Tsai et Huang (2008). Il s’agit des climats (Bienveillant, Règles, Lois et Codes, Indépendance et Instrumental), que nous retenons dans cette étude. Les cinq climats sont respectivement appelés : « caring, rules, law and code, independence et instrumental ». Ces 166 apppellations ont été reprisees par d’autrees auteurs ayaant travaillé ssur lee climat éthiq que (Wimbushh et Shepard,, 1994 ; Koh et e Boo, 2001)). Le tableeau 1 résuume les climats c éthiq ques prouvvés em mpiriquemen nt et leurs éqquivalents en termes de cllimats éthiquues thhéoriques, isssus de la matrrice de Victorr et Cullen (1987). Tableau 1 : T C Climats éth hiques th héorique vallidés empiiriquement et climaats Climats emp piriquementt validés Climats théoriques Amitié e l’équipe • Intérêt de • Les règless et procédu res de l’entreprise e • Lois et codes professi onnels • Responsa abilité socialee • Moralité personnelle • Intérêt pe ersonnel • Intérêt de e l’entreprisee ant • bienveilla • Règles • Lois et Codes • Indépendance • Instrumen ntal 1.1. Le cliimat « bienvveillant » Dans le climat « bbienveillant » (ou « reespect »), lles em mployés acccordent une grande imp portance à leur bien-êttre rééciproque. Nous N sommess dans une siituation où lees employés se préoccupent des d implicatiions de leurss décisions (ééthiques) ausssi bien sur les personnes p enn interne qu’en externe de d l’entreprisse. L politiquees et les praatiques manaagériales dan Les ns l’entrepriise reeflètent et en ncouragent ll’intérêt acco ordé aux sallariés qui soont toouchés par les l décisionss prises par leurs collègu ues (Victor et C Cullen, 1988 ; Cullen et aal. 1993 ; Wimbush et Sh hepard, 19944). L climat éth Le hique n’est ppas seulemen nt le fruit des politiques et 167 des pratiques organisationnelles mais il dépend aussi des membres de l’entreprise qui vont se conduire, d’une façon personnelle et individuelle pour l’amélioration du bien-être de toutes les personnes touchées par les décisions qu’ils prennent (Victor et Cullen, 1988 ; Wimbush et Shepard, 1994). 1.2. Le climat « règles » Ce type de climat est présent dans les entreprises qui mettent l’accent sur les procédures et les règles internes et les considèrent comme seule source de raisonnement éthique. Dans ce type de climat, les employés adhèrent totalement aux règles et aux procédures internes. Nous sommes dans une configuration dans laquelle les règles et les procédures internes servent de guide aux employés en matière de prise de décisions éthiques (Victor et Cullen, 1988 ; Wimbush et Shepard, 1994). Une décision éthique est une décision qui est acceptable à la fois légalement et moralement pour l’ensemble de l’entourage d’une personne (Jones, 1991). Ainsi, la prise de décision éthique se réfère au processus d'évaluation et de choix parmi plusieurs alternatives pour rester en cohérence avec les principes éthiques. 1.3. Le climat « lois et codes » Le climat « lois et codes » caractérise les entreprises dans lesquelles les employés adhèrent complètement aux lois et aux codes qui régissent leur profession. Il s’agit ici d’appliquer les lois et les codes professionnels qui existent dans le pays issus de l’environnement extérieur de l’entreprise. Nous sommes ici dans le niveau d’analyse « cosmopolite » de la matrice des climats éthique de Victor et Cullen (1987, 1988). Ce climat peut être interprété par le fait que le groupe de référence étant situé au niveau « cosmopolite », les membres de l’entreprise vont audelà des règles et des pratiques internes de leur entreprise et puisent les indications concernant le comportement éthique dans les règles édictées par les associations professionnelles (Victor et Cullen, 1988 ; Wimbush et Shepard, 1994). 168 1.4. Le climat « indépendance » Dans ce type de climat, les individus se basent principalement sur leurs propres croyances morales lors d’un processus de prise de décision qui va avoir des implications d’ordre éthique. Les membres sont donc guidés par leur éthique personnelle et appliquent leurs principes personnels pour traiter les questions qui relèvent de l’éthique dans l’entreprise. Nous sommes dans une configuration caractérisée par des individus qui ne prennent pas en considération les autres membres de la société aussi bien en termes de source de référence qu’en termes de conséquences des décisions éthiques en jeu (Wimbush et Shepard, 1994). 1.5. Le climat « instrumental » Ce climat est caractérisé par l’engagement des membres de l’entreprise dans la recherche de leurs intérêts personnels principalement par rapport à ceux des autres membres de l’entreprise. Dans cette configuration, nous pouvons retrouver des comportements indiquant la prise en compte par les individus de l’intérêt des autres membres. Ceci peut s’expliquer par le fait que les individus font un arbitrage et s’attendent à améliorer leurs propres situations en prenant en considération ceux des autres. Nous sommes dans un climat qui est caractérisé par la théorie "égoïste" aussi bien au niveau individuel qu’au niveau de l’entreprise (Victor et Cullen, 1988 ; Cullen et al. 1993 ; Wimbush et Shepard, 1994). Suite à ces 5 différents types de climat éthique qui peuvent exister dans l’entreprise, nous nous questionnons sur l’étendue de leur influence sur l’implication des employées dans leur travail. 2. L’implication organisationnelle : nature, fondements et définition Le concept d’implication organisationnelle a fait l’objet de nombreuses recherches qui se sont intéressées aussi bien à ses 169 fondements, ses corrélats et ses conséquences qu’à sa nature et ses dimensions. Meyer et Allen (1991, 1997) ont proposé une synthèse des différentes définitions du concept d’implication organisationnelle rencontrées dans la littérature. 2.1. L’implication affective Selon Meyer et Allen (1991, p. 67), « l’implication affective renvoie à l’attachement émotionnel de l’employé, à son identification à l’organisation et son engagement envers celleci. » L’implication affective traduit donc un désir profond de l’individu de rester dans l’entreprise parce qu’il y développe « des sentiments forts ». Elle traduit également une volonté de l’individu de s’identifier à l’entreprise et à ce qu’elle représente. Cette dimension de l’implication est inspirée par l’orientation affective telle qu’elle a été définie par Kanter (1968), Buchanan (1974), Porter et ses collègues (1974). En effet, alors que Buchanan (1974, p. 533) décrit l’implication comme « un attachement partisan et affectif aux objectifs et aux valeurs de l'organisation », Kanter (1968, p. 507), quant à elle, considère que l’implication (de la cohésion) est « l'attachement du capital affectif et émotionnel d'un individu au groupe. ». Mowday et al. (1979) aussi mettent l’accent sur l’orientation affective de l’implication en la définissant comme « la force relative de l’identification de l’individu à une organisation particulière et son engagement envers elle. » (Mowday et al. 1979, p. 225). À la différence de ces auteurs, Meyer et Allen dans leurs travaux consacrés à l’implication organisationnelle ne se sont pas limités à cette dimension (implication affective). Ils ont mis en évidence deux autres dimensions de l’implication organisationnelle. 2.2. L’implication calculée Cette dimension de l’implication organisationnelle est présente chez les personnes qui restent dans l’entreprise parce qu’elles en ont besoin. Selon Meyer et Allen (1991, p. 67), l’implication calculée renvoie « à une conscience des coûts 170 associés au départ de l’organisation. » C’est aussi « le niveau auquel les employés se sentent impliqués à l’organisation en raison des coûts qu’ils voient comme associés à leur départ. » (Allen et Meyer, 1996). Cette dimension de l’implication rejoint les développements de Becker (1960) qui considérait qu’une personne impliquée est une personne qui est disposée à s’engager dans une ligne de travail (d’activité) cohérente afin de garder les investissements antérieurs (ou passés) qu’elle risque de perdre si elle changeait de travail (ou d’activité). L’implication est vue ici comme « un phénomène qui intervient comme résultat des investissements, transactions à travers le temps ; plus un individu perçoit la relation comme favorable pour lui, plus son implication dans l’organisation sera grande. » (Charles-Pauvers et Commeiras, 2002, p. 54). 2.3. L’implication normative La composante normative de l’implication organisationnelle, dans le modèle de Meyer et Allen, a été inspirée par une multitude de travaux et principalement ceux de Marsh et Mannari (1977) et Wiener (1982). Selon Meyer et Allen (1991, p. 67), l’implication normative « reflète un sentiment d’obligation de continuer le travail. Les employés dotés d’un haut niveau d’implication normative sentent qu’ils devraient rester dans l’organisation. » Cette définition reste proche de celle avancée par Wiener (1982) qui définit l’implication (normative) comme l’ensemble des pressions normatives internalisées qui poussent l’individu à agir d’une façon qui permettrait de satisfaire les intérêts de l’entreprise et qui l’aiderait à atteindre ses objectifs. Selon Wiener (1982, p. 421), les individus qui développent cette implication « croient que c’est la chose "juste" et "morale" à faire. » Cette obligation morale est également présente dans la définition développée par Marsh et Mannari (1977) qui considèrent qu’un individu impliqué pense que c’est moralement juste de rester dans 171 l’entreprise indépendamment de l’amélioration (ou de la détérioration) de sa situation au sein de cette entreprise. Il est à noter ici que, tel qu’il a été précisé par Randall et al. (1990), la principale force du modèle de l’implication organisationnelle telle que définie par Meyer et Allen, réside dans le fait que les différentes dimensions sont bien différenciées et n’interfèrent pas entre elles. Contrairement à d’autres approches multidimensionnelles de l’implication, le modèle tridimensionnel de Meyer et Allen prend ses origines dans les travaux antérieurs (Buchanan, 1974 ; O’Reilly et Chatman, 1986) et est inspiré par une multitude de recherches qu’il a cherché à regrouper sous trois dimensions clairement définies. De plus, comme l’a noté Colle (2006), l’instrument de mesure de la dimension affective développé par Allen et Meyer a un caractère interchangeable avec l’instrument développé par Mowday et al. (1979). Meyer et Allen (1991) supposent que la bonne volonté d’un salarié de contribuer à l’efficacité organisationnelle est influencée par la nature de l’implication qu’il éprouve. De nombreux chercheurs considèrent l'implication organisationnelle comme l’une des variables résultantes du respect du climat éthique au sein de l’entreprise (DeConinck, 2010 ; Martin et Cullen, 2006). Ce lien entre climat éthique et implication organisationnelle a été étudié dans des contextes différents et a donné à chaque fois des résultats divergents. Par exemple, l’étude menée aux États-Unis et au Mexique par Weeks et al. (2006) a révélé dans le premier cas un lien positif et significatif ; et dans le second cas une absence de lien significatif entre ces deux variables. Ainsi, l’objectif de notre recherche est d’étudier, dans le contexte des entreprises tunisiennes, l’impact éventuel du climat éthique sur les différentes facettes de l’implication au travail. 172 3. Hypothèses de recherche et méthodologie Selon Beer, dès le milieu des années soixante, l’utilisation de l’éthique peut agir sur « les attitudes des travailleurs face à leur compagnie, à leur emploi, à leurs collègues de travail et face aux objets psychologiques présents en situation de travail. » (Beer, 1964, p. 34). D’autre part, des recherches plus récentes ont montré que le climat éthique pouvait influencer le comportement organisationnel ainsi que les attitudes des employés, telles que la satisfaction au travail, la performance au travail, l’attachement à la qualité du produit ou du travail fourni. Cependant, peu de recherches se sont intéressées aux relations pouvant exister entre le climat éthique et l’implication organisationnelle (Cullen et al. 2003 ; Erben et Güneser, 2008). Mais tel que nous l’avons présenté, l’implication témoigne de la volonté du salarié de produire un effort conséquent pour l’accomplissement des tâches qui lui incombent. Elle témoigne également de l’acceptation des objectifs et des valeurs organisationnels (Porter et Lawler, 1968 ; Sheldon, 1971). L’implication organisationnelle a été aussi vue comme une attitude globale qui résulte du fait que l’employé développe le sentiment que son entreprise reconnaît ses efforts, qu’elle le soutient dans son travail et qu’elle agit envers lui de la même façon avec laquelle il agit envers elle (Schappe et Doran, 1997). Ainsi, et comme précisé plus haut, le climat organisationnel du point de vue de l’éthique est défini par les politiques, les pratiques managériales et les procédures qui ont un lien avec l’éthique et qui sont consacrées, encouragées et récompensées par cette organisation. Ainsi, nous nous interrogeons si ce lien entre le climat éthique et l’implication organisationnelle est aussi présent dans le contexte tunisien. Dès lors, nous formulons l’hypothèse suivante : 173 H1: L’implication organisationnelle des employés est conditionnée positivement par le climat éthique de l’organisation dans le contexte tunisien Nous avons vu précédemment que le climat éthique dans une entreprise n’est pas défini par ce qui est "bon" ou "mal", mais il est le fruit de la perception par les individus des situations qui sont qualifiées comme étant éthiques au sein de l’entreprise à laquelle ces individus appartiennent. Ainsi, Cullen et al. (2003) ont trouvé que le climat éthique "égoïste" est négativement lié à l’implication organisationnelle ; alors que le climat "bienveillant" et « le climat basé sur les principes » ont un impact positif sur l’implication. Nous nous demandons ainsi ce qu’il en est de l’influence de chacune des dimensions du climat éthique sur l’implication organisationnelle dans le cas des entreprises tunisiennes. Par conséquent, nous formulons les hypothèses suivantes : H2 : Le climat « règles et procédures organisationnelles » n’influence pas l’implication organisationnelle dans le contexte tunisien. H3 : Le climat « bienveillant » influence positivement l’implication organisationnelle dans le contexte tunisien. H4 : Le climat « maximisation du profit de l’entreprise » influence négativement l’implication organisationnelle dans le contexte tunisien. H5 : Le climat « éthique individuelle et personnelle » influence négativement l’implication organisationnelle dans le contexte tunisien. H6 : Le climat basé sur les principes influence positivement l’implication organisationnelle dans le contexte tunisien. Ainsi, nous avons élaboré le modèle ci-dessous qui rappelle les dimensions du climat éthique et leur lien étroit avec l’implication organisationnelle. Ce modèle sera appliqué au contexte tunisien. 174 Figure 2 : F L L’influence des dimeensions l’’implication n organisatioonnelle du u climat éthique suur ns choisi unne Afin de tester nos hypothèses, nous avon appproche quaantitative (Iggalens et Rou ussel, 1998). En effet, lles h hypothèses fo ormulées sonnt issues dess analyses efffectuées danns laa littérature produite ddans d’autrees contextess. Nous nouus soommes ainsii basés sur une enquêtte par questiionnaire, aveec l’’ambition d’interroger d un grand d nombre d’entreprisses tuunisiennes co oncernées paar la question n éthique. 4. Étud de empiriique 4.1. Écha antillon de l’é ’étude empiriique La populaation concern rnée par notrre étude est constituée dde caadres travailllant dans dess entreprises tunisiennes. t Pour P que nottre écchantillon so oit le plus ccomplet posssible, nous nous somm mes inntéressés à des d entreprisees opérant dans d plusieurrs secteurs. L Le 175 réseau tunisien de l’Association des Responsables de Formation et de Gestion dans les Entreprises (ARFORGE), constitué de responsables ressources humaines, DRH, dirigeants d’entreprises, professeurs universitaires, etc., a été sollicité pour nous faciliter l’accès aux cadres des entreprises ciblées et pour la diffusion de notre questionnaire. Nous nous sommes également basés sur des contacts rencontrés lors de différentes manifestations universitaires. Sur les 450 questionnaires diffusés seulement 121 sont exploitables, soit un taux de réponse de 27%. L’échantillon est composé de 71% d’hommes et 29% de femmes. En ce qui concerne l’âge des personnes interrogées, près des deux tiers des personnes ont entre 30 et 50 ans. La proportion de cadres travaillant dans le secteur de l’hôtellerie est la plus importante (26%), suivie des cadres travaillant dans le secteur banque/assurance (20%), l’industrie (19%), la télécommunication (12%), la grande distribution (7%) et autre (5%). Cet échantillon est représentatif de l’économie tunisienne où les services comptent plus de 60% du PIB ; et l’industrie du tourisme occupe la première place dans ce secteur (Agence de Promotion de l’Industrie et de l’Innovation, 2015). En ce qui concerne le niveau d’instruction, en Tunisie, la fonction de cadre requiert d’avoir au moins un diplôme universitaire de deuxième cycle (Maîtrise) ; ou un autre diplôme universitaire avec une expérience prouvée dans le domaine de compétences. Ainsi 74% des cadres interrogés ont au moins le diplôme de Maîtrise. L’expérience professionnelle est de plus de 3 ans dans 71% des cas. Parmi les 121 répondants, 30% sont des cadres supérieurs et 70% ont le statut de cadres moyens. 4.2. Échelles de mesures mobilisées L’adaptation des échelles de mesure a été effectuée en trois phases : la traduction, le pré-test et la validation statistique. La première adaptation des échelles était la traduction inversée du Ethical Climate Questionnaire (ECQ) de Victor et Cullen (1987) et du questionnaire d’Allen et Meyer (1997). Ces derniers sont principalement utilisés dans des contextes anglo-saxons, pour 176 mesurer respectivement le climat éthique et l’implication organisationnelle. Cette méthode préconisée par Vallerand (1989), a pour objectif de reproduire des versions françaises des échelles, fidèles aux versions originales. Les deux questionnaires ont été fusionnés par la suite en un seul questionnaire. L’étape suivante a consisté en une réunion de travail avec six cadres supérieurs appartenant tous à une entreprise hôtelière, afin de procéder à un prétest du questionnaire élaboré. Cette démarche a pour objectif d’adapter le questionnaire au contexte de l’étude en évaluant la clarté des énoncés et en jugeant la compréhension du sens des questions posées. Cette étape est importante dans le processus d’adaptation des échelles de mesure, parce qu’elle prend en considération les différents aspects culturels de la population ciblée par l’étude. L’objectif poursuivi est de savoir si cette population présente des caractéristiques culturelles (et pas seulement linguistiques) différentes de celle de la population initialement concernée par l’étude (Craig et Douglas (1999). Nous avons fait le choix de tester le questionnaire auprès de personnes disponibles et représentatives de la plus grande proportion de notre échantillon, à savoir le personnel de l’industrie hôtelière. De plus, il était important de réunir des professionnels dans un même espace pour bénéficier d’une discussion approfondie, échanger sur une base commune et croiser les réponses de personnes travaillant dans le même environnement professionnel. Au début de cette réunion, des explications ont été données aux différents participants en ce qui concerne notre recherche, notamment sur les différents objectifs et les concepts mobilisés. Plusieurs observations ont été faites par les participants, principalement sur l’adéquation des questions aux caractéristiques des personnes interrogées. Les conseils de ces derniers nous ont permis de mieux comprendre le contexte professionnel général des cadres tunisiens, de clarifier les vocabulaires utilisés, de modifier ou d’écarter quelques items non pertinents. Ainsi, sur les 26 items de la version initiale de l’ECQ, 177 six items (annexe 1) qui présentaient une redondance et qui créaient une confusion ont été supprimés. Par contre, l’échelle de l’implication organisationnelle n’a pas été modifiée, parce qu’elle a déjà fait l’objet d’un travail de validation et d’adaptation approfondie dans les travaux de Belghiti-Mahut (2004). Ce qui n’est pas le cas pour l’échelle de mesure du climat éthique, jamais utilisé dans le contexte tunisien. La troisième étape concerne la vérification de la structure factorielle et de la fiabilité de chaque construit par l’approche classique (ACP) et l’alpha de Cronbach. Le tableau 2 présente les principales caractéristiques de chacun des instruments de mesure utilisés dans notre recherche. L’analyse factorielle a permis de restituer le même nombre de dimensions que celles identifiées dans les versions d’Allen et Meyer (1997), pour l’implication organisationnelle ; et cinq dimensions pour le climat éthique. Le degré de fiabilité des échelles est acceptable. Tableau 2 : Caractéristiques des échelles de mesure Variables Echelle mobilisée Dimensions mesurées Fiabilité Climat éthique Ethical Climate 5 Questionnaire (Victor et Cullen, 1987) 0,87 Implication organisationnelle Allen et (1997) 0,91 Meyer 3 L’indicateur de cohérence interne est le coefficient alpha de Cronbach. La référence est le seuil fixé par Nunnally (1978) à 0,7. Le tableau précédent indique que le degré de fiabilité et de cohérence des échelles, mesurant les concepts étudiés, est acceptable. Enfin, la version finale du questionnaire a été diffusée 178 par courrier électronique à 450 cadres et seulement 121 réponses ont été jugés exploitables. 5. Résultats et discussion Le modèle est d’abord testé dans son ensemble. Ensuite, l’interaction des variables dépendantes et des variables indépendantes est testée. La modélisation des relations structurelles sur les variables latentes est abordée par l’approche des moindres carrés partiels (Wold, 1985). Cette méthode, appelée modélisation soft, est disponible sous le logiciel XLSTAT, et elle modélise les données brutes à l’aide d’une succession de régressions simples ou multiples. 5.1. Test du modèle Pour évaluer la qualité de la modélisation de la relation entre le climat éthique et l’implication professionnelle, nous utilisons d’abord le coefficient de Pearson au carré (R²) qui permet d’avoir une idée de la proportion de variabilité d’une variable explicable par l’autre ; et ensuite le GoF (Goodness-of-fit) qui permet d’estimer le degré d’ajustement du modèle structurel et du modèle de mesure aux données empiriques. Tableau 3 : Évaluation du modèle Variable latente Type R² Climat éthique Exogène --- Endogène 0.56 Implication organisationnelle GoF 0.63 Les résultats obtenus affichés sur le tableau indiquent des coefficients R² (0,56) élevés. Ce qui reflète une bonne capacité prédictive des deux variables endogènes. Avec une valeur de l’indice Gof comprise entre 0 (valeur d’invalidation du modèle) 179 et 1 (valeur de parfaite validation du modèle), la valeur égale à 0,63, de l’indice Gof tend à valider notre modèle. Le modèle global est ainsi acceptable. 5.2. Test des hypothèses Il s’agit d’évaluer la significativité et la valeur des coefficients de régression, et le pouvoir explicatif des différentes variables explicatives sur les variables à expliquer. Deux indices seront retenus. D’abord, le t-student qui représente la significativité des corrélations entre les variables endogènes et les variables exogènes. Ensuite, les coefficients de régression (path coefficients) reliant les variables latentes entre elles. Tableau 4 : Estimation des relations causales Variable latente Type t-student p-coefficient Implication organisationnelle Endogène --- --- Climat éthique Exogène 4,89 0,56 Climat bienveillant Exogène 3,32 0,42 Climat basé sur les principes Exogène 6,76 0,19 Règles et procédures organisationnelles Exogène 2,90 0,38 Maximisation du profit de l’entreprise Exogène 3,56 0,10 Ethique individuelle et personnelle Exogène 3,69 0.11 La relation entre le climat éthique et l’implication organisationnelle est significative puisque t-student est de 4,89, avec une probabilité p < 0,1 %. La variation du climat éthique explique 56% de la variation de l’implication 180 organisationnelle. L’hypothèse H.1. est confirmée. Par ailleurs, les liens entre chaque dimension du climat éthique et l’implication organisationnelle restent significatifs. Les valeurs de t-student sont supérieures au seuil de 1,96 avec une probabilité p < 0,1 %. Les résultats montrent que chaque dimension du climat éthique a une relation positive avec l’implication organisationnelle. Cependant, les cinq dimensions n’impactent pas la variable implication organisationnelle de la même façon. En effet, le climat « règles et procédure organisationnelles » est fortement corrélé avec l’implication avec un coefficient de + 0,38 ; ce qui infirme l’hypothèse 2. Ce constat prouve que l’implication organisationnelle en Tunisie est favorisée par un climat organisationnel où les règles et les procédures organisationnelles définissent le référentiel éthique pour chaque employé ; ce qui ne confirme pas avec les résultats de Cullen et al. (2003). Dans le contexte tunisien, les cadres semblent préférer les règles et les processus organisationnels comme sources de raisonnement éthique ; ce qui peut augmenter leur propension à être plus impliqués dans le travail. Cette préférence peut être expliquée par le style de management bureaucratique et paternaliste dominant en Tunisie (Yahiaoui, 2015). Les entreprises tunisiennes peuvent instaurer ce type de climat éthique en formalisant leur éthique, par exemple, à travers l’adoption de chartes ou de codes éthiques ; ou en mettant l’accent sur le respect des procédures et des instructions. Le climat "bienveillant" a aussi une forte corrélation avec l’implication organisationnelle, avec un coefficient de + 0,42. Ce résultat permet de valider l’hypothèse 3 et confirme celui de Cullen et al. (2003). Ceci indique que les salariés, quand le climat éthique est fondé sur des valeurs altruistes, développent un attachement fort à leur entreprise. Cette facette trouve son origine peut être dans le fait que la culture tunisienne est collectiviste, favorise le consensus et met l’accent sur le fait de faire « du bien 181 autour de soi » même au travail (Yahiaoui, 2015). Ces valeurs, partagées par les membres de l’organisation qui ont des niveaux d’implication élevés, inspirent de la confiance envers le dirigeant et les pairs (Chouaib et Zaddem, 2012). Cependant, l’implication organisationnelle n’est que partiellement expliquée par les trois autres climats. En ce qui concerne le climat éthique « maximisation du profit de l’entreprise », notre étude montre qu’il n’a pas un impact important sur l’implication organisationnelle. Les cadres tunisiens, lorsqu’ils travaillent dans un climat où la règle morale principale est la maximisation du profit de l’entreprise, ne développent pas forcément un attachement important vis-à-vis de leur entreprise. Ce résultat est contraire à celui de Cullen et al., (2003) et de Wimbush et Shepard (1994) qui confirment l’impact plutôt négatif de cette dimension sur l’implication. Ce constat permet de valider l’hypothèse 4. Cette situation s’explique par l’importance du climat bienveillant et du style paternaliste chez les cadres tunisiens qui souhaitent voir leurs dirigeants se préoccuper de leurs besoins aussi bien professionnels que personnels ; tout en préservant les intérêts de l’entreprise (Yahiaoui, 2015), S’agissant du climat « éthique individuelle et personnelle », le climat éthique est principalement défini par les croyances et les postures éthiques des individus. En effet, les principes éthiques sont choisis par la personne elle-même. Il en résulte que, dans un tel climat, l’on s’attendrait à trouver des individus guidés par leur éthique personnelle. Ce climat, à l’opposé des résultats de Cullen et al. (2003), influence positivement l’implication organisationnelle. Mais son impact reste assez modéré, ce qui invalide l’hypothèse 5. Cette même remarque est valable pour le climat "principes" qui n’explique que 19% de l’implication organisationnelle, ce qui confirme l’hypothèse 6 et les résultats de Cullen et al. (2003). Ainsi, les climats éthiques avec une dimension "égoïste" importante ne peuvent agir fortement sur l’implication des salariés ; surtout dans un contexte caractérisé par la prévalence des relations communautaires comme celui de 182 la Tunisie. En effet, un climat éthique "égoïste" en Tunisie conduit à un sentiment de méfiance à l’égard des membres de l’entreprise (Chouaib et Zaddem, 2012). Notre étude a permis de revisiter les modèles de Victor et Cullen (1987), d’Allen et Meyer (1997) ainsi que la relation entre les différentes dimensions du climat éthique et l’implication organisationnelle en contexte tunisien. Nous avons constaté que cette relation est positive, comme cela a déjà été le cas dans des recherches antérieures (Cullen et al. 2003). En revanche, le contexte culturel tunisien a une influence considérable dans la relation entre chacune des dimensions du climat éthique et l’implication organisationnelle. En effet, la relation entre le climat bienveillant et l’implication confirme les résultats des recherches antérieures sur le sujet (Cullen et al. 2003). Par contre, les autres dimensions étudiées (règles et procédures, maximisation du profit, éthique personnelle et individuelle) ont une relation avec l’implication totalement encastrée dans le contexte tunisien et différente de celle observée dans les études antérieures. Les entreprises qui désirent augmenter l’attachement organisationnel des salariés doivent donc émettre des signaux clairs montrant la dimension altruiste de leur positionnement. Plus concrètement, l’amélioration des conditions de travail, la prise en considération des intérêts des différentes parties prenantes, l’honnêteté des cadres dirigeants, la lutte contre les tricheurs par l’élaboration d’un système de sanctions adéquat et les qualités morales que les leaders affichent, aideront à créer un climat éthique capable d’influencer positivement l’implication des acteurs organisationnels. Les entreprises innovantes ont d’ores et déjà créé des postes occupés par des « ethics officers », personnes chargées de gérer les problèmes d’éthique dans les entreprises. Il s’agit, pour les dirigeants des entreprises tunisiennes, de développer plus de clarté dans les règles et les procédures internes afin de stimuler l’implication de leurs salariés. En effet, le climat éthique dans 183 les entreprises semble être plus conditionné par le contenu moral des règles et des procédures organisationnelles que par des principes éthiques universels. Les entreprises qui incitent les salariés à développer une conception de l’éthique centrée sur l’augmentation du profit (pour l’entreprise et pour le salarié), à n’importe quelles conditions, sont caractérisées par des climats "égoïstes". Ce type de climat (« maximisation du profit de l’entreprise », « intérêt personnel ») ne favorise ni la satisfaction, ni l’implication (Golli, 2007). Le climat « éthique personnelle », dans lequel les salariés sont guidés par leur propre définition de ce qui est éthique et de ce qui ne l’est pas, n’influence que d’une façon très limitée l’implication et la satisfaction au travail. La satisfaction des cadres tunisiens, ainsi que leur implication, ne semblent donc pas être favorisées par la liberté de choisir le référent éthique. Ceci peut être interprété comme le désir d’avoir des directives claires émanant d’une source de pouvoir supérieure. Le comportement des leaders tunisiens qui dirigent les entreprises et gèrent les équipes de travail est un facteur fortement explicatif du climat organisationnel. Ils doivent montrer l’exemple à leurs subordonnés et leur comportement donne à ces derniers des indications concrètes et précises sur la manière de se comporter face à une multitude de situations, y compris des situations où ils sont confrontés à des problèmes d’ordre éthique. Les leaders sont un modèle à suivre pour les subordonnés, relativement au comportement éthiquement correct et à la résolution des problèmes éthiques (Dickson et al. 2001 ; Grojean et al. 2004). Le personnel d’encadrement dans une entreprise peut également montrer son attachement aux considérations éthiques, à travers la mise en place d’un système de récompenses/sanctions. Les dirigeants d’entreprises ont une influence indéniable sur les valeurs et le climat organisationnel. Ils développent des politiques et des pratiques et ils doivent être 184 conscients de l’incidence de leurs comportements et de leurs décisions sur le climat et les rapports sociaux au sein de leurs structures (Drucker, 1981 ; Mercier, 1997 ; Dickson et al. 2001 ; Grojean et al., 2004). En effet, Grojean et al. (2004) ont identifié quelques mécanismes qui permettent aux leaders d’influencer le climat éthique dans leurs entreprises. Selon eux, cette influence s’exerce de différentes manières : lorsque les leaders utilisent un leadership fondé sur des valeurs ; montrent l’exemple aux autres salariés ; expriment clairement que l’entreprise attend de ses salariés un comportement éthique ; encouragent les comportements éthiques ; reconnaissent et récompensent des comportements qui consacrent les valeurs organisationnelles ; prennent conscience des différences individuelles chez les subordonnés. Ces manières sont en adéquation avec le style de management paternaliste, très recherché par les Tunisiens et caractérisé par la forte relation émotionnelle entre les managers et leurs subordonnés, la sacralisation de l’image du chef, sa responsabilité dans la préservation des intérêts de l’entreprise et de ceux du personnel (Yahiaoui, 2015). Les dirigeants doivent contribuer à l’émergence d’un climat éthique fondé sur une définition claire de ce qui est éthiquement acceptable au sein de l’entreprise et de ce qui ne l’est pas. Il s’agit donc, pour les entreprises, d’agir sur l’implication en formalisant l’éthique organisationnelle à travers plusieurs outils. Les codes et les chartes éthiques sont des vecteurs intéressants pour diffuser la vision éthique de l’entreprise et pour assurer la prise en considération des relations éthiques dans les pratiques managériales. En effet, le code éthique présente la philosophie éthique de l’entreprise, les règles de conduites et les pratiques tolérées. Il peut également servir de vecteur pour montrer aux différentes parties prenantes que l’entreprise est fidèle aux exigences éthiques qui régissent son fonctionnement (Carasco et Singh, 2003). La lutte contre la corruption, le harcèlement, les discriminations ou l’abus de pouvoir (combinée avec un système de promotion pour récompenser les salariés exemplaires) peut 185 également stimuler l’entreprise dans la création d’un climat éthique favorable. S’agissant des climats fondés sur la dimension "bienveillante" du raisonnement éthique, les dirigeants des entreprises peuvent également initier et mettre en œuvre des actions témoignant de la responsabilité sociale de l’entreprise. En effectuant ce choix, ils montrent l’exemple et prouvent aux salariés que le climat dans lequel ils travaillent est aussi gouverné par le souci du bien être de ces derniers. Conclusion La présente recherche avait pour ambition d’analyser l’influence exercée par le climat éthique sur l’implication organisationnelle des salariés, dans le contexte particulier des entreprises tunisiennes. Ainsi, nous avons attiré l’attention sur le fait que le climat éthique dans une entreprise n’est pas défini par ce qui est moralement "bien" ou "mal" ; mais qu’il est la conséquence des perceptions, par les individus, des actions qui sont qualifiées comme éthiques au sein de l’entreprise. Les types de climat éthiques, dans l’entreprise, ont une influence sur la façon dont les conflits éthiques sont appréhendés et les procédés par lesquels des solutions à ces conflits seront trouvées. La prise en compte du climat éthique, lors de l’élaboration et de la mise en œuvre d’outils RH, peut s’avérer très utile pour les entreprises et pour l’amélioration des rapports entre les salariés et leurs entreprises. Le principal apport de notre étude est plutôt empirique. En effet, son originalité réside dans l’exploration du climat éthique et son impact sur l’implication organisationnelle dans une zone géographique peu étudiée, la Tunisie. Cette étude a permis de redéfinir la relation entre les différentes dimensions du climat éthique et l’implication organisationnelle dans un contexte différent des études précédentes (Cullen et al. 2003 ; Victor et Cullen, 1987 ; Allen et Meyer, 1997). Nous avons découvert que 186 les dimensions culturelles tunisiennes telles que le style de management paternaliste, le collectivisme, la recherche du consensus et le bien-être collectif, jouent un rôle important pour modéliser la perception du climat éthique et sa relation avec l’implication des salariés. Ainsi, l’intégration de la variable culturelle dans une étude ultérieure pourrait apporter plus d’explications pertinentes sur les possibilités d’une meilleure adaptation, en contexte tunisien, de la relation entre le climat éthique et l’implication organisationnelle. Cependant, nous notons que la constitution d’un échantillon de convenance ne permet pas la généralisation de nos résultats. En effet, une étude qualitative préalable aurait été un plus pour mieux appréhender la construction de l’échelle de mesure. Cependant, nous pensons également que la mobilisation du concept de satisfaction, souvent confondu avec celui d’implication, serait un plus pour explorer le comportement des entreprises. La prise en compte aussi des dimensions culturelles de l’éthique, par les managers, permettrait une meilleure analyse du climat éthique dans les entreprises tunisiennes. Résumé Depuis 1980, plusieurs recherches ont été effectuées sur l’éthique des organisations dans différents pays du monde ; mais très peu sur les pays euro-méditerranéens. Ce travail explore le champ du climat éthique et son impact sur l’implication organisationnelle dans les entreprises tunisiennes. Ainsi, nous allons aborder dans un premier temps le concept de climat organisationnel d’un point de vue éthique afin de comprendre ses fondements théoriques ; ensuite l’implication organisationnelle, ses fondements et ses dimensions ; et enfin, l’influence du climat éthique sur l’implication organisationnelle. Les résultats de l’enquête menée auprès de 121 cadres des entreprises tunisiennes démontrent l’impact différent de chaque dimension du climat éthique sur l’implication dans l’organisation. Mots clés : Implication organisationnelle, ressources humaines, entreprises tunisiennes, climat éthique, climat organisationnel 187 Abstract Since 1980, several researches were done on Business Ethics in different countries of the world except in the EuroMediterranean region. This work explores the ethical climate and its impact on organizational commitment in Tunisian companies. Thus, we will deal firstly with the ethical aspects of the organizational climate concept in order to understand its theoretical underpinnings. Secondly, we will present the foundations and the dimensions of the organizational commitment, and finally, the influence of ethical climate on the organizational commitment. The empirical study within 121 executives of Tunisian companies highlight a different impact of each ethical climate dimension on the organizational commitment. Keywords: Organizational commitment, human resources, Tunisian companies, ethical climate, organizational climate. Bibliographie Agence de Promotion de l’Industrie et de l’Innovation (2015), http://www.tunisieindustrie.nat.tn/en/home.asp. ADITYA S., CULLEN J.B. (2012), “Ethical Climates and her Effects on Organizational Outcomes: implications from the Past and Prophecies for the Future”, Academy of Management Perspectives, 26(4), p. 2034. ALLEN N. J., MEYER J. P. 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Chacun doit appliquer les règles et les procédures internes de l’entreprise. Les personnes qui réussissent dans mon entreprise sont celles qui suivent les règles et les procédures à la lettre. Les gens dans mon entreprise obéissent aux politiques internes d'une façon stricte. CLIM_3 CLIM_4 La préoccupation principale de mon entreprise est de faire ce qui est meilleur pour les salariés. Dans mon entreprise, les gens se préoccupent du bien-être des autres employés. CLIM_1 CLIM_2 Annexe 1 : L’échelle de mesure du climat éthique après sa validation empirique CLIM_19 CLIM_20 197 Dans mon entreprise, on attend les salariés à ce qu'ils suivent leurs propres croyances morales et personnelles. Le plus important dans mon entreprise est le sens du bien et du mal de chaque employé. Dans mon entreprise, les personnes sont guidées par leur éthique personnelle. CLIM_18 CLIM_17 CLIM_15 CLIM_16 Dans mon entreprise, les gens protègent leurs propres intérêts avant toute autre chose. Il n'y a pas de place pour l'éthique ou la morale personnelle dans mon entreprise. On attend des personnes à ce qu'elles fassent tout pour faire passer les intérêts de l'entreprise avant toute autre chose quelles que soient les conséquences. Les salariés se sentent concernés par les intérêts de l'entreprise plus que par toute autre chose. Le travail est considéré comme étant de mauvaise qualité seulement lorsqu'il va à l'encontre des intérêts de l’entreprise. La responsabilité principale des salariés est de réduire les coûts. CLIM_12 CLIM_13 CLIM_14 Pratiques de GRH dans les très petites entreprises sénégalaises : pertinence d’une gestion qui concilie tradition et modernité Serge F. SIMEN44 Introduction D ans le contexte africain, les populations vivent dans une double culture : les cultures africaines et les cultures étrangères, principalement occidentales. Cette situation a impulsé des réflexions théoriques sur la complexité du management des entreprises en Afrique. Des chercheurs, africanistes, consultants et experts occidentaux exerçant sur ce continent, ont constaté que les systèmes de représentations, des codes et d’attitudes qui caractérisent les cultures nationales dans ces pays présentent des particularités. C’est le sens du débat actuel sur les pratiques de gestion et les cultures en Afrique. Ce débat reflète une différenciation voire une opposition entre les tenants de l’approche universaliste (Sorge et Warner, 1981) et ceux d’une approche plus culturaliste 44 Maître de Conférence agrégé, Département Gestion, Laboratoire de recherche en GRH-Organisation, École Supérieure Polytechnique (ESP), Université Cheick Anta Diop, Dakar, Sénégal - [email protected] 199 ou contingente ((Bourgoin, 1984 ; d’Iribane, 1998, 2003 ; Henry, 2008 ; Hernandez, 1997 ; Hounkou et Pichault, 2008 ; Mutabazi, 2008 ; Pichault et Nizet, 2000 ; Tidjani et Kamdem, 2010). Notre contribution à ce débat se limite au cas de la très petite entreprise (TPE) africaine, à la suite des travaux effectués sur ce sujet dans d’autres contextes (Marchesnay, 2003 ; Torrès, 2003). Au Sénégal, les TPE représentent un enjeu national en termes de développement économique et de création d’emplois. La charte des PME au Sénégal définit la TPE comme une unité de production ou de service ayant un effectif salarié compris entre 1 et 10 personnes. Dans sa lettre de politique sectorielle des PME, la Direction des PME affirme que les entreprises, de petites et moyennes tailles, sont considérées comme « le moteur de la croissance, mais également comme un levier puissant du secteur privé. ». En effet, ces TPE représentent une part importante dans la création d’emplois (même précaires) et dans la redistribution de revenus. Elles permettent également aux populations d’avoir des produits et services accessibles. Parce qu’elles ont des stratégies de survie, mais en même temps des cadres d’innovation, de créativité et d’inventivité sociales, ces TPE relancent l’analyse sur un management de type nouveau, en se plaçant, de fait, sur le terrain anthropologique de l’entreprise africaine. Ainsi, par exemple, faire travailler une personne dans la TPE, ne nécessite nullement la rédaction d’un « contrat de travail ». On parlera plutôt d’une intégration, dans un vaste système d’entraide et de protections sociales informelles. Les pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) dans les TPE sont généralement informelles. Par exemple, les relations professionnelles, au lieu d’être fondées sur des liens contractuels bien établis, reposent davantage sur des liens familiaux et personnels. Cela s’explique par l’enracinement culturel du dirigeant dans ses valeurs et ses représentations locales qui le poussent à être moins exigeant sur la formalisation des pratiques de GRH (Mamboundou, 2009). Pichault et Nizet (2000), à travers le 200 modèle arbitraire, décrivent les pratiques de GRH dans ces entreprises. Ce modèle est caractérisé par l’absence de tout critère prédéfini et par la prépondérance de l’informel dans un contexte où les pratiques de GRH sont fortement déterminées par le dirigeant (Nizet et Pichault, 1998). Les recrutements ne sont pas planifiés et le dirigeant utilise son réseau personnel, ainsi que les recommandations qu’il reçoit. La formation se déroule souvent à l’initiative personnelle du salarié, parfois sur le tas ; l’absence de critère de rémunération explicite est notée et pousse le dirigeant à proposer une variété de formes de rémunération (à la tâche, à la pièce, en nature, etc.) avec des montants aléatoires. La communication est souvent informelle et généralement orale (Pichault et Nizet, 1998, 2000). Nous cherchons à comprendre, dans le contexte socioculturel sénégalais, comment se déploie la GRH dans les très petites entreprises (TPE). Comme le suggère d’Iribane dans ses différents travaux, le dirigeant ne peut pas faire abstraction des traditions et la "bonne" gestion est celle qui prend en compte les cultures et des traditions, même s’il faut les faire évoluer. Ainsi donc, dans quelle mesure s’articulent les pratiques "universelles" et les spécificités de la culture sénégalaise ? Autrement dit, peuton penser les pratiques de GRH dans les TPE au Sénégal sans faire une anthropologie du lien social dans ce pays ? Pour répondre à ces questions, nous présenterons dans un premier temps la littérature mobilisée pour traiter de l’articulation des pratiques de GRH avec l’environnement socioculturel de la TPE. Dans un deuxième temps, nous justifierons nos choix méthodologiques basés sur l’ethnographie. Dans la troisième partie, nous présenterons nos résultats. Enfin, nous organiserons la discussion autour de ces résultats. L’objectif visé est d’apporter un éclairage sénégalais au débat actuel sur la nécessité d’une meilleure contextualisation africaine des principes et des outils universels de gestion. 201 1. Comment analyser les pratiques de GRH dans les TPE ? Les stratégies entrepreneuriales des TPE sénégalaises s’inscrivent dans un processus de recomposition d’une société confrontée à une double contrainte paradoxale : s’insérer dans la modernité en gardant les pieds dans la tradition. Cette situation produit un conditionnement social sur la longue durée et structure encore fortement le fonctionnement des sociétés africaines, en général ; et de la société sénégalaise en particulier. Plusieurs travaux montrent que le succès des TPE est fortement tributaire du respect des normes culturelles ambiantes. Ces dernières ont une influence certaine sur la production ou le « bricolage » (Lévi Strauss, 1922) des pratiques de GRH dans un contexte de survalorisation des outils standardisés (Hernandez, 1988 ; Kamdem, 1999). 1.1. Caractéristiques des TPE africaines : imbrication de l’économique dans le social La littérature dominante sur les TPE en contexte africain présente celles-ci comme des micro-entreprises ayant un statut peu clair et un potentiel d’évolution faible, des activités générant des revenus (avec une capacité d’évolution et un objectif d’acquisition de revenu complémentaire ou de subsistance). Le financement de départ est souvent issu de l’épargne personnelle ou de la famille du promoteur-dirigeant ; ou encore des tontines et de ses réseaux relationnels (Zogning Nguimeya, et Mbaye, 2015). À ce stade de la discussion, l’analyse des outils de la GRH dans les TPE doit nécessairement prendre en compte une vision de l’économie fortement enracinée dans le social ; suivant la perspective défendue notamment par Polanyi (1983). Dans les sociétés à économie développée, les relations sociales sont encastrées dans un puissant système économique. Dès lors, les pratiques de GRH sont subordonnées à la logique de marché. Dans les TPE, il y a des spécificités organisationnelles et managériales, principalement caractérisées par le prolongement 202 des relations personnelles et familiales dans le champ professionnel. Dans ce management du type "domestique" (Weber, 1995), l’offre et la demande d’emplois n’obéissent pas aux servitudes du travail rétribué ; mais plutôt à la densité des liens personnels et au ménagement des personnes. Au Sénégal, les TPE se retrouvent dans différents domaines d’activités : coiffure ; couture et retouche ; peinture et revêtement en bâtiment ; menuiserie ; bois et agencement ; maçonnerie et charpente ; cordonnerie ; boucherie. L’émergence des technologies de l’information et de la communication a considérablement favorisé le développement des TPE dans les domaines de la reprographie, du traitement et de l’impression des textes. Ces entreprises évoluent majoritairement dans l’informel, constituent une source non négligeable d’emplois et de revenus pour la population et assurent à celle-ci une production de services et de biens locaux, à moindre coût, adaptés à leurs besoins et revenus. Les TPE assurent la vie, voire la survie des individus ; principalement membres d’un réseau familial ou associatif dont l’organisation et le fonctionnement obéissent davantage à des normes sociales qui privilégient la réciprocité dans l’échange social, la solidarité, l’entraide, etc. Tableau 1 : Principales caractéristiques des TPE Éléments Caractéristiques d’appréciations Taille Entreprises ayant un effectif compris entre 1 et 10 salariés (non compris le dirigeant qui est souvent propriétaire). Forme juridique Prend souvent la forme d’activité générant des revenus ou de microentreprises. Spécificités Prépondérance de l’intuitif sur le appliquées à la TPE formel (Plane & Torres, 1998). Omniprésence du dirigeant (Jaouen & Tessier, 2008) et centralisation du pouvoir par le dirigeant (Plane & 203 Torres, 1998). Ancrage dans l’économie sociale (Auvolat, 1999). Gestion artistique, traditionnelle voire conservatrice et axée sur le court terme (Torrès, 2003 ; Tabet & Kerzabi, 2009). Elles se situent au milieu de conceptions très contrastées, tradition et modernité (Ferrier, 2002). Le dirigeant est souvent dans une situation de dette morale, du fait de l’apport de la famille pour le démarrage de l’activité (Tounes & Assala, 2007). Proximité géographique des clients et des fournisseurs, proximité hiérarchique, proximité fonctionnelle (Jaouen et Torres, 2008). Le fonctionnement des TPE en Afrique se caractérise par des solidarités et des hiérarchies transversales (familiale, ethnique, religieuse, etc.) ; avec des relations très personnalisées et une vision prospective à court terme. L’improvisation domine dans la méthode de gestion et très souvent les ressources de l’entreprise servent à financer des événements familiaux (naissance, décès, mariage, accident, etc.) ; ou permettent de traduire la solidarité ou l’entraide avec d’autres membres de la société. Cette entraide contribue à la densification du capital social du dirigeant et assume une fonction essentielle de sécurité sociale (Simen et Agne, 2012). Ainsi présenté, articuler l’économique et le social, la tradition et la modernité, etc. est l’un des défis du dirigeant de la TPE en Afrique ; du fait de l’encastrement de l’économie dans le social. Ainsi, tout se passe comme si les TPE seraient de vastes circuits complexes où s’enchevêtrent l’activité 204 économique, les liens domestiques et familiaux, les relations d’endettement, les dons et contre dons (Warnier, 1993). Toute cette dynamique socioéconomique est structurée autour des réseaux de solidarité redistributive et communautaire. 1.2. GRH dans les TPE : des pratiques contingentes et intégrées dans des processus sociaux De nombreux auteurs, adoptant une approche culturaliste45, ont réussi à montrer que les modes d’organisation des entreprises sont fortement influencés par les caractéristiques culturelles des pays ou des sociétés (Hounkou et Pichault, 2008). 1.2.1. Pratiques de GRH dans les TPE : quand l’arbitraire domine le choix des dirigeants Dans les TPE, les pratiques de GRH dépendent du contexte interne (stratégie d’affaire, configurations organisationnelles) ; mais aussi du contexte externe (marché, réglementation du travail, culture, technologie) (Nizet et Pichault, 1998). Ces facteurs de contingence exercent une influence sur le choix des pratiques de GRH. Sous ce rapport, la GRH dans les TPE, et au regard des standards universels, soulève beaucoup de questions sans réponses évidentes. La description des expériences vécues et les formes d’action qui s’y déploient inaugurent, sans doute, des pratiques RH fondées davantage sur le social que sur le marché. La GRH dans ces entreprises a un caractère subjectif et flexible (Deshpande et Golhar, 1994). Les dirigeants négocient de manière arbitraire avec les salariés, le recrutement, la formation, la rémunération et la communication (Verser, 1987). Pichault et Nizet (2000) analysent les pratiques de GRH dans les TPE comme un « modèle arbitraire ». Pour ces auteurs, il existe des pratiques de GRH distinctes selon les formes 45 Cette approche propose d’expliquer les visions et les pratiques managériales en privilégiant l’analyseur culturel. 205 d’organisation. En effet, Dans les TPE, les processus mis en œuvre montrent la prédominance de l’improvisation avec une culture plutôt familiale et des communications directes privilégiant l’oralité et les ressources de la tradition orale. La gestion des effectifs n’est pas planifiée et dépend de la conjoncture économique ; du fait du nombre limité de niveaux hiérarchiques (structure simple généralement adopté) ; les promotions sont limitées. Le dirigeant est au cœur de tout et décide de tout ; comme un dirigeant omniscient. Nous privilégions ce « modèle arbitraire » comme grille d’analyse des pratiques de GRH dans les TPE sénégalaises. Toutefois, les principales difficultés des TPE africaines se situent plus dans le conflit structurel entre les exigences traditionnelles de solidarité communautaire dans un système de gestion éco-sociale et les exigences de la modernité ethnocentrique, à vocation universaliste (Hernandez 1997). 1.2.2. Pratiques de GRH dans les TPE : articulation entre tradition et modernité Les dirigeants des TPE sont confrontés aujourd’hui à de nombreux problèmes : exigences changeantes des clients, problèmes techniques et d’organisation, mondialisation, appropriation des TIC, etc. Il faut aussi relever les sollicitations familiales, l’emprise du sacré et du religieux dans la vie professionnelle, la persistance d’un environnement des affaires complexe et incertain. Dans ces conditions, ils sont régulièrement confrontés à des besoins de "réinvention" des pratiques de GRH ; pour assurer une meilleure performance de leurs entreprises. Dans cette perspective, leurs stratégies reposent sur « un bricolage ingénieux » qui débouche généralement sur deux voies. La première est de développer des pratiques de GRH prenant en compte les forces sociales opposées et la société qui se modifie en permanence. Il faut alors adopter une stratégie de co-construction en articulant tradition et modernité dans le choix de pratiques GRH adaptées au contexte socio-culturel. La 206 seconde voie est de développer des pratiques de GRH prenant en compte l’hybridation de la logique économique et sociale. Nous postulons que le dirigeant performant est celui qui réussit à articuler tradition et modernité dans le pilotage de son organisation. La tradition se traduit par le respect de certaines valeurs (ensemble d’éléments permettant de porter une appréciation sur un objet, une idée, un comportement donné) centrales dans la société. Certaines de ces valeurs sont communes à plusieurs pays africains (fonction sociale des proverbes, des contes, etc.) ; d’autres sont propres au Sénégal46. Selon différents auteurs (Bourgoin, 1984 ; Mutabazi, 2005 ; Simen et Agne, 2010 ; Kamdem et Tedongmo, 2015, 2016), plusieurs principes d’organisation sociale dominants en Afrique permettent d’envisager des modalités d’adaptation des pratiques de GRH dans les TPE africaines : primauté de la vie communautaire ; entraide ; respect de l’autorité ; différenciation du genre ; esprit de famille ; légende ; prédominance du sacré et du religieux ; croyances et pratiques de sorcellerie ; culte du secret ; importance considérable accordée au monde invisible, etc. Dans son étude comparative des styles de management, d’Iribarne (1989) a montré comment la modernité est toujours relative à une tradition culturelle. Par exemple, pour les Américains, l’organisation sociale repose essentiellement sur la culture contractuelle de l’échange libre et équitable. Chez les Français, le rituel de la sélection et de la cooptation dans certaines fonctions est parfaitement codifié à travers les concours d’admission dans les grandes écoles. Pour les Sénégalais, l’hospitalité (Terranga) est une valeur sociale fondamentale et très largement partagée dans toutes les communautés du pays. Les fondements anthropologiques de la 46 Par exemple, dans la langue wolof, dominante au Sénégal, on retrouve des expressions langagières suivantes : Mun (patience, persévérance) ; Ngor (honneur et probité) ; Njambar (courage) ; Terranga (hospitalité), Kersa (retenu) ; Warugal (devoir) ; Jom (courage, dignité). 207 construction du lien social au Sénégal semblent donc privilégier la construction du "Nous" et non du "Je" ; contrairement à ce qui est observé ailleurs dans le monde et notamment en Amérique du Nord. Au Sénégal, notamment dans les TPE, les traditions culturelles ont souvent une forte emprise sur principes universels de gestion. Cependant, le « métissage culturel » permet sans doute de relativiser ce que l’on pourrait caractériser comme un choc entre la tradition et la modernité. L’observation des processus sociaux dans le pays autorise plutôt à penser que la tradition et la modernité ne sont pas mutuellement exclusives. Il est permis de penser que ce sont deux pôles, deux entités culturelles qui s’entrecroisent parfois, se combinent souvent, s’entrechoquent parfois, mais ne sont pas du tout dans une dynamique antagoniste. C’est le principal héritage politique laissé à la postérité par le premier Président de la République du Sénégal, Léopold Sedar Senghor, à travers sa théorie (plus ou moins critiquée) du métissage culturel (1992). De toute évidence, une tentative de théorisation des pratiques de GRH dans les TPE sénégalaises ne saurait ignorer les systèmes de pensée et les pratiques endogènes. Ce sont ces derniers qui permettent de donner du sens à la construction du lien dans ce pays ; lien qui par ailleurs permet de structurer les normes régissant l’ensemble des comportements individuels et collectifs. 2. Méthodologie Nous cherchons à expliquer comment se font les articulations entre les pratiques de GRH "universelles" et les « spécificités culturelles » dans les TPE sénégalaises. Notre méthodologie, essentiellement qualitative et interprétativiste, privilégie l’approche ethnographique. 208 2.1. Positionnement épistémologique Plusieurs raisons justifient la démarche méthodologique qualitative. Afrique, les études sur les pratiques de GRH dans les TPE sont encore à l’étape exploratoire. Par conséquent, l’analyse de ce phénomène nécessite une démarche méthodologique difficilement conciliable avec la quantification des données de terrain. Par contre, l’ethnographie interprétative s’intéresse à ce que la culture étudiée veut dire pour ceux qui la ressentent et la vivent (Cléret, 2013). Il s’agit donc, pour le chercheur, de ne pas engager une démarche heuristique avec des a priori ou des catégories de pensée préétablies ; mais de chercher à traduire fidèlement et si possible dans les langues locales de ses interlocuteurs, les visions et les pratiques managériales des dirigeants des TPE sénégalaises. L’ethnographie interprétative (Geertz, 1973) permet ainsi de saisir, de manière fine, les dynamiques managériales mobilisées par ces derniers dans l’élaboration et la mise en œuvre des pratiques de GRH. 2.2. Collecte de données En procédant par la triangulation, nous avons eu recours à différentes sources de données, pour étudier les comportements des dirigeants dans le contexte des TPE sénégalaises. D’abord, l’observation participante a permis le suivi des phénomènes étudiés pour mieux comprendre les choix des pratiques de GRH dans les TPE sénégalaises ; et par la suite pour permettre la compréhension du contexte et de l’environnement socio-culturels. Ensuite, les entretiens auprès des membres du personnel des TPE étudiées ont permis de retracer le cheminement personnel du dirigeant dans le choix et l’implémentation des pratiques de GRH. Enfin, l’immersion personnelle du chercheur a permis une prise de notes dans un journal de bord. L’étude empirique s’est déroulée sur une période de six (6) mois, auprès de seize (16) TPE sénégalaises. Plusieurs critères ont déterminé 209 le choix de ces entreprises : la nature de l’activité ; le sexe du dirigeant ; sa disponibilité à accepter une entrevue ; le lieu d’implantation de la TPE (au quartier et en ville) ; l’implication des membres de la famille dans la gestion de l’entreprise au quotidien. Tableau 2 : Présentation de l’échantillon Nature de l’activité Nombre Effectifs Lieu Sexe du Implication de TPE des d’implantatio dirigeant de la salariés n famille dans la gestion Agroalimentaire 2 59 Dakar (2) Homme Faible (1) Femme (1) Restauration 3 478 Dakar (3) Homme Moyenne (2) Femme (1) Informatique 3 468 Dakar (3) Homme Faible (3) Coiffure 3 257 Dakar (3) Homme Moyenne Thiès (1) (1) Femme (2) Couture 2 68 Thiès (1) Homme Forte Dakar (1) (1) Femme (1) Mécanique 3 689 Dakar (2) Homme Moyenne Thiès (1) (3) Notre principal interlocuteur dans les entreprises échantillonnées a toujours été le dirigeant, quelques salariés parfois. Notre guide d’entretien a été structuré autour de trois thèmes : le parcours du dirigeant, les pratiques de GRH utilisées, l’influence du contexte sur la GRH telle que le perçoit 210 le dirigeant. Le guide d’entretien a servi à démarrer la discussion. D’autres questions n’y figurant pas pouvaient être posées pour mieux comprendre une situation ou encore pour approfondir sa compréhension. Les entretiens se sont déroulés au mois de novembre 2014. La durée moyenne de chaque entretien était d’environ 1 heure. Chaque entretien a fait l’objet de prise de notes synchrones et d’un enregistrement audio. 2.3. Analyse des données Les outils utilisés ont permis la constitution d’un corpus de données riches et diversifiées qui ont fait l’objet d’une double analyse du discours. D’abord, l’analyse de contenu thématique a été effectuée de façon manuelle afin d’une part, de mettre en évidence les catégories pertinentes ; et d’autre part, de comprendre les pratiques, la structuration du mouvement de mise en œuvre des pratiques de GRH entre les différents niveaux d’observation. Ensuite, une analyse chronologique a été effectuée pour retracer l’histoire personnelle des dirigeants, comprendre leurs choix des pratiques et des relations d’influence. Cette analyse diachronique a débouché sur la réalisation des récits retraçant les différentes étapes ayant permis l’introduction des pratiques de GRH dans les TPE échantillonnées. Dans l’analyse des données, nous avons lié les actions des dirigeants et des employés au contexte culturel du Sénégal (Geertz, 1973). Les entretiens avec les dirigeants et les employés ont permis de mieux décrypter les pratiques de recrutement, de rémunération, de formation et de communication. Ensuite, l’observation des faits a montré comment les éléments de contexte (interne et externe) et l’environnement socio-culturel sont pris en compte par le dirigeant dans le pilotage de la GRH. Cela a permis de mettre en évidence les interactions entre les pratiques de GRH observées et l’environnement socio-culturel du pays. Autant que cela a été possible, nous avons utilisé les ressources de 211 la linguistique locale, à travers le "wolof" qui est la principale langue de communication de nos interlocuteurs. 3. Résultats Au-delà du rôle fondamental joué par le dirigeant dans le choix des pratiques de GRH, il ressort de notre étude des éléments communs et partagées par les TPE concernées. C’est ainsi que les pratiques de recrutement, de rémunération, de formation, de communication sont adoptées en fonction des priorités subjectives du dirigeant. Celui-ci est au centre de toute l’activité de la TPE. Il est perçu par les employés comme un chef de famille et l’entreprise, comme une famille élargie. Cette perception du dirigeant dans la TPE sénégalaise rejoint le modèle de management paternaliste étudié par Hernandez (2000). Il est aussi souvent considéré comme un père ou une mère selon les cas, avec un rôle de protection des membres de l’entreprise (souvent considérés comme le prolongement de la famille d’origine). Ces pratiques sont fortement influencées par le contexte de la TPE. Elles ne sont presque jamais formalisées. Il existe une faible rupture entre l’individu et le travail, en rapport avec l’évolution et la représentation du travail (le travail est vécu par les salariés comme un facteur d’intégration sociale et permet de se distinguer dans la société). 3.1. Les pratiques de GRH dans les TPE : l’informel et l’artisanal comme dénominateur commun Les données collectées nous permettent de décrire les pratiques de recrutement, de formation, de rémunération et de communication dans les TPE étudiées. Les recherches anthropologiques ont montré, depuis longtemps maintenant, la prévalence des liens de parenté biologique dans les relations interpersonnelles et intercommunautaires en Afrique (Kamdem, 2002). La parentalité génère les fondations à partir desquelles partent toutes les sociabilités et opportunités pour une 212 réalisation de soi, du groupe protecteur et facilitateur (Lévi Strauss, 1922). 3.1.1. Le recrutement dans les TPE : des pratiques différenciées selon le secteur d’activité, le genre, le profil du dirigeant Dans les TPE sénégalaises de notre échantillon, la GRH commence d’abord par la socialisation d’un modèle culturel qui affirme, à priori, la prééminence de la parenté, de la lignée ou encore de l’ethnie dans la création ou le développement d’une organisation. Ainsi, les dirigeants interrogés ont déclaré effectuer les recrutements dans leur environnement proche (familles, communautés, connaissances, amis, etc.). Les motivations évoquées sont d’abord, la confiance et la proximité parentale ; et ensuite, la compétence : « Lorsqu’on appartient à la même communauté religieuse, c’est plus facile de s’entendre… » (Entretien avec un dirigeant). Un regard est d’abord porté sur le « d’où vient-il » avant de s’intéresser à « qui est-il ». Ces déclarations confortent le constat déjà fait par Hernandez (1997, p. 33) : « En Afrique (…), on est d’abord membre d’une communauté avant d’être employé de telle ou telle entreprise. Le patron s’entoure d’abord de son noyau familial proche (frères, fils, etc.) pour le seconder directement, puis de sa famille élargie. » Cette pratique de l’implication de la filiation familiale directe est une façon de remplir un contrat non écrit équivalent à ce que les anthropologues appellent « la dette obligatoire à la communauté (Marie, 2007). Le dirigeant de la TPE préfère recruter lui-même via son carnet d’adresses personnelles (principalement parental, familial et/ou ethnique) ; parce que les proches ou les recommandations faites par eux inspirent confiance et réduisent les incertitudes. Les filières de recrutement privilégiées, que l’on peut aussi appeler « filières de placements sociaux », sont principalement l’appartenance au même village : « J’ai fait venir de nombreux jeunes de mon village pour m’aider. » 213 (Entretien avec un dirigeant) ; l’appartenance à la même communauté religieuse : « Entre mouride on travaille en harmonie. » (Entretien avec un dirigeant) ; l’appartenance à la même famille ou l’appartenance au même réseau d’amis. Il faut aussi noter que d’autres dirigeants (jeunes, formés en Europe, en Amérique ou au Sénégal) recrutent sur le marché local du travail : « Je préfère recruter des personnes compétentes… Dans le domaine de l’informatique, il faut des personnes qualifiées. » (Entretien avec un dirigeant). Toutefois, les résultats obtenus permettent de constater que les critères de recrutement peuvent varier suivant les cas. C’est ainsi que dans certains secteurs d’activités (mécanique, couture, commerce), le recrutement obéit au modèle arbitraire, privilégie la proximité (amis, familles, communautés religieuses), et est effectué sans aucune planification. Néanmoins, dans le secteur de l’informatique porté par des jeunes dirigeants qui ont effectué des études secondaires ou supérieures, le recrutement se fait sur le marché du travail et est planifié en fonction des évolutions technologiques et des perspectives de croissance de l’activité. Dans la même perspective, il est intéressant de noter que le recrutement peut être influencé par le genre du dirigeant. Les données recueillies permettent de souligner le rôle prépondérant du mari dans le choix des candidats à un poste au sein des TPE étudiées : « J’ai besoin de son avis dans tout ce que je fais. » (une dirigeante à propos de son époux). Longtemps considérée dans la société sénégalaise comme devant s’occuper prioritairement du ménage et de la gestion domestique, la femme sénégalaise semble aujourd’hui engagée dans un mouvement de remise en question des stéréotypes sur son statut social. Elle devient chef d’entreprise et doit se faire accepter comme telle par ses collaborateurs et par la société. D’autres éléments des résultats méritent d’être soulignés. Le dirigeant/chef d’entreprise assume seul le rôle de recruteur et privilégie souvent les membres de la famille, de la communauté 214 villageoise ou religieuse (dirigeant opérant dans les secteurs d’activités traditionnels tels que la mécanique, la couture, etc.). Par contre, le dirigeant/chef d’entreprise mieux formé sur le plan éducatif a tendance à privilégier le savoir-faire des candidats à un emploi dans son entreprise. C’est notamment le cas dans le secteur informatique. Il faut enfin souligner que les canaux de recrutement utilisés reposent essentiellement sur le bouche à oreille dans la famille, les relations personnelles et professionnelles du dirigeant et très marginalement sur le marché du travail. En définitive, les pratiques de recrutement sont fortement influencées par le secteur d’activité de l’entreprise et par le genre du dirigeant. 3.1.2. La rémunération dans les TPE : à la discrétion du dirigeant…et souvent en nature Du fait de la forte proximité du dirigeant avec les salariés et du rôle de simple exécutant qu’assument ces derniers, les pratiques de rémunération dans les TPE sénégalaises étudiées sont diverses. Dans les TPE ayant un fort enracinement familial et dont les salariés sont des parents du dirigeant, il n’existe pas un montant fixe de salaire. L’employeur prend en charge le salarié en ce qui concerne, l’hébergement, les frais de subsistance quotidienne (alimentation) et une somme forfaitaire allouée comme argent de poche. Dans les TPE dont les membres du personnel ont des origines différentes de celles du dirigeant, les salaires sont variables et fixés arbitrairement suivant la situation financière de l’entreprise. Aucun critère objectif ne permet de déterminer le niveau ou l’échéance de la rémunération. La dimension sociale prime sur la fonction marchande, économique ou monétaire. Il ne s’agit pas souvent de payer un travail fait mais d’octroyer un système de compensation, d’impulser la redéfinition d’une position sociale entre les parties engagées dans un projet marchand ; en privilégiant une sociabilité considérée comme vitale pour le renforcement du lien social au sein de l’entreprise. Dans les TPE évoluant principalement dans 215 le secteur informatique, les salariés sont souvent déclarés et les montants des salaires (dépendant du volume d’activités) sont déterminés et régulièrement payés. Dans toutes les entreprises étudiées, on constate globalement que le dirigeant contribue fréquemment à la prise en charge de certaines en rapport avec des événements heureux ou malheureux de son personnel (naissance d’enfant, mariage, décès d’un parent, etc.). Cette pratique contribue considérablement à renforcer la solidarité dans l’entreprise ; mais aussi et surtout préserver la réciprocité relationnelle au cœur du style de management paternaliste : l’obligation de protection de l’employé par l’employeur, d’une part et l’obligation de loyauté de l’employé à l’employeur, d’autre part. (Hernandez, 1997, p. 79) illustre cette situation ainsi : « En Afrique, les biens les plus divers ne sont pas les choses abstraites, anonymes, interchangeables. Ils ne sont pas fongibles. Nous sommes ici, toujours, dans des stratégies écosociales. » En définitive, les pratiques salariales dans les TPE sénégalaises étudiées révèlent une grande souplesse ; et surtout un besoin fort d’échange qui n’est pas exclusivement marchand, mais davantage relationnel. Bien évidemment un tel échange relationnel ne peut survivre durablement que si chacune des deux parties prenantes (dirigeant et salarié de la TPE) joue franchement et entièrement son rôle respectif (protection et loyauté). Ce qui n’est pas toujours le cas, surtout lorsque l’une ou l’autre partie concernée éprouve (à tort ou à raison) un sentiment de trahison à la suite du non-respect de l’engagement pris. 3.1.3. La formation : des formations organisées selon la configuration productive de la TPE Le faible niveau de qualification des employés et souvent des dirigeants des TPE, selon les données collectées, permet de mieux comprendre l’utilité et la nécessité de la formation sur le tas ou par apprentissage au sein des TPE. Ce type de formation 216 (apprendre en faisant) se retrouve dans tous les secteurs d’activités concernés par la présente étude et revêt différentes formes : "compagnonnage", travail en "doublon" ou en "binôme". Les dénominations varient d’un secteur à l’autre : le démontage et le remontage des pièces, dans la mécanique automobile ; l’apprentissage par modelage sur les mannequins, dans la coiffure et dans la couture ; l’accueil des clients, dans la restauration ; l’immersion ou l’imprégnation, dans l’agroalimentaire. La formation sur le tas dans les TPE est mobilisée à plusieurs occasions, notamment lors de l’insertion professionnelle des nouvelles recrues. Cette formation permet d’acquérir une qualification spécifique sur un produit ou un service. Elle est supervisée soit par le dirigeant lui-même, soit par un salarié dédié et plus expérimenté (le maître, le compagnon, le tuteur ou le parrain professionnel qui permet à la nouvelle recrue d’acquérir progressivement une qualification professionnelle par un processus d’essai-erreur et de répétition des tâches. Les données mobilisées dans l’étude permettent aussi de révéler que dans certaines TPE, des salariés ont été envoyés en formation à l’extérieur de l’entreprise. Il s’agit notamment des TPE évoluant dans le secteur informatique où les salariés doivent être fréquemment familiarisés à l’utilisation de nouveaux logiciels plus perfectionnés. Pour certains métiers liés aux castes47 (forgerons, par exemple), la formation se fait suivant des « rites initiatiques » bien précis. Cette initiation insiste à la fois sur le savoir-faire technique et surtout sur le savoir-être ou le savoir vivre en société. Il en est ainsi dans la mesure où l’exercice de ces métiers est réservé à des personnes supposées dotées de capacités ou de facultés hors du commun ; et qui leur permettent d’être proches des divinités. Dans ces cas, des 47 Par exemple, les nobles ou Rimbés, les Gnenbés (bijoutiers, tisserands, etc.) et les captifs (Maccubé). 217 guides religieux peuvent être sollicités pour assurer l’accompagnement spirituel des nouvelles recrues pendant leur formation. La multiplicité des configurations productives (TPE évoluant dans le commerce, le développement de solutions informatiques, la mécanique, la couture, etc.) permet d’identifier de nombreuses pratiques de formation. Dans certains secteurs, l’environnement technologique change rapidement et nécessite de former régulièrement les employés (informatique). Dans d’autres secteurs (vente des fruits et légumes, couture), les innovations technologiques sont rares et les formations sont quasi-inexistantes. Les principaux obstacles et freins à la formation dans les TPE étudiées résident dans l’incertitude des dirigeants sur l’utilité réelle de la formation ; ainsi que dans la crainte du départ prématuré des personnes ayant bénéficié de la formation sur le tas au sein de la TPE. 3.1.4. La communication directe et personnalisée privilégiant l’oralité et la langue locale dominante Dans un environnement professionnel principalement caractérisé par la communication orale, les salariés attendent du dirigeant qu’il respecte sa parole pour conforter la confiance. Les capacités de communication (orale ou écrite) des salariés des TPE étudiées sont très réduites. L’usage de la principale langue locale (wolof) est prédominant dans les relations professionnelles. La présence de la figure symbolique du dirigeant est quasi permanente au sein de la TPE. Sa capacité à entretenir une communication persuasive et de proximité avec son personnel semble manifestement avoir un impact sur la réduction des conflits dans le travail. La syndicalisation du personnel est quasi inexistante et la prévention des conflits potentiels est largement assurée à travers le rite ancestral de la "palabre" réconciliatrice. 218 3.1.5. Le leadership paternaliste toujours d’actualité Dans les sociétés traditionnelles africaines, la soumission à l’autorité du Chef est très courante. La représentation et l’exercice du pouvoir, fondés sur le charisme et la puissance du dirigeant, témoignent d’une distance hiérarchique forte dans la relation supérieur-subordonné. Cette situation connaît des prolongements au sein des TPE dont les dirigeants sont très souvent perçus comme des guides éclairés et bienveillants. Cette analyse rejoint celle habituellement faite sur la « relation d’aînesse » qui fait référence à l’autorité, supposée doublée de la sagesse, des personnes plus âgées. Dans les TPE, la dimension collective est mise en avant et donne une autorité incontestée au dirigeant qui agit généralement comme un chef de famille à l’égard de ses employés. Pour ce dirigeant, l’efficacité s’associe plus que jamais aux valeurs traditionnelles d’entraide et de solidarité. Les analyses précédentes permettent d’affirmer que les pratiques de GRH dans les TPE sénégalaises étudiées sont bien enracinées dans la tradition ; mais sont de plus en plus confrontées à des transformations impulsées par la modernité environnante. 3.2. Articulation entre tradition et modernité : vers une « ethno-GRH » Pour la mise en perspective de cette section, il est utile de reprendre cette formulation d’Hernandez (1997, p. 81) : « Si certains aspects de la gestion qualifiés de variables "dures" peuvent être transposés sans modifications majeures d’un pays à un autre, d’un contexte culturel à un autre, il n’en est pas de même pour la GRH qualifiée par opposition de variable "molle" de la discipline. La gestion des hommes doit savoir s’adapter au contexte local. » Dans la grande entreprise africaine, et surtout dans les filiales locales des firmes multinationales, les dirigeants appliquent généralement des normes, des théories et des 219 principes de gestion dont l’utilité et la pertinence sont avérées dans d’autres contextes managériaux (notamment européen et nord-américain). Leur mise en œuvre est très problématique dans les entreprises en Afrique, et surtout dans les TPE qui ont la particularité d’avoir un très fort encrage socioanthropologique. La présentation des résultats de notre étude montre clairement que les pratiques de recrutement, de rémunération, de formation, de communication et de leadership dans les TPE sénégalaises sont davantage compréhensibles et éclairées à la lumière d’une anthropologie du lien social en Afrique ; et non à partir d’un placage universaliste. Par conséquent, le débat peut être relancé autour de la pertinence d’une ethno-GRH qu’il faut élaborer et mettre en œuvre dans les TPE africaines. Pour éviter une globalité homogénéisante, une GRH repensée à la lumière des pratiques de terrain dans les TPE africaines, devrait privilégier deux aspects. D’une part, tenir compte de la spécificité des TPE (petite échelle, prépondérance du dirigeant, proximité, fort ancrage dans le social) pour connaître plus finement le micro-social. D’autre part, enrichir le débat académique sur la GRH par l’élaboration et la modélisation d’un nouveau mode de pensée que l’on peut provisoirement appeler « ethno-GRH ». Ce néologisme permet d’explorer voire de valider l’ancrage local des pratiques de GRH qui sont compatibles avec les réalités du terrain. Autrement dit, la tentative est forte de plaquer des concepts et des méthodes inadéquats, plutôt que de suivre l’évolution et les balbutiements d’une sous-discipline qui devrait être construite. Compte tenu de la structure fortement communautaire des TPE africaines, les rapports des dirigeants avec leurs employés (très souvent en situation d’apprentissage professionnel) sont fortement marqués par le paternalisme (Bourgoin ; 1987 ; Hernandez, 2000). Ce sont des liens d’obligations réciproques plutôt que des rapports contractuels. Ce constat permet de tracer, 220 sans doute, les possibles jalons d’une réflexion renouvelée sur les spécificités de la GRH en Afrique. Notre étude a également montré qu’au Sénégal, la rupture est fortement réduite entre la vie au travail et la vie hors travail. Le marché du travail est en même temps un marché de la relation sociale. Les résultats de notre étude permettent d’affirmer que les pratiques de GRH sont influencées par une diversité de facteurs, principalement : la configuration productive de l’entreprise, le secteur d’activité, le genre et le profil du dirigeant, le contexte externe (l’environnement socio-culturel, la réglementation, le marché du travail). Pour les dirigeants évoluant dans les secteurs traditionnels (agroalimentaire, mécanique, couture, restauration), les pratiques de GRH sont très souvent non formalisées et fonctionnent sur un mode informel. Pour ceux évoluant dans le secteur informatique, ces pratiques connaissent un début de formalisation ; très souvent à l’initiative personnelle du dirigeant. Ici tout comme ailleurs, la configuration productive semble être un facteur explicatif très pertinent de la différenciation des pratiques de GRH (Nizet et Pichault, 2000). Les dirigeants sénégalais interrogés ne sont pas farouchement hostiles à l’utilisation des outils modernes de GRH issus des sociétés occidentales. Mais ils expriment le désir de leur adaptation à l’environnement interne et externe de leurs entreprises. Plusieurs facteurs justificatifs militent pour cette adaptation. Le salarié en entreprise appartient d’abord à une communauté sociale (le village, le clan, la famille). Il a donc l’obligation morale de respecter les normes, les rites, les mœurs et les traditions communautaires ; pour éviter d’être marginalisé dans sa propre société. Dans les sociétés africaines fortement hiérarchisées et patriarcales, l’homme joue un rôle majeur dans l’organisation sociale ; dans la définition des statuts et dans l’attribution des rôles. Cette vision crée une relation asymétrique entre l’homme (considéré comme le chef de famille) et la femme 221 (considérée comme la responsable de la gestion domestique). Les TPE étudiées fonctionnent avec des structures de communication orales qui privilégient la parole dans l’échange social. Dans la société sénégalaise, les représentations collectives sont encore fortement marquées par l’existence d’un monde invisible et mystique dont la connaissance découle d’un cheminement initiatique. Un tel cheminement contraint l’individu initié à l’obligation du secret, pour ne pas dévoiler les secrets de son apprentissage initiatique. La relation professionnelle, dans les TPE étudiées, est principalement construite sur une base de d’obligations réciproques et de loyauté entre les dirigeants et les membres du personnel. Elles sont rarement formalisées dans des contrats dont le respect s’impose pour les partenaires. Le recrutement, essentiellement fondé sur les relations interpersonnelles, se fait généralement sur recommandation ou par le bouche à oreille. La rémunération, imposée selon le pouvoir discrétionnaire du dirigeant, est parfois irrégulière et est généralement modulée sur le volume d’activité de l’entreprise. Tous ces constats sont des sources d’interpellations pour le développement d’une « ethno-GRH » qui mobilise les atouts des traditions africaines et ceux de la modernité, dans un contexte socio-économique où les TPE (surtout informelles) occupent encore une place considérable dans les activités économiques. 4. Discussion La tradition et la modernité dans les pratiques de GRH ne s’opposent pas mais se complètent. La tradition est, pour les uns, une force d’inertie ; pour les autres, un espace de références nécessaires. La modernité renvoie à une rupture introduisant des nouveaux comportements et contribuant à la marche du progrès, mais aussi à une cassure qui livre le dirigeant (surtout jeune diplômé) aux incertitudes et à l’épreuve de l’innovation. Les deux termes désignent des modalités 222 opposées de la relation à la temporalité. La tradition est indissociable de la continuité, de la transmission, du maintien. La modernité dissocie, transforme, repousse les frontières de l’impossible. En nous servant de la grille d’analyse proposée par Nizet et Pichault (2000), il est possible de proposer une synthèse des pratiques de GRH dans les TPE sénégalaises. Tableau 3 : Pratiques de GRH dans les TPE sénégalaises Pratiques de TPE évoluant dans TPE à forte GRH les secteurs possibilité de traditionnels croissance Relativement peu Recrutement Pas planifié Importance des réseaux planifié personnels du dirigeant Marché du travail Formation Formation Formation sur le tas Centré sur la technique planifiée en fonction du et le court terme progrès technique Sur la technique et le management Rémunération Rémunération Chaque salarié a une fondée sur des situation spécifique Rémunération souvent bases plus ou moins objectives en nature Communication Informelle Informelle Ascendante et Ascendante et descendante descendante Par contact direct Par contact direct Charismatique Leadership Charismatique Centré sur la Centré sur la figure figure dominante dominante du du promoteur promoteur dirigeant dirigeant 223 Le fonctionnement de la GRH dans les très petites unités de production trouve sa justification dans le mode d'organisation d'une société de type traditionnel qui tire sa légitimité du charisme personnel du promoteur dirigeant de la TPE. Toutes les activités relatives à la production, au recrutement des travailleurs, à leur rémunération ou encore à leur formation sont des prérogatives quasi exclusives du "Chef" d’entreprise. Sous ce rapport, l'usage d'un style managérial occidental, face à des travailleurs porteurs de valeurs culturelles différentes, reste généralement problématique. Pour l'instant, les principaux outils et pratiques de RH que nous avons explorés semblent s’articuler davantage avec un « savoir être culturel » ; aux dépens d’un savoir-faire professionnel. Ce « savoir être culturel » présente des caractéristiques majeures : style de direction autocratique et paternaliste ; prépondérance de la solidarité communautaire sur les performances professionnelles ; système de rémunération discrétionnaire ; communication à sens unique. Tout ceci semble accréditer la thèse culturaliste précédemment évoquée et s’accommoder d’une vision peu moderne des pratiques RH dans les TPE au Sénégal. Cette analyse confirme le rôle de la culture comme facteur de contingence prédominant dans les TPE sénégalaises. Construire un équilibre entre la tradition et la modernité permet de développer des pratiques de GRH mieux intégrées aux processus sociaux aux transformations diverses observées dans l’environnement sénégalais et africain. Dans cette perspective, l’homo senegalensis représente la nouvelle génération d’entrepreneur sénégalais engagé dans un processus ambivalent d’ancrage socio-anthropologique en Afrique et d’innovation technico-économique dans le monde. 224 Conclusion Le principal objectif de cet article est de comprendre comment les dirigeants des TPE sénégalaises mobilisent les ressources de la tradition et de la modernité dans leurs pratiques de GRH. Les analyses effectuées mettent en évidence une diversité de facteurs explicatifs des pratiques de GRH (caractéristiques personnelles et profil du dirigeant, secteur d’activité, genre, configuration productive de la TPE). Les activités de recrutement, de rémunération, de formation, de communication et de leadership ont un fort ancrage culturel. Au regard de la grille d’analyse du modèle arbitraire proposé par Nizet et Pichault (2000) et des données collectées, les résultats obtenus mettent en évidence quelques faits majeurs. Ce modèle de gestion des RH est validé dans les TPE évoluant dans les secteurs traditionnels qui connaissent peu d’innovation technologique (distribution alimentaire, mécanique automobile, couture, coiffure, etc.). Pour les TPE dirigées par des jeunes diplômes, dans des secteurs qui connaissent une rapide innovation technologique (informatique), les pratiques de GRH connaissent une lente et difficile formalisation. Le constat commun à toutes ces TPE est que les décisions, tant stratégiques qu’organisationnelles ou managériales, sont rarement le fruit d’une réflexion objective et délibérée. Bien au contraire, l’intuition, la subjectivité, le respect des normes traditionnelles, l’arbitraire jouent un rôle prépondérant dans les processus décisionnels du dirigeant. Ces principaux résultats présentent des limites. Ils sont obtenus à partir de la mobilisation de grille d’analyse de Nizet et Pichault (2000) qui est essentiellement descriptive et ne permet donc pas de rendre compte de la réalité des TPE à forte croissance, évoluant dans des secteurs porteurs comme celui de l’informatique. Ces TPE sont généralement créées et dirigées par des jeunes "Startuppers" ayant suivi une formation de niveau universitaire, parfois à l’étranger (Europe, Amérique du 225 Nord) ; et mieux préparés à gérer le renouvellement générationnel dans la direction de leurs entreprises. En effet, ce n’est pas tellement l’âge du dirigeant qui semble déterminant dans la mise en œuvre des pratiques de GRH culturellement enracinées et économiquement performantes. C’est aussi l’appartenance générationnelle qui renforce le besoin de mobilité internationale et d’ouverture sur le monde. Comme le soulignent Brabet et al. (1993), l’organisation et le fonctionnement des TPE obéissent à une double contrainte : celle de l’universalité des principes et des pratiques et celle de la nécessaire contingence et contextualisation locale dans la mise en œuvre des principes. Cette discussion finale permet de tracer une piste de sortie pour dépasser la vision dichotomique des pratiques de GRH dans les TPE sénégalaises. Il s’agit de ne pas se limiter exclusivement aux facteurs culturels dans l’analyse de ces pratiques qui subissent, par ailleurs, des influences diverses dans l’environnement global des TPE ; relativement à l’organisation et au fonctionnement des institutions (politiques, éducatives, économiques, etc.). Suivant ce cadre général, les TPE sénégalaises sont certainement un lieu approprié pour l’observation des mutations en cours et pour l’expérimentation des pratiques de GRH économiquement performantes, socialement enracinées et écologiquement viables. Résumé Cet article vise à comprendre et à décrire comment les dirigeants articulent tradition et modernité dans les TPE, en observant leurs pratiques de gestion des ressources humaines (GRH). Notre objectif est alors de montrer que certaines pratiques de GRH, plus particulièrement le recrutement, la rémunération, la formation, la communication, le leadership sont présentes dans les très petites entreprises sénégalaises. Cependant, elles se caractérisent par des spécificités découlant d’un environnement socio-culturel où l’anthropologie du lien social fait intervenir des « analyseurs-clés », tels que la parenté, 226 la famille, l’ethnie, le village, la communauté. Nous utilisons l’ethnographie interprétative comme démarche d’investigation. Tout en nuançant le modèle arbitraire de Pichault et Nizet (2000), notre recherche permet de constater que les pratiques de GRH étudiées sont fortement ancrées dans un tissu social particulièrement « enchâssé dans l’économique ». Ainsi, les TPE étudiées s’enracinent dans les traditions pour fonder une « ethno-GRH » balbutiante et qui est encore à élaborer. Mots clés : Pratiques de GRH, très petites entreprises, tradition, modernité, valeurs culturelles, modèle arbitraire, anthropologie du lien social en Afrique. HRM practices in very small Senegalese companies : Relevance of management that balances tradition and modernity Abstract This article seeks to understand and describe how leaders articulate tradition and modernity in the TPE, observing their human resource management (HRM) practices. Our goal then is to show that some HRM practices, especially recruitment, compensation, training, communication and leadership, are present in very small Senegalese companies. However, they are characterized by specifics arising from a socio-cultural environment where social anthropology link involves "key analyzers", such as kinship, family, ethnicity, village, community. We use the interpretive ethnography as investigative approach. All with slight arbitrary model Pichault and Nizet (2000), our research shows that the studied HRM practices are deeply rooted in a particular social fabric "embedded in the economic." Thus, the TPE studied are rooted in the traditions to found an "ethno-HRM 'infancy and is still developing. 227 Keywords: HRM practices, very small business, tradition, modernity, cultural values, arbitrary model, anthropology of social relationship in Africa. Bibliographie AUVOLAT M. (1999), « Les artisans en milieu rural, une force entravée », Economie rurale, vol. 238, p. 19-23. BOURGOIN H. (1984), L’Afrique malade du management, Paris, Éditions Jean Picollec. BRABET J. (DIR.) 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(2015), Le financement des PME et la performance du secteur public : une perspective internationale, Montréal, Parmitech. 232 Analyse exploratoire du comportement des travailleurs chinois dans la communauté de travail lgérienne Assya KHIAT48 Nathalie MONTARGOT49 Introduction L ’Afrique et la République Populaire de Chine n’ont, à première vue, aucun lien culturel ou géographique qui pourrait expliquer leur entente commerciale. Pour autant, dès 1953, lors de la Conférence de Bandung, la Chine s’est positionnée en tant que défenseur des pays en développement (Paone, 2008). Les ambitions de la Chine, qui en trois décennies a rejoint le peloton de tête de l'économie mondiale, consistent à conjuguer de « grandes inégalités géographiques et (…) de fortes attentes et contraintes sociales qui la fragilisent dans son développement. » (Paone, 2008, p. 311). C’est ainsi que la Chine a pendant longtemps développé des relations privilégiées avec des pays africains d’orientation socialiste comme l’Algérie, le Bénin, la Guinée-Conakry, le Mozambique, la 48 Professeure Université d’Oran 2 Mohamed Ben Ahmed, Algérie [email protected] 49 Docteur en sciences de gestion, Professeure Associée, Groupe Sup de Co La Rochelle, France - [email protected] 233 Zambie et le Zimbabwe ; ou encore la Tanzanie et le CongoBrazzaville (Paone, 2008). La Chine étend sa présence à un rythme accéléré dans les pays nord-africains (Algérie, Égypte, Libye, Maroc, Tunisie), comme un partenaire commercial et un investisseur incontournable. Depuis 2013 en Algérie, la Chine est le 12è partenaire pour les exportations et elle a détrôné la France pour les importations, devenant désormais le premier fournisseur commercial, selon le rapport du Centre National de l'Informatique et des Statistiques (CNIS)50. Mouhoubi (2012, p. 107) analyse cette situation comme « une pénétration en force du marché algérien par le biais de la mise en œuvre des programmes de développement des infrastructures (…), (logements, autoroutes). À partir de cette base, la Chine a envahi le marché de produits agricoles et industriels. » L’Algérie (34 millions d’habitants) est depuis longtemps confrontée au défi du chômage, principalement chez les jeunes. Le rapport de la Banque Africaine de Développement indique à cet égard que 21% des jeunes algériens sont sans emploi (BAD, 2011, p. 7). L’utilisation de la main-d’œuvre chinoise dans des projets d’infrastructures a soulevé de nombreuses critiques en Algérie. Selon Cabestan (2013, p. 164), les investisseurs chinois ont réagi à leur manière : « De fait, certaines entreprises de construction concentrent de plus en plus la main-d’œuvre chinoise dans les postes de responsabilité ou d’encadrement (ingénieurs, techniciens, managers). » Aujourd’hui entre 35 000 et 50 000 Chinois travaillent et résident en Algérie, « le plus grand pays d’accueil de la communauté chinoise en Afrique du Nord et l’un des plus importants sur le continent. » (BAD, 2011, p. 10). Les travailleurs algériens et chinois, dont les valeurs culturelles sont éloignées, doivent désormais apprendre à collaborer ensemble. 50 http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/08/11/article.php?sid=15257 0&cid=2 non indiqué en bibliographie. 234 Notre ambition est d’apporter un éclairage sur la présence massive des travailleurs chinois en Algérie. D’aucuns voient dans ce phénomène un facteur alternatif à la présence européenne en Algérie (Paone, 2008). Comment les travailleurs chinois s’intègrent-ils dans les communautés de travail principalement composées d’Algériens ? Assiste-t-on à des modifications de comportement au travail ? Comment dans ce contexte les cultures des uns et des autres influencent les attitudes et les comportements au travail ? Se complètent-telles ? S’excluent-t-elles ? Pour explorer ces questions, une revue de littérature basée sur l’analyse des différences interculturelles sera effectuée à deux niveaux : dans le cadre général du management, d’une part ; entre la Chine et l’Algérie, d’autre part. Nous tenterons ensuite de croiser les résultats issus de deux études empiriques. Ainsi, les résultats de l’étude qualitative, traitée par le logiciel Nvivo 19 et l’étude quantitative, traitée par le logiciel SPSS 19, seront analysés et serviront de base à la discussion. Cette dernière sera guidée par le fil conducteur du management interculturel, qui considère que les différences culturelles peuvent contribuer à l’enrichissement des comportements en situation de travail. 1. Approche conceptuelle et théorique des différences interculturelles dans le management : regards croisés ChineAlgérie La connaissance des différences interculturelles dans les entreprises a commencé dans les années 50-60, aux États-Unis, avec l’utilisation des méthodes monographiques classiques (École de Palo Alto). Plus récemment, l’apport des sociologues et des anthropologues a permis de synthétiser et de considérer globalement les cultures au niveau international. Ainsi, pour Edward T. Hall, une distinction entre les cultures, d'après leur 235 mode de communication, s’impose. L’approche culturaliste interactionniste de Hall montre que dans un contexte fort, il n'est pas nécessaire de parler ou d'écrire beaucoup ; puisque l'essentiel de la communication est hors du contexte explicite du message. Par contre, dans un contexte faible, l'essentiel de la communication est contenu dans le code explicite du message (Hall, 1976). Un système de valeurs sert de guide, de référence à la communication interculturelle. Les valeurs sont à l’origine des lois, des règles, des conventions et des coutumes qui régissent les comportements des individus, des groupes et les relations interpersonnelles. Selon Schwartz (2006), plusieurs chercheurs s’accordent à trouver des caractéristiques communes aux valeurs (Inglehart, 1997 ; Rokeach, 1973 ; Schwartz et Bilsky, 1987). La comparaison des travaux de ces derniers permet de dégager six caractéristiques principales communes des valeurs : (1) des croyances associées de manière indissociables aux affects ; (2) ayant trait à des objectifs désirables qui motivent l’action ; (3) transcendant les actions et les situations spécifiques ; (4) servant d’étalon ou de critères ; (5) classées par ordre d’importance les unes par rapport aux autres ; (6) tout comportement impliquerait plus d’une valeur. Une analyse comparée des valeurs transculturelles en Chine et en Algérie apporte davantage d’éclairage sur la question. 1.1. Culture et valeur Plusieurs études ont cherché à démontrer l’universalité des valeurs en étudiant différents pays, différentes cultures et en identifiant quelles valeurs animent les individus et les groupes (Inglehart et Welzel, 2005 ; Hofstede, 2010). De même, dans le domaine managérial, « les analyses peuvent se limiter à quelques grands problèmes relatifs à l’organisation du travail dans le temps, à la communication entre personnes, à la conception du travail, à la prise de décision, à l’autorité et au contrôle. » (Martin, 2005, p. 26). 236 Depuis une vingtaine d’années, le sociologue américain Ron Inglehart suit les évolutions politiques, sociales et culturelles qui s’opèrent dans le monde ; en corrélation avec l’accroissement du niveau de vie et grâce aux données recueillies régulièrement dans le cadre des World Values Surveys dans 65 pays représentant 80 % de la population mondiale. Ses recherches, menées avec Wetzel (2005), ont permis d’établir une carte de différenciation des groupes culturels. Ces recherches mettent en évidence quelques facteurs explicatifs de la construction des valeurs ; notamment la religion, la langue, le système politique, les idéologies dominantes. Hofstede s’est également beaucoup intéressé aux principales dimensions de la différenciation culturelle, dans le cadre d’une étude internationale réalisée auprès des employés de la firme américaine IBM implantée dans 70 pays. On doit à Kroeber et Kluckhohn (1952, p. 22) l’une des définitions les plus exhaustives de la notion de culture. « La culture est un ensemble de modèles (les uns explicites, les autres implicites) qui décrit le comportement passé ou détermine le comportement à venir ; que l’individu acquiert et transmet par le biais de symboles ; qui constitue la marque distinctive d’un groupe humain, y compris les objets ouvrés (ou artéfacts) par lesquels ce groupe s’exprime. Le noyau essentiel de la culture est composé d’idées traditionnelles (c’est-à-dire transmises historiquement puis sélectionnées) et particulièrement des valeurs qui y sont attachées. On peut considérer les systèmes culturels tantôt comme les éléments conditionnant d’une action à venir. » Pour leur part, Hofstede et Hofstede (2005, p. 19) la définissent de manière plus globale comme étant « la programmation collective qui distingue les membres d’un groupe et qui les différencient des autres. » La culture peut être catégorisée selon l’âge, le sexe, le groupe religieux ou ethnique. Hofstede parle de « programmation mentale collective » et nous rappelle que les dirigeants des organisations sont humains et possèdent une éducation et une culture propres. Cette programmation mentale 237 affecte donc la façon dont ces personnes dirigent les entreprises. Par ailleurs, il propose une définition plus globalisante de la notion de valeur comme une « une tendance large à préférer certains états à d'autres. » (Hofstede, 2001, p.5). 1.2. Positionnement de la Chine et de l’Algérie sur la carte culturelle du monde Une carte culturelle du monde permet de visualiser différentes valeurs, reconnues comme telles dans toutes les cultures et permettant de situer les différents pays selon deux axes. Le premier en ordonnée exprime le rapport de l’individu à l’autorité, la famille, la religion et à la morale. Il permet un positionnement des pays entre les deux pôles de la tradition et de la modernité. Dans cette perspective, par exemple, les comportements des individus attachés à la tradition seraient caractérisés par l’hostilité au divorce ; l’attachement à la spiritualité et à l'autorité ; le culte de la fierté nationale, etc. Le deuxième axe exprime le rapport de l’individu à lui-même et à son environnement. Il permet un positionnement allant des valeurs de survie (besoins de sécurité, d’appartenance, etc.) à des valeurs d'expression (bien être, qualité de vie, créativité, etc.). Dans cette perspective (survie versus expression), l'accent est davantage mis sur les priorités accordées à la sécurité économique et physique ; par rapport à l'expression de soi et à la qualité de vie. La lecture de cette carte (figure 1) permet de faire le constat que la Chine et l’Algérie sont positionnées de manière différente. La Chine est située dans un ensemble se référant à la philosophie confucéenne, caractérisée par un état général de stabilité sociale, par des relations individuelles inégalitaires ; toute cette situation est fondée sur un socle familial fort et un individualisme faible. Né en l’an 500 ans avant Jésus-Christ, Confucius a façonné le fondement culturel de la Chine, en accordant une très grande importance aux concepts de valeur, de vertu, de comportement et de pensée philosophique. La pensée confucéenne instaure un 238 rapport pragmatique à la réalité et au changement, non basé sur le raisonnement rationnel ; contrairement aux sociétés occidentales. Bien que ses enseignements aient été dispensés oralement, les Analectas, ou « Énonciations de Confucius » (Ames et Rosemont, 1988) ont été transmis au travers des siècles par le travail de retranscription de ses disciplines. Spence (2005, p. 44) constate l’influence toujours présente de la pensée confucéenne dans la société chinoise, puisque « malgré son rythme des changements incroyable, la Chine continue à porter les échos de son passé51. » Bien que le confucianisme ait connu un discrédit sous le règne politique de Mao, les valeurs culturelles soutenues par Confucius ont durablement marqué les mentalités chinoises. D’ailleurs, récemment, cette doctrine a été réintroduite dans le système éducatif chinois (Mooney, 2007 ; Osnos 2007). Cette doctrine spirituelle qui insiste sur l’importance de la communication interpersonnelle et de la relation entre l’humain et le social a connu des prolongements dans les visions et les pratiques managériales en Chine. En effet, transposées en entreprise, « ces valeurs doivent amener les managers à soigner, respecter et prendre en compte les considérations des salariés, leur apporter tout le soutien dont ils ont besoin. En contrepartie, les employés, de leurs côtés, se doivent de s’investir et collaborer de leur mieux dans l’entreprise, d’où le proverbe " Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse" qui reprend l’idée maîtresse de ce concept. » (Bachelard et Mao, 2014, p. 141). Pour autant, la Chine et l’Algérie présentent un point commun en étant toutes les deux positionnées sur des valeurs considérées comme traditionnelles (famille, religion, morale). Cependant, si l’Algérie demeure dans un positionnement tourné vers des valeurs traditionnelles, la Chine par contre évolue vers un positionnement davantage tourné vers des valeurs de modernité (figure 1). 51 Traduction assurée par les auteurs. 239 Figure 1 : Carte culturelle du monde (R. Inglehart et C. Welzel, 2005) Chine Algérie Pour ces deux auteurs, le changement social se réalise dans le sens de la rationalisation des valeurs, en corrélation avec l’élévation du niveau de vie et une plus grande capacité d’expression individuelle. Ils remarquent que ces caractéristiques sont les attributs de la démocratie libérale. L’analyse des dimensions culturelles des deux pays peut ainsi nous apporter un éclairage intéressant sur leurs similitudes et différences. 1.3. Geert Hofstede et les dimensions culturelles de la Chine et de l’Algérie Après avoir identifié quatre dimensions, puis cinq, Hofstede et al. (2010) sont finalement parvenus à en distinguer six 240 principales, pour illustrer les différences culturelles dans le management : - distance hiérarchique (PDI) fondée sur la façon dont le pouvoir est réparti de manière plus ou moins inégale dans la société ; - contrôle de l’incertitude (UAI) ; - individualisme/collectivisme (IDV) ; - féminité/masculinité (MAS) ; - orientation à court terme/long terme (LTO), basée sur la philosophie confucéenne, ajoutée en 1991 ; puis transformée en 2010 en orientation pragmatique ou normative (PRA) ; - indulgence / sévérité (IND), ajoutée en 2010. L’indulgence décrit une société qui permet la libre satisfaction de pulsions humaines fondamentales et naturelles de vie. Par contre la sévérité caractérise une société qui régule ces besoins au moyen de normes sociales strictes. Le tableau 1 présente la comparaison des différences culturelles entre la Chine et l’Algérie. 241 53 Vision masculine des rôles 66 Vision masculine desrôles 242 http://www.chambreuil.com/public/2012/12/Dimensions_Culturelles.pdf. 52 46 Communautaris me 70 Distance élevée Algérie Source : Hofstede et al. (2010)52 20 Fort communautaris me 80 Distance élevée Chine Tableau 1 : Différences culturelles entre la Chine et l’Algérie MAS Pays PDI Distance IDV hiérarchique Individualisme/ Masculinité/ Féminité Collectivisme 68 Faibletolérance à l’imprévu 30 Forte tolérance à l’imprévu UAI Contrôle de l’incertitude 118 Orientation très long terme pragmatique 26 Orientation court termiste normative PRA Orientation Pragmatique 32 Sévérité 24 Sévérité IND Indulgen ce L’analyse des dimensions culturelles montre des points communs entre la Chine et l’Algérie (caractéristiques soulignées dans le tableau). Ainsi la distance hiérarchique, à savoir l’acceptation de la répartition inégale du pouvoir entre les individus, est forte dans les deux pays. Par ailleurs, la perception d’obligations envers son groupe d’appartenance est forte dans les deux cultures ; de même que l’importance du poids de normes sociales strictes et la vision masculine des rôles. En revanche, certaines dimensions sont en opposition (caractéristiques non soulignées dans le tableau). Ainsi, la tolérance à des situations imprévisibles, inconnues, non structurées ou incertaines est forte pour la Chine ; mais faible pour l’Algérie qui a une forte régulation de l’incertitude. Enfin, si la dimension pragmatique est très forte pour la Chine avec un rapport au temps très long et une capacité à patienter pour recueillir les fruits de ses investissements, l’Algérie est plutôt tournée vers une orientation à court terme avec un retour sur investissement rapide attendu. Nous retrouvons les caractéristiques décrites par Hall (1984), concernant les différences d’appréciation du temps. Dans la temporalité monochronique dominante dans les pays anglosaxons et en Europe du Nord, les activités sont planifiées et exécutées de manière linéaire. Par contre dans le système de temporalité polychronique dominant dans le bassin de la Méditerranée, en Afrique du Nord et en Amérique latine, les activités sont généralement exécutées simultanément ; avec une très faible différenciation. Toujours selon Hall (1984), les deux systèmes de temporalité sont très distincts, avec des avantages et des inconvénients. En résumé, le contexte culturel chinois est principalement caractérisé par une grande capacité à accepter les risques ; un sens de la hiérarchie prononcé ; un fort communautarisme ; une vision traditionnelle des rôles avec une prédominance des valeurs masculines ; une culture de la persévérance et un rapport à la réalité plus pragmatique ; une tendance à se conformer aux 243 normes sociales strictes. Le contexte culturel algérien est principalement caractérisé par une faible capacité à accepter les risques ; un sens de la hiérarchie prononcé ; un fort communautarisme ; une vision traditionnelle des rôles, avec une prédominance des valeurs masculines ; une culture tournée vers le présent et un rapport à la réalité plus normatif ; une tendance à la conformité aux normes sociales strictes. Par ailleurs, nous notons que les dimensions culturelles identifiées par Hofstedeet al. (2010) correspondent aux traits culturels des salariés algériens décrits par Labaronne et Mustapha (2010, p. 36), suivant deux axes majeurs : l’espace et la société. « L’espace public est plébiscité tandis que la fidélité à la famille, à soi-même et à la communauté est très largement approuvée. La dimension culturelle en milieu du travail révèle également une forte cohérence (…) une forte tendance à éviter l’incertitude, une mentalité communautaire élevée. » La confrontation culturelle entre les travailleurs chinois et les travailleurs algériens est-elle susceptible de provoquer des changements dans les comportements au travail ? Les adaptations possibles s’impliquent-elles une amélioration ou une dégradation du bien-être des travailleurs ? Un bien être qui s’exprimerait au travers d’acteurs devant accepter une nouvelle organisation du travail et une nouvelle manière de vivre ensemble (BarthodProthade, 2012). L’arrivée croissante des travailleurs chinois en Algérie entraîne-t-elle une évolution des pratiques, des métiers ? Et puisque chaque individu est appelé à développer ses compétences (Boyer et al., 2005), les travailleurs chinois sont-ils perçus comme étant plus compétents que leurs collègues algériens ? Ces différentes questions seront confrontées aux réalités de terrain, à travers l’étude empirique effectuée. 244 2. Méthodologie, présentation et discussion des résultats Deux approches méthodologiques ont été mobilisées dans notre recherche. L’analyse qualitative se justifie par l’objet de recherche qui vise à appréhender le sens, comprendre et interpréter des représentations et des comportements dans un contexte particulier (Wacheux, 1996). L’analyse quantitative permet de soutenir et de conforter l’analyse qualitative avec des données chiffrées pertinentes. 2.1. Étude qualitative Le terrain (2.1.1.), l’échantillon ainsi que les modalités de recueil des données (2.1.2.), leur traitement (2.1.3.) puis les résultats produits (2.1.4.) font l’objet des développements suivants. 2.1.1. Justification du terrain d’étude Une étude documentaire a été préalablement effectuée pour mieux appréhender la présence chinoise dans les régions et les secteurs d’activités en Algérie. Cette étude a permis de faire le constat que l’Algérie a accordé à 50 entreprises chinoises des contrats de construction d’une valeur totale de 20 milliards de dollars US. Ce chiffre fait de l’Algérie le plus grand marché africain pour les entreprises de construction chinoises et l'un des plus importants au monde (BAD, 2011, p. 4). Par ailleurs, d’après un rapport de la Direction de l’Emploi, la région d’Oran a massivement recours à une main-d’œuvre étrangère qui a atteint, fin 2013, un effectif de 5.750 travailleurs, issus de 29 nationalités étrangères dont les Chinois représentent les 2/353. Onze entreprises chinoises sont particulièrement actives dans les secteurs du BTP, des infrastructures de base et du tertiaire ; toutes principalement installées dans la région oranaise. 53 Quotidien d’Oran, dimanche 5 janvier 2014, page 9. Non repris en bibliographie. 245 Ce constat du terrain justifie le choix de cette région qui abrite une forte concentration des travailleurs chinois. 2.1.2. Constitution de l’échantillon et recueil des données Sur le plan méthodologique, des entretiens semi-directifs ont été conduits. Au total, sept entretiens ont permis d’explorer le phénomène étudié (Wacheux, 1996). Ils ont été menés dans la région d’Oran, en face-à-face ou à distance, entre janvier et mars 2014, auprès de différents acteurs exerçant dans le secteur de la construction (travailleurs chinois dans une entreprise algérienne ou mixte ; travailleurs algériens dans une entreprise chinoise ; direction de l’emploi chargée de l’accueil des travailleurs étrangers, etc.). La durée moyenne des entretiens était de 30 minutes. Le tableau 2 révèle la composition précise de l’échantillon. Tableau 2 : Composition de l’échantillon Répondant Caractéristiques (nationalité, secteur d’activité, fonction occupée) Algérienne 1 Entreprise de construction Service planning Algérienne 2 Direction de l’emploi Agent de gestion de la main d’œuvre étrangère Chinois Entreprise de construction 3 Administrateurs accompagnés d’un traducteur Chinoise 4 Interprète dans une entreprise chinoise de construction Algérien 5 Coordinateur au département 246 6 7 d’approvisionnement au sein d’une entreprise de construction d’autoroute Algérien Direction de l’emploi Agent de gestion de la main d’œuvre étrangère Chinois Traducteur Entreprise de construction 2.1.3. Traitement des données Les entretiens ont été intégralement retranscrits et traités par l’analyse de contenu thématique, en utilisant le logiciel Nvivo 10 (programme d’analyse qualitative de données), afin de faciliter le travail de codification et de réduction des données. La stratégie d’analyse des données, les règles de codage et la construction des catégories selon un index hiérarchique ont été respectées. La représentation de l’encodage des catégories (appelées "nœuds") est illustrée dans le tableau suivant. Tableau 3 : Encodage du corpus par nœud 247 Au final, le traitement de données a conduit à la production de résultats présentés ci-après. 2.1.4. Principaux résultats L’analyse de contenu thématique réalisée avec l’aide de Nvivo 10 a permis de dégager trois thèmes majeurs : les conditions d’installation des travailleurs chinois en Algérie ; les différences de conditions de travail en termes d’horaires et de rémunération ; les perceptions communautaires mutuelles notamment en termes de barrières linguistiques et de différence de centralité des valeurs. Des conditions d’installation des travailleurs chinois en Algérie (volontaires ou imposées) L’arrivée peut être choisie lorsque par exemple l’entreprise chinoise propose de rejoindre une filiale en Algérie : « Mon entreprise a une activité ici en Algérie et j'ai été choisi avec d'autres pour le faire. Ils me demandent si c'est ok avec moi et je dis ok. » (Répondant 3). Dans ce cas, plusieurs éléments sont évoqués, notamment un « meilleur salaire et de meilleures conditions de travail, en plus l'occasion de visiter beaucoup de beaux endroits. » (Répondant 3). De l’autre côté, il y a des travailleurs condamnés à l’expatriation : « Ils ne leur demandent pas si c’est ok ou non. » (Répondant 3). Il s’agit alors « de chômeurs en Chine. » (Répondant 7), le plus souvent des travailleurs non qualifiés ou dont le diplôme est sans rapport « comme les maçons et les soudeurs parce qu’ils s’activent dans le travail. » (Répondant 3). Une fois arrivés, les travailleurs chinois peuvent être victimes de sanctions et « s’ils ne font pas le travail correctement, ils seront refoulés dans leur pays d’origine. C’est une raison forte qui les pousse à travailler autant. » (Répondant 5). Dès lors, malgré leurs « conditions de vie et l’hébergement collectif » (Répondant 7), la productivité est assurée. 248 Des conditions de travail différentes de celles des Algériens, en termes d’horaires plus longs mais également de rémunération plus forte En termes d’horaires, la charge est supérieure pour les travailleurs chinois. Si « les algériens travaillent de 8h à 12h et de 13h à 17h (…), les Chinois c’est de 6h à 12h et de 13h à 20h » sans distinction en termes de position, cadres et collaborateurs fonctionnant sur le même modèle (Répondant 6). Les jours fériés chinois sont attribués. « Par exemple dans ce mois de février (…), c’est la fête du printemps. Ils prennent également rarement leur week-end. » (Répondant 2). L’absentéisme diffère également « parce qu'ils n'ont rien à faire ici sauf l'achèvement de leur travail (…) Le niveau d'absentéisme chez les travailleurs algériens est plus haut que chez les Chinois. » (Répondant 3). En termes de rémunération54, les Algériens travaillant dans des entreprises chinoises sont surpris de l’opacité du calcul de rémunération : « Ils ne veulent jamais nous expliquer la base des calculs » et les salaires sont touchés « dans des enveloppes » (Répondant 1). Cependant, globalement, les Chinois semblent mieux payés que les Algériens, surtout s’ils sont diplômés : « Un Chinois peut avoir un salaire jusqu’à 500 000 DA par mois pour un manager. » (Répondant 7). Tandis que« les Algériens ont un salaire minable entre 20 000 DA / mois et qui ne dépasse pas les 22 000 DA / mois et les Chinois (…) 45 000 DA / mois pour les diplômés ; et pour les non diplômés chinois, il est de 19 000 DA / mois (…) et le directeur de la société chinoise complète leurs salaires par rapport aux frais de l’expatriation. » (Répondant 2). Un système dual est également organisé, une partie du salaire étant donné « pour vivre en Algérie » ; alors qu’un « montant élevé est transféré dans une banque en Chine. » (Répondant 6). Des perceptions communautaires mutuelles : les barrières linguistiques et la différence de centralité de valeurs 54 1 DZD = 0.00855 Euro soit 1 euro = 116,986 DZD au 13 janvier 2016. 249 Certaines dérives sont évoquées montrant la difficulté de la rencontre entre les Chinois et les Algériens dans un contexte de chômage massif : « Il y a du racisme parce que les Chinois ont envahi le marché algérien de la main d’œuvre chinoise, les Algériens trouvent que les Chinois ont pris leurs places dans les entreprises et les chantiers, selon les statistiques de la Direction de l’emploi d’Oran, ils représentent les 2/3 des expatriés en Algérie. » (Répondant 7) La proportion des travailleurs chinois sur les chantiers peut être élevée, variant d’un peu plus d’un quart dans une entreprise de sous-traitance chinoise : « 353 employés chinois par rapport à 1295 Algériens » (Répondant 2), jusqu’aux 2/3 « 394 Algériens (…) ; les Chinois, 1146 » pour un projet étatique d’une importante zone industrielle (Répondant 6). L’insécurité est également évoquée, mentale et physique. Le terme de harcèlement est utilisé dans le cas d’une algérienne travaillant pour une société chinoise : « Ils m’ont changé de service sans me prévenir c’était pour moi un harcèlement indirect. Ils m’ont mis devant le choix de rester ou de quitter. » (Répondant 1).L’insécurité peut également être physique : « On manquait de sécurité, on ne se déplaçait jamais seul, il fallait toujours essayer de trouver une compagnie. » (Répondant 1). Les problèmes de communication et notamment de langage sont évoqués par les Algériens : « On était organisé dans notre travail, on n’avait pas le droit à l’erreur. C’était le calme absolu, on communiquait avec les mains seulement (…) Il y avait un seul directeur et trois ingénieurs qui parlent anglais et quelques Chinoises avec un français cassé, si on peut dire ça comme ça… ! » (Répondant 1). Les barrières linguistiques sont donc fortes et font naître des suspicions : « Des fois, ils disent des méchancetés sur nous et on ne le sait pas. » (Répondant 2) ; voire de l’hostilité : « Un manque de respect de la part des Algériens pour les Chinois qui ne parlent pas une autre langue que leur langue maternelle, ils étaient agressifs. » (Répondant 1). Si certains Chinois ont appris des rudiments de français avant le 250 départ de Chine, « on nous a dit que le français est la langue commune ici. » (Répondant 3), la langue arabe pas ou peu utilisée rend les rencontres interculturelles difficiles. Les pratiques religieuses ne semblent pas poser problème. Durant le Ramadan, « ils n’ont jamais mangé devant nous même les autre mois. » (Répondant 6) et « durant les fêtes, ils nous ramènent des chocolats, des bonbons, des gâteaux, et parfois ils nous invitent à sortir pour un déjeuner au restaurant. » (Répondant 6). Le système algérien a fait naître des adaptations comportementales de la part des Chinois : « Les Algériens les ont convertis en lambins (…). Ils ont remarqué que pour faire signer un contrat ou un document, il suffit de donner une simple corruption et tout passera à merveille. La mairie, la direction de l’emploi, pour les permis du travail, la police pour les renouvellements des résidences et même les médecins pour faire les fiches médicales (…) toujours avec des cadeaux, tout ça passait dans les boîtes d’archives (chocolats, parfum, boissons alcoolisées et même pastèques. » (Répondant 1). Les Algériens, quant à eux, reconnaissent que l’ardeur au travail des Chinois a permis d’insister sur « la ponctualité, oui, par crainte d’être viré (…) en travaillant sous la logique de chronomètre. » (Répondant 1). « Ils peuvent finir un bâtiment de 10 étages en 2 mois ; pour un étage, 6 jours sont suffisants pour eux. Ils ne se reposent que s’ils ont un manque de matériel ou le soir pour dormir, je dirais 6 heures de sommeil au maximum. » (Répondant 5). Un répondant insiste pourtant sur le manque de respect des délais sur les chantiers : « Ils vous donnent une durée de 3 ans, après ils dépassent le délai. Ils font un avenant et une prolongation (…) ; ils n’ont pas donné d’explication et ils ont demandé une durée supplémentaire. » (Répondant 6) La conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale semble reléguée au second plan, pour les Chinois dont la valeur travail est centrale. Cette centralité ne convient pas aux valeurs 251 traditionnelles algériennes : « Une anecdote, un jour je suis parti sur le chantier et quelqu’un m’a montré sur le mur écrit en lettre rouge : « se sacrifier, souffrir, subir, supporter », alors tu comprends jamais un Algérien n’écrira une chose pareille pour se motiver à travailler et puis c’est presque de l’esclavage ce truc, tu comprends ? » (Répondant 5). Les différences sont alors résumées ainsi : « Les Chinois travaillent différemment des Algériens pour trois raisons : culture, dictature (si on peut dire ça comme ça) et puis le fait qu’ils n’ont pas de vie de famille ici, c’est cela ! » (Répondant 5). L’analyse qualitative a permis de faire émerger un certain nombre de caractéristiques dans les relations de travail entre les Chinois et les Algériens. Elle sera complétée par une analyse quantitative qui permet de mieux affiner les extraits des témoignages mentionnés plus haut. 2.2. Étude quantitative La construction du questionnaire, la composition de l’échantillon, le recueil et le traitement des données (2.2.1.) ; ainsi la présentation des principaux résultats et leur discussion (2.2.2.) constituent l’ossature de cette section. 2.2.1. Construction du questionnaire, échantillonnage, recueil et traitement des données Pour l’analyse quantitative, nous avons privilégié le recueil de données par entretiens semi-directifs. L’enquête a été menée par une équipe d’étudiants doctorants. Ils ont conduit un questionnaire composé de 41 items administré en face à face en février et mars 2014, dans différentes entreprises de la région d’Oran. Six items ont été privilégiés, en rapport avec les catégories d’analyse suivantes : profil des répondants chinois (âge, genre, situation sociale, formation, qualification, etc.) ; raisons de leur présence en Algérie ; langue et culture ; 252 emploi dans l’entreprise ; test psychométrique d’approche et de comportement au travail (extraversion, agréabilité, conscience, stabilité émotionnelle, ouverture) ; perception de l’environnement oranais. Concernant le test psychométrique d’approche et de comportement au travail (TACT), ce dernier est défini ainsi : « Un inventaire de personnalité qui a été construit, validé et normalisé auprès d’une population de personnes œuvrant dans des organisations du secteur privé, public et parapublic. Chaque échelle du test a été conçue afin d’évaluer des attitudes et des comportements critiques dans le cadre de situations de travail quotidiennes. Il permet de donner une estimation juste des caractéristiques des personnes dans le cadre de processus de sélection ou d’évaluation du potentiel. » (Modèle de compétences EPSI, p. 2)55. Les questions relatives au TACT ont permis de faire émerger les traits de personnalité au travail regroupés en fonction du Modèle des Big Five ou Modèle des cinq facteurs, (Modèle de compétences EPSI, p. 2). Le modèle des cinq facteurs fait ressortir (a) la stabilité émotionnelle, (b) l’ouverture, (c) le fait d’être agréable dans le sens d’aimable, (d) l’extroversion et (e) le caractère consciencieux synthétisé dans le tableau suivant (Modèle de compétences EPSI, p. 4). Ce modèle a montré une grande stabilité au travers des langues et des cultures (James et al., 2013). Il apparaît que l’agréabilité est liée au pouvoir et à la façon dont il est utilisé avec les autres ; que l’extraversion est liée à la tolérance et la gestion des stimuli extérieurs ; que l’ouverture est liée à l’acceptation de l’expérience et des nouvelles façons de faire ; que la conscience est liée à la capacité de concentration sur les objectifs et que la stabilité est nécessaire à la gestion du stress. Ces deux derniers facteurs, conscience et stabilité émotionnelle sont liés à la capacité de faire évoluer une situation (Barrick et 55 www.compmetrica.com/Documents/PaperPencil/.../FR/FST108_FR.pdf non repris en bibliographie. 253 Mount, 2012). Le tableau 4 reprend les cinq facteurs et les détaille. Tableau 4 Le modèle des cinq facteurs Source : Modèle de compétences (EPSI, p. 4). Au total, 100 travailleurs chinois, occupant différentes positions en entreprise (cadre, maîtrise, exécution), ont répondu aux questionnaires. Ces derniers ont été codés et saisis dans le logiciel SPSS 19. Les résultats sont présentés en mettant en évidence ceux du tri à plat et ceux du test d’approche et de comportement au travail. 2.2.2. Présentation et discussion des résultats Résultats du tri à plat L'analyse des données révèle que la majorité des entreprises appartient au secteur secondaire (43.90%), plus particulièrement celui du bâtiment (97.56%). Les entreprises échantillonnées ont un effectif de plus de 250 employés (51.22%) et la majorité de cet effectif est constituée d’expatriés (57.50%). Les travailleurs chinois résident en Algérie entre six (06) mois et une (01) année ; 254 cette durée est la plus fréquente pour (41 %) des personnes interrogées. 41.5 % des répondants chinois n’ont aucune notion de la langue arabe. 39.1% ont un statut de cadre supérieur ou de cadre ; alors que 41.5 % d’entre eux sont employés pour des travaux d’exécution. La majorité des travailleurs chinois interrogés (51.2%) exerce le même travail que celui précédemment exercé en Chine. La plupart des travailleurs chinois (80.5%) exerce des responsabilités en adéquation avec leurs qualifications professionnelles. 60% d’entre eux déclarent être mieux rémunérés qu’en Chine ; ce qui est une des principales motivations de leur choix pour l’expatriation. Leur salaire mensuel varie entre 18 000 DA et 25 000 DA. C’est la tranche la plus fréquente (43.9 %) qui correspond aux salaires pour les métiers d’exécution. Ce salaire est supérieur à celui perçu par leurs collègues algériens dont le salaire est calculé sur le SMIG, soit 18 000 DA. La durée d’ancienneté dans la fonction exercée varie de six (06) à cinq (05) années. La plupart des travailleurs chinois (61%) ont déjà connu des expériences d’expatriation dans un pays arabe, avant d’arriver en Algérie. Le choix de l’expatriation est une obligation professionnelle (34.1%) pour les uns ; mais plutôt une opportunité professionnelle pour les autres (39%). Résultats du test d’approche et de comportement au travail Ces résultats importantes. font ressortir quelques caractéristiques Dimension relationnelle du travail Les travailleurs accordent un « grand intérêt à leur travail ». En Chine, la frontière entre la relation personnelle et la relation professionnelle n’est pas toujours distincte. La relation professionnelle ne commence véritablement que lorsqu’une relation personnelle, de confiance et d’amitié, s’est nouée dans la 255 durée. Les relations interpersonnelles sont donc très importantes (Gao, 2005) dans la vie professionnelle. Méthode et organisation Comme dans les résultats précédents, le travailleur chinois se déclare « responsable et consciencieux face à ce qu’il entreprend, sa culture l’oblige à garder ses promesses, à planifier ses actes et à être méthodique et organisé dans le cadre de son travail. » Intérêt à diriger et convaincre « Aime diriger les autres dans le cadre de son travail. N'hésite pas à prendre des décisions et à en faire part aux autres. » Sur ces items, les travailleurs chinois ont répondu « Tout à fait d’accord ». La réponse est identique sur l’item « Aime convaincre les autres d'adhérer à ses façons de voir, de faire et de penser. » Atteinte des objectifs et recherche d’excellence L’analyse des réponses montre que les travailleurs chinois sont prêts à travailler dur jusqu’à atteindre leurs objectifs et leurs missions. Leur culture les incite à un travail continu, à être tenaces et à rester déterminés. Comme le constate Faure (2003, p. 75-76), pour être excellent, un Chinois doit « sans cesse apprendre, chercher à se perfectionner, connaître les autres et faire de cette quête un devoir au quotidien, pour une excellence atteignable par tous. » Forte spontanéité et approche directe La majorité des travailleurs ont répondu « D’accord »’ aux questions de spontanéité et d’approche directe dans leurs rapports interpersonnels au travail ; au détriment parfois de la sensibilité 256 d’autrui. Les travailleurs chinois affichent généralement un comportement « spontané et impulsif. » Volonté d’aider les autres et de créer le lien social Les travailleurs chinois « sont prêts à aider un collègue dans le besoin et cherchent la compagnie d’autrui. » Cela s’explique par leur « besoin de vivre en communauté » en plus du besoin « d’adaptation dans leur nouvel environnement. ». Cet élément peut également être rapproché de l’importance des mécanismes moraux d’autorégulation, de la quête de l’harmonie et de la stabilité sociale. Ainsi, le respect de l’âge et de la hiérarchie est essentiel. Il faut donc faire preuve de respect et d’écoute, ce qui peut être considéré comme le fait d’ « avoir du tact. » Intérêt dans le travail d’équipe Les résultats montrent un « grand penchant des travailleurs pour le travail en équipe », ce qui peut s’expliquer par le besoin de vie communautaire surtout pour des travailleurs vivant loin de leurs familles. Assurance, indépendance Les résultats révèlent une tendance marquée pour la franchise chez un travailleur chinois : « Franc, sûr de lui et défend ses idées avec conviction, qu’il agit de façon indépendante » et en fonction de son propre jugement. Émotivité et sensibilité face aux difficultés Les travailleurs chinois apparaissent généralement « peu émotifs » dans leurs réactions au travail et « peu sensibles » aux difficultés. Tolérance au changement On observe un penchant des travailleurs chinois vers « l’initiation et le changement. » Cependant, ils se disent « peu tolérants face aux autres cultures, mais toujours prêts à 257 s’adapter. » Le besoin d’harmonie prime sur l’intérêt du groupe (par extension, la famille et l'entreprise). Éviter les conflits, ne pas perdre la face, maintenir l’harmonie s’avèrent cruciaux pour la communauté et la société tout entière (Chen, 2002). Conclusion L’Afrique est la nouvelle frontière de la Chine (Cabestan, 2013). En Algérie, les entreprises chinoises ont dépassé, en 2014, la France en termes d’échanges commerciaux et de parts de marché et une coopération « très solide » permet, selon l’Ambassadeur chinois en Algérie, de « résister à toutes les épreuves du temps et aux aléas internationaux »56. Cependant, cette présence massive des Chinois en Algérie ne doit pas faire oublier que la création d'emplois reste un critère très sensible pour l’Algérie, confrontée à un taux de chômage élevé. Cette arrivée peut créer des tensions. De même, la Chine est un pays caractérisé par de grandes inégalités géographiques et par de fortes attentes et contraintes sociales qui la fragilisent dans son développement (Paone, 2008). Cependant, la puissance douce (soft power) de la Chine, avec ses moyens diplomatiques, financiers et communicationnels (Cabestan, 2003) permet la prise en compte du contexte et des valeurs algériennes. Gérer la diversité interculturelle n’est cependant pas chose aisée. Notre recherche a permis de mettre en évidence des différences interculturelles, entre la Chine et l’Algérie. Nous observons ainsi des convergences et des divergences significatives qui pourraient influer sur les comportements au travail et la performance des organisations. Notre étude exploratoire présente des limites certaines. Elle mériterait ainsi d’être prolongée par des études plus vastes incluant différents autres facteurs. Tout d’abord, il s’agirait de 56 http://www.jolpress.com/algerie-economie-investissements-francechine-article-818936.html du 18.4.2013. Non repris en bibliographie 258 prendre en compte les différences intra-culturelles. Concernant l’Algérie, la culture est loin d’être uniforme. On distingue généralement huit sous-cultures dans les différentes régions géographiques du pays : Zones côtières ; Hauts Plateaux ; Steppe ; Sud ; Monts de Kabylie ; Monts des Aurès ; Tlemcen Maghnia-Sebdou ; M’Zab (Mercure et al., 1997). De même, la Chine est une société dont la culture hybride (Lang, 1998 ; Li et Scullion, 2006) est caractérisée par trois influences majeures : d’abord, la philosophie confucéenne (Faure, 2003) ; ensuite, la culture collectiviste d’idéologie communiste influencée par le marxisme-léniniste et le maoïsme ; et enfin, l’ouverture vers le monde et notamment vers l’Occident (Gao, 2009). Les différences régionales y sont également marquées (Shi et Wright, 2003) et mériteraient d’être prises en compte dans les recherches futures. Bien que les cultures soient différentes, les communautés de travail composées des Chinois et des Algériens peuvent réussir à créer des synergies positives. Il conviendrait donc de mesurer concrètement l’impact des différences culturelles dans les communautés de travail mixtes. Il faudrait également étudier les facteurs clés de réussite ou d’échec dans la gestion de la diversité interculturelle, afin de créer une bonne synergie et d’optimiser les partenariats d’affaires dans un rapport gagnant-gagnant. En définitive, les implications managériales suggèrent de tenir compte des spécificités culturelles identifiées et de préconiser des modes de gestion appropriés au contexte algérien. Résumé La Chine étend sa présence à un rythme accéléré dans les économies nord-africaines. Elle est actuellement le 12è partenaire de l'Algérie pour les exportations. Elle a détrôné la France pour les importations en 2013, se classant désormais premier fournisseur commercial du pays. En Algérie, la communauté des travailleurs chinois est estimée à environ 35 000 à 50 000 personnes. La problématique de l’article porte sur la façon dont les Chinois s’intègrent dans les communautés de travail 259 algériennes. Assiste-t-on à des modifications de comportement au travail ? Comment dans ce contexte les deux cultures (algérienne et chinoise) influencent-elles les attitudes et les comportements au travail ? Cette diversité permet de mieux comprendre les différences et les similitudes entre les deux communautés de travailleurs. D’une part, l’influence confucéenne oriente la Chine vers une stabilité sociale basée sur des relations individuelles inégalitaires, un socle familial fort, un individualisme faible et une grande capacité à accepter les risques. D’autre part, la société algérienne est guidée par des valeurs dominantes comme la spiritualité, l’autorité, la fierté nationale, la famille. Notre contribution met en évidence ces différences dans les comportements des travailleurs algériens et chinois. Mots clés : différentiation. Chine, Algérie, valeurs interculturelles, Exploratory behavorial analysis of chinese workers in the algerian working community Abstract China spreads its presence at an accelerated pace in the North African s economies, 12th partner of Algeria for the exports, it dethroned France for the imports in 2013, classifying from now on first commercial supplier. In Algeria, workers' community is estimated between 35 000 and 50 000 Chinese. The problematic of the article concerns the way Chinese become socialized into the working communities of Algerian. Do we witness modifications of the work behavior? How in this context both cultures are influencing attitudes and work behaviors? The importance of the differences and the intercultural values allow a better understanding of the differences and similarities between communities. On one side, the Confucian influence leads China to a social stability based on unequal individual relations, strong family basis, low individualism and a large capacity to accept the risks. On the other side, the Algerian values are linked to the 260 traditional ones (spirituality, authority, national pride, family). This article points out the differences observed between Chinese and Algerians workers in Algeria. Keywords: China, Algeria, intercultural values, differentiation. Bibliographie AMES R., ROSEMONT H. (1998), The Analects of Confucius: A philosophical translation. New York, Ballantine. BACHELARD O., MAO J. (2014), « Audit social et RSE en Chine : quelle specificité », Actes de la 16ème Université de Printemps de l’Audit Social, Pékin. 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(1996), Méthodes qualitatives et recherche en gestion, Paris, Economica. 264 Prise en compte des composantes culturelles, historiques et politiques dans les démarches qualité : cas des entreprises certifiées de la Wilaya de Bejaia (Algérie) Mustapha MEZIANI57 Introduction U n système de management de la qualité (SMQ), tel qu’il est défini par la norme ISO 9000 : 2000 éditée par l’organisation internationale de normalisation, est « un système de management permettant d’établir une politique et des objectifs qualité et d’atteindre ces objectifs. Mais aussi d’orienter et de contrôler un organisme en matière de qualité. » Ce système est constitué d'un ensemble d’éléments fonctionnels : les sous systèmes de gestion tels que le sous système de planification, d’organisation, d’animation des systèmes de gestion et d'éléments "micro génétiques"58 : 57 Maître de conférences A, Faculté des sciences économiques, sciences de gestion et commerciales, Université de Bejaia (Algérie) [email protected] 58 Cette présentation reprend la décomposition des systèmes de gestion de Jarniou et Tabatoni (1975), suivant les composantes génétiques (les caractéristiques de pouvoir et les caractéristiques culturelles) et les 265 l’histoire d’une entreprise, ses caractéristiques culturelles et ses caractéristiques de pouvoir (Jarniou, Tabatoni, 1975). Ces deux ensembles d’éléments (éléments fonctionnels et micro génétiques) interagissent entre eux pour atteindre l’objectif du SMQ qui est la production de la qualité. Le schéma global du SMQ est important à décrire dans la mesure où le contexte (notamment culturel, historique et politique) dans lequel il est mis en place détermine largement son efficacité managériale (degré de réalisation des objectifs du SMQ). L’expérience des entreprises algériennes en matière de SMQ est relativement récente. Si les SMQ semblent être "compris" ou tout au moins connus du point de vue de leurs composantes fonctionnelles, à savoir les démarches de mise en place et la documentation nécessaire pour cela, nous sommes en droit de penser que les composantes micro des SMQ ne sont pas intégrées ou ne sont pas prises en compte dans les démarches de mise en place des SMQ par les entreprises. Autrement dit, nous nous posons la question de l’importance ou/et du poids (influence et dépendance) de chaque composante dans le développement d’un SMQ au sein des entreprises algériennes. Par ailleurs, nous pensons que l’efficacité managériale dépend, de notre point de vue, aussi bien de la gestion des éléments fonctionnels des SMQ (plus classiquement pris en compte) que de ses éléments "micro génétiques" constitués de valeurs culturelles et de styles de leadership pratiqués dans les entreprises. En considérant que les SMQ sont de nature complexe et qu’ils impliquent tous les acteurs (internes et externes) de l’organisation, nous proposons de mettre en évidence le schéma d’impact des composantes du SMQ, en mettant l’accent sur les composantes micro génétiques des SMQ ; et plus particulièrement sur les caractéristiques culturelles. Plus concrètement, nous pensons que les systèmes de valeurs propres des entreprises sont des facteurs essentiels de composantes fonctionnelles (la composante planification, l’organisation et l’animation des systèmes de gestion). 266 l’efficacité des composantes fonctionnelles des SMQ. Dans ce travail, l’attention particulière sera enfin accordée aux styles de leadership et à leur impact sur l’efficacité des SMQ. Pour argumenter notre analyse, nous avons réalisé une enquête auprès de 17 entreprises certifiées dans la Wilaya de Béjaïa (Algérie). En utilisant la méthode d’échantillonnage par quota, nous avons pu recueillir les opinions de 1456 salariées (Meziani, 2012). Les données collectées par un questionnaire auto-administré59 ont été traitées à l’aide du logiciel MicMac, en utilisant, d’une part, l’analyse structurelle (étude prospective) ; et à l’aide du logiciel SPSS, en utilisant, d’autre part, l’analyse statistique. Cette dernière nous permet de détailler et de comprendre le poids (en pourcentage) de chaque variable d’entrée identifiée dans l’analyse structurelle. Le texte est structuré en deux parties. Dans la première partie, nous nous appuyons sur un certain nombre de travaux spécialisés (revue littéraire ou état de l’art) pour traiter essentiellement de l’interaction des composantes des SMQ et des systèmes culturels. Dans la deuxième partie, nous présentons l’étude empirique (terrain, échantillon, modes de recueil et de traitement des informations, synthèse et discussion des résultats. Deux perspectives sont développées dans cette partie. Dans la perspective analyse structurelle (analyse prospective), nous avons demandé aux cadres et agent de maîtrise (475 personnes) de structurer les variables du SMQ selon leur importance afin de dégager un modèle du SMQ adapté au contexte algérien ; sans faire un jugement sur ces variables (c'est-à-dire sans appréciation des variables si elles sont bien maîtrisées ou mal maîtrisées). Alors que dans la perspective appréciation des caractéristiques socioculturelles, 59 Le contact face à face a été utilisé afin que les réponses des enquêtés ne soient pas influencées par leurs supérieurs hiérarchiques et aussi pour une meilleure compréhension des questions posées et la précision des réponses. 267 nous vérifions dans la réalité comment ces dernières peuvent agir. Autrement dit, nous vérifions si les dimensions socioculturelles étudiées freinent ou stimulent le développement des SMQ (telle qu’il est conçu par les acteurs de terrain dans l’analyse structurelle ou dans l’étude prospective). Enfin, dans la conclusion, nous faisons la synthèse des enseignements tirés de la recherche ; ainsi que la mise en perspective des recherches futures sur le sujet. 1. Interaction des composantes des SMQ et des composantes culturelles, historiques et politiques des démarches qualité : revue de la littérature Cette partie, dédiée à la revue de littérature et à l’état de la recherche, fait d’abord un focus sur la prééminence de l’impact des systèmes des composantes micro génétiques sur les composantes fonctionnelles des systèmes de management de la qualité. Elle analyse ensuite la dimension culturelle du système de management de la qualité. 1.1. Prééminence de l’impact des composantes micro génétiques sur les composantes fonctionnelles des systèmes de management de la qualité Le système de management est déterminé et modelé par les composantes "micro génétiques" correspondant aux caractéristiques culturelles, aux caractéristiques de pouvoir et à la composante historique de la vie de l’entreprise. Ces mêmes composantes sont, à leur tour, façonnées par les composantes "macro génétiques" de chaque pays. Jarniou et Tabatoni (1975) ont développé la notion de composante génétique (caractéristiques culturelles, politiques et historiques) des systèmes de gestion. Nous reprenons cette notion en la décomposant en deux catégories : micro génétique (relative aux 268 caractéristiques de chaque entreprise) et macro génétique (relative aux caractéristiques de chaque pays). La transposition des principes d’un modèle organisationnel, tel que le modèle préconisé par la norme ISO 9000 version 2008, se heurte aux barrières culturelles ainsi qu’à la diversité des contextes économiques et sociaux. Les processus d’adoption, par des firmes étrangères, des principes supposés universels peuvent être freinés ou favorisés par l’environnement macro-économique ; par le degré de « perméabilité ou de résistance sociotechnique » (Cost et Gianfaldoni, 1998) ; et par les styles de management dominants dans les pays et les firmes. L’internationalisation des modèles de gestion de la qualité ne doit donc pas conduire à oublier ni à négliger le fait que les entreprises sont enracinées dans des constructions culturelles, historiques et sociales qui influencent la manière dont elles sont gérées. Il apparaît évident que l’histoire des communautés de travail doit prendre en compte « l’autonomie des comportements des travailleurs de chaque entreprise, selon sa culture particulière. » (Caron, 1992, p. 339). Shiba et al. (1997, p. 44) font ce constat sur le développement des TQM : « Les concepts du TQM ont été développés au fil des années par un grand nombre d'entreprises qui cherchaient à améliorer la qualité de leurs produits et de leurs services. Ce n'est pas une philosophie abstraite. Il n'y a pas non plus une seule bonne méthode d'application du TQM. Celle-ci doit être adaptée à la culture et à l'histoire de chaque entreprise. » En effet, une organisation est d’abord un groupe d’individus dont les valeurs ont été forgées dans un milieu socioculturel, à travers son cheminement historique, et sous l’influence des facteurs environnements (physiques, religieux, politiques, etc.). Ce sont autant d’éléments qui mettent en évidence l’impératif de prendre en compte les particularismes culturels, historiques et politiques dans le développement des modes de management de la qualité. Ainsi, selon d’Iribarne (1987), en 269 Afrique, du fait de l’indifférenciation des « méthodes indigènes de gestion », l’utilisation des méthodes dites "modernes" de gestion devrait tenir compte de la faculté de leur réinterprétation par les différents acteurs ; sur la base de leurs références culturelles. Nous résumons, dans le schéma récapitulatif ci-dessous, notre hypothèse de la prééminence de l’impact des composantes micro génétiques sur les composantes fonctionnelles des systèmes de management de la qualité. 270 Source : synthèse de l’auteur. 271 Schéma 1 : Impact des composantes micro génétiques sur les SMQ Ce schéma montre l’importance de l’histoire d'une entreprise dans la construction de ses caractéristiques culturelles et de ses caractéristiques de pouvoir. Toutes ces caractéristiques génétiques ont des conséquences sur les SMQ, car elles les façonnent et les modèlent au point d’influer sur leur efficacité. Les composantes micro génétiques concernent les caractéristiques culturelles et les modes de gestion des relations de pouvoir de l’entreprise. Ces composantes micro génétiques sont façonnées par la composante historique de l’entreprise. Cette dernière est considérée, par Jarniou et Tabatoni (1975), comme une composante majeure des systèmes de gestion en ce sens qu’elle joue un rôle important dans les processus adaptatifs de prise de décision et de planification de la qualité ; et ce à cause de la mémoire collective qui se construit au sein de l’entreprise. La composante historique façonne l’image perçue aussi bien à l’intérieur de l’entreprise (dirigeants, salariés) qu’à l’extérieur de l’entreprise (clients, fournisseurs, parties prenantes). De ce fait, la composante historique et les composantes micro génétiques affectent particulièrement les composantes fonctionnelles des SMQ. 1.2. Dimension culturelle du système de management de la qualité (SMQ) Si les normes internationales ISO liées aux SMQ peuvent être internationalisées et standardisées, les composantes génétiques, quant à elles, ne peuvent pas faire l’objet d’une standardisation et d’une internationalisation ; car elles sont spécifiques à chaque pays, à chaque entreprise voire à chaque métier. Par voie de conséquence, les résultats en termes de performance des SMQ répondant à la norme ISO sont différents d’une entreprise à une autre ; suivant leurs caractéristiques culturelles, historiques, managériales et politiques. L’importance que jouent les facteurs culturels dans la performance des entreprises a été démontrée notamment dans les entreprises japonaises. Le succès de ces dernières, par leurs produits et les meilleurs rapports qualité/prix, est principalement 272 lié au rôle de la culture. Ce qui s’explique par la transplantation des valeurs traditionnelles de solidarité, d’abnégation et de respect de la hiérarchie dans l’entreprise. Dans ce sens, Sainsaulieu (1987, p. 206) soutient que « nul doute que l’exemple de la réussite du modèle japonais est déterminant pour faire comprendre comment une culture sous-tend l’adhésion individuelle des travailleurs aux efforts de formation, de mobilisation, de durée de travail et de satisfaction économique pour conserver à l’entreprise son battant commercial. » Certes, la culture d’entreprise et le projet d’entreprise présentent un intérêt pour la gestion du SMQ. Mais il faut relativiser cet intérêt, car tout dépend des caractéristiques de la culture d’entreprise qui peut être rigide ou souple, fermée ou ouverte. Si la culture d’entreprise est rigide, alors elle aura un effet négatif dans la mesure où elle sera une source d’immobilisme et de résistance aux changements. L’origine de la résistance au changement réside dans l’affectation des relations de pouvoir et s’explique souvent par le faible contrôle de l’incertitude par les acteurs ; ce qui peut conduire, dans certains cas, au dysfonctionnement des SMQ. En revanche, si la culture d’entreprise est souple, ouverte et adaptative face aux défis de l’environnement, elle sera un facteur de compétitivité dans la mesure où elle permet une meilleure cohésion du personnel qui améliore à son tour son efficacité au travail. Elle est aussi un levier de motivation sur lequel on agit dans l’animation du SMQ. Le projet d’entreprise est un instrument dont peut disposer une entreprise pour formaliser ses caractéristiques culturelles. En effet, la culture d’entreprise existe dans toutes les entreprises de manière formelle ou informelle (culture officielle, contre-culture, etc.) La direction de l’entreprise peut cependant la formaliser par un projet d’entreprise qui fixe les valeurs clefs choisies par la direction de l’entreprise. Ce projet n’a d’intérêt que s’il est traduit en actions immédiatement évaluables. Quant aux caractéristiques du pouvoir, d’après Jarniou et Tabatoni (1975), elles sont moins flexibles et plus inertes que la 273 culture d’entreprise. En effet, au sein du pouvoir, il convient de déceler les éléments "constitutionnels" les plus stables car ils forment le noyau du pouvoir. Selon ces mêmes auteurs, les caractéristiques de pouvoir sont : la localisation du pouvoir dans certains groupes de l’organisation ou chez certaines personnes ; la forme et la nature de pouvoir et d’autorité ; le degré d’autonomie par rapport au pouvoir extérieur à l’organisation (pouvoir macro) ; le degré de stabilité des pouvoirs dans l’organisation et la flexibilité (capacité et volonté de changement ou de résistance aux changements). Ainsi, l’efficacité des SMQ dépend largement des systèmes de gestion des pouvoirs de l’entreprise. Si le pouvoir au sein de l’entreprise est centralisé, ce qui est le produit d’un style de leadership autoritaire, il débouchera par exemple sur un système de planification et de prise de décision des SMQ centralisé, une structure organisationnelle rigide et hiérarchique. Par contre, si le pouvoir au sein de l’entreprise est décentralisé, ce qui est le produit d’un style de leadership participatif, il influencera le choix du système de planification et le processus de prise de décision qui seront décentralisés. Ainsi, les processus de planification et de prise de décision seront l’œuvre de l’ensemble des membres de l’entreprise. La centralisation et la décentralisation des pouvoirs au sein de l’entreprise sont à leurs tours façonnées par le degré de centralisation et de décentralisations des systèmes de pouvoir au sein d’un pays ou d’une région ; suivant leurs caractéristiques historiques, politiques, géographiques, religieuses, économiques et technologiques. Il est indéniable que les caractéristiques du système de gestion des pouvoirs, au niveau micro, sont souvent sous l’influence des caractéristiques du mode de gestion du pouvoir aux niveaux macro sociologique ou macro politique (cas de l’Algérie). Dans ce dernier pays, Mercure et al. (1997) ont effectué une étude sur un échantillon de 1053 salariés représentatifs de l’ensemble des salariés algériens du secteur privé et public. Leurs 274 résultats ont confirmé certaines dimensions culturelles (en milieu du travail), notamment une forte tendance à éviter l’incertitude, une mentalité communautaire élevée et une distance hiérarchique "moyenne". Pour comprendre le contexte socioculturel (niveau macro génétique), nous reprenons quelques dimensions de la culture développées par deux auteurs (Hofstede, 1994 et Trompenaars, 1994). 1.2.1. Individualisme et collectivisme Cette dimension « exprime le degré d'autonomie par rapport au groupe et aux normes sociales, la plus ou moins grande solidarité du groupe et le degré d'attachement aux valeurs communautaires. » (Hofstede, 1994, p. 47). 1.2.2. Distance hiérarchique L’indice de distance hiérarchique retenu est élevé, lorsque les subordonnés préfèrent un patron autocrate. Moins il sera élevé, plus ses relations seront caractérisées par une interdépendance. Hofstede en conclut que les pays du tiers monde, dont ceux d’Afrique, ont une distance hiérarchique forte. Il fait le constat que l’Afrique et les pays de confession religieuse musulmane possèdent un rapport très strict à la hiérarchie, avec une distance hiérarchique élevée. 1.2.3. Contrôle de l’incertitude Pour Hofstede, dans les pays à faible indice de contrôle de l’incertitude, le risque est accepté. Par exemple, dans le cas du changement de métier ou de la participation à des activités non réglementées. Les membres d'une société à fort indice de contrôle de l’incertitude sont éduqués, depuis leur petite enfance, à se sentir à l'aise dans des environnements fortement structurés qui ont une faible tolérance au hasard. 275 1.2.4. Objectivité ou subjectivité Il s’agit, selon Trompenaars (1994, p. 35), du degré des sentiments exprimés : « La nature des relations de travail est-elle objective et neutre, ou peut-elle exprimer un sentiment? L'expression des émotions est-elle permise ? La nature de nos relations doit être objective ou neutre, où est-il acceptable d'exprimer un sentiment ? » 1.2.5. Attitude vis-à-vis du temps Trompenaars (1994, p. 36) rappelle en ces termes les différenciations dans les représentations et les pratiques temporelles dans les sociétés : « Dans certaines d'entre elles, ce qui a été réalisé par quelqu'un dans le passé n'est pas assez important. Il est plus essentiel de connaître quels sont ses projets à terme. Dans d'autres sociétés, vous ferez plus d'effet avec ce que vous avez fait dans le passé que ce que vous faites aujourd’hui. » 1.2.6. Attitude vis-à-vis de l’environnement Cette dimension interpelle sur le type de rapport que l’individu entretient avec la nature. Trompenaars (1994, p. 37) fait ce constat : « Pour certaines cultures, ce qui affecte essentiellement la vie, ce qui est à l'origine du vice et de la vertu, c’est la personne humaine. Pour d'autres cultures, le monde l’emporte en puissance sur les individus. Pour eux, la nature, c'est quelque chose qu'il faut craindre ou imiter. » En résumé, Hofstede (1994) montre qu’il n’y a pas de convergence culturelle entre les sociétés. Les styles de management sont influencés par les cultures nationales. Chaque société et chaque pays produisent des normes nationales pour le management des entreprises. Trompenaars (1994), quant à lui, considère que chaque culture se distingue des autres par les solutions spécifiques qu'elle apporte à certains problèmes qu’il considère comme universels. L’auteur note que ces différences culturelles influencent incontestablement les activités des 276 entreprises dans les domaines comme la planification, la stratégie, les investissements et la politique de promotion interne. L’objectif de cette première partie est de comprendre, d’abord, le contexte culturel, politique et historique et de le comparer, ensuite, aux exigences de la qualité requise. Ce n’est qu’à partir de cette compréhension qu’on opérera les ajustements nécessaires afin de garantir la réussite des SMQ. Car, on ne peut plus occulter l’impact des dimensions socioculturelles sur les pratiques managériales ; malgré les tentatives d'uniformisation par la normalisation des processus et des pratiques de management. Dans la partie suivante, nous examinons (à partir des expériences de 17 entreprises certifiées) dans quelle mesure le contexte socioculturel de la région de Bejaia (Algérie) favorise ou freine le développement des SMQ. Nous présentons, au préalable, la méthodologie d’enquête ; ensuite, les résultats de l’analyse structurelle (étude prospective) de la manière dont les acteurs de terrain élaborent et utilisent le système de management de la qualité. Par la suite, nous ferons une appréciation des caractéristiques socioculturelles à l’échelle macro (vérification de la correspondance éventuelle entre les exigences, les variables du SMQ et le contexte socioculturel). 2. Impact des composantes "génétiques" sur les systèmes de qualité au sein des entreprises certifiées en Algérie 2.1. Méthodologie Pour mieux appréhender l’impact des composantes micro génétiques sur l’efficacité des SMQ, nous avons effectué une enquête auprès des entreprises certifiées de la Wilaya de Bejaïa (Meziani, 2012). Ce qui nous a permis de faire une analyse structurelle (étude prospective) ainsi que l’appréciation des caractéristiques culturelles, historiques et de pouvoir. 277 2.1.1. Mode de collecte des données La collecte des données s’est étalée sur une période de six mois. Les données recueillies restent statiques dans le temps, dans la mesure où l’outil utilisé à cet effet n’a été administré qu’une seule fois à chaque enquêté. L’enquête concerne les entreprises industrielles, commerciales et de prestation de service. L’outil utilisé est un questionnaire administré par voie directe (déposé directement auprès des responsables des entreprises concernées). L’échantillon a été construit en tenant compte de l’ensemble des entreprises certifiées de la Wilaya de Bejaïa. Les questions sont présentées sous forme d’affirmations ou d’infirmations d’une attitude face à une situation donnée. Cette technique facilite les analyses statistiques sur les données recueillies, augmente la fiabilité des résultats et permet de quantifier des dimensions qualitatives. Le questionnaire d’enquête est composé de deux parties. La première partie est réservée à l’analyse prospective : l’analyse structurelle et l’analyse des stratégies d’acteurs (cette dernière analyse n’est pas référencée dans le présent article, compte tenu des exigences éditoriales imposées). Pour cette analyse structurelle, 475 personnes (agents de maîtrise et cadres) sont interrogées. La deuxième partie est réservée à l’appréciation de l’ensemble des variables telles qu’elles sont pratiquées dans les entreprises (à l’échelle micro) ; ensuite une appréciation des dimensions culturelles à l’échelle macro (1456 personnes sondées). Et ce, pour vérifier pratiquement la conception que les acteurs concernés ont du modèle de SMQ adapté au contexte algérien. 2.1.2. Construction de l’échantillon L’échantillon est construit à partir des résultats du recensement de toutes les entreprises certifiées de la Wilaya de Bejaïa. À partir des listes d’entreprises certifiées fournies par l’Institut algérien de normalisation (IANOR), nous avons sélectionné les entreprises dans la région de Bejaïa. Notre échantillon comporte 17 entreprises dont 6 publiques et 11 privées de différents effectifs et secteurs 278 d’activités (13 entreprises industrielles, 2 entreprises commerciales, 2 entreprises de prestations des services). Le tableau ci-après illustre la répartition de l’échantillon par secteur d’activité et par effectif. Tableau 1 : Répartition des entreprises retenues suivant les secteurs d’activités et l’effectif salariés Entreprise Secteur Effecti Effecti Effectif d’activité f cadre f agent agent d’exécutio de maîtris n e EPB Prestation de 271 143 312 service ALCOVEL Industriel : 49 57 570 textile 2A Prestation de 04 02 06 service : assurance BATICOMPO Industriel : 08 12 130 S bâtiment 61 143 334 TCHIN-LAIT Industriel : CANDIA agroalimentai re 50 132 340 AMIMER Industrie : ENERGIE groupe électrogène CEVITAL Industriel : 190 320 990 agroalimentai re ENASEL Commerciale 2 6 11 : distribution de sel ERIAD SIDI- Industriel : 31 71 84 AICH meunerie IFRI Industriel : 32 80 210 boissons 279 OLPLAST SOUMMAM UP7 FRUICADE NAFTAL SNTP DANONE diverses Industriel : transformatio n plastique Industriel : laiterie Industriel : agroalimentai re Industriel : boissons diverses Commercial : distribution carburant Industriel : travaux publics Industriel : laiterie Effectif total 07 39 59 73 136 551 90 140 420 14 23 90 51 59 102 60 160 300 120 160 320 8525 Source : étude empirique De facto, toutes les catégories du personnel sont concernées par la problématique de l’impact des caractéristiques "génétiques" (cultures et histoires de l’entreprise et du pays, management et organisation, leadership et mode de gestion des relations de pouvoir au sein de l’entreprise et dans le pays) sur les SMQ (mise en place et fonctionnement concret). Pour construire l’échantillon des travailleurs à interroger, nous nous sommes appuyés sur une liste de travailleurs par catégorie socioprofessionnelle. La méthode des quotas a été privilégiée. Nous avons interrogé, dans le cas de l’Entreprise portuaire de Bejaïa (EPB) 120 travailleurs sur une population mère de 726 personnes (agents de maîtrise et agents d’exécution) ; soit 17% de l’effectif. Le même pourcentage est 280 retenu pour l’ensemble des entreprises certifiées, sans tenir compte des cadres avec qui nous nous sommes entretenus sur certains thèmes. Il n’a pas été possible d’avoir accès à certaines données personnelles (genre, âge) considérées comme confidentielles dans les entreprises étudiées. Le tableau suivant présente la procédure de construction de l’échantillon des travailleurs de l’Entreprise portuaire de Bejaïa. La même procédure est utilisée dans la construction de l’échantillon sondé de l’ensemble des entreprises certifiées. 281 4,68 2,34 1,3 0,82 6,05 8,26 0,27 0 5 2 1 1 d’exécution maîtrise 6 8 1 0 d’exécution Agents de Agents 61 282 L’effectif en pourcentage représente le rapport entre l’effectif par direction et l’effectif total des directions. L’échantillon à sonder représente l’effectif en pourcentage arrondi à l’unité. Par exemple, l’effectif (agents de maîtrise) en pourcentage de la direction marketing représente 0,83 et nous retenons dans ce cas un (1) agent de maîtrise dans l’échantillon à sonder. Le raisonnement est identique pour le reste de l’échantillon à sonder. 60 34 44 2 Direction capitainerie 10 Direction Finance et comptabilité 0 60 6 Direction Marketing d’exécution maîtrise Direction domaine et développement 17 Maîtrise Direction Agents Agent de Agent de Agents Effectif en pourcentage6 Echantillon à sonder61 Effectif par direction Tableau 2 : Tableau de répartition des travailleurs sondés 5 24 143 Direction Management Qualité Direction remorquage Direction manutention Source : étude empirique 18 Direction Ressources humaines 283 312 23 0 28 19,66 3,30 0,68 2,47 42,91 3,16 0 3,85 20 3 1 2 43 3 0 4 Il est à noter que la totalité (100%) des travailleurs sondés a répondu à l’intégralité du questionnaire. Cela a été possible grâce au contact direct lié à notre présence sur le terrain pendant l’étude empirique. La relation de face à face a été utilisée afin que les réponses des enquêtés ne soient pas influencées par leurs supérieurs hiérarchiques ; et aussi pour une meilleure compréhension des questions et des réponses. 2.1.3. Analyse des données Dans ce développement, nous allons identifier les déterminants du système qualité à travers une analyse structurelle des principales composantes du SMQ des entreprises certifiées de la Wilaya de Bejaïa. Il s’agit d’apprécier les influences et les dépendances des variables essentielles du SMQ, en utilisant l’analyse Micmac grâce au remplissage de la matrice de base intégrée dans le questionnaire d’enquête. Les étapes suivantes sont respectées : - établir une liste de variables dans un tableau à double entrée (matrice d’analyse structurelle), en procédant par brainstorming et par entretien avec les acteurs du système qualité ; - attribuer une note ligne par ligne en répondant à la question suivante : Existe-il une relation d’influence directe entre la variable X et la variable Y ? ; - si une variable d’une colonne a une influence sur une variable de ligne, on inscrit 1 à l’intersection de la ligne et de la colonne ; et s’il n’y a pas de relation d’influence, on inscrit 0 (influence faible=1, influence moyenne=2, influence forte=3, influence potentielle= p) ; - faire une synthèse des scores de l’ensemble des entreprises certifiées en retenant la majorité des propositions. 284 Le principal objectif visé par l’analyse structurelle (étude prospective) est d’identifier les variables les plus importantes dans la détermination de l’évolution du SMQ. Inspirée de la théorie des graphes (Berge, 1958), l'analyse structurelle repose sur la description d’un système à l'aide d'une matrice mettant en relation tous ses éléments constitutifs. En pondérant ces relations, la méthode met en évidence les variables essentielles à l'évolution du système étudié. En ce qui concerne les outils de calcul, nous avons utilisé le logiciel Micmac (Matrice d’Impacts Croisés, Multiplication Appliquée à un Classement) développé par Godet (2007). 2.1.4. Données d’entrée prévues ou prédéfinies afin de pouvoir identifier les variables explicatives L’identification des variables part tout d’abord de la reproduction d’une liste exhaustive de tous les paramètres identifiés lors des réunions en brainstorming organisées avec les acteurs qualité (responsables qualité, auditeurs qualité, correspondants qualité et cadres pluridisciplinaires). Il s’agit des réunions de consultation des cadres et agents de maîtrise dans chaque entreprise. Nous avons retenu uniquement les cadres et agents de maîtrise, soit 475 personnes parce qu’ils ont un niveau d’instruction leur permettant de donner une appréciation sur l’ensemble des variables intervenant dans le SMQ. Avec leur accord, nous avons retenu, au final, 16 variables clés intervenant directement dans la gestion du SMQ. Puis nous leur avons demandé d’apprécier les influences et les dépendances des variables essentielles du SMQ, en utilisant l’analyse Micmac grâce au remplissage de la matrice de base intégrée dans le questionnaire d’enquête. Nous avons relevé de cette manière 80 paramètres regroupés en 16 variables susceptibles d’interférer dans le système qualité. En effet, ces variables regroupent plusieurs paramètres dont par exemple le système d’organisation qui comprend la structure organisationnelle, les procédures, le manuel qualité, les instructions et les modes opératoires. Le 285 système d’animation regroupe les salaires, les promotions, la gestion des carrières, la formation, les conditions de travail, etc. Cette étape consistait donc en un premier tri suivi d’un regroupement permettant d’alléger la représentation du SMQ. Les réunions en brainstorming (475 personnes, soit 17% de l’effectif total des cadres et agents de maîtrise sans les agents d’exécution qui ont des difficultés à comprendre le contenu de chaque variable) ont contribué d’une manière conséquente à la précision des variables à retenir. Cette étape a permis de retenir 16 variables citées ci-après. La liste des variables retenues du SMQ a été validée lors des réunions de réflexion avec les acteurs du SMQ des entreprises certifiées. Tableau 3 Liste des variables clés du SMQ et leurs codifications - Management des - Style de leadership (stylcompétences (man-comp) lead) - Culture d'entreprise (cult- - Management de la flexibilité (man-flex) entr) - Veille stratégique (veil-str) - Système d'information - Nouvelle technologie de (syst-info) l'information et de - Système de décision communication (NTIC) (syst-déc) - Efficacité managériale - Système de planification (effica-man) (syct-plan) - Efficience managériale - Système d'organisation (efficience) (syst-org) - Satisfaction des parties - Système d'animation prenantes (satisf-pp) (syst-anim) - Système opérationnel (syst-opér) - Système de contrôle (systcontr) Source : étude empirique Sans reprendre l’explication exhaustive pour chaque variable, nous synthétisons le contenu de chacune comme suit : 286 - leadership (leader) : style de leadership adopté par les dirigeants pour influencer les individus à produire la qualité ; la situation souhaitée est le développement d’un style participatif exigé par la norme ISO 9001 ; cette variable leadership désigne également l’autorité et le pouvoir exercés dans les entreprises ; - histoire de l’entreprise (histoire) : événements marquant (moments de réussite ou d’échec) qui créent une mémoire collective propre ; - culture d'entreprise (cult-entr) : valeurs partagées par les membres d’une entreprise (par exemple, le service client avant tout) ; - système d'information (syst-info) : ensemble de moyens humains, matériels et des méthodes qui se rapportent au traitement de l’information permettant d’alimenter le système décisionnel ; - système de décision (syst-déc) : ensemble des éléments (personnel, procédures, matériels, etc.) qui interviennent dans le processus de prise de décision ; - système de planification (syct-plan) : processus d’orientation des activités qui déterminent leur nature, leur localisation et leur distribution temporelle ; il fait référence à la politique et aux objectifs qualité. - système d'organisation (syst-org) : infrastructure du système de gestion en instituant des organes dotés de ressources, en définissant et en pratiquant des procédures opératoires et en instituant des structures administratives qui définissent les rôles et les responsabilités ; - système d'animation (syst-anim) : ensemble des moyens d’action utilisés pour stimuler les ressources psychologiques et affectives qui alimentent les motivations, et pour obtenir de tous les membres de 287 l’organisation l’adhésion aux objectifs, et la contribution à l’effort commun demandé par les dirigeants ; - système opérationnel (syst-opér) : processus de production de la qualité qui intègre toutes les étapes essentielles à la transformation des éléments d’entrées (ressources) en éléments de sorties (produits) ; ce processus passe par la conception, le développement, la production, l’installation et les prestations associées ou service après-vente ; - management des compétences (man-comp) : stock de ressources immatérielles économiquement productives : formation, accès à l’information et connaissance en sont les principales composantes ; - management de la flexibilité (man-flex) : capacité des individus et des organisations à s'adapter facilement aux circonstances nouvelles et imprévisibles ; - veille stratégique (veil-str) : activité continue et en grande partie itérative visant à une surveillance active de l’environnement technologique, commercial, concurrentiel pour anticiper les évolutions ; - nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) : ensemble des nouveaux outils d’information et de communication apparus ces dernières années, essentiellement dans le domaine de l’informatique ; - efficacité managériale (effica-man) : capacité du SMQ à réaliser les objectifs qualité contenus dans la politique qualité ; - efficience managériale (efficience) : capacité du SMQ à réaliser les objectifs qualité avec une économie des moyens ; 288 - satisfaction (satisf) : état de satisfaction des besoins des travailleurs et des clients ; la situation souhaitée est la satisfaction des besoins d’une manière durable. Ces différentes variables essentielles pour le bon fonctionnement du SMQ vont alimenter la matrice d’entrée présentée ci-dessous. 2.1.5. Matrice d’entrée : matrice des relations d'influences directes entre les variables définissant le système qualité adapté à l’Algérie La matrice d’entrée est la Matrice d’Influence Directe (MID) entre les variables citées ci-dessus par une session de scoring. Cette matrice décrit les relations d'influences directes entre les variables définissant le système qualité. Les influences sont notées sur une échelle de 0 (pas d’influence), 1 (influence faible), 2 (moyenne) à 3 (forte) ; avec la possibilité de signaler des influences potentielles (p). La matrice d’entrée nous a permis d’obtenir le tableau ciaprès de dépendance et d’influences totales des variables. Nous avons ainsi, à partir des totaux, en ligne : les sommes exprimant le poids total de la variable en influence, et en colonne : la variable en dépendance. Le tableau ci-dessous nous renseigne sur les sommes en ligne et en colonne de la matrice MID. Les sommes hiérarchisent les variables du système qualité par ordre d'influence. Si le total des liaisons en ligne indique l'importance de l'influence d'une variable sur l'ensemble du système qualité (niveau de motricité directe), le total en colonne indique le degré de dépendance d'une variable (niveau de dépendance directe). Dans notre cas, la satisfaction des parties prenantes, l’efficience et l’efficacité managériales constituent les trois premières variables dépendantes. Quant aux trois premières variables motrices (influence) qui assurent le mouvement du système de management de la qualité, il s’agit de l’histoire de l’entreprise, de la culture d’entreprise et du style de leadership 289 (intégrant le pouvoir et l’autorité exercée au sein de l’entreprise). Tableau 4 : Dépendance et influence totales des variables N° VARIABLE TOTAL TOTAL DES 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 Style de leadership Culture d'entreprise Histoire de l'entreprise Système d'information Système de décision Système de planification Système d'organisation Système d'animation Système opérant Système de contrôle Management des compétences Management de la flexibilité Veille stratégique Nouvelles technologies de l'information et de communication Efficacité Efficience Satisfaction des parties prenantes Totaux Source : étude empirique DES LIGNES COLONNES 48 48 48 31 31 33 26 29 34 36 41 28 27 27 38 36 31 35 36 33 30 34 35 30 30 32 32 37 27 22 21 40 39 39 572 572 2.2. Résultats de l’analyse structurelle : hiérarchisation des variables du système qualité Selon l’importance de leur dépendance, les variables du système peuvent être classées en 6 catégories que le logiciel 290 Micmac positionne sur un plan influence/dépendance : les variables d’entrée comme déterminantes du système ; les variables résultats en aval du système ; et à un degré moindre les variables conditions ; les variables résultantes en aval du système ; les variables relais et les variables "pelotons" au cœur du système ; et les variables pouvant être exclues du système. 291 292 Sourcce : étude empiriqque à l’aide du loggiciel MicMac. Figure 1 Plan d’in nfluence/dépendaance - classificatiion des variables du système quallité adapté à l’Alg gérie Nos résultats révèlent quatre catégories de variables. 2.2.1. Les variables d’entrée En amont du système, sont positionnées comme variables d’entrée les plus déterminantes du SMQ : le style de leadership, l’histoire de l’entreprise et la culture d’entreprise. Ce sont des variables à la fois très influentes et peu dépendantes. À ce titre, elles pilotent et commandent le système qualité exerçant ainsi une influence nette en ayant une emprise sur le SMQ par simulation ou par freinage. En effet, les acteurs qualité ont souligné l’importance du choix d’un style de leadership pouvant influencer positivement les individus à s’impliquer volontairement à produire la qualité. De même, ils ont souligné l’importance de la culture d’entreprise et donc le partage des mêmes valeurs renforçant la qualité et la cohésion du personnel pour un travail d’équipe. L’importance de l’histoire de l’entreprise peut être constatée au niveau de la mémoire collective, renforçant le sentiment d’appartenance à l’organisation. 2.2.2. Les variables conditions Le système de contrôle et le management de la flexibilité sont des variables moins dépendantes et largement influentes. Au même titre que les variables d’entrée (mais avec un degré un peu moindre), ces variables ont une influence prépondérante sur la détermination du système qualité. En effet, le système de contrôle est considéré par les acteurs qualité comme déterminant dans toute démarche qualité. Sans quoi la pérennité du SMQ sera compromise. Il assure la coordination de l’ensemble des sous-systèmes de gestion ainsi que de l’évaluation de leur performance. Quant au management de la flexibilité, étant donné que les SMQ sont qualifiés de bureaucratiques et rigides dans les précédentes versions, la flexibilité assure la souplesse et la réactivité nécessaires à la satisfaction des besoins des clients. 293 2.2.3. Les variables relais Le management des compétences est classé dans la catégorie des variables "relais". Du fait à la fois de sa forte dépendance et influence, toute évolution observée au niveau de cette variable relais se répercute directement sur les autres variables. Les variables relais redistribuent l’influence dans le système qualité avec plus ou moins d’amplification voire d’absorption de l’impulsion initiale ; et va ainsi dépendre de la résilience du SMQ. La position de cette variable « management des compétences » est justifiée par sa nécessité dans la conception et la maîtrise des processus de production de la qualité. Il n’y a pas de production de la qualité sans compétences. 2.2.4. Les variables résultats En aval du système, on trouve comme « variables résultats » notamment la satisfaction des parties prenantes, l’efficience et l’efficacité managériales. Ce sont des variables à la fois peu influentes et fortement dépendantes. Elles constituent en quelque sorte les "output" du système qualité. Leur évolution est conditionnée par les variables d’entrée et à un degré moindre les variables relais. 2.2.5. Les variables restantes Ce sont le système opérant ; le système de planification ; la veille stratégique ; le système d’organisation ; les NTIC ; le système décisionnel, d’animation et d’information. Ces dernières se retrouvent au cœur du système qualité en tant que variables pelotons moyennement influentes et moyennement dépendantes. Il est à noter qu’aucune variable exclue ne ressort de l’analyse structurelle. Ce qui montre que toutes les variables prises en compte dans l’analyse interviennent dans la constitution des SMQ à des degrés différents d’influence et de dépendance. 294 En résumé, l’analyse structurelle (étude prospective) appliquée au système qualité, nous a permis de mettre en relief la hiérarchisation de ses propres variables. Elle positionne le style de leadership au même rang que la culture et l’histoire de l’entreprise, comme les principales variables d’entrée. Ces variables pilotent et commandent le système qualité, en exerçant une influence par stimulation comme par freinage. L’évolution du SMQ est donc dépendante de ces variables d’entrée et, à un degré moindre, les variables conditions (variables moins dépendantes et largement influentes) et relais (variables ayant une forte dépendance et influence). L’analyse structurelle a également permis de mettre en évidence "les leviers" avec lesquels on pourrait agir sur le système qualité à partir de la hiérarchisation des variables clés. Le management des compétences, le système de contrôle et le management de la flexibilité y occupent une place prépondérante. 2.2.6. Matrice des Influences Indirectes (MII) La Matrice des Influences Indirectes (MII) correspond à la Matrice des Influences Directes (MID) élevée en puissance, par itérations successives (voir l’explication donnée après le graphe ci-dessous). 295 Source : étude empirique 296 À partir de ce graphe, un nouveau classement des variables met en valeur les variables les plus importantes du système qualité. En effet, on décèle les variables cachées, grâce à un programme de multiplication matricielle appliquée à un classement indirect. Ce programme permet d’étudier la diffusion des impacts par les chemins et les boucles de rétroaction, et par conséquent de hiérarchiser les variables, d’une part, par ordre d’influence, en tenant compte du nombre de chemins et de boucles de longueur (1, 2, …n) issus de chaque variable ; et d’autre part, par ordre de dépendance, en tenant compte du nombre de chemins et de boucles de longueur (1, 2, … n) arrivant sur chaque variable. Le classement devient stable en général à partir d’une multiplication à l’ordre : 3, 4 ou 5. Le graphe ci-après est déterminé à partir de la matrice d’influences indirectes MII. 297 298 Source : étude empirique à l’aide du logiciell MicMac. Nous constatons, à partir des deux graphes précédents, que les variables d’entrées (déterminantes) qui sont le style de leadership, l’histoire et la culture d’entreprise influencent directement et indirectement les composantes fonctionnelles du SMQ ; et par voie de conséquence, les variables de résultats (efficacité, efficience et satisfaction des parties prenantes). À travers l’analyse structurelle et prospective, nous sommes parvenus à la conclusion que pour réussir le développement des SMQ, nous devons assurer la maîtrise des variables d’entrée (culture, leadership, histoire). Le contexte socioculturel de la région de Bejaia stimule-t-il ou freine-t-il les SMQ. 2.3. Appréciation des caractéristiques socioculturelles à l’échelle macro Le tableau ci-dessous résume les caractéristiques culturelles et de pouvoir (à l’échelle macro génétique) que nous avons analysées à travers notre échantillon des entreprises certifiées composé de 1456 salariés interrogés. Cela nous a permis d’obtenir des résultats qui ont été exploités dans l’analyse des réponses. La synthèse des réponses exhaustives des salariés de la Wilaya de Bejaïa à chaque dimension, suivant une échelle qui va de 1 (très faible) à 5 (très élevé), apparaît sur le tableau suivant. Dans l’une des parties du questionnaire d’enquête, nous avons demandé aux salariés d’apprécier les dimensions à l’échelle nationale (caractéristiques du pays) et non pas à l’échelle de l’entreprise. L’objectif est de comprendre dans quelle mesure ces variables peuvent être un frein ou un stimulant dans le développement des SMQ. 299 15% 0% 0% 0% Attitude vis-à-vis du temps (1: focalisation sur le passé 85% ; 5 : focalisation sur l'avenir) 0% Contrôle de l’incertitude (1: très faible ; 5 : très élevé) Evaluation de la présence des sentiments et de l'affectif 0% dans la gestion (1: très faible) subjectivité ; (5 : très élevé) Objectivité Collectivisme (1: très faible indique l'individualisme ; 0% 5 : très élevé indique le collectivisme) 300 10% Attitude face à l’environnement (1: très passive ; 5 : 90% très active) Tableau 5 Caractéristiques culturelles des salariés de la Wilaya de Bejaïa Echelle de valeurs/ Dimensions culturelles 1 (très 2 (faible) faible) (1: très faible ; 5 : très élevé) 7% 5% 5% 0% 0% 3 (moyen) 10% 15% 5% 0% 0% 4 (élevé) 83% 80% 90% 0% 0% 5 (très élevés) 0% 15% 0% 10% Décalage entre les valeurs déclarées et pratiquées (1: 0% très faible ; 5 : très élevé) 80% 0% Tendance à la flexibilité (1: très faible ; 5 : très élevé) Niveau d’autoritarisme (1: très faible ; 5 : très élevé) Niveau d'éducation et de formation (1: très faible ; 5 : 0% très élevé) 301 Source : étude empirique 0% 0% Distance hiérarchique (1: très faible ; 5 : très élevé) 90% 20% 5% 5% 20% 0% 3% 0% 17% 5% 0% 72% 0% 78% 75% De ce tableau, découle un ensemble d'appréciations liées à chaque dimension culturelle à l’échelle macro. Pour la dimension « Attitude vis-à-vis de l’environnement », comme notre sondage affiche une attitude passive face à l'environnement, les salariés se soumettent à l'environnement sans aptitude à le modifier. Cette soumission est due à la crainte du changement et de l'incertitude liée à ce changement. Sur la représentation du rapport entre l'homme et l'environnement, les salariés ne sont pas favorables à l’incertitude et n’aiment pas prendre de risque (90% des salariés sondés l’affirment). Par rapport à l'attitude face au temps, notre enquête révèle que les salariés affichent un sens élevé du passé et se focalisent moins sur le présent et le futur (on s’accroche aux acquis du passé). Ils sont très attachés aux valeurs du passé. L’horizon temporel du passé pèse sur les salariés et plusieurs cadres dirigeants déclarent que « leur avenir est derrière eux ». Ce qu'ils ont fait dans le passé a fait plus d'effet que leurs réalisations actuelles. Ce qui limite les projections dans l'avenir. On a tendance, de l'avis des salariés sondés, à « faire du neuf avec du vieux ». S’agissant du lien affectif et des sentiments, la présence des sentiments est très élevée (80% des travailleurs sondés le confirment) à cause des liens familiaux et communautaires qui sont très développés et qui favorisent ainsi le développement d’une subjectivité dans la relation de travail. D’autre part, la présence des sentiments et du lien affectif influence certaines pratiques de management. C’est ainsi que les recrutements et les promotions dans les entreprises algériennes se font beaucoup plus sur la base des critères subjectifs de copinage et de camaraderie. On l’observe aussi dans la prédominance du favoritisme dans le management des entreprises publiques (Labaronne et Meziani, 2010). 302 Concernant l’individualisme et le collectivisme, l’enquête révèle que les salariés expriment un degré élevé d'attachement au groupe et aux normes sociales ambiantes. Cette caractéristique peut être utilisée en faveur des démarches qualité grâce aux relations entre les individus, au rapport et à l’attachement au groupe, aux normes et valeurs partagées. Sur la dimension distance hiérarchique, la conclusion de notre enquête est que la région de Bejaïa se caractérise par une distance hiérarchique forte. Le système d'autorité est vertical et hiérarchique, avec une prééminence de la relation inégalitaire supérieur-subordonné. Cette centralisation de l'autorité engendre des structures hiérarchiques organisationnelles, et une production de la qualité moins importante. La dimension « éducation, formation et compétence » mesure le niveau général de formation ainsi que le niveau des connaissances techniques de la population. On y inclut aussi la mobilité, la formation et l’expertise de la main d’œuvre pour lesquelles les démarches qualité sont initiées et développées. La dimension « distance entre valeur déclarée et valeur pratiquée » mesure le décalage qui existe entre les valeurs affichées (prônées et formalisées dans le projet d’entreprise par les cadres) et celles qui sont mises en application. Les salariés de notre échantillon affirment que la rupture entre ces deux types de valeurs est grande. Alors que pour produire la qualité totale, il faut réduire l’écart entre les valeurs déclarées et formalisées et celles mises en pratiques. La dimension « tendance à la flexibilité et à la rigidité » mesure le degré d'adaptation d'une culture à l’environnement et au changement. Certaines cultures, fortes mais trop figées, limitent les capacités prospectives des entreprises et leurs possibilités d’engager des changements nécessaires à leur développement. Ce constat est reconnu par environ 80% des salariés sondés. Pour accroître la capacité de l’entreprise à satisfaire les exigences des clients, la culture d’entreprise doit être flexible. Si la culture d’entreprise est rigide, alors elle aura 303 un effet négatif dans la mesure où elle sera source d’immobilisme et de résistances aux changements. Cependant, Si la culture d’entreprise est souple et adaptative aux défis de l’environnement (la concurrence), elle sera un facteur de compétitivité. En définitive, les résultats de notre étude confirment ceux d’Hofstede (1994) pour le monde arabe ; notamment en ce qui concerne le niveau d’autoritarisme (élevé), le collectivisme (élevé), le contrôle de l’incertitude (élevé). Ils confirment aussi ceux de Mercure et al. (1997), concernant notamment la forte tendance à éviter l’incertitude et la mentalité communautaire élevée ; à l’exception de la dimension « distance hiérarchique » qui est dans notre cas très forte. L’impact de ces dimensions sur les SMQ n’est pas à négliger puisque les entreprises doivent s’y adapter. Par exemple, une faible tendance à la flexibilité correspond à une rigidité en matière d’adaptation aux situations imprévues et aux changements observés dans l’environnement et susceptibles de compromettre la réponse des SMQ aux besoins des clients. Cette rigidité est notamment le produit d'un fort contrôle de l'incertitude et d'un autoritarisme élevé. 304 Passive Faible Fort Fort Fort Attitude face à environnement (1: très passive ; 5 : très active) Attitude vis-à-vis du temps (1: focalisation sur le passé ; 5: focalisation sur l'avenir) Contrôle de l’incertitude (1: très faible ; 5: très élevé) Evaluation de la présence des sentiments et du lien affectif dans la gestion (1: très faible) subjectivité (5 : très élevé) Objectivité Collectivisme (1: très faible indique l'individualisme ; 5 : très élevé indique 305 Appréciatio n des salariés sondés Echelle de valeurs/ Dimensions culturelles (1: très faible ; 5 : très élevé) Tableau 6 Correspondances entre l’appréciation des salariés sondés et les exigences des SMQ Fort Faible Faible Forte Active Exigence s des SMQ Elevé Faible Elevé Moyenne Moyen Moyen Décalage entre les valeurs déclarées et les pratiquées (1: très faible ; 5: très élevé) Tendance à la flexibilité (1: très faible ; 5: très élevé) Niveau d’autoritarisme (1: très faible ; 5: très élevé) L’atmosphère dans le groupe (1: très mauvaise ; 5 : très bonne) Niveau de confiance (1: très faible ; 5: très élevé) Niveau d'éducation et de formation (1: très faible ; 5: très élevé) 306 Source : étude empirique. Forte Distance hiérarchique (1: très faible ; 5 : très élevé) le collectivisme) Elevé Elevé Bonne Faible Forte Faible Faible Ce tableau indique que certaines dimensions culturelles et politiques opèrent en sens contraire du point de vue des comportements attendus dans la qualité. Il y a une échelle de valeur inversée par rapport aux principes de la qualité, car l'initiative, la prise de risque, les exigences de qualité, passent après les considérations relationnelles. Du coup, certaines valeurs sont contre-productives et sont des piliers de la contreperformance d’une entreprise. Si l'on veut garantir la réussite des démarches qualité, il faut réduire le décalage qui existe entre cette échelle de valeur et les exigences des SMQ ; puisque seulement 35,3% des entreprises enquêtées sont performantes (au sens de l’efficacité : réalisation des objectifs qualité ; et de l’efficience managériale : gestion optimale des ressources). 2.4. Appréciation de l’histoire de l’entreprise En se basant sur les résultats du sondage des travailleurs, sur une échelle d’appréciation de 1 à 5 (1 : très faible et 5 : très élevé), l’on constate que l’histoire de l’entreprise est diversement appréciée comme le montre le tableau suivant. Ce qui signifie que l’histoire n’a que moyennement façonnée positivement la culture d’entreprise et donc la mémoire collective des individus au sein des organisations qui ont mis en place un SMQ dans la région de Bejaïa. Tableau 7 Histoire comme moyen de véhiculer les valeurs Echelle Fréquences Pourcentage 1 2 11,8 2 1 5,9 3 6 35,3 4 4 23,5 5 4 23,5 Total 17 100,0 Source : étude empirique. 307 Pourcentage Cumulé 11,8 17,6 52,9 76,5 100,0 Sur la même échelle, 47,1% des individus sondés considèrent moyennement l’histoire de l’entreprise comme une série d’événements majeurs que chacun doit connaître. Dans notre échantillon des entreprises certifiées, il semble que les travailleurs ne sont pas marqués par les moments vécus au sein de leurs entreprises62. Ce qui montre que les événements qui se sont produits dans ces entreprises ne sont pas dans la majorité des cas des moments de gloire et de réussite pour que les travailleurs s’en souviennent et les considèrent comme des références. Tableau 8 L'histoire est une série d'événements majeurs que chacun doit connaître Echelle Pourcentage Pourcentage Fréquences Valide Cumulé 1 3 17,6 17,6 2 1 5,9 23,5 3 8 47,1 70,6 4 3 17,6 88,2 5 2 11,8 100,0 Total 17 100,0 Source : étude empirique. En gardant la même échelle d’appréciation, les avis des individus sondés sont partagés entre la faible importance et l’importance élevée de l’histoire de l’entreprise comme un ensemble d’événements révolus sans importance sur l’efficacité des SMQ. En effet, les travailleurs apprécient à 47,1% très faible et faible ; et à 47% très élevé et élevé, l’histoire de l’entreprise comme un ensemble d’événements révolus n’ayant pas d’importance sur les résultats des SMQ. 62 L’accès au fichier des données sur l’âge et le sexe, au sein des entreprises enquêtées, n’a pas été possible pour des raisons de confidentialité. Par conséquent, il n’a pas été possible de collecter des informations sur l’ancienneté des personnes interrogées. 308 Tableau 9 L'histoire est un ensemble d'événements révolus sans importance sur l’efficacité des SQM Pourcentage Echelles Fréquences Pourcentage Valide Cumulé 1 6 35,3 35,3 2 2 11,8 47,1 3 1 5,9 52,9 4 5 29,4 82,4 5 3 17,6 100,0 Total 17 100,0 Source : étude empirique. En résumé, nous avons constaté, à travers notre enquête, que les entreprises qui maîtrisent les variables d’entrées de l’analyse structurelle (formalisation des valeurs, partage des valeurs, pratique des styles de leadership participatif, etc.) obtiennent de meilleurs résultats (en termes d’efficacité et d’efficience) que celles qui ne maîtrisent pas ces variables d’entrées. D’après nos résultats, le style de leadership participatif garantie mieux l’efficacité et l’efficience puisque les entreprises qui l’adoptent obtiennent une efficacité et une meilleure efficience managériale. Par contre, dans le cas des styles centralisés, sur un ensemble de 12 entreprises qui l’adoptent, il y a uniquement une seule qui obtient une efficacité et deux entreprises qui obtiennent une efficience managériale. Ces résultats militent pour une adhésion volontaire au projet d’élaboration et de mise en œuvre des SMQ. Quant aux entreprises qui développent une culture d’entreprise dans leurs pratiques managériales, notamment par la formalisation des valeurs clés dans leur projet d’entreprise, on retrouve 7 qui présentent une efficacité et une efficience managériales. Ce constat n’est pas fait dans les entreprises qui n’ont pas de culture formelle et qui affichent plutôt une inefficacité et une inefficience managériales. 309 Quoique les caractéristiques culturelles et de pouvoir freinent le développement des SMQ, certaines entreprises ont su relever le défi et se distinguer en remédiant aux contraintes issues de l’environnement (dimensions macro). Elles l’ont fait en maîtrisant leur culture professionnelle (en passant de la culture informelle à la culture formelle), et en pratiquant des styles de leadership participatif malgré que les caractéristiques étudiées à l’échelle macro favorisent la pratique des styles de leadership autoritaire et centralisé. Conclusion Tout au long de ce travail, nous avons traité l’importance de la dimension culturelle, historique et politique dans le management des SMQ. Cette dimension est la plus délicate à étudier. Certes, il faut bien à l'entreprise des fonctionnements stabilisés, au moins provisoirement, par un formalisme documentaire (manuel qualité et des procédures). Mais ceux-ci doivent être conçus pour être complémentaires et en osmose avec les caractéristiques historiques, culturelles, de pouvoir des entreprises. Il faut trouver un équilibre nécessaire entre la partie formalisable (composantes fonctionnelles) et la partie non formalisable (composantes génétiques) des SMQ, pour pouvoir produire la qualité et réaliser les objectifs de développement de la qualité dans l’entreprise. C’est la raison pour laquelle plusieurs auteurs recommandent une mise en œuvre locale des principes universels de management, notamment ceux contenus dans les normes ISO 9000. La norme ISO 9001 version 2008 ayant trait aux exigences des SMQ ne contient que les composantes fonctionnelles des SMQ, c'est-à-dire la partie formalisable (processus et procédures qualité) des SMQ que l’on peut théoriquement internationaliser sans difficultés d’adaptation à un pays. Or, ces mêmes systèmes sont aussi composés d’une partie non formalisable afférente aux composantes génétiques 310 (caractéristiques culturelles, historiques et politiques) qui ne peuvent faire l’objet d’une exportation ou d’une internationalisation puisqu’elles sont spécifiques à chaque pays. Par conséquent, l’efficacité des SMQ dépend non seulement de la maîtrise des composantes fonctionnelles mais aussi de la prise en compte des composantes génétiques. Mieux encore, ce sont les caractéristiques macro et micro génétiques locales qui influencent et modèlent les composantes fonctionnelles des SMQ. Dans ce contexte, l’adoption d’un style de leadership participatif ou autocratique influence la production de la qualité dans une entreprise dans le sens où il a un impact sur le niveau d’implication des travailleurs et, donc, le degré de réalisation des objectifs de développement de la qualité dans l’entreprise. De plus, la culture d’entreprise influence l’efficacité des SMQ dans le sens où les valeurs culturelles formalisées dans un projet d’entreprise matérialisent l’engagement de tous les salariés autour des principes communs. Néanmoins, la culture d’entreprise peut être source d’immobilisme et de rigidité d’un SMQ ; réduisant ainsi sa capacité à être flexible pour s’adapter aux changements de l’environnement. C’est le cas des caractéristiques culturelles et politiques de la région de Bejaïa, qui opèrent en sens contraire du point de vue des comportements attendus sur la qualité. Du coup, certaines valeurs sont contre productives et sont des piliers de la contreperformance d’une entreprise. Si l'on veut garantir la réussite des démarches qualité, il faut réduire le décalage qui existe entre cette échelle de valeur et les exigences des SMQ. La composante historique de l’entreprise est une composante majeure des systèmes de gestion, en ce sens qu’elle joue un rôle important dans les processus adaptatifs de prise de décision et de planification de la qualité ; et ce à cause de la mémoire collective qui s’installe au sein de l’entreprise. La contribution de l’histoire de l’entreprise, à travers les événements marquants, à la réalisation des objectifs du SMQ n’est pas à négliger même si l’histoire des entreprises de la 311 région de Bejaïa n’est pas souvent faite de moments de réussite et de gloire. De l’avis des travailleurs enquêtés, si l’histoire de l’entreprise est jalonnée d’événements importants, cela devrait contribuer à façonner positivement les comportements de valorisation de la qualité. Puisque la mémoire collective créée et les faits historiques agissent directement sur l’action collective et sur l’efficacité individuelle. Le principal apport de cette recherche se situe au niveau de la compréhension de certaines caractéristique socioculturelles et de la nécessité de la compréhension du contexte de l’organisation avant toute mise en œuvre locale d’un modèle de SMQ, selon la norme ISO 9001 v 2008. Néanmoins, il reste à détailler davantage ces caractéristiques et les comparer entre les entreprises enquêtées (chercher des différences ou des similitudes entre les entreprises) ; mais aussi entre les différentes régions de l’Algérie. Cela permettrait de mieux apprécier leur impact sur chaque composante fonctionnelle des SMQ (connaître exactement comment elles influent sur la planification, l’organisation, la motivation des individus, etc.). Par ailleurs, la comparaison peut être aussi étendue à d’autres pays au niveau africain et même au-delà. C’est l’une des perspectives de recherche à venir. Enfin, au-delà de la prise en compte de la dimension micro et macro génétique, il serait intéressant, avant toute mise en œuvre des SMQ, de traiter la culture non pas comme un ensemble homogène, mais de tenir compte des spécificité à l’intérieur même des catégories socioprofessionnelles et suivant différents facteurs (âge, région d’origine, niveau hiérarchique, religion, sexe, etc.) pour déceler les convergences et les divergences à l’intérieur même des entreprises. Résumé Cette recherche traite de l’importance de l’histoire d'une entreprise dans la détermination des caractéristiques culturelles et des caractéristiques de pouvoir des entreprises. Toutes ces caractéristiques ont des conséquences sur les composantes 312 fonctionnelles (sous système de gestion) des systèmes de management de la qualité (SMQ) ; car elles les façonnent et les modèlent au point d’influer sur leur efficacité. Les composantes micro génétiques concernent les caractéristiques culturelles et les caractéristiques de pouvoir de l’entreprise. Ces composantes sont façonnées par la composante historique de l’entreprise. Cette dernière est considérée comme une composante majeure des systèmes de gestion, en ce sens qu’elle joue un rôle important dans les processus adaptatifs de prise de décision et de planification de la qualité ; et ce à cause de la mémoire collective qui se développe dans l’entreprise (Jarniou, Tabatoni, 1975). De ce fait, ces composantes affectent particulièrement l’efficacité des composantes fonctionnelles et donc des SMQ. Il nous apparaît donc impératif de prendre en compte les particularismes culturels, historiques et politiques dans le développement des SMQ. Et cela plus précisément à Bejaia (Algérie) où nous avons réalisé notre étude auprès de 17 entreprises certifiées et qui nous a permis de recueillir les opinions de 1456 salariées. Au terme de notre travail, nous avons souligné l’importance d’une adaptation des exigences des SMQ aux composantes micro et macro génétiques pour pouvoir produire la qualité et réaliser les objectifs qualité. Mots clés : Système de management de la qualité, efficacité managériale, culture et histoire d’entreprise, style de leadership, caractéristiques culturelles et de pouvoir. Taking into account cultural, historical and political components in the quality initiatives : Cases of certified companies in the wilaya of Bejaia (Algeria) Abstract This research discusses the importance of the history of a company in determining the cultural characteristics and the characteristics of corporate power. All these features have consequences on functional components (under Management 313 System) for quality management systems (QMS); as they shape and mold them to the point of influencing their effectiveness. Microgenetic components concern the cultural characteristics and the company's power characteristics. These components are shaped by the historical component of the business. The latter is considered a major component of management systems, in that it plays an important role in adaptive decision-making and quality planning; and because of the collective memory that develops in the company (Jarniou, Tabatoni, 1975). Therefore, these components particularly affect the efficiency of functional components and therefore QMS. We therefore think it imperative to take into account the cultural specificities, historical and political development of the QMS. And it specifically to Bejaia (Algeria) where we conducted our survey of 17 certified companies and that allowed us to gather the opinions of 1,456 employees. At the end of our work, we stressed the importance of adapting the requirements of the QMS to genetic micro and macro components in order to produce the quality and achieve quality objectives. Keywords: quality management system, managerial efficiency, culture and history of a business, leadership style, cultural characteristics and power. Bibliographie BERGE C. (1958), Théorie des graphes et ses applications, Paris, Dunod. CARON F. (1987), « Préface », Hamon M. et Torres F. (dir.), Mémoire d’avenir. L’histoire dans l’entreprise, Paris, Economica, p. 7-9. CARON F. 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Janvier EGUDRA NYADRI AKAKPO Kodjo Kighana Espérance MASIKA Joseph EPEE EKWALLA Janvier EGUDRA Claude GARRIER L’Harmattan LA REVUE LES CAHIERS DE L’IREA (Institut de Recherche et d’Études Africaines) - Abonnement annuel (4 numéros) (Frais de port inclus) • France…………...……………....………..Euros • Étranger et DOM-TOM….…….…….….Euros • Afrique……………….............…..….…...Euros - Vente au numéro (Frais de port inclus) • • France, DOM-TOM et étranger….…….Euros Afrique…….………….…………....…….Euros La revue Les Cahiers de l’IREA est disponible, sur commande, par correspondance aux Éditions L’Harmattan, 7 rue de l’École Polytechnique, 75005 Paris ………………………………....……………… BON DE COMMANDE NOM ET PRENOM……......……..………………….. ADRESSE…………...………..…………………….. CODE POSTALE.………..……………….………….. 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