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Une consultation mémoire en cancérologie : entre plainte et trouble...

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Psycho-Oncol. (2013) 7:210-216
DOI 10.1007/s11839-013-0439-x
ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE
DOSSIER
Une consultation mémoire en cancérologie : entre plainte et trouble…
A memory consultation in oncology: between complaint and disorder…
I. Léger · L. de Batz · S. Dauchy
Reçu le 11 octobre 2013 ; accepté le 13 novembre 2013
© Springer-Verlag France 2013
Résumé La littérature rapporte la survenue de troubles
cognitifs chez 15 à 50 % de l’ensemble des patients traités
pour un cancer, mais aussi l’existence de plaintes cognitives
subjectives chez 70 % d’entre eux, souvent dissociées de ces
troubles objectifs. La neurotoxicité des traitements, l’effet du
cancer lui-même et l’impact de l’annonce de la maladie sont
identifiés aujourd’hui comme les potentiels responsables de
ces troubles cognitifs. D’autres facteurs comme la détresse
émotionnelle apparaissent plus impliqués dans la survenue
des plaintes, qui sont associées en règle générale à une moins
bonne qualité de vie des patients. C’est dans ce contexte que
depuis quatre ans, la consultation mémoire de GustaveRoussy propose aux patients présentant des plaintes cognitives un bilan étiologique et thérapeutique. L’originalité de
cette consultation réside dans sa capacité à aborder, dans
un même temps d’examen, les aspects neuropsychologiques,
psychologiques et sociaux, pour des patients qui en dehors
de ce ciblage neuropsychologique précis n’auraient probablement pas sollicité l’unité de psycho-oncologie. L’évaluation présentée ci-après rapporte l’étude descriptive de dossiers des patients (n = 108) reçus en consultation mémoire au
cours d’une année civile complète. Soixante-quinze pour
cent des patients sont rencontrés dans l’après-traitement.
Pour 66 % d’entre eux, il n’existe pas de corrélation entre
la plainte cognitive et leur performance aux tests de mémoire
et d’attention. Le principal corrélat de la plainte mnésique
exprimée est la présence d’un trouble émotionnel (présent
chez 72 % de ces patients). Au-delà d’une évaluation quantifiée des troubles cognitifs chez ces patients, la consultation
I. Léger (*) · S. Dauchy (*)
Gustave Roussy, 114, rue Édouard-Vaillant,
F-94805 Villejuif cedex, France
e-mail : [email protected],
[email protected]
L. de Batz (*)
Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis,
Institut d’Enseignement à Distance, L3 de Psychologie,
F-93200 Saint-Denis, France
e-mail : [email protected]
mémoire remplit un rôle diagnostique pour des troubles
émotionnels non identifiés au préalable par d’autres vecteurs. Elle nous paraît aujourd’hui un complément indispensable de la prise en charge globale des patients atteints de
cancer.
Mots clés Plaintes cognitives · Cognition · Chimiothérapie ·
Vulnérabilité · Brouillard cognitif · Détresse émotionnelle
Abstract Previous studies have reported the presence of
cognitive troubles in 15–50% of cancer patients, as well as
the existence of subjective cognitive complaints (70% of
these patients), often dissociated from these objective troubles. Treatments’ neurotoxicity, the effect of the cancer itself
as well as the impact of disease diagnosis’ disclosure are
all nowadays identified as potential factors responsible for
these cognitive troubles. Other factors such as emotional
distress could play a major role in the expression of these
complaints, generally associated with a decreased quality of
life for the patients. In this context, for the last four years,
the Gustave Roussy’s memory consultation is proposing an
etiological and therapeutic evaluation for patients presenting
cognitive complaint. The originality of this consultation
resides in its capacity to encompass neuropsychological,
psychological and social aspects in a single examination
program, for patients that would likely not have requested
any help from the psycho-oncological unit otherwise. The
evaluation presented here reports the descriptive study of
the patients (N = 108) received in memory consultation
during a complete calendar year. 75% of the patients were
examined after completion of treatments. For 66% of the
patients, there is no correlation between cognitive complaint
and performance in memory or attention tests. The main
correlate of the expressed cognitive complaint is the presence of an emotional disorder (72% of these patients).
Beyond providing for these patients a quantitative evaluation of their cognitive disorders, the memory consultation
turns out to be a valuable diagnostic tool for emotional
disorders triggered by the shock of being affected by a
serious disease, and often not identified beforehand by other
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vectors. It appears today as an essential complement to the
global care of patients with cancer.
Keywords Cognitive problems · Cognition · Chemotherapy
· Vulnerability · Chemofog · Emotional distress
L’amélioration globale de l’espérance de vie des patients traités pour un cancer est le résultat à la fois d’une augmentation
globale du niveau de qualité des prises en charge thérapeutiques et d’une meilleure gestion des effets secondaires des
traitements du cancer (toxicité hématologique, digestive)
[12]. Cette optimisation des soins contribue à l’amélioration
de la qualité de vie des patients pendant et après leur traitement du cancer. Or, certains symptômes encore sous-estimés
en termes d’impact négatif sur la qualité de vie des patients
sont à considérer [2]. Parmi ces derniers, les plaintes cognitives apparaissent fréquentes et parfois intenses [19].
La plainte cognitive, considérée par les neurologues et les
gériatres comme une diminution possible des capacités intellectuelles dans la vie quotidienne, est banale à tout âge. Elle
revêt une importance particulière chez le sujet âgé du fait de
la crainte qu’elle ne révèle une maladie démentielle débutante [6]. Dans la littérature oncologique, cette plainte cognitive est qualifiée de chemobrain, cette appellation mettant
l’accent sur un lien potentiel avec les traitements du cancer
[8,14,18,20]. D’autres études font l’hypothèse d’un lien
entre les difficultés cognitives et le cancer lui-même, ou
encore l’effet de l’annonce du diagnostic de ce cancer. Le
terme de cancerbrain, également retrouvé dans la littérature,
traduit le caractère multifactoriel de ces troubles [4,11].
Les études menées depuis une quinzaine d’années sur les
processus cognitifs des patients atteints de cancer s’accordent
à reconnaître l’absence de corrélation entre intensité de ces
plaintes cognitives et résultats cognitifs recueillis au moyen
de tests standardisés. Les perturbations cognitives décrites
sont subtiles et sélectives, car centrées sur la mémoire épisodique, la mémoire de travail, les fonctions exécutives et la
vitesse de traitement [16,17]. À ce jour, il y a une absence
de consensus quant à l’incidence des troubles selon la dose de
chimiothérapie [3]. La durée des troubles est transitoire et
peut s’étendre de six mois jusqu’à dix ans après le traitement
[5,17].
En revanche, une forte corrélation entre l’intensité de
la plainte cognitive et l’intensité de la détresse psychologique des patients est relevée de façon quasi systématique
[13]. Les principaux corrélats de la plainte mnésique sont
ainsi des facteurs psychoaffectifs : scores aux échelles de
dépression, d’anxiété, de bien-être [1,7,9,15], traits de personnalité [10], sensation d’isolement [7], défaut de support
social et façon dont le sujet appréhende ses difficultés (style
de coping) [15]. Par ailleurs, ce ressenti subjectif de désordre cognitif est associé à une moindre qualité de vie des
patients [2].
211
Le lien entre le traitement des cancers et les plaintes
cognitives des patients est donc complexe et doit renvoyer
à une évaluation globale intégrant la prise en compte de la
détresse psychologique, fréquemment associée à la maladie
grave, et dont les effets peuvent perdurer au-delà de la durée
des traitements. L’humanisation de la prise en charge, l’amélioration de la qualité des soins et la lutte contre les inégalités
de santé sont des objectifs importants du Plan cancer 2009–
2013[12]. C’est dans ce contexte que s’est créée à GustaveRoussy, important centre de lutte contre le cancer d’Îlede-France, la consultation mémoire, qui propose aux patients
présentant une plainte cognitive une évaluation psychologique et neuropsychologique.
Description de la consultation mémoire
de Gustave-Roussy
L’objectif principal de cette consultation est d’accueillir une
plainte cognitive subjective persistante, de l’évaluer, l’identifier dans son étiologie possible et enfin de la prendre en
charge d’un point de vue cognitif et psychologique. La
consultation est accessible à tous les patients adultes même
ceux ayant été traités pour tumeurs cérébrales mais se trouvant en situation de rémission ou en pause thérapeutique au
moment de la consultation mémoire. Seuls les patients présentant des métastases cérébrales sont exclus du dispositif.
La consultation mémoire doit permettre d’associer évaluation neuropsychologique et évaluation émotionnelle. À
Gustave-Roussy, elle est assurée par une psychologue clinicienne par ailleurs spécialisée en neuropsychologie. La réunion de capacités d’évaluation de la souffrance psychique et
de l’état cognitif des patients nous apparaît représenter un
facteur essentiel de réussite du déroulement de la consultation.
Le recrutement des patients est assuré par une communication large à destination d’une part des patients, sous forme
de plaquettes d’informations, et d’autre part du personnel
soignant, en sensibilisant médecins et infirmières cadres
par des réunions d’informations afin de faciliter l’orientation
des patients présentant une plainte cognitive exprimée ou
des troubles cognitifs repérés.
L’évaluation cognitive se déroule sur 1 h 30 à 2 h en
quatre temps, avec en premier lieu un entretien clinique
semi-structuré permettant une première évaluation clinique
de l’intensité de la plainte cognitive et de l’état émotionnel
du patient. Dans un deuxième temps, une évaluation cognitive quantifiée et normée doit aboutir à la description fine
des troubles cognitifs. On explore de préférence les fonctions cognitives décrites dans la littérature comme plus fréquemment fragilisées ou perturbées : vitesse de traitement,
mémoire épisodique, fluences, fonctions attentionnelles
[19]. Les tests cognitifs proposés sont résumés dans le
Tableau 1. Au regard des recommandations internationales,
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Tableau 1 Tests cognitifs recommandés par l’International Cognition and Cancer Taskforce (2011).
• MoCA (Montréal Cognitive Assessment ;
Nasreddine, 2005)
Mémoire
Mémoire verbale
• RL/RI 16 (Grober & Buschke, 1987)
• Histoire logique (BEM144)
• Empan endroit — mémoire des chiffres
de la batterie d’évaluation de l’efficience
intellectuelle de Wechsler (WAIS IV, 2011)
Mémoire visuelle
• Figure de Rey (Rey, 1960)
Mémoire de travail
• Séquences lettre et chiffre de la batterie
d’évaluation de l’efficience intellectuelle
de Wechsler (WAIS IV, 2011)
• Empan envers — mémoire des chiffres
de la batterie d’évaluation de l’efficience
intellectuelle de Wechsler (WAIS IV, 2011)
Attention
Attention soutenue
• D2 (Brickenkamp, 1988)
• PASAT (Paced Auditory Serial Addition Test ;
Naëgele & Mazza, 2003)
Attention sélective
• D2 (Brickenkamp, 1988)
• Barrage de Zazzo (Zazzo, 1972)
Fonctions exécutives Flexibilité mentale
• TMT B (Trail Making Test ; Reitan, 1958)
• Fluences verbales (Cardebat et al., 1990)
Planification
• Figure de Rey (1960)
Processus stratégiques de recherche en mémoire
• Fluences verbales (Cardebat et al., 1990)
Inhibition verbale et sensibilité à l : interférence
• Stroop (planche C) (Stroop, 1935)
Conceptualisation verbale/évocation lexicale/
• BREF (Batterie rapide d’évaluation frontale ;
programmation gestuelle/résistance à l’interférence/ Dubois, Slachevsky, Litvan, Pillon, 2000)
inhibition comportementale
Vitesse de traitement
• TMT A (Trail Making Test ; Reitan, 1958)
• D2 (Brickenkamp, 1988)
Fonctionnement global Évocation lexicale
• Fluences verbales (Cardebat et al., 1990)
Praxies constructives
• Figure de Rey (Rey, 1960)
Capacités visuospatiales/dénomination/
• Dénomination de la BEC-96 (Signoret, 1989)
apprentissage/attention/langage/abstraction/
orientation
Évaluation globale
les résultats sont considérés comme pathologiques lorsque
deux scores ou plus sont inférieurs à 1,5 écart-type en dessous de la moyenne du groupe témoin ou un score est inférieur ou égal à 2 écarts-types en dessous de la moyenne du
groupe témoin [19].
À l’issue de cette évaluation, un profil cognitif est extrait
et permet dans la plupart des cas d’avancer une hypothèse
étiologique de la plainte cognitive exprimée. Enfin, la
consultation se termine par une synthèse et un rendu au
patient de ses résultats aux tests, avec une proposition de
prise en charge si nécessaire. Celle-ci peut faire appel à différentes orientations : soutien psychologique ou orientation
vers un médecin pour prescription d’un psychotrope en cas
de troubles émotionnels, orientation vers un neurologue ou
un service de gériatrie en cas de tests cognitifs pathologiques, réorientation vers l’équipe oncologique en cas de
syndrome confusionnel et, dans la quasi-totalité des cas,
exercices cognitifs.
Des exercices cognitifs (Tableau 2) sont en effet proposés
en fin de consultation et s’adressent à la plupart des profils
cognitifs, que les résultats soient pathologiques, normaux ou
subnormaux. Ils ont pour but d’apporter une amorce de
réponse rapide à ces troubles qui sont toujours ressentis
d’un point de vue subjectif et sont invalidants au quotidien,
entraînant souvent une souffrance psychologique importante. Il s’agit essentiellement de techniques de compensation permettant aux patients de suppléer par de nouvelles
aptitudes les fonctions affaiblies.
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Tableau 2 Quelques exemples « d’astuces cognitives simples »
Éviter d’effectuer trop de tâches en même temps
(multitâches)
Prendre le temps pour prendre connaissance
d’une information à retenir
Lorsque vous laissez votre voiture dans un parking
d’un centre commercial, prenez 10 secondes pour trouver
un point de repère qui vous servira de guide pour retrouver
votre voiture
Créer des liens entre un savoir déjà acquis et une
information nouvelle à apprendre
Votre nouvelle collègue s’appelle Véronique tout comme votre
amie d’enfance
Organiser l’information à retenir pour augmenter
les chances de la retrouver au moment du rappel
Pour retenir votre liste de courses, il vaut mieux regrouper
les articles selon les catégories
Répéter une information nouvelle à plusieurs reprises
et à des intervalles de temps de plus en plus longs
Pour apprendre un nouveau code ou un nouveau nom propre.
Notez-le puis essayer de le recomposer immédiatement
dans votre mémoire et vérifiez votre réponse. Refaites cet
exercice quelques secondes plus tard, quelques minutes plus
tard et ainsi de suite…
Associer et relier des images entre elles
Favoriser des habitudes
Associer la prise de médicaments à une activité que vous
faites tous les jours, à la même heure ou presque (se laver
les dents…)
Et enfin, les plus classiques : les aide-mémoire
• Agenda de taille moyenne, consulté matin et soir, rangé
toujours au même endroit
• Ardoise placée dans un endroit stratégique : cuisine,
téléphone…
Évaluation de la consultation mémoire
Échantillon et méthode
Il s’agit d’une étude descriptive. L’évaluation porte sur tous
les dossiers de patients d’une année civile complète (2012).
Pour chaque patient ont été recueillies les données sociodémographiques, les données médicales, les conclusions de
l’entretien psychologique semi-structuré, les conclusions de
l’évaluation des performances cognitives et la prise en
charge proposée. Tous les patients adultes peuvent être reçus
en consultation mémoire et à n’importe quel moment du traitement oncologique.
Sur l’année 2012, 108 patients ont été reçus par une psychologue, spécialisée en neuropsychologie, dédiée à 25 %
d’ETP à la consultation mémoire. L’âge moyen de ces
213
patients est de 62 ans, avec une majorité de femmes (70 %)
et un niveau d’éducation supérieur (baccalauréat ou plus)
pour 60 % d’entre eux.
Soixante-quatorze pour cent des patients reçus sont en
cours de traitement d’un premier cancer. Le délai entre le
diagnostic et la consultation mémoire est inférieur à un an
pour 15 % des patients, d’un an pour 31 % d’entre eux, de
deux ans pour 12 %, de trois ans pour 12 % et au-delà de
trois ans pour 30 % des patients.
Résultats
Soixante-quinze pour cent des patients expriment une plainte
cognitive et la plupart d’entre eux consultent à leur propre
demande. Vingt-cinq pour cent des patients ne présentent
pas de plainte cognitive et ont été en général adressés par
des médecins (93 %).
Les résultats des évaluations cognitives montrent qu’au
sein de cette population, seule une minorité présente des
troubles avérés (34 %). Les autres ont des résultats normaux (9 %) ou subnormaux (57 %), c’est-à-dire en dessous
de la moyenne d’un groupe témoin mais non pathologique
(Fig. 1). Parmi les patients présentant des résultats subnormaux, les principales perturbations rencontrées sont celles
liées à des troubles de récupération spontanée sans trouble
de l’apprentissage, à une sensibilité aux interférences, à des
fragilités en mémoire de travail ou enfin à une tendance au
ralentissement global. Ces perturbations correspondent aux
perturbations généralement décrites dans la littérature pour
des populations similaires [20] (Fig. 2).
Enfin, l’évaluation psychologique clinique retrouve des
troubles émotionnels chez une forte majorité de patients
(69 %), dont 51 % présentent une symptomatologie anxiodépressive, 36 % une symptomatologie anxieuse seule et
13 % une symptomatologie dépressive seule.
Nous avons comparé les résultats de l’évaluation des troubles cognitifs et de l’état psychologique selon l’existence
d’une plainte cognitive. Il apparaît que :
•
•
les patients qui expriment une plainte cognitive, le plus
souvent venus spontanément en consultation mémoire,
présentent paradoxalement en majorité (81 %) un bilan
cognitif normal ou subnormal. Par ailleurs, 72 % d’entre
eux ont au moins une symptomatologie anxieuse ou
dépressive. Vingt-deux pour cent d’entre eux sont déjà
suivis par un psychologue ou un psychiatre ;
à l’inverse, les troubles cognitifs des patients sans plainte,
venus en consultation mémoire sur injonction médicale,
sont en grande majorité (85 %) objectivés par l’évaluation. Ils sont généralement associés à une pathologie
cérébrale ou peuvent aussi être liés à une suspicion de
démence ou à un syndrome confusionnel. Du point de
vue émotionnel, on retrouve chez 59 % de ces patients
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Fig. 1 Résultats des tests cognitifs sur la totalité des patients reçus en consultation mémoire
Fig. 2 Principales perturbations rencontrées parmi les patients présentant des résultats subnormaux
l’existence d’au moins un symptôme anxieux ou dépressif. Ces derniers sont le plus souvent déjà pris en charge et
traités, puisque 70 % de ces patients étaient déjà sous traitement psychotrope.
Prises en charge proposées à l’issue de la consultation
mémoire
En fonction de l’intensité des troubles cognitifs révélés lors
de la consultation mémoire, mais en fonction aussi du degré
de détresse émotionnelle constaté chez les patients, différents types de prise en charge sont proposés. Dans une
optique de raisonnement centré sur le parcours du patient,
nous les présentons selon le mode d’entrée à la consultation
mémoire, c’est-à-dire en fonction de la présence ou de l’absence d’une plainte cognitive.
Patients avec une plainte cognitive
• Plainte cognitive associée à un bilan cognitif normal
ou subnormal (81 %)
Une grande majorité des patients se plaignant de troubles
cognitifs présentent paradoxalement un bilan cognitif normal
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ou subnormal. L’origine de leur plainte subjective est bien
plus probablement à relier à leur état émotionnel perturbé à
la suite de leur maladie cancéreuse. C’est pour traiter cette
dimension émotionnelle que 39 % de ces patients sont orientés vers un psychiatre et 76 % se font proposer un accompagnement psychologique.
Toutefois pour apporter une réponse rapide à leur sensation subjective de perturbation cognitive, une majorité de ces
patients (82 %) reçoivent une suggestion d’exercices cognitifs, techniques de compensation ou aide au rappel. Les
patients à qui nous ne proposons pas ces astuces sont les
patients les plus déprimés pour qui l’urgence relève plus
d’une prise en charge de la symptomatologie dépressive
que d’une stimulation cognitive.
• Plainte cognitive associée à un bilan cognitif pathologique
(16 %)
215
• Pas de plainte cognitive, mais bilan cognitif pathologique
(85 %)
Chez 45 % de ces patients, une suspicion de démence a été
envisagée avec dans 92 % des cas une demande d’extension
de bilan en gériatrie. Sept pour cent des patients sans plainte
cognitive ont des troubles cognitifs associés aux conséquences d’une pathologie cérébrale. Pour ceux-là, il sera proposé
des prises en charge de type : séances d’orthophonie, séances
de relaxation et prise en charge psychologique.
Dans les situations de diagnostic de syndrome confusionnel (33 %), réalisé avec l’équipe médicale, un nouveau test
est systématiquement effectué sous sept jours et une orientation vers un psychiatre proposée compte tenu des troubles
du comportement souvent associés à l’état confusionnel
(78 %).
Conclusion
Au sein de cette population de patients présentant une
plainte cognitive, 16 % ont un bilan cognitif pathologique.
Trente-huit pour cent de ces patients sont orientés en gériatrie pour une extension de bilan devant une suspicion de
syndrome démentiel, 15 % sont à nouveau testés dans les
six mois qui suivent parce qu’ils étaient très fatigués au
moment du bilan initial, étaient sous l’action d’un traitement
ou encore présentaient un état émotionnel perturbé. De plus,
46 % d’entre eux se voient proposer des exercices cognitifs, 54 % une proposition de suivi psychologique et 38 %
une orientation vers un médecin pour prescription de
psychotropes.
Quelques bilans (3 %) sont ininterprétables pour diverses
raisons. Il peut s’agir d’un état de somnolence faisant suite à
des troubles du sommeil ou à la prise de traitement à effet
psychotrope. L’interprétation des bilans peut aussi être rendue difficile par un état d’agitation lié à un traitement, à des
douleurs ou à un état anxieux. Pour tous ces patients, un
nouveau test est proposé à six mois ainsi qu’un accompagnement psychologique.
Le travail décrit dans cet article rapporte l’activité de consultation mémoire réalisée au sein de Gustave-Roussy au cours
d’une année complète auprès d’une population de patients
traités pour une pathologie cancéreuse. La majorité des
patients qui ont bénéficié de cette consultation l’ont demandée eux-mêmes en raison d’un sentiment subjectif de diminution cognitive. De façon conforme à ce qui a été évoqué
dans la littérature [17], cette évaluation montre que la grande
majorité d’entre eux ne souffre pas de troubles cognitifs avérés. À l’inverse, plus des deux tiers des patients souffrent de
troubles émotionnels dont la plupart n’avaient encore fait
l’objet d’aucun dépistage et d’aucune prise en charge. Ces
résultats démontrent l’intérêt de ce dispositif transversal qui
remplit non seulement un rôle d’identification et de mesure
quantitative des troubles cognitifs des patients cancéreux
mais qui permet aussi de diagnostiquer leurs souffrances
psychologiques bien souvent masquées et qui rejaillissent
dans leur vie quotidienne sous forme de difficultés cognitives subjectives. Grâce aux différentes formes de prises en
charge qui en découlent, ces consultations mémoire contribuent à améliorer la qualité de vie pendant et après le cancer.
Patients sans plainte cognitive
• Pas de plainte et bilan cognitif normal ou subnormal
(15 %)
Parmi ces 15 % de patients, un sur deux sera à nouveau testé
à six mois, car les résultats sont à la limite des seuils pathologiques, et un sur quatre bénéficiera d’une proposition
d’exercices cognitifs. Pour le quart restant, les difficultés
cognitives repérées par l’entourage ne sont pas objectivées
par les tests et ne relèvent d’aucune prise en charge.
Perspectives
Les résultats décrits ci-dessus nous encouragent à maintenir
cette offre de soin ciblée qu’est la consultation mémoire.
Le dispositif actuel sera prochainement associé à une évaluation sociale systématique, afin de repérer une vulnérabilité sociale favorisant les troubles cognitifs ou risquant de
majorer leurs conséquences. L’isolement [7] et le défaut de
soutien social peuvent en effet favoriser l’expression de
plaintes cognitives subjectives. Par ailleurs, l’impact social
216
potentiel tant des plaintes cognitives (notamment du fait
de la perte de confiance en soi) que des troubles cognitifs
est important, en particulier en ce qui concerne le retour à
l’emploi. Cette évaluation, éventuellement suivie d’une
consultation avec un assistant social, permettra de compléter
la prise en charge proposée.
Enfin, chaque nouvelle évaluation cognitive sera prochainement complétée par une évaluation téléphonique à distance (à six mois et à un an). L’objectif est d’identifier la
persistance ou non dans le temps de la plainte cognitive subjective, d’évaluer l’utilisation et la perception des exercices
cognitifs dans la vie quotidienne et enfin de savoir si les
conseils d’orientation médicale et de suivi psychologique
ont été suivis.
Conflit d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de
conflit d’intérêt.
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