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Microbiologie Et Traitement Antibiotique Du Pied Diabétique Infecté

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REVUE MÉDICALE SUISSE
Microbiologie et traitement
antibiotique du pied diabétique infecté
Drs MARIE-CÉLINE ZANELLAa, BENJAMIN KRESSMANNa,b, LYDIA WUARINb, BENOIT COULINb,
SOPHIE MAÎTREc, DOMIZIO SUVÀb, Pr BENJAMIN A. LIPSKYa et Dr ILKER UÇKAYa,b
Rev Med Suisse 2016; 12: 732-7
Chez le patient diabétique, l’ulcère du pied est une problématique
fréquente dont la prévalence au cours de la vie est de 25%. Une
infection complique l’ulcère dans près de 50% des cas, est associée à une importante morbidité et à une réduction de la qualité
de vie, et est parfois le déclencheur d’une cascade menant à l’amputation. Les ulcères et infections surviennent dans un terrain de
polyneuropathie périphérique et d’insuffisance artérielle, impliquant ainsi une prise en charge multidisciplinaire. La connaissance
de la microbiologie de l’infection du pied diabétique est nécessaire à l’administration judicieuse d’une antibiothérapie empirique
et ciblée. Cet article se concentrera sur la définition et le diagnostic
de l’infection du pied diabétique, sur les aspects principaux de sa
microbiologie et du traitement antibiotique.
Microbiology and antibiotic treatment
of diabetic foot infection
thermo­algiques, des microtraumatismes, notamment sur des
zones d’hyperpression, peuvent créer des lésions cutanées
passant inaperçues. L’existence d’une polyneuropathie péri­
phérique motrice augmente le risque de lésions cutanées en
contribuant à des déformations des pieds, un déplacement des
points d’appui et des troubles de la marche. Les atteintes micro
et macrovasculaires contribuent à l’évolution défavorable vers
l’ulcération. Une fois la barrière cutanée rompue, les tissus
sont exposés à la colonisation par des organismes potentielle­
ment pathogènes et l’infection peut se manifester sous forme
d’une dermohypodermite, d’un ulcère infecté et/ou d’une os­
téomyélite.2 L’infection du pied diabétique est souvent l’évé­
nement déclencheur de la cascade menant à l’amputation.3
défInItIon et dIagnostIc
In diabetic patients, foot ulcer is a common problem which prevalence during life is about 25%. Infection occurs as a complication in
almost 50% of cases, is associated with significant morbidity and a
reduced quality of life and is sometimes the trigger leading to amputation. Ulcers and infections occur among patients with predisposing factors such as peripheral neuropathy and arterial insufficiency, and require a multi-disciplinary care system. The knowledge
of the microbiology of diabetic foot infection is necessary for a wise
use of empirical and targeted antibiotic therapy. This article will focus
on the definition and diagnosis of diabetic foot infection, on the
main aspects of its microbiology and antibiotic treatment.
La définition de l’infection du pied diabétique reste complexe.
Parce que toutes les plaies ouvertes sont colonisées par des
micro­organismes, la définition ne peut se faire que sur une
base clinique; il est nécessaire de considérer des signes clas­
siques de l’inflammation: douleur, érythème, chaleur, indura­
tion et purulence (figure 1). Les signes systémiques (fièvre,
frissons, hypotension) et les marqueurs inflammatoires (leu­
cocytose, élévation de la CRP) ou la positivité des hémocul­
tures ne sont pas indispensables pour le diagnostic mais sont
utiles pour stratifier la sévérité; 3 cela va de même pour les
examens radiologiques.
IntroductIon – physIopathologIe
des InfectIons du pIed dIabétIque
En présence d’un tableau clinique suggestif d’une infection ou
d’une radiographie standard en faveur d’une lésion osseuse, la
mise en évidence par la culture d’une (ou plusieurs) espèce(s)
bactérienne(s) conforte le diagnostic et permet de cibler
Le diabète est associé à une proportion plus élevée de presque
tous les types d’infection chez les patients orthopédiques
comparés aux patients non diabétiques. 1 L’incidence des in­
fections du pied est d’environ 4 à 15% chez les patients diabé­
tiques,2 la majorité survient dans le contexte d’un diabète de
longue date, et l’ulcère est la porte d’entrée de nombreux pa­
thogènes. L’infection est le plus souvent un épiphénomène
survenant dans un terrain fragilisé par l’existence d’une poly­
neuropathie périphérique et d’une artériopathie, elles­mêmes
en lien avec la durée du diabète et la qualité de l’équilibre mé­
tabolique. En raison de la perte des sensations protectrices
fig 1
Lésions cliniques caractéristiques
d’une infection du pied diabétique:
nécrose, ulcération et purulence
aService des maladies infectieuses, bService de chirurgie orthopédique, cService
de diabétologie, HUG, 1211 Genève 14
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(Diffusion en accord avec le patient).
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maladies
infectieuses
l’antibiothérapie. Les échantillons envoyés en culture doivent
être issus de prélèvements tissulaires faits après débridement
profond; ceux intra­opératoires restent la référence. Les
prélèvements avec des écouvillons et en surface devraient
être évités: ils augmentent le risque d’isoler des bactéries
colonisant ou contaminant la plaie et de manquer les véri­
tables pathogènes. Les résultats de l’examen direct et de la
culture de prélèvements tissulaires ou de pus sont donc à
interpréter en fonction des types d’échantillons et de la si­
tuation clinique.
IWGDF: Groupe de travail international sur le pied diabétique; IDSA: Société
américaine d’infectiologie.
* L’infection est définie par la présence de ≥2 éléments suivants:
• Tuméfaction ou induration locale
• Erythème
• Sensibilité ou douleur locale
• Chaleur locale
• Ecoulement purulent (épais, opaque ou sanguinolent).
** SIRS: syndrome de réponse inflammatoire systémique.
diagnostic de l’ostéomyélite
Manifestations cliniques et paracliniques
de l’infection
Stade
selon PEDIS
Sévérité
selon IDSA
Pas de symptômes ou signes d’infection*
1
Absence
d’infection
•
Infection locale impliquant uniquement la
peau ou le tissu sous-cutané (sans implication
des tissus profonds ni signes systémiques)
En cas d’érythème: >0,5 cm ou ≤2 cm autour
de l’ulcère
• Exclusion d’autres diagnostics différentiels
d’inflammation (exemples: traumatisme, goutte,
neuro-ostéoarthropathie aiguë de Charcot,
thrombose, insuffisance veineuse, fracture)
2
Légère
Infection locale avec érythème >2 cm
ou impliquant des structures au-delà des tissus
sous-cutanés (abcès, fascéite, ostéomyélite,
arthrite septique) et absence de signes de SIRS**
3
Modérée
Infection locale avec signes de SIRS**:
• Température >38 ou <36°C
• Fréquence cardiaque >90/min
• Fréquence respiratoire >20/min
• Leucocytes >12 G/L ou <4 G/L ou >10%
neutrophiles non segmentés
4
Sévère
L’ostéomyélite du pied diabétique est presque toujours la
conséquence de la propagation contiguë de l’infection depuis
un ulcère chronique; 20% des infections du pied diabétique
impliquent l’os dans leur présentation initiale.4 Une ostéo­
myélite devrait être suspectée en présence d’un ulcère d’évo­
lution lente, de grande profondeur, ou si un orteil présente
une tuméfaction et un érythème chronique important. L’exa­
men à la sonde boutonnée est facilement réalisable et associé
à une valeur prédictive positive modérée à bonne, mais n’est
pas la preuve absolue d’une ostéomyélite chronique. Sur le
plan biologique, la présence d’un syndrome inflammatoire est
suggestive d’une ostéomyélite mais n’est pas nécessaire au
diagnostic.
Le gold standard diagnostique reste l’examen microbiologi­
que de biopsies osseuses percutanées ou de prélèvements
osseux peropératoires;5 ceci est renforcé lorsque c’est associé
à la visualisation de destructions osseuses à la radiographie
standard, ou encore au prélèvement aisé d’un bout d’os fragi­
lisé avec une pince (luérisation). Les cultures d’échantillons
des tissus mous adjacents à l’os ne sont pas suffisamment
fiables puisqu’elles ne permettent pas de prédire de manière
fiable les micro­organismes retrouvés dans les cultures de
tissus osseux.6 Sur le plan radiologique, la radiographie stan­
dard a une sensibilité variant entre 28 et 75% (sa sensibilité
est médiocre en cas d’infection précoce puisque les signes
radiologiques ne sont visibles qu’après plusieurs semaines) et
une spécificité d’environ 70%. Sa sensibilité augmente avec la
réalisation de radiographies sériées, à deux semaines d’inter­
valle. L’IRM est l’examen de choix, avec une sensibilité de
près de 80 à 90%.7 Le CT­scan est l’examen de choix lorsque
l’IRM est contre­indiquée. Il arrive que certains résultats
radiologiques soient contradictoires, comme en cas d’inflam­
mation osseuse sans destruction à l’IRM, alors que le CT­scan
ou la radiographie standard ne montrent pas de lésion osseuse:
on parle alors d’ostéomyélite radiologique, sans connaître à
l’heure actuelle les conséquences cliniques et la prise en charge
optimale de cette entité.
classIfIcatIon de la sévérIté des InfectIons
L’International Working Group on the Diabetic Foot (IWGDF)
et l’Infectious Diseases Society of America (IDSA) ont élaboré
des recommandations pour la classification et la prise en
charge des infections du pied diabétique. L’IWGDF a développé
une classification dont les critères sont regroupés sous l’acro­
nyme anglais PEDIS:3 Perfusion, Extent, Depth (profondeur de
la perte de tissus), Infection, Sensation (tableau 1). Elle a notam­
www.revmed.ch
Tableau 1
Classifications des infections du pied
diabétique selon l’IWGDF et l’IDSA
(Adapté de réf.3).
ment été validée comme outil de prédiction des outcomes. La
classification proposée par l’IDSA (tableau 1) a été prospecti­
vement validée comme outil de prédiction des outcomes en
général et du risque d’amputation des membres inférieurs
(3% en cas d’infection légère, 46% pour les formes modérées
et 70% pour une infection sévère).3
MIcrobIologIe
Les infections communautaires légères sont surtout causées
par des coques Gram positif aérobies, en particulier Staphylococcus aureus et, dans une moindre mesure, par des strepto­
coques bêta­hémolytiques (souvent du groupe B). Les infec­
tions modérées à sévères et les infections de plaies trauma­
tiques sont souvent polymicrobiennes, avec des coques Gram
positif (S. aureus), bacilles Gram négatif (Escherichia coli, Proteus
mirabilis, Klebsiella spp.) et bacilles Gram négatif non fermen­
tatifs (Pseudomonas aeruginosa) (tableau 2). Dans le cas de
l’ostéomyélite, l’agent causal le plus fréquent reste S. aureus,
seul ou comme bactérie prédominante dans une infection po­
lymicrobienne.
Jusqu’à la dernière décennie, la plupart des études traitant de
la microbiologie des infections du pied diabétique ont été me­
nées en Amérique du Nord et en Europe. En revanche, des
études récemment réalisées dans des régions du globe à climat
chaud (principalement en Inde, au Moyen­Orient et en Afrique)
montrent que S. aureus est moins prévalent (30% contre 75%
REVUE MÉDICALE SUISSE
Tableau 2
Recommandations pour l’antibiothérapie empirique des infections du pied diabétique
Aucune évidence ne permet de confirmer qu’un traitement intraveineux (IV) est supérieur à un traitement oral. Seules exceptio ns: bactériémies, dermo/hypodermites
étendues ou antibiotique uniquement disponible sous forme intraveineuse.
* Le portage de SARM ne justifie pas forcément une antibiothérapie dirigée contre le SARM.
** En cas de signes SIRS, prélever des hémocultures.
*** Eviter si possible toute antibiothérapie empirique en cas d’ostéomyélite non amputée. Une fenêtre antibiotique est recommandée et sa durée optimale est de minimum
4 jours et au mieux 10-14 jours avant tout prélèvement pour mise en culture.
**** Durée moins longue si tout os infecté est enlevé.
SARM: Staphylococcus aureus résistant à la méticilline; SIRS: syndrome de réponse inflammatoire systémique.
Sévérité de l’infection
Pathogènes attendus
Légère
•
•
•
S. aureus*
Streptocoques
Entérobactéries
Antibiotiques proposés
Voie d’administration
Durée de traitement
Céphalosporines
Amoxicilline
Clindamycine
Amoxicilline-acide clavulanique
Co-trimoxazole
Per os
1-2 semaines
Amoxicilline-acide clavulanique
Association clindamycine + quinolone
Per os ou IV
1-2 semaines
Pipéracilline-tazobactam
Céfépime
Carbapénème
IV puis per os
1-2 semaines
A adapter selon cultures et sensibilités
IV
1-2 semaines
A adapter selon cultures des prélèvements
osseux
Per os
4-6 semaines (en l’absence de
résection chirurgicale) ****
•
•
•
•
•
Modérée
•
•
•
Sévère
•
•
•
•
•
S. aureus
Streptocoques
Entérobactéries
•
S. aureus
Streptocoques
Entérobactéries
Anaérobes
Pseudomonas aeruginosa
•
Bactériémie associée**
Le plus souvent: S. aureus
Ostéomyélite***
•
•
•
S. aureus
Streptocoques
Entérobactéries
•
•
•
(Adapté de réf.14).
sous nos latitudes); les infections aux entérobactéries et à P.
aeruginosa sont rapportées comme étant les plus fréquentes.
Parmi les hypothèses de cette variation géographique, citons
les différences épidémiologiques, la disponibilité des antibio­
tiques sans ordonnance et l’utilisation des antibiotiques en
général ou encore d’autres facteurs soupçonnés et non prou­
vés tels qu’un climat aride ou le lavage itératif des pieds (avec
une prévalence élevée de certains Gram négatif dans le milieu
humide tels que P. aeruginosa).
Les bactéries anaérobies (Bacteroides et Finegoldia) sont rare­
ment identifiées, et ne sont pas associées à des signes clini­
ques spécifiques ni à des manifestations plus sévères. 8 Un
essai randomisé dans lequel l’isolement des anaérobes a été
optimisé a rapporté que parmi les six groupes de bactéries
isolées, aucun n’a été associé à de plus mauvais outcomes
(coques Gram positif anaérobies, Peptostreptococcus magnus,
Peptostreptococcus asaccharolyticus, bacilles Gram positif anaé­
robies et bacilles Gram négatif anaérobies y compris Bacteroides spp.). De même, plusieurs essais randomisés confirment
des outcomes équivalents entre des traitements comprenant
une couverture des germes anaérobies par rapport à ceux
avec une couverture plus étroite. 9 Dans ce contexte, il semble
donc raisonnable de ne pas modifier la pratique actuelle et
donc d’ajouter une couverture antibiotique contre les anaé­
robes uniquement en cas de sepsis avéré.
Concernant les champignons, les parasites et les mycobactéries,
leur relevance clinique est incertaine et ils ne sont décrits
comme agents pathogènes que dans de rares rapports de cas.
Comme dans tout le domaine orthopédique, les infections
virales osseuses ou des tissus mous n’ont pas (encore) été
décrites.
bactéries multirésistantes
La probabilité d’isoler une bactérie multirésistante (BMR) a
augmenté au niveau mondial au cours de la dernière décennie. 10
Les infections avec des souches de S. aureus résistant à la
méticilline (SARM), notamment communautaires, et les in­
fections par des bactéries Gram négatif, productrices de bêta­
lactamases à spectre élargi (BLSE) ou de carbapénémases,
sont un problème émergent et préoccupant, qui n’est pas en
soi l’objet de cet article.11 Les recommandations de traitement
à venir pourraient tenir compte de ce changement.
Microbiome et métagénomique
Les récentes techniques moléculaires, telles que la PCR 16S et
le séquençage génétique, permettent d’identifier une plus
grande variété de bactéries, notamment les anaérobes, 12 et
ont révélé de nouvelles informations concernant la manière
avec laquelle les bactéries «s’organisent» dans les infections
du pied diabétique, en «groupes fonctionnellement patho­
équivalents»: certaines espèces bactériennes qui sont géné­
ralement non pathogènes peuvent se réunir de manière sym­
biotique au sein d’un biofilm pathogène et agir en synergie
pour provoquer une infection chronique. La diversité bacté­
rienne est probablement liée au développement d’un biofilm
microbien fixé à la matrice de la plaie. Ces techniques n’ap­
portent pas encore toutes les réponses concernant les déter­
minants de cette organisation et la distinction entre orga­
nismes colonisants et pathogènes. Elles ne permettent pas
encore de dire si le traitement antibiotique devrait être ciblé
sur une ou plusieurs espèces, sur certaines espèces «leaders»
ou d’autres considérées jusqu’alors comme non pathogènes.
Toutefois, ces études ouvrent la voie vers de potentiels
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maladies
infectieuses
nouveaux paradigmes dans la compréhension de l’infection
du pied diabétique.12,13
traIteMents
La prise en charge d’une infection du pied diabétique néces­
site une approche multidisciplinaire. 2 La figure 2 illustre un
itinéraire clinique de la prise en charge des infections du pied
diabétique aux Hôpitaux universitaires de Genève.
sociétés savantes3 (tableau 2). L’antibiothérapie empirique doit
assurer la couverture de S. aureus, le pathogène le plus fréquent
sous nos latitudes. Selon les centres, si la prévalence de SARM
communautaire estélevée, sa couverture peutêtre recomman­
dée. Si l’infection est modérée à sévère ou en cas d’échec d’une
antibiothérapie à spectre étroit, le traitement doit permettre
la couverture des bactéries Gram négatif.3 Dans les régions du
globe à climat chaud, et surtout en cas de sepsis ou d’infec­
tion sévère, la couverture empirique des bactéries Gram né­
gatif et éventuellement des anaérobes est primordiale.15
Antibiothérapie ciblée
chirurgie, revascularisation, podologie et décharge
du membre inférieur
La plupart des infections du pied diabétique nécessite une in­
tervention médicale et chirurgicale avec notamment débride­
ment, incision, drainage et amputation en cas d’ischémie dé­
passée.14 La chirurgie est incontournable dans le traitement des
abcès, fascéites nécrosantes et certains cas d’ostéomyélite des­
tructive où elle est aussi préventive dans le cadre des modifi­
cations anatomiques liées à la polyneuropathie.2 La présence d’un
ulcère chez un patient diabétique implique la réalisation d’un
bilan vasculaire et une proposition de revascularisation en cas
d’insuffisance artérielle. Les soins de podologie et la décharge
adéquate et constante du membre concerné sont primordiaux.14
antibiothérapie
Lorsque les cultures quantitatives montrent la présence de
multiples organismes, la décision de considérer une souche
particulière comme dominante, et donc celle à traiter, dépend
de la qualité de l’échantillon et du type de micro­organisme:
si l’échantillon est obtenu de manière aseptique dans des tissus
mous profonds ou au niveau osseux, la couverture des deux
ou trois espèces les plus prévalentes semble prudente. En effet,
dans la plupart des cas, il est recommandé de ne traiter que le
pathogène qui semble le plus susceptible d’être à l’origine de
l’infection tel que S. aureus, les streptocoques et les entéro­
bactéries présents en quantité significative (tableau 2). Con­
cernant les germes commensaux de la peau, comme les sta­
phylocoques coagulase négatif, les corynebactéries ou certaines
espèces de Bacillus, une couverture spécifique n’est recomman­
dée que si le patient est porteur au niveau du pied de matériel
d’ostéosynthèse susceptible d’être infecté.
Antibiothérapie empirique
Dans l’attente des résultats microbiologiques, le choix de l’anti­
biothérapie estdéterminé par la situation clinique, l’épidémio­
logie microbienne locale et selon les recommandations des
Concernant le traitement des infections causées par des patho­
gènes multirésistants, les résultats sont contradictoires, mais
il ne semble pas nécessaire d’ajuster la prise en charge stan­
Itinéraire clinique de la prise en charge intra-hospitalière d'une infection du pied diabétique
aux Hôpitaux Universitaires de Genève
fig 2
Phase 1 – Admission
Consultation spécialisée de diabétologie:
• Optimisation rapide du profil glycémique
• Détermination du status nutritionnel
• Consultation spécialisée d’angiologie: bilan
vasculaire
• Débridement, décharge
Non
Suspicion d’infection?
Phase 2 – Pendant l’hospitalisation
Phase 3 – Préparation à la sortie
Suivi par consultation spécialisée de
diabétologie:
• Optimisation du profil glycémique
• Nouvelle estimation du status nutritionnel
• Planification du suivi ambulatoire
• Soins infirmiers et podologue
• Décharge obligatoire
• Chaussage adapté/orthopédique
Suivi par consultation spécialisée de
diabétologie:
• Optimisation du profil glycémique et de
la compliance
• Suivi par la consultation spécialisée de
chirurgie orthopédique et/ou d’angiologie
et/ou d’infectiologie:
– Soins de plaie, débridement, antibiothérapie, revascularisation, décharge obligatoire
– Podologie
Oui
Infection sévère?
Ostéomyélite?
CRP
• Cultures des prélèvements profonds de
tissu post-débridement/ou d’aspiration de pus
• Examens radiologiques standards
•
Non
Oui
Suivi par les consultations spécialisées et
considérer:
– Une chirurgie
– Une revascularisation
• Soins de plaie, débridement,
antibiothérapie selon recommandations
• Décharge obligatoire
•
Consultation spécialisée de chirurgie
ortho- pédique, vasculaire et d’infectiologie
• Débuter l’antibiothérapie selon les recommandations
•
(Adaptée de réf 14).
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REVUE MÉDICALE SUISSE
dard empirique16 (tableau 2). En cas de portage de SARM hos­
pitalier (au contraire du SARM communautaire), les taux de
guérison sont similaires en cas d’antibiothérapie empirique
couvrant le SARM ou non.16
On peut s’interroger sur la pénétration des antibiotiques oraux
notamment jusqu’au tissu osseux en cas d’artériopathie sous­
jacente. Pour certains antibiotiques (clindamycine, fluoroqui­
nolones, linézolide, rifampicine, tétracyclines et co­trimoxa­
zole), des études rapportent une biodisponibilité orale accep­
table, associée à une pénétration suffisante dans la synovie et
dans l’os, étonnammentmême enprésence d’une macroangio­
pathie ischémique.17 Concernant les bêtalactames en adminis­
tration orale, les concentrations tissulaires peuvent parfois
être basses.
Une revue systématique de la littérature réalisée par l’IWGDF
(douze études randomisées contrôlées, retenues pour l’ana­
lyse) conclut qu’aucun antibiotique n’est supérieur aux autres
pour les infections du pied diabétique. 14,17,18 Finalement, au­
cune étude n’a clairement montré la supériorité des agents
bactéricides par rapport aux bactériostatiques, ni la supériorité
d’une voie d’administration ou d’une durée d’antibiothérapie.17,18
Cas particulier de l’ostéomyélite
La durée optimale du traitement de l’ostéomyélite du pied
diabétique non amputé n’est pas connue avec certitude. Un
traitement de 4­6 semaines, associé à une intervention chirur­
gicale (débridement et résection des tissus mous et osseux in­
fectés ou nécrotiques), est recommandé. 3 Pourtant, certaines
études rapportent des taux de guérison atteignant parfois 60­
70% en l’absence de traitement chirurgical. En fonction de la
situation clinique, si une chirurgie n’est pas envisageable ou
n’est pas souhaitée par le patient, en l’absence d’ischémie cri­
tique ou d’altérations anatomiques favorisant l’hyper­appui,
un traitement antibiotique seul peut être raisonnablement
effectué dans un premier temps; ceci tout en informant le pa­
tient qu’il n’y a pas de garantie claire de guérison (ce qui est
cependant aussi valable pour l’approche chirurgicale, notam­
ment en cas d’ischémie compromettante associée).
conclusIon
Les infections du pied diabétique sont un problème fréquent,
associé à une importante morbidité et dont la prise en charge
est multidisciplinaire.2 La recherche clinique et dans le domaine
de la microbiologie a permis d’améliorer notre compréhension
de la pathophysiologie des infections du pied diabétique et
autorisera à l’avenir des traitements davantage ciblés. Pour
l’antibiothérapie empirique, le choix doit être basé sur l’his­
toire du patient, la sévérité de la situation clinique et l’épidé­
miologie microbienne locale; pour les infections légères à
modérées, l’antibiothérapie empirique doit assurer la couver­
1 al-Mayahi M, cian a, Kressmann b, et
3 ** lipsky ba, berendt ar, cornia pb,
al. associations of diabetes mellitus with
orthopaedic infections. Infect dis (lond)
2016;48:70-3.
2 darbellay p, uçkay I, dominguez d, et
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une approche multidisciplinaire par excellence. rev Med suisse 2011;7:894-7.
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america clinical practice guideline for the
diagnosis and treatment of diabetic foot
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4 newman lg, Waller J, palestro cJ, et
al. unsuspected osteomyelitis in diabetic
foot ulcers. diagnosis and monitoring by
ture pour S. aureus, les streptocoques et entérobactéries, et
doit être étendue pour les infections sévères à la couverture
des Gram négatif. Pour l’antibiothérapie ciblée, l’antibiotique
est choisi en fonction des résultats des cultures, en tenant
compte de la qualité des prélèvements. La littérature à dispo­
sition ne permet pas de faire ressortir une classe d’antibio­
tique, une voie d’administration ou une durée de traitement
idéale; les recommandations des sociétés comme l’IDSA font
donc encore référence. La prise en charge de l’ostéomyélite
destructive ou ischémique du pied diabétique associe inter­
vention chirurgicale et antibiothérapie, bien qu’aucune étude
n’ait permis de conclure que cette prise en charge était dans
tous les cas supérieure à une antibiothérapie seule. Finalement,
rappelons que toute infection du pied diabétique risque de
progresser et/ou récidiver si certaines conditions (l’hyper­ap­
pui, le mauvais équilibre glycémique, le tabagisme, l’hyperten­
sion, le respect des techniques de décharge, le chaussage adé­
quat, le bon soin des plaies et le suivi podologique) ne sont pas
respectées ou corrigées, et ceci tout au long de la vie du patient.
Remerciements: Les auteurs remercient M. Christophe Paoli (podologie), M. Alain
Lacraz (physiothérapie prothétique) et Mme Michelle Le Braz (Itinéraires cliniques)
ainsi que les équipes des Services de diabétologie, d’orthopédie et du Laboratoire
de bactériologie des HUG.
Conflit d’intérêts: Les auteurs n’ont déclaré aucun conflit d’intérêts en relation
avec cet article.
implicaTions praTiques
Les infections du pied diabétique sont un problème fréquent,
associé à une importante morbidité et dont la prise en charge est
multidisciplinaire
Il faut distinguer l’antibiothérapie empirique, qui doit assurer la
couverture des pathogènes les plus fréquents en fonction de
l’épidémiologie microbiologique locale, de la sévérité de la situation
clinique et des antécédents de traitements antibiotiques, et
l’antibiothérapie ciblée, qui doit être adaptée aux résultats des
cultures de prélèvements tissulaires
Les pathogènes les plus fréquemment responsables des infections
du pied diabétique non sévères sont Staphylococcus aureus, les
streptocoques et les entérobactéries
Chez les patients avec une infection sévère, l’antibiothérapie
doit être élargie pour assurer la couverture des bactéries Gram
négatif
La littérature à disposition ne permet pas de faire ressortir une
classe d’antibiotique, une voie d’administration ou une durée de
traitement idéale; les recommandations des sociétés comme
l’IDSA (Infectious Diseases Society of America) font donc pour le
moment référence
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