Physiopathologie de la douleur de la fibromyalgie

Telechargé par Myriam Aubry
Physiopathologie de la douleur de la fibromyalgie
Éric Houvenagel *
Service de rhumatologie, centre hospitalier Saint-Philibert, rue du Grand-But, 59462 Lomme cedex, France
Reçu le 12 février 2003 ; accepté le 12 février 2003
Mots clés : Fibromyalgie ; Muscle ; Allodynie ; Neuromédiateurs ; Sérotonine ; Hormone de croissance
Keywords: Fibromyalgia; Muscle; Allodynia; Neuromediator; Serotonin; Growth hormone
La fibromyalgie (FM) est définie par un syndrome poly-
algique chronique associé à la présence de points douloureux
reproduits à la palpation. D’autres symptômes sont observés
tels que fatigue, céphalées, syndrome du colon irritable,
troubles du sommeil. Contrairement aux pathologies d’or-
gane la source même de la douleur est difficile à préciser. Les
aires de recherche qui ont exploré les mécanismes pathogé-
niques n’ont pas encore permis d’établir précisément l’étio-
logie de ce modèle douloureux singulier, et aucune théorie
uniciste n’a été adoptée. Toutefois plusieurs pistes permet-
tent de penser qu’il existe un trouble de la modulation cen-
trale de la douleur et de nombreux travaux ont été menés ces
dernières années afin de préciser les composantes du système
nerveux central impliquées dans la FM. Les aspects pathogé-
niques de la douleur seront ici développés en faisant princi-
palement référence aux anomalies centrales.
1. Le muscle responsable de la douleur ?
Les premiers travaux en particulier les études morpholo-
giques qui avaient suggéré une hypothèse primitivement
musculaire à l’origine des douleurs et de la fatigue n’ont pas
été confirmés. Les analyses avaient mis en évidence des
modifications mineures et non spécifiques pouvant témoi-
gner d’anomalies mitochondriales, des modifications de la
pression tissulaire d’oxygène, une diminution des phospha-
tes à haute énergie (ATP et phosphocréatine) [1]. Les études
en microscopie électronique n’ont pas révélé d’anomalies [2]
et les travaux à la recherche d’anomalies métaboliques utili-
sant la spectroscopie au P31 par résonance magnétique sont
contradictoires [3]. Ces perturbations fonctionnelles pour-
raient être la conséquence d’un déconditionnement muscu-
laire, d’une ischémie locale, voire de microtraumatismes
musculaires. Elles ne peuvent à elles seules expliquer l’état
d’hyperalgésie,et encore moinsles symptômes associés,et la
FM ne peut être considérée comme un syndrome primitive-
ment musculaire [4]. En revanche les microtraumatismes
musculaires pourraient de manière indirecte participer aux
perturbations neurologiques centrales comme cela sera déve-
loppé plus loin.
2. Une origine psychogène ?
De même la douleur de la FM ne peut être la conséquence
(trop simpliste) d’un état anxiodépressif. Il pourrait être
tentant de mettre en avant les facteurs psychiatriques comme
étant à l’origine de la douleur de la FM en raison de l’absence
de lésions organiques, de troubles du sommeil, de la réponse
thérapeutique aux antidépresseurs. De nombreux travaux ont
montré que les critères en faveur de syndromes anxieux et
dépressifs étaient plus fréquents dans la FM que chez les
témoins [5,6,7]. Toutefois ces troubles psychiatriques rap-
portés dans les différentes études ne sont ni stéréotypés ni
constants. À noter que les enquêtes familiales ont montré
dans les familles de FM une incidence plus élevée d’épisodes
de dépression majeure, en faveur d’un terrain génétique pré-
disposé, vulnérable. Le Tableau 1 résume les arguments
retenus plaidant pour ou contre une théorie psychiatrique de
la FM. Il faut ajouter que le bénéfice antalgique des antidé-
presseurs observé dans la FM est probablement indépendant
de l’effet thymo-analeptique, sur des arguments chronologi-
ques et posologiques. Tous ces éléments démontrent que les
différents symptômes de la FM ne peuvent être attribués au
seul problème psychiatrique, même si certains facteurs psy-
chologiques ne peuvent être niés. La dépression et les autres
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (E. Houvenagel).
Revue du rhumatisme 70 (2003) 314–320
www.elsevier.com/locate/revrhu
© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.
DOI:10.1016/S1169-8330(03)00101-7
symptômes peuvent être regroupés pour certains dans un
même syndrome dénommé«désordre de la vie affective ».
Dépression et syndrome douloureux ninterviendraient non
pas dans une relation de cause àeffet, mais coexisteraient
sous la dépendance de facteurs psychobiologiques communs
[13] ce qui a pour avantage de réconcilier les tenants de la
théorie organique et fonctionnelle.
L’état des données actuelles semble indiquer que le syn-
drome douloureux implique un désordre central de la modu
lation douloureuse. L’état dhyperalgésie peut en effet dif-
cilement être expliquépar les seules modications des tissus
périphériques, tels que musculaires. Un processus central est
actuellement volontiers évoquédevant la conjonction dano-
maliesde laperception dela douleur,de troublesde lhumeur
et du sommeil. De nombreux arguments appuient cette hypo-
thèse et sont résumés dans le Tableau 2. Plusieurs candidats
ont étérendus responsables de lamplication àla douleur
observée dans la FM.
3. La FM : un trouble de la modulation de la douleur ?
Lhyperalgésie observée aux points définis par le collège
américain est un caractère cléde la définition de la FM. Elle
signiequil existe une augmentation de la réponse àun
stimulus entraînant classiquement une douleur (excitation
des nocicepteurs induite par des stimuli de faible intensité).
En réalité, il faut plutôtévoquer ici un état dallodynie géné-
ralisée [14] correspondant àune situation dans laquelle la
douleur est induite par un stimulus qui nentraîne pas de
douleur àl’état normal. La pression nécessaire pour faire
apparaîtreune douleur estnettement diminuée danslegroupe
bromyalgiepar rapportau groupetémoin (1,9kg dansle cas
dela FM,contre 5,4kg pourles témoins) [15]. Cela témoigne
dune diminution du seuil douloureux dans la FM [16],
lequel est 2 à3 fois plus bas par rapport aux sujets normaux.
Bien que le diagnostic clinique de la FM repose sur la
détection de 11 points sur 18 précisés, cette diminution du
seuil douloureux apparaîtenfaitgénéraliséeàlensemble du
corps et non pas restreinte aux points définis par le collège
américain, (ce qui rend dailleurs plus fragile lutilisation de
ces critères). Dautre part la diminution du seuil douloureux
est également observée en utilisant des stimulus électriques
ou thermiques, témoignant dune hypersensibilisation uni-
verselle àla douleur, et les seuils de perception non doulou-
reux àla chaleur ou au froid sont également plus bas au cours
de la FM par rapport aux témoins [17]. Une amplication
sensorielle réalisant un état dhypervigilance comportant une
hyperacousie et hyperexcitabilitévestibulaire a par ailleurs
étémise en évidence dans la FM. Cet état dhypersensibili-
sation générale plaide en faveur dune dysfonction du sys-
tème nerveux central (SNC).
Après stimulation thermique par laser-CO
2
, une augmen-
tation signicative des amplitudes des réponses des poten-
tiels évoquéscérébraux était observée aux seuils douloureux
dans la FM, suggérant une activation plus importante des
voies du SNC [18]. Latténuation de la douleur induite par
lapplication dun stimulus thermique simultanéchez le sujet
normal (contrestimulation) nest pas reproduite chez des
patients bromyalgiques [19], suggérant également un trou-
ble de modulation de la douleur, une perturbation du système
antinociceptif (contrôle inhibiteur). Leffet de sommation
douloureuse temporelle napparaît pas atténuépar les contrô-
les inhibiteurs chez les patients bromyalgiques par rapport à
des témoins masculins [20]. Les phénomènes douloureux de
la FM résulteraient dune sensibilisation médullaire impli-
quant une hyperactivitédes neurones spinaux liés au NMDA
(N-méthyl-D-aspartate) (21) et linjection intraveineuse de
kétamine un antagoniste des récepteurs NMDA en-
traîne une réduction durable et signicative de lintensitéde
la douleur chez les patients bromyalgiques [22]. Certains
neuropeptides (substance P, CGRP = calcitonin gene related
peptide) pourraient accentuer cette sensibilisation centrale.
Tous ces travaux suggèrent que les anomalies de perception
de la douleur font intervenir des mécanismes spinaux ou
supraspinaux, et certains auteurs évoquent donc un déficit du
Tableau 1
Arguments plaidant pour ou contre une origine psychiatrique de la bro-
myalgie (FM)
Pour Contre
Absence de lésion organique Absence danomalies psychiatriques
par rapport aux témoins, dans
certaines études [89]
Perturbations psychiatriques par
rapport aux témoins (dépression
anxiété) (Ahles, 1984 ; Wolfe, 1984)
Perturbations psychiatriques
inconstantes et non stéréotypées
Réponse favorable aux tricycliques Caractère non toujours simultané
entre dépression et syndrome
douloureux
Absence de diminution du seuil
douloureux dans la dépression
majeure [10]
Absence de relation entre prévalence
de la dépression et sévéritéde la
douleur ou nombre de points
douloureux [11]
Différences des réponses centrales à
la stimulation douloureuse entre FM
et dépression [12]
Tableau 2
Arguments plaidant pour une origine centrale des mécanismes de la douleur
de la bromyalgie
Diminution généralisée du seuil douloureux
Hypersensibilisation générale : diminution des seuils douloureux par
stimulations mécaniques, thermiques, électriques. Diminution des seuils de
perception au chaud et au froid [17].
Phénomène de sensibilisation médullaire [18,19]
Déficit du contrôle inhibiteur de la douleur [2023]
Anomalies des neuromédiateurs intervenant dans la douleur [30,31,41]
Anomalies des structures du SNC impliquées dans le contrôle de la douleur
[27,28] Facteurs prédisposant
(susceptibilitégénétique,
vulnérabilitépsychologique,
Troubles du métabolisme de la
sérotonine) Anomalies de
neuromédiateurs
315E. Houvenagel / Revue du rhumatisme 70 (2003) 314320
contrôle inhibiteur de la douleur [19,23]. En revanche, des
différences portant sur les processus impliquant la modula-
tion de la douleur ont étérécemment démontrées entre hom-
mes et femmes et ceci en labsence de FM, ce qui pourrait
suggérer que des anomalies des mécanismes inhibiteurs de la
douleur prédisposeraient au développement de la FM chez la
femme [20].
Des lésions tissulaires ou nerveuses périphériques, une
exposition répétéeàdes stimuli périphériques douloureux
peuvent modier lactivitédu système nerveux central, et
ainsi conduire àlinstallation dune douleur chronique dori-
gine centrale, un état dhyperalgésie ou dallodynie pouvant
persister même aprèsguérison de la lésion tissulaire [24].
Plusieurs auteurs pensent que, comme ce qui est observéàla
suite dune lésion nerveuse, des modications du système
nerveux central apparaissent au cours de la FM, faisant inter-
venir une sensibilisation centrale, une altération des systè-
mes de modulation des messages nociceptifs, des modica-
tions fonctionnelles médullaires (neuroplasticitécentrale)
[14]. Les altérations fonctionnelles des voies spinales aug-
menteraient la transmission nociceptive dans les aires céré-
brales et une nouvelle organisation fonctionnelle des bres
nerveuses pourrait transmettre la douleur dans certaines
conditions. Un tel concept rendrait compte des FM observées
au cours de certains rhumatismes inammatoires chroniques
[25], ou faisant suite àun traumatisme par exemple cervical
[26]. Toutefois certaines douleurs relèvent dun mécanisme
central même en labsence de toute cause périphérique noci-
ceptive. Au total lexpression anormale de la douleur impli-
que probablement des dysfonctionnements centraux, appa-
raissant en réponse àdes anomalies des afférences
neuronales (dépendantes de stimuli périphériques), ou surve-
nant spontanément en labsence de stimulus. Tous les étages
du système nerveux central peuvent être en cause.
Des travaux ont portésur les structures mêmes du SNC
impliquées dans la douleur.La débimétrie cérébrale (Spect =
single photon emission computed tomography),arévélé
dans la FM une réduction des ux sanguins cérébraux régio-
naux dans le thalamus et le noyau caudépar rapport aux
témoins [27]. Cette réduction du ux (qui témoigne dune
diminution de lactivitéfonctionnelle), pourrait rendre
compte de latteinte centrale des processus inhibiteurs de la
transmission douloureuse et donc de lanomalie de percep-
tion de la douleur. Les valeurs du ux cérébral n’étaient pas
liées aux index danxiétéou de dépression. La réduction du
ux dans le thalamus et le noyau caudépeut être induite par
une exposition prolongéeàdes stimuli nociceptifs périphéri-
ques via un excès de neuropeptides des bres-C. Lensemble
va modier les réponses centrales, avec diminution du seuil
de la douleur et apparition dun syndrome douloureux chro-
nique. Un autre travail plus récent a montréquaprès stimu-
lation périphérique, la répartition des modications des ux
sanguins cérébraux était différente dans la FM et dans la
dépression [12].
De même, le développement de techniques dimagerie
cérébrale fonctionnelle (f MRI) a permis dobjectiver les
mécanismes impliqués dans le traitement central de la dou-
leur au cours de la FM [28]. Les images cérébrales étaient
analysées après stimulation dintensitévariable sur le lit de
longle du pouce. Les résultats ont montréque des régions
cérébrales communes étaient activées chez les témoins et les
FM en provoquant une pression sufsante pour entraîner des
sensations douloureuses identiques dans les 2 groupes. En
revanche,pour une intensitédestimulation identiquepour les
2 groupes (qui provoquait une sensation douloureuse dans le
groupe FM, mais pas chez les témoins), lactivitéet la répar-
tition des régions cérébrales activées était qualitativement et
quantitativement différente entre témoins et FM. Ces travaux
démontrent que les traitements centraux des signaux doulou-
reux sont différents au cours de la FM, par rapport aux sujets
normaux.
Les symptômes variés rencontrés au cours de la FM, ont
conduit àévoquer une altération du système limbique et de
ses projections [29]. Le système limbique est un régulateur
complexe impliquédans la douleur, le sommeil, lhumeur, la
fatigue..., et qui possède des relations réciproques sur le
système endocrinien et la modulation du système nerveux
périphérique. La dysfonction du système limbique peut être
engendréepar descauses centralesou apparaîtreen réponseà
des stress dorigine variée. Les principaux arguments en
faveur dune origine centrale sont résumés dans le Tableau 2.
4. Les neuromodulateurs impliqués
Une anomalie de la neuromodulation doit être évoquéeen
raison des arguments qui viennent d’être développés. De
nombreuses substances impliquées dans la neuromodulation
du message douloureux, jouant un rôle soit dans la transmis-
sion soit dans linhibition de la douleur) peuvent conduire à
un syndrome damplication àla douleur.
La sérotonine (5-hydroxytryptamine) est un neurotrans-
metteur qui joue un rôle dans la modulation de linformation
douloureuse par son action antinociceptive. Elle est mise en
jeu par les structures supraspinales, et module la transmis-
sion nociceptive dans la corne postérieure. Elle intervient
aussi dans la régulation du sommeil àondes lentes et est
incriminée dans certains désordres psychiatriques, essentiel-
lement anxiétéet dépression. Un trouble du métabolisme de
la sérotonine mérite donc d’être évoquédans la FM. Cette
hypothèse a étéconfortée par plusieurs travaux qui ont dé-
montréune diminution des taux sériques de sérotonine et des
taux de 5-HIAA (5-hydroxyl-indol-acetic acid) dans le LCR
des FM par rapport aux témoins [30,31]. Enn, le bénéfice
des traitements sérotoninergiques vient appuyer lintérêt des
travaux concernant ce neuromédiateur [32]. Il faut ajouter
que leffet antalgique des antidépresseurs ne semble pas liéà
leur propre effet antidépresseur, puisquil ny a pas de diffé-
rence defcacitéentre patients déprimés ou non dans certai-
nes études. Enn, les antidépresseurs sérotoninergiques purs
ne semblent pas plus efcaces que les tricycliques àeffet
mixte, et le mécanisme sérotoninergique nest sûrement pas
exclusif.
316 E. Houvenagel / Revue du rhumatisme 70 (2003) 314320
Plusieurs types de récepteurs de la sérotonine ont été
identifiésetlefcacitédes traitements sérotoninergiques
peut être dépendante de la densité,delafnitéet de la
distribution de ces récepteurs. Ceci pourrait expliquer une
réponse hétérogène aux différents antidépresseurs tricycli-
ques, rendant difcile linterprétation des essais thérapeuti-
ques. Des traitements sélectifs contre un seul type de récep-
teur 5-HT pour- raient représenter des armes thérapeutiques
ciblées. Si des agents bloquant les récepteurs 5-HT2 nont
pas apportéde bénéfice signicatif, en particulier sur le score
douloureux dans un groupe de patients FM par rapport aux
témoins, au contraire londansetron, un antagoniste sélectif
des récepteurs 5-HT3, évaluédans une étude en double
aveugle, incluant 21 patients suivis pour FM [33] a apporté
une réponse chez 50 % des patients sur lintensitéet le score
douloureux, le nombre de points douloureux, lintensitédes
céphalées. Les 5-HT-3R joueraient un rôle dans les «fonc-
tions nociceptives »centrales. De récents travaux permettent
de penser que ces troubles du métabolisme de la sérotonine
sont sous-tendus par une prédisposition génétique [34]. Cer-
tains génotypes codant pour le transporteur de la sérotonine
sont plus fréquents dans la FM comparée aux témoins. Le
transporteur de la sérotonine joue justement un rôle impor-
tant dans la transmission sérotoninergique. La vulnérabilitéà
la dépression pourrait de même répondre àdes mécanismes
génétiques.
En dehors du syndrome polyalgique, dautres symptômes
de la FM pourraient rendre compte dun trouble du métabo-
lisme de la sérotonine [35]. La migraine fréquemment asso-
ciée aurait comme dénominateur commun avec la FM un
déficit du système sérotoninergique [36]. Des modications
de la fonction sérotoninergique centrale ont étérapportées au
cours de certaines dépressions [37], proches de ce qui a été
démontrédans la FM. Ennunmécanisme sérotoninergique
serait également impliquéau cours du syndrome du colon
irritable, volontiers associéàla FM : les traitements utilisant
les antagonistes 5-HT3 évoqués plus haut améliorent les
douleurs intestinales et induisent une augmentation du seuil
de sensibilitéàla stimulation rectale [38].
La sérotonine est donc très probablement impliquée dans
les mécanismes douloureux voire dans dautres symptômes
de la FM. Dautres neurotransmetteurs antinociceptifs tels
que les endorphines mesurées dans le LCR ne semblent pas
modifiés au cours de la FM [39]. Toutefois les désordres
neurobiochimiques sont certainement plus complexes
quune anomalie dun simple neuromédiateur.
Comme autre exemple, des travaux ont tentédobjectiver
des perturbations de neurotransmetteurs nociceptifs tels que
la substance P (SP). La SP joue un rôle dans les mécanismes
nociceptifs, et peut même induire un état dallodynie en
médecine expérimentale. Des taux élevés de SP dans le LCR
ont étémis en évidence chez des patients bromyalgiques
[40], résultats qui nont pas étéretrouvés dans dautres syn-
dromes douloureux tels que la lombalgie chronique ou la
neuropathie diabétique. La SP interviendrait dans le phéno-
mène de sensibilisation médullaire évoquéplus haut. Un
autre travail a révélépar rapport aux témoins des taux aug-
mentésdenerve growth factor (NGF) dans le LCR au cours
de la FM [41]. Ce neurotransmetteur intervient dans la trans-
mission douloureuse en modiant lexpression de la SP et
pourrait être impliquédans le processus de neuroplasticité.
La source de cette élévation centrale de la SP nest pas
déterminée. Enn, tout récemment la modication dautres
médiateurs (nocistatine et nociceptine) a étéétudiée dans le
sérum des patients : la nocistatine qui est un antagoniste de la
nociceptine supprime lallodynie dans des modèles murins.
La présence danticorps contre ces médiateurs serait capable,
dans un sous-groupe de patients FM, de jouer un rôle dans la
douleur de la FM [42]. Dautres agents neurochimiques non
évoqués ici peuvent être impliqués dans le processus doulou-
reux [43]. La complexiténe fait que sexacerber si lon
considère la multiplicitédes neurotransmetteurs, de leurs
récepteurs, la modulation des étages nociceptifs dans tous les
circuits de la douleur.
5. Système neuro-endocrinien
Les diverses anomalies hormonales qui ont étérapportées
au cours de la FM [44] sont disparates, inconstantes, et
nautorisent pas àenvisager une hypothèse physiopathologi-
que précise. Il est difcile d’établir si elles sont responsables
ou si elles résultent des symptômes observés. En revanche,
elles ne peuvent être retenues comme responsables àelles
seules dun syndrome polyalgique. Deux axes endocriniens
méritent toutefois d’être explorés:laxe adrénergique pour
ses rapports avec le stress, l’étude de lhormone de crois-
sance (GH) en raison de sa liaison aux perturbations du
sommeil.
Plusieurs travaux ont objectivédes perturbations de laxe
hypothalamo-hypophyso-surrénalien par rapport aux té-
moins. Toutefois, celles-ci ne sont ni marquées ni caractéris-
tiques [45]. Il nexiste pas danomalie franche des rythmes
circadiens. La FM appartiendrait aux «syndromes associésà
une modication de la réponse aux stress », dans lesquels le
stress favorise la genèse et lentretien des symptômes et
ayant en commun des perturbations de laxe adrénergique et
du système sympathique. De manière parallèle, les syndro-
mes liésàun événement post-traumatique (post-traumatic
stress disease) sont souvent associésàun syndrome doulou-
reux, et la présence dune bromyalgie y serait particulière-
ment signicative [46].
Une diminution signicative dIGF-1 traduisant une dimi-
nution de lhormone de croissance (GH) a étérapportée chez
les bromyalgiques par rapport aux témoins [47]. Lhormone
de croissance est synthétisée surtout durant les stades 3 et 4
du sommeil, phases justement perturbées au cours de la FM
(toutefois ces anomalies napparaissent ni constantes, ni spé-
ciques de la maladie). La diminution des taux dIGF-1
apparaissait plus comme une conséquence des troubles du
sommeil, que comme un événement déclenchant de la FM.
La GH joue en revanche, un rôle dans lhoméostasie muscu-
laire et une diminution de la synthèse de GH pourrait rendre
317E. Houvenagel / Revue du rhumatisme 70 (2003) 314320
compte de la réparation incomplète des microtraumatismes
musculaires [48] et contribuer àla transmission nociceptive à
partirdes bresnerveusespériphériques vers la corne dorsale
médullaire. Ainsi, ces perturbations pourraient représenter
un maillon neuro-endocrinien entre les troubles du sommeil
et les manifestations cliniques de la FM. Des interactions
complexes existent en revanche, entre lhormone de crois-
sance et les composantes neuromodulatrices. Le déficit en
GH rendrait compte également de symptômes associésàla
FM : fatigue, faible tolérance àlexercice. Enn les injec-
tions de GH par rapport au placebo améliorent signicative-
ment les patients bromyalgiques [49], mais le coût impor-
tant dun tel traitement interdit une utilisation prolongée.
6. Conclusion
L’état de nos connaissances ne permet pas de formuler de
schéma pathogénique uniciste. Les mécanismes conduisant
Tableau 3
Mécanismes conduisant àlapparition du syndrome polyalgique au cours de la bromyalgie
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