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La fibromyalgie
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Luxereau, F. Boureau*
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■ Tableau clinique fréquent en consultation médicale.
■ Douleurs chroniques diffuses et points caractéristiques
douloureux à la palpation.
■ Diagnostic exclusivement clinique.
■ Physiopathologie non univoque : voie finale commune
de processus variés aboutissant à une douleur chronique.
■ Handicap souvent sévère, contrastant avec une absence
de déficit musculaire objectif.
■ Prise en charge thérapeutique jamais univoque, axée à
la fois sur l’analgésie et la revalidation.
■ Contrôle de la douleur.
TABLEAU CLINIQUE
Symptomatologie
La FM est une atteinte douloureuse, non articulaire, concernant
de façon prédominante les zones musculaires. C’est la cause la
plus courante de douleurs musculosquelettiques diffuses et
chroniques. Elle est typiquement associée à une fatigue persistante, un sommeil non réparateur, une perception de raideur
généralisée. Les femmes en sont affectées dix à vingt fois plus
que les hommes. La FM est souvent un syndrome plus riche,
incluant maux de tête, côlon irritable ou vessie instable,
dysménorrhée, sensibilité au froid, phénomène de Raynaud,
syndrome des jambes sans repos, engourdissement et fourmillements atypiques, intolérance à l’effort et sensation de faiblesse. Une proportion variable (20 à 50 %) de patients fibromyalgiques éprouvent une dépression ou de l’anxiété ce qui
peut contribuer à la sévérité des symptômes. Typiquement, les
symptômes sont pires lorsque le climat est froid et humide, au
début et à la fin de la journée et dans les périodes de stress
émotionnel (1). L’exercice musculaire aggrave habituellement
la douleur.
Critères diagnostiques
L
a fibromyalgie (FM), également appelée syndrome
polyalgique idiopathique diffus (SPID), se traduit
principalement par des douleurs musculosquelettiques, non articulaires, diffuses et chroniques. Entité idiopathique, dont la physiopathologie n’est pas élucidée à ce jour,
son diagnostic reste exclusivement clinique et repose sur
l’identification d’une symptomatologie et de signes physiques
stéréotypés.
Outre les problèmes de diagnostic différentiel, connaître et
reconnaître ce syndrome facilite la prise en charge des malades.
La fibromyalgie connaît aujourd’hui un regain d’intérêt du fait
des progrès des connaissances neurobiologiques sur la douleur
et d’une meilleure prise en compte de sa fréquence et de son
impact sur la qualité de vie.
* Centre d’évaluation et de traitement de la douleur,
hôpital Saint-Antoine, Paris.
La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. IV - septembre 2000
La définition actuellement retenue de la FM répond aux critères de l’American College of Rheumatology (2). Ces critères
sont nécessaires et suffisants pour poser le diagnostic de FM,
qui est exclusivement clinique (tableau I).
Il n’existe pas d’anomalie biologique ou morphologique spécifique de la FM. Les examens complémentaires sont muets, et
lorsqu’ils indiquent une anomalie banale, ils risquent plus
d’égarer vers de multiples diagnostics que de renseigner.
DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES
On peut probablement estimer la prévalence de la FM aux
alentours de 13 % parmi les patients consultant toutes spécialités confondues (jusqu’à 20 % en rhumatologie) (3). Certaines
études retrouvent jusqu’à 10 % de prévalence dans la population générale. Plus de 80 % des patients sont des femmes.
L’âge moyen est de 50 ans. Les symptômes débutent rarement
après 60 ans. On peut les rencontrer chez des enfants. Ils peuvent s’installer brutalement ou progressivement, être d’abord
localisés ou diffus d’emblée. La FM évolue souvent sur plusieurs années, avec une relative stabilité des symptômes dans le
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Tableau I. Critères diagnostiques. Classification de l’American
College of Rheumatology (2).
Histoire de douleurs diffuses
Définition : la douleur est considérée comme diffuse si elle
affecte à la fois :
• le squelette axial (cervical, thoracique ou lombaire) ;
• la partie haute et la partie basse du corps ;
• la partie droite et la partie gauche du corps.
Dans cette définition, les localisations scapulaires et fessières droites et gauches sont considérées comme des
sites distincts, et les lombalgies comme une douleur de
l’hémicorps inférieur.
La douleur diffuse doit durer depuis au moins trois mois.
Douleur à la palpation d’au moins 11 points dans la liste
des 18 points définis ci-dessous (9 points bilatéraux) :
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type et de sévérité variés : polyarthrite rhumatoïde, lupus, pseudopolyarthrite rhizomélique, hypo- ou hyperthyroïdie, maladie
de Lyme, arthrose, syndrome de fatigue chronique. Le problème
pratique est alors de savoir comment démembrer, dans les
plaintes, ce qui revient à telle ou telle entité.
On doit distinguer le syndrome localisé de douleurs myofasciales de la FM, qui est un tableau diffus. Dans les deux cas, il
s’agit de douleurs idiopathiques. Les tableaux localisés peuvent
en imposer pour une douleur neurologique, radiculaire ou tronculaire. Des douleurs trapéziennes hautes font alors évoquer
une névralgie cervico-brachiale ou une névralgie d’Arnold, et
des lombalgies à irradiation fessière une lombosciatique.
L’examen neurologique est normal, mais on localisera dans
certains muscles les points dits “gâchettes”, caractéristiques de
ce syndrome : la pression réveille la douleur spontanée, en
général projetée à distance du point gâchette. La distribution de
la douleur projetée, bien que stéréotypée pour chaque localisation, ne correspond pas à un territoire nerveux.
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Point sous-occipital : insertions sous-occipitales des
muscles cervicaux.
Devant des symptômes tels que douleurs musculosquelettiques
diffuses, fatigue, raideur, troubles du sommeil, de très nombreuses pathologies peuvent être évoquées.
Point cervical inférieur : bord antérieur des espaces intertransversaires de C5 à C7.
Maladies infectieuses
Point trapézien : au milieu du bord supérieur du trapèze.
Maladie de Lyme (dont 8 % des cas pourraient d’ailleurs se
compliquer tardivement de FM résistant aux antibiotiques).
Point sus-épineux : au-dessus de l’épine de l’omoplate,
près du bord interne de l’omoplate.
Rhumatismes inflammatoires et connectivites
Point du grand trochanter : en arrière de l’éminence du
grand trochanter.
Pseudopolyarthrite rhizomélique, maladie de Horton, polymyosite et dermatomyosite, syndrome de Sjögren.
Dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) ou dans le lupus érythémateux disséminé, asthénie et myalgies peuvent précéder le diagnostic de plusieurs mois ou années (4), sans être associées aux
anomalies biologiques caractéristiques de ces maladies. Un suivi
régulier des patients doit permettre de redresser un diagnostic
erroné. À l’inverse, des patients affligés de douleurs diffuses et
de gonflement subjectif ont été initialement étiquetés à tort PR.
Point du genou : proximal, par rapport à l’interligne articulaire,
sur le ligament latéral interne.
Myosites et myopathies
Point de la 2 côte : au niveau de la 2 jonction chondrocostale.
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Point épicondylien : à 2 cm distalement des épicondyles.
Point moyen fessier : dans le quadrant supérieur et externe du moyen fessier.
temps, sans tendance spontanée à l’aggravation. Certains
patients rapportent des épisodes de rémission spontanée des
symptômes de plusieurs mois à plusieurs années. Les troubles
ont tendance à s’améliorer dans la période postménopausique.
Myopathies à éosinophiles, myotonies héréditaires (anomalie
du canal sodium), qui peuvent être douloureuses à l’occasion
des épisodes myotoniques, maladie de MacArdle, responsable
de myalgies provoquées ou aggravées par l’exercice ; pathologies liées à un déficit en phosphofructokinase ou en carnitinepalmityl-transférase, et diverses myopathies mitochondriales.
Les douleurs sont alors associées à un déficit musculaire, ce
qui n’est pas le cas dans la FM.
FORMES FRONTIÈRES, FORMES LOCALISÉES
Les notions de FM dites primaires et secondaires sont aujourd’hui abandonnées. Il faut toutefois savoir que les symptômes
de FM s’associent fréquemment à des états pathologiques de
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Pathologies métaboliques
Hypo- et hyperthyroïdie, ostéomalacie, hyperparathyroïdie,
hyper- ou hypocalcémie, hypo- ou hyperkaliémie.
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Néoplasie
Myélome multiple, métastases osseuses.
fois le diagnostic posé et le patient correctement informé, la
consommation médicale des personnes atteintes de FM ne
semble pas être excessive.
Maladies neurologiques
Les symptômes initiaux de la sclérose en plaques sont parfois
de la fatigue, des troubles émotionnels, des douleurs mal systématisées et des paresthésies.
Les symptômes souvent douloureux de la maladie de Parkinson
peuvent en imposer pour un tableau de FM (5).
États psychonévrotiques purs
Manifestations hystériques, pathomimies constituent bien un
diagnostic différentiel de la FM (6). Les plaintes sont vagues,
les douleurs, difficilement localisables, décrites en des termes
excessivement riches et variables. Il n’y pas de facteurs d’influence comme dans la FM. Les patients sont intouchables,
quel que soit l’endroit palpé. Les symptômes n’ont pas la présentation caractéristique, stable, stéréotypée de la FM, même si
celle-ci s’associe souvent à des perturbations psychiques.
Stratégie diagnostique
En l’absence d’étiologie clairement identifiée à l’origine de ce
syndrome et d’examen paraclinique spécifique, la FM reste un
diagnostic d’élimination. À un interrogatoire précis et à un examen physique rigoureux devraient s’associer quelques examens
paracliniques simples : une numération-formule sanguine, une
vitesse de sédimentation, un ionogramme sanguin, une calcémie, une mesure des enzymes musculaires et de la fonction
thyroïdienne et, pour certains, des facteurs antinucléaires
comme enquête de débrouillage. Si un de ces tests est anormal
ou qu’il existe une forte suspicion clinique pour une maladie
sous-jacente, de plus amples investigations s’imposent.
L’émergence d’une autre pathologie rendant compte des douleurs chez un patient suspect d’avoir une FM est exceptionnelle
(2 sur 148 patients suivis pendant 4 ans [7]).
RETENTISSEMENT
La FM ne retentit pas sur le pronostic vital, mais les douleurs
et l’asthénie amènent parfois une réduction notable de l’activité et affectent gravement la qualité de vie et l’aptitude au travail. Ce syndrome peut conduire à un véritable handicap, dont
le degré est souvent difficile à faire admettre, car ces patients
n’ont pas “l’air malade” et n’ont pas de faiblesse musculaire
objective. Comparée à la PR, l’incapacité fonctionnelle est à
peine inférieure, les scores de douleur plus élevés, le retentissement psychosocial plus sévère. Des tâches quotidiennes,
telles que courir, porter des paquets, tenir des outils, maintenir
les bras en l’air, sont difficiles ou impossibles à exécuter. De
6 % à 24 % de patients sont en invalidité professionnelle.
Le nomadisme médical, avec les risques iatrogènes qui lui
sont liés, fait partie des conséquences néfastes de la FM. Une
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PHYSIOPATHOLOGIE
Des nombreuses hypothèses étiopathogéniques proposées pour
expliquer la FM, aucune n’a pu être isolée comme cause première unique à l’origine de ce syndrome.
L’hypothèse la mieux admise aujourd’hui tente de relier cette
douleur à une perturbation des mécanismes d’intégration de la
douleur, soit au niveau périphérique, soit au niveau central.
Dans cette hypothèse, des troubles neurobiologiques contribueraient à la création d’une hypersensibilité qui expliquerait que
des stimuli somesthésiques, habituellement non nociceptifs,
puissent être perçus comme douloureux (8). Diverses substances – neuromédiateurs ou neuromodulateurs des messages
nociceptifs mais également du sommeil ou de l’humeur – ont
été mises en cause (déficit en sérotonine, élévation de la substance P dans le liquide céphalorachidien, perturbations de
l’axe hypothalamo-hypophysaire...).
PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE
La prise en charge idéale d’un patient atteint de FM doit être
globale d’emblée, à la fois médicamenteuse et non médicamenteuse. L’énoncé du diagnostic, mettant un terme à une longue
et vaine quête de reconnaissance et de compréhension, apporte
souvent un premier soulagement à ces patients.
Différentes études contrôlées démontrent l’efficacité de certains tricycliques (amitriptyline notamment) dans la fibromyalgie (10). La dose recommandée de 25 à 50 mg/jour est inférieure à celle préconisée dans le traitement de la dépression.
Les antalgiques ou les anti-inflammatoires ont peu ou pas d’effet. Certaines équipes ont rapporté que les blocs sympathiques
régionaux semblaient être efficaces dans certains cas.
Les thérapeutiques médicamenteuses sont souvent insuffisantes, voire inefficaces. La prise en charge des patients doit
associer d’emblée des procédures non pharmacologiques. Des
études vont dans le sens de l’efficacité de méthodes telles que
le réentraînement à l’effort, le bio-feedback (rétrocontrôle biologique) et les thérapies cognitivo-comportementales. L’organisation optimale du programme thérapeutique devra être multidisciplinaire et comprendre des actions à la fois médicales,
psychologiques, sociales, de la kinésithérapie, un apprentissage
de la relaxation (aidée ou non de bio-feedback). À l’issue de ce
type de programme, on note en général une amélioration significative sur le plan de la sévérité de la douleur, des troubles
affectifs et du degré d’interférence de la douleur avec les activités quotidiennes, mais pas la disparition des troubles.
Quelle que soit l’attitude thérapeutique adoptée, elle doit
prendre en compte au mieux la particularité de chaque patient,
notamment sa spécificité psychique. Il faut fixer avec lui des
objectifs raisonnables – diminuer la sévérité des symptômes,
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apprendre à vivre avec – puis mettre en œuvre avec lui les
moyens pour y parvenir de façon progressive. Le médecin doit
se proposer comme partenaire d'une démarche dont la responsabilité incombe au patient.
CONCLUSION
La question de l’existence de la FM, classée dans les “nouvelles maladies”, a été fort débattue. Il s’agit plutôt d’un syndrome, réunion de symptômes et de signes fréquemment associés, sans que le ciment d’une cause identifiée ou d’une lésion
spécifique en solidifie l’assemblage. La FM pourrait être la
voie finale commune de processus fonctionnels et peut-être
constitutionnels variés et intriqués aboutissant à une anomalie
du vécu douloureux. L’établissement d’une liste de critères
définissant la FM permet surtout de définir une entité symptomatique dans le champ de la douleur chronique. Car, quelle que
soit l’opinion du médecin sur la FM, le problème reste posé de
la compréhension de ces tableaux douloureux chroniques où la
douleur n’est plus un simple “symptôme”, mais plutôt une
maladie à part entière, évoluant de façon autonome, sans lien
direct avec l’événement initial qui l’a fait naître. La création de
ce cadre permet de sortir de l’uniformité une catégorie de
sujets relevant d’une prise en charge qui, à défaut d’être parfaitement efficace, les préserve des risques d’un nomadisme
médical inutile, coûteux, voire délétère.
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