pour estimer la prévalence de la fi b ro mya l gie dans la popula-
tion
( 1 3 )
. Ils soulignent aussi les biais concernant les cri t è res de
d i a gnostic utilisés, la sélection des patients par questionnaire
téléphonique ou postal ou les résultats obtenus à partir de petits
groupes de consultants. Ils retiennent cependant l’étude de
Wo l fe et al. réalisée dans le Kansas, i n cluant plus de 3 0 0 0 p e r -
sonnes à partir d’un annu a i re publ i c i t a i re et de questionnaire s
téléphoniques et postaux. Cette étude permet d’estimer à env i ro n
2 % la prévalence de la fi b ro mya l g ie dans la population adulte
de race bl a n c h e . Ce ch i ff r e, p r o c he de 0,5 % chez l’homme,
passe à 3,4 % dans la population féminine. L’ â g e est un fa c t e u r
i m p o r t a n t , notamment chez la fe m m e , puisque la préva l e n c e
passe de 2 % avant 40 ans à plus de 7 % après 60 a n s .
Les résultats obtenus au Canada sont voisins, avec une préva-
lence de 3,3 % dans la population générale, pouvant atteindre
8% chez les femmes de 55 à 64 ans
(14)
.
Cette diff é r ence liée au sexe est confo rtée par Yu nus. Dans la
p o p u l a tion masculine, la symptomat o l ogie semble moins sévère
avec moins de points spécifiques at t e i n t s , moins de douleurs
intenses et constantes et moins de fatigue mat i n a l e
( 1 5 )
.
Chez l’enfant et l’adolescent, la prévalence de la fibromyalgie
est faible : elle a été évaluée à environ 1,2 %. La symptoma-
tologie diffère peu de celle de l’adulte. Les enfants semblent
présenter moins de raideur et, surtout, évoluer de façon plus
rapidement favorable
(5, 16)
.
MÉCANISME
Les causes des douleurs exprimées par les patients fibromyal-
giques ne sont pas formellement identifiées, et sont probable-
ment mu l t i fa c t o r ielles. Les ex p l o rations biologiques ont
cependant décelé des anomalies :certaines concernent des
groupes restreints de patients et ne sont pas retrouvées dans
d’autres groupes ; d’autres, connues dans de nombreuses
pathologies, sont trop peu spécifiques. Dès lors, plusieurs
hypothèses sont proposées.
✓La théorie selon laquelle la fibromyalgie serait une forme
de somatisation de pathologies psychiatriques, névrose ou
dépression, est insuffisante pour expliquer la pathologie. Ces
maladies apparaissent plutôt comme un facteur révélateur
(4,
17)
. De plus, les tests de personnalité réalisés dans cette popu-
lation trouvent des résultats comparables à ceux des autres
populations de douloureux chroniques
(18).
✓La meilleure connaissance des mécanismes douloureux
offre différentes perspectives
(19)
. Les investigations les plus
récentes portent plutôt sur la possibilité d’un dysfonctionne-
ment des voies nociceptives
(20-22)
.
Les nocicep t e u rs péri p h é riques semblent peu intervenir dans
les mécanismes primitifs des douleurs fi b r o mya l giques. La
d i m i n ution du seuil douloureux induite par la libération de
m é d i a t e u rs à la suite des lésions tissulaires aboutissant à un
phénomène de sensibilisation des fi b r es sensitives est peu pro-
b abl e. Les médiat e u rs , comme la bra dykinine et les pro s t a-
glandines infl a m m at o i re s , ne sont pas modifiés chez la majo-
rité des patients fi b r o mya l giques. Cep e n d a n t , de la substance
P (SP), h abituellement absente des nerfs péri p h é ri q u e s , aya n t
été identifiée dans les tissus mu s c u l a i res de certains pat i e n t s ,
la sensibilisation pourrait ap p a ra î t re secondairement et part i c i-
per à l’entretien des douleurs
( 2 1 , 2 2 )
. Il pourrait s’agir d’un
phénomène d’infl a m m ation neurogène expliqué par la migra-
tion rétrograde des médiat e u rs dont la SP et le
c a l c i t o n i n - ge n e
re l a ted pep t i d e
(CGRP)
( 1 9 )
. Les altérations de la micro c i rc u-
l ation et des mitoch o n d rie s parfois observées signeraient seu-
lement la souff rance mu s c u l a i re induite par un comport e m e n t
d’éviction qui aboutit à une perte des fo rces mu s c u l a i res et à
un travail plus intense pour un même effo rt
( 2 2 )
.
L’hypothèse d’un dysfonctionnement des circuits centraux
prévaut à la lumière d’études concordantes. Le mécanisme
suspecté est celui d’une sensibilisation centrale.
La sensibilisation centrale consiste en une excitabilité renfor-
cée des neurones de la corne postérieure de la moelle, avec
une sensibilité accrue aux stimuli et une réactivité amplifiée.
Le signal douloureux est modulé par des neurotransmetteurs.
Certains comme le glutamate, l’aspartate, la SP,le VIP
( va s o a c t ive intestinal pep t i d e )
sont fa c i l i t at e u rs , d ’ a u t r e s
comme le GABA
(gamma aminobutyric acid)
ou l’acétylcho-
line sont inhibiteurs
(20, 21)
.
Le glutamate se fixe sur des récepteurs N-méthyl-D-aspartate
(NMDA), provoque un afflux de calcium dans la cellule et
active la protéine-kinase C, la NO-synthétase et la cyclo-oxy-
génase. L’activation de ces récepteurs NMDA provoque aussi
la libération de SP,qui se fixe sur les récepteurs NK1 et NK2.
Ces neurotransmetteurs provoquent une dépolarisation lente
et prolongée qui rend la cellule hyperexcitable, ce qui se tra-
duit par une amplification de la stimulation primitive
(20, 21)
.
Le NO diffuse dans les cellules, induit l’activation de la pro-
téine kinase guanosine monophosphate-dépendante qui inter-
vient dans les circuits d’apprentissage et de mémorisation.
Des taux élevés de SP et d’arginine, le précurseur du NO,
ainsi qu’une augmentation du taux de glycine constatés dans
le LCR des patients fibromyalgiques semblent appuyer cette
hypothèse
(21)
.
Si le système lié au récepteur NMDA est un point clé de la
compréhension des douleurs de ces patients, il n’est pas le
seul système en cause. D’autres transmetteurs participent à la
modulation centrale de l’information douloureuse, comme le
neuropeptide Y. Sa présence est interprétée comme le signal
d’un stress
(20)
. Le
nerve growth factor
s’exprime au niveau
des neurones de la douleur profonde où il stimule la synthèse
et le transport de la SP et du CGRP
(19)
. Ce médiateur est
aussi augmenté chez les fibromyalgiques
(20)
.
L’ a c t ivation des cellules gliales par ces mêmes médiat e u r s pour-
rait participer à l’intensifi c a tion de la douleur. Des mesures des
La Lettre du Pharmacologue - Volume 18 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2004
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H É R A P E U T I Q U E