Histoire des chiffres Voici l’histoire d’une révolution scientifique majeure, une révolution à la base des mathématiques modernes. Sans elle, l’informatique n’existerait pas, et tout ce matériel dont je me sers à cet instant pour vous l’écrire n’aurait jamais été inventé. Voici l’histoire des chiffres modernes. L’histoire est un éternel recommencement Cette histoire commence au 4esiècle, avec les Indiens qui cherchent un moyen de dénombrer leurs dieux. Leur écriture des nombres est alors beaucoup trop lourde et pour la simplifier, ils inventent un système dans lequel la position du chiffre indique son rang. Ainsi, le chiffre 8 dans le nombre 876 occupe le rang des centaines. Il est donc inutile de préciser que c’est « 8 cent », on le sait, parce que ce chiffre est en troisième position. Il faut donc aussi inventer un chiffre qui indique qu’un rang n’est pas occupé, comme dans le nombre 804, où le rang des dizaines n’est pas rempli. C’est ainsi que naît le 0. Tout ceci nous paraît évident, à notre époque mais il faut bien voir qu’au 5esiècle, très peu de civilisations utilisaient un 0 et aucune n’avait un système régulier basé sur la position des chiffres et pouvant donc s’étendre à l’infini, comme le système indien. L’Europe utilisait surtout les systèmes hérités de l’Empire romain, alors en déclin. La notation des nombres se faisait en chiffres romains, et les calculs compliqués se faisaient à l’aide d’abaque (boulier compteur), les plus simples se faisant sur les doigts. Pendant ce temps, les Indiens inventent le calcul chiffre à chiffre, en se passant totalement d’outil. Au 7e siècle, l’Empire arabo-musulman est la fusion (réunion) d’un grand nombre de civilisations avancées et est en contact avec beaucoup d’autres. Toutes ces civilisations échangent leurs connaissances scientifiques, dont Bagdad devient la capitale. Au début du 9esiècle, l’astronomie indienne et les méthodes de calcul qui y sont associées arrivent à la cour de Bagdad. Mais les maîtres, redoutant là une démocratisation de leur savoir, préconisent(conseillent) l’enseignement des anciennes méthodes et ce, pendant encore plusieurs décennies. Pourtant, cette nouvelle forme de calcul tellement simple commence à être utilisée dans le commerce et finit quand même par se répandre parmi tous les Arabes, y compris ceux installés en Occident (Espagne, par exemple). L’Europe du Moyen Âge n’enseigne que très peu les mathématiques. Cette science est considérée comme trop complexe, et sa maîtrise est réservée à une élite (minorité d’individus). L’utilisation de chiffres romains et d’outils compliqués ne rend en effet pas la chose abordable au premier venu. Exemple de cette complexité. Si j’envoie sur le champ de bataille IV carrés de VII x VII soldats, combien me reste-t-il de soldats en garnison ? Autant un enfant d’aujourd’hui, en convertissant en chiffres dit « arabes » saurait faire cette opération de tête, autant à l’époque, seuls les « experts », à l’aide d’outils compliqués, pouvaient répondre. En l’an mille, Gerbert d’Aurillac devient le pape Sylvestre II. Il sera suspecté de sorcellerie pendant plusieurs siècles. Quelle faute a-t-il commise ? Ce passionné de science est simplement un jour allé en Espagne musulmane pour y apprendre les mathématiques indiennes. Impressionné par les avantages de cette méthode, il a tenté de l’enseigner à Reims, en vain. Aux 11e et 12esiècles, l’Europe envoie ses fidèles se battre en Terre Sainte. Pendant deux siècles de croisades, les Européens, en contact avec les Arabes, apprennent à manipuler les chiffres indiens. De retour sur leurs terres, ils tentent d’enseigner ces méthodes à leur entourage. L’adoption des nombres indiens a permis d’énormes évolutions au niveau des mathématiques. Ce système plus simple, plus rationnel, a pu décharger les mathématiciens des efforts qu’ils devaient faire pour calculer. Il a permis de mieux cerner les propriétés des nombres, de généraliser l’abstraction mathématique, etc. C’est grâce aux chiffres indiens que l’on a enfin pu inventer des machines à calculer de plus en plus perfectionnées, jusqu’à arriver à l’informatique. Et pourtant, cette adoption ne s’est faite, en France, qu’avec la généralisation du système métrique et l’abandon définitif des abaques à jetons lors de la révolution française ! Il a donc fallu près de 800 ans entre le premier contact de l’Europe avec les chiffres « arabes » et leur adoption. Plus d’un millénaire après leur invention ! Mais pourquoi tant de temps ? Pour bien comprendre, il faut se replacer dans le contexte. À cette époque, tout le monde est habitué à voir des chiffres romains et à s’en servir régulièrement (tous les jours pour certains). Le système « marche », même s’il est très compliqué et empêche la plupart des gens de faire des opérations complexes. Une élite, bien formée dans le domaine, tire profit de cette situation. On ne peut pas se passer d’eux (pour le commerce ou les administrations), et ils ont donc tout intérêt à ce que la solution perdure. Alors, lorsqu’on leur propose un nouveau système enseigné par les « infidèles », celui-ci ne peut être vu que comme démoniaque, et rejeté, sans même avoir été étudié. Même un pape qui en fait la promotion est mal vu. Ces méthodes de calculs font donc face à une forte résistance, entretenue par une campagne de désinformation reprenant les peurs ancrées dans le peuple de l’époque (diable, maléfices, etc.) Pour en savoir plus : Sur les chiffres, lire L’Histoire universelle des chiffres, de Georges Ifrah Un système numérique est un ensemble de symboles (chiffres) et de conventions qui permettent de nommer et d'écrire les nombres ainsi que d'effectuer des calculs sur eux. Sous leur forme écrite, ces derniers sont nés, en même temps que l'écriture, du besoin d'organiser les récoltes, le commerce et la datation (écriture des dates). L’introduction de ce système (système décimal) et l’invention de l’algèbre qui suivit très tôt par la suite, permirent aux mathématiques de se développer et de progresser dans le monde entier.