nutrition appliquée nutrition appliquée L’INDEX GLYCÉMIQUE EST-IL UTILISABLE EN PRATIQUE ? Marie PIGEYRE, Monique ROMON En 1981, Jenkins a proposé l’index glycémique (IG) comme base physiologique pour classer les aliments contenant des hydrates de carbone [1]. Selon ce système, les différents aliments sont assignés à des valeurs en fonction de leur réponse glycémique. Ce concept est une extension de l’hypothèse de Burkitt et Trowell, suggérant que la consommation de fibres réduit le taux d’afflux des nutriments dans l’intestin qui sont donc absorbés plus lentement et auraient des avantages métaboliques sur le diabète et les maladies cardio-vasculaires [2]. Les recommandations diététiques habituelles soulignent la quantité plutôt que la qualité des glucides, malgré le fait que les sources et la nature des glucides influencent profondément la glycémie post-prandiale. Plusieurs études ont démontré que l’index et la charge glycémique d’un régime, et non la quantité totale de glucides, sont indépendamment liés au risque de développer un diabète de type 2, une maladie cardio-vasculaire et certains cancers. The American Diabetes Association reconnaît que l’utilisation des aliments à index glycémique bas réduit l’hyperglycémie post-prandiale. Toutefois, il n’y a pas de preuves suffisantes sur les bénéfices à long terme pour recommander leur utilisation en première intention. Au contraire, l’European Association for the Study of Diabetes recommande de remplacer les aliments à index glycémique élevé par des aliments à index glycémique bas. Actuellement, l’impact de l’utilisation de l’index glycémique des aliments demeure toujours controversé. Pour comprendre L’index glycémique (IG) est calculé par le rapport de l’aire sous la courbe de la glycémie après la consommation de 50 g d’hydrate de carbone d’un aliment-test et l’aire sous la courbe après consommation d’une quantité semblable d’un aliment-témoin, glucose ou pain blanc pendant deux heures. Il s’exprime en pourcentage de la norme [3]. L’IG étant mesuré individuellement pour chaque aliment, la capacité de prévoir les réponses glycémiques des repas variés a dû être discutée à partir des IG des aliments constitutifs. Ainsi, Service de Nutrition, CHU, 59045 Lille, France. Correspondance : M. Romon, à l’adresse ci-dessus. Email : [email protected] Cah. Nutr. Diét., 41, 4, 2006 le concept de charge glycémique (CG) a été proposé comme méthode pour caractériser l’effet glycémique des repas. La CG est calculée par le produit de l’IG et la quantité d’hydrate de carbone apportée dans le repas (IG X g hydrate de carbone) [4]. La classification résultante de l’index glycémique des aliments fournit donc une classification physiologique des aliments (tableau 1) [5]. Mécanismes physiologiques L’index glycémique traduit la vitesse d’absorption des glucides par l’intestin grêle, et c’est celle-ci qui explique les effets métaboliques observés [6]. 247 nutrition appliquée Tableau 1. Index glycémique de quelques aliments. Index glycémique 110 100 95 90 85 80 75 70 65 60 55 50 45 40 35 30 22 20 15 10 Aliments Maltose (bière) Glucose Pommes cuites au four ou frites – Galettes de riz soufflé Purée de pomme de terre – Riz instantané – Miel Carottes cuites – Corn-flakes, Pop-corn – Farine T45 (pain très blanc baguette) – Gâteau de riz Fèves – Pain suédois – Crackers – Pain d’épices Potiron, Citrouille – Farine T55 (baguette) – Weetabix, Chocopops – Pastèque Croissant, petit pain au lait – Gnocchi – Pain de campagne (farine blanche T65) – Céréales sucrées – Barres chocolatées (type Mars) – Pomme de terre bouillie (sans peau) – Riz blanc précuit incollable – Maïs – Navets – Maïzena, Tacos – Soda sucré, Coca, Pepsi classiques – Sucre de canne ou de betterave (saccharose) Pommes de terre cuites à l’eau dans leur peau – Semoule raffinée (couscous, taboulé) – Betterave – Barre de céréales – Banane, melon, ananas – Raisins secs – Confiture classique 50 % sucre – Fruit au sirop – Jus d’orange industriel Riz long cuit en 15 min – Cookies – Papaye – Chips Biscuit sec type « Petit beurre » – Biscuits sablés – Muesli non toasté, Spécial K – Kiwi Pain complet (farine T150) – Sarrazin, Flocons d’avoine – Chocolat – Muffin aux pommes – Riz brun complet – Petits pois en conserve – Patate douce, carottes crues – Mangue – Pâtes blanches bien cuites – Sorbets – Riz blancs riches en Amylose (Basmati) Muesli toasté – Pain au son – Boulgour entier – Grains de blé dur entier précuit (Ebly) – Petits pois frais – Raisin Jus d’orange frais – Jus de pomme nature – Pain de seigle complet – Pâtes complètes (farine T150) – Haricots rouges Pain intégral – Pâtes (spaghetti) cuites al dente – Vermicelles chinois – Bâtonnet de poisson – Pois secs – Yogourt – Orange, pomme, poire, abricots secs, figues Pâtes intégrales – Lait – All-bran (céréales) – Pêches – Lait chocolaté non sucré – Haricots secs, haricots de Soissons – Haricots beurre, haricots verts – Lentilles brunes, Pois chiches – Marmelade aux fruits (sans sucre ajouté) Prune – Lentilles vertes, Pois cassés – Cerises, pamplemousse Fructose Grains de soja – Abricot Légumes verts – Salades – Tomates, aubergines, poivrons – Ail, oignons, Champignons, etc. Le ralentissement d’absorption du glucose après consommation de glucides à IG bas réduit l’élévation glycémique post-prandiale maximale et donc l’élévation post-prandiale de l’insuline et des hormones intestinales, ce qui favorise l’oxydation des acides gras libres [7]. À long terme, la réduction des concentrations d’AGL améliore l’insulino-sensibilité. De plus, la consommation d’un repas à IG bas améliore la tolérance glucidique du second repas, en abaissant les concentrations d’AGL (effet rémanent de Staub-Traugott) [8]. Par conséquent, la consommation d’un régime riche en hydrate de carbone à IG élevé produit une hyperglycémie et une hyper-insulinémie post-prandiales récurrentes qui sont d’autant plus accentuées chez les personnes insulinorésistantes. L’oxydation du glucose est plus élevée et l’oxydation des AG est moindre tout au long de la période post-prandiale, favorisant ainsi le stockage des lipides. Ceci s’explique par une élévation de l’expression et de l’activité du complexe enzymatique de synthèse des acides gras dans le tissu adipeux parallèlement à l’augmentation de l’entrée du glucose dans les adipocytes. La lipogénèse augmente également dans le foie par modification de l’expression des gènes des enzymes de la lipogénèse hépatique. À ces effets aigus sur l’oxydation du substrat énergétique, s’ajoutent, lors d’une alimentation à IG élevé au long cours, des changements d’expression de ces enzymes, diminuant de ce fait le potentiel d’oxydation hépatique des lipides [9]. Un autre mécanisme a été sug248 géré pour expliquer l’insulino-résistance lors d’alimentation à index glycémique élevé, la déplétion en chrome, la tyrosine-phosphatase du récepteur d’insuline étant activée par le chrome. La consommation d’hydrates de carbone sous forme de boissons est responsable de pics hyperglycémiques importants, qui augmentent les pertes urinaires de chrome [10]. La consommation fréquente de repas à IG élevé pourrait causer un épuisement progressif des concentrations en chrome tissulaire. Ces résultats ont des implications importantes parce qu’ils défient la prétention qu’une calorie est une calorie. Bien que cela demeure incertain, la consommation au long cours de repas à IG élevé favoriserait une accumulation des graisses dans les viscères. À l’inverse, les régimes à IG bas diminuent la masse grasse abdominale, de façon corrélée, semble-t-il, à une diminution d’expression du gène de la leptine dans le tissu adipeux sous-cutané [11]. Conséquences sur le métabolisme glucido-lipidique La consommation de repas à CG réduite, en améliorant l’insulino-sensibilité, permet une augmentation de la captation du glucose par le muscle, une augmentation de l’épuration des chylomicrons et une réduction de la synthèse des particules VLDL, des particules LDL petites et denses et une augmentation des particules HDL. Inversement, la consommation d’aliments à IG élevé augmente les triglycérides et entraîne des modifications défavoCah. Nutr. Diét., 41, 4, 2006 nutrition appliquée rables des profils lipidiques et fibrinolytiques, contribuant ainsi au processus athérosclérotique [12]. Conséquences sur la satiété Lors de la consommation d’un repas à index glycémique bas, la satiété est prolongée, car la stimulation prolongée des récepteurs des nutriments de l’appareil gastro-intestinal entraîne une rétroaction prolongée, via la cholecystokinine et le glucagon-like peptide 1 au niveau des centres nerveux de la satiété [13]. À l’inverse, un repas à index glycémique élevé favorise une chute rapide de la glycémie qui déclenche la sensation de faim [14]. Conséquences sur les processus inflammatoires Actuellement, les nouvelles perspectives de recherche tentent de mettre en évidence des relations entre l’insulino-résistance et la formation d’anti-oxydants, responsable des dommages tissulaires, et de la libération des cytokines pro-inflammatoires. Des études ont prouvé que l’élévation post-prandiale de la glycémie permettait de diminuer proportionnellement la concentration plasmatique des antioxydants (lycopène et la vitamine E), suggérant donc un rôle bénéfique possible des régimes à faible IG sur les dommages tissulaires [15]. Les études de cas-témoins ont également montré des associations positives entre l’index glycémique et le risque de survenue d’un cancer – du colon, du sein, de l’ovaire et de la prostate – impliquant l’insulino-résistance et l’IGF [16]. Index glycémique et obésité Il existe une controverse sur l’intérêt des régimes pauvres en glucides par rapport aux régimes pauvres en graisses dans la prise en charge de l’obésité [17]. De nombreux auteurs suggèrent que les régimes riches en glucides et pauvres en graisses sont plus efficaces à long terme ; alors que d’autres suggèrent que dans ce cas les régimes hypocaloriques basés sur des aliments à IG bas produisent une plus grande perte de poids que des régimes équivalents basés sur des aliments à IG élevés [18, 19]. Les régimes basés sur les aliments à faible teneur lipidique et riches en glucides à IG bas améliorent le contrôle pondéral, en réduisant au minimum la sécrétion post-prandiale d’insuline, en maintenant la sensibilité d’insuline et en favorisant la satiété [20]. Récemment, suite aux résultats controversés des études, Raben a revu le « pour et le contre » de l’IG en terme d’appétit, de prise alimentaire, de dépense énergétique et de poids. Il a conclu qu’il n’existait pas suffisamment de preuve pour affirmer que les aliments à IG bas ont un effet supérieur sur le maintien du poids à long terme. D’autre part, des études ont montré que dès que l’apport énergétique était réduit, la source d’hydrates de carbone ne semblait pas influer sur le poids. De même, les études portant sur l’apport énergétique ad libitum montrent qu’il n’y a pas, chez des sujets sains et obèses, de différence en terme de perte de poids dans le groupe consommant des aliments à IG bas et celui consommant des aliments à IG élevé. La perte de poids s’expliquait par une diminution des apports énergétiques, qui semblait plus facile à réduire dans le groupe IG élevé [21]. Cah. Nutr. Diét., 41, 4, 2006 Des études randomisées, contrôlées, multicentriques comparant les effets des régimes conventionnels et IG bas sur le contrôle pondéral sont encore nécessaires. Index glycémique et diabète de type 2 En contrôlant les régimes des patients diabétiques, les objectifs principaux sont de réduire les hyperglycémies, d’empêcher les épisodes d’hypoglycémies chez les diabétiques traités par l’insuline, et de réduire la survenue des complications notamment cardiovasculaires. Une étude confirme que les régimes à IG bas diminuent l’excrétion urinaire de C-peptide chez les sujets sains, améliorent le contrôle glycémique chez les sujets diabétiques et le profil lipidique chez les sujets hyperlipidémiques [22-24]. Les études à moyen terme suggèrent que le remplacement des hydrates de carbone à IG élevé par des formes à IG bas améliore le contrôle glycémique et, parmi les personnes traitées par insuline, réduit les besoins insuliniques et les épisodes d’hypoglycémies. Une méta-analyse réalisée sur quatorze études, englobant 356 patients, a montré que dix des études avaient mis en évidence une amélioration du contrôle glycémique à moyen terme. Après dix semaines de régime à IG faible, chez des sujets diabétiques de type 1 et de type 2, l’HbA1c diminue de 0,4 points comparativement aux patients ayant suivi un régime à IG élevé. Après quatre semaines, la fructosamine diminue de 0,2 mmol/L. Lors des essais réalisés sur du long terme et dans une plus grande population, l’HbA1c diminue jusqu’à 0,6 points, ce qui correspond au bénéfice rendu par certaines thérapies pharmacologiques (acarbose). Cependant, il est nécessaire de modifier au moins deux repas par jour ou de réduire de cinquante pour cent les glucides totaux pour observer une modification. Toutefois, il s’agit souvent d’étude de courte durée, réalisée sur un petit nombre de sujets et dans lesquelles la compliance diététique est souvent discutable [25]. Index glycémique et risque cardio-vasculaire Les régimes à IG bas sont associés à des concentrations plus élevées de HDL-cholestérol et, dans de grandes études de cohorte, à la diminution du risque de développer un diabète et une maladie cardiovasculaire [26]. Un régime riche en hydrates de carbone à IG élevé et charge glycémique élevée a été corrélé au risque de développement de maladie coronaire chez les femmes. Deux études transversales ont prouvé que les régimes à IG bas sont associés à l’augmentation des concentrations en HDL-cholestérol, particulièrement chez les femmes [27]. Dans une étude chez des patients diabétiques de type 2, le cholestérol total (LDL-cholestérol) et les concentrations d’apolipoprotéine B ont diminué de manière significative après un régime à IG bas. Dans la même étude, les concentrations de PAI1 (plasminogen activateur inhibitor-1) ont été réduites de 58 % après le régime à IG bas [28]. L’insulino-sensibilité des adipocytes était sensiblement plus haute chez les patients ayant subi un pontage coronaire, après quatre semaines de consommation d’un régime à IG bas [29]. 249 nutrition appliquée Jusqu’ici, aucune étude d’observation à long terme n’a été entreprise sur les effets des régimes à IG bas sur les complications cardiovasculaires. Index glycémique : intérêt controversé L’IG devait être une norme comparative, simple, précise, et reproductible, mais ce n’est pas le cas pour de nombreuses raisons : – Les modalités du calcul restent controversées. Plusieurs limitations techniques au calcul de l’IG doivent être considérées en tant que déterminantes pour sa valeur. Plusieurs experts considèrent la totalité de l’aire sous la courbe de la glycémie comme vraie mesure de la disponibilité du glucose plutôt que l’aire sous la courbe au-dessus de la glycémie à jeun. Ceci atténue considérablement les différences d’IG entre les aliments. Le choix de codifier la réponse de glucose sur la valeur de deux heures a semblé peu raisonnable parce que cette norme a été établie seulement comme outil diagnostique dans le diabète du type 2 et l’intolérance au glucose, et ne peut pas marquer toute la période d’hyperglycémie post-prandiale. Les patients présentant un diabète de type 2 exigent plus de deux heures pour que la glycémie retourne aux concentrations normales. Les différences d’IG entre les aliments rétrécissent considérablement lorsque de plus longues périodes post-prandiales sont employées, comme par exemple quatre heures [30]. L’IG a été conçu à l’origine comme propriété inhérente d’un aliment, et pas comme réponse métabolique d’un individu à cet aliment. – De nombreux facteurs font en fait varier l’index glycémique. L’index glycémique traduit principalement la vitesse d’absorption de l’aliment. Ainsi, tous les facteurs qui influent sur cette absorption vont donc le modifier. L’aliment Les changements de dimensions particulaires des aliments, la méthode de traitement et la modification chimique modifient l’IG. L’IG dépend de l’histoire du traitement, du stockage, de la maturité, de la découpe, et de la cuisson. Il est également affecté par la méthode de préparation : la chaleur utilisée, la quantité de l’eau, et le temps de préparation culinaire ont tous un effet significatif sur l’IG. La composition du repas Les différences entre les index glycémiques des aliments sont perdues une fois que ces aliments sont consommés dans un repas varié. Lorsqu’il existe plusieurs sources d’hydrate de carbone, l’effet de l’aliment à IG bas est dilué proportionnellement à la quantité d’hydrate de carbone venant des autres aliments. La réponse glycémique diffère selon les proportions de glucides, lipides et protéines. Plus la proportion d’hydrate de carbone est importante, par opposition aux protéines et aux graisses, plus l’IG est haut. Les aliments riches en protéines augmentent la sécrétion d’insuline sans augmenter la glycémie. De même, l’ajout de graisses ralentit la vidange gastrique et contribue de ce fait à baisser l’index glycémique [31]. L’état du sujet Pour un même individu, tous les facteurs susceptibles de modifier la vidange gastrique vont modifier l’index glycé250 mique, c’est le cas par exemple de l’heure de prise alimentaire : la vidange gastrique est plus rapide le matin [32]. Conclusion Pour lutter contre l’augmentation du diabète et de l’obésité, le message donné par la santé publique est clair : diminuer l’apport calorique total et augmenter l’activité physique. Pour lutter contre l’incidence des maladies cardiovasculaires, une consommation faible de graisses saturées est recommandée. Ce sont des recommandations sur lesquelles nous pouvons tous convenir, et beaucoup de travail est encore nécessaire pour les faire appliquer à l’échelle de la population. Bien que les études suggèrent que les aliments à index glycémique élevé sont nuisibles pour la santé, il n’y a pas assez de preuves scientifiques disponibles à ce jour pour lancer une campagne de santé publique. L’index glycémique est une notion intéressante qui permet de mieux comprendre les facteurs de variation de la glycémie et qui donne un classement des aliments. Son plus grand intérêt dans la pratique est de remettre en cause certaines idées reçues, en amenant à réfléchir sur la physiologie. Bibliographie [1] Jenkins D.J., Wolever T.M., Taylor R.H. – Glycemic index of foods: a physiological basis for carbohydrate exchange. Am. J. Clin. Nutr., 1981, 34, 362-366. [2] Burkitt D.P., Trowell H.C. – Dietary fibre and western diseases. Ir. Med. J., 1977, 70, 272-277. [3] Wolever T.M., Jenkins D.J., Jenkins A.L., Josse R.G. – The glycemic index: methodology and clinical implications. Am. J. Clin. Nutr., 1991, 54, 846-854. 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