Résumés - Savoirs, Textes, Langage

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La linguistique de la LSF : recherches
actuelles
French Sign Language Linguistics. Current
Researchs
23-24 septembre 2003
September 23-24, 2003
RÉSUMÉS
ABSTRACTS
Organisé par l’UMR 8528 « SILEX », CNRS & Un. Lille 3,
avec le soutien du Conseil Régional du Nord-Pas de Calais
Toile / web : http://www.univ-lille3.fr/silex/lsf
Contact : [email protected]
Sommaire / Contents
BLONDEL Marion – De la syllabe en LSF à travers un registre poétique
BLONDEL Marion, LECOURT Isis & TULLER Laurie – Les « pointés »
et l’acquisition de la morphosyntaxe en LSF
BONNAL Françoise – Chronique de quelques marqueurs de la
négation, en LSF
BRAS Gilles, MILLET Agnès & RISLER Annie – Anaphore et deixis en
LSF : tentative d’inventaire des procédés
BUTON François – L’enseignement mutuel et les signes. Contribution à
la socio-genèse de la LSF en France (années 1780-années 1870)
CUXAC Christian – Phonétique de la LSF : une formalisation
problématique
COURTIN Cyril, DUBOIS Mélanie, HERVE P.-Y., LAWRIN E. &
TZOURIO MAZOYER Nathalie – Etude de l’effet de l’iconicité lors de
tâches de dénomination et de génération de verbes en langue des
signes française (LSF)
DE LANGHE Olivier, GUITTENY Pierre, PORTINE Henri & RETORE
Christian – À propos des structures OSV en langue des signes française
DELAPORTE Yves – Deux siècles d’histoire de la langue des signes :
les tendances évolutives
FUSELLIER-SOUZA Ivani – Analyse linguistique du couple
regard/pointage dans la construction de l’espace discursif dans les LSP
(Langue des signes primaires). Étude comparative avec la LSF
GARCIA Brigitte – Langue des Signes Française (LSF) : quelles
conditions pour quelles formes graphiques ?
GRANDE Karine, GRINEVALD Colette, MAGRIN-CHAGNOLLEAU
Ivan & RISLER Annie – La dénomination d’objets manipulables en LSF
au sein d’un discours narratif : peut-on parler de classificateurs verbaux ?
JACOB Stéphanie – L’acquisition du langage et le développement
cognitif de l’enfant sourd
LE CORRE Geneviève – L’émergence de la figure du fléau dans le
champ thématique du sida. Approche comparative d’un texte français et
de son adaptation en LSF
LEJEUNE Fanch & RISLER Annie – Traces des opérations langagières
et des représentations sémantico-cognitives dans la forme verbale en
LSF
MEURANT Laurence – L’anaphore syntaxique redéfinie au regard d’une
langue des signes. Étude contrastive de structures anaphoriques en
français et en langue des signes belge
MEURILLON Christian – Signe et surdité : saint Augustin comme
fondement d’un nouveau regard sur les sourds au 18e siècle
PARISOT Anne-Marie – Explication unifiée de l’accord verbal en langue
des signes québécoise : la notion de trace spatiale
VERMEERBERGEN Myriam – The Quest for Basic Word Order in
Flemish Sign Language
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De la syllabe en LSF à travers un registre poétique
Marion Blondel
UMR 6065 (Un. Rouen & CNRS)
[email protected]
Il aurait été étonnant que la notion de syllabe pose moins de questions dans les langues des
signes que dans les langues vocales ; nous essaierons de montrer l’intérêt que présente l’étude
1
d’un registre poétique enfantin dans le cadre de la réflexion sur la syllabe en LS .
Pourquoi la poésie enfantine ?
Selon Brailoiu (1973[1956]), le rythme enfantin constitue un système particulier : la durée
des syllabes des comptines dépend de leur emplacement dans « un dispositif rythmique, que
l’on dirait préétabli et auquel la parole s’ajuste selon les modalités nombreuses et variables »
(p. 6). Qu’en est-il dans des langues qui empruntent un autre canal ? D’une part, la syllabe
représente un enjeu dans l’étude du registre poétique enfantin (unité de perception /
constitution d’un rythme). D’autre part, il nous a semblé que la poésie enfantine a un effet
‘grossissant’ qui facilite le repérage des particularités poétiques et structurelles d’une langue.
Notre objectif, en parcourant des modèles phonologiques proposés pour la syllabe dans les LS
est de voir lequel nous permettra d’appréhender plus facilement le rythme poétique.
Pourquoi le mouvement ?
Dans une série de travaux sur les LS (Liddell et Johnson,1989 ; Stack, 1988 ; Wilbur,
1993 ; Miller, 1997 ; Bonucci, 1997 et plus récemment Channon, 2002), le mouvement fait
l’objet de débats théoriques : à quel niveau doit-il être considéré (phonétique ou
phonologique, par exemple) ? Quel est le rapport entre mouvement et syllabe en LS ?
Pourquoi le mouvement secondaire ?
Différents types de mouvements peuvent se superposer : ainsi, au changement de
localisation peut se superposer à un changement d’orientation de la paume de la main. Une
autre question se pose alors : les mouvements secondaires sont-ils décomposables ? Chacune
des oscillations dans un mouvement oscillatoire peut-elle correspondre à une syllabe ? (Van
der Hulst, 1993 ; Miller, 1997).
Notre proposition
Dans le cadre de l’analyse d’un corpus d’une cinquantaine de poésies enfantines dans cinq
langues des signes (Blondel, 2000), nous avons observé, par exemple, qu’il est possible de
compter les oscillations, de les accentuer... Nous proposons d’adopter un modèle de la syllabe
(Miller, 1997) qui permet de décomposer les mouvements secondaires. Nous illustrerons
l’ensemble de cette discussion à l’aide d’extraits vidéo de poésies enfantines en LSF.
Bibliographie
BLONDEL, M. 2000. Poésie enfantine dans les langues des signes : modalité visuo-gestuelle versus
modalité audio-orale. Thèse de Doctorat, Université de Tours.
BONUCCI, A. 1997. La langue des signes française : étude linguistique et réalisation d’un CD-Rom
multimédia d’apprentissage. Thèse de doctorat, Université de Lyon II.
BRAILOIU, C. 1973[1956]. « La rythmique enfantine ». In Brailoiu, Problèmes d’ethnomusicologie : 537, Genève : Minkoff Reprint.
1
Nous verrons qu’en l’état actuel de la description linguistique des LS, il est très rarement établi de différences,
sur le plan structurel, entre LSF et autres langues des signes.
2
CHANNON, R. E. 2002. Signs are single segments: phonological representations and temporal
sequencing in ASL and other sign languages. Dissertation. University of Maryland.
HULST, H. van der 1993. “Units in the analysis of signs”. Phonology 10, pp. 209-241.
LIDDELL, S. & JOHNSON, R. 1989. “American sign language: The phonological base”. Sign Language
Studies 64, pp. 195-277.
MILLER, C. 1997. Phonologie de la langue des signes québécoise, Structure simultanée et axe
temporel. Thèse de Doctorat, Université du Québec à Montréal.
STACK, K. 1988. “Tiers and syllable structure in American Sign Language: evidence from
phonotactics”. Mémoire de maîtrise, Los Angeles, University of California, L.A.
WILBUR, R. B. 1993. “Syllables and segments: hold the movement and move the holds !”. In Coulter
(ed.), Current Issues in ASL Phonology, Vol. 3 : Phonetics and Phonology, pp. 135-168, San
Diego, California : Academic Press.
3
Les « pointés » et l’acquisition de la morphosyntaxe en LSF
Marion Blondelα, [email protected]
Isis Lecourtβ
β
Laurie Tuller , [email protected]
[α : UMR 6065 (Un. Rouen & CNRS) ; β : JE 2321, Un. de Tours]
À l’heure actuelle, peu d’études ont été effectuées sur l’acquisition de la LSF, et encore
moins sur le développement morphosyntaxique de cette langue (voir Blondel et Tuller, 2000
pour une revue des travaux sur la LSF). Or, une approche maintenant bien connue, en
postulant un lien nécessaire entre l’adéquation descriptive et l’adéquation explicative, met en
avant le rapport entre une description complète et exacte des faits d’une langue particulière et
une explication de la façon dont l’enfant atteint cette langue particulière. Nous partons donc
de l’idée qu’une meilleure connaissance des états de la LSF en développement pourrait
contribuer à une meilleure compréhension de la grammaire de son état « mûr ».
Nous proposons par conséquent d’explorer le développement d’un des aspects
morphosyntaxiques les plus « difficiles » (du point de vue descriptif) de la LSF (et des autres
LS), celui des « pointés ». En effet, ces éléments de la gestuelle commune aux enfants
‘locuteurs’ de la LSF ou locuteurs du français auraient un statut grammatical dans la langue
cible (adulte) chez les premiers (voir Lillo-Martin & Klima, 1990 par exemple) alors qu’ils
garderaient un statut extra- ou para- linguistique chez les seconds. Selon les auteurs, les
critères qui permettent de déterminer que l’on a affaire à un mot varient et l’âge d’apparition
des premiers mots s’en trouve modifié (voir Newport & Meier, 1987 et Emmorey 2002 pour
un résumé de l’ensemble du débat). Chez plusieurs auteurs, il a également été repéré une
phase de ‘turbulence’ (entre 12 et 18 mois dans Petitto, 1983), se traduisant par la disparition
d’un certain type de pointés avant leur utilisation plus systématique comme pronoms. Nous
examinerons l’apparition des pointés en isolation et dans les premières phrases en essayant
d’élucider leur statut dans les stades successifs chez l’enfant.
Les faits que nous rapporterons et analyserons sont basés sur une étude longitudinale, entre
l’âge de six mois et l’âge de deux ans huit mois, du développement du langage chez un enfant
(entendant) qui acquiert simultanément (et de façon naturelle) la LSF et le français. L’aspect
bilingue et bimodal de cette acquisition offre l’avantage, comme nous l’argumenterons, de la
possibilité d’explorer le développement des pronoms, et plus généralement, de la syntaxe,
dans une modalité (la modalité orale), où la difficulté analytique qui entoure les pointés
n’existe pas. Autrement dit, notre examen de l’émergence et du développement des pointés
chez cet enfant sera mis en parallèle avec celui de ses pronoms en français.
Bibliographie
BLONDEL, Marion & TULLER, Laurice. 2000. « La recherche sur la LSF : un compte-rendu critique ».
Recherches linguistiques de Vincennes 29, pp. 29-54.
EMMOREY, Karen. 2002. Language, Cognition and Brain: Insights from Sign Language Research.
Mahwah, New Jersey: Lawrence Erlbaum.
LILLO-MARTIN, Diane & KLIMA, Edward. 1990. “Pointing out differences: ASL pronouns in syntax
theory”. In Fischer, Sipple & Decaro (eds) Theorical Issues in Sign language research. I
Linguistics. Univ of Chicago Press, pp. 191-210.
NEWPORT, Elissa L. & MEIER, Richard P. 1987. “The acquisition of American Sign Language”. In:
Slobin, Dan I. (ed): The crosslinguistic study of language acquisition. Vol. 1: The data. Hillsdale,
N.J.: Erlbaum, pp. 881-938.
4
PETITTO, Laura, A. 1983. “From gesture to symbol: The relationship between form and meaning in the
acquisition of personal pronouns in American Sign Language”. Ann Arbor: U.M.I. 1983 – 177 p.:
Harvard University Dissertation.
5
Chronique de quelques marqueurs de la négation en LSF
Françoise Bonnal
UMR 5610 (Un. Toulouse-Le Mirail & CNRS)
[email protected]
Objectifs : étudier la négation en LSF, sous l’angle de l’interaction entre la gestualité de
communication dans les Langues Orales et certaines formes lexicalisées en LSF ; observer
comment la LSF exprimait et exprime la négation.
Méthode : étude historique, comparatiste (comparaison entre signes contemporains :
dictionnaires IVT 1ère et 2ème édition, et « signes - ancêtres » : traces sur papier de tous les
signes LSF les plus anciennement attestés).
Limites : les attestations anciennes de la VLSF (« vieille LSF ») permettent rarement de
rendre compte des conditions grammaticales d’emploi des opérateurs de la négation.
I. La négation en LSF et les gestes de l’humanité
1. Le mouvement de la tête (NON) : jadis utilisé seul ;
actuellement, complétant les signes pour leur donner
une valeur négative : Ex : C’EST INSUFFISANT : IVT 409, T. 3
2. Le mouvement de l’index, en « gourdin », mouvement
de menace, de domination, et même de dominance :
NON, NE PAS : IVT 57-11, T. 2. Mêmes évolutions
d’emplois que le premier.
3. « Les ciseaux », mouvement des mains plates, paumes
levées, vers l’avant (bras se croisent et se décroisent) :
transfert métonymique du mouvement latéral négatif de
la tête, à 2 mains (plus visible et plus fort) :
3.1.négation (direction du mouvement, qui barre),
renforcée par le mouvement à deux mains
3.2.opposition à l’autre (configuration : paumes
tournées vers l’avant), renforcée par les 2 mains
3.3.couperet : les mouvements des mains taillent
dans l’espace, « coupent court » à toute
objection. Peut-être attesté seul dans TOUTE
DERNIERE FOIS : IVT 61-6, T. 2 ;
toujours en composition, dans des signes composés à
valeur négative. Ex : ÇA NE ME REGARDE PAS : IVT
63-5, T 2.
II. La négation en LSF et les métissages européens et
méditerranéens
1. De Shakespeare aux « nèfles » :
o « Signe – ancêtre » : le pouce mordu : Roméo et Juliette I,
1: « insulte courante en Europe dans les siècles passés »
(D. Morris) (« marque de menace ou de vengeance »,
Costadau, 1717)
o Variante plus récente : le clic aux incisives : « des
nèfles ! » (provocation ou « rien, pas un sou »). Ex :
ère
RIEN : IVT, 995, p. 141, T. 2 (1
édition : IVT peut se
faire sous le mentonÖ. ≈ nique : cf. II, 2).
6
2. Des Grecs aux Français :
o la nique : coup de pouce sous le menton, vers l’avant.
Origine : le NON grec (la tête bascule en arrière). La main
souligne le mouvement. Origine : colonisation grecque,
en Italie. Ex : RIEN : IVT, 65-4, T. 3.
o le sobriquet : le dos de la main frotté sous le menton, vers
l’avant. Comme la nique, mais plus marqué (PAS MOYEN).
Ex : STERILITE : (le 1er signe peut être remplacé par NE
PAS POUVOIR).
III. Le génie de la LSF ou comment la LSF a
grammaticalisé la gestualité ambiante
1. Dimension lexicale : l’antonymie
1.1. Un 1er signe, au positif ; un 2ème : la négation :
composition successive, dans laquelle le signe
négatif fonctionne comme un préfixe privatif
o Positif, puis NON (index balancé latéralement). Ex : CE
N’EST PAS JUSTE, C’EST INJUSTE : IVT 70-8, T 2.
RIEN, aux incisives. Ex : ÇA NE M’INTERESSE
PAS DU TOUT/AUCUN INTERET : IVT 63-9, T 2.
o Positif, puis
o Positif, puis la nique. Ex :
9, T 2.
NE PAS AVOIR PEUR
o Positif, puis le sobriquet (PAS MOYEN). Ex :
DORMI DE LA NUIT : IVT 68-3, T 2.
: IVT 128-
NE PAS AVOIR
D’autres « préfixes négatifs » apparaissent :
o Positif, puis ZERO. Ex : NE PAS AVOIR DE PLAISIR : IVT
128-10, T 2.
o Positif, puis
107-2, T 2.
VIDE.
Ex :
NE PAS AVOIR DE PLAISIR
7
: IVT
o Positif, puis /REJETER/. Ex : POUR RIEN : IVT, 59-3, T. 2.
o Positif, puis PAS LA PEINE. Ex : NE RECOMMENCE PLUS :
IVT 71-6, T 2.
1.2.
La composition simultanée ou « agglutination »
(négation incorporée : sorte d’affixe négatif,
fonctionnant comme un morphème lié)
o Le positif et la nique (pouce au menton), « agglutinés », à
une seule main. Ex : IMPOSSIBLE (nique + POUVOIR : le
poing se ferme) : IVT, 60-10, T. 2. On peut avoir, même,
une double agglutination : Ex : NE PAS ETRE PATIENT :
IVT, 61-10, T. 2 (IMPOSSIBLE ET PATIENT)
o Le positif et « les ciseaux » (les ciseaux sont effectués
avec la configuration du signe positif). Ex : INCROYABLE :
IVT 64-3, T 2. INSUPPORTABLE : IVT 125-7, T 2 (« les
ciseaux », avec la configuration de POUVOIR)
1.3. Les ambiguïtés.
o Pour certains signes, on ne peut être sûr de l’agglutination,
mais les origines attestées et la valeur négative incitent à
penser qu’il s’agit d’une « agglutination » positif et
« ciseaux ». Ex : PAS LA/NE PAS ETRE LA : IVT 195-6, T 3.
Incertitude aussi pour des signes négatifs à une seule main
(positif et « ciseaux » ou positif et index balancé
latéralement ?) : INCONNU : IVT, 215-5, T. 3.
2. Dimension grammaticale :
2.1. La physionomie (l’expression du visage) :
expression du visage et position de la tête, capitales
dans la négation, mais difficiles à observer sur
support papier. Néanmoins, dans les signes comme
RIEN, PAS, NON, SANS… : sourcils froncés, bouche
8
serrée, tombante ou grimaçante. Seul PAS MOYEN :
mouvement de la tête qui se relève et s’avance (cf.
son origine, le NON grec : refuser, en se dérobant).
3. Emploi des signes de la négation : formes et
significations
3.1. PAS MOYEN, NON/PAS, RIEN : négation phrastique ou
négation de constituant (en fonction du sens de la
phrase et de l’emploi de la négation, certains
signeurs peuvent utiliser RIEN et PAS MOYEN en
négation phrastique)
3.2. La négation qui « barre » une fois. Ex : NON,
initialisé en N (attesté chez Ferrand, Pélissier 21-17,
Lambert 15-18, Valade-Gabel) ; JAMAIS, initialisé
en J (Brouland 47)
– Signes dérivés :
♦Le non avec la main plate, bras demi plié,
avec
initialisation.
Variantes
initialisées. Ex : INUTILE/PAS LA PEINE : IVT,
58-6, T. 2 (en I) ;
♦ PAS FINI : IVT, 187-7, T. 3 (en I)
3.3. La négation « en alpha » (qui « barre » deux fois,
en croix ; qui annule). Ex : PLUS JAMAIS : IVT, 189-10, T.
3 (en J) ; NE PAS AVOIR BESOIN (en B) : IVT 125-9, T 2.
3.4. NE… PLUS : cf. C’EST TOUT IVT, 191-10, T. 3. Voir
ème
NE RECOMMENCE PLUS : IVT, 71-6, T. 2 (« le 2
signe [PAS
LA PEINE] peut être remplacé par C’EST FINI » : IVT, 69-4, T.
2)
3.5. Signes de négation partielle :
3.5.1. Adverbes : JAMAIS (cf. supra) ; NULLE
PART (ZERO, PARTOUT)
3.5.2. Pronoms
(quantification
nulle) :
PERSONNE, NUL, RIEN. Déterminants
(quantification nulle) : AUCUN, NUL.
e
AUCUN, SANS, NUL, RIEN : AU XIX siècle, en
soufflant sur la main, depuis le poignet jusqu’au
bout des doigts ou en passant la paume de la
main dominante sur la paume de l’autre main
(EFFACER). Apparition récente (1ère attestation :
IVT) de SANS, RIEN < ZERO : IVT, 66-10, T. 3.
AUCUN (= IL N’Y A PAS ; IL N’Y A PERSONNE :
IVT, 58-2, T. 2 < ZERO : 1ères attestations :
années 1970).
3.6. Signes de la négation exceptive ou restrictive : NE…
QUE. Cf. C’EST TOUT IVT, 191-10, T. 3.
4. Place de la négation : qu’il s’agisse de négation totale
ou de négation partielle, le signe négatif est quasiment
toujours en fin de phrase. En négation phrastique, on peut
avoir des structures de forme question rhétorique : phrase
affirmative interrogative, suivie d’une courte pause, puis du
signe-phrase NON, RIEN ou PAS MOYEN.
9
5. Les verbes incorporant la négation :
5.1. /Jeter, ôter/ : Ex : NE PAS VOULOIR : IVT, 753, p.
112, T. 2 (1ère édition)
5.2. Nique incorporée : Ex : CE N’EST PAS POSSIBLE, NE
PAS POUVOIR : IVT, 60-9, T. 2 (cf. I, 1.2.)
5.3. Ciseaux incorporés : ÇA NE ME REGARDE PAS : IVT
63-5, T 2 (cf. I, 3.3.)
6. Le non avec la tête : remotivation et surmotivation.
o Dans les signes agglutinants :
♦Remotivation liée à la perte de la valeur du morphème
positif incorporé au signe. Ex : PAS ENCORE : IVT, 189-1,
T. 3 (le positif, avec un mouvement en rond, signifie
PATIENCE, en continu)
♦Remotivation liée à la perte de la valeur négative d’un
morphème négatif incorporé au signe (conséquence du
phénomène
d’agglutination),
par
économie
articulatoireÖen diachronie, il y a superposition de deux
morphèmes négatifs (surmotivation) : cf. 5.1., 5.2., 5.3.
o Dans les signes composés successifs utilisant la
négation index balancé, renforcement du sème négatif
(par surmotivation). PAS LA PEINE/INUTILE (cf. 3.2.1.1.) ;
PAS FINI (3.2.1.2.).
Conclusions
• utilisation par l’ancienne LSF des « gestes sociaux » de la société dans laquelle elle vivait
en symbiose
• progressivement, lexicalisation et grammaticalisation de ces emprunts selon son génie
propre
• les signes négatifs de la LSF étant le plus souvent composés, évolution de la langue
(économie articulatoire), entraînant une opacité des moyens linguistiques mis en œuvre
pour exprimer la négation
• face à cette déperdition de sens, compensations, par « remotivation » (réactivation du
sème négatif par ajout d’un nouveau morphème, qui se superpose à l’ancien, devenu
opaque [« surmotivation »])
• en LSF moderne, création d’expressions lexicales nouvelles, spécifiques, qui ne sont ni
des emprunts aux codes gestuels de la société ambiante, ni des héritages de l’ancienne
LSF
• dans l’ancienne LSF, utilisation indifférenciée du NON avec la tête, avec l’index ou en
« barré » initialisé en N, mais aussi création de signes composés à valeur négative,
incorporant le pouce mordu, la nique, le sobriquet et les « ciseaux ». Actuellement,
apparition de nouvelles expressions de la négation, en signes composés successifs, et
survivance de formes anciennes, figées. Ces nouveaux signes composés évolueront-ils
aussi vers des signes composés, « agglutinants » ? Leurs emplois seront-ils libres ou
contraints ?
Bibliographie
BOUVET, D. 1997. Le Corps et la Métaphore dans les langues gestuelles : à la recherche des modes
de production des signes. L’Harmattan, collection « Sémantiques », Paris.
________. 2001. La Dimension corporelle de la parole : les marques posturo-mimo-gestuelles de la
parole, leurs aspects métonymiques et métaphoriques, et leur rôle au cours d’un récit. Peeters,
Collection de la Société de Linguistique de Paris, Louvain.
10
BOUVET, D. & MOREL, M.-A. 2002. Le Ballet et la Musique de la parole. Ophrys, Bibliothèque de
Faits de Langues, Gap, Paris.
CALBRIS, G. & MONTREDON, J. 1986. Des Gestes et des Mots pour le dire. Clé international, Paris.
COSTADAU, P. Alphonse. 1717. Traité historique et critique des principaux signes dont nous nous
servons pour manifester nos pensées. Vve J.-B. Guillemin. 10 vol. in-8°, Lyon.
FURETIERE 1690. Dictionnaire universel […], 3 tomes.
GREIMAS, A.-J. & KEANE, T.-M. 1992. réédition 2001. Dictionnaire du moyen français. Larousse,
Paris.
GUIRAUD, P. 1980. Le Langage du corps. « Que sais-je ? » n° 1850, PUF, Paris.
MORRIS, D. 1978. La Clé des Gestes. Paris, Grasset.
________. 1997. Le Langage des Gestes : un guide international. Calmann-Lévi.
RAT, M. 1957. réédition 1999. Dictionnaire des Expressions et Locutions traditionnelles. Larousse,
Paris.
REY, A. (sous la direction de). 1992. réédition 1995. Dictionnaire Historique de la Langue française.
2 tomes, Le Robert, Paris.
REY, A. & CHANTREAU, S. 1993. Dictionnaire des Expressions et Locutions figurées. Le Robert,
Paris.
RICHELET, C.-P. 1693. Dictionaire françois augmenté. réédition 1995, C. Lacour, Editeur, Nîmes.
11
Anaphore et déixis en LSF : tentative d’inventaire des procédés
Gilles Bras, Grenoble 3
Agnès Millet, Un. Stendhal – Grenoble 3
Annie Risler, Laboratoire Lordat (Un. Toulouse-le Mirail) et Un. Lille 3, [email protected]
Agnès Millet (Colletta & Millet 2002) rappelle que la dichotomie traversant les travaux sur
les langues signées et proposant des modèles théoriques et descriptifs qu'elle nomme (en
reconnaissant forcer le trait) pour les uns « à visée "convergente"» et pour les autres « à
option "différentialiste"» est le reflet d’un débat déjà ancien puisque venant en écho aux
travaux "phonologiques" de Bébian (1825) et ceux de la grammaire spatiale de Valade (1854).
Visée "convergente ... ou comment montrer que les langues gestuelles ont un
fonctionnement similaire aux langues audio-vocales et ce, en utilisant les outils de la
linguistique « en prenant peu (ou pas) en compte l'iconicité qui leur est inhérente » (Colletta
& Millet 2002), proposant des modèles tout d’abord "phonologiques", de Stokoe (1960) à
Bonucci (1997), puis syntaxiques (Klima et Bellugi 1979 ; Nève 1996).
Si ces travaux, sous-tendus par un enjeu idéologique – à savoir, la légitimation des
"langages" gestuels en tant que langues – ont sur ce point atteint leur objectif, ils ont laissé sur
le bas-côté l'iconicité inhérente aux langues gestuelles, probablement sous le poids de la loi
saussurienne de l'arbitraire du signe linguistique.
Approche "différentialiste"... ou comment affirmer que les langues signées n'ont sur le
plan structural rien de commun avec les langues audio-vocales. L'école est française,
Christian Cuxac en étant chef de file incontesté. « [...] les recherches "différentialistes"
n'accordent aucun crédit aux analyses phonologiques, et cherchent à rendre compte de
l'organisation linguistique des langues gestuelles en forgeant des outils spécifiques propres à
rendre compte de l'iconicité, et s'attachant à la substance gestuelle des langues
signées »(Colletta & Millet 2002). La typologie devient spécifique ("visée iconicisatrice",
"signes standards", "grande iconicité", "transferts", ...) s’éloignant de la linguistique.
Ces travaux arrivant en écho à la linguistique cognitive et énonciative ont su montrer la
place centrale de l’iconicité, moteur dynamique des langues signées et non pas résiduel d‘une
évolution inachevée. Néanmoins, la terminologie adoptée, l’éloignement de la théorie
générale des langues, la focalisation extrême sur l’iconicité pourrait laisser accroire qu’il
s’agit de cinéma et non pas de langue.
Toutefois, comme le note Millet (Colletta & Millet 2002), de plus en plus de jeunes
chercheurs adoptent une position intégrative en regard de ces deux pôles. Dans le cadre de
notre programme visant à réaliser une grammaire didactique de la LSF, nous sommes trois
chercheurs d'inspirations théoriques différentes. Aussi, avons nous tenté de dépasser ces
oppositions et d'intégrer tous les éléments nécessaires tant à la description de phrases (que l'on
pourrait étiqueter de "structures phrastiques de base") qu'à celle de textes (qu'ils soient
argumentatifs ou narratifs, et que l'on pourrait également étiqueter de "structures textuelles de
base"), cette tâche nous ayant toutefois été facilitée par le fait que nous étions
individuellement déjà engagés dans des démarches intégratives. Cette position nous permet
aujourd’hui de pouvoir tenter un inventaire des procédés anaphoriques et déictiques ayant trait
à la fonction pronominale en langue des signes française, catalogue à notre connaissance resté
inétabli.
Eu égard à la nature sémantico-syntaxique de l’espace de signation (Millet 1997), mais
aussi aux procédés iconiques mis en œuvre en LSF (comme pour l’ensemble des langues
signées), nous avons pu répertorier les procédés pronominaux selon deux logiques : une
logique spatiale, et une logique formelle.
12
De même, devant la nature iconique des éléments morphémiques traditionnellement
appelés classificateurs, ainsi que devant leur fonction et leur fonctionnement quelque peu
différent des langues audio-vocales à classificateurs, sommes nous amenés à les redéfinir
comme proformes, terme emprunté à E. Engberg-Pederson (1989), cette notion de proforme
ayant aussi l’avantage de pouvoir s’étendre au corps du signeur comme élément morphémique
dans les reprises anaphoriques.
Par ailleurs, pour les opérations de pointage, nous distinguerons le pointage (opération), le
pointeur (opérateur ; ex. : index, [LA-LA], ...), et le pointé (locus, seul ayant une valeur
pronominale dans cette opération).
Ainsi, pouvons nous proposer le catalogue suivant :
NOYAU PRÉDICATIF
FONCTION PRONOMINALE
ANAPHORE
LOGIQUE FORMELLE (proforme)
LOGIQUE SPATIALE (locus)
– proforme manuelle
– par pointé
globale
– par mouvement verbal
frontière
– par regard
double
– proforme corporelle
Nous noterons que les pointages n’ont pas une fonction simplement
pronominale/anaphorique mais que les mêmes opérateurs sont mis en œuvre dans la deixis.
Par ailleurs, nous noterons aussi que forme et espace étant étroitement liés, certaines
opérations de pointage n’ont ni valeur anaphorique, ni valeur strictement déictique (pointage
dans l’espace temps de l’énonciateur) mais un fonctionnement quasi-déictique dans les
espaces topographiques créés par le signeur.
Bibliographie
BEBIAN, A. 1825. Mimographie ou essai d'écriture mimique, propre à régulariser le langage des
sourds-muets. L. Colas, Paris. réed. (1978)
BONUCCI, A. 1997. La langue des signes française : étude linguistique et réalisation d’un CD-Rom
multimédia d’apprentissage. Thèse de doctorat, Université de Lyon II.
BRAS, G. 2002. "Descripteurs, classificateurs et morphosyntaxe en Langue des Signes Française".
LIDIL 26, LIDILEM, Université Stendhal, Grenoble III.
COLLETTA, J-M. & MILLET, A. 2002. "Des mouvements corporels à la syntaxe des langues gestuelles
et de la communication parlée". LIDIL 26, LIDILEM, Université Stendhal, Grenoble III.
CUXAC, C. 2000. La Langue des Signes Française : les voies de l‘iconicité. Ophrys, Paris.
KLIMA, E.S. & BELLUGI, U. 1979. The signs of the language. Harvard University Press, Cambridge,
London.
MILLET, A. 1997. "Réflexions sur le statut du mouvement dans les langues gestuelles – aspects
lexicaux et syntaxiques". LIDIL 15, LIDILEM, Université Stendhal, Grenoble III.
NEVE, F.X. 1996. Essai de grammaire de la langue des signes française. Bibliothèque de la Faculté de
Philosophie de Liège, Liège, diffusion Droz, Genève.
RISLER, A. 2003. "Les configurations manuelles pronominales: essai de classification". In Actes des
journées "Recherches sur les langues signées" des 23 et 24 novembre 2001, Risler Ed.,
GarO'Signes, Toulouse.
STOKOE, W.C. 1960. "Sign Language Structure, an outline of the visual communication systems of the
american deafs". In STUDIES IN LINGUISTICS, occasional papers 8, University of Buffalo, New
York.
VALADE, R. 1854. Etudes sur la lexicologie et la grammaire du langage naturel des signes, Ladrange,
Paris.
13
L’enseignement mutuel et les signes. Contribution à la socio-genèse de la
LSF en France (années 1780-années 1870)
François Buton
Centre Universitaire de Recherches Administratives et Politiques de Picardie
[email protected]
À partir d’une étude socio-historique de la prise en charge des « sourds » au 19e siècle, il
s’agirait de contribuer non pas directement à « l’histoire des signes » (comme indiqué dans
l’appel à communications), mais à l’histoire des conditions sociales de possibilité de la
pratique de la LSF (de la « mimique ») dans la France du 19 siècle (de la révolution à la
troisième république). Plus précisément, l’objet de la communication serait centré sur l’étude
d’une configuration sociale particulière, l’enseignement mutuel dans les institutions
d’éducation des sourds-muets, comme lieu de développement des signes. Dit autrement,
l’apport spécifique de cette proposition, qui n’émane pas d’un linguiste mais d’un chercheur
en science politique, s’inscrit dans le cadre plus général de l’analyse de la socio-genèse de la
LSF en France.
Il existe différentes raisons au recours à l’enseignement mutuel (ici défini comme une
modalité d’organisation de l’enseignement qui, d’une part utilise les élèves les plus avancés
dans leur cursus pour encadrer pédagogiquement les élèves les moins avancés, d’autre part
promeut les meilleurs élèves en tant qu’enseignants à part entière) dans les institutions
éducatives pour les sourds des années 1790 aux années 1880 : ainsi de l’utilisation d’une main
d’œuvre enseignante à moindre coût, ou de l’intéressement des élèves à l’éducation et à
l’institution pédagogique par la promotion de modèles identificatoires et la promesse de
débouchés professionnels. L’une de ses raisons, la première chronologiquement et
logiquement, réside évidemment dans le choix d’un grand nombre d’institutions à cette
époque de recourir aux signes comme moyen de communication et d’enseignement, dans le
cadre de méthodes d’enseignement plus ou moins institutionnalisées et rationalisées.
Dès lors, l’enseignement mutuel constitue à la fois une conséquence du rôle donné aux
signes dans l’enseignement des sourds-muets, et l’une des conditions de leur développement.
Les professeurs sourds comptent d’abord parmi les principaux défenseurs des méthodes
« mimiques » d’enseignement dans les établissements, ce qui se traduit concrètement par les
résistances qu’ils opposent, avec succès dans certains cas, aux propositions de réforme de
l’organisation de l’enseignement. Le cas du tournant des années 1830 dans l’Institution de
Paris, le plus ancien et le plus prestigieux des établissements spécialisés, est emblématique du
rôle joué par les enseignants sourds dans les récurrentes « querelles de méthodes » qui
caractérisent cette branche d’activité. De même, les professeurs sourds contribuent à
l’élaboration d’une quasi-« méthode officielle », la méthode « intuitive », en vigueur dans la
majorité des établissements d’éducation de sourds-muets des années 1840 aux années 1880,
dans laquelle la langue des signes constitue un élément essentiel. En bref,
l’institutionnalisation des signes dans l’enseignement au 19e siècle est très fortement liée à
l’organisation de l’enseignement sur la base du principe de l’enseignement mutuel.
Cependant, la contribution de l’enseignement mutuel au développement des signes ne
concerne pas seulement le domaine pédagogique. Cette forme d’organisation de
l’enseignement rend également possible la constitution d’une « élite » sociale sourde-muette,
laquelle est de manière générale issue des grands établissements d’éducation (principalement
de celui de Paris), mais dont les plus actifs sont les enseignants qui y exercent. Or, cette élite
s’engage précocement (relativement à tous les autres groupes de populations dites aujourd’hui
« handicapées »), en l’occurrence dès les années 1830, dans un travail politique de
construction de la « cause » des sourds-muets dans l’espace public (création d’une société de
14
secours mutuels, organisations de réunions, publications d’ouvrages, engagement dans le
combat électoral, etc.) qui tend à définir les sourds par les signes, autrement dit non pas en
fonction d’une déficience (la surdi-mutité), mais d’un attribut (l’expression en langue des
signes). Cette construction aboutit parfois à décrire explicitement les sourds comme une
minorité linguistique ; elle contribue dans tous les cas à la diffusion des signes dans l’espace
public, à leur visibilité sociale, en un mot à leur légitimation comme moyen d’expression.
On ne saurait certes considérer l’enseignement mutuel comme « la » cause unique de
l’institutionnalisation de la LSF et de la définition des sourds comme groupe linguistique. Elle
en constitue une condition, nécessaire, mais non suffisante. La comparaison avec la situation
des aveugles de naissance, dont l’éducation recourt également à l’enseignement mutuel, et de
manière plus massive encore, est à cet égard significative : si, de manière analogue, ce sont
des enseignants aveugles qui contribuent le plus à l’amélioration de moyens d’enseignement
spécifiques car adaptés aux enfants à instruire (par l’alphabet Braille principalement), ces
enseignants ne se constituent pas en élite sociale. La différence d’attitude entre les deux corps
d’enseignant tient en partie au caractère plus ou moins institutionnalisé des méthodes
d’enseignement : contrairement aux enseignants aveugles, les enseignants sourds sont
confrontés à des remises en cause régulières des méthodes qu’ils défendent, et leur
engagement dans la cause des sourds peut être interprété comme une stratégie
d’externalisation des conflits en vigueur au sein de l’activité d’éducation spécialisée. Il faut en
effet contextualiser précisément ce premier engagement, en précisant qu’il est l’œuvre d’une
génération particulière d’enseignants, en poste au cours d’une période qui constitue en
quelque sorte « l’âge d’or » de l’éducation des sourds au 19e (les années 1820-1860), période
au cours de laquelle cette activité se développe considérablement, notamment au travers d’un
« secteur public » en cours de constitution qui rassemble les établissements les plus
prestigieux.
Le lien étroit existant entre enseignement mutuel et développement des signes apparaît
également à l’occasion de la rupture brutale par laquelle, au début des années 1880, le recours
aux signes comme moyen d’enseignement et modalité de communication interpersonnelle est
proscrit dans les établissements d’éducation. L’interdiction des signes s’accompagne en effet
logiquement de la disparition de l’enseignement mutuel (les derniers professeurs sourds
quittent ainsi l’Institution de Paris en 1886). Dès lors, et pendant un siècle, les usages des
signes seront clandestins dans les écoles.
Bibliographie indicative
BUTON, F. Les corps saisis par l’Etat. L’éducation des sourds-muets et des aveugles au 19e siècle.
Contribution à la socio-histoire de l’État (1789-1885). Thèse de sociologie politique, EHESS.
CUXAC, C. 1980. L’éducation des sourds depuis l’abbé de l’Épée. Thèse de linguistique, université
Paris V.
DELAPORTE, Y. 2002. Les sourds, c’est comme ça. Ethnologie de la surdimutité. Paris, Mission du
Patrimoine ethnologique-Editions de la MSH.
LANE, H. 1991. Quand l'esprit entend. Histoire des sourds-muets, Paris, éd. Odile Jacob (When the
Mind hears. A History of the Deaf, New York, Random House, 1984).
Le pouvoir des signes, ouvrage édité à l’occasion de l’exposition commémorative du bicentenaire de
l’INJS de Paris, INJS de Paris, 1989.
WEINER (D.B.). 1993. The Citizen-Patient in Revolutionary and Imperial Paris. Baltimore and
London, The John Hopkins UP.
15
Phonétique de la LSF : une formalisation problématique
Christian CUXAC
UMR 7023 (Un. Paris 8 & CNRS)
Amorcées en 1960, les premières recherches linguistiques sur les langues des signes ont
accompagné le mouvement de reconnaissance des LS en tant que langues à part entière. Ces
recherches, pendant une dizaine d’années, se sont focalisées sur l’analyse « phonologique »
de la face signifiante des unités significatives en même temps qu’unités minimales de
réalisation. C’est ainsi que peu à peu, différentes langues des signes se sont vu attribuer une
compositionnalité en équivalents stricts de phonèmes, puis une structuration en traits
distinctifs, en géométrie de traits, en syllabes, en mores, etc., toutes analyses où la dimension
iconique des signes doit nécessairement être non pertinente.
Dès le début des années 80, pour partie en réaction contre l’hypothèse que les structures
des LS sont en tous points assimilables (en fait ramenables) à celles des LO, j’ai décrit un
certain nombre de registres discursifs à composantes structurales fortement iconiques que j’ai
appelées « transferts » : à savoir « transfert situationnel », « transfert personnel » et enfin
« transfert de taille et/ ou de forme ». Les « transferts » en tant que structures sont le résultat
(et la trace) d’opérations cognitives visant à maximiser les ressemblances formelles entre les
constructions référentielles en langue et l’univers psychique de l’expérience perceptivopragmatique, en un mot, des structures qui donnent à voir en disant. Je montrerai alors que ces
structures ne sauraient relever d’une analyse en éléments minimaux de type « phonologique »
dans la mesure où elle ne fait rien de plus que redoubler (et répliquer) inutilement une analyse
formelle en constants forme-sens de type morphémique-iconique, pleinement adéquate aux
représentations des locuteurs.
Reste la langue des signes lorsqu’elle ne se donne pas à voir, c’est-à-dire en gros les
séquences composées de signes standardisés tels que ceux qui figurent dans les dictionnaires
de signes. La question du statut des éléments compositionnels intra signes standard fera
l’objet d’une discussion à partir de l’évaluation de différents modèles, et, lui faisant suite, je
proposerai une analyse compositionnelle morphologique assez proche de celles qui sont
menées dans le cadre des théories de l’optimalité avec toutefois la prise en compte
supplémentaire d’une théorie de l’iconicité. Mon point de vue sera étayé par les phénomènes
relevant de problématique diverses : zones de dispersion des éléments compositionnels,
néologie lexicale, économie linguistique liée à la dimension diachronique, etc.
16
Etude de l’effet de l’iconicité lors de tâches de dénomination et de
génération de verbes en langue des signes française (LSF)
Cyril Courtinα, [email protected]
Mélanie Duboisα, [email protected]
P.-Y. Hervéα
E. Lawrinβ
Nathalie Tzourio Mazoyerα
[α : GIN, UMR 6095, CNRS – CEA, Un. de Caen et Un. Paris 5 ; β : Un. Paris 8]
Le vocabulaire de la LSF (les noms, pour cette étude) peut être classé en 3 principales
catégories, selon la nature de l'iconicité des labels : 1. les signes dont l’iconicité renvoie à
la forme du référent (ex : ARBRE, où l’avant-bras renvoie au tronc et la main aux
branches) : on parlera ici d’iconicité “formationnelle” ; 2. les signes dont l’iconicité
renvoie à une fonction du référent (ex : BALAI, le signe montre l’action de balayer) : on
parlera ici d’iconicité “fonctionnelle” ; 3. les signes qui ne renvoient à aucune
caractéristique de forme ou de fonction du référent qu’ils désignent (ex : HÔTEL) : on
parlera ici par convention de signes “abstraits”.
La question qui se pose est alors de savoir si cette iconicité du vocabulaire peut avoir
une influence sur les processus cognitifs des personnes communiquant en langue des
signes. Testant des enfants signeurs natifs, Courtin (1997) a observé que l’iconicité modifie
les capacités de catégorisation, montrant ainsi l’influence de la structure de la langue sur la
structuration de la pensée.
Notre étude a pour but d’étudier l’influence de l’iconicité du vocabulaire de la LSF sur
deux tâches langagières, chez les adultes. La première tâche sera la dénomination de
dessins présentés aux participants, la seconde la génération de verbes à partir de ces mêmes
dessins.
Les hypothèses de travail découlent des spécificités de l’iconicité des signes. La
première hypothèse est que les dessins qui peuvent être nommés par un signe relevant de
l’iconicité dite formationnelle devraient engendrer une plus grande homogénéité de
réponse lors de la dénomination en LSF. La seconde hypothèse est que les dessins dont le
label signé relève de l’iconicité dite fonctionnelle devraient engendrer une plus grande
homogénéité de réponse lors de la génération de verbe puisqu’un verbe peut être
directement dérivé du nom signé (ex : BALAI – BALAYER).
Ces effets sur la dénomination et la génération de verbes ne seront, par définition,
observables qu’en modalité signée, et la validation des hypothèses de travail doit donc se
faire à deux niveaux : inter-langues (LSF vs. français oral) pour vérifier l’effet de
l’iconicité de la LSF, intra-langue pour vérifier l’effet du type d’iconicité (formationnelle
vs. fonctionnelle).
1) Epreuve de dénomination. Pour cette épreuve, nous avons constitué 3 listes de
dessins, selon la nature de l’iconicité du label signé qui leur correspond : 41 dessins pour la
liste “formationnelle”, 32 dessins pour la liste “fonctionnelle”, 30 dessins pour la liste
“abstraits”. Un programme informatique a été construit afin de présenter un par un
l’ensemble de ces dessins par ordinateur de façon pseudo-aléatoire. Deux groupes de sujets
ont participé à l’étude : 22 adultes monolingues en langue française, 12 interprètes français
/ LSF (à ce jour, il n’existe aucun test objectif de mesure de l’efficience en LSF. Nous
avons donc choisi de travailler avec des signeurs dont un niveau certain d’efficience est
17
attesté par un diplôme d’interprète Serac – Université Paris 8). Les sujets avaient pour
consigne de dénommer, à l’oral pour les monolingues, en LSF pour les interprètes, chaque
dessin apparaissant sur l’écran. Les réponses ont été classées en réponses univoques
(lorsque l’ensemble des sujets du groupe en question a fourni la même réponse à un dessin
donné), dominantes (plus de 70% des sujets ont donné la même réponse) et ambiguës
(moins de 70% des sujets ont donné la même réponse), et ce, en référence à la
méthodologie appliquée dans l’étude de Metz-Lutz.
L’analyse globale a révélé une différence hautement significative entre les deux
modalités de langage. En effet, 93% des dessins de la liste dite formationnelle donnent lieu
à une réponse identique à l’ensemble des sujets testé en LSF, contre 61% en langue orale.
L’étude intra-langue en LSF a permis de vérifier que cet effet est dû à la liste
formationnelle : ces items formationnels sont dénommés avec une plus grande congruence
que les items fonctionnels et abstraits, ce qui n’est pas le cas en langue orale. Ces résultats
valident l’hypothèse selon laquelle l’iconicité dite formationnelle du label signé favorise
l’homogénéité des réponses lors de la dénomination de dessins au trait chez des sujets
signeurs.
Comme chez les enfants (cf. Courtin, 1997), l’iconicité de forme du vocabulaire de la
LSF permettrait aux locuteurs, à partir du dessin correspondant, d’accéder directement au
label signé. Cette étude met en évidence, pour la première fois chez l’adulte, un effet
significatif du caractère iconique formationnel en LSF (Dubois, DEA, 2002).
2) Epreuve de génération de verbes. Cette épreuve a été construite à partir des mêmes
dessins que pour l’épreuve de dénomination, donc en utilisant des listes de dessins déjà
validées expérimentalement. L’étude a été réalisée auprès d’un groupe de 20 adultes
monolingues en français et 11 interprètes français / LSF. Les sujets avaient pour consigne
de générer un verbe et un seul se rapportant au dessin affiché sur l’écran, cette génération
se faisant en français oral pour les monolingues, en LSF pour les interprètes. Les réponses
ont été classées selon 3 niveaux : le verbe associé à un dessin donné est dit univoque
lorsque ce verbe est généré par l’ensemble des sujets du groupe donné ; le verbe est dit
prévalant quand il représente au moins 70% des réponses fournies par les sujets ; enfin, le
verbe est dit préférentiel lorsque son pourcentage d’occurrence pour un dessin donné est en
dessous du seuil de 70% des réponses.
Dans chacune des deux langues, une différence statistique significative est observée
lorsque l’on compare les listes d’items fonctionnels vs. d’items formationnels et abstraits.
Ainsi, les items fonctionnels induisent une plus grande homogénéité de réponse lors de la
génération de verbe tant en français qu’en LSF. C’est-à-dire que les verbes sont plus
facilement associés aux items « fonctionnels » qu’aux autres, même chez les adultes
monolingues, ce qui indique un effet du matériel, indépendant de la LSF. Cependant,
l’effet de l’iconicité du vocabulaire de la LSF est évident lorsque l’on compare les résultats
entre les deux modalités de langage : français vs. LSF. En effet, 78% des items
fonctionnels donnent lieu à des réponses univoques ou prévalant en LSF, contre 41% en
langue orale ; cette différence inter-langue est statistiquement significative. Ainsi, bien que
les items de la liste d’iconicité fonctionnelle induisent un biais dans la génération de
verbes, comme en témoignent les réponses relevées en langue française, à ce biais s’ajoute
un effet de l’iconicité de la LSF, amenant à une différence significative entre les deux
modalités linguistiques.
Cette seconde épreuve montre que l’identification automatique du dessin présenté,
identification associée à un accès au label signé, produit (dans le cas d’une iconicité dite
fonctionnelle) un amorçage cognitif de la réponse du sujet (dans notre seconde épreuve : le
verbe), par un accès direct à la fonction de l’item dessiné. Une nouvelle fois, le signe
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« donne à voir » et a une répercussion sur le fonctionnement cognitif du signeur. Ainsi, nos
données confirment et appuient celles relevées par Courtin (1997) : l’iconicité du
vocabulaire amène les signeurs à avoir directement accès à la catégorie de l’item en
question, donc à sa signification. On précise ici que l'amorçage cognitif amène à des
réponses moins hétérogènes chez les signeurs sans que cela soit dû à une éventuelle
"pauvreté" du vocabulaire en LSF, puisque cette moins grande hétérogénéité des réponses
ne s'observe que pour la liste formationnelle (en dénomination) et non pas en liste
fonctionnelle (inversement en génération de verbes).
Les répercussions de l’iconicité de la LSF sur le fonctionnement cognitif devraient
logiquement s’accompagner de répercussions au niveau cérébral. Ces deux études de
psychologie expérimentale valident notre paradigme et vont ainsi nous servir de base pour
une étude prochaine en imagerie fonctionnelle, et ce, dans le but de définir les corrélats
neuraux relatifs aux deux types d’iconicité du vocabulaire. Notre étude ne s’arrêtera
cependant pas à cette iconicité du vocabulaire, et un protocole de recherche sur les bases
neurales des structures de grande iconicité (principalement, les transferts personnels,
modélisés par Cuxac 2000 et Sallandre 2001) est déjà en cours de construction.
Bibliographie
COURTIN, C. 1997. “Does sign language provide deaf children with an abstraction advantage?
Evidence from a categorization task”. Journal of Deaf Studies and Deaf Education 2, pp. 161-170.
CUXAC, C. 2000. La langue des signes française (LSF) ; les voies de l’iconicité. Faits de Langues 15/16.
Paris, Orphys.
DUBOIS, M. 2002. Etude de l’effet de l’iconicité sur la dénomination en Langue des Signes Française.
DEA de Psychologie Normale et Pathologique des Processus Cognitifs. Universités de CaenRouen.
METZ-LUTZ, M.N., KERMIN, H., DELOCHE, G., HANNEQUIN, D., FERRAND, I., PERRIER, D., QUINT,
S., DORDAIN, M., BUNEL, G., CARDEBAT, D., LAROQUE, C., LOTA, AM., PICHARD, B., &
BLAVIER, A. 1991. « Standardisation d'un test de dénomination orale : contrôle des effets de l'âge,
du sexe et du niveau de scolarité chez les sujets adultes normaux ». Revue de Neuropsychologie 1,
pp. 73-95.
SALLANDRE, M.-A. 2001. « Va-et-vient de l’iconicité en Langue des Signes Française ». Acquisition
et Interaction en Langue Etrangère 15, pp. 37-59.
SNODGRASS, J.G. & VANDERWART, M. 1980. “A standardized set of 260 pictures: norms for name
agreement, image agreement, familiarity, and visual complexity”. Journal of Experimental Psychology
6, pp. 174-215.
19
À propos des structures OSV en langue des signes française
Olivier De Langhe, INJS Gradignan, [email protected]
Pierre Guitteny, CIS Aquitaine, [email protected]
Henri Portine, Un. Bordeaux 3, [email protected]
Christian Rétoré, INRIA Futurs & LaBRI-CNRS, [email protected]
1. Problématique
1.1. Enoncé de la question étudiée
La question précise abordée par cette communication est la suivante : la Langue des Signes
Française admet-elle une structure < Objet-Sujet-Verbe > (avec reprise éventuelle de l'objet) ?
Cette structure est attestée et même fréquente, mais à l'heure actuelle il y a deux types de
positions la concernant : pour certains auteurs cette structure existe et la langue des signes
admet un ordre des mots relativement libre ; pour d'autres il s'agit d'une topicalisation, l'ordre
naturel étant SVO. On notera que les auteurs précités étudient respectivement la langue des
signes québécoise et la langue des signes américaine, mais les grammaires des langues des
signes sont supposées être essentiellement similaires. La reprise de l'objet est également
difficile à analyser en l'absence de catégories syntaxiques clairement établies.
1.2. Quelques exemples prototypiques dont nous partirons
(NB. Chaque parenthésage correspond à un signe)
(a) [pomme] [cette] [aimer] (j'aime cette pomme)
(b) *[aimer] [pomme] [cette] (j'aime cette pomme)
(c) *[aimer] [cette] [pomme] (j’aime cette pomme) NB. Existe en français signé.
(d) [viande] [Chirac] [mange] (Chirac mange de la viande)
(e) [Chirac] [viande] [mange]
(f) *[Chirac] [mange] [viande] (Chirac mange de la viande) NB. Existe en français signé.
1.3. Proposition
Nous reprenons les arguments développés par les uns et les autres. En particulier
l'argument selon lequel la langue des signes admettrait un ordre des mots libre nous semble
fortement contredit par notre pratique, comme en attestent (b), (c), (f). Ceux qui proposent
une analyse en termes de topicalisation envisagent deux types de topicalisation :
– base generated topic (topicalisation engendrée en structure profonde),
– moved topic (topicalisation produite par un déplacement).
Pour notre part, nous pensons qu'il s'agit d'une construction standard en langue des signes,
ce que corrobore l'agrammaticalité de (b) (c), (f). Afin de défendre ce point de vue, nous
dresserons un parallèle avec des langues OSV. Par exemple, s'agit-il d'une langue admettant
une structure OSV ou d'une langue OSV ? Pour ce faire on s'interrogera sur le paramétrage
des langues OSV, afin de voir si la langue des signes partage d'autres paramètres avec ces
langues (par exemple au niveau de la structure du groupe nominal). On remarquera que dans
ces langues il y a toujours un accord entre le verbe et l'objet. On comparera aussi nos
exemples avec les constructions où un pronom clitique reprend l'objet au sein du verbe. Cette
question est, en l'absence de parties du discours clairement établies, est également
problématique. Par exemple le pointage est-il un déterminant ou une reprise anaphorique ? Le
mouvement des épaules ou du regard vers la place où l'objet a été localisé, peut-il être
considéré comme un clitique ? Lorsque la configuration de la main pendant l'énonciation du
verbe incorpore le classificateur de l'objet, cette configuration est-elle une marque d'accord ou
20
une reprise pronominale ? On proposera des analyses qui militeront en faveur de l’existence
de certaines structures OSV sans clitique ni topicalisation.
2. Contexte du projet
2.1. Objectifs et environnement
L'étude proposée ici participe d'une tentative de formalisation de la syntaxe de la langue
des signes française en vue de son traitement informatique. Plus précisément, il s'agit de
produire des énoncés en langue des signes à partir de représentations sémantiques. Ce travail
s'effectue en partenariat avec IBM et l'INJS de Gradignan.
2.2. Des données descriptives limitées
A la différence de travaux similaires pour des langues mieux étudiées, notre étude se
heurte à des difficultés propres à la langue des signes. L'absence de corpus oblige à s'en
constituer un et il n'est pas aisé d'obtenir des situations dans lesquelles l'observation n'influe
pas sur les informateurs. Nous expliciterons les règles que nous nous donnons pour la
constitution de corpus.
2.3 Des théories adaptées
Au niveau des modèles utilisés, le cadre théorique fourni par la syntaxe minimaliste nous
semble particulièrement adapté en raison de ses perspectives universalistes connues sous le
nom de principes et paramètres. Ces grammaires admettent une formalisation qui se prête à un
traitement informatique efficace. La sémantique prédicative pour ce type de grammaire est
également bien étudiée et se rapproche de la sémantique de Montague.
Bibliographie
AARONS, Debra. 1994. "Aspects of the syntax of American Sign Language". PhD thesis, Boston
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BOUCHARD, Denis. 1997. "Sign languages and language universals: the status of order and position in
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CHOMSKY, Noam. 1995. The minimalist program. MIT Press, Cambridge, MA.
DUBUISSON, C., L. LELIEVRE, & C. MILLER. 1999. Grammaire descriptive de la langue des signes
québécoise, Tome 1, Le comportement manuel et le comportement non manuel, ´édition revue et
augmentée. UQAM, Montréal.
DUBUISSON, C., L. LELIEVRE, M. LELIEVRE, D. MACHABEE, & C. MILLER. 2000. Grammaire
descriptive de la langue des signes québécoise, Tome 2, Le lexique. UQAM, Montréal.
LILLO-MARTIN, Diane. 1991. Universal Grammar and American Sign Language. Kluwer.
NEIDLE, Carol, Judy KEGL, Dawn MACLAUGHLIN, Benjamin BAHAN, & Robert G. LEE. 2000. The
Syntax of American Sign Language - Functional Categories and Hierarchical Structure. MIT
Press.
STABLER, Edward. 1997. "Derivational minimalism". In Christian Retoré ed, Logical Aspects of
Computational Linguistics, LACL'96, volume 1328 of LNCS/LNAI, pages 68-95. Springer-Verlag.
21
Deux siècles d’histoire de la langue des signes : les tendances évolutives
Yves Delaporte
Laboratoire d’anthropologie urbaine (Ivry sur Seine)
"Le lexique, plus que les grandes données sémantico-syntaxiques, reste le grand oublié des
recherches linguistiques consacrées aux langues des signes" (Christian Cuxac, 1996). C’est en
partant de cette constatation que l’on a établi un programme de recherche sur l’histoire et
l’étymologie de la lsf, dont la présente communication fournira les premiers résultats.
1. Bref exposé des sources
a) Recueils de signes publiés (décrits ou dessinés) : Ferrand (vers 1780), Degérando (1827),
Brouland (1855), Pélissier (1856), Lambert (1865), Oléron (1974), quatre recueils de signes
régionaux dans les années 1980.
b) Recueils non publiés (Jamet).
c) Lexique des langues apparentées, notamment la langue des signes américaine qui conserve
sans modification de nombreux signes importés par Laurent Clerc à partir de 1816.
d) Observations personnelles sur le terrain : formes archaïsantes en région parisienne, formes
dialectales en province, évolutions in statu nascendi. Le principal obstacle pour la recherche
étymologique est le trou noir de plus de cent années (1865-1974) pendant lequel aucun signe
n’a été décrit, alors que la création lexicale se poursuivait.
2. Exposé du principe qui guide cette recherche : par comparaison entre ce qui est attesté
des signes anciens et les signes pratiqués aujourd’hui, dégager des tendances évolutives ;
appliquer ensuite ces tendances aux signes dont l’étymologie est obscure.
3. Description de quelques tendances, parmi la cinquantaine de celles qui ont pu être mises
au jour : troncation, rapprochement sur le corps, inversion du sens du mouvement, passage
d’un mouvement unique et long à un mouvement redoublé et court, centralisation sur le corps,
disparition de la torsion du poignet, éloignement de la bouche, modification des
configurations. Ces tendances sont généralement gouvernées par un principe d’économie
gestuelle. On donnera également quelques exemples de dérivations sémantiques et
d’emprunts au français qui obscurcissent l’iconicité originelle (calques, neutralisation des
oppositions entre unités de l’alphabet manuel lorsqu’elles sont intégrées à la langue).
4. Réflexion sur la notion de tendance évolutive en langue des signes : ces tendances ne
peuvent avoir la régularité des lois dévolution phonétique parce quelles se heurtent à la
résistance que leur oppose l’iconicité, qui est le socle sur lequel se construisent ces langues.
L’évolution formelle et sémantique conduit à démotiver des centaines de signes, ce qui
justifie le projet d’un dictionnaire étymologique ; elle reste cependant ponctuelle, devant être
recherchée cas par cas, et est insuffisante à entraîner l’ensemble du lexique vers l’arbitraire.
On rejoint donc ici les observations de Christian Cuxac (1996), notamment dans sa critique
méthodologique de l’unique travail sur cette question, par Nancy Frishberg (1975) dans le cas
de la langue des signes américaine.
Bibliographie
BONNAL, Françoise. 2000. Prolégomènes à la conception d’un dictionnaire historique de la langue
des signes française. Mémoire de DEA, université de Toulouse Le Mirail.
________ à paraître. "Les signes, à la lorgnette des dictionnaires des XVIIIe et XIXe siècles".
Surdités 5.
22
CUXAC, Christian. 1996. Fonctions et structures de l’iconicité dans les langues des signes. Analyse
descriptive d’un idiolecte parisien de la LSF. Thèse de doctorat d’Etat, université de Paris V.
DELAPORTE, Yves. 2000. "Dire la parenté quand on est sourd et muet. Structure et évolution des
appellations en langue des signes". Ethnologie française 30-1, pp. 83-95.
________. 2002. "La question étymologique en langue des signes : méthodes de recherche".
Association de recherches interdisciplinaires en langues des signes (communication non publiée).
________. (avec Marc Renard). 2003. Aux origines de la langue des signes française. Brouland,
Pélissier, Lambert, les premiers illustrateurs (1855-1865). Paris, Langue des signes éditions.
FRISHBERG, Nancy. 1975. "Arbitrariness and iconicity: Historical change in American Sign
Language". Language 51, pp. 676-710.
23
Analyse linguistique du couple regard/pointage dans la construction de
l’espace discursif dans les LSP (Langue des signes primaires). Étude
comparative avec la LSF
Ivani Fusellier-Souza
UMR 7023 (Un. Paris 8 & CNRS)
[email protected]
Mots-clefs : sémiogénèse des langues des signes, représentations spatiales, processus
d’iconicisation, mécanismes de repérage, pragmatique interactionnelle.
Résumé
Les individus sourds ne faisant pas partie d’une communauté sourde et vivant
exclusivement en entourage entendant sont amenés à créer des systèmes de communication
gestuelle linguistiquement organisés. Les études sur la création des LSP 2 (cf. Fusellier-Souza,
2001 ; Yau, 1996, Goldin-Meadow, 1998) démontrent que ces individus sourds ont mis en
œuvre des stratégies communicationnelles fondées sur un processus cognitif d’iconicisation
de l’expérience perceptivo-pratique. Ce même processus est à l’origine de toutes les langues
des signes pratiquées dans le monde, quel que soit leur statut institutionnel. De ce fait, ces
langues constituent des observables synchroniques concernant la sémiogènese des langues des
signes.
Le contenu de cette communication sera focalisé sur les mécanismes de construction
référentielle (notamment les gestes de pointages associés au regard) utilisés lors des échanges
discursifs par les locuteurs sourds en interaction avec leur entourage entendant.
Dans un premier moment, une discussion sera entamée sur les distinctions et/ou
corrélations de l’organisation gestuelle de l’espace discursif des locuteurs sourds comparé aux
locuteurs entendants 3 :
– Bref rappel des fonctions de gestes de pointage dans la gestuelle co-verbale. (Kendon,
1993, McNeill, 1992; Gullberg, 1998; Calbris, 1989)
– Organisation de l’espace discursif lors de l’interaction gestuelle:
o La construction des références spatiales par les locuteurs entendants ;
o La construction des références spatiales par les locuteurs sourds ;
Ensuite, les différences présentées seront examinées sous l’angle de la question du canal de
réalisation des langues orales/ des signes. Il sera démontré que:
– La modalité audio-orale fonctionne comme une entrave à la production gestuelle des
entendants. Dans la communication entendant € sourd l’organisation formelle des gestes
s’avère dépendante des structures linguistiques de la langue vocale lorsque celle-ci est
utilisée. (Goldin-Meadow, 1998)
– Au contraire, la production gestuelle des locuteurs sourds pratiquant des LSP s’organise,
sans contraintes, autour de primitives spatiales présentes dans les langues des signes
réalisées par la modalité visuo-gestuelle. Ainsi, des points communs existent entre la
structure des LSP et celle des langues des signes standardisées.
Dans les langues des signes à histoire institutionnelle longue (comme la LSF), les gestes de
pointage possèdent diverses valeurs grammaticalisées (déictiques, actancielles, reprises
anaphoriques, emphatiques…) et le couple regard-pointages régit de façon préalable
l’organisation de différentes portions de l’espace discursif (cf. Cuxac, 2000).
2
Pratiquées par des individus sourds sans contact avec une communauté sourde spécifique et intégrés dans un
environnement exclusivement entendant.
3
Des interlocuteurs entendants qui sont en interaction directe avec les personnes sourdes pratiquant une LSP.
24
Pour cet exposé, nous avons choisi de traiter des résolutions linguistiques propres aux
langues des signes primaires dans la construction de l’espace discursif en comparant avec
celles qui sont attestées dans les langues des signes standardisées (en l’occurrence la LSF).
Nous allons nous concentrer plus particulièrement sur :
o Les différentes fonctions du pointage
o Coordination entre regard et pointages
o Les stratégies gestuelles de spatialisation des relations (constructions
pertinisant l’espace)
o Le lien entre pointage et savoir partagé
Les résultats présentés proviennent d’une étude détaillée (en cours de réalisation) de trois
LSP pratiquées par des sourds brésiliens dans le cadre d’une thèse de doctorat.
Bibliographie
CALBRIS, G & PORCHER L. 1989. Geste et communication. Hatier-CREDIF/Paris LAL: Langues et
apprentissage des langues, 223 p.
CUXAC, C. 1997. « Expressions des relations spatiales et spatialisation des relations sémantiques en
Langue des Signes Française ». In C. Fuchs et S. Robert (eds): Diversité des langues et
représentation cognitives, pp. 150-160. Ophrys, Paris.
________. 2000. La Langue des Signes Française (LSF) – Les voies de l'iconicité. In Faits de
Langues 15-16. Ophrys, Paris.
FUSELLIER-SOUZA I. 1999. Quand les gestes deviennent une proto-langue. Développement du langage
chez les personnes sourdes en situation d’isolement. DEA. Université Paris VIII.
________. 1999. « Création et développement du langage gestuel chez les personnes sourdes en
situation d'isolement ». In Actes du Colloque de la Journée d’Etudes sur la LSF du 19 nov. 1999.
Université du Mirail, Toulouse.
________. 2000. « La création gestuelle des individus sourds isolés : De l’édification conceptuelle et
linguistique à la sémiogénèse des langues des signes ». AILE 15. Encrages. Université de Paris 8.
________. 2002. « La construction de références temporelles dans les Langues des Signes Primaires
(LSP), pratiquées par des sourds vivant exclusivement en entourage entendant ». Actes du
Colloque de la Journée d’Etudes sur la LSF du 19 nov. 2001, Toulouse, Université du Mirail (à
paraître).
GOLDIN-MEADOW, S. 1991. “When does gesture become language? A study of gesture used as a
primary communication system by deaf children of hearing parents”. In Gibson, Kathleen Rita
Ingold, Tim (eds), Tools, language and cognition in human evolution, pp. 63-85. Cambridge Univ.
Pr, Cambridge.
________. 1998. “The development of gesture and speech as an integrated system”. In Iverson, Jana
M./Goldin-Meadow, Susan (eds): The nature and functions of gesture in children's communication,
pp. 29-42. (New directions for child development, 79) Jossey-Bass, San Francisco, Calif.
GOLDIN-MEADOW, S. & C. MYLANDER. 1998. “Spontaneous sign systems created by deaf children in
two cultures”, Nature 391: 666, pp. 279-281.
GULLBERG, M. 1998. Gesture as a communication strategy in second language discourse. Travaux de
l’institut de linguistique de lund 35. Lundi University press. Suède.
KENDON, A. 1993. "Human gesture." In Tools, Language and Cognition in Human Evolution. K.R.
Gibson and T. Ingold, eds. Pp. 43-62. Cambridge: Cambridge University Press.
MCNEILL, D. 1992. Hand and Mind. Chicago: Chicago University Press.
YAU, SC. 1992. Création Gestuelle et début du Langage - Création de langues gestuelles chez les
sourds isolés. Éditions Langages Croisés, Hong Kong.
25
Langue des Signes Française (LSF) : quelles conditions pour quelles formes
graphiques ?
Brigitte Garcia
Un. Nancy 2 (IUT Charlemagne) et UMR 7023 (Un. Paris 8 & CNRS)
[email protected]
On ne présentera pas ici de résultats mais les tenants et aboutissants d’un programme de
recherche amorcé cette année, en en privilégiant toutefois les fondements linguistiques et
sémiologiques.
Objet et objectifs – Ce programme a pour objet les conditions et enjeux d’une formalisation
graphique de la LSF et vise l’élaboration d’une (ou plusieurs) forme(s) graphique(s) pour
cette langue. Le caractère social de l’objet et sa portée épistémologique expliquent deux
caractéristiques interdépendantes du programme : 1) son assise empirique : il s’appuiera sur
une investigation qualitative des besoins et pratiques graphiques effectives des diverses
populations concernées aujourd’hui en France par cette question ; 2) sa pluridisciplinarité : il
associe des chercheurs en linguistique, psycholinguistique cognitive, sociologie et
informatique (IRIT-Toulouse et LIMSI).
Enjeux et motivations – On fera un rappel historique de la manière dont cette question
graphique a été abordée depuis la Mimographie de Bébian jusqu’aux systèmes plurilinéaires
et multimédia du type Sign Stream, soulignant que 1) la majorité de ces systèmes ont été créés
par des chercheurs et pour la recherche ; que 2) aucune étude ne permet de dire ce qu’il en est
des besoins et pratiques actuels en matière de forme graphique pour la LSF chez ses locuteurs,
et que 3) il n’y a jamais eu de réflexion théorique, intégrant les travaux des historiens et
sémiologues de l’écriture, sur les spécificités de la formalisation graphique de langues usant
d’une modalité autre qu’audio-orale.
Deux constats légitiment un abord frontal, aujourd’hui, de la question. En premier lieu,
l’existence de pratiques graphiques non seulement dans la recherche mais chez les locuteurs
de la LSF : enseignants, intervenants universitaires, étudiants, acteurs et metteurs en scène
sourds. Pratiques graphiques spécifiques, i.e autres que le français écrit ou l’intégrant dans des
combinatoires graphiques originales : quels besoins attestent-elles, que ne satisfont ni le
français écrit, ni, en l’état actuel, la vidéo et les nouvelles technologies ? Quelles formes
prennent ces pratiques spontanées, dont une caractéristique notable pour la compréhension de
la LSF et pour la sémiologie de l’écriture est l’utilisation originale qu’elles font de l’espace de
la page et des relations qui s’y tissent ? Second constat : l’amorce d’une reconnaissance
officielle de la LSF comme langue enseignée (cf. le référentiel européen). On exposera l’enjeu
constitué, dans un contexte éducatif structuré par la prégnance de l’écrit, par la question de la
dotation à la LSF de forme(s) graphique(s), celle de ses fonctions, du rôle, notamment, qu’elle
peut jouer dans l’acquisition du français écrit.
Principes et questionnements au fondement de la structure de recherche mise en place –
On mettra l’accent sur les points suivants.
1) La nécessité (a) d’une explicitation, quant à la notation, des principes qui fondent les
systèmes graphiques existants pour les LS : notamment, les modes d’utilisation de la modalité
graphique (linéarité, mono / plurilinéarité, selon un principe analogique ou non ; graphèmes
iconiques ou non…) et le choix du point de vue (réception, production, mixte) ; (b) d’une
mise à plat de leurs limites avérées, en particulier leurs limites communes : lisibilité et
maniabilité faibles, difficultés à restituer les modes fins d’utilisation syntaxico-sémantique
des 4 dimensions de l’espace-temps.
2) La nécessité d’une réflexion historico-sémiologique pour situer valablement les spécificités
par rapport aux langues orales (LO) : les LS ne disposent pas d’une forme écrite au sens où on
26
l’entend pour les LO du fait des écritures historiques. Cependant, les formes écrites des LO ne
sont pas des représentations de leurs formes parlées et on rappellera que les systèmes de
transcription de la forme parlée des LO, très récents, posent des problèmes en partie
similaires à ceux que rencontrent les systèmes de transcription du discours en LS (principes
de segmentation, lisibilité / maniabilité, recours à des gloses dans la forme écrite de la LO).
Rétablir les termes de la comparaison permet de spécifier ce qui, dans les difficultés actuelles
de saisie graphique du discours en LS, relève de la transposition des phénomènes liés à
l’exploitation par ces langues de la modalité visuo-gestuelle.
3) La nécessité, a fortiori dans ce cas inédit d’invention d’une forme graphique sans un
arrière-plan plurimillénaire d’ajustement des modalités, de partir du fait que la forme d’un
système graphique dépend des fonctions qu’on lui assigne, qui déterminent les implicitations
constitutives du système (qui sont autant de prérequis pour ses usagers). Ceci légitime le
terrain et on insistera, en l’opposant au simple objectif d’une formalisation, normalisante, sur
l’éventualité d’élaborer plusieurs formes graphiques. La hiérarchie des enjeux (et donc la
forme du système) peut différer drastiquement selon les fonctions visées : enjeu prioritaire de
représentativité (“ faire voir ” les structures de la langue) pour la recherche et, en partie, pour
l’enseignement ; enjeu prioritaire de maniabilité pour les divers types de la prise de notes et,
le cas échéant, pour un système visant la production et l’échange d’écrits. On pointera aussi
par là la nécessité de faire la part des contraintes imposées par la modalité graphique :
représentativité et maniabilité sont partiellement antinomiques, accroître la maniabilité d’un
système graphique impliquant de resserrer son économie interne, ce qui ne peut qu’engendrer
des structures sans corrélation directe nécessaire avec celles de ce qui est transcrit.
4) La nécessité d’une interrogation des principes théoriques de segmentation qui fondent les
systèmes actuels et peuvent, en partie, en expliquer la lourdeur et certaines limites, d’autant
que le constat s’impose de l’adoption quasi-consensuelle d’un principe de découpage, en
“ signes ” et, en deçà, en “ paramètres ” de la forme signifiante visuelle. Des recherches sur la
LSF (Cuxac 2000 : compositionnalité morphémique-iconique de type moléculaire) ou en
gestualité coverbale (Boutet 2001 : structuration morpho-sémantique en centres
d’organisation) ancrent une mise en cause de ce découpage en paramètres signifiants : ces
descriptions peuvent orienter vers des notations de Sés et des modes d’utilisation de la surface
graphique autres que strictement linéaires ou bidimensionnels (partitions) i.e, par exemple,
pertinisant la position d’un graphème dans un cadre graphique virtuel et jouant des
combinaisons de Sés, à la manière des idéogrammes chinois.
5) L’intérêt théorique d’une implication des sourds locuteurs de la LSF dans l’élaboration de
ces formes graphiques. Les systèmes plurilinéaires ont été créés pour pallier les limites des
systèmes antérieurs (inaptes à noter le discours). Or une caractéristique des systèmes en
partition est leur recours massif à la forme écrite des LO (gloses, abréviations, description de
Sé, de Sa). Outre l’enjeu, épistémologique, d’une incidence sur les représentations et, à terme,
l’évolution de la LSF, se pose la question de l’accès à ces systèmes de locuteurs n’ayant pas
une intuition fine du français écrit. Une alternative est encore l’élaboration d’un système
authentiquement idéographique (noter des Sés via des graphèmes originaux), qui a tout à
gagner de l’implication des locuteurs évoqués.
Bibliographie
BEBIAN, A. 1825. Mimographie, ou essai d’écriture mimique, propre à régulariser le langage des
sourds-muets. Paris, L. Colas, in-8°.
BOUTET, D. 2001. Approche morphogénétique de la gestuelle conversationnelle. Thèse de doctorat,
Université Paris 8.
CUXAC, C. 2000. La Langue des Signes Française (LSF). Les voies de l’iconicité. Ophrys, Faits de
Langue, Paris.
27
La dénomination d’objets manipulables en LSF au sein d’un discours
narratif : peut-on parler de classificateurs verbaux ?
Karine Grandeα, [email protected]
Colette Grinevaldα, [email protected]
Ivan Magrin-Chagnolleauα, [email protected]
Annie Rislerβ, [email protected]
[α : UMR 5596 (Un. Lyon 2 & CNRS) ; β : Lab. Lordat (Un. Toulouse-le Mirail) et Lille 3]
En contraste avec les langues orales, la dénomination des objets et leur mise en discours
en LSF sont des processus de nature iconique et compositionnelle. En contraste avec
l'arbitraire du signe linguistique saussurien, la mise en langue d'objets du monde en langues
des signes repose sur des compositions lexicales qui incluent des éléments appelés par
certains des “spécificateurs de formes et/ou de taille” (SASS en anglais = Size And Shape
Specifiers), qui, comme leur nom l'indique, spécifient certains aspects physiques de l'objet,
tels la forme d'une partie de l'objet ou le contour de l'objet entier, tout en précisant la taille
de la partie ou du tout. Il reste à étudier systématiquement les dimensions de ces systèmes de
“spécificateurs” des langues des signes et leurs rôles dans la dénomination des objets.
PROBLEMATIQUE :
En langue des signes, la reprise anaphorique des éléments du discours se fait à travers des
signes qui reprennent certaines caractéristiques du référent. De tels signes ont été appelés
« classificateurs verbaux » dans la littérature (EMMOREY, 2002 ; SUPPALLA, 1986), terme
emprunté à la littérature sur certaines langues orales du monde dites langues à classificateurs
(CRAIG, 1986 ; GRINEVALD, 1999, 2000, 2003). On les appelle également proformes
(ENDGBERG-PEDERSEN 1985 ; RISLER 2003). Ces éléments anaphoriques sont
probablement à rapprocher de phénomènes dans des langues orales mais peut-on parler de
classificateurs dans les langues des signes ? Il s'agit d'étudier le lien entre le signe standard
hors discours et sa reprise en discours, soit en tant que signe lexical, soit par un anaphorique.
Le lien entre le signe et ses anaphoriques est-il syntaxique, sémantique, formel ? On observe
des variations individuelles dans la forme de l'anaphorique pour un même emploi. On observe
aussi en discours des variations syntaxiques : selon la fonction syntaxique assumée par
l'anaphorique, mais aussi pour une même fonction, dans des variantes contextuelles. Le degré
de grammaticalisation et de normalisation de la langue semble en jeu dans ces variations,
ainsi que la liberté offerte par l'iconicité.
METHODOLOGIE :
Le protocole expérimental consiste à réaliser un film qui met en jeu les deux processus de
dénomination de certains objets hors contexte et leur reprise anaphorique dans une chaîne de
discours. Les objets ont été choisis en fonction des formes 1D (long et rigide), 2D (plat et
souple) et 3D (rond) des classificateurs des langues orales. Ils sont inclus dans un scénario,
insérés dans diverses situations (localisation, déplacement, mise en action, changement d’état,
action sur l’objet) puis sont présentés séparément au travers d’images épurées. Le scénario est
montré à un 1er sourd qui signe ce qu’il voit à un 2ème sourd, simple observateur. Ce dernier
restitue ce qu’il a compris pour contrôle. Les deux prestations sont filmées sur vidéo afin de
pouvoir les analyser ensuite, et constituer en même temps un corpus de LSF. Nous avons
recueilli les énoncés de 6 sourds (3 paires).
28
PRINCIPALES CONCLUSIONS :
D’après la typologie de Grinevald (CRAIG 1996 ; GRINEVALD 2003), un classificateur
est un morphème (critère1) grammatico-lexical (critère2), dont la fonction catégorisante est
motivée par certaines caractéristiques du référent (critère3) et qui apparaît dans certains
aspects du discours (critère4). Notre étude sur les verbes de localisation et de déplacements
sans agent a permis de mettre en évidence diverses proformes qui répondaient à ces critères.
La proforme en main plate semble regrouper les objets plats et rectangulaires (répondant donc
au critère3) tels un « livre », une « table », un « cadre-photo », un « cadre » traditionnel et un
« miroir ». Sa configuration manuelle donne des indices sur le référent qu’elle localise ou
qu’elle déplace (critère4) et comporte des propriétés communes avec son signe lexical
(critère2). D’autres proformes étudiées sur ce même corpus présentent les mêmes propriétés.
Si l’on considère comme Supalla (SUPALLA 1986) que la configuration manuelle en
langue des signes s’apparente au morphème des langues orales, il nous est alors possible de
parler de classificateurs de verbes de localisation et de déplacement en LSF. Nous obtenons
un résultat identique avec les verbes de manipulation. Dans ce cas, la fonction catégorisante
du classificateur a été plus distinctement repérable.
Il semble donc que certaines proformes de localisation et de déplacement ou de
manipulation correspondent bien aux différents critères qui définissent un classificateur dans
les langues orales dites à classificateur.
Néanmoins, l’analyse des classificateurs verbaux en LSF nécessiterait des études
complémentaires qui permettraient de confirmer les tendances dégagées par les résultats
obtenus. Il serait intéressant de faire passer l’expérience à plus grande échelle et d’évaluer
voire homogénéiser le niveau de langue de chaque participant : cela éviterait toute possibilité
de mime et permettrait d’amoindrir une variabilité individuelle conséquente face à une
connaissance hétérogène de la langue.
Bibliographie
CRAIG, C. 1986. Noun classes and categorization. Amsterdam: John Benjamins.
ENDGBERG-PEDERSEN, E. 1985. Proformes en morphologie syntaxe et discours, Etudes Européennes
en langue des signes. Edirsa Bruxelles.
EMMOREY, K. 2002. Language, cognition, and the brain: Insights from sign language research.
Lawrence Erlbaum and Associates: Mahwah, NJ.Chap 3 & 8
GRINEVALD, C. 1999. “Language Endangerment in South America: A Programmatic Approach”. In
Endangered Languages. L. Grenoble & L. Whaley eds. Cambridge University Press. A paraître.
GRINEVALD, C. 2000. A morpho-syntactic typology of classifiers in Systems of nominal classification.
A paraître.
GRINEVALD, C. 2003. “Classifier Systems in the Context of a Typology of Nominal Classification”. In
Perspectives on Classifier Constructions in Sign Languages, Karen Emmorey (Ed.), pp. 91-110.
RISLER, A. 2003. « Point de vue cognitiviste sur les espaces créés en LSF : espace lexical, espace
syntaxique ». In Gestualité et Syntaxe, LIDIL n°26, pp 45-61.
SUPALLA, T. 1986. “the classifier system in American Sign Language”. In C. Craig (Ed.), Noun
Classification and Categorization. J. Benjamins.
29
L’acquisition du langage et le développement cognitif de l’enfant sourd
Stéphanie Jacob
UMR 7023 (Un. Paris 8 & CNRS)
[email protected]
Notre recherche concerne le développement cognitif de l’enfant sourd. Elle a pour
principaux axes de travail l’état de l’art concernant l’acquisition du langage chez l’enfant
sourd et une analyse développementale de sa maturité cognitive, basée sur un corpus vidéo.
Les principales recherches sur l’acquisition du langage de l’enfant sourd remontent vers la
fin des années 1970, début des années 1980 avec des chercheurs tels que Bonvillian (19831985), Marshark (1993), Mc Intire (1977), Newport & Meier (1985, 1990,1995…), Orlansky
& Novack (1983), Petitto & Marentette (1991), Schlesinger & Meadow (1972) etc. et
concernent essentiellement l’ASL (American sign Language).
L’un de leur premier travail a été de distinguer les gestes prélinguistiques, semblables au
babillage oral, des simples actes moteurs sans signification linguistique. Bien que les
chercheurs soient en désaccord sur la valeur linguistique à donner à certaines premières
manifestations gestuelles, tous sont unanimes pour attester d’un babil gestuel, présent aussi
bien chez l’enfant sourd que chez l’enfant entendant, tout comme le babillage vocal est
présent chez l’enfant sourd. Selon l’étude de Petitto & Marentette (1991), le babillage serait
l’expression d’une capacité fondamentalement amodale. Le développement du langage
s’effectue ensuite en fonction de l’input linguistique reçu par l’enfant. Ainsi, si l’enfant
entend et l’input est oral, il développera une langue orale alors que l’enfant qui reçoit comme
input une langue signée élaborera une langue gestuelle, perdant rapidement ses vocalisations
spontanées. Quant à l’enfant sourd dont l’input est oral, il maintiendra sa bimodalité
d’expression au-delà des 16 mois, période à laquelle on observe une accélération de
l’acquisition du langage et en particulier l’acquisition de nouveaux mots pour les enfants
entendants et de nouveaux signes pour les enfants sourds. Que ce soit Meier & Willerman
(1993) ou encore Petitto & Marentette (1991), les auteurs n’ont pas constaté de différences
significatives entre bébés sourds et entendants. Le babillage est présent avant l’âge de 10 mois
et diminue à partir de cet âge au profit de gestes communicatifs. Le babillage manuel étant
attesté chez les enfants sourds, les chercheurs se sont préoccupés de l’apparition des premiers
signes. Pour certain d’entre eux (Bonvillian et coll., 1993), les enfants sourds produisent leurs
premiers signes plus tôt que leurs pairs entendants. Cette précocité serait due au
développement de la coordination oculo-manuelle qui précède celui de la motricité
articulatoire. Du reste, les parents apportent une aide précise quant à la formation des signes
en les « modelant ». Cependant, cette précocité disparaîtrait après le stade holophrastique et le
développement d’une langue des signes (pour les enfants sourds recevant un input signé)
serait similaire à celui de l’enfant entendant ayant un input oral. A propos des premières
combinaisons de signes – vers 18 mois –, elles apparaissent à la même période que les
premières combinaisons de mots des enfants entendants et s’accompagnent aussi d’une
diminution des gestes non linguistiques.
Toutes ces recherches mettent en évidence un processus d’acquisition qui est semblable à
celui de l’enfant entendant, dès lors que l’input linguistique est signé. Toutefois, ces études ne
font pas, ou prou, d’observations longitudinales et ne permettent d’élaborer les différentes
étapes de la maturité cognitive de l’enfant sourd au-delà de 3 ans. Pour cette raison, nous
avons choisi d’axer notre travail sur le développement cognitif de l’enfant sourd entre 4 et 14
ans, période durant laquelle l’enfant s’affirme en tant qu’être parlant.
L’objectif principal de notre travail est de montrer comment les enfants apprennent à
construire et structurer leur récit, comment ils gèrent les contraintes narratives et
30
linguistiques. Le récit, comme tout discours présente la caractéristique d’être constitué en un
tout cohérent. Les énoncés sont en permanence en interconnexion. L’intérêt du récit est qu’il
représente la récapitulation d’un ensemble d’événements expérimentés par un tiers dans un
cadre spatio-temporel déterminé. Il entraîne l’utilisation de formes linguistiques spécifiques.
Cette recherche s’organise autour de deux principaux domaines : la référence à la continuité
thématique et la référence aux participants. Elle se base sur des productions signées de 20
enfants sourds signeurs et d’adultes sourds –système de référence–. Les productions sont
induites par un dessin animé que les sujets regardent deux à trois fois. Ensuite, ils doivent
raconter le dessin animé face à un interlocuteur qui ne l’a jamais vu. Les principales variables
sont : parents sourds versus parents entendants, scolarité bilingue (un enseignant entendant et
un enseignant sourd) versus scolarité « unilingue » (un enseignant entendant).
Les narrations des participants sont découpées en épisode afin d’observer comment ils
introduisent les participants, les maintiennent et/ou les réintroduisent et ainsi analyser la
continuité thématique. Dans un premier temps, nous observons le développement de la
complexité narrative, suivant la maturité cognitive, en comparant les productions des enfants
sourds de parents sourds avec celles des enfants sourds de parents entendants. Puis dans un
deuxième temps, les données sont de nouveau comparées avec les variables concernant les
différences de scolarité. Notre principale hypothèse est que l’input linguistique est l’élément
majeur dans le développement cognitif. Les enfants sourds n’ayant pas la langue des signes
comme langue majoritaire connaissent un retard au niveau de leurs capacités narratives.
Lors de la transcription des narrations signées, nous prenons en compte la direction du
regard, la mimique faciale, la nature de l’iconicité des signes, l’orientation du corps,
l’utilisation et le respect de l’espace du signeur ainsi que les différents transferts.
Conclusion
Concernant les narrations en cours d’analyse, il s’avère que la direction du regard et la
mimique faciale sont plus marquées chez les enfants sourds de parents sourds en scolarité
bilingue que chez les enfants sourds de parents entendants en scolarité « unilingue ». De
même, nous avons constaté une différence selon la maturité cognitive. En outre, nous pouvons
aussi observé une indexation spatiale plus cohérente dans les narrations de locuteurs sourds de
parents sourds que dans celles de locuteurs sourds de parents entendants, ainsi qu’une
diversité des outils linguistiques plus importantes chez les sujets sourds signeurs natifs. Tout
comme Bellugi et coll. (1988), nous avons observé l’intégration complète des sous-systèmes
de référence anaphorique chez des sujets sourds de 7-8 ans qui ont la langue des signes
comme langue première, alors qu’ils ne sont pas maîtrisés ou quasi inexistants chez des sujets
en situations scolaire unilingue, et dont les parents sont entendants.
Pour conclure, nous pouvons affirmer que l’enfant sourd dont l’input linguistique est la
langue des signes a un développement cognitif semblable à celui de l’enfant entendant.
Bibliographie
BAMBERG, M. 1987. The acquisition of narrative: learning to use language. Berlin, Walter de Gryter
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BELLUGI, U., Van HOEK, K, LILLO-MARTIN, D., & O'GRADY, L. 1988. “The acquisition of syntax and
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York, Academic Press.
32
L’émergence de la figure du fléau dans le champ thématique du sida.
Approche comparative d’un texte français et de son adaptation en LSF
Geneviève Le Corre
ERLA, Un. de Bretagne Occidentale
[email protected]
En mettant au service de la langue sa morphologie et le dynamisme lié à sa motricité, le
corps autorise le signeur à faire exister des formes sur les trois dimensions de l’espace. Cette
forme corporelle de l’expression s’accorde, dans une certaine mesure, à la structure des
formes visuelles et au potentiel dynamique de leurs rapports. Le système figuratif de la LSF
offre ainsi au signeur la possibilité de s’appuyer sur la redondance du visuel pour multiplier
les stratégies rhétoriques. Toute interprétation s’appuie sur la multiplicité, la mouvance, la
variabilité des apparences, perçues sous forme de traits saillants, d’effets... L’analyse
sémantique de cette langue s’inscrit ainsi d’emblée dans la problématique de
l’intersémiocité.
La comparaison d’un texte français, qui traite du SIDA, avec son adaptation signée, me
permet de dégager certains aspects opposant la LSF, dont la combinatoire paramétrique
autorise les signeurs à accorder une certaine confiance au potentiel évolutif des formes, au
français, dont l’organisation linéaire prescrit un recours à des formes davantage stabilisées. Si
le vaste thème, largement et différemment traité, que constitue le SIDA, est envisagé, dans
ces deux versions – orale, et signée – du même texte, sous l’aspect d’un fléau, le
développement thématique subit des variations notables. Les options respectivement
retenues, par le français et par la LSF, dans la présentation du virus du SIDA sous cet
aspect, diffèrent, aussi bien dans les perspectives adoptées pour faire émerger la figure du
fléau, que dans les choix paradigmatiques et syntagmatiques qui leur sont liés, et qui sont
destinés à stabiliser cette figure.
Ce texte appartient au genre poétique. Nombre de ses aspects – prosodiques, narratifs… –
ne peuvent être abordés dans le cadre de cette contribution. Ce travail se limite à
« approcher » ses deux versions à partir du traitement d’une figure spécifique. L’identité de
fléau, conférée au virus, procède de l’entrelacement de divers axes sémantiques. Le thème est
d’abord développé à partir d’un champ sémantique qui « ré-installe », conventionnellement, le
SIDA comme la maladie, c’est-à-dire entre la menace et la force de la mort et l’espoir et
l’énergie de la vie. Fait ensuite irruption dans l’espace sémantique ouvert par le discours, la
dimension des phénomènes naturels – orage, forêt, obscurité, lumière… –, qui conduit à la
dimension mythique – colère divine, ténèbres, squelette armé d’une faucille… –. Est alors
tracé un champ sémantique à partir duquel le virus est « habillé et armé » selon le mythe,
c’est-à-dire personnifié de manière à être placé du côté de la mort, tandis que l’homme auquel
il s’attaque puise dans la nature pour s’ancrer du côté de la vie. Dès ce moment, le texte
s’articule sous la forme d’un combat dont les protagonistes éprouvent leur force respective.
L’évidente dynamicité qui se dégage de ce texte est toutefois différemment profilée, selon
que l’on s’attache à l’une ou l’autre de ses versions. La nature des interprétants n’y est pas
indifférente. La version orale privilégie les termes dénominatifs pour proposer une figure
métaphorique du fléau. Les interprétants marquent une certaine discontinuité dans le passage
de l’une à l’autre dimension sémantique. Dans le discours signé, en revanche, la mobilité des
figures proposées autorise une redistribution plus aisée des traits, lors des changements de
perspective. La connexion des différents axes sémantiques s’opère alors dans une apparente
continuité, ces axes donnant souvent l’impression de fusionner.
Certaines orientations, pourtant nettement figuratives, tracées par la version orale, ne sont
cependant pas retenues par la version signée. Partant du principe de perception sémantique,
33
développé par François Rastier (1987, 1991, 2001), et également retenu par Pierre Cadiot et
Yves-Marie Visetti (2001), ce travail s’attache, à partir d’une analyse de discours, à mettre en
relief les contraintes et les libertés respectives de deux systèmes linguistiques, dont la
différence fondamentale est une différence de canal : le canal visuel-corporel de la LSF vs le
canal audio-phonique du français. L’examen des formes sémantiques qui concourent à
développer et à stabiliser la figure du fléau montre, dans le cadre de cette analyse, les limites
comme les possibilités respectives d’une langue qui, comme la LSF, entretient des liens de
proximité avec les sémiotiques visuelles, et d’une langue qui, comme le français, est tenue
d’interpréter toute donnée visuelle à l’aide de formes acoustiques. En s’intéressant de plus à
un thème comme le SIDA, qui est à replacer dans le contexte de la santé, et des mesures
préventives à adopter pour la préserver, une telle analyse rejoint la problématique de
l’adaptation des messages informatifs en vue de leur efficacité.
Bibliographie
CADIOT, P. & VISETTI, J.M. 2001. Pour une théorie des formes sémantiques. Motifs, profils, thèmes.
Paris : Presses Universitaires de France.
CUXAC, C. 2000. La Langue des Signes Française (LSF) – Les voies de l’iconicité. Faits de Langues
15-16. Gap-Paris : Editions Ophrys.
RASTIER, F. 1987. Sémantique interprétative. Paris : Presses Universitaires de France (Formes
sémiotiques).
________. 1991. Sémantique et recherches cognitives. Paris : Presses Universitaires de France
(Formes sémiotiques).
________. 2001. Arts et Sciences du texte. Paris : Presses Universitaires de France (Formes
sémiotiques).
RINN, M. 2002. Les discours sociaux contre le sida. Rhétorique de la communication publique.
Bruxelles : Editions De Boeck Université (Culture et communication).
(La projection de transparents, et du texte signé sur cassette VHS, est prévue pour
accompagner la présentation de cet exposé).
34
Traces des opérations langagières et des représentations sémanticocognitives dans la forme verbale en LSF
Fanch Lejeune, Équipe LaLICC, Un. Paris 4-Sorbonne, [email protected]
Annie Risler, Laboratoire Lordat (Un. Toulouse-le Mirail) et Un. Lille 3, [email protected]
Notre recherche vise à identifier les marqueurs syntaxiques et à les faire apparaître dans un
système de transcription plus analytique que descriptif. La LSF s’appuyant sur des procédés
iconiques comme la motivation des formes manuelles et l’utilisation sémantique de l’espace,
forme et sens sont particulièrement liés. Notre abord de l'iconicité dans la LSF nous mènera
plus particulièrement à rechercher les traces des opérations langagières et des représentations
sémantico-cognitives dans la forme de l’énoncé.
Nous nous situons dans le cadre de la Sémantique Cognitive (Langacker, Jackendoff,
Talmy) en y intégrant des aspects de l’énonciation (Culioli, Benveniste). Plus spécifiquement,
notre étude de la LSF sera située dans le modèle particulier de la Grammaire Applicative et
Cognitive (Desclés) qui envisage une architecture en trois niveaux d’analyse du cognitif au
linguistique :
– niveau des formes observables de la langue
– niveau des opérations logico-grammaticales (détermination, prédication,
énonciation)
– niveau des représentations sémantico-cognitives.
Ce dernier niveau fait intervenir des primitives de repérage, de détermination topologique, de
mouvement spatial, de changement et de contrôle.
Cette architecture insiste sur le fait que chaque langue construit ses propres représentations
sémantico-cognitives. S’il n’est nullement fait l’hypothèse de représentations universelles, de
nombreux arguments portent à considérer que les constituants des schèmes sémanticocognitifs de toutes les langues sont des primitives générales nécessaires à l’activité du
langage. Or il semble que les énoncés en LSF donnent de meilleures indications sur le
fonctionnement cognitif sous-jacent à leurs représentations sémantico-cognitives que les
langues orales puisqu’elles font appel plus directement à un canal gestuel qui met en avant le
mouvement, le changement, les repérages et le contrôle.
Notre démarche générale vise donc à essayer de décrire la LSF en faisant appel aux
primitives des schèmes de la Grammaire Applicative et Cognitive.
Nous centrerons notre présentation sur la syntaxe verbale, en nous limitant aux
localisations, mouvements et changements.
La signification d'une forme verbale en énoncé est portée par plusieurs
composantes descriptives :
– les configurations manuelles
– le mouvement relateur,
– l’ordre de succession des signes
– le rapport avec le corps du signeur
– l’activation de l’espace par le regard
Cependant, les descriptions de LSF peinent depuis longtemps à isoler les composantes
morpho-syntaxiques de cette forme verbale, en raison du caractère simultané de nombre de
ces composantes.
Un travail préliminaire sur des variations contextuelles, mené en collaboration avec des
informateurs sourds, a mis en évidence dans l’organisation spatiale des énoncés les
composantes propres à l’orientation de la relation prédicative d’une part et à son insertion
dans un espace dialogique dont l’énonciateur choisit l’origine d’autre part. Ceci permet de
décomposer la forme verbale et, en fin de compte, d’isoler l’expression des constituants du
35
noyau prédicatif (les relations actancielles) des effets tant de la prise en charge énonciative
que des opérations de détermination.
C’est ainsi que les relations prédicatives sont exprimées en LSF au moyen de formes
manuelles et corporelles repérées et de trajectoires, paramètres formels et spatiaux qui se
combinent pour former des catégories sémantico-syntaxiques. Leur ancrage cognitif sur la
perception et l’action peut en outre s’exprimer au moyen de primitives de trois ordres :
– le type sémantique des entités participant au procès,
– les opérateurs de repérage ou de détermination topologiques,
– les relateurs de mouvement et de changement,
qui permettent à leur tour d'interpréter les formes manuelles et spatiales.
Nous commenterons à deux voix des exemples tirés de corpus de discours spontané de
différents registres (narration, explicitation, dialogue), ce qui nous donnera l’occasion de faire
apparaître les relations entre la forme verbale et le sens, et de les mettre en relation avec le
langage formel emprunté à la GA&C. Nous serons ainsi amenés à expliciter la constitution de
chacune des classes syntaxiques de configurations manuelles des verbes de localisation,
mouvement et changement à partir de considérations sémantiques et cognitives.
L’intérêt de notre approche est de contribuer à la réflexion sur la terminologie et la
catégorisation syntaxique de la LSF. Au-delà d’un simple listage des ces configurations très
motivées, nous leur attribuons une fonction syntaxique qui les fait entrer dans une description
en décomposition du fonctionnement verbal général.
Nous conclurons par les perspectives ouvertes par ce travail :
– créer un cadre de description syntaxique global de la langue adapté à sa spécificité
de langue gestuelle,
– envisager une modélisation informatique qui posera les bases de la traduction
automatique.
Bibliographie
CULIOLI, Antoine. 1990. Pour une linguistique de l’énonciation. Opérations et représentations. Tome
1. Ophrys.
DESCLES, Jean-Pierre. 1998. "Les représentations cognitives du langage sont-elles universelles?". In
Matteo Negro, (ed.). La réalité et le signe. Editions Universitaires, Fribourg, Suisse. pp. 53-81.
________. 1990. Langages applicatifs, langues naturelles et cognition. Hermès.
EMMOREY, Karen (ed). 2002. Perspectives on classifier constructions in sign language. Mahwah NJ :
Erlbaum.
RISLER, Annie. 2000. La Langue des Signes Française, langue iconique. Ancrage perceptivo-pratique
des catégories du langage et localisme cognitif à travers l’étude de la motivation des signes et de
la spatialisation des relations sémantiques. Thèse de doctorat, Université Toulouse le Mirail.
SUPALLA, Ted. 1986. “The classifier system in American Sign Language”. In Craig, Colette (ed):
Noun classes and categorization. (Typological Studies in Language; 7) Amsterdam : Benjamins
(1986) - pp. 181-214.
36
L’anaphore syntaxique redéfinie au regard d’une langue des signes
Étude contrastive de structures anaphoriques en français et en langue des
signes belge
Laurence Meurant
Facultés Universitaires Notre-dame de la Paix, Namur, Belgique
[email protected]
La notion linguistique d’anaphore, utilisée tant pour la description des langues orales que
pour celle des langues signées, recouvre des phénomènes variés selon les approches, relevant
aussi bien de la syntaxe (Zribi-Hertz, 1985 et 1996) que de la sémantique (Kleiber, 1994),
concernant tantôt l’analyse de la phrase (Engberg-Pedersen, 1993 et 1995), tantôt la
construction discursive (Morgan, 2000). Le travail proposé consiste à établir une définition de
l’anaphore qui spécifie celle-ci parmi d’autres faits syntaxiques, et qui permette une
catégorisation de diverses constructions des langues des signes. La théorisation syntaxique
élaborée sera illustrée contrastivement par des exemples en français et en langue des signes
belge de Wallonie (désormais LSB).
Cette étude s’inscrit dans le cadre théorique d’une syntaxe considérée comme biaxiale,
c’est-à-dire relevant de l’interaction des deux capacités grammaticales fondamentales que
sont l’identification et la segmentation (Allaire, 1982) : ainsi, la syntaxe serait le produit de
l’intégration de deux ou plusieurs unités par le partage de choix communs ou bilatéraux.
Cette capacité langagière d’intégration peut se manifester selon quatre types de modalités
(susceptibles de se combiner entre elles dans une même structure) : par copie (accord), par
effacement (factorisation), par blocage morphologique (rection) ou encore par blocage
syntaxique (anaphore).
– L’accord :
En français, la relation syntaxique entre un verbe et son sujet montre que, d’un terme à
l’autre, il y a copie de la personne et du nombre : le garçon l’a volé ou mes amis et moi
l’avons dénoncé.
En LSB, la relation syntaxique qui s’établit entre un verbe dit « directionnel » (« agreement
verb » dans la terminologie anglaise) et ses arguments sujet et objet s’opère par copie des loci
(Engberg-Pedersen, 1993) des éléments nominaux au sein du verbe : PIERREa – MARIEb –
aREGARDEb (Pierre regarde Marie).
– La factorisation :
En français, dans un énoncé comme Pierre donne des roses à Marie et Jacques des tulipes
à Jeanne, les portions situées de part et d’autre du et sont intégrées syntaxiquement
(notamment) par la mise en facteur commun de l’élément verbal donne (son lexème, sa
personne, son nombre, etc. valent deux fois).
En LSB, le même type de phénomène peut être observé dans un énoncé comme MATIN –
MOI – BOIRE – MANGER – LAVER LES DENTS – ACCOMPLI – PARS – ECOLE (Moi, le matin,
quand j’ai bu, que j’ai mangé et que je me suis lavé les dents, je pars à l’école) : le morphème
d’aspect ACCOMPLI qui apparaît après le dernier verbe est factorisé et vaut pour BOIRE,
MANGER et LAVER LES DENTS.
– La rection :
Soit l’énoncé français Il a volé le chien. La relation qui unit le verbe à son objet direct
implique le blocage de la forme verbale strictement sur il a volé, à l’exclusion de il les a volés
ou encore il l’a volé : *il l’a volé le chien. La variation il a volé / il l’a volé / il l’a volée / il les
37
a volés sera ici considérée comme flexionnelle, au même titre que il les a volés / ils les ont
volés / je les ai volés etc.
En LSB, la relation sujet–verbe, avec des verbes du type de SE TROUVER, PASSER,
MARCHER, etc. (souvent dénommés « verbes locatifs et de mouvement ») implique le blocage
morphologique de la forme verbale sur la présence obligatoire d’un classificateur. C’est donc
la rection qui caractérise des énoncés comme : CHIEN – TABLE – ClPASSE SOUS (le chien passe
sous la table) ou POMME – TABLE – ClSE TROUVE SUR (la pomme se trouve sur la table), mais
*CHIEN – TABLE – PASSE SOUS ou *POMME – TABLE – SE TROUVE SUR.
– L’anaphore :
En français, la syntaxe de la comparative, illustrée par exemple dans le problème est tel
qu’il a toujours été, impose, du côté du comparé, le blocage sur l’impossibilité de toute suite
syntaxique : on a …qu’il a toujours été, à l’exclusion de …qu’il a toujours été nié /
insurmontable, etc. C’est ce blocage syntaxique qui identifie la comparative, par opposition
avec la consécutive ; la même comparaison peut d’ailleurs être faite entre les schémas de la
relative et de la complétive : le fait que tu me caches Ø vs le fait que tu me caches la vérité.
En LSB, il semble que l’on puisse retrouver le même type de contrainte dans les
constructions que nous appellerions volontiers « en champ–contrechamp », et que Cuxac
mentionne dans son étude comme des successions de deux transferts personnels (Cuxac,
2000). Dans un énoncé comme MARIE – CAROLINEa – cOBSERVEa – -aOBSERVEc (que l’on
pourrait gloser par Marie observe Caroline, qui la regarde [gênée, triste, etc.] et où l’indice
« c », comme dans Engberg-Pedersen, 1993 et 1995, indique le locus de l’émetteur), le
dédoublement du verbe, avec inversion des orientation et direction (cfr les indices a et –a), va
de pair avec l’impossibilité pour le second verbe OBSERVER de s’adjoindre librement un sujet,
à moins de rompre avec la construction « champ–contrechamp », comme dans MARIE –
CAROLINEa – cOBSERVEa – PIERREb – bOBSERVEc (Marie observe Caroline et Pierre observe
Marie). La question sera posée de savoir si, au-delà du principe même de l’anaphore
syntaxique tel que défini dans cette recherche, d’autres similitudes rapprochent ces
constructions en champ–contrechamp des relatives du français.
Bibliographie
ALLAIRE, S. 1982. Le modèle syntaxique des systèmes corrélatifs. Étude en français moderne. Lille,
service de reproduction des thèses, Université de Lille 3.
CUXAC, C. 2000. « La langue des signes française. Les voies de l’iconicité ». In Faits de langue,
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ENGBERG-PEDERSEN, E. 1993. Space in Danish Sign Language: The semantics and morphosyntax of
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KLEIBER, G. 1994. Anaphores et pronoms. Louvain-la-Neuve, Duculot.
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VELLY, D. 1984. « L’anaphore : relation syntaxique ? ». In Tetralogiques 1, Presses Universitaires de
Rennes 2.
ZRIBI-HERTZ, A. 1985. « Trou structural, catégorie vide, ellipse structurale, pronom nul : Quatre
concepts à préciser ». In Modèles linguistiques VII/1.
ZRIBI-HERTZ, A. 1996. L’anaphore et les pronoms. Lille, Presses universitaires du Septentrion.
38
Signe et surdité :
saint Augustin comme fondement d’un nouveau regard sur les sourds au
18e siècle
Christian Meurillon
Université de Lille 3
[email protected]
Le rapport Gillot affirme, sans précision ni référence, que « c'est à partir des textes des pères
fondateurs de l'Eglise et notamment dans ceux de saint Augustin, que l'abbé de l'Épée
s'interrogera sur la nature du langage ». On sait d’autre part que cet ecclésiastique a souffert
dans sa carrière de ses convictions jansénistes et la bibliographie relative à la langue des
signes reconnaît un rapport entre son orientation théologique et morale et son engagement
pédagogique en faveur des sourds-muets (Lane). Mais, de façon étonnante, une fois soulignée
l’importance de la perspective augustinienne, celle-ci n’est jamais (malgré des suggestions
chez Poizat) envisagée précisément et le substrat intellectuel (philosophique et théologique)
que saint Augustin avait pu fournir à ce renouvellement de la représentation des sourds et de
la pédagogie à mettre en œuvre à leur égard, n’est signalé qu’allusivement et
fragmentairement.
La constitution, à travers l’examen du statut du signe chez saint Augustin, d’une nouvelle
conception de la surdité et, par voie de conséquence, des capacités des sourds, semble
pourtant bien offrir un cadre de pensée rendant possible et nécessaire une nouvelle prise en
charge de ceux-ci. Laissant donc de côté toute considération d’ordre historique sur la
connaissance effective que l’abbé de l’Epée, ou tout autre acteur de cette histoire à son
époque, pouvait avoir, directement ou indirectement, des écrits de saint Augustin, on
proposera ici quelques éléments pour une première – et donc risquée… – mise en perspective
des conditions conceptuelles et idéologiques d’une valorisation des signes gestuels.
L‘absence de bibliographie générale sur le rapport entre augustinisme et surdité et le cadre
de cette étude exploratoire impliquent évidemment une restriction drastique du corpus. On
privilégiera les deux écrits majeurs de saint Augustin touchant la question du signe, le De
Magistro et le De Doctrina christiana. La double portée de ces textes, à la fois sémiologique
et pédagogique, les rend ici spécialement pertinents.
Sa conception du signe, d’origine stoïcienne, permet à saint Augustin de dissocier son (vox)
et signifiance (verbum), notion théologique autant que linguistique. En effet, le verbe est à la
fois parole mentale, dont les mots acoustiques et graphiques sont les symboles extérieurs, et
Verbe de Dieu, dont la révélation est l’objet de la Bonne Parole à diffuser et dont la rencontre
s’effectue dans le secret du cœur. La relation pédagogique et prédicatrice est alors ternaire : le
maître n’a pas pour fonction de transmettre une vérité mais de tourner l’élève vers la vérité
incarnée par la Christ, ce Maître intérieur seul véritable formateur. Si la vérité ne transite pas
par la voix du maître, qui ne fait que stimuler la pensée propre de l’élève déjà habitée par
Dieu, on peut en tirer des implications pour le sourd : évidemment habité lui aussi par le
Maître intérieur, il n’a nul besoin particulier de la réception de ces signes que sont les mots, il
suffit qu’il bénéficie d’une autre stimulation, spécifique à ses capacités sensorielles.
Saint Augustin va ainsi plus loin que la dissociation entre voix et signification. D’une part, il
brise le rapport bi-univoque entre parole et pensée. Faisant venir à la pensée une signification
dont ils ne sont pas porteurs et que la pensée trouve en elle-même, le mot et la parole ne
39
bénéficient d’aucun privilège sémiotique par rapport aux autres signes artificiels, ce qui ouvre
la voie à la reconnaissance de la valeur des signes gestuels. Les gestes des sourds-muets sont
donc des signes artificiels au même titre que les mots : ils répondent à une
intercommunication (qui les oppose bien aux signes naturels, définis par saint Augustin
comme simple expression du corps sans destinataire). L’oralité n’a donc aucune prééminence
sur toute autre matérialité du signe ; le mot gestuel est alors de même niveau ontologique que
le mot acoustique.
D’autre part, et peut-être surtout, le signe, de révélateur, devenant évocateur (« un signe est
une chose qui, en plus de l'impression qu'elle produit sur les sens, fait venir d'elle-même
quelque chose d'autre à la pensée. »), il ne révèle ni ne transmet une pensée mais fait venir à
la pensée de celui qui le perçoit quelque chose d’autre que soi-même. Pas plus que le mot
acoustique (ou écrit) ne prouve l’existence d’une pensée, le mutisme ne signale une absence
de pensée abstraite qu’induirait la surdité et qui disqualifierait le sourd-muet. L’accès au
symbolique lui est au contraire naturel et ne dépend nullement de sa démutisation.
On comprend enfin que pour ces religieux qui s’occupent en Europe des sourds dans le but
de leur donner accès à la parole de Dieu, la question de la conception de l’audition soit
capitale, pour des raisons pratiques évidemment, mais peut-être surtout morales et
théologiques. Dans la prédication en effet, chaque fidèle fait l’expérience qu’il reçoit de
l’extérieur une vérité qu’il ne peut acquérir de lui-même. Cette posture fondamentale
d’humilité peut justement se trouver fondamentalement renouvelée pour qui lit saint Augustin
dans la perspective de la surdité à l’esprit : ce lecteur peut dégager l’audition de son acception
littérale (par l’ouïe) au profit d’une conception, pourrait-on dire, synesthésiste : on peut
entendre la parole par les yeux en en recevant les signes gestuels, sans aucune perte de sens,
ni d’humilité.
Corpus
SAINT AUGUSTIN, Le Maître ; La Doctrine chrétienne ; Commentaire sur la Première Epître de saint
Jean.
PASCAL, Pensées. [accessoirement]
Bibliographie critique
LAMARRE, J.-M. 1998. Le Maître, le Disciple et le Maître intérieur. Enseignement et langage dans le
De Magistro de saint Augustin, Lille, Septentrion.
LANE, H. 1984. When the Mind Hears. A History of the Deaf, Random House, trad. fr 1991, 1996,
Quand l’esprit entend. Histoire des sourds-muets, Odile Jacob.
POIZAT, M. 2001. « La surdité de l’histoire », Surdités 4, pp. 107-119.
40
Explication unifiée de l’accord verbal en langue des signes québécoise :
la notion de trace spatiale
Anne-Marie Parisot
Groupe de recherche sur la LSQ et le bilinguisme sourd, Université du Québec à Montréal
[email protected]
Le problème qui nous intéresse dans cette présentation est l’accord des verbes à forme
rigide en langue des signes québécoise (LSQ). Contrairement aux verbes des autres catégories
verbales, les verbes rigides ne disposent pas d’une même liberté articulatoire, de telle sorte
qu’il est impossible de les déplacer dans l’espace de façon à établir le type de relation qui
existe entre le verbe et ses arguments, comme c’est le cas pour les autres types de verbes en
LSQ. AIMER, CROIRE et MANGER sont des formes typiques de verbes rigides.
L’étude de l’accord des verbes à forme rigide est un problème central dans la description
des langues signées en général, et de l’accord verbal en particulier, puisqu’elle se situe au
confluent de plusieurs controverses qui touchent les différents aspects de la langue, entre
autres l’ordre des signes (Bouchard et al. 1999; Neidle et al., 2000), ainsi que le rôle et le
statut grammatical des pronoms (Petronio, 1993; Torigoe, 1994; Bos, 1995; Parisot, 2000) et
du comportement non manuel (Bahan, 1996; Parisot, 2002). L’objectif principal de cette
présentation est de montrer, à partir de l’analyse des verbes à forme rigide, que la notion de
trace spatiale4 est centrale dans l’accord verbal en LSQ et que, peu importe leur catégorie, les
formes verbales permettent une utilisation unifiée de la matrice spatiale pour marquer le lien
entre les arguments.
Nous postulons que la forme spécifique des verbes rigides de la LSQ en contraint l’accord.
Dans un premier temps, nous présentons les stratégies manuelles (pronoms postverbaux) et
non manuelles (direction du regard et position du tronc) de l’accord des verbes à forme rigide
en LSQ. Nous montrons en quoi ces stratégies constituent une extension de cette forme
verbale contrainte, de façon à utiliser la matrice spatiale pour établir le lien entre les
arguments par l’entremise des traces spatiales.
Dans un deuxième temps, nous comparons le concept de trace spatiale à celui de traits
d’accord (ensemble partiel des traits du contrôleur qui se retrouvent sur la cible),
généralement utilisé comme élément central de la définition de l’accord. Nous montrons que
la nécessité de marquer un élément par un ensemble de traits abstraits dans la relation
d’accord, en français par exemple, semble relever de facteurs articulatoires et économiques
attribuables à la modalité des langues orales, et qu’un tel marquage de traits
morphosyntaxiques tirés d'un paradigme n’est pas nécessaire dans une langue signée comme
la LSQ. L’analyse des données de la LSQ montre qu’il n’y a pas systématiquement de
distinction dans la forme du verbe d’une part, entre 1ère, 2e et 3e personne en contexte, et
d’autre part, entre personne et lieu. En effet, un verbe peut être fléchi de la même façon pour
marquer le lien entre deux lieux qu’il l’est pour marquer le lien entre un sujet et un objet. De
plus, un verbe peut être fléchi de la même façon pour marquer le lien avec un sujet de 1ère
personne qu’il l’est pour marquer l’accord avec un sujet de 3e personne. Les notions de
personne et de lieu relèvent de paradigmes, et cette notion n'a peut-être pas cours en langue
signée.
4
Les traces que nous décrivons ici se distinguent des traces abstraites proposées en grammaire générative pour
rendre compte de l’origine des déplacements syntaxiques. Il s’agit plutôt de traces laissées par la véritable
articulation d’un élément lexical sur un locus spatial qui lui devient alors propre, ou encore par l’orientation vers
un locus spatial d’un comportement non manuel produit simultanément à un item lexical. Selon Liddell (2000),
cette trace représente l’entité dans son entièreté.
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Finalement, nous proposons que la notion de traits d’accord et celle de trace spatiale
constituent des moyens liés à la modalité pour réaliser l’accord verbal et ne devraient pas être
prises en compte pour définir le concept d’accord de façon universelle. Si, au contraire, nous
considérons que la définition universelle de l’accord verbal doit obligatoirement comprendre
la notion de traits d’accord, comme il est proposé dans la plupart des définitions de l’accord
verbal (Ferguson et Barlow, 1988), nous devrions remettre en question le fait que le
phénomène qui consiste à modifier le verbe pour indiquer la relation que les actants
entretiennent entre eux dans l’événement décrit en langue signée constitue de l’accord verbal.
Mais alors quel serait-il?
Bibliographie
BAHAN, B. 1996. “Non-Manual Realization of Agreement in American Sign Language”. Thèse de
doctorat, Boston, University of Graduate School.
BOS, H. 1995. “Pronoun Copy in Sign Language of the Netherlands”. In Sign Language Research
1994, H. Bos et T. Schermer (éd.), pp. 121-148. Hamburg : Signum Press.
BOUCHARD, D., C. DUBUISSON, L. LELIEVRE & C. POULIN. 1999. « Les facteurs articulatoires qui
déterminent l’ordre en langue des signes québécoise ». In Actes du Congrès annuel de
l’Association canadienne de linguistique. Sherbrooke : Université de Sherbrooke, pp. 63-74.
FERGUSON, C. & M. BARLOW. 1988. “Introduction”. In Agreement in Natural Language. Approaches,
Theories, Descriptions, M. Barlow et C. Ferguson (éd.), pp. 1-22. Stanford (CA) : CSLI.
________. 2000. “Indicating Verbs and Pronouns : Pointing Away from Agreement”. In The Signs of
Language Revisited, K. Emmorey et H. Lan (éd.), pp. 303-320. Mahwah (NJ) : Lawrence Erlbaum
Associates.
NEIDLE, C., J. KEGL, D. MACLAUGHLIN, B. BAHAN et R. G. LEE. 2000. The Syntax of American Sign
Language. Functional Categories and Hierarchical Structure. Cambridge, MA : The MIT Press.
PARISOT, A.-M. 2000. “Do Plain Verbs Agree in LSQ?”. Poster présenté au 7e Congrès international
Theoretical Issues in Sign Language Research (TISLR). Amsterdam : Université d’Amsterdam.
________. 2002. « L’accord des verbes ancrés en langue des signes québécoise ». Conférence
présentée au 70e Congrès de l’Association francophone pour le savoir (Acfas). Québec : Université
Laval.
PETRONIO, K. 1993. “Clause Structure in American Sign Language”. Thèse de doctorat, Ann Arbor,
Mich. : U.M.I., 191 p., University of Washington.
42
The Quest for Basic Word Order in Flemish Sign Language
Myriam Vermeerbergen
Fonds voor Wetenschappelijk Onderzoek-Vlaanderen (Fund for Scientific ResearchFlanders)/Vrije Universiteit Brussel (Free University of Brussels)
[email protected]
This paper reports on the current “state of affairs” regarding the research on word order
issues in Flemish Sign Language (Vlaamse Gebarentaal or VGT), the sign language used in
the northern part of Belgium. The quest for a basic word order –or rather: a description of the
basic word order structure– began some ten years ago within the framework of the first largerscale research project on the grammar of VGT. In order to see whether a basic word order defined as: the word order of simple declarative, active clauses, with no complex noun
phrases- exists for sentences in Flemish Sign Language and, if so, how this word order should
be characterized, at first elicited simple declarative sentences with nominal arguments were
analysed. This preliminary research was inspired by the study of word order in Italian Sign
Language by Volterra ea. (1984). It was repeated for at least three other sign languages, i.e.
French Swiss Sign Language (Boyes-Braem ea., 1990), Sign Language of the Netherlands
(Coerts, 1994) and Irish Sign Language (Leeson, 2001). The main results of this study in
which fourteen Flemish adult signers participated, can be summarized as follows:
• The word order in elicited declarative sentences with two (reversible or nonreversible) arguments is systematic in VGT.
• The most frequent order in non-locative sentences is SVO. This order is avoided,
however, by older informants.
• Another frequent order in non-locative sentences is SOV. The final position in the
sentence is then mostly taken by a polymorphemic verb or a verb accompanied by
shifted attribution of expressive elements.
Following this preliminary research there was an analysis of spontaneous language data to
find out whether both orders – SOV and SVO – also occurred systematically and whether in
these data as well SVO is used more frequently than SOV. We worked with a corpus of six
hours of spontaneous material – four hours of dialogues and two hours of monologues –
produced by ten adult informants, at the time of the research between the ages of 30 and 83. A
first remarkable result is that only a few clauses consist of a verb and several explicitly
mentioned arguments. Especially when two interacting animate referents need to be
expressed, Flemish signers seem to avoid combining one single verb and more than one of the
'interacting arguments'.
Based on the analysis of both the elicited simple declarative sentences and the spontaneous
sign language data, we proposed a (tentative) description of basic word order for VGT. This
order can be characterized as a combination of two clauses, each representing a
subject/predicate structure. The predicate may consist of a verb and an object, the order of
these constituents appears to be free. The first part of the sentence constitutes the framework
for the second part of the sentence, which allows the combination to be seen as a
topic/comment structure at least when the notion topic is defined as follows:
“(...) the topic sets a spatial, temporal, or individual framework within
which the main predication holds.” (Chafe, 1976, p.50).
The subject in this characterization must be understood as 'psychological subject', namely:
the particular about whom/which knowledge is added will be called the
subject
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and for the notion 'object' the following definition is proposed:
the object is the constituent naming the referent affected by what is
expressed by the verb (the action, condition),...
bearing in mind that 'affected' is used in the broad sense, i.e. not only affected objects are
included, but also effected objects, the object of an observation, etcetera.
Typical examples of sentences showing this order are:
CAT RUN / DOG CHASE
"The dog is chasing the cat."
MOTHER TAKE BISCUIT/CHILD polymorphemic verb:"eat-biscuit"
"The child eats the biscuit that its mother took (for him)."
Though all informants describe such sentences as “real sign language”, this “complete
structure” mainly occurred in the language usage of somewhat older informants and
remarkably less in that of younger informants. Younger signers (age category 30-45) turned
out to experience notably less difficulty with the expression of two or more arguments
combined with a single verb. Especially this finding has made us decide that the search for
basic sign order patterning in Flemish Sign Language was/is far from being over and that
(many) follow-up studies would be necessary.
References
BOYES-BRAEM, P., FOURNIER, M., RICKLY, F. CORRAZZA, S. FRANCHI, M. & VOLTERRA, V. 1990.
“A Comparison of Techniques for Expressing Semantic Roles and Locative Relations in Two
Different Sign Languages”. In: Edmondson, W. & Karlsson, F. (Eds.), SLR '87: Papers from the
Fourth International Symposium on Sign Language Research. Hamburg: Signum-Verlag. pp. 114120.
CHAFE, W. 1976. “Givenness, Contrastiveness, Definiteness, Subjects and Topics”. In: Li, C. (Ed.),
Word Order and Word Order Change. Austin, Texas: University of Texas Press. pp. 25-55.
COERTS, J. 1994. “Constituent Order in Sign Language of the Netherlands”. In: Brennan, M. &
Turner, G. (Eds.), Word-order Issues in Sign Language. Working Papers. Durham: ISLA. pp. 89112.
LEESON, L. 2001. Aspects of Verbal Valency in Irish Sign Language. Unpublished Ph.D. Dissertation.
Trinity College, Dublin.
VERMEERBERGEN, M. 1996. ROOD KOOL TIEN PERSOON IN. Morfo-syntactische Aspecten van
Gebarentaal. Unpublished Ph.D. Dissertation. Free University of Brussels.
VOLTERRA, V., LAUDANNA, A., CORAZZA, S., RADUTZKY, E. & NATALE, F. 1984. “Italian Sign
Language: The Order of Elements in the Declarative Sentence”. In: Loncke, F., Boyes-Braem, P. &
Lebrun, Y. (Eds.), Recent Research on European Sign Languages. Lisse: Swetz & Zeitlinger. pp.
19-48.
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