Sourd et soignant - Espace Infirmier

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dOSSIer
FORMATION
© Espaceinfirmier.fr, Initiatives Santé 2016
Sourd et
soignant ?
Encourager les sourds à accéder aux métiers
du soin : telle pourrait être l’une des clés pour
améliorer leur prise en charge. Encore faudrait-il
que les formations leur soient accessibles...
1- Association de
gestion du fonds
pour l'insertion
professionnelle
des personnes
handicapées.
2- L’Ugecam
LanguedocRoussillon vient
d’ajouter une
formation d’aidesoignante, ouverte
aux personnes
malentendantes.
ui mieux que les sourds peuvent comprendre leurs semblables et les soigner
correctement ? Pour le Dr Benoît Drion,
responsable de l’unité d’accueil et de
soins pour sourds (UASS) de Lille (59),
c’est une évidence : « Favoriser l’accès des étudiants sourds
au métier de soignant est quelque chose qui me tient à
cœur. Car, quel que soit le niveau de LSF que peut avoir
un entendant, un sourd sera toujours beaucoup plus
performant pour la communication. Il est le plus à même
de posséder la double compétence : métier et LSF. »
Travaillant aux côtés de soignants sourds (une infirmière, une art-thérapeute, des intermédiateurs, etc.),
le médecin connaît d’expérience tous les bénéfices
Q
IntermédIateUr
Un nouveau métier
Sourd comme
son interlocuteur,
l’intermédiateur
partage avec lui
une langue, mais
aussi une culture.
Contrairement à
un interprète LSF
qui traduit de
manière fidèle,
celui-ci reformule le
discours ou interpelle
directement la
personne sourde pour
s’assurer qu’elle a bien
compris. On pourrait
penser qu’ajouter
un échelon de plus
dans la relation
(intermédiateur,
interprète,
professionnel
de santé) rendrait
les choses plus
complexes, mais
« c’est tout le
contraire, insiste
Joëlle Blanchard,
intermédiatrice
au CHU de
Grenoble (38).
Certains sourds vont
être bloqués face
à un interprète, car
ils ont été habitués
à ce que leur famille
parle à leur place.
L’intermédiateur
est là pour les
rassurer et faciliter
la communication.
Son but est de
permettre aux sourds
d’être autonomes. »
En 2014, une licence
professionnelle a été
créée à la faculté
d’Aix-Marseille.
que représente l’accès des sourds aux métiers du soin.
Bénéfices qui peuvent aussi toucher les entendants :
personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de
troubles cognitifs, personnes déficientes intellectuelles, patients trachéotomisés, aphasiques… « Les
sourds de naissance ont développé des stratégies de
communication non verbales qui peuvent être utiles
dans de nombreuses situations », souligne-t-il.
Qualités relationnelles reconnues
Mais pour le moment, peu de sourds parviennent à
décrocher un diplôme dans le secteur de la santé, faute
de cursus adapté et parfois d’a priori. Dans le Nord,
l’Institut de formation d’aides-soignantes (Ifas) de
Lomme propose depuis une dizaine d’années une formation accessible aux personnes sourdes avec l’appui
d’interprètes LSF (prise en charge financièrement par
l’Agefiph(1)). « Chaque année, nous accueillons un à deux
sourds », précise Bernadette Miroux, sa directrice.
Malgré les qualités relationnelles observées chez les
futures aides-soignantes, la directrice n’envisage pas
d’appliquer ce modèle à l’Ifsi. La faute aux financements,
mais pas seulement : « Il me semble plus délicat qu’un
sourd non appareillé devienne infirmier à cause des
sonnettes, des scopes… », estime-t-elle.
Pourtant, l’Ifsi du centre de réadaptation et d’insertion
professionnelle à Castelnau-le-Lez (34) forme chaque
année entre un et trois infirmiers malentendants, selon
les promotions (2). Un établissement particulier car l’ensemble des étudiants sont reconnus travailleurs handicapés. « La formation débute par une préparatoire de
huit mois qui permet de préciser la nature du handicap
et de déterminer les moyens de compensation que l’on
peut mettre en place pour qu’il soit compatible avec le
référentiel de la formation, explique Patrice uaud,
directeur de l’Ifsi. Nous faisons du cas par cas. Mais en
règle générale, plus la déficience auditive est importante,
moins la personne pourra exercer dans un service où la
durée de séjour est courte. » Certains d’ailleurs ne pourront jamais travailler aux urgences.
Mais les problèmes d’alarmes ou de sonnette peuvent,
eux, être résolus avec un boîtier lumineux. « En stage,
on remarque des étudiants qui développent d’autres aptitudes très appréciées, comme l’observation très fine, souligne Patrice uaud. Mais le problème ne se situe jamais
du côté du patient, mais plutôt du côté des équipes. Avoir
un collègue en situation de handicap n’est pas encore
entré dans les mœurs à l’hôpital... » Car cela suppose
en effet de modifier certaines modalités de travail, privilégier les échanges par SMS ou mail plutôt que par
téléphone, par exemple. « Quand on embauche un sourd
qui a dû se battre pour faire ses études, on a l’assurance
d’avoir quelqu’un de très motivé », assure pourtant le
Dr Benoît Drion. Une denrée pourtant rare, tellement
rare que les UASS peinent souvent à recruter des infirmiers sourds...
*
24 L’INFIRMIÈRE MAGAZINE * N° 375
* octobre 2016
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