CAS CLINIQUE Mots-clés Tamoxifène - CYP2D6 - Dépression - Antidépresseurs - Bouffées de chaleur Keywords Tamoxifen - CYP2D6 - Depression - Antidepressants - Hot flashes Prise en charge médicamenteuse d’un épisode dépressif : cas d’une patiente déprimée sous tamoxifène Wich treatment for a patient treated with tamoxifen and presenting a major depressive disorder? J. Barrière*, F. Cherikh**, J.M. Ferrero* U ne patiente de 40 ans est traitée depuis 4 mois par tamoxifène en traitement adjuvant d’un cancer du sein droit, pour lequel elle a bénéficié d’une tumorectomie puis de chimiothérapie et de radiothérapie. Elle est vue, en présence de son conjoint, en consultation de surveillance avec une mammographie de contrôle. Celle-ci est normale, de même que l’examen clinique. Son conjoint nous rapporte que, depuis 1 mois, sa femme n’a plus envie de rien et reste confinée au lit toute la matinée. La patiente explique qu’elle a perdu espoir en l’avenir et se sent coupable de représenter un poids pour son mari. La tolérance du tamoxifène est bonne, en dehors de bouffées de chaleur d’intensité modérée, 2 à 3 fois par jour. Comment prendre en charge cette patiente ? Le syndrome dépressif c a r a c t é r i s é Comme 10 à 20 % des patients atteints d’un cancer ou en cours de traitement adjuvant, cette femme présente un épisode dépressif caractérisé (1). Celui-ci se définit selon des critères précis, à savoir la présence d’au moins 5 symptômes parmi 9 à rechercher depuis au moins 2 semaines : humeur dépressive, diminution marquée de l’intérêt à réaliser les activités de la vie quotidienne (anhédonie), perte ou gain de poids significatifs, insomnie ou hypersomnie, agitation ou ralentissement psychomoteur, fatigue ou perte * Département d’oncologie médicale, centre Antoine-Lacassagne, Nice. ** Service de psychiatrie de liaison, centre Antoine-Lacassagne, Nice. 468 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 d’énergie, sentiment de dévalorisation ou de culpabilité, troubles de la concentration, pensées de mort récurrentes. Trois axes principaux sont concernés : l’axe psychique, l’axe comportemental et l’axe somatique. La difficulté de poser le diagnostic formel d’épisode dépressif en cancérologie réside dans le fait que la symptomatologie somatique peut également être confondue avec une symptomatologie cancéreuse (fatigue, anorexie et perte de poids liées à une cachexie, etc.) ou à un effet secondaire lié au traitement (2). Certains ont proposé de substituer les 4 symptômes physiques par des critères psychocomportementaux (3). Malgré tout, aucune approche diagnostique ne s’est révelée supérieure à une autre, et le diagnostic de dépression repose sur l’analyse clinique et l’étroite collaboration entre oncologues et psychiatres. Ainsi, une fatigue ou une anorexie chez un patient métastatique en cours de chimiothérapie, ne présentant pas d’autre symptôme évocateur d’épisode dépressif, ne devront pas être considérées comme faisant partie de la symptomatologie dépressive. Raisons de la prise en charge de l’épisode d é p r e s s i f Prendre en charge l’épisode dépressif de cette patiente nous semble essentiel, pour diminuer l’intensité de ses troubles et réduire le risque d’une aggravation, voire d’une chronicisation des symptômes. L’enjeu principal que l’oncologue doit avoir à l’esprit dans la situation clinique proposée, outre d’éviter un risque suicidaire augmenté inhérent à tout syndrome dépressif, est de chercher à obtenir une compliance optimale à l’hormonothérapie adjuvante. La littérature atteste que, dans un groupe de patients CAS CLINIQUE déprimés, l’acceptation du projet oncologique est moindre que dans un groupe contrôle indemne de symptômes dépressifs (4). Cette donnée représente à nos yeux la raison principale pour laquelle plusieurs études ont été menées chez des patients atteints de cancer. Les résultats suggèrent en effet que la présence d’un trouble dépressif confère un risque de mort significativement plus élevé comparativement à un groupe contrôle indemne (5-8). D’autres raisons peuvent en outre être avancées ici : ➤ ➤ un risque suicidaire augmenté. Même si un tel risque a été rapporté, un risque relatif inférieur à 2 et l’absence de mortalité par suicide dans les études précédemment citées doivent faire envisager d’autres causes (9-10) ; ➤ ➤ des néoplasies plus avancées dans le groupe de patients déprimés avec un pronostic plus sombre et une symptomatologie plus riche, notamment douloureuse, plus susceptible de favoriser la survenue de symptômes dépressifs. Cela ne semble pas être le cas dans les études de survie évoquées précédemment (5-8), en particulier pour l’étude concernant une population de femmes en situation adjuvante d’une néoplasie mammaire (5) ou encore les patients traités par autogreffe de moelle osseuse pour une hémopathie (6) ; ➤ ➤ une immunité diminuée. Il existe plusieurs données, à la fois précliniques et cliniques, objectivant une baisse de l’immunité, en particulier de la fonctionnalité de certaines cellules effectrices de l’immunité innée comme les cellules tueuses naturelles ou cellules NK (7-11). Le lien entre dépression, ou stress accru, et immunité reste hypothétique, mais continue à être exploré par plusieurs équipes de recherche dans le monde. La présence d’un épisode dépressif chez notre patiente l’expose à un haut risque d’arrêt du tamoxifène, son traitement hormonal devenant désormais secondaire à ses yeux ou dans le contexte anhédonique global, et ce d’autant plus qu’elle a des bouffées de chaleur potentiellement imputables au traitement. Ainsi, le traitement de cet épisode dépressif s’inscrit non seulement dans l’optique d’une prise en charge globale de la qualité de vie de cette patiente, mais aussi dans un projet oncologique optimal garantissant l’absence de perte de chance en termes de résultat oncologique (12). Les obstacles à la prise en charge d u s y n d r o m e d é p r e s s i f Ils sont de plusieurs types. Le premier vient de la difficulté nosologique de la dépression en oncologie et de la tendance au sousdiagnostic émanant des oncologues médicaux (13). Certains ont, en effet, du mal à évoquer les problèmes d’ordre psychique avec leurs patients, soit par manque de temps, soit par manque de compétence. D’autres voient les symptômes dépressifs comme une réaction “normale” à cette pathologie grave impliquant des traitements lourds, mais confondent alors les vrais troubles dépressifs avec les troubles de l’adaptation, qui ne nécessitent pas forcément de prise en charge médicamenteuse s’ils ne persistent pas ou s’ils sont d’intensité plus faible et sans retentissement sur les activités quotidiennes. Enfin, la perspective de l’utilisation possible d’un antidépresseur, ajouté aux traitements anticancéreux et de support déjà en place (antinauséeux, corticothérapie), ralentit certains thérapeutes, rapidement suivis dans leur attitude minimaliste par le patient, qui perçoit souvent négativement la consultation psychiatrique et la prise d’un antidépresseur, la dépression étant encore trop largement considérée comme anormale, honteuse et signe de faiblesse. Le dernier obstacle que nous relevons est la difficulté, encore très fréquente, d’obtenir rapidement un avis psychiatrique. Il nous semble essentiel de développer l’accès aux soins psychiatriques, au moins en favorisant un accès rapide à un psychologue spécialisé afin d’orienter vers un psychiatre les seuls patients qui présentent une forte suspicion de dépression. Cela passe également par un effort nosologique de la part de l’oncologue, par la réflexion sur le recours à un outil de dépistage simple de la détresse ou de la dépression et par une meilleure connaissance des antidépresseurs, de leurs propriétés thérapeutiques et de leurs effets secondaires. C’est alors que l’oncologue pourra au mieux être l’instigateur indispensable d’une prise en charge de la dépression, en introduisant précocément un traitement d’épreuve par antidépresseur en évitant de surutiliser des traitements anxiolytiques au risque de masquer des symptômes dépressifs, en orientant enfin son patient vers une consultation spécialisée afin d’envisager une éventuelle psychothérapie de soutien associée. S’il n’instaure pas lui-même un traitement antidépresseur, il devrait pour le moins savoir expliquer au patient déprimé l’intérêt d’une prise en charge spécialisée, en précisant qu’il adhère au projet thérapeutique de son confrère psychiatre en qui il a idéalement toute confiance. L e s a n t i d é p r e s s e u r s : une thérapeutique d e n i v e a u I Les antidépresseurs ont un niveau de preuve I dans la prise en charge d’un syndrome dépressif caractérisé modéré à sévère, avec une diminution significative de 50 à 60 % environ des troubles, contre un effet placebo de 20 à 30 % (14, 15). Les molécules les plus utilisées actuellement en première intention (tableau, p. 470) sont : ➤ ➤ les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) ; ➤ ➤ les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline (IRSNa) ; ➤ ➤ les antidépresseurs de la classe “autres antidépresseurs”, qui ont une efficacité comparable à celle des antidépresseurs imipraminiques, mais présentent cependant un meilleur profil de tolérance. Certaines molécules seront préférentiellement choisies selon la symptomatologie associée. Ainsi, s’il s’agit d’une dépression à prédominance anxieuse, on pourra proposer un antidépresseur sédatif comme la paroxétine ou la venlafaxine. En cas de troubles du sommeil au premier plan, on préférera la mirtazapine ou encore la miansérine. Enfin, s’il s’agit d’une dépression avec ralentissement, apragmatisme, le choix se portera plutôt vers des désinhibiteurs de type citalopram, escitalopram ou encore le milnacipran. La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 | 469 CAS CLINIQUE Tableau. Quelques antidépresseurs avec leur profil d’inhibition du CYP2D6 (2, 23, 29). Classe et molécule Dose thérapeutique (fourchette thérapeutique) Inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine Fluoxétine 20 mg (1 prise/j) Prozac® (10-60 mg) Paroxétine 20 mg (1 prise/j) Deroxat® (10-50 mg) Citalopram 20 mg (1 prise/j) Seropram® (10-60 mg) Escitalopram 10 mg (1 prise/j) Seroplex® (5-20 mg) Sertraline 50 mg (1 prise/j) Zoloft® (25-200 mg) Profil d’inhibition du CYP2D6 Fort Fort Faible à nul Faible à nul Modéré à faible Inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline Venlafaxine Effexor®, 75 mg (2 à 3 prises/j, 1 prise/j Faible Effexor LP® pour la forme LP) (37,5-150 voire jusqu’à 375 mg en milieu hospitalier) Milnacipran 100 mg (1 prise matin et soir) Nul Ixel® (25-100 mg) Duloxétine 60 mg (1 prise/j) Modéré Cymbalta® (30-120 mg) Mirtazapine 15 mg (1 prise/j) Faible à nul Norset® (15-45 mg) Autres antidépresseurs Miansérine Athymil® Tianeptine Stablon® 30 mg (1 prise/j) (30-90 mg) 37,5 mg (3 prises/j) ? ? De manière générale, après environ 8 semaines de traitement bien conduit, un tiers des patients traités est en rémission des symptômes dépressifs, un tiers présente une réponse partielle et un tiers ne répond pas au traitement (16). La phase de consolidation nécessite au moins 6 mois de traitement afin de diminuer le risque de rechute(s) dépressive(s). Peu d’études d’efficacité des antidépresseurs versus placebo ont été menées chez des patients déprimés atteints de cancer, et c’est par extension que l’efficacité des antidépresseurs est admise (2, 17, 18). Une étude américaine contrôlée de phase III, débutée en mars 2006, qui devra inclure 220 patients atteints d’un cancer du poumon avancé et présentant un épisode dépressif majeur, est en cours, avec l’escitalopram versus placebo (promoteur : Massachussets General Hospital, www.clinicaltrials.gov, NCT00387348). C’est le premier essai avec un nombre de patients suffisant dans une population homogène qui permettra de préciser l’effet d’un antidépresseur sur les troubles dépressifs majeurs en cancérologie. Efficacité de certains antidépresseurs sur l e s b o u f f é e s d e c h a l e u r L’amélioration des troubles climatériques hormono-induits par certains antidépresseurs, en particulier les ISRS, a fait l’objet de plusieurs publications ces dernières années. La molécule la plus 470 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 étudiée est la venlafaxine, qui a montré une diminution d’environ 50 % du score composite de bouffées de chaleur, calculé sur la fréquence et l’intensité des symptômes, comparé à un effet placebo autour de 25 % (19). La paroxétine, la fluoxétine, le citalopram ou encore la sertraline ont également une efficacité modérée. Chez cette patiente, qui présente des bouffées de chaleur fréquentes, la prescription d’un ISRS permettrait non seulement d’envisager l’amélioration de la symptomatologie dépressive, mais aussi la diminution des bouffées de chaleur, ce qui garantirait une compliance optimale au traitement par tamoxifène. Malgré tout, comme nous allons le voir, certaines de ces molécules ont un profil inhibiteur enzymatique tel qu’elles ne doivent en aucun cas être utilisées en association avec le tamoxifène, au risque d’une inefficacité du traitement hormonal adjuvant. Interactions médicamenteuses et risque de diminution d’efficacité d u t a m o x i f è n e Avant toute prescription d’un antidépresseur, les interactions médicamenteuses significatives doivent être prises en compte. Nous laissons au lecteur le soin de consulter le dictionnaire Vidal® afin de prendre connaissance de l’ensemble des interactions d’intérêt selon les thérapeutiques coadministrées. Nous insisterons sur deux points essentiels en cancérologie. Le premier est le risque augmenté de survenue de syndrome sérotoninergique en cas de coprescription d’un ISRS ou d’un IRSNa avec du tramadol, antalgique susceptible d’être utilisé comme dans le cas présent en cas de symptomatogie articulaire douloureuse associée à un traitement par tamoxifène ou inhibiteur de l’aromatase. Le second est la prise en compte du profil d’inhibition de certains antidépresseurs sur le système enzymatique des cytochromes p450, et en particulier du CYP2D6, isoforme qui joue un rôle essentiel dans la formation du principal métabolite actif du tamoxifène, l’endoxifène. Le gène du CYP2D6 est polymorphe, avec plus de 80 allèles différents connus. Parmi les différents allèles, certains ont un impact sur la fonctionnalité de la protéine et donc sur l’activité enzymatique et la capacité à produire l’endoxifène (20). Une étude rétrospective a recherché le lien entre la présence de l’allèle CYP2D6*4 (d’une fréquence d’environ 20 % dans une population caucasienne et codant pour une protéine inactive) et la réponse au tamoxifène (190 patientes traitées par tamoxifène en adjuvant pour un cancer du sein avec récepteurs homonaux positifs). Les patientes avec le génotype *4/*4 présentaient des durées de survie sans événement diminuées, mais initialement de manière non significative comparativement aux hétérozygotes à activité enzymatique diminuée (*4/wt) et aux homozygotes (wt/ wt) avec activité enzymatique normale (21). La prise en compte de la coprescription d’inhibiteurs du CYP2D6 couplée au génotype a permis de préciser cette différence, significative cette fois, avec des survies sans récidive très nettement diminuées après plus de 12 ans de suivi pour les patientes *4/*4 et/ou traitées avec un CAS CLINIQUE inhibiteur fort (environ 40 % de patientes sans récidive versus plus de 80 % pour les patientes à activité enzymatique normale ou sans coprescription d’inhibiteurs) [22]. Les inhibiteurs forts à prendre en compte chez notre patiente sont la fluoxétine, la paroxétine et, dans une moindre mesure, la sertraline et la duloxétine (tableau) [23]. Une étude portant sur 80 femmes traitées pour un cancer du sein par tamoxifène en adjuvant a rapporté prospectivement les taux plasmatiques des différents métabolites du tamoxifène en fonction de différents génotypes et inhibiteurs coprescrits (24). Les patientes traitées par paroxétine (n = 6) et à activité enzymatique normale (wt/wt) ont présenté des taux nettement diminués, comparables à ceux des patientes à activité enzymatique nulle (*4/*4). Une étude, en cours de recrutement aux États-Unis, cherche à préciser l’influence d’ISRS faiblement inhibiteurs du CYP2D6 (comme la venlafaxine, le citalopram, l’escitalopram et la sertraline) sur les taux plasmatiques d’endoxifène (NCT00667121). En attendant, il existe des données suggérant un risque de toxicité accrue chez les patients traités par venlafaxine et à activité enzymatique nulle pour le CYP2D6 (25). Ainsi, il n’est pas exclu qu’une perte d’efficacité du tamoxifène puisse exister en cas de coadministration de la venlafaxine, en particulier chez les patientes à activité enzymatique nulle. Points à connaître avant la prescription d ’ u n a n t i d é p r e s s e u r Les derniers points à aborder sont les principaux effets secondaires des antidépresseurs de type ISRS ou IRSNa afin d’en informer les patients, de manière à favoriser une bonne observance de la thérapeutique (2). Les effets indésirables mineurs les plus fréquents, comme les nausées, surviennent généralement en début de traitement, sont transitoires et régressent après une à deux semaines de traitement. Les autres effets indésirables sont une prise de poids, des troubles sexuels, une diarrhée, des céphalées, une somnolence, des vertiges, une asthénie, des tremblements… Même si la liste est longue, le risque de survenue hypothétique et imprévisible, qui, généralement, n’excède pas un grade 2 de toxicité, ne doit aucunement être un prétexte au refus de prescription des antidépresseurs dont le rapport bénéfice/ risque reste largement en leur faveur en cas de trouble dépressif caractérisé. Les imipraminiques sont actuellement utilisés en seconde intention en raison des effets anticholinergiques, antihistaminiques et cardiaques (effet quinidine-like) qui sont absents des autres classes. Toutes les classes d’antidépresseurs comportent un risque de syndrome sérotoninergique, lequel est augmenté en cas d’association avec certaines molécules. Ainsi, on évitera, répétons-le, toute spécialité à base de tramadol chez un patient douloureux sous ISRS. Enfin, certains effets indésirables bien connus sont liés à la nature même de la maladie dépressive : levée de l’inhibition psycho­motrice (avec risque suicidaire), inversion de l’humeur avec apparition d’épisodes maniaques, réactivation d’un délire chez les psychotiques, manifestations paroxystiques d’angoisse. Un traitement de courte durée par anxiolytique pourra être coprescrit utilement selon le terrain, notamment lorsque la composante anxieuse est au premier plan. Toutefois, les anxiolytiques ne protègent pas forcément de la levée de l’inhibition, bien qu’il n’existe aucun cas retrouvé dans la littérature faisant état d’un passage à l’acte suicidaire après prescription d’un antidépresseur en cancérologie. Sur le plan biologique, on surveillera tout particulièrement la natrémie, notamment chez le sujet âgé ou chez un patient sous diurétique, en raison du risque accru d’hyponatrémie sous ISRS par sécrétion inappropriée d’hormones antidiurétiques pouvant être prises à tort pour un syndrome paranéoplasique. En cas d’insuffisance rénale ou hépatique modérée, on débutera par des doses diminuées, généralement réduites de moitié. En cas d’insuffisance hépatique sévère, la perscription de tianeptine ou de milnacipran reste possible. Comment traiter l a p a t i e n t e ? Alors que le choix d’une molécule comme la venlafaxine pouvait s’imposer dans un premier temps compte tenu de son efficacité prouvée dans la prise en charge des bouffées de chaleur, l’absence de détermination du profil enzymatique pour le CYP2D6 en pratique courante doit nous faire préférentiellement utiliser une autre molécule au profil d’inihibition nul pour le CYP2D6, au risque de ne pas être efficace sur les bouffées de chaleur (ex : milnacipran [26] ; réboxétine [27], ce dernier n’étant pas commercialisé en France), en attendant les résultats d’études de pharmacocinétique en cours. Une nouvelle molécule récemment approuvée par la FDA, pas encore disponible en France, la desvenlafaxine, qui est le métabolite actif O-déméthylé de la venlafaxine, ne semble pas présenter d’inter­ actions avec le CYP2D6 et pourrait alors bientôt se révéler être une alternative de choix (27). Dans le cas où le syndrome dépressif et/ou les bouffées de chaleur représentent un risque de non-observance de l’hormonothérapie, un antidépresseur faiblement inhibiteur du CYP2D6 avec une efficacité retrouvée dans un essai comparatif sur le traitement des symptômes climatériques, tels que le citalopram ou son dérivé, l’escitalopram, peut selon nous représenter une option. Une étude récente cas-témoins de 184 patientes ayant présenté un cancer du sein localisé ou localement avancé traitées par tamoxifène et ayant récidivé, comparé à 184 patientes n’ayant pas récidivé a retrouvé 17 cas (9 %) de patientes ayant utilisé le citalopram et 21 cas (11 %), dans le groupe contrôle (différence non significative) [28]. Ces résultats suggèrent que l’utilisation concomitante du citalopram (et par extension l’escitalopram) ne réduirait pas l’efficacité du tamoxifène pour la prévention de la récidive d’un cancer du sein et rend licite, selon nous, son utilisation. Dans tous les cas, la patiente devra être orientée rapidement vers un psychiatre afin de vérifier les profils de tolérance et d’efficacité du traitement instauré et commencer une psychothérapie de soutien avec un psychologue. L’oncologue pourra la revoir de manière plus rapprochée (3 mois plus tard) afin de vérifier la bonne observance du tamoxifène. ■ La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 | 471 CAS CLINIQUE Références bibliographiques 1. Pasquini M, Biondi M. Depression in cancer patients: a critical review. Clin Pract Epidemol Ment Health 2007; 3:2. 2. Barrière J, Cherikh F, Pringuey D, Milano G, Ferrero JM. Antidepressants in oncology: issues and clinical perspectives. Bull Cancer 2008;95(11):1103-11. 3. Endicott J. Measurement of depression in patients with cancer. Cancer 1984;53(10 Suppl.):2243-9. 4. Colleoni M, Mandala M, Peruzzotti G et al. Depression and degree of acceptance of adjuvant cytotoxic drugs. Lancet 2000;356(9238):1326-7. 5. 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