Cancer du rein métastatique : nouvelles molécules, nouvelles stratégies dossier thématique Nouvelles stratégies thérapeutiques : “to go or not to go” et “stop and go” New therapeutic strategies: “to go or not to go” and “stop and go” » Dans les cancers du rein métastatiques, il faut envisager, en l’absence de progression, l’abstention thérapeutique avec surveillance comme une option de choix et, dans certaines circonstances, un traitement local plutôt qu’un traitement général. » Lorsque le cancer du rein métastatique est sous contrôle depuis au moins 12 mois, on peut envisager l’interruption du traitement général, accompagnée ou non d’un traitement local des métastases. highlights p o i nt s f o rt s A. Ravaud1,2, A. Daste1, J.C. Bernhard3, M. Gross-Goupil1 Mots-clés : Cancer du rein métastatique - Surveillance active - Arrêt thérapeutique. L a prise en charge des patients atteints de cancer du rein métastatique à cellules claires en première ligne est bien codifiée quant au choix des médicaments et aux facteurs pronostiques de survie. De plus, les résultats d’études de phases II et III auraient tendance à démontrer qu’à l’heure actuelle la stratégie du traitement séquentiel est celle qui offre la prise en charge la plus efficace : succession de gain de survie sans progression (SSP), gain de survie de plus en plus fréquent, effets indésirables plus faciles à prendre en charge, contrairement à ceux rapportés avec les traitements combinés de thérapies ciblées disponibles exposant le patient à des toxicités excessives et considérées comme non appropriées dans un contexte de soins palliatifs. D’autre part, si l’arrivée récente et l’approbation rapide des antiangiogéniques et des inhibiteurs de mTOR (mammalian Target Of Rapamycin) a révolutionné la prise en charge, il est peu probable que dans 5 ans des progrès aussi importants soient réalisés, en dehors peut-être d’une amélioration du ciblage de l’immunothérapie, qui est en cours d’étude. Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 2 - avril-mai-juin 2012 In metastatic kidney cancer without disease progression, therapeutic abstention with monitoring should be the option of choice, and, under certain circumstances, local treatment rather than general treatment. When cancer control has been achieved for at least 12 months in metastatic kidney cancer, interruption of general treatment can be considered, with or without local treatment of metastases. Keywords: Metastatic kidney cancer - Active monitoring - Therapeutic discontinuation. De ce fait, ce n’est qu’en articulant mieux la stratégie thérapeutique, et donc les séquences des médicaments disponibles, que des progrès pourront être réalisés dans les années à venir. Certaines tendances se font jour, sans être validées ; elles seront d’ailleurs peut-être difficiles à valider, et ne pourront donc être appliquées en pratique que dans les limites du “bon sens”. Il s’agit : ✓ de surveiller plutôt que de traiter tout de suite en première ligne ; ✓ d’interrompre transitoirement un traitement en cours. To go or not to go La lecture des recommandations pour le traitement de première ligne laisse généralement apparaître les standards et parfois les options (1, 2). La surveillance est parfois une option de première ligne chez les patients de bon pronostic. La lecture de ces standards aurait donc tendance à justifier la mise en place d’un traitement général. Or, il faut rappeler que, si l’histoire naturelle 1 Service d’oncologie médicale, hôpital Saint-André, CHU de Bordeaux. 2 Université Bordeaux-II Segalen, Bordeaux. 3 Service d’urologie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux. 53 Cancer du rein métastatique : nouvelles molécules, nouvelles stratégies dossier thématique du cancer du rein est majoritairement faite de phases de progression, des stabilisations spontanées ou des progressions extrêmement lentes s’étalant sur plusieurs dizaines de mois sont également possibles. Bien que rares (moins de 1 % des cas), des rémissions spontanées des métastases supposées, parfois transitoires après la chirurgie de la tumeur primitive, peuvent même être observées. De plus, les essais thérapeutiques d’enregistrement des différentes molécules de première ligne ont toujours inclus des patients dont la maladie était en progression sur des durées variables et excluant de fait les patients non progressifs. Du point de vue préclinique et des données issues de la clinique, il n’y a pas d’argument permettant de considérer que, en l’absence de progression ou en présence d’une progression lente et non cliniquement significative, l’attente de la mise en œuvre du traitement obère une sensibilité ultérieure à un médicament de première ligne. Bien évidemment, l’absence de données ne constitue pas une preuve. De plus, les études s’intéressant aux patients en résistance primaire aux antiangiogéniques ou aux inhibiteurs de mTOR n’ont pas révélé qu’une stabilisation prolongée initiale sans traitement était un facteur exposant à une telle évolution, même si le nombre d’études et le nombre de patients sont insuffisants pour statuer (3). En dehors d’une éventuelle opération des métastases lorsqu’elles sont nombreuses et non évolutives, l’abstention thérapeutique doit donc toujours être envisagée car, à ce jour, il est probable que les prescripteurs, y compris les experts du cancer du rein, entament trop tôt des traitements généraux ; et ce sujet revenant de manière récurrente dans les discussions de réunions scientifiques sur le cancer du rein montre que la tendance est en train de se modifier. Il faut également noter que l’argumentaire ne se fonde pas sur d’éventuelles comorbidités ou sur d’autres fragilités du patient, qui bien évidemment dans ce contexte renforceraient le poids de cette option. Cette approche conceptuelle de prise en charge sans preuve au-delà d’avis d’expert doit pouvoir être, certes, expliquée au patient, mais également soumise à son approbation pour pouvoir assumer, en vivant “sereinement” la présence de la maladie et l’absence de traitement spécifique, dans un contexte non curable. Stop and go L’approche envisageant de suspendre un traitement en cours s’apparente à celle qui consiste à ne pas commencer trop tôt un traitement. 54 Considérant, d’une part, que le traitement est purement palliatif et que nombre de patients vont entrer dans une maladie chronique de plusieurs années (souvent plus de 3 ans ; parfois plus de 5 ans), et que, d’autre part, le nombre de médicaments disponibles à ce jour est contraint dans cette durée, il paraît logique d’optimiser l’utilisation de chacun d’eux. L’optimisation de chaque molécule a déjà été obtenue grâce à la meilleure gestion des effets indésirables, incluant connaissance du médicament, éducation du patient, anticipation des effets indésirables et gestion appropriée et rapide de ceux-ci, notamment par un maniement adapté de la posologie (4). En parallèle, des données précliniques ont renforcé l’hypothèse que la pression thérapeutique, démontrée pour les antiangiogéniques, était susceptible de favoriser un phénotype de résistance aux antiangiogéniques, avec des tumeurs susceptibles de se développer dans un contexte indépendant de l’inhibition de la voie de signalisation du VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor), alors que l’inhibition biologique est maintenue et, pour certaines, avec un phénotype de transformation mésenchymateuse (5, 6). Il est probablement juste de parler de “résistance” dans les cas où les médicaments antiangiogéniques disponibles sont inefficaces ; en revanche, on a plutôt affaire à une “insensibilité transitoire” dans les cas où le remplacement du traitement par un médicament agissant sur une autre voie de signalisation permet d’induire à nouveau ultérieurement une sensibilité à la première molécule sous laquelle était apparue une progression de la maladie (7, 8). Dans ce contexte où la durée de la prise en charge prend toute sa valeur, l’utilisation optimale des séquences de médicaments doit certes comprendre la recherche de l’efficacité, mais également le maintien de la sensibilité aux médicaments disponibles en évitant l’apparition de résistances. Dès lors, dans un contexte de soins palliatifs prolongés, la recherche d’un contrôle de la maladie à moyen terme doit pouvoir faire discuter la suspension transitoire du médicament si un contrôle prolongé est obtenu. Au-delà de la suspension de fait des effets indésirables à laquelle le patient sera bien évidemment agréablement sensible, il s’agit de suspendre momentanément la pression de sélection du médicament et, ainsi, d’atténuer théoriquement le risque de résistance. Cette approche n’est bien évidemment envisageable que si le traitement est susceptible de conserver son efficacité à la reprise, ce qui a été rapporté au mieux lors de discussions au cours de réunions scientifiques. Il y a peu de données validant cette approche. Seules 2 séries récentes (9, 10) qui se sont intéressées au devenir Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 2 - avril-mai-juin 2012 Nouvelles stratégies thérapeutiques : “to go or not to go” et “stop and go” des patients en rémission complète après une thérapie ciblée avec ou sans chirurgie associée, ont montré que cette stratégie était valide puisqu’un nombre significatif de patients n’a pas montré de progression de la maladie au premier et au second scanner de contrôle à 3 et 6 mois, contrairement à ce que l’on pouvait craindre en utilisant des médicaments non cytotoxiques et non directement dirigés vers la cellule cancéreuse. Dans une première étude regroupant plusieurs centres français, 64 cas de patients ayant présenté une rémission complète après antiangiogéniques seuls (n = 36) ou associés à un traitement local supplémentaire (n = 28) ont été étudiés. Des 36 patients présentant une rémission complète après antiangiogéniques seuls, 8 ont poursuivi le traitement médical au-delà, alors que les 28 autres l’ont suspendu, parmi lesquels 17 (61 %) étaient en rémission complète à 6 mois. Avec un recul de près de 1 an (322 jours), 12 (48 %) des 25 patients ayant bénéficié d’un traitement local complémentaire et ayant arrêté le traitement médical sont en rémission complète. Il faut noter que le pronostic était bon ou intermédiaire pour la plupart des patients (95 %). Dans une étude allemande rapportant uniquement le cas de 5 patients, 3 ont bénéficié d’une chirurgie d’exérèse dans un contexte de réponse partielle, et les 2 autres ont présenté une rémission complète sous traitement médical seul. Un patient a poursuivi le traitement médical au-delà de la rémission complète. Tous ces patients étaient toujours en rémission complète à 24 mois. Il ne peut donc y avoir de standard de prise en charge, mais seulement une tendance issue des discussions d’experts. La pause transitoire, qui peut être plus ou moins longue dans le contexte (plus de 12 mois), ne peut être envisagée que chez un patient pour lequel le volume tumoral ou le siège des métastases ne font pas craindre une évolution rapide des symptômes pouvant pénaliser une prise en charge ultérieure adaptée à la reprise évolutive, ce qui pourrait englober les localisations hépatiques, ganglionnaires médiastinales ou pulmonaires juxtahilaires de volume important, ou les localisations vertébrales avec risque de compression n’ayant pas bénéficié de traitement local (chirurgie et, surtout, radiothérapie). Bien évidemment, il ne faut pas que le patient ait présenté des rebonds de la maladie dans les pauses prévues du sunitinib ni qu’il ait justifié d’un traitement continu ou à pause limitée, ce qui sous-tend la nécessité d’une pression thérapeutique quasi permanente jusqu’à progression. L’interruption du traitement est plus aisée à envisager en cas de réponse complète qu’en cas de réponse partielle ou de stabilisation prolongée, mais théoriquement la réflexion est similaire. Dans le cas d’une réponse complète par thérapie ciblée, la tendance en France est d’interrompre le traitement spécifique d’emblée ou, plus souvent, après 2 à 4 cycles supplémentaires (11). En revanche, si la réponse complète est obtenue grâce à un geste local chirurgical d’exérèse ou d’éradication par radiothérapie ou radiofréquence, il n’est pas recommandé de poursuivre la thérapie ciblée, de même que dans le cas d’un traitement adjuvant ; rappelons qu’aucun traitement adjuvant n’est actuellement validé après traitement de la tumeur primitive. En cas de réponse partielle ou de stabilisation, il n’y a aucun consensus quant à la durée de la pause thérapeutique, mais il est admis qu’elle doit être prolongée. En se fondant sur la durée médiane de SSP avec les traitements de première ligne, de l’ordre de 10 à 11 mois, cette approche ne devrait être envisagée qu’au-delà de 12 mois de traitement, et ce d’autant plus que cette durée de réponse sera bien supérieure à 12 mois. En complément, toute situation difficile induite par les effets indésirables apportera des arguments en faveur de la suspension du traitement. Cette suspension transitoire doit s’accompagner d’un suivi strict, sur un rythme similaire à celui de l’évaluation des cycles thérapeutiques, et donc tous les 2 à 3 mois au début, afin de surveiller l’apparition de symptômes susceptibles d’être induits par la reprise évolutive de la maladie. Il est probable que ce rythme peut être allégé si l'absence de progression se confirme dans le temps, mais aucune recommandation ne peut être proposée. À la reprise évolutive, en dehors d’un geste local, qui doit toujours être envisagé, ou de l’inclusion dans un essai thérapeutique, le patient sera soumis au même médicament ou à un autre de même mode d’action. Conclusion Le cancer du rein métastatique a profité, de manière exceptionnelle et heureuse pour les patients, de l’arrivée des thérapies ciblées qui permettent, pour la plupart, de les voir vivre plus longtemps et mieux. Malgré tout, au-delà de cette phase d’euphorie engendrée par ces gains exceptionnels, il est indispensable d’affiner la stratégie pour offrir à des populations choisies une prise en charge optimale, notamment en ne commençant pas le traitement trop tôt (not to go) ou en intégrant une pause dans les temps thérapeutiques (stop). Cette approche peut sembler lourde à l’aube des avancées de la biologie moléculaire prédictive, mais en attendant ses résultats pour nous aider à mieux traiter, cette approche est plus subtile qu’il n’y paraît. ■ Références 1. Escudier B, Kataja V; ESMO Guidelines Working Group. Renal cell carcinoma: ESMO Clinical Practice Guidelines for diagnosis, treatment and follow-up. Ann Oncol 2010; 21(Suppl. 5):v137-9. 2. Ljungberg B, Cowan NC, Hanbury DC et al.; European Association of Urology Guideline Group. EAU guidelines on renal cell carcinoma: the 2010 update. Eur Urol 2010;58(3): 398-406. 3. Heng DY, Mackenzie MJ, Va i s h a m p a ya n U N e t a l. Primary anti-vascular endothelial growth factor (VEGF)refractory metastatic renal cell carcinoma: clinical characteristics, risk factors, and subsequent therapy. Ann Oncol 2011. [Epub ahead of print]. 4. Ravaud A. Treatmentassociated adverse event management in the advanced renal cell carcinoma patient treated with targeted therapies. Oncologist 2011;16(Suppl. 2): 32-44. 5 . Fa i v r e S , D e m e t r i G , S a r g e n t W, R a y m o n d E . Molecular basis for sunitinib efficacy and future clinical development. Nat Rev Drug Discov 2007;6(9):734-45. 6. Ravaud A, Gross-Goupil M. Overcoming resistance to tyrosine kinase inhibitors in renal cell carcinoma. Cancer Treat Rev 2012. [Epub ahead of print]. 7. Ravaud A, Digue L, Trufflandier N, Smith D. VEGFR TKI ‘resistance’ or transient clinical insensitivity to VEGFR TKI in metastatic renal cell carcinoma. Ann Oncol 2010; 21(2):431-2. 8. Grünwald V, S eidel C, Fenner M et al. Treatment of everolimus-resistant metastatic renal cell carcinoma with VEGFtargeted therapies. Br J Cancer 2011;105(11):1635-9. 9. Albiges L, Oudard S, Negrier S et al. Complete remission with tyrosine kinase inhibitors in renal cell carcinoma. J Clin Oncol 2012;30(5):482-7. 10. Staehler M, Haseke N, Zilinberg E et al. Complete re m i s s i o n a c h i e ve d w i t h angiogenic therapy in metastatic renal cell carcinoma including surgical intervention. Urol Oncol 2010;28(2):139-44. 11. Albiges L, Oudard S, Négrier S et al. Complete remission with tyrosine kinase inhibitors in renal cell carcinoma. J Clin Oncol 2012;30:482-7. 55