Primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire chez un

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Primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire chez un vétérinaire
sénégalais découverte après un accident de travail
Toxoplasmosis infection with lung damage in a Senegalese veterinarian
discovered after a workplace accident
M. Ndiaye, M.M. Soumah, M.L. Sow
Correspondance. M. Ndiaye. Service de médecine du travail, Faculté de Médecine de Dakar,
Sénégal
E-mail : [email protected]
Résumé
Nous rapportons un cas de primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire chez un vétérinaire
sénégalais de 47 ans, découvert après un accident avec exposition à un produit biologique, le vaccin vivant
contre la toxoplasmose. Le diagnostic de toxoplasmose aigue chez notre patient immunocompétent, a reposé
sur la symptomatologie clinique, la radiographie thoracique, la mise en évidence directe de Toxoplasma
gondii dans le sang et la sérologie (détection des IgG et IgM spécifiques, indice d’avidité inférieur à .
L’enquête étiologique a permis de retrouver comme principal facteur étiologique le contact fréquent avec les
brebis et agneaux infectés lors des mises bas et des soins.
Cette observation met en évidence la nécessité d’une Information, Education et Formation (IEC) des
professionnels de la santé animale sur la prévention du risque infectieux en milieu de travail et la promotion
de la santé au travail. J Int Santé Travail 2015;1:9-15
Summary
We are reporting a case of primary infection with Toxoplasma pulmonary disease in a Senegalese
veterinarian of 47 years, discovered after an accident with exposure to a biological product, the live vaccine
against toxoplasmosis. The diagnosis of toxoplasmosis acute in our immunocompetent patient was based on
clinical symptoms, chest x-ray, direct identification of Toxoplasma gondii in blood and serology (IgG and
IgM, avidity index lower to detection. The etiological investigation finds as primary etiologic factor the
frequent contact with sheep and lambs infected during calving and care
This observation highlights the need for Information, Education and Training (IEC) of Animal Health
professionals on prevention of infectious risks in the workplace and the promotion of health at work.
Mots clés : Toxoplasmose pulmonaire, vétérinaire, accident du travail, facteurs étiologiques
Keywords: pulmonary toxoplasmosis, veterinary, workplace accident, etiological factors
Ndiaye Primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire J Int Santé Travail 2015;1:9-15
Introduction
La toxoplasmose est une anthropozoonose due à Toxoplasma gondii qui affecte de nombreuses
espèces de mammifères et les oiseaux. Toxoplasma gondii a été découvert en 1908 à l’institut Pasteur
de Tunis par Charles Nicolle et Louis Herbert Manceaux et le premier cas humain rapporté en 1923
par Joseph Janku [1]. La toxoplasmose est principalement une maladie humaine et ovine dont l’hôte
définitif (félidés parmi lesquels le chat) excrète et dissémine les oocystes par les fécès. L’homme se
contamine en ingérant des oocystes ou des kystes contenus dans la viande.
La toxoplasmose est une infection généralement inapparente chez les sujets sains mais grave chez la
femme enceinte et les sujets immunodéprimés. Les signes de lymphandénopathie apyrétique ou fébrile
sont le plus observés. Les formes graves sont rares et peuvent se manifester par une fièvre, des
éruptions maculopapuleuses, une pneumonie, une myocardite, une myosite, une choriorétinite ou une
méningoencéphalite [2,3].
Les sources d’exposition professionnelle sont notamment le contact avec de la viande infectée crue ou
mal cuite, des animaux infectés et leurs déjections, des objets et de la terre souillés. La toxoplasmose
constitue un risque professionnel chez les vétérinaires, éleveurs, gardiens d’animaux, employés
d’abattoir, employés de boucherie et charcuterie, agriculteurs, paysagistes, maraîchers, jardiniers,
archéologues, laborantins et professionnels de santé [4,5].
Au Sénégal, la séroprévalence de la toxoplasmose varie de 22 à 60% chez la femme, de 38,5 à 55%
chez les ovins, de 24 à 78% chez le chat et de 44 à 68% chez le chien. Elle est de 33,75% chez les
caprins et 10,25% chez les bovins [6].
Nous rapportons ce cas de primo-infection toxoplasmique avec atteinte pulmonaire chez un
vétérinaire sénégalais, découvert après un accident de travail lié à une piqûre par le vaccin vivant
contre la toxoplasmose.
Observation
Monsieur M.F., 47 ans, vétérinaire, est hospitalisé pour une fièvre avec importante sudation, des
céphalées, une asthénie physique, une toux sèche et une dyspnée après échec d’un traitement
antipaludéen de trois jours et d’une antibiothérapie à base d’amoxicilline-acide clavulanique et
ciprofloxacine de sept jours. L’examen clinique retrouvait une fièvre à 39° C, une dyspnée grade 3 de
l’échelle de Sadoul, des adénopathies cervicales droites et axillaires gauches mobiles, des râles
crépitants au niveau des bases pulmonaires. On ne notait pas d’organomégalie, de souffle cardiaque et
de raideur méningée.
La biologie retrouvait une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, une hyperésinophilie et une
monocytose. Le taux de CRP était à 90 mg/L. La fonction rénale était normale et les transaminases
hépatiques (ASAT et ALAT) légèrement augmentées.
La goutte épaisse (GE) et le test de dépistage de la mononucléose infectieuse étaient négatifs de même
que les sérologies rétrovirale et de l’hépatite B. L’hémoculture et l’étude cytobactériologique des
urines (ECBU) étaient stériles.
L’électrocardiogramme notait un rythme sinusal régulier sans trouble de la repolarisation et de la
conduction.
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La radiographie thoracique montrait un syndrome interstitiel avec des opacités nodulaires et
micronodulaires plus ou moins confluentes et disséminées au niveau des deux champs pulmonaires
sans cardiomégalie (figure 1). La radiographie thoracique de face effectuée 6 mois auparavant dans le
cadre de la visite médicale annuelle, était normale.
L’intradermoréaction à la tuberculine (IDRT) était négative. La gazométrie artérielle en air ambiant
retrouvait une hypocapnie (PaCO2 à 35 mm Hg), une hypoxémie (PaO2 à 70 mm Hg), un taux de
bicarbonates à 25 mmol/l et un pH à 7,46.
L’interrogatoire retrouvait des séjours répétés dans les locaux d’élevage à l’occasion des mises bas et
des soins destinés aux agneaux sans port souvent des équipements de protection individuelle et
l’existence d’une piqûre accidentelle par le vaccin vivant, Ovilis Toxovax ® un mois auparavant lors
d’une séance de vaccination des brebis. En effet lors de cette séance, une brebis en se débattant a fait
riper l’aiguille qui piqua la main gauche du vétérinaire. Cet évènement a été déclaré comme accident
de travail au niveau de la caisse de sécurité sociale. Aucune notion de consommation de viande crue
ou peu cuite n’était cependant notée.
L’examen parasitologique des frottis sanguins avait permis une mise en évidence de formes arquées de
Toxoplasma gondii confirmant le diagnostic (figure 2).
La sérologie ELISA avait permis d’affirmer le caractère récent de l’infection toxoplasmique avec :
-
des IgG à 63,8 UI/ml (seuil de positivité à 10 UI/ml) (kit Vidas Toxo IgG II bioMérieux ®),
-
des IgM avec un indice à 10 (seuil de positivité à 9) (test Toxo Isaga bioMérieux ®),
-
un indice d’avidité des IgG à 0,18 (un indice inférieur à 0,20 prouve le caractère récent de
l’infection) (kit Vidas Toxo IgG avidity bioMérieux®).
Le traitement à base de sulfadiazine (1,5gr 2 fois par jour), pyriméthamine (50 mg par jour) et acide
folique (50 mg par semaine) pour une durée de 6 semaines, avait permis une diminution de la fièvre au
bout de dix jours, une réduction du volume des adénopathies, une normalisation des leucocytes et une
amélioration de la gazométrie artérielle autorisant l’exéat.
Discussion
Le diagnostic de toxoplasmose aigue repose sur des arguments cliniques (adénopathies, fièvre,
asthénie) et biologiques (mise en évidence du parasite dans le sang, la détection des IgG et IgM
spécifiques avec une ascension significative après 3 à 4 semaines d’évolution ou un indice d’avidité
faible inférieur à 0,20) [7,8].
Notre observation est originale car elle pose un problème de diagnostic étiologique et exclut la notion
de consommation de viande crue ou mal cuite infestée retrouvée dans la majorité des cas rapportés
dans la littérature [4,9]. En effet la piqûre accidentelle par le vaccin vivant contre la toxoplasmose et le
contact fréquent avec des brebis et agneaux infectés constituent les deux probables facteurs
étiologiques notés.
L’enquête menée après l’accident, a identifié comme facteurs causals l’insuffisance du personnel
affecté à l’activité vaccinale au nombre de trois, la charge importante de travail avec 500 brebis à
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vacciner, la mauvaise organisation de l’activité avec des brebis entassées dans un enclos à aller
chercher au hasard une à une, la nécessaire maîtrise manuelle des brebis avant l’administration du
vaccin, le défaut de port des équipements de prévention individuelle et la nature vivante du vaccin
utilisé.
Le vaccin Ovilis Toxovax® utilise la souche S48 qui est une souche atténuée de tachyzoïtes sans
capacité de former des kystes. Ce vaccin a montré son efficacité dans la prévention des avortements
chez les brebis et la diminution de la transmission de la maladie à l’homme. Cependant la virulence de
la souche S48 n’est pas bien contrôlée et le risque de réversion vers la forme virulente existe. Les
techniques de biologie moléculaire ont permis d’obtenir des souches atténuées par la délétion de gènes
cibles qui ne sont pas susceptibles de retourner leur virulence d’origine. La contamination par les
tachyzoïtes est exceptionnelle à l’exception du fœtus qui se contamine à partir des tachyzoïtes
circulant dans le sang maternel à l’occasion d’une primo infection et à ce jour aucun cas de
toxoplasmose humaine post vaccinale n’a été rapporté dans la littérature [10-13].
L’analyse des conditions de travail montre une exposition certaine à des facteurs de risque de
toxoplasmose à savoir le contact fréquent avec les brebis et agneaux lors des mises bas et soins et le
défaut de port des équipements de protection individuelle. En effet la toxoplasmose peut être transmise
par les brebis en période de mise bas et les agneaux contaminés par le lait maternel infecté. De même
le défaut de port des équipements de protection individuelle peut favoriser la contamination par le
biais de mains souillées et plaies cutanées ouvertes [14,15].
Les contacts répétés avec des brebis et agneaux infectés constituent le facteur étiologique le plus
probable.
La lutte contre l’infection toxoplasmique doit être précédée de la mise en place d’un programme
efficace d’éducation sanitaire ciblant surtout le personnel de la santé animale.
Conclusion
Cette primo infection toxoplasmique avec symptomatologie clinique, découverte chez ce vétérinaire
sénégalais après un accident de travail lié à une piqûre par le vaccin vivant contre la toxoplasmose, est
probablement due aux contacts avec des brebis et agneaux infectés lors des mises bas et des soins.
Conflits d'intérêt
Pas de conflit d'intérêt.
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Références
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Figure 1 : Syndrome interstitiel avec opacités nodulaires et micronodulaires au niveau
des 2 champs pulmonaires (radiographie thoracique de face)
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Figure 2 : Formes arquées de Toxoplasma gondii (Frottis sanguin)
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