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Interaction atorvastatine-clopidogrel ?
De la pharmacologie à la cardiologie pratique
Atorvastatin-clopidogrel: is there an interaction? From pharmacology to clinical practice
● A. Pathak*
Points forts
■ L’association
atorvastatine-clopidogrel est largement
prescrite en cardiologie.
■ On rapporte la possibilité pour l’atorvastatine de dimi-
nuer les propriétés antiagrégantes plaquettaires du
clopidogrel.
■ Cette interaction reste du domaine de la pharmacologie
expérimentale.
■ La pertinence clinique de cette observation et
son implication en pratique quotidienne cardiologique sont
discutées.
Mots-clés : Statines - Clopidogrel - Interaction - Pharmacologie - Cardiologie.
DES PROPRIÉTÉS PHARMACODYNAMIQUES
AUX ESSAIS CLINIQUES
Dans la littérature, des essais cliniques (1, 2) ainsi qu’une récente
méta-analyse (3) rapportent un bénéfice certain du clopidogrel en
tant qu’alternative ou en adjonction à l’aspirine chez des patients
à haut risque cardiovasculaire. Le clopidogrel fait partie de la
famille des thiénopyridines ; ce médicament est une prodrogue
inactive qui nécessite une métabolisation hépatique in vivo
* Service de pharmacologie clinique, CHU deToulouse, faculté de médecine,
37, allées Jules-Guesde, BP 7203, 31073 Toulouse Cedex 7.
La Lettre du Cardiologue - n° 368 - octobre 2003
(oxydation suivie d’une hydrolyse) pour exercer son activité antiagrégante. Le métabolite actif (seulement 15 % de la molécule
mère) exerce son effet par sa liaison rapide et irréversible aux
récepteurs plaquettaires à l’adénosine diphosphate (ADP), empêchant l’activation du complexe GpIIb/IIIa, voie finale commune
de l’agrégation plaquettaire (4-7). Le clopidogrel (Plavix®) diminue ainsi l’incidence de la thrombose coronarienne après mise en
place d’un stent, la survenue d’infarctus du myocarde, d’AVC et
de mort d’origine vasculaire chez des patients athérothrombotiques (1, 2, 8).
Des essais cliniques randomisés de prévention primaire et secondaire ainsi que les méta-analyses qui s’y rapportent ont clairement établi que les statines diminuent le risque de survenue d’un
infarctus du myocarde, d’un AVC ou de décès d’origine cardiovasculaire. Récemment, un essai randomisé chez des patients
bénéficiant d’une procédure endocoronarienne (9) a montré la
diminution par statine de l’incidence des événements coronariens,
surtout dans le groupe des patients diabétiques et des pluritronculaires. Les recommandations des sociétés savantes incitent,
chez ces patients, à tendre vers un LDL-cholestérol cible inférieur à 1 g/l.
Les quatre statines disponibles sur le marché français (atorvastatine, fluvastatine, pravastatine, simvastatine) sont toutes métabolisées de manière plus ou moins importante par le CYP3A4 du
complexe des cytochromes P450 hépatiques, groupe d’enzymes
intervenant dans le métabolisme de nombreux médicaments. Des
auteurs australiens (10) ont discuté de la pertinence clinique des
interactions possibles entre cytochrome P450 et médicaments
coprescrits avec les statines. Il en ressort qu’il faut surtout prendre
en compte les interactions des statines avec des médicaments
interagissant vraiment avec le complexe P450. Ainsi les inhibiteurs (macrolides, antiprotéases, antifongiques, inhibiteurs calciques bradycardisants, amiodarone et le fameux jus de pamplemousse) ou les inducteurs classiques (antiépileptiques :
carbamazépine, phénytoïne, phénobarbital ; anti-infectieux :
rifampicine, rifadine, griséofulvine, et le tabac ou l’alcool) vont
respectivement augmenter ou diminuer les concentrations plasmatiques des statines.
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UNE QUESTION DE PHARMACOCINÉTIQUE
En janvier 2003, des anesthésistes du Michigan ont étudié plus
précisément le métabolisme in vitro du clopidogrel (11) en se servant d’un panel de cytochromes humains recombinants. Ils ont
identifié le cytochrome P3A4 comme une enzyme clé dans la production du métabolite actif du clopidogrel. Ces auteurs montrent
que la forme lactone de l’atorvastatine inhibe significativement
le CYP3A4 ainsi que la synthèse du métabolite actif du clopidogrel. Ces résultats demandaient à être évalués in vivo, chose faite
dans une étude clinique publiée quelques semaines plus tard. Dans
cet article (12), Lau et al. rapportent, chez des patients venant de
bénéficier d’une procédure d’angioplastie coronarienne avec mise
en place d’endoprothèse, que l’inhibition de l’agrégation plaquettaire induite par le clopidogrel était diminuée chez ceux qui
étaient conjointement traités par atorvastatine, mais pas chez ceux
sous pravastatine. Dans cette étude, l’effet antiagrégant était
mesuré par le pourcentage de plaquettes capables d’être agrégées
ex vivo en présence d’ADP. L’abolition de l’effet antiagrégant du
clopidogrel par l’atorvastatine était dose-dépendante et maximale pour une posologie d’atorvastatine de 40 mg. Cet effet
observé 24 heures après la mise en place de l’endoprothèse persistait jusqu’à 7 jours post-procédure. Dans le même article, les
auteurs rapportent que, chez des volontaires sains, l’adjonction
d’un inhibiteur enzymatique (l’érythromycine) diminuait la formation du métabolite actif et donc l’effet antiagrégant du clopidogrel, alors qu’un inducteur enzymatique, la rifampicine, majorait l’effet antiagrégant plaquettaire. Ils tirent la conclusion que
le clopidogrel semble préférentiellement métabolisé par la voie
du CYP3A4.
Ces travaux indiquent que le métabolite pharmacologiquement
actif du clopidogrel est, entre autres, sous dépendance du
CYP3A4, et que l’activité antiagrégante plaquettaire du clopidogrel est diminuée par l’atorvastatine ex vivo.
QUELLE EST LA PERTINENCE CLINIQUE
DE CETTE CONSTATATION ?
On ne sait pas à l’heure actuelle si ce type d’interaction augmente
le risque de thrombose aiguë intrastent ou le taux d’événements
thrombotiques artériels, dont la fréquence a maintenant considérablement diminué (atteignant moins de 1 %) sous l’impulsion
d’améliorations techniques et de la coprescription systématique
d’une bithérapie antiagrégante. Il faut enfin insister sur certains
éléments méthodologiques qui limitent la portée de la publication sus-citée. Ainsi, l’étude clinique a été réalisée sur un critère
intermédiaire de jugement (agrégation plaquettaire induite par
l’ADP) et, à ce jour, rien ne permet d’affirmer que ce test est corrélé à la survenue d’événements thrombotiques, voire que la
réduction de la morbi-mortalité cardiovasculaire procurée par le
clopidogrel serait elle-même modifiée (2). Cette approche in vitro
ne permet pas d’extrapoler les effets cliniques d’une modification de la biologie des plaquettes. Cette étude porte sur un échantillon faible de sujets, dans une étude non randomisée et
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rétrospective. On notera la présence plus importante d’inhibiteurs enzymatiques (phénytoïne et diltiazem) connus pour ralentir la métabolisation en produits actifs du clopidogrel, dans le
groupe clopidogrel-atorvastatine, majorant peut-être l’effet
observé, et l’absence de groupe contrôle pour les médicaments
connus pour affecter la voie du CYP3A4. On peut également
déplorer dans cette publication l’absence de renseignements à la
fois sur le type de coronaropathie sous-jacente chez les patients
(type de lésions, nombre de sténoses, données endocoronaires)
et sur le type de stents employés, facteurs pouvant moduler l’agrégation plaquettaire. Enfin, la technique de mesure de l’agrégation plaquettaire employée reste une méthode récente non validée par les sociétés savantes, et la seule méthode utilisée dans
l’article sans inclure une méthode de référence. Seule une
approche pharmaco-épidémiologique pourrait permettre de
répondre à ce type de question, en sachant que la fréquence de la
thrombose est faible et qu’elle diminue à distance de l’implantation. Cette étude demande à être réalisée en se servant des registres
déjà existants ou par la conduite d’une étude prospective. En attendant, certaines données déjà publiées apportent une forme de
réponse à l’effet de cette association sur le plan clinique.
Ainsi, dans l’essai PRONTO (13), qui comparait dans une cohorte
de 100 patients devant bénéficier d’une procédure endocoronarienne l’effet des statines sur l’agrégation plaquettaire, aucune
interaction n’était retrouvée dans le groupe atorvastatine-clopidogrel. Cette étude va donc dans le sens contraire, mais elle utilise un test d’agrégation plaquettaire différent et repose sur
les mêmes limites méthodologiques que l’étude de Lau, à savoir
l’absence de randomisation et le caractère rétrospectif.
D’après l’éditorial de Serebruany dans une édition récente de Circulation (14), l’analyse rétrospective dans les essais CURE
et CAPRIE de la population des patients recevant l’association
statines-clopidogrel ne met pas en évidence la survenue d’événements cliniques péjoratifs.
Finalement, la seule étude prospective qui étudie cette hypothèse
est l’étude INTERACTION, présentée sous forme de poster au
dernier congrès de l’ACC. Dans cet essai, 75 patients devant bénéficier de la mise en place d’une endoprothèse coronarienne reçoivent 325 mg d’aspirine par jour pendant au moins une semaine
et une dose de charge de clopidogrel avant la mise en place du
stent. Les patients ont été randomisés un mois avant la procédure
en trois bras : atorvastatine, autre statine ou pas de statine. L’interaction statine-clopidogrel est étudiée par la mesure répétée de
marqueurs standards et d’un grand nombre de marqueurs
modernes (CD41b, CD42b, CD62p, CD51/61) de l’agrégation
plaquettaire à 4 heures et 24 heures après la procédure. Les trois
groupes diffèrent uniquement sur le niveau de cholestérol total,
plus bas dans les bras statines. Aucune différence n’est observée
entre les trois bras en termes de réduction de l’effet antiagrégant
plaquettaire du clopidogrel. Ce travail confirme l’absence de différence entre l’atorvastatine et les autres statines sur des marqueurs biologiques évaluant l’agrégation plaquettaire, et suggère
la possibilité pour les statines d’inhiber directement l’agrégation
plaquettaire en diminuant l’activation des récepteurs plaquettaires
à la thrombine. Cependant, là aussi, l’étude repose sur des critères intermédiaires et ne permet pas de conclure.
La Lettre du Cardiologue - n° 368 - octobre 2003
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LA PHARMACOLOGIE PRATIQUE
POUR LE CARDIOLOGUE
Ces travaux posent le problème plus général du transfert des données issues de la recherche à la pratique clinique. Il est évident
sur le plan pratique que le remplacement du clopidogrel par l’aspirine semble inopportun, au risque de perdre le bénéfice clinique
du clopidogrel et de s’exposer à un risque plus élevé de thrombose. Le retour de la ticlopidine, au vu de son profil d’effets indésirables, limite son emploi.
Le remplacement de l’atorvastatine par une statine métabolisée
dans une moindre mesure par le CYP3A4 comme la pravastatine
était jusqu’alors envisageable, d’autant plus que cette statine bénéficiait de preuves concernant la réduction d’événements cardiovasculaires. Depuis la publication des résultats de l’essai ASCOTLLA (15) cet argument n’est plus d’actualité. En effet, dans cette
étude, l’efficacité de l’atorvastatine en prévention primaire chez
des patients hypertendus présentant d’autres facteurs de risque
cardiovasculaire a été clairement démontrée à la dose de 10 mg,
et cela dès 3,3 ans de suivi.
Au total, les observations de Lau d’une part et de Serebruany de
l’autre sur l’inhibition ou non des effets antiagrégants plaquettaires du clopidogrel par l’atorvastatine demeurent des éléments
intéressants sur le plan de la recherche pharmacologique, sans
répercussion prouvée à ce jour en termes de prise en charge clinique. L’analyse des résultats de l’étude CREDO (16) en fonction des statines utilisées devrait permettre de mettre un terme à
cette polémique.
SEPTEMBRE 2003, FIN DE LA POLÉMIQUE
La présentation des résultats du registre allemand MITRA Plus
(17) et l’analyse post hoc de l’essai CREDO (16) confirment que
l’atorvastatine n’altère en rien le bénéfice du clopidogrel sur la
réduction des événements thrombotiques ou de la morbi-mortalité cardiovasculaire.
Le registre allemand MITRA Plus, observatoire depuis 1992 de
la prise en charge des syndromes coronaires aigus, a permis de
suivre plus de 53 000 patients. Entre 2000 et 2002, cet observatoire a suivi pendant 14 mois les patients admis pour syndromes
coronaires aigus et recevant atorvastatine, clopidogrel ou les deux
traitements à leur sortie de l’hôpital. Deux analyses ont été réalisées. La première porte sur les 1 576 patients sortant avec de
l’atorvastatine et compare ceux avec et ceux sans coprescription
de clopidogrel. La deuxième porte sur les patients sous clopidogrel et compare ceux sortant sous atorvastatine à ceux sortant
sous une autre statine. Dans les deux cas, l’analyse multivariée
n’a mis en évidence aucune différence significative sur le pronostic clinique entre les groupes.
L’analyse rétrospective de l’essai CREDO (essai évaluant le bénéfice de la dose de charge du clopidogrel sur les événements à
28 jours et l’intérêt du traitement au long cours) montre que le
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bénéfice à un an est supérieur lorsque le clopidogrel est prescrit
avec une statine, et cela qu’elle soit ou non métabolisée par le
CYP450 3A4. En ce qui concerne les effets de la dose de charge
de clopidogrel sur les événements à 28 jours, seul le groupe recevant de façon concomitante de l’atorvastatine a atteint le seuil de
significativité en termes de réduction du nombre d’événements.
Toutes ces analyses confirment le bénéfice de l’association du clopidogrel et des statines, qu’elles soient ou non métabolisées par le
CYP3A4. Ces études présentent certes des limites inhérentes à leur
méthodologie (analyse d’un registre ou analyse rétrospective) mais
soulignent qu’à ce jour, lorsque la prescription de clopidogrel est
nécessaire, il n’y a pas d’arguments pour orienter le choix d’une
■
statine coprescrite sur la base de sa voie métabolique.
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