“ L’ La médecine personnalisée fondée sur la réactivité plaquettaire :

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ÉDITORIAL
La médecine personnalisée fondée
sur la réactivité plaquettaire :
s’est-on encore une fois leurré ?
Personnalized medicine based on platelet function
test: just an illusion?
“
L’
J.P. Collet*,
G. Montalescot*
* Institut de Cardiologie,
Inserm U937, Groupe ACTION,
Groupe hospitalier
La Pitié-Salpêtrière, Paris.
étude GRAVITAS (Gauging Responsiveness with A VerifyNow accumetrics
assay: Impact on Thrombosis And Safety) avait montré le rôle pronostique
péjoratif d’une réactivité plaquettaire élevée et l’échec d’un doublement de
la dose de clopidogrel pour réduire les événements cardiovasculaires chez les mauvais
répondeurs (1). On avait alors toutes les raisons de croire encore que la médecine
personnalisée fondée sur ce marqueur était une stratégie gagnante. En effet, le
faible risque de la population étudiée, le faible taux d’événements et la mesure de la
réactivité plaquettaire après l’angioplastie étaient de réelles limites. Enfin, la réactivité
plaquettaire apparaissait comme un marqueur de risque fiable, associée de façon
constante à la survenue d’événements post-angioplastie graves, facile à mesurer au lit
du patient et devenue, dans certains pays où la contrainte financière est importante,
un argument pour justifier le choix des inhibiteurs de P2Y12 (2). L’étude ARCTIC
(Assessment by a double Randomization of a Conventional antiplatelet strategy versus
a monitoring-guided strategy for drug-eluting stent implantation and of Treatment
Interruption versus Continuation one year after stenting) a randomisé les patients après
la coronarographie entre un groupe contrôle et un groupe d’intervention, dans lequel
la réponse plaquettaire à l’aspirine et aux inhibiteurs du récepteur P2Y12 a été mesurée
par le VerifyNow (Accumetrics, San Diego, Californie) avant angioplastie, puis entre
2 et 4 semaines après la procédure pour ajuster la dose d’entretien. Elle démontre qu’il
ne s’agit que d’un marqueur de risque qui a une valeur limitée pour guider la décision
thérapeutique (3).
®
1. Price MJ, Berger PB,
Teirstein PS et al. Standardvs high-dose clopidogrel
based on platelet function
testing after percutaneous
coronary intervention: the
GRAVITAS randomized trial.
JAMA 2011;305:1097-105.
2. Parodi G, Marcucci R,
Valenti R et al. High residual
platelet reactivity after clopidogrel loading and long-term
cardiovascular events among
patients with acute coronary
syndromes undergoing PCI.
JAMA 2011;306:1215-23.
3. Collet JP, Cuisset T, Rangé G
et al. Bedside Monitoring to
Adjust Antiplatelet Therapy
for Coronary Stenting. N Engl J
Med 2012 Nov 4
(epub ahead of print).
Les résultats sont négatifs quels que soient les critères de jugement et quels que
soient les sous-groupes de patients pris en compte. Cette absence de bénéfice de
l’ajustement du traitement sur la réactivité plaquettaire est évidemment contreintuitive, ce d’autant qu’ARCTIC a tenté de cerner tous les paramètres, inhibiteurs
du P2Y12, aspirine, anti-GP IIb/IIIa, avant même l’implantation du stent et durant
la phase de maintenance.
Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer cet échec : risque
des patients, valeurs seuil choisies pour une réactivité élevée inadéquates, caractère
hétérogène de l’intervention en cas de mauvaise réponse (relèvement des doses ou
passage au prasugrel), absence d’impact de l’ajustement du traitement sur d’autres
facteurs pronostiques, en particulier l’adhérence au traitement. On peut opposer
à ces hypothèses les arguments suivants. ARCTIC a randomisé l’utilisation du test
de fonction plaquettaire et c’est la seule étude à l’avoir fait. Un tiers des patients
4 | La Lettre du Cardiologue • n° 460 - décembre 2012
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avaient un syndrome coronaire aigu, et la mortalité à 1 an était supérieure à 2 %. Enfin,
8 fois sur 10, les patients mauvais répondeurs ont été rechargés en clopidogrel et ont
bénéficié de l’administration intraveineuse d’un inhibiteur de la GP IIb/IIIa.
4. Gurbel PA, Erlinge D,
Ohman EM et al. Platelet function during extended prasugrel
and clopidogrel therapy for
patients with ACS treated
without revascularization: The
TRILOGY ACS Platelet function
substudy. JAMA 2012 Nov 4
(epub ahead of print).
5. Roe MT, Armstrong PW,
Fox KA et al. Prasugrel versus
clopidogrel for acute coronary
syndromes without revascularization. N Engl J Med
2012;367:1297-309.
6. Trenk D, Stone GW,
Gawaz M et al. A randomized
trial of prasugrel versus
clopidogrel in patients with
high platelet reactivity on
clopidogrel after elective
percutaneous coronary
intervention with implantation
of drug-eluting stents: Results
of the TRIGGER-PCI (Testing
Platelet Reactivity in Patients
Undergoing Elective Stent
Placement on Clopidogrel to
Guide Alternative Therapy
With Prasugrel) study. J Am
Coll Cardiol 2012;59:2159-64.
7. Roberts JD, Wells GA, Le May
MR et al. Point-of-care genetic
testing for personalisation of
antiplatelet treatment (RAPID
GENE): a prospective, randomised, proof-of-concept trial.
Lancet 2012;379:1705-11.
Que faut-il en retenir ? Que la réactivité plaquettaire sous traitement est un marqueur
intermédiaire pour les études de traitements antiplaquettaires. Ceci est d’ailleurs confirmé
par l’étude ancillaire pharmacodynamique de TRILOGY ACS (TaRgeted platelet
Inhibition to cLarify the Optimal strateGy to medicallY manage Acute Coronary
Syndromes) [4]. Elle démontre l’absence de lien indépendant entre la réactivité
plaquettaire et la survenue des événements ischémiques. Elle permet d’expliquer l’absence
de bénéfice de l’intensification du traitement antiplaquettaire par le prasugrel versus le
clopidogrel chez les patients traités médicalement (5).
Quel est l’avenir des tests de fonction plaquettaire ? Les recommandations sur leur
utilisation chez le patient allant bénéficier d’une angioplastie programmée ne bougeront
pas (grade IIb) et cela rassure de voir 3 études négatives (1, 3, 6). ARCTIC ne répond
cependant pas à la question de la pertinence des autres tests bedside et, en particulier,
à l’intérêt du VASP (Vasodilator-Stimulated Phosphoprotein) qui mesure spécifiquement
l’effet du médicament, ou à celui du génotypage rapide au lit, qui identifie la présence du
variant CYP 2C19*2 associé à la mauvaise réponse au clopidogrel (7). La combinaison de
ces tests dans le but d’en augmenter la valeur prédictive reste un enjeu scientifique et
médico-économique, en particulier à la phase aiguë de l’infarctus ou chez les sujets âgés,
2 situations à haut risque.
Personnaliser la médecine pour les antiplaquettaires oraux, c’est aussi regarder
autrement les patients qu’à travers leur histoire clinique, ce que l’on fait tous les jours.
Cela marche dans d’autres disciplines comme la cancérologie et cela reste une approche
séduisante pour le cardiologue. Les jeux ne sont pas encore faits. L’étude ANTARCTIC
(Assessment of a Normal versus Tailored dose of prasugrel After stenting in patients
aged > 75 Years to Reduce the Composite of bleeding, stent Thrombosis and Ischemic
Complications) [NCT01538446] s’intéresse au bénéfice clinique net, et en particulier à
l’intérêt d’une titration des thiénopyridines chez le sujet âgé pour en améliorer la sécurité
d’emploi.
”
La Lettre du Cardiologue • n° 460 - décembre 2012 | 5 181 mm (Onco Hémato - MHDN)
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