rêve inaccessible, exprimé avec nostalgie et sentiment d’impuissance. C’est ce qu’illustre synthétiquement le titre de la première pièce de Beckett, En attendant Godot : qui se consomme dans l’attente incertaine d’un personnage qu’on ne connaît pas, pas plus que les personnages eux-mêmes, semble-t-il. Cette paralysie de l’action se reflète aussi dans le départ de Clov : projet, refrain, qui reste éternellement en suspens, évoqué, mais jamais réalisé. ! Le théâtre révèle ainsi que le langage, creux, est désarticulé du réel. Il montre l’homme comme une créature faible, velléitaire, fondamentalement passive dans le monde, et incapable de changer par lui-même. L’homme est condamné à subir le changement : une déchéance physique, organique, exhibée sur scène. II. Pour une vue d’ensemble : le tragique humain, associé au jeu ! A première vue, le spectacle proposé par Fin de partie est choquant, pathologique, angoissant : quatre personnages enfermés, dans une déchéance physique presque totale, s’interpellent, se déchirent, s’accusent, et laissent libre expression à leur détresse intime et leurs peurs obsédantes. Reviennent, de façon lancinante, les thèmes sombres de la fin du monde, de la séparation, du départ, de la maladie et de la mort. Les sentiments qui affleurent sont des sentiments de rancœur mutuelle, de haine, les rapports familiaux qui unissent les personnages s’évaluent en termes de domination et d’asservissement. ! L’une des clés de la pièce, c’est qu’elle peut se concevoir, de l’avis même de l’auteur, comme une « partie d’échecs » métaphorique, transposée sur scène. D’une réplique à l’autre, chaque personnage tente de dominer son partenaire de jeu, qui est aussi, simultanément, son adversaire : en lui portant des « coups » successifs, parfois détournés et invisibles. La stratégie et le désir d’obtenir la suprématie à l’issue de la partie règnent de façon essentielle dans cette pièce, de même que la notion de « jeu ». Cruauté des relations humaines et illusion ludique, théâtrale, composent un mélange ambigu, souvent obscur et difficile à démêler, ce qui provoque le malaise du spectateur. III. Présentation des personnages ! ! ! ! Comme l’indique la métaphore de la partie d’échecs, les personnages sur scène ne peuvent se laisser appréhender que deux à deux, par « tandems » de joueurs. Ainsi, bien qu’ils se présentent comme une famille, on peut tour à tour les considérer comme des adversaires ou des partenaires d’une même équipe, mesurée à l’autre. Hamm, aveugle et paraplégique, est opposé autant qu’il est lié à Clov, son fils adoptif, qui ne rêve que de le quitter ou de le tuer. Le second couple est celui de Nell et Nagg, les parents de Hamm : tous deux sont culs-de-jatte, vivent dans des poubelles et sont au bord de l’existence. Ces duos/duels, révélant toute la violence animale tapie en profondeur dans les relations des individus, rappelle les deux couples d’En attendant Godot (Vladimir/Estragon, et les personnages intermittents de Pozzo et son esclave, Lucky). De mêmes accès de violence les séparent, en même temps qu’un lien immanent, invisible, semble les unir irrémédiablement. Mais Fin de partie rend les relations des personnages encore plus complexes et déroutantes, en proposant de représenter la famille sous le jour désenchanté de l’absurde. Car cette famille de malades, qui vivent en repli, en se présentant comme les survivants d’une prétendue apocalypse, survenue au dehors, représente tout l’inverse de la vie et de l’avenir. Hamm, aveugle, se distingue de ses parents par cette infirmité symbolique qui l’empêche de regarder devant lui, vers l’avenir. Son lien à son « fils adoptif » n’a rien d’un sentiment de paternité puisqu’il le rudoie à l’envi (on a pu rapprocher Hamm de hammer, marteau, en anglais, Clov évoquant assez facilement le mot « clou »). Ce lien menace incessamment de rompre : Clov, asservi, évoque à tout instant son désir de partir, condamnant ainsi tout avenir pour cette famille, toute possibilité de se perpétuer. MemoPage.com SA © / 2010 / Auteur : Joséphine Malara - Le théâtre de l’absurde contre les conventions ! Les pièces qui participent du théâtre de l’absurde sont caractérisées par un refus des conventions arbitraires du théâtre. ! Or, un exemple de choix parmi ces conventions, ce sont les divisions traditionnelles d’une pièce : en actes, scènes, tours de paroles… Ces divisions permettent normalement la mise en place d’un temps lui-même artificiel, le temps du théâtre. Ainsi, bien qu’ils se succèdent sur scène, le spectateur admet que les actes puissent être séparés plusieurs heures dans l’histoire. ! Cette artificialité du temps (temps de l’histoire ! temps du spectacle, de la représentation) est l’un des principes que les dramaturges de l’absurde battent en brèche : refus de la division en scènes, structure minimale de la pièce, en un ou deux actes, parfois ininterrompus. - Un théâtre qui ne propose pas de « drame » ! Un autre point fondamental que subvertissent les pièces du théâtre de l’absurde, c’est la définition antique du théâtre comme développement d’une action (drama, en grec) : de l’exposition de cette action à son dénouement, en passant par plusieurs développements que la séparation en actes permet de distinguer. ! Les pièces de Beckett, comme celles d’Ionesco, frappent en revanche le spectateur parce qu’elles ne montrent rien ; c’est précisément en cela qu’elles communiquent un sentiment oppressant d’absurdité. L’action est remplacée par des gestes, souvent répétitifs, dénués de sens, presque mécaniques : les personnages sur scène n’accomplissent rien, et se contentent, désœuvrés, d’exister sur scène. Cette existence se manifeste d’ailleurs de la façon la plus physique, triviale possible, en tombant volontiers dans le scatologique, le bestial. ! L’action existe, certes, mais en paroles, virtuellement : comme un I. Une pièce rebelle à tout résumé ? Action et personnages Fin de partie (3)