Les relations complexes qui unissent Hamm et Clov

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Séquence 4 : L’importance de la mise en scène chez Beckett
Objet d’étude : Le théâtre, texte et représentation.
602 – 604 Lecture analytique
Samuel Beckett, Fin de partie, 1957
Extrait : Pages 52 à 56, depuis, Hamm (avec élan). – Allons-nous en tous les deux……jusqu’à, pas de
home.
Introduction
Cet extrait de Fin de Partie, situé au milieu de la pièce, peut apparaître comme un point
culminant dans la révélation des relations qui unissent les deux personnages principaux. En effet, dans
ce passage est confirmée la volonté de Hamm d’en finir avec l’existence. Ce dernier attend de Clov
qu’il accepte de le tuer, Tu n’as qu’à nous achever (un temps.) Je te donne la combinaison du buffet si
tu jures de m’achever. Par ailleurs, le spectateur apprend pourquoi Clov n’est pas prêt à le faire. Ainsi
est mis en scène le lien tragique qui les voue à la haine et à la dépendance. Condamnés à attendre la
mort sans pouvoir agir, ils comblent le néant de leur condition en se faisant souffrir.
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Quelles relations complexes unissent Hamm et Clov ?
Comment est exprimé le tragique de chaque personnage, notamment dans le langage ?
En quoi cet extrait est-il prosaïque, poétique, dramatique et symbolique ?
Les relations complexes qui unissent Hamm et Clov
Les deux personnages de Beckett sont indissociables et ont besoin l’un de l’autre (aspect déjà
évoqué précédemment). Au début de l’extrait, ils semblent néanmoins vouloir construire un projet de
départ, Allons-nous en tous les deux, vers le sud ! Projet aussitôt nié, Seul, je m’embarquerai seul !, ce
qui est impossible pour Hamm qui ne peut marcher et reste sous la dépendance de Clov. Cette
impossibilité de vivre ensemble est ainsi soulignée par l’antithèse tous les deux/seul qui rappelle la
confrontation des deux personnages. On note, de même, l’absurdité du projet, vers le sud, puisque le
lieu même de l’action reste indéterminé. Quant à l’évocation du radeau, notons que cette métaphore
apparente leur existence à un naufrage.
Cette possibilité de fuir étant rapidement écartée, l’échange redevient alors plus « réaliste »
pour revenir au thème de la souffrance physique. Dans une stichomythie, hamm interroge Clov pour
lui faire comprendre que sa situation est meilleure que la sienne, Comment vont tes jambes ?/Mal/Mais
tu marches. Jouant ainsi sur l’implicite Hamm fait comprendre à Clov qu’il souffre vraiment et qu’il
devrait avoir pitié de lui. Il lui prédit alors qu’il sera un jour comme lui, sauf que toi tu n’auras
personne, parce que tu n’auras eu pitié de personne. Cette tirade de Hamm, au futur simple, sonne
ainsi comme une condamnation où apparaît le plaisir que prend Hamm à faire souffrir Clov, avec
volupté.
A la suite de cette tirade Prophétique, suit un échange de répliques où Hamm rappelle son
souhait d’en finir avec l’existence et essuie un nouveau refus de la part de Clov, Je ne pourrais pas
t’achever. L’échange se termine alors sur un faux-dialogue dans lequel le spectateur apprend que
Hamm a recueilli Clov quand il était petit et qu’il lui a servi de père, C’est moi qui t’ai servi de
père/Oui. Clov étant ainsi redevable à Hamm de sa situation, on comprend que ce dernier exerce un
chantage sur son compagnon pour qu’il accède à sa requête. Cependant, Clov ne peut s’y résoudre car
alors il perdrait tout.
Les relations qui unissent les deux personnages de Beckett sont complexes parce qu’ils se
détestent mais ont besoin l’un de l’autre. Ils sont ainsi voués à une situation tragique qui les conduit à
se haïr tout en continuant à jouer le jeu de l’existence.
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Séquence 4 : L’importance de la mise en scène chez Beckett
Objet d’étude : Le théâtre, texte et représentation.
602 – 604 Lecture analytique
Le tragique des personnages – Le rôle du langage
Le tragique évoque le destin implacable qui conduit l’homme à la souffrance et à la mort. La
pièce de Beckett évoque ainsi la déchéance physique de l’homme, la vieillesse qui ruine peu à peu son
corps et son esprit et la mort à laquelle il ne peut en fin de compte échapper. En cela, ces deux
personnages relèvent du registre tragique.
Cette situation tragique est alors accentuée par la souffrance et la solitude qui viennent
s’ajouter à l’impossibilité d’échapper à ce destin. Hamm veut fuir vers le sud mais il sait que cela est
impossible. Il tâche de faire souffrir Clov, mais ce dernier ne semble pas réagir suffisamment. Il
exprime enfin son désir de mourir, mais Clov lui refuse cette possibilité. Ainsi, dans tous les cas,
Hamm ne peut échapper à sa condition d’homme. On peut remarquer, sur ce point, la comparaison
initiale avec les mammifères qui assimile les hommes à des animaux, donnant de ce fait une vision
dégradée et tragique de la condition humaine.
La condition tragique des personnages est de même perceptible dans le lexique employé dans
la longue tirade de Hamm qui tyrannise Clov avec volupté, allant même jusqu’à lui subtiliser sa propre
possibilité de s’exprimer, en utilisant le je de Clov, Un jour tu te diras, Je suis fatigué…Nous trouvons
ainsi les termes, aveugle, perdu, vide, noir, fatigué, mur, mort, infini qui rendent compte, à la fois, de
la dimension pathétique et tragique de la situation et des personnages. Confrontés à la souffrance, au
néant et à la mort, il ne leur reste que le plaisir de se faire souffrir. Vision très négative et tragique de
la condition humaine que l’on peut résumer dans l’allégorie de la condition humaine qui clôt la tirade
de Hamm, L’infini du vide sera autour de toi, tous les morts de tous les temps ressuscités ne le
combleraient pas, tu y seras comme un petit gravier au milieu de la steppe, allégorie traduisant
l’immense solitude et l’immense faiblesse de l’homme face à sa condition.
Concernant le personnage de Clov, ce dernier exprime une servilité et une lassitude qui disent
qu’il a renoncé à sa propre liberté, Tu ne peux pas nous quitter / Alors je ne vous quitterai pas. Ecrasé
par la tyrannie de Hamm, ce dernier va même jusqu’à lui refuser et lui nier son propre avenir en lui
prédisant les pires malheurs, Tu seras assis quelque part, petit plein perdu dans le vide, pour toujours,
dans le noir.
Le langage et la communication qui représentent l’humanité, la possibilité de comprendre une
situation et sur lesquels repose le genre théâtral, sont ici remis en cause et participent à l’expression du
tragique des personnages. En effet, comme dans toute l’œuvre, le caractère mécanique et répétitif des
répliques, ici la stichomythie, et le rejet de l’illusion théâtrale, Même réplique, ainsi qu’un certain
nombre d’expressions tautologiques, S’il y en a il y en aura, Tu ne peux pas nous quitter/Alors je ne
vous quitterai pas, Je ne pourrais pas t’achever/Alors tu ne m’achèveras pas, donnent l’impression
d’un langage qui suit l’agonie des personnages en perdant sa fonction de communication. Dans ces
conditions, parler revient simplement à meubler le silence, à combler L’infini du vide. Les deux
personnages sont « condamnés » à échanger des paroles en attendant la mort.
Prosaïsme, poésie, drame et symbole
L’œuvre de Samuel Beckett mêle différentes tonalités qui correspondent à la valeur
universelle du discours qu’elles véhiculent sur la représentation du monde et de l’Homme. Le tragique
de la condition humaine repose en effet sur l’incapacité de l’Homme à apporter de
véritables réponses aux questions qu’il se pose. Ainsi, condamné à errer avec ses semblables et
à les supporter, enfermé dans son monde étrange, tous les aspects de son existence peuvent représenter
la dimension tragique de sa condition. En particulier, la représentation du malheur et la négation des
valeurs qui fondent habituellement sa condition, et lui donnent un sens, se trouvent niées dans la vision
pessimiste de Beckett qui fait de la vie humaine un spectacle dont l’absurdité et le comique dérisoire
révèlent paradoxalement le tragique, Rien n’est plus drôle que le malheur, affirme Nell au début de la
pièce.
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Séquence 4 : L’importance de la mise en scène chez Beckett
Objet d’étude : Le théâtre, texte et représentation.
602 – 604 Lecture analytique
Dans cet extrait, comme dans l’œuvre, l’aspect prosaïque est éminemment souligné et
important. Ce prosaïsme, c’est tout d’abord la déchéance physique des personnages, Comment vont tes
jambes ?/Mal, ainsi que le caractère dépouillé de la représentation qui semblent signifier une volonté
de réalisme, de mise à nu de la réalité humaine dans ses aspects les plus sordides. Le prosaïsme, c’est
également l’attente morbide de la mort et la présence mystérieuse d’une arme, Je te donne la
combinaison du buffet si tu jures de m’achever qui concrétise la volonté de Hamm et « l’enjeu » de la
pièce. Le prosaïsme, enfin, est constitué par cette relation de dépendance qui unit les deux
personnages, les condamnant à vivre ensemble. Tous ces éléments pouvant effectivement coïncider,
d’une certaine manière, avec la vie réelle.
Ensuite, nous pouvons noter l’aspect poétique du texte et de l’œuvre, en ce sens qu’elle ne vise
pas à une représentation du réel tel qu’on la trouve dans certaines formes de Théâtre. La mise en
scène, volontairement minimaliste, l’obscurité, l’impression d’enfermement, l’absence de temporalité
et la négation de l’espace situent l’action dans un lieu imaginaire et donc poétique. Lieu imaginaire
d’ailleurs évoqué dans l’extrait comme un espoir, une délivrance, un monde autre, vers le sud !, sur la
mer !, loin !. Sur ce point, la tirade de Hamm est également le lieu où les personnages « quittent la
représentation », pour l’espace de la pensée et de la projection dans le futur, Un jour tu seras aveugle.
Le recours à l’allégorie, pour représenter le malheur, permet également d’accorder aux personnages
cette dimension poétique qui fait qu’ils restent malgré tout des êtres humains. Enfin, on peut dire en
effet que le prosaïsme de l’extrait et sa poésie se rejoignent pour donner un spectacle qui va susciter un
regard nouveau sur l’Homme.
Dans un troisième temps, un drame est mis en scène dans cet extrait, qui consiste à confronter
deux personnages qui ne pourront jamais s’accorder mais qui demeurent inséparables, comme les
Hommes sont inséparables. Le drame est également contenu dans la confrontation entre l’avenir,
suggéré dans la première partie de l’extrait, Un jour tu te diras, et le passé, Tu te souviens te ton
arrivée ici. A nouveau, la négation du temps, présente dès l’ouverture de la pièce et dans toute
l’œuvre, agit pour nier la possibilité de toute action. Prisonnier de cette absence d’action, au présent,
qui, paradoxalement, constitue le drame mis en scène, les personnages acquièrent une symbolique qui
donne au théâtre de Beckett sa dimension philosophique. Toute la représentation devient alors une
allégorie qui réclame la lecture de ses symboles. Fin de Partie symbolise la condition humaine : les
Hommes, dont l’existence est essentiellement faite de souffrances sont condamnés à vivre ensembles,
à s’agiter et à bavarder, dans un monde énigmatique, en attendant la mort qui arrive avec certitude.
Conclusion
Dans cet extrait de Fin de partie, le spectateur apprend pourquoi Hamm et Clov sont liés.
Hamm souhaite que Clov l’achève, toutefois ce dernier s’y refuse, ne voulant pas se retrouver seul.
Hamm, quant à lui, signifie à Clov qu’il lui est redevable de l’avoir recueilli et de lui avoir servi de
père. Parce qu’ils ont besoin l’un de l’autre, les deux personnages sont ainsi prisonniers de leur
situation. Condamnés à se haïr, ils meublent ainsi leur existence de paroles qui constituent l’action ou
plutôt l’absence d’action. Cette négation du langage s’ajoute à la négation des personnages qui, par un
effet de miroir, viennent à se ressembler, Un jour tu seras aveugle, comme moi.
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