De la trachéotomie à la décanulation : quels sont les problèmes

publicité
Réanimation 16 (2007) 42–48
a v a i l a b l e a t w w w. s c i e n c e d i r e c t . c o m
j o u r n a l h o m e p a g e : h t t p : / / f r a n c e . e l s e v i e r. c o m / d i r e c t / R E A U R G /
MISE AU POINT
De la trachéotomie à la décanulation : quels sont
les problèmes dans une unité de sevrage ?
Tracheostomy to decannulation: what are problems
in a weaning unit?
G. Beduneaua,*, P. Bouchetembleb, A. Mullera
a
Service de réanimation médicale, Upres EA 3830, hôpital Charles-Nicolle, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen
cedex, France
b
Service d’otorhinolaryngologie et de chirurgie cervicofaciale, CHU de Rouen, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex,
France
Disponible sur internet le 23 janvier 2007
MOTS CLÉS
Trachéotomie ;
Décanulation ;
Ventilation mécanique
prolongée
Résumé Cette mise au point concerne la gestion quotidienne d’une trachéotomie, chez un
adulte ventilé depuis sa réalisation jusqu’à son retrait. Durant la période de ventilation mécanique, les problèmes liés à la trachéotomie sont secondaires à un changement de canule, à
une complication locale, ou à une mauvaise adaptation de la prothèse. La canule de trachéotomie doit être changée sur des critères ne relevant pas d’une attitude systématique. La
décanulation est une démarche qui associe le sevrage de la ventilation mécanique, l’évaluation et si nécessaire la prise en charge de la déglutition, de l’expectoration et de la parole.
La collaboration avec les spécialistes concernés s’impose en cas de difficulté avec entre
autre, une exploration des voies aériennes supérieures. Cette démarche s’appuie sur une
décroissance régulière du diamètre de la canule, qui est obstruée 24 à 72 heures avant le
retrait.
© 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous
droits réservés.
KEYWORDS
Tracheotomy;
Decannulation;
Prolonged mechanical
ventilation
Abstract The purpose of the present review is to discuss the daily practice of tracheostomy
management in mechanically ventilated patients from cannulation to decannulation. During
mechanical ventilation, tracheotomy difficulties are related to change in cannula or to local
complication. Rather than systematic, replacement of cannula should be considered individually according to oro-tracheal requirements. The décannulation process includes weaning of
mechanical ventilation, evaluation of swallowing, cough and speech. A multidisciplinary
approach, with an exploration of upper-airway, may be necessary in case of difficulties. For
this decannulation protocol, tracheostomy tube should be subsequently step by step downsized and obstructed for one to three days before removing cannula from trachea.
© 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous
droits réservés.
* Auteur
correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (G. Beduneau).
1624-0693/$ - see front matter © 2007 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.reaurg.2006.12.007
De la trachéotomie à la décanulation : quels sont les problèmes dans une unité de sevrage ?
Cette mise au point se focalise sur les difficultés de la
« gestion » au quotidien d’une trachéotomie d’un adulte ventilé jusqu’à son retrait [1]. Nous n’aborderons pas les questions de la modalité de l’abord trachéal, du débat pour ou
contre la trachéotomie, de la définition du moment optimal
de sa réalisation, ou encore du choix de la modalité technique [2,3]. De même, nous n’aborderons ni la ventilation
mécanique, ni le sevrage, du patient trachéotomisé [4,5].
Bien qu’il soit fréquent qu’un patient soit trachéotomisé
et ventilé dans un service de réanimation (11 % des
patients) [4], la littérature concernant cette situation est
peu fournie [6]. Plusieurs des attitudes que nous proposons
relèvent de l’expérience développée lors de l’activité quotidienne auprès des patients admis dans une unité spécifique de sevrage, telle que celle qui se trouve au sein du
service de réanimation médicale du CHU de Rouen, entre
autre pour la prise en charge de patients ayant développé
au cours de leur hospitalisation en réanimation une dépendance à la ventilation mécanique. Cependant, nous espérons ne pas être tombés dans le piège de la « vehementbased medicine », qui se distinguerait de « l’evidencebased medicine » par l’oubli de la confrontation des pratiques aux données scientifiques disponibles [6].
La canule de trachéotomie pendant
la ventilation mécanique
Durant la période de ventilation mécanique, les problèmes
relatifs à la trachéotomie sont essentiellement en rapport
avec un changement de canule ou une complication locale.
Changement(s) de canule
Le changement est le plus souvent simple. Cependant, pour
ne pas exposer le patient à des difficultés pouvant engager
le pronostic vital, il doit être réalisé en respectant certaines règles classiques de prudence (hyperextension de la
tête, écarteurs adaptés, matériel d’aspiration fonctionnels,
matériel d’intubation disponible, serrage du cordon tête
fléchie,…) et par des mains suffisamment expérimentées.
Une attention particulière doit être apportée au premier
changement, aux changements en cas de difficulté préalable, ou lorsqu’il est réalisé dans l’urgence. Pour les techniques chirurgicales le premier changement est classiquement conseillé à 48 heures et idéalement réalisé par le
chirurgien. Quand une technique percutanée a été utilisée,
le changement est réalisé entre sept et dix jours après la
trachéotomie. L’usage d’un guide ou d’un mandrin (souvent
fourni par l’industriel dans le kit comportant la canule)
pour cathétériser le trachéostome est une précaution utile.
Il n’existe pas, à notre connaissance, de recommandation concernant la fréquence de changement des canules
de trachéotomie, que ce soit en milieu hospitalier et plus
particulièrement de réanimation [7], ou dans le cadre
d’une trachéotomie définitive chez un patient ambulatoire.
Il ne paraît pas indispensable ni même utile de changer la
canule de façon systématique, nous réservons ce geste aux
situations l’imposant (canule ou ballonnet défectueux,
retrait accidentel,…) ou dans le cadre d’une modification
argumentée du type de canule (changement de diamètre
43
de la canule, de type de ballonnet ou de matériau composant la canule,…). En cas d’usage prolongé de la canule, il
n’est pas possible de fixer une durée maximale d’utilisation. En présence d’infection pulmonaire récurrente à germes avides de matière inerte tels que les bacilles Gram
négatif [8], un changement de canule est parfois proposé,
sans réelle donnée scientifique publiée. En pratique, au
sein de l’Unité de sevrage et de réhabilitation (USR) du service, nous avons arbitrairement choisi de ne pas dépasser
une durée maximale de deux mois, que la canule utilisée
dispose ou non d’une chambre interne. Les soins locaux
sont fondamentaux. L’orifice cutané est nettoyé tous les
jours afin d’éviter la stagnation périorificielle des sécrétions. Les soins apportés à la canule et particulièrement à
la chambre interne sont également quotidiens. L’aspiration
trachéale est pratiquée lorsque nécessaire avec le maximum d’asepsie, une sonde souple non traumatique, une
pression d’aspiration modérée, et une technique adaptée
pour éviter de traumatiser la muqueuse.
Complication(s) de la trachéotomie
Durant la ventilation mécanique, plusieurs types de complications locales peuvent survenir, se manifestant souvent
par des saignements ou des stigmates locaux d’infection
(inflammation, écoulement sale,…). Lorsque le symptôme
est inhabituel ou persistant, l’avis spécialisé d’un otorhinolaryngologiste (ORL) nous paraît indispensable pour son analyse et sa prise en charge. Dans le Tableau 1 sont présentées
les complications de la trachéotomie relevées dans l’étude
de Goldenberg et al. [9].
La malposition de la canule dans la trachée, parfois
appelée conflit trachéoprothétique, se manifeste par des
difficultés de ventilation mécanique avec des pressions
d’insufflation élevées ou une hypoventilation selon le
mode de ventilation utilisé. Ce conflit survient si l’extrémité distale de la canule ne se situe pas dans l’axe trachéal, et peut se localiser au niveau des murs antérieur ou
postérieur, ou bien au niveau du trachéostome. Ce problème peut bien sûr se rencontrer dès les premières heures
après la réalisation de la trachéotomie, mais aussi au
décours d’un changement de canule, d’un effort de toux
ou encore d’une mobilisation du patient. Un bilan endoscopique est indispensable, afin de préciser les rapports anatomiques puis d’apporter une correction en replaçant la
canule ou en choisissant le cas échéant une nouvelle canule
plus adaptée. Dans ce contexte, le cas particulier que
constitue la mise en évidence d’une trachéomalacie relève
Tableau 1 Complications de 1130 trachéotomies [9]
Complications
Sténose trachéale
Hémorragie
Fistule trachéocutanée
Infection
Pneumothorax
Décannulation/Obstruction de sonde
Emphysème sous-cutané
Fistule trachéo-œsophagienne
Nombre (%)
21 (1,85)
9 (0,87)
6 (0,53)
5 (0,44)
3 (0,26)
1 (0,08)
1 (0,08)
1 (0,08)
44
d’une prise en charge individualisée. La mise en place de
canule de plus gros diamètre et/ou plus longue peut être
proposée, avec le risque d’une dilatation croissante de la
trachée conduisant à la majoration régulière des tailles
des canules. Dans de rares cas de trachéobronchomalacie,
la mise en place de prothèse trachéale et/ou endobronchique peut être discutée [10].
Démarche de décanulation
Le succès de cette démarche implique à l’évidence un
sevrage de la ventilation mécanique. Elle doit être initiée
précocement, dès le retour à un niveau de vigilance satisfaisant et dès qu’il existe une autonomie ventilatoire partielle. Le patient entre alors dans une phase dynamique
durant laquelle la canule de trachéotomie va progressivement passer du stade de prothèse participant au maintien
d’une fonction vitale à celui d’un obstacle dans les voies
aériennes. Durant cette période de nombreuses étapes
vont être franchies, en s’appuyant sur une collaboration
entre les médecins (réanimateur, ORL, et aussi souvent
d’autres spécialistes pneumologue, neurologue, nutritionniste, psychiatre…) et le kinésithérapeute.
Début de la ventilation spontanée, reprise
de la parole
Le passage en ventilation spontanée sans assistance mécanique représente une étape majeure. Déterminer quand
réaliser la première tentative, chez un patient jusque-là
en échec de sevrage ventilatoire, repose sur un ensemble
variable de critères que nous n’aborderons pas. Lorsque le
clinicien estime le moment venu, une alternance de phase
de ventilation mécanique et de ventilation sans respirateur
est dans un premier temps progressivement mise en place.
Lors des phases de respiration sans machine, la canule
s’oppose à l’écoulement physiologique de « l’air », et
peut donc participer à un échec. Idéalement, afin de minimiser cette résistance, toute phase de ventilation sans
assistance mécanique via une trachéotomie se fait donc
avec un ballonnet dégonflé. Très récemment, Nava et al.
ont publié de très intéressantes données physiologiques en
faveur du dégonflage du ballonnet de la canule lors d’une
épreuve de ventilation spontanée [11].
En cas d’échec du passage en ventilation spontanée, et a
fortiori en présence d’une symptomatologie clinique orientant vers un obstacle des voies aériennes supérieures, une
exploration spécialisée s’impose depuis la sphère laryngée
jusqu’à la carène, afin d’éliminer un facteur étiologique
local (inflammation avec œdème, granulome, sténose,…)
[12]. Selon le résultat de cette exploration, un traitement
spécifique est proposé, s’appuyant sur les axes suivants :
contrôle d’une situation pro-inflammatoire (retrait de la
sonde nasogastrique (SNG), traitement antireflux), traitement anti-inflammatoire systémique, geste local (laser, chirurgical). En l’absence de facteur local d’échec, ou après le
contrôle de celui-ci, il faut réduire le diamètre de la canule
(y compris au prix de fuite modérée lors des phases de
reprises de la ventilation mécanique), et/ou choisir un
modèle à ballonnet plaqué, afin de réduire le caractère
obstructif de la prothèse endotrachéale [12].
G. Beduneau et al.
En ventilation spontanée la mise en place sur la canule
d’une valve dite phonatoire (en pratique : elle empêche
l’expiration via la canule et dirige le flux aérien vers les
voies naturelles) permet au patient de recouvrer la parole.
Il s’agit à nouveau d’une phase non dénuée de risque
d’échec, car ces valves imposent un travail respiratoire
discrètement majoré qui peut être excessif lors des situations où l’autonomie respiratoire est précaire [13]. Dans
cette situation, le recours aux options précédemment
décrites pour diminuer l’encombrement intratrachéal de
la canule est préconisé [12]. La mise en place d’une valve
phonatoire favorise également la toux en favorisant la formation physiologique d’une zone de surpression lors de
l’occlusion des cordes vocales [12]. De plus, la réafférentation progressive des muqueuses du carrefour aérodigestif
suite au passage du flux aérien par les voies naturelles
joue un rôle majeur dans la rééducation de la déglutition
[14,15].
Afin de faciliter le passage du flux aérien par les voies
naturelles, une canule fenêtrée est parfois recommandée
[12], avec changement de chambre interne selon les modalités ventilatoires en cours (chambre interne fenêtrée lors
des phases de ventilation spontanée, non fenêtrée en ventilation mécanique). Compte tenu d’une part de la fréquence des granulomes rencontrés avec ce type de canule
et des problèmes parfois majeurs qu’ils provoquent, et
d’autre part de la multiplication des manipulations qu’elles
induisent, nous avons renoncé totalement à l’usage de ces
canules depuis plusieurs années. Par ailleurs, certains
auteurs ont démontré, sur banc, l’effet positif sur le travail
respiratoire du retrait de la chambre interne [16]. Cette
attitude est contestable en pratique au vu des conséquences alors majorées d’éventuels bouchons, mais cela est une
illustration du facteur obstacle joué par la canule de trachéotomie.
En pratique, les moyens d’action sur l’écoulement du
flux aérien reposent donc sur le caractère gonflé ou non
du ballonnet, le diamètre de la canule utilisée, et l’ajout
d’une valve phonatoire. Il existe un choix important de
canule sur le marché, et il est très important d’être attentif
aux diamètres internes et totaux des canules, ainsi qu’à
« l’encombrement » du ballonnet lorsqu’il est dégonflé.
Modalités de l’oxygénation et de l’humidification
L’une des premières difficultés rencontrées lors du sevrage,
même partiel lors du nycthémère, de la ventilation mécanique est liée à la perte de l’humidification des voies
aériennes assurée auparavant par un filtre échangeur
d’humidité ou un humidificateur chauffant. Cette fonction
est pour autant capitale afin de lutter contre l’obstruction
de la canule en l’absence d’un tel procédé, lorsque la ventilation par les voies naturelles et l’humidification en
découlant n’est pas suffisante. Il n’existe, à notre connaissance, pas de recommandation pratique à ce sujet, tant du
point de vue de l’indication des différents systèmes que de
leur gestion quotidienne [7].
Plusieurs méthodes sont disponibles pour assurer cette
humidification [17]. Nous privilégions volontiers la mise en
place d’un filtre échangeur d’humidité à l’extrémité de la
canule, avec une très satisfaisante efficacité clinique en
termes de sécrétion et le plus souvent une excellente tolé-
De la trachéotomie à la décanulation : quels sont les problèmes dans une unité de sevrage ?
rance ventilatoire. Parfois ce dispositif est mal accepté par
les patients dont l’insuffisance respiratoire est particulièrement sévère ; la résistance induite par ce système peut être
en cause, mais nous avons vu qu’il existe d’autres déterminants sur lesquels agir en cas de difficulté à l’initiation
d’une respiration autonome sur une canule de trachéotomie. Des systèmes plus complexes assurent l’humidification
des voies aériennes, y compris en ventilation spontanée, à
partir d’un humidificateur chauffant. Nous n’avons pas
l’expérience de ce procédé.
L’oxygénation additionnelle, lorsqu’elle est nécessaire,
peut facilement être réalisée sur le raccord prévu à cet
effet sur le filtre, après avoir déterminé le débit adéquat.
A contrario, l’oxygénation et l’humidification assurées par
un masque cervical placé tant bien que mal en regard de
l’orifice de la canule sont souvent insuffisantes, source
potentielle d’une part de bouchons formés par des sécrétions
tant au niveau de la canule que des voies aériennes proximales et d’autre part d’un niveau d’oxygénation aléatoire.
Exploration de la capacité à expectorer
Parmi les éléments indispensables à une décanulation
sécurisée figure l’aptitude renouvelée du patient à drainer
efficacement son arbre bronchique. L’évaluation de cette
capacité repose en partie sur l’analyse clinique quotidienne, en particulier lors des séances de kinésithérapie
respiratoire, via l’expectoration de sécrétions en provenance de l’arbre bronchique. Il s’agit bien sûr d’une évaluation alors essentiellement subjective, qui peut être
corrélée à la fréquence et à l’abondance des aspirations
trachéobronchiques réalisées par les infirmier(e)s. De
nombreux outils ont été développés pour tenter de compléter par des résultats plus objectifs les données de
l’approche clinique, tels que l’analyse des pressions expiratoires maximales [18] ou une mesure plus simple basée
sur le débit expiratoire de pointe [19].
Exploration de la déglutition et reprise
de l’alimentation
La reprise de l’alimentation doit s’envisager dès que possible, y compris alors que la ventilation mécanique se
poursuit. L’analyse de la capacité à déglutir, le patient
étant placé dans de bonnes conditions (assis, drainage
bronchique réalisé, respiration calme,…), est réalisée au
lit en plusieurs étapes simples par la kinésithérapeute
(Tableau 2). La déglutition de différentes textures est
ensuite testée, en commençant par une structure pâteuse
et en finissant par les liquides lorsque aucune anomalie
n’est mise en évidence. En cas d’échec (absence de déglutition, fausses routes cliniques primaires ou à distance,
toux au décours de l’alimentation,…) une évaluation spécialisée est le plus souvent indiquée [14]. Elle repose dans
un premier temps, chez ces patients encore peu mobilisables et dépendants d’une assistance ventilatoire, sur une
évaluation des paires crâniennes avec un rôle dans la
déglutition (V, VI, IX, X, XI, XII), et des voies aérodigestives
supérieures. Cet examen est clinique mais aussi nasofibroscopique pour une analyse qualitative de la déglutition.
Si le test de déglutition est cliniquement rassurant et la
45
toux suffisamment efficace, la présence de rares fausses
routes n’est pas une contre-indication absolue à une
reprise de l’alimentation orale avec normalisation progressive des textures, voire ensuite à la décanulation. Il
faut demeurer très attentif lors des phases d’alimentation
et au décours, pour ne pas méconnaître des fausses routes
silencieuses ou inconstantes. Le ballonnet sera dégonflé
lors du repas si les modalités d’assistance ventilatoire en
cours le permettent. Si les critères de bonne déglutition
ne sont pas réunis, il ne nous paraît pas logique dans un
premier temps d’autoriser l’alimentation sous couvert
d’un ballonnet gonflé qui n’offre pas une protection parfaite des voies aériennes, et peut contribuer en soi à la
genèse des fausses routes par la gêne occasionnée à
l’élévation du larynx.
En cas d’échec initial de la déglutition, de nouveaux
tests simples doivent être régulièrement réalisés. Si
l’état de conscience et l’autonomie ventilatoire du
patient le permettent, des tests plus complexes apportant
des informations complémentaires à la nasofibroscopie
comme la vidéoradioscopie de la déglutition ou l’électromyographie pourront être discutés [14].
Dans le même temps, il convient de s’interroger sur la
voie d’abord de l’alimentation entérale, le plus souvent à
ce stade via une sonde nasogastrique. Son rôle proinflammatoire local est certain, et parfois participe grandement aux troubles de la déglutition observés [14].
Lorsque la durée prévisible d’alimentation via une sonde
s’avère prolongée (on propose classiquement une durée
au-delà de deux à trois mois) la réalisation d’un abord percutané abdominal de l’estomac ou de l’intestin, que ce
soit selon une technique endoscopique, radiologique ou
encore chirurgicale, paraît opportune.
Exploration des voies aérienne supérieures
Cette exploration est un point potentiellement majeur de
la démarche de décanulation. Elle peut être réalisée dans
le même temps que l’exploration de la déglutition ou de
manière plus systématique comme certains auteurs le
recommandent avant la décanulation [20]. Ce caractère
systématique peut-être contestable lorsque aucun symptôme clinique anormal n’est observé, mais cette approche
est indispensable en présence d’un signe d’alarme clinique
et/ou d’une difficulté notamment lors des phases de ventilation spontanée ou bien de déglutition. Il doit s’agir
d’un véritable examen spécialisé des voies aériennes supérieures, à la recherche d’un dysfonctionnement du larynx
et/ou des cordes vocales, d’une inflammation, d’un granulome, d’une sténose… [12]. Cette analyse doit déboucher
sur une thérapeutique adaptée, intégrant par exemple le
choix d’une prothèse d’abord trachéal de caractéristiques
différentes, le retrait de la sonde nasogastrique, un traitement systémique inflammatoire ou local perendoscopique, voire même chirurgical dans certains cas de sténose. Il arrive qu’une atteinte d’une ou plusieurs paires
crâniennes soit mise en évidence. Le bilan étiologique est
alors potentiellement très large, pouvant intégrer la
recherche d’une atteinte virale « neurotrope » (citons le
cytomégalovirus, virus d’Epstein-Barr, l’Herpes simplex
virus) ou d’une maladie de Lyme, une exploration neurolo-
46
G. Beduneau et al.
Tableau 2 Bilan clinique initial de déglutition du patient trachéotomisé (réalisé par la kinésithérapeute au lit du malade)
gique centrale étendue jusqu’aux noyaux des paires crâniennes, une tomodensitométrie cervicothoracique de la
base du crâne à la crosse de l’aorte en cas d’atteinte
récurrentielle.
Retrait de la canule de trachéotomie
La décision de retrait d’une canule de trachéotomie est
bien sûr fonction de la disparition de la cause ayant
conduit à sa mise en place. La multiplicité des étiologies
possibles responsable d’une ventilation mécanique prolongée expose volontiers dans la période initiale de sevrage
de la ventilation mécanique, au risque de fatigue musculaire, d’inadaptation transitoire des centres respiratoires,
ou de récidive de la détresse respiratoire [12]. Ceriana et
al. ont récemment publié leur arbre décisionnel [21]
(Fig. 1), véritable démarche de décanulation validée
auprès de 145 patients consécutifs. Notre pratique quotidienne, au sein de l’USR, s’en inspire fortement,
puisqu’elle associe le sevrage de la ventilation mécanique,
l’évaluation et si nécessaire la prise en charge de la déglutition et de l’expectoration, l’exploration au moindre
doute des voies aériennes supérieures depuis la bouche
jusqu’à la carène, et s’appuie sur une décroissance régu-
lière du diamètre de la canule. De plus, lorsque les différentes étapes décrites ont été franchies, nous avons
l’habitude de mettre en place pendant 24 à 72 heures un
bouchon obstruant la canule. Si sa mise en place est bien
tolérée sur le plan ventilatoire, et en l’absence de recours
à des aspirations endotrachéales, la canule est retirée.
Peu d’auteurs se sont intéressés aux conséquences physiologiques d’une décanulation. Après l’exploration de
neuf patients consécutifs porteurs d’une pathologie neuromusculaire, Chadda et al. [22] ont montré une augmentation d’au moins 30 % du travail respiratoire. Cette augmentation est, dans cette étude, secondaire à un
accroissement de l’espace mort, et conduit les auteurs à
proposer une particulière prudence dans un contexte
d’insuffisance respiratoire restrictive.
La fermeture du trachéostome est en règle aisée, et
effective en quelques heures à quelques jours. Dans de
rares cas, cette fermeture peut ne pas être complète, ou
la cicatrisation n’est pas satisfaisante. Ces deux situations
relèvent d’une prise en charge spécialisée ORL. Il nous
paraît prudent de conserver au décours de la décanulation
une surveillance en milieu de réanimation ou de soins
intensifs afin de pouvoir réaliser en cas de mauvaise tolérance un nouvel abord trachéal. Le plus souvent il est alors
aisé d’utiliser le même trajet de trachéotomie ; en cas
De la trachéotomie à la décanulation : quels sont les problèmes dans une unité de sevrage ?
Figure 1
47
Arbre décisionnel du sevrage de la trachéotomie [21].
d’impossibilité, une intubation orotrachéale peut s’avérer
nécessaire. Il n’est pas possible de proposer une durée
optimale de cette surveillance, qui se fera en fonction de
l’évolution et des structures existantes.
Se pose fréquemment la question d’un éventuel bilan à
distance, à la recherche de complication endotrachéale.
La plus redoutable de ces complications est la sténose
post-trachéotomie [23]. Elle doit être suspectée lorsque
le sujet, à distance de la décanulation, présente une dyspnée qui s’aggrave. Le bilan endoscopique s’impose donc
avant tout traitement en cas de symptomatologie atypique
respiratoire et/ou ORL au décours du sevrage de la canule.
Au vu des données les plus récentes de la littérature, qui
ne rapportent qu’une morbidité très réduite [24,25], une
évaluation systématique à distance est discutable.
[2]
[3]
[4]
[5]
[6]
[7]
[8]
Conclusion
La prise en charge quotidienne de la canule de trachéotomie d’un patient ventilé de façon mécanique repose donc
sur plusieurs règles simples, allant d’un recours raisonné
et non systématique aux changements de canule à une
démarche précise pour le retrait de la canule. Cette
prise en charge, sous la responsabilité du réanimateur,
est fréquemment multidisciplinaire. Se souvenir du caractère délétère, au-delà de l’aspect sécuritaire souvent
avancé, de la canule pour la respiration spontanée, la
déglutition ou encore la parole, constitue la pierre angulaire de toute attitude de décanulation.
[9]
[10]
[11]
[12]
Références
[13]
[1]
[14]
Epstein SK. Anatomy and physiology of tracheostomy. Respir
Care 2005;50:476–82.
Friedman Y. Percutaneous versus surgical tracheostomy: the
continuous saga. Crit Care Med 2006;34:2250–1.
L’Her E, Renault A. Les trachéotomies percutanées. Réanimation 2001;10:53–60.
Frutos-Vivar F, Esteban A, Apeztuguia C, Anzueto A, Nightingale P, Gonzalez M, et al. Outcome of mechanically ventilated patients who require a tracheostomy. Crit Care Med
2005;33:290–8.
Diehl JL, El Atrous S, Touchard D, Lemaire F, Brochard L.
Changes in the work of breathing induced by tracheotomy in
ventilator-dependent patients. Am J Respir Crit Care Med
1999;159:383–8.
Littlewood KE. Evidence-based management of tracheostomies in hospitalized patients. Respir Care 2005;50:516–8.
Lewarski JS. Long-term care of the patient with a tracheostomy. Respir Care 2005;50:534–7.
Thomas JG, Ramage G, Lopez-Ribot L. Biofilms and implant
infections. In: Ghannoum M, O’Toole GA, editors. Microbial
biofilms. Washington, DC: ASM Press; 2004. p. 269–93.
Goldenberg D, Ari EG, Golz A, Danino J, Netzer A, Joachims HZ. Tracheotomy complications: a retrospective
study of 1130 cases. Otolaryngol Head Neck Surg 2000;123:
495–500.
Noppen M, Stratakos G, Amjadi K, De Weerdt S, D’Haese J,
Meysman M, et al. Stenting allows weaning and extubation in
ventilator-or tracheostomy dependency secondary to benign
airway disease. Respir Med 2007;101(1):139–45.
Ceriana P, Carlucci A, Navalesi P, Prinianakis G, Fanfulla F,
Delmastro M, et al. Physiological responses during a T-piece
weaning with a deflated tube. Intensive Care Med 2006;32:
1399–403.
Christopher KL. Tracheostomy decannulation. Respir Care
2005;50:538–41.
Hess DR. Facilitating speech in the patient with a tracheostomy. Respir Care 2005;50:519–25.
Robert D. Les troubles de la déglutition postintubation et
trachéotomie. Réanimation 2004;13:417–30.
48
[15] De Vita MA, Spierer-Rundback L. Swallowing disorders in
patients with prolonged oro-tracheal intubation or tracheostomy tubes. Crit Care Med 1990;18:1328–30.
[16] Cowan T, Op’t Holt TB, Gegenheimer C, Izenberg S, Kulkarni
P. Effect of inner cannula removal on the work of breathing
imposed by tracheostomy tubes: a bench study. Respir Care
2001;46:460–5.
[17] Thomachot L, Viviand X, Arnaud S, Vialet R, Albanese J, Martin C. Preservation of humidity and heat of respiratory gases
in spontaneously breathing, tracheostomized patients. Acta
Anaesthesiol Scand 1998;42:841–4.
[18] Vitacca M, Paneroni M, Bianchi L, Clini E, Vianello A, Ceriana
P, et al. Maximal inspiratory and expiratory pressure measurement in tracheotomised patients. Eur Respir J 2006;27:
343–9.
[19] Bach JR, Saporito LR. Criteria for extubation and tracheostomy tube removal for patients with ventilatory failure.
Chest 1996;110:1566–71.
[20] Lee TS, Wu Y. Bedside fiberoptic bronchoscopy for tracheostomy decannulation. Respir Med 1995;89:571–5.
G. Beduneau et al.
[21] Ceriana P, Carlucci A, Navalesi P, Rampulla C, Delmastro M,
Piaggi G, et al. Weaning from tracheotomy in long-term
mechanically ventilated patients: feasibility of a decisional
flowchart and clinical outcome. Intensive Care Med 2003;
29:845–8.
[22] Chadda K, Louis B, Benaïssa L, Annane D, Gajdos P,
Raphaël JC, et al. Physiological effects of decannulation in
tracheostomized patients. Intensive Care Med 2002;28:
1761–7.
[23] Laccourreye L, Dubin J. Trachéotomie. Encycl. Med. Chir.
— Techniques chirurgicales — Tête et cou, Elsevier Éditeur,
Paris. 2001:46–430.
[24] Kost KM. Endoscopic percutaneous dilatational tracheotomy:
a prospective evaluation of 500 consecutive cases. Laryngoscope 2005;115:1–30.
[25] Silvester W, Goldsmith D, Uchino S, Bellomo R, Knight S, Seevanayagam S, et al. Percutaneaous versus surgical tracheostomy: a randomized controlled study with long-term followup. Crit Care Med 2006;34:2145–52.
Téléchargement