Trachéotomie percutanée : antérograde versus rétrograde

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QUESTION POUR UN CHAMPION EN REANIMA
TION
TRACHEOTOMIE PERCUTANEE:
ANTEROGRADE VERSUS RETROGRADE
E. Racy, service d’ORL et chirurgie cervico-faciale. Hôpital Lariboisière, 2, rue
Ambroise Paré, 75475 Paris cedex 10.
INTRODUCTION
L’étude des complications laryngo-trachéales de l’intubation prolongée et de la
trachéotomie en milieu de réanimation est largement publiée dans la littérature [1].
Toutefois l’absence d’étude prospective avec un suivi suffisant par endoscopie
laryngo-trachéale rend difficile l’appréciation exacte de l’évolution récente de ces
complications.
L’amélioration du nursing, la bonne gestion des ballonnets basse-pression, la
standardisation des techniques de trachéotomie chirurgicale semblent avoir participé à
une diminution de l’incidence de ces complications dans les quinze dernières années [2].
Toutefois l’analyse de la responsabilité de la trachéotomie reste complexe
en raison de deux points :
1-Il s’agit d’un geste qui ajoute un traumatisme supplémentaire aux lésions trachéales
de l’intubation mais il est difficile de répartir les responsabilités de chacun.
2-Bien que la précocité de la trachéotomie soit reconnue comme un élément favorable,
c’est souvent devant l’évolution d’un patient qu’on pensait pouvoir sevrer de la
ventilation qu’on pose l’indication de trachéotomie, dépassant les délais recommandés par les conférences de consensus.
Ainsi, sur la base de la volonté d’un geste moins traumatisant, moins «chirurgical»,
réalisé en milieu de réanimation et par le réanimateur lui-même, différentes équipes ont
développé des techniques utilisant un matériel spécifique de trachéotomie percutanée
dont ils ont fait la promotion à l’aide de publications scientifiques.
1. TECHNIQUESACTUELLES
Trois techniques de trachéotomies percutanées sont actuellement disponibles pour .
réaliser un geste au lit du patient en milieu de réanimation.
Deux sont des techniques percutanées dites antérogrades (c’est-à-dire passage de la
canule à travers la peau en direction de la trachée) :
1-La technique de Ciaglia (kit Cook®) décrite en 1985 [3] utilisant des dilatateurs de
taille progressivement croissante sur un seldinger.
2-La technique de Griggs (kit Portex®) décrite en 1990 [4] utilisant une pince guidée
par un seldinger pour disséquer entre les anneaux trachéaux.
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A ces deux techniques s’oppose une méthode originale décrite par Fantoni et
Ripamonti en 1997 [5] (kit Mallinckrodt®), dite rétrograde, ou la canule est introduite
à l’envers par la bouche puis à travers le larynx et la paroi trachéale sur un seldinger,
réalisant un passage de dedans en dehors.
2 . MAIS POURQUOI RENONCER AUX TRACHEOTOMIES CHIRURGICALES-?En dehors des arguments de confort, de coût, d’esthétique de la cicatrice, la métaanalyse de Dulguerov et al. [2] a récemment tenté de comparer l’incidence des
complications peri-opératoires et postopératoires des techniques chirurgicales classiques et des techniques percutanées antérogrades.
Les résultats montrent une incidence statistiquement plus importante des complications péri-opératoires par les techniques percutanées (p < 0,00001 pour les complications
dites intermédiaires (désaturation, lésion de la paroi postérieure trachéale, mauvais
placement de la canule) et mineurs (hémorragie, difficulté technique de positionnement du tube, fausse route, emphysème sous-cutané).
En période postopératoire, l’incidence des complications par trachéotomie
percutanée semble moindre au sujet des hémorragies tardives, des infections cervicales
mais supérieure au sujet des sténoses trachéales !
Malgré les limites que l’on peut mettre aux conclusions de cette méta-analyse par la
grande hétérogénéité des articles étudiés, ces résultats mettent manifestement un frein
aux arguments promotionnels des auteurs princeps de ces techniques.
Il ne faut pas banaliser la trachéotomie percutanée. Il s’agit d’un geste chirurgical
«aveugle» nécessitant au moins autant de rigueur qu’un geste chirurgical «ouvert» et
nécessitant la capacité de pouvoir convertir un échec en trachéotomie chirurgicale au lit
du patient.
3 . EXPERIENCES DE BICETRE
Malgré ces réserves, l’expérience commune (ORL et réanimateurs) que nous avons
développés au sein du département d’anesthésie-réanimation de l’hôpital de Bicêtre
nous a permis de définir ce que nous croyons être les limites et avantages de ces
techniques et les avantages et inconvénients respectifs de chaque méthode.
Les résultats préliminaires d’une étude prospective randomisée réalisés dans le
service et comparant la technique antérograde type Griggs (n = 8) et la technique rétrograde type Fantoni (n = 8) ne nous permettent aucune comparaison statistique à cette
date mais a profondément modifié nos guidelines [6].
Nous avions initialement décidé de ne pas sélectionner nos patients et d’inclure
successivement tous les patients dont l’indication de trachéotomie se posait quelle que
soit les caractéristiques anatomiques des patients, afin d’éviter les biais de sélection.
Les difficultés techniques chez les patients au cou court ou épais ne permettant pas
la palpation claire des repères anatomiques (cricoïde) ou ne laissant pas de distance
entre le bord inférieur du cricoïde et de la fourchette sternale sont à notre avis une
contre-indication aux techniques percutanées quelles qu’elles soient. L’avantage de la
voie chirurgicale s’impose par la nécessité d’identifier les structures anatomiques afin
de localiser au mieux l’orifice trachéal.
La qualité de la ponction initiale nous semble fondamental pour les trois techniques
percutanées.
Outre les considérations anatomiques externes, le contrôle endoscopique, décrit pour
la première fois par Paul et al. [7] et étudié prospectivement par Winkler et al. [8] pour
les techniques antérogrades et inhérent à la technique rétrograde décrite par Fantoni et
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Ripamonti [5] est fondamental pour contrôler le niveau de ponction (plus bas que le 2e
anneau trachéal) et le caractère médian de la ponction .
Les techniques antérogrades ont l’avantage principal de leur apprentissage rapide et
de leur facilité technique indéniable [9], mais posent le problème des lésions trachéales
antérieures par impaction des anneaux lors du mouvement de dilatation (100 % des cas
dans notre étude pour la technique type Griggs (n = 8) [6], 27 % des cas dans l’étude de
Walz et Schmidt (n = 44) [10]. A noter que le recul moyen est de 15 jours dans notre
étude [6], 10,5 jours dans l’étude Walz et Schmidt [10], ceci ne préjugeant pas de
l’incidence éventuelle de sténoses laryngo-trachéales nécessitant une surveillance plus
prolongée des patients [1].
L’avantage de la technique rétrograde réside principalement dans la cinétique de
perforation de la paroi trachéale qui est éversée par le passage de la pointe crayon de la
canule de l’intérieur de la trachée vers la peau. Cet avantage théorique semble se confirmer sur l’aspect fibroscopique trachéal à J7 et J15 postopératoire dans les
résultats préliminaires de notre étude (n = 8) [6] sans que l’on ait pu trouver de données
équivalentes dans la littérature.
Par contre la difficulté technique est réelle, en particulier le geste de retournement de
la canule. De plus, cette technique nécessite de ré-intuber le patient avec une petite sonde
de ventilation distale au point de ponction trachéale pour permettre à la canule de passer à
travers le larynx, geste qui n’est pas nécessaire pour les techniques antéro-grades.
Le choix entre les différentes techniques de trachéotomie percutanée ne peut être
actuellement étayé par des études prospectives comparatives et chaque équipe semble
défendre la méthode qu’il a choisie, qu’il la compare ou non aux méthodes chirurgicales standardisées [11, 12, 13, 14].
Il nous paraît particulièrement important de réaliser la découverte des différentes
techniques par l’intermédiaire d’une coopération active entre ORL et réanimateur. La
confrontation des différents avis sur les trois techniques doit permettre de faire son
choix après plusieurs procédures afin de ne pas céder aux premiers échecs ou difficultés inhérents à la courbe d’apprentissage.
Nous réserverons ces méthodes pour des patients sélectionnés répondant aux
critères suivants :
• Patient sans antécédent chirurgical laryngo-trachéal.
• Morphologie cervicale compatible avec un bon confort de ponction (bord inférieur
du cricoïde à au moins 3 cm de la fourchette sternale).
• Accès facile de l’airway.
• Etat ventilatoire stable.
• Intubation < 10 jours et/ou état local trachéal satisfaisant (absence de nécrose trachéale circulaire ou de granulome au point de ponction).
CONCLUSION
En marge des débats qui animent les différents auteurs sur la suprématie d’une
technique par rapports aux autres, Hazard [15] a récemment tenté de remettre à jour les
interrogations princeps liées aux nouvelles méthodes de trachéotomie : Aucune étude
multicentrique, prospective et randomisée n’a démontré une plus
faible morbidité (en particulier au sujet des sténoses laryngo-trachéales) de ces
techniques par rapport aux techniques chirurgicales.
Si tel était le cas devrait-t-on proposer systématiquement et précocement ce geste
aux patients bénéficiant d’une ventilation assistée en milieu de réanimation ?
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REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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