D O S S I E R T H É M A T I Q U E Traitement chirurgical de l’ulcère gastroduodénal compliqué ● Y. Panis, A. Laurent* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S ■ Une hémorragie digestive massive d’origine ulcéreuse sans possibilité de traitement endoscopique est une indication opératoire formelle. ■ En cas de récidive hémorragique, après asuccès passager d’un premier traitement endoscopique, un second traitement enodoscopique peut être réalisé mais le taux d’échec est élevé et motive une intervention dans un cas sur deux. ■ En cas d’intervention pour ulcère bulbaire hémorragique, le meilleur traitement chirurgical est la vagotomie tronculaire associée à une antrectomie. ■ En cas d’intervention pour ulcère gastrique hémorragique, une résection atypique enlevant l’ulcère est préférable à une gastrectomie élective. ■ La méthode de Taylor n’est indiquée que dans 10 % des perforations ulcéreuses (malade à jeun au moment de la perforation, pas de syndrome péritonéal, maladie ulcéreuse récente, pas de corticothérapie au long cours). ■ La suture ou le patch associé au lavage péritonéal et à l’antibiothérapie peuvent être faits par voie endoscopique. ■ La sténose ulcéreuse nécessite le plus souvent une vagotomie tronculaire associée à une antrectomie. ■ En cas de maladie ulcéreuse associée à une infection à H. pylori, le traitement d’éradication s’impose après traitement chirurgical de la complication. A ujourd’hui, le traitement chirurgical de l’ulcère gastroduodénal est réservé aux seules formes compliquées. Ainsi, grâce à l’arrivée des antisécrétoires type cimétidine, ou surtout plus récemment des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) et des traitements antibiotiques à visée d’éradication de Helicobacter pylori (Hp), la chirurgie antiulcé- reuse élective a presque complètement disparu, notamment les vagotomies hypersélectives. Les complications de l’ulcère gastroduodénal comprennent les hémorragies, qui encore aujourd’hui sont source d’une mortalité significative, les perforations, et enfin, beaucoup plus rarement, les sténoses séquellaires. HÉMORRAGIES ULCÉREUSES L’hémorragie ulcéreuse reste encore aujourd’hui une complication redoutable de l’ulcère gastroduodénal. Elle justifie, dès son diagnostic suspecté cliniquement, l’admission du patient en réanimation chirurgicale, la réalisation d’une endoscopie diagnostique et de plus en plus souvent maintenant thérapeutique, et la surveillance “armée”, afin de ne pas laisser passer l’heure de la chirurgie. Aujourd’hui, cette chirurgie d’urgence est rarement nécessaire, en raison : – d’une meilleure connaissance de l’histoire naturelle de l’hémorragie ulcéreuse (en fonction des données endoscopiques initiales) et de son évolution spontanément favorable, avec arrêt de l’hémorragie, sans recours à la chirurgie dans la grande majorité des cas (1) ; – des progrès des traitements endoscopiques qui ont permis de “reculer” encore l’indication de la chirurgie. L’indication opératoire Elle est représentée schématiquement par trois situations principales : • Tout d’abord l’hémorragie digestive haute d’emblée massive, avec retentissement hémodynamique et pour laquelle l’endoscopie confirme le siège et la nature ulcéreuse de l’hémorragie (le plus souvent à la face postérieure du bulbe duodénal, devant l’artère gastroduodénale), son caractère actif, et l’impossibilité d’un traitement endoscopique efficace. Il s’agit du cas le plus facile car l’indication est évidente, et le patient est conduit très rapidement, après une courte réanimation, au bloc opératoire. • L’autre situation est plus difficile car il s’agit d’une hémorragie * Service de chirurgie digestive, hôpital Lariboisière, Paris. 30 La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - vol. III - février 2000 à l’origine peu abondante, ou sans retentissement hémodynamique majeur, et pour laquelle une surveillance initiale est programmée après traitement endoscopique de l’ulcère. L’indication opératoire est posée devant la récidive hémorragique, qui, si elle survient de manière abondante, impose une nouvelle endoscopie avec nouvelle tentative de traitement endoscopique. En cas d’impossibilité de réalisation de cette endoscopie ou de geste ne contrôlant pas l’hémorragie, l’indication opératoire est formelle. • Enfin, et c’est le cas probablement le plus difficile, il faut discuter la chirurgie après échec de deux traitements endoscopiques, en cas de déglobulisation non massive, mais progressive et continue, le retard à la chirurgie augmentant alors de manière importante la mortalité opératoire, comme cela a été démontré par une étude contrôlée comparant la chirurgie d’emblée (avec peu de critères de sélection) à une chirurgie retardée en fonction de critères plus sélectifs (signes manifestes d’hémorragie active ou récidivante) : la mortalité passait de 4 à 10 % en cas de chirurgie retardée (2). Cette étude ancienne a néanmoins le défaut d’avoir été faite à une époque où le geste thérapeutique endoscopique était peu développé. Une étude contrôlée récente a précisé la place respective de la chirurgie et du deuxième geste endoscopique pour récidive hémorragique (3). Il ressort de cette étude contrôlée que chez la plupart des patients, une deuxième tentative endoscopique est licite, sans mortalité ni morbidité surajoutée. La mortalité globale était de 14 % sans différence significative entre chirurgie et deuxième endoscopie. En revanche, ce deuxième geste endoscopique, qui avait un taux d’échec global de 24 %, était inefficace, nécessitant la chirurgie chez 50 % des patients avec ulcère supérieur à 2 cm, et chez 43 % des patients avec choc hémorragique associé, deux situations ressorties d’une analyse multivariée comme facteur indépendant d’échec de cette deuxième endoscopie, qui pousseraient alors à choisir dans ces cas, en première intention, la chirurgie, après échec d’un premier geste endoscopique. dication dépend alors du siège de l’ulcère, la meilleure solution étant néanmoins d’éviter une gastrectomie étendue non justifiée. Si c’est possible, il est donc préférable de faire une petite résection atypique enlevant simplement l’ulcère, afin d’avoir un examen anatomopathologique, qui pourra retrouver un adénocarcinome dans 10 % des cas, justifiant alors une gastrectomie complémentaire à distance. LES PERFORATIONS ULCÉREUSES Il s’agit dans l’immense majorité des cas d’une perforation antérieure, dans la région pylorique ou du bulbe duodénal. Sa gravité est liée à la péritonite qui en est la conséquence. Néanmoins, du fait des progrès de la réanimation chirurgicale, la mortalité est faible et touche essentiellement les terrains débilités, les sujets très âgés, ou bien sûr les retards au diagnostic et au traitement. Des études ont montré la forte prévalence de la prise d’AINS (jusqu’à 50 % environ) chez les patients présentant une perforation ulcéreuse. Le geste chirurgical Si l’heure de la chirurgie est souvent discutée, il semble actuellement bien démontré, principalement par une étude contrôlée française, que le meilleur traitement chirurgical de l’ulcère duodénal hémorragique est représenté par la vagotomie tronculaireantrectomie enlevant l’ulcère, suivie d’une anastomose gastrojéjunale type Finsterer (4). L’alternative est représentée par la simple suture-excision de l’ulcère, avec vagotomie-pyloroplastie qui exposait dans cette étude à un risque significativement plus élevé de récidive hémorragique (17 % versus 3 % après antrectomie). Si la vagotomie-antrectomie peut être jugée par certains, à l’heure des IPP, comme un geste trop agressif, il faut bien avoir à l’esprit qu’il s’agit d’une urgence vitale, associée à une mortalité allant jusqu’à 23 % dans des séries chirurgicales récentes (4), pour laquelle il faut se mettre au mieux à l’abri d’une récidive hémorragique, un geste chirurgical plus limité ne diminuant pas cette mortalité opératoire. Plus rarement, l’hémorragie est due à un ulcère gastrique. L’in- Le traitement conservateur, ou méthode de Taylor Dans la grande majorité des cas, le traitement est chirurgical. Néanmoins, un petit pourcentage de patients est une bonne indication à un traitement conservateur (ou “méthode de Taylor”). Pour la plupart de ces patients, il s’agit d’être : – à jeun au moment de la perforation ; – apyrétiques, sans signes d’irritation péritonéale à l’examen clinique ; – avec une maladie ulcéreuse récente, et sans corticothérapie au long cours. Chez ces patients sélectionnés, une surveillance stricte en milieu chirurgical, avec sonde d’aspiration gastrique, perfusion intraveineuse et IPP à fortes doses (avec ou sans antibiothérapie en fonction des équipes), est licite. Une étude contrôlée (5) comparant cette méthode à la chirurgie a montré que la mortalité était similaire dans les deux groupes (5 %), avec une morbidité égale. La seule différence était une durée d’hospitalisation plus longue en cas de traitement médical (35 % de plus). De plus, le taux d’échec du traitement médical (28 % au total) était significativement plus élevé chez les sujets âgés de plus de 70 ans. Pour certains auteurs, plus de 80 % des patients peuvent être traités initialement médicalement, mais avec un taux de chirurgie secondaire assez élevé (43 %). Actuellement, la plupart des équipes considèrent en fait que la méthode de Taylor doit être réservée à des cas très sélectionnés, plus de 90 % des patients devant être opérés en urgence. Ce choix pour la chirurgie a deux justifications principales : – grâce à l’efficacité des IPP, le traitement chirurgical aura comme fonction essentielle de laver la cavité péritonéale et de suturer l’ulcère, sans y associer de geste potentiellement morbide, à type La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - vol. III - février 2000 31 D O S S I E R T de vagotomie ; – la chirurgie, de faible morbidité et mortalité, évite une surveillance hospitalière longue. Le traitement chirurgical La voie d’abord est fonction des habitudes du chirurgien. Par laparotomie, et si le diagnostic est fortement suspecté, une médiane sus-ombilicale est la règle. Mais l’ulcère perforé est probablement une bonne indication de la cœlioscopie du fait de la facilité relative des gestes à réaliser (lavage péritonéal, suture ou patch). Une étude randomisée (6) comparant l’approche cœlioscopique et par laparotomie a démontré l’absence de différence en termes de morbidité et mortalité (3 % au total). Le plus souvent, il s’agit d’une perforation antérieure au niveau du bulbe duodénal, ou dans la région immédiatement prépylorique. Le traitement va être le même : – un lavage abondant de la cavité péritonéale (associé à une antibiothérapie périopératoire) ; – une suture simple de l’ulcère, que certains remplacent par la pose d’un patch d’épiploon sur la perforation, ou de colle, avec des résultats équivalents (6). S’il s’agit d’un ulcère gastrique, une suture simple est suffisante, mais auparavant, il est nécessaire d’en réaliser une excision complète par une gastrectomie atypique, afin d’en avoir un examen anatomopathologique. Depuis l’arrivée des IPP et des traitements anti-Hp, la place des traitements chirurgicaux de l’ulcère (vagotomie tronculaire ou hypersélective, vagotomie-antrectomie) s’est considérablement réduite. Aujourd’hui, la plupart des auteurs s’accordent à penser que le principal est de traiter la perforation (par suture simple) et ses conséquences péritonéales (lavage-antibiothérapie), la maladie ulcéreuse étant alors efficacement traitée dans la période postopératoire par IPP et antibiotiques à visée d’éradication d’Hp si l’infection à Hp est confirmée. Un geste associé à type de vagotomie exposerait le patient à un risque non négligeable de complications (diarrhée, dumping syndrome, etc.), probablement inutile du fait de l’efficacité actuelle du traitement médical. LA STÉNOSE ULCÉREUSE Il s’agit d’une complication devenue aujourd’hui rare, grâce à l’efficacité croissante des différentes générations d’antiulcéreux. La sténose ulcéreuse est souvent l’aboutissement d’une longue histoire, le plus souvent négligée, l’affection étant la plupart du temps découverte à un stade où toute tentative de traitement médical est vouée à l’échec. Néanmoins, il faut garder à l’esprit qu’une sténose duodénale complète d’origine ulcéreuse peut avoir une composante inflam- 32 H É M A T I Q U E matoire importante qui répondrait à un traitement médical intensif. Dans ces cas-là, l’habitude est de proposer systématiquement ce traitement et de poser l’indication chirurgicale seulement après échec du traitement médical. En fait, on observe souvent au début, une amélioration spectaculaire des symptômes grâce au traitement médical, par guérison de la composante inflammatoire, mais la récidive à court terme est alors très fréquente (au moins 75 % des patients) par persistance de la composante fibreuse définitive de la sténose duodénale. Certains proposent des dilatations endoscopiques de ces sténoses duodénales résiduelles dont l’efficacité à court terme est bonne, mais dont le résultat à long terme est mal connu, 70 % des patients étant asymptomatiques après un suivi moyen de 2,5 ans (7). C’est la raison pour laquelle la grande majorité des patients sont opérés (8). L’objectif du traitement chirurgical est principalement de lever l’obstacle duodénal. La solution la plus simple et la plus radicale est de réaliser une duodéno-antrectomie enlevant la sténose, avec vagotomie tronculaire, suivie d’une anastomose gastro-jéjunale (type Finsterer). Plus rarement, et surtout en cas de sténose courte, certains ont proposé de réaliser une simple plastie de la sténose (comme une pyloroplastie) associée à une vagotomie tronculaire. Enfin, d’autres prennent l’option de laisser en place la sténose et de faire une simple gastro-jéjunostomie de dérivation avec vagotomie tronculaire. Nous pensons que cette intervention n’apporte aucun avantage par rapport à la résection de la sténose, voire même qu’elle donne un moins bon résultat fonctionnel (en termes de vidange gastrique) par rapport au Finsterer. CONCLUSION Le traitement chirurgical des complications de l’ulcère gastroduodénal s’adresse aujourd’hui à une faible proportion de patients. Néanmoins, la rareté des indications ne doit pas faire passer l’heure de la chirurgie, notamment en cas d’hémorragie digestive dont le risque vital est une réalité, malgré les progrès de la réanimation chirurgicale. La chirurgie doit éviter tout risque de récidive hémorragique qui serait catastrophique et repose sur la vagotomie tronculaire avec antrectomie. En revanche, en cas de perforation ulcéreuse, de bon pronostic la plupart du temps, si la chirurgie est habituellement indiquée en urgence afin de prévenir les conséquences d’une éventuelle péritonite, un geste a minima, comme la suture simple, doit être préféré aux vagotomies inutiles, voire néfastes du fait de l’efficacité actuelle des traitements médicamenteux antiulcéreux. Enfin, la rare sténose ulcéreuse nécessite, elle aussi, souvent un traitement radical représenté plus par la vagotomie tronculaire avec antrectomie que par la simple gastro-jéjunostomie avec vagotomie qui exposerait pour la plupart des auteurs à davantage de troubles de la vidange gastrique. ■ La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - vol. III - février 2000 Mots clés : Ulcère gastrodudoénal – Perforation – Hémorragie – Sténose. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Laine L., Peterson W.L. Bleeding peptic ulcer. N Engl J Med 1994 ; 331 : 71727. 2. Morris D.L., Hawker P.C., Brearley S. et coll. Optimal timing of operation for bleeding peptic ulcer : prospective randomized trial. BMJ 1984 ; 288 : 1277-80. 3. Lau J.Y.W., Sung J.J.Y., Lam Y. et coll. Endoscopic retreatment compared with Le prochain dossier thématique... surgery in patients with recurrent bleeding after initial endoscopic control of bleeding ulcers. N Engl J Med 1999 ; 340 : 751-6. 4. Millat B., Hay J.M., Valleur P. et coll. Emergency surgical treatment for bleeding duodenal ulcer : oversewing plus vagotomy versus gastric resection, a controlled randomized trial. World J Surg 1993 ; 17 : 568-74. 5. Crofts T.J., Parks K.G., Steele R.J. et coll. A randomized trial of nonoperative treatment for perforated peptic ulcer. N Engl J Med 1989 ; 320 : 970-3. 6. Lau W.Y., Leung K.L., Kwong K.H. et coll. A randomized study comparing laparoscopic versus open repair of perforated peptic ulcer using suture or sutureless technique. Ann Surg 1996 ; 224 : 131-8. 7. Kozarek R.A., Botoman V.A., Patterson D.J. Long-term follow up in patients who undergone ballon dilatation for gastric outlet obstruction. Gastrointest Lymphomes digestifs Coordinateur : C. Cellier (Paris) La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - vol. III - février 2000 33