Lire l`article complet

publicité
M
I
S
E
A
U
P
O
I
N
T
Indications du traitement chirurgical
dans la myélopathie cervicarthrosique
● E.
Louis, N. Reyns, M. Sleiman, P. Bourgeois, J.P. Lejeune*
P O I N T S
F O R T S
P O I N T S
F O R T S
■ La moitié des patients de plus de 50 ans ont une cervicarthrose, mais seul un petit nombre développe une myélopathie cervicarthrosique.
■ Le mécanisme n’est pas que compressif mais aussi dynamique et vasculaire.
■ L’indication opératoire implique un diagnostic de certitude.
■ L’IRM en séquence T2 sagittale est l’examen clé du diagnostic.
■ L’électrophysiologie aide au diagnostic différentiel.
■ Le traitement chirurgical ne joue que sur la composante
compressive de la physiopathologie.
■ Le but du traitement est, sinon d’améliorer la symptomatologie, au moins de stabiliser l’évolution de la maladie.
■ Le résultat sera d’autant meilleur que l’histoire de la maladie est courte et le handicap préopératoire peu important.
L
a myélopathie cervicarthrosique est la conséquence
de l’agression chronique du cordon médullaire cervical par des remaniements d’origine dégénérative. Si
le point de départ de cette myélopathie résulte du rétrécissement
du calibre du canal rachidien, sa physiopathologie est multifactorielle, faisant intervenir des phénomènes compressifs, vasculaires et dynamiques. Cette pluralité étiopathogénique explique
les limites de la chirurgie dans cette affection dont le traitement
est parfois décevant.
RAPPELS ANATOMIQUES
L’union entre les différentes vertèbres cervicales s’effectue par
le biais de trois articulations différentes :
• L’articulation intersomatique est de type amphiartrose. La
dégénérescence du disque entraîne un rapprochement des pla-
* Clinique neurochirurgicale, hôpital Roger-Salengro, Lille.
La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999
teaux adjacents et provoque l’apparition d’ostéophytes médians,
pathogènes pour le cordon médullaire ou l’artère spinale antérieure.
• Latéralement, les plateaux vertébraux s’articulent directement
l’un avec l’autre par le biais des uncus. Cette articulation propre
au rachis cervical est fréquemment le siège de remaniements
d’origine arthrosique. Les constructions ostéophytiques de cette
région sont volontiers pathogènes pour l’émergence radiculaire
à l’entrée du foramen intervertébral.
• Les articulations postérieures sont de type arthrodèse.
L’arthrose interapophysaire postérieure entraîne une compression d’origine postérieure, soit médullaire, soit radiculaire, par
fermeture de la paroi postérieure du foramen.
Facteurs dynamiques
Les mouvements de flexion du rachis cervical entraînent un étirement du cordon médullaire avec rétrécissement de 2 à 3 mm
du diamètre antéro-postérieur du canal cervical. Le cordon
médullaire est alors plaqué contre le mur postérieur des corps
vertébraux. Les espaces sous-arachnoïdiens jouent normalement le rôle de plan de glissement, mais la présence d’ostéophytes peut être responsable d’un frottement des cordons antérieurs.
En extension, on constate la plicature des ligaments jaunes, qui
ferment en arrière le canal rachidien et peuvent devenir agressifs pour les cordons postérieurs, entraînant parfois un véritable
signe de Lhermitte.
Facteurs vasculaires
Les études anatomopathologiques mettent en évidence des
aspects d’ischémie chronique dans la myélopathie cervicarthrosique. Cette ischémie peut survenir par le biais de deux mécanismes. Sur le versant artériel, la compression de l’artère spinale
antérieure par un ostéophyte médian, ou d’une artère radiculaire
à destinée médullaire par une uncarthrose, entraîne une diminution de la perfusion médullaire. Sur le versant veineux, la compression des plexus veineux périmédullaires entraîne une gêne
au retour veineux médullaire et une congestion veineuse intramédullaire aggravant le tableau clinique et la souffrance neurologique. Cette stase veineuse a été incriminée dans la genèse de
133
M
I
S
E
A
U
P
O
I
N
T
l’hypersignal médullaire visible sur l’IRM en T2. Ces lésions
ischémiques expliquent le caractère irréversible d’une partie de
la symptomatologie clinique, malgré une décompression médullaire efficace.
ASPECTS CLINIQUES
La présentation clinique est très polymorphe en fonction de
l’importance respective des troubles sensitifs et moteurs. Les
deux modes de révélation les plus fréquents sont :
– aux membres supérieurs, une maladresse gestuelle le plus souvent en rapport avec des troubles de la sensibilité plutôt qu’avec
un déficit moteur ;
– aux membres inférieurs, les troubles de la marche, à type de
fatigabilité et d’engourdissement.
À ces signes fonctionnels s’associent des douleurs, parfois sous
la forme d’une névralgie cervico-brachiale pouvant réaliser un
véritable syndrome lésionnel, parfois sous la forme de douleurs
plus diffuses, mal systématisées, d’origine cordonale postérieure.
Enfin, les troubles sphinctériens sont souvent sous-estimés, à
type de mictions impérieuses et de troubles sexuels. La présence
d’un syndrome d’irritation pyramidale aux quatre membres
signe l’origine centrale de la pathologie.
Les différentes formes évolutives posent parfois le problème du
diagnostic différentiel : formes évoluant par poussées pouvant
évoquer une affection démyélinisante, formes purement
motrices évoquant une sclérose latérale amyotrophique. Le
bilan électrophysiologique et l’étude du LCR permettent dans
les cas difficiles de rectifier le diagnostic.
BILAN RADIOLOGIQUE
Les radiographies standard objectivent les remaniements d’origine dégénérative : constructions ostéophytiques, discopathies,
troubles statiques (anté- ou rétrolystésis).
Le scanner rachidien permet d’étudier le canal rachidien et, en
particulier, les sténoses latérales ainsi que l’uncarthrose. Très
utile en fenêtre osseuse pour juger de l’importance de la sténose,
il ne permet pas de voir le cordon médullaire.
L’IRM est l’examen de choix pour l’étude de la moelle cervicale.
Les coupes sagittales en séquence T2 permettent d’étudier la sténose canalaire et son étendue en hauteur (figure 1), elles précisent sa prédominance antérieure ou postérieure. L’IRM peut également montrer des modifications du signal médullaire en regard
de la sténose canalaire (hypersignal en T2), dont la valeur pronostique est discutée. La qualité de ces images a rendu exceptionnelles les indications de myélographie et de myéloscanner.
BILAN NEUROPHYSIOLOGIQUE
Les potentiels évoqués somesthésiques objectivent la souffrance
médullaire par l’étude de la transmission au sein des cordons
postérieurs. La comparaison des enregistrements obtenus par
stimulation des nerfs médian et sciatique poplité interne permet
de confirmer la souffrance de la moelle cervicale.
134
Figure 1. IRM
sagittale de profil
pondérée T2.
Les potentiels évoqués moteurs sont d’une grande utilité en cas
de neuropathie périphérique sévère associée. Leur sensibilité
permet d’éliminer le diagnostic de myélopathie cervicarthrosique en cas de normalité.
PRINCIPES DU TRAITEMENT CHIRURGICAL
Le traitement chirurgical permet la décompression du cordon
médullaire soit par voie antérieure, par abrasion des ostéophytes
rétrocorporéaux et de l’uncarthrose (discectomie élargie, somatotomie), soit par voie postérieure, par l’élargissement du canal
rachidien (laminectomie). La technique employée dépend de la
symptomatologie clinique (prévalence de signes sensitifs ou
moteurs), des données anatomiques (compression antérieure ou
postérieure dominante en IRM), et aussi des habitudes de
l’équipe chirurgicale.
Les abords antérieurs
Dérivés de la technique de Cloward, ils consistent à aborder le
rachis cervical par une cervicotomie antéro-latérale. La décompression médullaire peut se faire au travers de l’espace intersomatique après discectomie plus ou moins élargie (figure 2), ou
après réalisation d’une tranchée médiane verticale centrosomatique (somatotomie), étendue éventuellement à plusieurs étages
en fonction de l’étendue de la sténose. Cette décompression
peut être complétée au besoin par une greffe ou une arthrodèse
(figure 3).
La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999
Figure 2. Discectomie greffe.
nombre développera une authentique myélopathie cervicarthrosique. Il faut donc résister à la facilité d’incriminer la cervicarthrose dans toute symptomatologie médullaire chez ces patients. Dans ce but, l’analyse sémiologique fine et un interrogatoire précis doivent permettre
de préciser l’origine médullaire cervicale des troubles.
Le bilan paraclinique, et en particulier neurophysiologique, permettra d’éliminer la plus grande partie des diagnostics différentiels (sclérose latérale amyotrophique,
sclérose en plaques). Des potentiels évoqués moteurs
normaux permettent, par exemple, d’éliminer le diagnostic de myélopathie cervicarthrosique.
L’importance de la gêne fonctionnelle est un critère
important dans la décision chirurgicale chez ces patients.
Le retentissement fonctionnel et le handicap doivent être
comparés au bénéfice attendu de l’intervention, mais surtout au risque potentiel d’aggravation par le geste chirurgical. Si le retentissement fonctionnel est modeste, il
n’est pas rare qu’une décision chirurgicale ne soit prise
qu’après deux ou trois consultations, quand la certitude d’une
aggravation progressive, grâce aux examens neurologiques
comparatifs, est acquise.
L’état général du patient est bien sûr à prendre en compte avant
de retenir une indication chirurgicale chez ces patients souvent
âgés, potentiellement porteurs de tares associées (insuffisance
cardiaque, athéromatose carotidienne, etc.)
Quand ?
L’évolution naturelle de la myélopathie par cervicarthrose se fait
vers l’aggravation progressive du handicap. L’installation de
lésions anatomiques irréversibles, responsables de mauvais
résultats chirurgicaux ou de séquelles définitives, incite à proposer un geste décompressif sans attendre l’apparition d’un déficit
neurologique important dont la récupération serait hypothétique.
Figure 3.
Discectomie
greffe à deux
étages avec
a rthrodèse.
L’abord postérieur
Il consiste en la réalisation d’une laminectomie étendue de C3 à C7.
Cette intervention permet une décompression étendue à toute la
hauteur du canal cervical sans compromettre la stabilité du rachis.
LA CHIRURGIE : POUR QUI, QUAND, COMMENT ?
Pour qui ?
La décision opératoire chez un patient porteur d’une myélopathie cervicarthrosique repose sur un certain nombre de critères.
Le diagnostic doit être formel. En effet, la moitié des patients
âgés de plus de 50 ans présente des manifestations cliniques ou
radiologiques de cervicarthrose. Parmi ces patients, seul un petit
La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999
Comment ?
Le choix de la technique chirurgicale dépend de plusieurs critères :
• La voie d’abord antérieure sera préférée pour une compression
essentiellement d’origine discarthrosique, sur un nombre limité
de niveaux (2 ou 3 au maximum), surtout si la symptomatologie
est à expression motrice prédominante, ou si un geste stabilisateur est nécessaire.
• Inversement, la laminectomie sera proposée chez les patients
présentant une sténose très étendue du rachis cervical, dont la
composante est essentiellement postérieure (hypertrophie des
ligaments jaunes) ou dont la symptomatologie est essentiellement sensitive.
Dans certains cas, le caractère insuffisant de l’amélioration
obtenue par une des deux voies d’abord peut justifier une réintervention secondaire par l’autre voie.
D’autres facteurs, en particulier locaux, peuvent imposer une
voie d’abord plutôt qu’une autre. C’est le cas par exemple
d’une sténose carotidienne serrée qui fera préférer la voie pos135
M
I
S
E
A
térieure pour éviter la mobilisation peropératoire de la carotide
et le risque embolique ; c’est aussi le cas d’antécédents de
radiothérapie cervicale responsable d’un véritable “blindage”
des parties molles rendant impossible la réalisation d’une voie
antérieure.
RÉSULTATS DE LA CHIRURGIE DANS LA MYÉLOPATHIE
PAR CERVICARTHROSE
À la lumière de notre expérience (36 cas revus avec un recul
moyen de 7 ans) et des séries comparables de la littérature, les
résultats chirurgicaux peuvent être résumés de la façon suivante :
• De façon globale, environ la moitié des patients sont améliorés après l’intervention, 20 % sont stabilisés et 30 % continuent
à s’aggraver malgré un geste chirurgical décompressif efficace
(vérifié sur un bilan neuroradiologique de contrôle). Jomin, en
1983, avait noté sur 700 cas, 66 % d’amélioration, 24 % de stabilisation et 10 % d’aggravation.
• Il est bien difficile d’affirmer la supériorité d’une technique
chirurgicale par rapport à une autre. Vaquero, en 1982, retrouvait 40 % de patients améliorés par la voie antérieure contre
71 % par la laminectomie. Dans notre série, 56 % des patients
sont améliorés par la voie antérieure contre 36 % par la laminectomie.
Les critères de bon pronostic sont :
– une durée d’évolution courte de la symptomatologie neurologique ;
– l’absence de modification du diamètre transversal du cordon
médullaire sur l’IRM ;
– la perte isolée du potentiel N13 sur les PES.
Les critères de mauvais pronostic sont au contraire :
– la désynchronisation des PES par stimulation des SPI, qui traduirait une souffrance des faisceaux centraux de la moelle, plus
par un biais vasculaire que compressif ;
– la présence d’un hypersignal médullaire en T2 et la sévérité du
tableau clinique préopératoire, qui sont d’une valeur pronostique plus controversée.
Résultats en fonction de la symptomatologie
Les troubles moteurs des membres supérieurs répondent mieux
au traitement chirurgical que le déficit des membres inférieurs.
De même, les troubles sensitifs régressent mieux aux membres
supérieurs qu’aux membres inférieurs. L’efficacité sur les
troubles sphinctériens est modeste : 70 % des patients gardent
une symptomatologie urinaire ou génitale.
La survenue de complications per- ou postopératoire doit être
prise en compte. La fréquence de celles-ci est difficilement évaluable car rarement rapportée dans les séries de la littérature
136
U
P
O
I
N
T
(elle se situe probablement aux alentours de 5 %), mais ces
aggravations sont bien connues des équipes chirurgicales, que
l’abord se fasse par voie antérieure ou par voie postérieure.
Elles revêtent parfois le tableau dramatique d’une authentique
tétraplégie définitive, dont le pronostic est souvent vital chez
ces patients âgés.
CONCLUSION
La myélopathie cervicarthrosique est une affection médullaire
d’origine dégénérative dont le traitement logique est la décompression chirurgicale. L’indication doit être posée devant un diagnostic de certitude, dès que la symptomatologie devient invalidante. L’objectif de cette chirurgie est d’espérer, sinon une amélioration, au moins une stabilisation de l’évolution de la maladie.
Les résultats sont souvent meilleurs aux membres supérieurs
qu’aux membres inférieurs, et chez les patients dont l’histoire clinique est courte. La possibilité d’une aggravation postopératoire
doit faire peser l’indication chez des patients parfois âgés ou porteurs de pathologies associées, en particulier cardiovasculaires. ■
R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
• Baron-Neyrinck S. Résultats du traitement chirurgical de la myélopathie cervicarthrosique. Thèse de médecine, Lille, 1997.
• Bazin A., Scherpereel B., Peruzzi P. et coll. Myélopathies cervicarthrosiques à
propos de 121 observations. Intérêt pronostique des troubles sensitifs.
Neurochirurgie 1988 ; 34 : 328-37.
• Bohlman H.H., Emery S. The pathophysiology of cervical spondylosis and myelopathy. Spine 1988 ; 13 : 843-6.
• Ebersold M.J., Pare M.C., Quast L.M. Surgical treatment for cervical spondylotic myelopathy. J Neurosurg 1995 ; 82 : 745-51.
• Jomin M., Bousquet C., Delandsheer J.M., Laine E. Traitement des complications radiculo-médullaires de la cervicarthrose par la méthode de Cloward :
résultats à propos de 370 malades opérés. Neurochirurgie 1975 ; 21 : 21-8.
• Jomin M., Lesoin F., Lozes G. et coll. Résultats du traitement chirurgical de la
myélopathie par cercicarthrose à propos de mille patients opérés. LARC médical
1983 ; 9 (3) : 613-7.
• Matsuda Y., Kazumi M., Kenji T. et coll. Increased MR signal intensity due to
cervical myelopathy. J Neurosurg 1991 ; 74 : 887-92.
• Parker F., Comoy J., Carlieu R., Duffau H. Myélopathies cervicales. Éditions techniques. Encyclop Med Chir (Paris, France) Neurologie 1993 ; 17-660-A-10 : 14 p.
• Restuccia D., Di Lazzaro V., Valeriani M. et coll. The role of upper limb somatosensory evoked potentials in the management of cervical spondylotic myelopathy : preliminary data. Electroenceph Clin Neurophysiol 1994 ; 92 : 502-9.
•
Vaquero J., Cabezudo J.M., Leunda G., Bravo G. Subjective postoperative
results in cervical spondylotic myelopathy. Acta neurochir 1982 ; 62 : 95-100.
•
Whitecloud T.S. Anterior surgery for cervical spondylotic myelopathy. Spine
1988 ; 13 (7) : 861-3.
La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999
Téléchargement