L’Encéphale (2008) Supplément 4, S146–S149 j o u r n a l h o m e p a g e : w w w. e l s e v i e r. c o m / l o c a t e / e n c e p Imagerie cérébrale dans le trouble bipolaire R. Gaillard Service hospitalo-universitaire du Professeur Olié, 7 rue Cabanis, Centre Hospitalier Sainte Anne, 75014 Paris Le problème des biais en imagerie cérébrale Les études d’imagerie cérébrale en psychiatrie consistent à lier un profil particulier en imagerie et une pathologie spécifique. L’hétérogénéité des techniques d’investigation constitue souvent une limite, en rendant difficile les comparaisons entre études. L’un des biais rencontrés dans le domaine des troubles bipolaires est l’hétérogénéité de cette pathologie : troubles bipolaires de type I ou de type II, expression clinique selon le genre, présence d’antécédents familiaux, existence de caractéristiques psychotiques, comorbidité addictive, modalités d’évolution, effets des traitements notamment. La présence de caractéristiques psychotiques pose ainsi la question des limites des troubles bipolaires par rapport aux troubles schizo-affectifs ; l’élargissement des ventricules retrouvé dans certains troubles bipolaires semble par exemple lié aux caractéristiques psychotiques, avec des données proches de celles retrouvées dans les schizophrénies [32]. L’existence de comorbidités, comme les conduites addictives, ou comme l’ADHD en pédopsychiatrie, rend quant à elle difficile l’attribution des résultats obtenus à l’une ou l’autre pathologie. Les effets iatrogènes doivent aussi être pris en compte, sans toutefois attribuer à tort aux traitements les anomalies mises en évidence : les classiques hypersignaux de substance blanche [1, 8, 20] ont ainsi souvent été attribués à la lithiothérapie, alors que l’on considère aujourd’hui * Auteur correspondant. E-mail : [email protected] L’auteur n’a pas signalé de conflits d’intérêts. © L’Encéphale, Paris, 2008. Tous droits réservés. que le lithium a au contraire un effet neuroprotecteur, voire trophique, avec une augmentation du volume de substance grise, notamment frontale, chez les patients sous lithium [10, 19, 22, 36]. De plus, la succession d’états cliniques très différents dans les troubles bipolaires pose la question de la nature des anomalies observées selon l’état actuel. La réalisation d’un examen d’imagerie n’est généralement pas possible en période maniaque. Les anomalies mises en évidence en phase de rémission doivent-elles être considérées comme un marqueur trait de la maladie, indépendant des états pathologiques qui l’ont précédé ou des fluctuations subtiles qui persistent pendant la rémission ? Enfin, face à une anomalie retrouvée, il est souvent difficile de déterminer si elle concerne une pathologie ou une dimension spécifique, telle que l’anxiété ou l’impulsivité, pouvant appartenir à des spectres pathologiques très variés. L’IRM structurale L’IRM structurale fournit des informations anatomiques, les logiciels statistiques permettant désormais de différencier des groupes de sujets (différentes catégories de patients, sujets contrôles). Les résultats des travaux en IRM structurale dans le trouble bipolaire sont relativement décevants aujourd’hui. Une méta-analyse récente de 26 études d’IRM structurale montre que seul l’élargissement du ventricule latéral droit Imagerie cérébrale dans le trouble bipolaire est significatif, résultat qu’il est bien difficile d’interpréter [18]. Il existe également des arguments hétérogènes pour une latéralisation hémisphérique (diminution du volume du cortex frontal inférieur droit et augmentation du volume frontal et amygdalien gauches), mais il est là encore difficile de donner un sens à ce résultat. L’imagerie en tenseur de diffusion et l’IRM fonctionnelle Les données obtenues en imagerie en tenseur de diffusion sont plus fines que celles de l’IRM structurale. Cette technique consiste à reconstruire le trajet des fibres blanches assurant la connectivité cérébrale. Le principe est de définir des régions d’intérêt, qui sont soit des régions-témoin, soit des régions supposées impliquées dans le trouble bipolaire, telles que les amygdales et le cortex cingulaire subgénual. L’imagerie en tenseur de diffusion permet de reconstruire les fibres partant de chacune de ces régions et les liant entre elles. Les amygdales cérébrales sont des structures particulièrement intéressantes dans les pathologies marquées par les perturbations émotionnelles, puisqu’elles réalisent la convergence des afférences sensorielles olfactives, visuelles, auditives et somatosensorielles et qu’elles sont impliquées dans les processus motivationnels et émotionnels. Il s’agit d’une structure temporale interne, appartenant au cerveau limbique, et dont l’organisation est différenciée en amygdale cortico-baso-latérale, dans la continuité du cortex, et amygdale étendue, dans la continuité du striatum (on parle de complexe amygdalien). Une étude récente en tenseur de diffusion [12] a montré chez les patients bipolaires, comparés aux sujets sains, une augmentation du couplage amygdalo-cingulaire : les fibres liant ces deux structures sont plus nombreuses chez les patients bipolaires. Cette hyperconnectivité amygdalocingulaire rejoint un résultat obtenu en IRM fonctionnelle : l’existence chez les patients bipolaires d’une hypo-activation du cortex préfrontal dorsolatéral et d’une hyper-activité du cortex préfrontal ventral (proche du cortex cingulaire) et du complexe amygdalien [23, 27, 35, 37]. Au sein du cortex cingulaire, il existe un contingent neuronal subgénual (sous le genou du corps calleux), à prédominance émotionnelle, et un contingent supragénual, à prédominance cognitive. Il a été montré en imagerie fonctionnelle que l’activité du cortex cingulaire émotionnel (subgénual) et l’activité des amygdales sont positivement corrélées alors que la corrélation entre l’activité du cortex cingulaire supragénual et l’activité des amygdales est négative. [24]. Orchestration pré-fronto-limbique À partir de ces résultats d’imagerie, on peut faire l’hypothèse d’une dysfonction préfronto-limbique dans les troubles bipolaires. Il existerait une hyperactivité amygdalienne, avec hyper-réactivité aux stimuli émotionnels, à l’origine des phénomènes anxieux induits par ces stimuli. Dans un S147 second temps, lorsque les amygdales sont activées, l’activation gagnerait, de façon exagérée, le cortex préfrontal dans ses régions émotionnelles, propagation amplifiée par le couplage amygdalo-cingulaire subgénual. Cette propagation excessive serait à l’origine de la saillance anormalement vive des stimuli émotionnels. Enfin, le déficit de rétrocontrôle préfrontal (au niveau cingulaire supragénual, correspondant au contrôle cognitif) sur l’activité limbique serait responsable du caractère anormalement intense et prolongée de la réaction aux stimuli émotionnels [5, 16, 17]. Ces liens entre activations préfrontales et limbiques correspondent effectivement à ce qui est observé dans différents paradigmes. Par exemple, plus une tâche de mémoire de travail est difficile, plus le cortex cingulaire subgénual et les amygdales sont déactivés [25] ; or cette déactivation limbique est moindre chez les sujets déprimés [28]. Ces résultats sont étonnamment proches de ceux qui ont été obtenus dans le domaine de l’anxiété. Chez les sujets sains, il est possible de corréler l’activité limbique et l’anxiété, telle qu’elle est mesurée par des échelles cliniques. Face à un visage exprimant une émotion (par exemple la peur) mais qui n’est pas consciemment perçu car présenté de façon trop brève (perception subliminale masquée), les sujets anxieux présentent une augmentation de l’activité amygdalienne. Une corrélation a été mise en évidence entre l’anxiété-trait sur une échelle classique (STAI) et l’activation des amygdales par des stimuli non-consciemment perçus [9]. De même, dans un trouble anxieux tel que le PTSD, il existe une hyperactivité amygdalienne [13, 26], un déficit d’activation cingulaire rostrale pendant le rappel du souvenir traumatique [13], et une corrélation entre la sévérité des symptômes et le déficit d’activation cingulaire rostrale [30]. L’anxiété peut également être étudiée dans ses liens avec la génétique du transporteur de la sérotonine, en particulier par l’étude du polymorphisme du promoteur du gène du transporteur de la sérotonine (5-HTTLPR) : les sujets porteurs de l’allèle s de ce gène ont une diminution du transporteur de la sérotonine, et ont également des scores d’anxiété plus élevés [15], ainsi qu’une augmentation du risque de trouble de l’humeur [6, 14, 31, 34, 38]. Or on constate une diminution du couplage amygdalo-cingulaire (corrélation positive entre cortex cingulaire subgénual et amygdales, et corrélation négative entre cingulaire supragénual et amygdales) en présence de l’allèle s du 5-HTTLPR [24]. On peut donc imaginer un scénario possible dans lequel le patient bipolaire, porteur de l’allèle s, présenterait une hyperréactivité émotionnelle à l’origine de sa pathologie. En défaveur de cette hypothèse, il a été récemment montré que l’allèle s est associé non pas à la maladie bipolaire, mais aux tentatives de suicide de la maladie bipolaire, et notamment aux tentatives de suicide violentes [21]. Ce résultat introduit une autre dimension, celle de l’impulsivité, pour laquelle on retrouve des résultats similaires, avec une hypoactivité du cortex préfrontal orbitofrontal et mésiofrontal, aussi bien d’un point de vue fonctionnel en S148 IRM, que dans les tests neuropsychologiques qui correspondent à ces structures. On met ainsi en évidence le même comportement au cours de l’Iowa Gambling Task dans la sociopathie acquise [2], la psychopathie [4] ou le trouble explosif intermittent [3], et on retrouve une hyperactivité amygdalienne [7, 11] et un déficit d’activation préfrontale dorsolatérale [29] dans un trouble de la personnalité marqué par l’impulsivité, la personnalité borderline. Ces deux dimensions d’anxiété et d’impulsivité sont retrouvées dans les troubles bipolaires, mais il est précisément difficile de différencier les résultats obtenus pour l’une ou l’autre de ces dimensions, car anxiété et impulsivité sont liées dans la maladie bipolaire [33]. Conclusion On observe une hyperréactivité limbique dans les troubles bipolaires ; cette hyperréactivité limbique est anormalement propagée dans les régions préfrontales au niveau ventral du fait d’un couplage plus important ; en retour, il existe un déficit de rétro-contrôle par les régions préfrontales dorso-latérales sur l’activité limbique. Mais ces résultats peuvent être également retrouvés dans d’autres pathologies marquées par l’anxiété ou l’impulsivité, ce qui confronte les études actuelles à une limite : la nécessité d’identifier des dimensions psychopathologiques plus précises chez les bipolaires, pour déterminer ce qui serait spécifique de la maladie bipolaire. Au-delà de cette nécessaire démarche psychopathologique en neurosciences cognitives, c’est la dynamique de ces anomalies préfronto-limbiques qu’il faudra préciser à l’avenir. L’une des questions à résoudre est ainsi de savoir si l’hyperréactivité émotionnelle se situe en amont ou en aval de la conscience : existe-t-il un abaissement du seuil de conscience pour des stimuli émotionnels dans les troubles bipolaires ? Cet abaissement pourrait signifier que c’est dès la perception émotionnelle non consciente que les processus sont perturbés dans la bipolarité. Enfin, quelle soit ou non préalable à la conscience, l’hyper-réactivité émotionnelle dans la bipolarité est-elle liée à l’amplification émotionnelle préalable (le sujet amplifierait les circuits émotionnels au gré de ses ruminations) ou à une hypersensibilité primaire des circuits émotionnels ? Références [1] Altshuler LL, Curran JG, Hauser P et al. 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