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Module 4
Partie 2 Les politiques économiques
Chapitre 3 Les politiques structurelles
4.2/ Les politiques économiques
Objectifs
Il s’agira d’étudier, en mobilisant des exemples historiques et contemporains, l’intérêt et les limites de l’intervention
économique des pouvoirs publics. On s’intéressera ensuite à la déclinaison des politiques économiques au niveau
conjoncturel et structurel.
4.2.1. Allocation des ressources et réglementation des marchés
4.2.2. Les politiques de régulation du cycle économique
4.2.3. Les politiques structurelles
Commentaires
On étudiera le rôle de l’État dans l’allocation des ressources et la réglementation des marchés en s’appuyant sur des
exemples passés et présents, notamment en réponse aux défaillances de marché.
On étudiera la manière dont les politiques économiques cherchent à agir sur les variables macroéconomiques en mettant
l’accent sur les politiques menées depuis le début des années 1970, sans omettre les éclairages que peuvent apporter les
périodes antérieures.
On analysera les modalités de l’intervention publique en matière budgétaire, monétaire, fiscale, d’emploi, d’innovation, de
concurrence, etc… qui visent à réguler l’activité mais aussi à accroître la croissance potentielle des économies et leur
compétitivité. On montrera que ces politiques, qui ne s’exercent plus seulement dans un cadre national mais recouvrent
également des actions coordonnées notamment au niveau européen, sont soumises à des contraintes et sont l’objet de
controverses.
Introduction : Croissance, fluctuations et politiques économiques
Les sources de la croissance
Quantité de travail (L)
Capital physique (K)
Accumulation
Intensité capitalistique
(K/L)
Externalités :
Infrastructures
Croissance
économique
Productivité Globale
des Facteurs
Capital public
Externalités :
Recherche publique
Capital technologique
Externalités :
Obsolescence et
remplacement
capital
Externalités :
Infrastructures
Externalités : Savoirs
Capital humain
Externalités : Learning by doing
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Document 1 : L’apport des théories de la croissance endogène à la compréhension de la croissance
économique
Les théories de la croissance endogène mettent l’accent sur les externalités que chaque type de capital produit
et qui ont des conséquences sur l’accumulation des autres « capitaux » ; ces théories montrent également que le
lien facteurs/croissance ne se limite pas au sens « facteurs vers croissance », mais que la croissance aliment
aussi l’accumulation des facteurs. Cela permet notamment de comprendre que les conditions de la croissance
au temps t vont affecter l’accumulation des facteurs à l’origine de la croissance au temps t+1. Cela permet aussi
de comprendre qu’il ne faut pas établir une coupure entre ce qui serait de l’ordre de la conjoncture et ce qui
serait de l’ordre du structurel.
On peut s’interroger sur les conditions d’accumulation de ces différentes sources de croissance et se demander
quel rôle la puissance publique peut jouer pour faciliter cette accumulation au cours du temps. L’objectif de
l’intervention publique consistera donc à accroître le potentiel de croissance de l’économie. C’est le rôle que
l’on confie aux politiques dites « structurelles ».
Document 2 : Distinguer les fluctuations de la croissance économique
On sait cependant que l’économie connaît des fluctuations qui se manifestent par des écarts de production
(output gap). Ces écarts à la production potentielle peuvent conduire alors à intervenir pour ramener l’économie
sur son tendance « normale » : c’est le rôle confier aux politiques « conjoncturelles »
Document 3: la distinction entre politiques structurelles et politiques conjoncturelles est-elle pertinente ?
Politique structurelle
Politique conjoncturelle
Agir en priorité sur
Offre globale
Demande globale
Action qui porte sur une durée moyen et long terme :
Court terme :
de
(croissance économique)
(fluctuations économiques)
Objectif
Faire augmenter le potentiel de Réduire l’écart de production
croissance de l’économie
entre la production réelle et la
production potentielle
Quelle frontière entre ces deux types de politique économique ?
1. Comment augmenter le potentiel de croissance d’une économie ?
Objectifs
Deux
canaux
Favoriser
Document 4 :
Les politiques structurelles ont habituellement pour objectif de faire augmenter la
capacité productive de l’économie : action sur l’offre
Augmentation de la quantité de Augmentation de la productivité globale des
facteurs (et de l’intensité facteurs (PGF)
capitalistique)
Augmentation Augmentation
Augmentation
Augmentation des Augmentation
de la quantité de
de l’innovation
compétences des des
de
travail l’investissement
actifs
infrastructures
offerte
publiques
Augmentation Accumulation
Accumulation
Accumulation du Accumulation
de la quantité du
capital du
capital capital Humain
du
capital
de travail
physique
Technologique
Public
1.1 Agir sur la quantité de travail utilisée
Document 5
La quantité de travail utilisée dépend :
de facteurs démographiques
de comportements d’activité
de la demande de travail
L’action des pouvoirs publics pour augmenter la quantité de travail utilisée peut porter sur ces trois facteurs.
Les politiques de l’emploi vont chercher à modifier le cadre de fonctionnement du marché du travail en
modifiant les règles qui encadrent l’activité salariée : durée légale du travail, salaire minimum, cotisations
sociales, coût du travail, indemnisations, formation des salariés …
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Ces politiques sont « passives » ou « actives », mais elles fournissent les règles formelles qui caractérisent
chaque marché du travail.
Document 6: élever l’offre de travail pour augmenter le taux d’activité
Au sein de l’OCDE, le taux de participation au marché du travail est de moins de 50% en Turquie et de plus de
80% en Islande ; en d’autres termes, si le marché du travail turc fonctionnait comme celui de l’Islande, le PIB
par habitant de la Turquie serait presque deux fois supérieur. Un examen plus précis des chiffres de l’OCDE
montre que les performances sont très proches en matière de participation des hommes de 25 à 64 ans, mais que
la variance est grande pour les femmes et les travailleurs jeunes ou âgés.
Comme pour la durée du travail, une partie des écarts peut s’expliquer par des préférences collectives
(préférence pour le « loisir »). Mais l’essentiel provient des politiques publiques. Les femmes restent au foyer
de crainte de perdre des allocations conditionnées par les ressources du ménage, ou par manque de garderies ou
de crèches. Les étudiants peinent à combiner études et travail en raison de réglementations qui ne favorisent pas
le travail à temps partiel. Les seniors sont dispensés de recherche d’emploi ou partent en retraite anticipée.
A très long terme, ce ne sont pas les politiques de l’emploi mais les tendances démographiques qui détermine le
taux de croissance. Des variables comme le taux de fertilité ou le taux d’immigration sont souvent considérées
comme extra-économiques, mais la politique économique peut néanmoins les influencer : le mode de calcul de
l’impôt sur le revenu conditionne la politique familiale ; les investissements et les aides fiscales aux emplois à
domicile peuvent faciliter la garde d’enfants (…).
Source : Bénassy-Quéré p. 508
Document 7 : évolution du nombre d’heure de travail, le cas français
source : alencontre.org
Document 8 Faire augmenter la quantité de travail ?
Evolution du nombre d’actifs :
solde naturel + solde migratoire
Dans un contexte de baisse de
la durée de travail par actif
Baisse non compensée par
la hausse du nombre d’actifs
et les
comportements
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d’activité
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Baisse compensée par la
hausse du nombre d’actifs
et les comportements
d’activité
Evolution des comportements
d’activités :
Travail des - de 25 ans
Travail des + de 55 ans
Travail des femmes
Travail des moins qualifiés
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Document 9 : lutter contre le chômage pour faire augmenter le taux d’emploi
Pour faire augmenter la quantité de travail, il ne suffit pas de faire augmenter le nombre d’actifs, il faut aussi
réduire le nombre d’actifs sans emploi (au chômage) ; il faut donc mettre en place des politiques de l’emploi :
Politiques de l’emploi « active » qui agissent du côté de l’offre de travail : réduire les trappes à
inactivité (augmenter le taux d’activité) et à chômage (augmenter le taux d’emploi) ;
Politiques de l’emploi « active » qui agissent du côté de la demande de travail : baisse des coûts de
production (SMIC ou cotisations sociales), modification de la nature des contrats de travail ;
Politique de l’emploi « active » qui agissent sur l’appariement offre/demande : formation
professionnelle, accès à l’information, mobilité géographique ;
Politiques de l’emploi « passives » dont l’objectif est de faire le partage du travail
Les politiques de l’emploi menées en France depuis les années 1980 s’appuient sur certaines politiques actives
et passives. Elles n’ont pas les mêmes coûts, ni les mêmes résultats ; dans le cas français, il semble que les
politiques mises en œuvre se sont révélées jusqu’à présent peu efficaces pour faire reculer le taux de chômage
structurel. De nouvelles pistes pourraient être explorées : notamment celle de la fléxicurité qui permet
d’atteindre deux objectifs, celui de la flexibilité du marché du travail et celui de la sécurité des parcours
professionnels.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la réponse à la hausse du chômage n’est pas seulement « structurelle » et
que, pour reprendre la démonstration keynésienne, une partie du chômage apparu après 2008 est le résultat
d’une insuffisance de la demande globale accentuée par les politiques budgétaires restrictives mises en œuvre à
partir de 2010.
Document 10 : Faire augmenter la quantité de facteur travail utilisé : en résumé, définir dans le cadre
des préférences collectives les institutions les plus efficaces pour obtenir la plus grande quantité possible
de travail
Dans le cadre de préférences
collectives nationales :
Action sur la durée du
temps de travail par
actif : poursuivre la
baisse séculaire du
temps de travail ?
Action sur la population
active :
- politiques actives de
l’emploi
- démographie et immigration
Action sur la quantité de travail
demandée par les entreprises :
- Politiques actives de l’emploi
(ex : contrats aidés)
- Politiques passives de
l’emploi (ex : RTT)
Hormis les questions démographiques, agir sur des règles qui encadrent le
fonctionnement du marché du travail : temps de travail légal hebdomadaire, nature
contrat de travail, salaire minimum, indemnité chômage, cotisation sociale,
fiscalité, aides sociales, droit à la formation ….
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1.2 Agir sur l’accumulation du capital physique et du capital technologique
Document 11 : Les déterminants des investissements
Déterminants des
investissements
Anticipation des
agents sur futur
Cycle financier :
optimisme / accélérateur
financier
Modalité de
financement
investisseme
nts
Financement
externe
Financement interne :
rôle Epargne
Document 12 : le rôle de l’épargne
(Prix x Qté) – CI
Valeur ajoutée
Impôts sur la
production
Subvention à la production
Salaires
Salaires bruts
Cotisations sociales
patronales
EBE
Dette (intérêts +
capital)
Impôts sur les
bénéfices (IS)
Dividendes
Epargne brute
Placement
Amortissement
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Investissement
Investissement net
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Document 13 : ce qu’apporte au financement des entreprises un système financier développé
La collecte et l’utilisation de l’épargne comportent des coûts de transaction qui reflètent les coûts de la
production des services financiers. (…) Une concurrence accrue dans le secteur financier rend le processus
d’intermédiation plus efficace et abaisse le coût.
Le coût de financement des entreprises qui détermine leur productivité marginale est un déterminant important
de l’accumulation du capital. (…)
De quels moyens les gouvernements disposent-ils pour influencer le coût du capital ?
Parfois, d’instruments réglementaires (taux d’intérêt fixé par l’Etat) (…). Dans toute l’Europe, la pratique des
prêts bonifiés à certains secteurs d’activité, notamment l’agriculture, a été progressivement éliminée par des
règles communautaires sur les aides d’Etat. Aujourd’hui, les instruments sont principalement de nature fiscale.
Les avantages fiscaux temporaires à l’investissement ne modifient pas durablement les comportements des
entreprises, (…) en revanche les traits permanents de la fiscalité (comme le taux d’imposition des bénéfices des
sociétés) jouent un rôle important. Les considérations fiscales demeurent prédominantes dans le débat sur
l’attractivité des nations, notamment au sein de l’UE. (…) En moyenne une hausse de un point de taux
d’imposition des sociétés entraînerait une baisse de 3,2% des IDE entrants. En réduisant la fiscalité du capital,
l’Irlande est devenue une terre d’accueil des IDE et a longtemps entretenu une croissance de l’ordre de 10%.
Quand les capitaux circulent librement, l’investissement des entreprises n’est en principe pas limité par la
disponibilité de l’épargne nationale. Dans la réalité, taux d’épargne et taux d’investissement demeurent corrélés
(c’est le paradoxe de Feldstein-Horioka) ce qui justifie des politiques d’encouragement à l’épargne. En donnant
confiance aux épargnants, un système financier robuste permet d’accroître le taux d’épargne et donc le revenu
par habitant. (…) le système financier permet en principe de collecter de l’information sur des projets variés, de
diversifier le risque, d’investir l’épargne dans des projets de long terme et donc au total, de diriger l’épargne
vers les projets les plus productifs. (…)
Source : Bénassy-Quéré p. 514
Document 14 : mais le fonctionnement des marchés financiers nécessite une régulation prudentielle
Le développement du secteur financier est un instrument du développement économique, mais ce n’est pas une
fin en soi. L’erreur de la « théologie » financière des années 1990 a été de considérer que les avantages de
l’ouverture financière se matérialiseraient automatiquement. La Corée en a fait les frais : en 1996, elle ouvrait
ses marchés financiers pour rejoindre l’OCDE ; en 1997, elle était frappée de plein fouet par la crise
financière. A l’inverse, la Chine a fait le choix d’une ouverture très progressive. On reconnaît aujourd’hui que
l’ouverture du secteur financier à la concurrence étrangère doit être progressive et conditionnée par l’existence
de banques solides et la mise en place d’un cadre prudentiel adéquat, et que ses bénéfices sont d’autant plus
importants que le pays n’est pas lui-même de taille suffisante pour faire jouer des économies d’échelle dans ce
secteur et une diversification suffisante des risques. Ensuite, les analyses théoriques soulignent la
complémentarité des différents modes de financement, intermédié et désintermédié. Enfin, le processus de
développement financier est nécessairement graduel compte tenu des risques d’instabilité inhérents à l’activité
de transformation financière.
Pour éviter une prise de risque excessive des intermédiaires financiers et le transfert de ce risque aux ménages
(produits toxiques ou renflouement des banques par les contribuables), les marchés financiers ont besoin
d’institutions solides, et en particulier d’une réglementation prudentielle capable de suivre le rythme de
l’innovation financière, de règles de gestion des crises qui ne créent pas d’aléa moral, et d’une structure
d’incitation au sein du secteur financier qui n’invite pas à la prise de risque. La crise du crédit de 2007-2008 a
montré que ces conditions n’étaient pas encore réunies, même sur le marché financier le plus développé du
monde, celui des Etats-Unis, et a conduit à un renforcement sans précédent de l’intervention publique. Bref,
pour reprendre l’expression de Rajan et Zingales (2003), cette crise a montré qu’il « faut sauver le capitalisme
des capitalistes ».
Source : Bénassy-Quéré p. 514
Document 15 : développer et réguler le système financier, une double nécessité
Pour que l’épargne des ménages puisse financer l’accumulation de capital par les entreprises, le système
financier (banques ou marchés financiers) doit collecter et orienter cette épargne. Une sphère financière
correctement régulée est indispensable à la croissance de l’économie réelle et le système financier remplit ainsi
une fonction allocative clé. (…)
Source : Bénassy-Quéré p. 514
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La problématique du financement des activités innovantes : un poids plus important donné au
financement externe, à la prise en compte des défaillances de marché, à la protection de la propriété
intellectuelle et à la concurrence
Document 16: le cas du financement des activités innovantes et les défaillances de marché
L’effort financier (public et privé) en faveur de la R&D est plus faible en Europe qu’aux Etats-Unis et au
Japon, et cet s’écart s’accroît : la part des dépenses en R&D dans le PIB était de 1,8% en 2005 dans l’UE 27
contre 2,6% aux Etats-Unis. Au sein de l’Union Européenne, les efforts de R&D sont très inégaux, s’étageant
entre 3,7% du PIB en Suède à 0,4% à Chypre pour 2006.
La contribution du secteur privé est aussi moindre en Europe, ce qui handicape le passage de la recherche
fondamentale au développement de l’innovation. L’explication est à chercher du côté de la structure de
production (les Etats-Unis sont plus spécialisés dans des secteurs intensifs en technologie) et d’imperfections
de marché plus prononcées, qu’il s’agisse du marché du travail (mobilité et coût du travail qualifié) ou du
marché des capitaux (financement du capital risque). Certaines entreprises qui pourraient investir dans le
recherche sont en effet contraintes par leur accès au financement. (…) En France, une série de dispositifs
fiscaux a été mis en place pour orienter l’épargne des ménages vers les activités innovantes, notamment les
fonds communs de placement dans l’innovation.
Source : Bénassy-Quéré p. 503
Document 17 : système financier et investissement
Système financier
Développement +
concurrence
Impact positif sur
l’investissement
Efficience allocative
Le fonctionnement du
SF affecté par des
défaillances de
marché, notamment
pour financer les
projets les plus
incertains (donc les
plus innovants)
Mais le fonctionnement du SF
peut conduire à des crises
financières = frein à
l’investissement
Credit crunch, logique de
désendettement …
Nécessité d’une supervision
prudentielle : régulation du
marché des capitaux
Document 18 : incitation à l’innovation et propriété intellectuelle
Au delà des « coups de pouce » publics, la question du financement privé de l’innovation renvoie à celle de
l’incitation à innover. (…) Les entreprises investissent pour développer de nouveaux produits qui leur
donneront un avantage concurrentiel ou dans de nouveaux procédés de production et de distribution qui
réduiront les coûts et amélioreront la qualité. L’innovation est vite copiée par les concurrents. La protection de
la propriété intellectuelle joue donc un rôle essentiel. Pour comprendre son importance, on peut opposer deux
cas polaires. Si la propriété intellectuelle est bien protégée, c’est-à-dire si un nouveau produit ou un nouveau
procédé est un bien rival, propriété exclusive de son inventeur, l’investissement en R&D est lucratif mais risqué
puisque toute nouvelle invention risque de réduire à néant les bénéfices de la précédente. les entreprises ont
intérêt à investir massivement en R&D. (…) Dans le cas où, en revanche, les entreprises ne peuvent
s’approprier la rente parce que l’invention est un bien non-rival qui peut être utilisée sans coût par les
concurrents, alors elles ont peu d’incitation à innover. L’innovation est un bien collectif, et c’est à l’Etat de la
financer.
Bien entendu, tout dépend de l’invention considérée. Certaines sont par essences non-rivales (une formule
mathématique, une idée). D’autres sont par essence rivales (une machine outil) ; certaines sont réplicables à
coût faible (les créations intellectuelles, les logiciels) d’autres non (une nouvelle technologie nucléaire). Mais
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les bénéfices de l’innovation pour la société doivent aussi rentrer en ligne de compte, comme l’illustre
l’exemple de la recherche sur les médicaments.
Source : Bénassy-Quéré p. 505
Document 19 : les limites de la protection des DPI, le cas de la vente de certains médicaments dans les
pays pauvres
Les molécules issues de la recherche privée sont protégées par des brevets qui donnent à l’entreprise le droit
exclusif de les produire et de les vendre durant une longue période, typiquement 20 ans. Mais leur prix élevé les
rend inaccessibles aux patients des PVD. En Afrique du Sud, où le taux de prévalence du sida est
particulièrement élevé (15% de la population des 15-25 ans selon l’OMS), il a été estimé que traiter tous les
séropositifs coûterait 63 milliards de dollars soit 20% du PIB du pays. Les pays à bas revenus ont par
conséquent demandé à pouvoir accorder des licences obligatoires permettant de produire les médicaments
localement en dédommageant le propriétaire du brevet. L’accord ADPIC de l’OMC leur donne ce droit.
(…)Les firmes indiennes exportent désormais des anti-rétroviraux génériques dans certains pays africains. (…)
Les difficultés des discussions sur ce sujet à l’OMC illustre la difficulté de concilier incitation à innover et
accès au plus grand nombre aux inventions existantes. La protection des droits de propriété intellectuelle
demeure une condition sine qua non de l’investissement privé dans la recherche médicale.
Source : Bénassy-Quéré p. 505
Document 20 : faut-il breveter les logiciels ? la différence de position entre les Etats-Unis et l’Europe
Le débat sur la brevetabilité des logiciels illustre les questions soulevées par la protection de l’innovation. En
l’absence de brevet, l’incitation est réduite par la possibilité de copier des lignes de code. Mais le brevet
systématique décourage également l’innovation car le développeur doit commencer par acheter les brevets
correspondant au code inclus dans son futur logiciel et aux algorithmes permettant de compiler ce code, et
parce que la nature « pionnière » de l’innovation étant difficile à prouver, les éditeurs multiplient les demandes
de brevets pour paralyser les concurrents.
(…) Mais un logiciel est-il une invention ? En Europe, le logiciel est protégé par le droit d’auteur, mais n’est
pas brevetable en tant que tel, contrairement aux Etats-Unis et au Japon.
Source : Bénassy-Quéré p. 504
Document 21 : la structure des marchés a un impact sur l’innovation
Les marchés financiers allouent l’épargne là où elle est la plus productive, les marchés du travail assurent
l’allocation de la main d’œuvre, et la concurrence sur les marchés des biens et des services détermine
l’incitation à innover. (…) La capacité des marchés à assurer cette fonction de réallocation, qui contribue à la
productivité globale des facteurs, a pris une importance dans l’évaluation de la performance économique.
Les études empiriques mettent en évidence l’impact positif sur la croissance de l’élimination des rentes créées
par une réglementation trop lourde et/ou des barrières à l’entrée sur les marchés. Nicoletti et Scarpetta (2005)
ont ainsi construit des indicateurs synthétiques mesurant l’intensité de la réglementation des marchés pour les
pays de l’OCDE. La valeur de ces indicateurs est très dispersée entre les pays, et cette dispersion explique en
partie les écarts de taux de croissance de la PGF.
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La concurrence est-elle une incitation ou un frein à l’innovation ? Dans les premiers modèles d’innovation
« schumpéterienne » comme celui d’Aghion et Howitt (1992), la concurrence réduit la rente extraite des
innovations et donc l’incitation à innover. Mais la concurrence favorise aussi l’apparition de nouveaux entrants,
pour qui l’innovation est le seul moyen de contester les entreprises en place. Au total, ceci suggère l’existence
d’une relation « en cloche » : trop de concurrence décourage l’innovation, pas assez de concurrence la tue. (…)
Les secteurs au « coude à coude » sont ceux où aucune entreprise ne s’impose clairement face à ses
concurrents, on voit que ces secteurs sont plus innovants quel que soit le degré de concurrence.
Les procès engagés contre la société Microsoft, accusée d’empêcher par divers moyens ses concurrents de
pénétrer sur le marché, ont illustré ce débat. Certains économistes ont considéré que Microsoft étouffait ses
concurrents, d’autres, que la domination d’un acteur ne signifiait pas que le marché n’était pas contestable, et
mis en avant le fait que les profits de Microsoft étaient réinvestis dans la R&D. la Commission européenne a
tranché en faveur des premiers et Microsoft a perdu en appel en 2007. En d’autres termes, les autorités
européennes considèrent que l’industrie du logiciel se trouve à gauche de la courbe en cloche.
Au total, le rôle de la concurrence comme accélérateur ou comme frein à l’innovation est fortement débattu,
notamment dans l’UE. des « champions technologiques » comme Airbus sont issus des programmes
d’investissement publics dans un environnement monopolistique. Les adversaires de ce type de programmes
citent, quant à eux, les échecs cuisant du passé, tels que le « plan calcul » lancé en 1966 par la Général De
Gaulle. Le débat est particulièrement vif dans les industries de réseau qui ont été ouvertes à la concurrence,
comme les télécommunications ou plus récemment l’énergie. Dans les premières phases de la libéralisation, il
faut encourager l’entrée de nouveaux acteurs contestant l’ancien monopole public. Mais à mesure que la
concurrence s’intensifie, il faut aussi veiller à préserver une incitation à investir et à innover, ce qui suppose un
certain niveau de profitabilité. C’est aux autorités de la concurrence, aux autorités de régulation sectorielle
(comme en France l’ARCEP, l’autorité de régulation des communications électroniques et de la poste) et la cas
échéant aux tribunaux de veiller à cet équilibre subtil.
Source : Bénassy-Quéré p. 508
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Document 22
Stimuler l’accumulation de capital
physique et de capital technologique
Favoriser les investissements physiques
Favoriser l’innovation
Système financier développé (création
des marchés de capitaux) qui améliore
l’efficacité de l’allocation du capital
Mais deux limites :
- Défaillances de marché car asymétries
d’information et incertitude sur des
projets à financer
- Les cycles financiers peuvent conduire
à des crises : credit crunch,
désendettement
Il faut donc superviser (réguler) le
système financier
Rôle du système financier mais fortes
défaillances de marché
Incitation à innover :
- faut-il protéger les innovations par des
droits de propriété ?
- quel est le degré de concurrence sur le
marché le plus favorable à
l’innovation ?
Pour incitater à innover :
- faut-il protéger les innovations par des
droits de propriété ?
Pour incitation à innover :
- quel est le degré de concurrence sur le
marché le plus favorable à l’innovation ?
Equilibre à atteindre entre protection
des intérêts privés des innovateurs et
intérêt collectif
Incitation produite par la situation de
monopole ou de concentration : la rente
tirée par l’absence de concurrence
Le risque : passer de la position
dominante à l’abus de position
dominante
Mettre des « enclosures » sur les
innovations est contesté :
- Cas des médicaments pour lutter contre
le sida en Afrique
- Débat sur les droits associés aux
logiciels : droit d’auteur ou brevet ?
- développement des logiciels libres et le
principe de l’open source
- effets pervers du développement des
DPI
Incitation produite par la situation de
concurrence : aiguillon, volonté de se
démarquer
Le risque : éliminer ses concurrents en
déclarant une guerre des prix qui se
traduit par une baisse des marges et des
investissements
Equilibre à atteindre entre un monopole
et concurrence : suffisamment de
monopole pour jouer le rôle de carotte et
suffisamment de concurrence pour ne pas
risquer d’abus de position dominante
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1.3 Agir sur l’accumulation du capital humain : les défaillances de marché justifient
l’intervention publique
document 23 Deux types de défaillances de marché :
- Les externalités positives générées par l’éducation et la santé conduisent à une allocation décentralisée privée
sous optimale ; la puissance publique a intérêt à inciter à l’éducation et la santé afin de rapprocher bien-être
privé et bien-être collectif ; on constate aujourd’hui par exemple en France que le % de bachelier par génération
stagne = le coût d’opportunité à poursuivre des études est donc trop élevé pour certains étudiants (ceux qui se
destinent à des études courtes les moins qualifiées) ;
- Le financement des études pose un problème de marché incomplet qui freine les crédits aux étudiants les
moins riches ; la puissance publique a donc intérêt à réduire les problèmes de financement rencontrés par les
étudiants les moins riches
La problématique du développement de la scolarisation n’est cependant pas la même dans le PVD et les
PDEM : comme le montre les études d’E.Duflo.
Document 24 : les écarts d’accumulation de capital humain se traduisent sur le PIB
Au niveau macroéconomique, le lien entre la performance de l’éducation et la productivité par tête est avéré
depuis l’étude fondatrice d’E.Phelps et E.Nelson de 1966. R.Barro trouve ainsi qu’une année supplémentaire
d’éducation primaire élève le taux de croissance de long terme, toutes choses égales par ailleurs, de 0,44 point.
D’autres études, en particulier celles de la Banque Mondiale, ont confirmé que le rendement social le plus élevé
est celui de l’éducation primaire dans les pays en développement, de l’éducation supérieure dans les pays
développés. (…) L’éducation est un champ d’application privilégié de la théorie de la « distance à la
frontière » : loin de la frontière technologique, il faut investir dans l’éducation primaire et secondaire qui suffit
à « imiter » des innovations faites ailleurs ; mais les pays qui se rapprochent de cette frontière, notamment en
Europe, doivent investir dans l’éducation supérieure pour pouvoir eux-mêmes innover. Dans les pays proches
de la frontière, comme la France, une hausse de un point de pourcentage de la population de diplômés du
supérieur dans la population en âge de travailler accroît le taux de croissance de la productivité globale des
facteurs de 0,1 point de % à moyen terme. Financer les universités est donc à coup sûr un bon investissement
pour la société. il est alors surprenant de constater à quel point l’investissement en capital humain est dispersé
selon les pays. (…) Le taux d’alphabétisation féminine est de 65% en Tunisie et de 40% au Maroc. (…) En
Italie, moins de 20% de la population âgée de 25 à 35 ans a bénéficié d’une formation supérieure, contre 40%
en Espagne. Dès lors comment s’étonner que le PIB de l’Espagne ait dépassé celui de l’Italie ? (…) La
conclusion est claire : s’ils veulent continuer à converger les pays en développement doivent investir dans
l’éducation primaire et secondaire ; si elle veut rattraper les Etats-Unis, l’Europe doit investir massivement
dans l’enseignement supérieur. Et l’argent ne suffira pas : les études empiriques montrent que la qualité de la
gouvernance des universités rentre aussi en ligne de compte. une autonomie accrue et des incitations plus fortes
sont nécessaires.
Source : Bénassy-Quéré p. 514
Document 25
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Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011
Document 26
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011
Document 27 : la hausse du nombre d’étudiants en France
Selon une étude du Groupe d'Etudes et de recherche sur les mouvements étudiants (Germe), on passe ainsi de
200.000 à 300.000 étudiants entre 1950 et 1960, pour arriver à 850.000 inscrits en 1970. Ce sont les facultés et
universités qui connaissent la plus forte augmentation.
L'âge moyen de fin d'études était de 15,2 ans en 1968 et il passera à 21,7 ans en 2006.
La sociologie du monde étudiant évolue parallèlement: chez les générations nées entre 1949 et 1953, à la fin
des années 60, 69% des enfants de cadres étaient bacheliers, contre 5 à 6% seulement chez les fils d'ouvriers.
Quarante ans plus tard, parmi les jeunes nés entre 1979 et 1982, 89% de ceux dont le père est cadre sont
bacheliers, contre 48% pour les enfants d'ouvriers, selon le ministère de l'Enseignement supérieur et de la
recherche.
Dans le même temps, la diversification des filières s'accentue: les BTS (STS), créés en 1959 passent de 8.000 à
27.000 étudiants en une décennie, tandis que les IUT, créés en 1966, atteignent déjà le chiffre de 24.000 jeunes
quatre ans plus tard.
Les autorités encouragent aussi les voies technologiques, le développement de nouvelles disciplines (sciences
humaines et sociales, sciences de gestion), comme le lancement d'universités expérimentales (Vincennes,
Dauphine).
Mais "massification" ne signifie pas "démocratisation": aujourd'hui, les étudiants dont les parents sont cadres
supérieurs sont toujours plus nombreux, notamment dans les filières longues et dans les classes préparatoires
aux grandes écoles, que les étudiants enfants d'ouvriers, qui rejoignent davantage les filières courtes (IUT,
STS).
Source : 2008 AFP
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Document 28 : évolution de la proportion de bacheliers par génération depuis 1910
Source : Ministère de la Culture, « Approche générationnelle des pratiques culturelles et médiatiques », 2007
Document 29 : les marchés sont incomplets
L’optimalité de l’équilibre de marché repose sur l’existence de marchés pour un ensemble de transactions à des
horizons plus ou moins lointains. Si certains marchés sont absents ou défaillants, l’équilibre de marché n’est
plus nécessairement optimal au sens de Pareto.
Par exemple, faute de collatéral sur lequel gager l’emprunt, il est très difficile d’emprunter pour financer ses
études. C’est en outre risqué, car le choix d’une spécialisation professionnelle est difficilement prévisible. La
quasi-absence d’un marché du crédit sur lequel les jeunes pourraient emprunter pour financer des
investissements dans leur propre capital humain tend à limiter l’accès à l’éducation supérieure, en particulier
dans les pays en développement. En l’absence d’intervention publique, l’investissement privé en capital humain
est donc sous-optimal, ce qui nuit à la croissance.
Cet argument fournit une justification à l’intervention publique quand les marchés sont incomplets. Dans
l’exemple ci-dessus, c’est l’efficacité économique qui motive le financement des études par des bourses et
l’offre de service d’éducation public. Cependant, les gouvernements peuvent aussi créer des nouveaux
marchés : dans les années 1990, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont introduits des prêts aux étudiants
conditionnés au revenu, dont le remboursement dépend du revenu futur du bénéficiaire du prêt. Un certain
nombre de pays, comme le Chili, le Royaume-Uni, l’Afrique du Sud et la Thailande ont par la suite suivi cette
voie. Ce type de réforme est fréquemment introduit en contrepartie d’une augmentation des frais de scolarité.
Robert Shiller (2003) a proposé d’aller au-delà de ce système en développant des produits financiers
spécifiques qui protègeraient les étudiants contre le risque de dévalorisation de leur capital humain, lié à des
évènements économiques.
Source : Agnès Bénassy-Quéré, B.Coeuré, Pierre Jacquet & Jean Pisani-Ferry, « Politique économique », De
Boeck,
Document 30 : le marché du financement des études
Etudiants qui ont besoin de
financer leur formation
Incertitude sur le devenir
professionnel de chaque
étudiant
Les banques refusent de
prêter : pas de financement
Intervention de l’Etat
bourses
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sert de garantie
Réglemente le marché des prêts
étudiants : prêts étudiants
conditionnés aux revenus
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1.4 Agir sur l’accumulation du capital public
La collectivité peut considérer la production de certains biens et services comme indispensable au bien-être de
la population. Cette production peut être justifiée pour des raisons tutélaires mais aussi sur des critères
économiques de défaillances de marché. Elle peut également conduire la puissance publique a octroyer des
monopoles à des entreprises privées qui doivent alors respecter des obligations de services publics.
Les défaillances de marché ici évoquées concernent en priorité la nature économique de certains services qui
conduisent à une sous-production par le marché. C’est notamment le cas des biens dits « collectifs ».
Elle peut aussi s’appuyer sur l’existence d’externalités positives.
Par exemple, le financement des infrastructures de transport est justifié par ces deux critères : biens collectifs et
externalités positives.
Document 31 : le capital public
A quoi bon fabriquer des produits s’il n’y a pas de route pour aller les vendre au marché ?
Le développement économique requiert des infrastructures adéquates : écoles, hôpitaux, chemin de fer,
aéroports, barrages, réseaux d’électricité et de télécommunication, approvisionnement en eau, collecte et
traitement des déchets. Ces infrastructures sont financées dans un premier temps par l’Etat ou par l’aide
internationale et, au fur et à mesure que les pays s’enrichissent et perfectionnent leurs marchés financiers, par le
secteur privé. L’investissement public en Allemagne, en France, au Royaume-Uni et en Italie a reculé de 4% du
PIB au début des années 1970 à 2% au début des années 2000, alors qu’il a augmenté en Irlande, en Grèce, en
Espagne ou au Portugal.
Mais même dans le cas d’un financement privé, une intervention publique est nécessaire :
Premièrement, de nombreuses infrastructures sont des monopoles naturels. Ceux-ci peuvent être
possédés par des investisseurs privés mais l’Etat doit alors vérifier qu’ils ne s’approprient pas une fraction
excessive de la rente de monopole (c’est le cas des sociétés d’autoroutes dont les péages sont réglementés), et
peut parfois décider que leur accès doit être gratuit, par exemple pour certaines catégories de la population ;
Deuxièmement, ces infrastructures créent des externalités positives (gains de temps pour les ménages,
abaissement du coût pour les entreprises, amélioration de la santé publique) ou négatives (congestion et
pollution). ceci justifie selon les cas des subventions (pour compenser l’écart entre rendement public et
rendement privé) ou au contraire des prélèvements (par exemple, pour dédommager les riverains victimes de
dommages) ;
Troisièmement, les infrastructures ne peuvent souvent pas être financées par le marché. En effet, lever
des fonds pour financer des projets d’infrastructures requiert l’existence d’un marché pour des prêts ou des
obligations à très long terme, pour la couverture du risque d’inflation, et dans le cas des pays en
développement, pour la couverture du risque-pays.
Ces externalités justifient l’intervention publique, mais ne sont pas une excuse pour entreprendre des projets
dont le taux de rentabilité socio-économique (ie, le rendement après prise en compte des effets externes) est
négatif. Ainsi le rendement socio-économique du tunnel Lyon-Turin a été estimé à 3% soit moins que son coût
de financement.
La tendance dans les pays développés est de privilégier les investissements favorables à la diffusion et
l’utilisation des TIC : téléphonie mobile, internet haut débit, réseau satellites … ces projets bénéficient de la
présomption d’un rendement social marginal supérieur, puisqu’ils permettent le développement d’activités dans
les secteurs qui concentrent les gains de productivité. Mais il n’existe pas d’étude empirique systématique de
leur impact sur la PGF. Plus généralement, la justification politique des grands projets renvoie souvent au jeu
des intérêts particuliers ou à des effets keynésiens attendus, souvent à tort, sur l’activité et sur l’emploi. Un
exemple extrême est le Japon, où les projets d’infrastructure se sont multipliés dans les années 1990 sans
impact notable sur le niveau d’activité.
Source : A.Benassy-Quéré, B.Coeuré, J.Pisani-Ferry et P.Jacquet, « Politique économique », De Boeck, 2010,
p.506
Au final, on constate que vouloir stimuler la croissance potentielle implique une intervention des pouvoirs
publics dont l’objectif est de modifier l’allocation des ressources sur le long terme :
L’Etat créé les marchés : le marché des capitaux, le DPI
L’Etat réglementer les marchés : supervision du système financier, politique de la concurrence, aides aux
entreprises, fiscalité, production de services publics
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2. La mise en œuvre des politiques industrielles
2.1 Distinguer politiques verticales et politiques horizontales
Document 32 : agir pour améliorer la compétitivité des entreprises
Politiques « industrielles »
Améliorer la compétitivité
des entreprises
Augmenter la production
de richesse
Document 33 : ne pas confondre politique « industrielle » et politique « pour l’industrie »
La politique industrielle désigne l’ensemble des actions conduites par les pouvoirs publics en vue d’assurer
le développement et la compétitivité des entreprises.
En ce sens, il ne faut pas confondre politique industrielle et politique favorable au développement du secteur
secondaire, c’est-à-dire la production « industrielle » au sens strict (les usines et la production de biens
manufacturés). En effet, il existe autant « d’industries » que d’activités économiques organisées, et la politique
industrielle peut tout aussi bien se donner pour objectif de dynamiser « l’industrie bancaire » ou « l’industrie du
tourisme ».
Source : Manuel ESH A.Colin, 2013, p. 618
Document 34 : distinguer deux grands types de politiques industrielles, les politiques « verticales » et les
politiques « horizontales »
La politique industrielle s’est appuyée sur des instruments très divers selon le contexte historique, en fonction
de la place dévolue respectivement au marché et à l’Etat.
On peut distinguer deux types de politiques industrielles :
- celles fondées sur un « Etat volontariste » qui se substitue aux marchés, en organisant directement
l’appareil productif et en favorisant le développement de certaines entreprises dans une logique « top
down » où l’Etat décide et les entreprises appliquent ;
- les politiques industrielles plus incitatives, dans lesquelles l’Etat met en place un environnement
favorable au développement industriel, mais laisse jouer la concurrence entre les firmes dans une
logique « bottom up ».
Source : Manuel ESH A.Colin, 2013, p. 618
Document 35 : distinguer deux grands types de politiques industrielles, les politiques « verticales » et les
politiques « horizontales »
On peut définir la politique industrielle comme l’ensemble des mesures étatiques (subventions, taxations,
régulation des biens et des facteurs de production) qui modifient l’allocation des ressources obtenues par le
libre fonctionnement du marché et qui visent à renforcer la croissance et la compétitivité de l’économie
nationale. On distingue deux grands groupes de politique industrielle.
Il y a la politique industrielle verticale ou sectorielle destinée à un secteur ou sous-secteur d’activité
(biotechnologie, informatique) voire à une entreprise (IBM ou Aérospatiale). C’est celle qui domine largement
au cours du 20ième siècle dans le cadre de la politique des champions nationaux. Elle est devenue moins
ouvertement défendue par les Etats depuis les nombreux échecs des champions nationaux en Europe au cours
des années 1970-1980, mais continue d’être appliquée de facto par certains Etats membres.
L’autre type est la politique industrielle horizontale qui ne s’adresse pas à un secteur en particulier mais vise
à accroître la compétitivité de toutes les entreprises sur le territoire national à travers la création de biens
publics générateurs d’externalités positives pour les entreprises (meilleures infrastructures de transport, de
communication, d’énergie, meilleure formation du capital humain, efforts à la recherche, simplification des
procédures administratives, support technique à l’exportation).
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.246-279
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2.2 Les politiques industrielles verticales (volontaristes) : une stratégie adoptée par les pays en
rattrapage
2.2.1 Le cas de la France après la seconde guerre mondiale
Document 36 : le rattrapage des économies éloignées de la frontière technologique
Selon l’expression de P.Aghion, les pays situés loin de la frontière technologique constituent des « économies
de rattrapage » qui ont intérêt à placer l’Etat au centre d’un processus rapide de rattrapage des pays les plus
développés. Ils peuvent en effet imiter les technologies disponibles et n’ont pas besoin d’investir massivement
dans la recherche d’innovations. En revanche, l’Etat est indispensable pour orienter de façon volontariste les
ressources vers les secteurs stratégiques. Dans le cas coréen, par exemple, les accords de partenariat avec les
Etats-Unis après-guerre, soutenant un pays allié face au bloc socialiste, ont permis d’importants transferts de
technologie vers la Corée, qui a développé rapidement son industrie lourde, et organisé des filières
d’exportation.
Les modalités d’une politique industrielle volontariste sont nombreuses, elles sont présentées ici à travers le cas
français, après la seconde guerre mondiale, dans un contexte de rattrapage de l’économie américaine, qui se
situe alors à la frontière technologique :
- la planification des activités économiques, qui consiste à répartir les investissements publics entre les
différents secteurs d’activités durant une période donnée et à fixer des objectifs productifs à chacun.
Elle est mise en œuvre à partir de 1947 en France (premier plan 1947-1952), et a permis la
reconstruction de l’industrie lourde et énergétique, puis dans les années 1960, le développement d’un
« colbertisme high tech » selon l’expression d’Elie Cohen, qui a consisté à imposer d’ambitieux
programmes industriels fondés sur des activités de haute technologie (nucléaire, aéronautique et
aérospatial …). Contrairement aux pays socialistes, la planification reste incitative dans l’économie
française (les firmes privées ne sont pas obligées de se soumettre aux objectifs du plan) ;
- la nationalisation des firmes stratégiques a été également fortement pratiquée après la seconde guerre
mondiale, de façon à remodeler l’appareil industriel en pilotant directement des industries ayant un rôle
clé dans leur filière (Renault, création d’Edf et Gdf, transport aérien, …). Une deuxième grande vague
de nationalisations a lieu en 1982, elle concerne en particulier les secteurs jugés stratégiques (les
banques, Thomson pour la filière électricité …) ;
- les aides directes pour certaines firmes ou filières, afin de développer par exemple des secteurs d’avenir
ou favoriser la reconversion de secteurs concurrencés par l’ouverture internationale. on parle de
politique industrielle verticale car il s’agit d’aider un « champion national » dans une filière donnée, en
comptant sur ses effets d’entraînement en amont et en aval. Cette politique s’est développée dans les
années 1970 en France, dans les secteurs en déclin (textile, chantiers navals) comme dans les secteurs
d’avenir (financement des grands projets comme le TGV par exemple).
Source : Manuel ESH A.Colin, 2013, p. 619
Document 37
Situation de rattrapage
Imitation des pays « en pointe »
Intervention Etat : Comment ? le cas Français
Planification : orienter
l’investissement public dans
des secteurs stratégiques (rôle
des experts) ; « ardente
obligation », « impératif
industrielle » ; « réducteur
d’incertitude »
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Nationalisation : piloter
directement certaines
entreprises clés dans un
secteur
Aides directes aux
entreprises : favoriser le
développement de
« champions » ou la
reconversion de secteurs
en crise
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Document 38 : Etat interventionniste et technocratie en France, le rôle de J.Monnet
La seconde guerre mondiale va amener une révolution de la réflexion sur les mécanismes de pensée collective.
Le rejet de la bureaucratie lente et pléthorique en est un trait commun. Schématiquement, on peut dire que l’on
assiste avec la seconde guerre mondiale à une transformation de l’idéal bureaucratique, transformation qui met
en avant l’idée d’une technocratie scientifique fonctionnant par petits groupes d’experts, et favorise la
délégation de pouvoirs au scientifique et à l’ingénieur plutôt qu’au fonctionnaire professionnel de l’appareil
d’Etat. Cette évolution vers une technostructure qui utilise la société civile et évite les pesanteurs est moins une
rupture qu’une évolution du schéma bureaucratique. C’est au fond l’épanouissement des idées positivistes (cf
Auguste Comte « savoir pour prévoir, prévoir pour pouvoir ») qui souhaitaient appliquer au fonctionnement
d’Etat les enseignements de la révolution industrielle ; en somme remplacer le notable par l’ingénieur. (…)
Dans les années de reconstruction, c’est Jean Monnet qui personnifie la montée en puissance de la technocratie
comme alternative à la bureaucratie. (…) A la tête du Commissariat général du Plan, soigneusement positionné
hors des appareils ministériels, Monnet s’entoure d’une petite équipe d’ingénieurs venus du monde de
l’entreprise et lance le système des commissions de modernisation, qui mettent au travail des groupes de
représentants issus de chaque industrie. (…) C’est par opposition au principe de la planification centralisée par
une bureaucratie pléthorique que Monnet constituait ses petits comités d’experts, de scientifiques et de
praticiens de la société civile. L’Union européenne sera construite dans cet esprit de délégation à de petits
groupes d’experts.
Source : Augustin Landier et David Thesmar « La société translucide. Pour en finir avec le mythe de l’Etat
bienveillant », Fayard, 2010, p.179-180
Document 39 : la planification française, une « ardente obligation » (De Gaulle)
La planification indicative va accélérer le processus de « reconstruction et modernisation », nom du 1er plan
(1947-1953), élaboré sous la houlette de Jean Monnet. Six secteurs prioritaires sont définis : transports
intérieurs, charbon, électricité, sidérurgie, matériel agricole, matériaux de construction. Les entreprises
publiques nationalisées jouent un rôle premier dans ce dispositif. Dans le cadre du Plan, des centaines d’experts
sont envoyés aux Etats-Unis pour « des missions de productivité » et s’informer des méthodes de production
américaines. Les quatre plans qui se succèdent ensuite de 1954 à 1970 achèvent la reconstruction, et le
redressement de l’économie française pour mieux la préparer à la concurrence européenne et mondiale.
Les années 1960 constituent l’âge d’or de la planification qui devient une « ardente obligation » (Charles de
Gaulle), un instrument essentiel de l’économie concertée et impose « l’impératif industriel ». « Réducteur
d’incertitude », le plan assure la cohérence des interventions publiques et met en place des dispositifs
d’incitation destinés au secteur privé.
De grands projets industriels sont mis en œuvre comme le Plan calcul en 1966, la création d’un complexe
sidérurgique à Fos sur Mer en 1967, les grands programmes aéronautiques (programme Caravelle à la fin des
années 1960), puis Concorde et Airbus (plus tard), le programme nucléaire, … Ce « colbertisme high tech »,
selon E.Cohen, s’accompagne d’un encouragement à la concentration des groupes industriels français et des
groupes bancaires afin de constituer des « champions nationaux ». (…)
La France n’est pas le seul pays à se caractériser par un volontarisme industriel. En Grande-Bretagne, les
entreprises nationalisées jouent un rôle déterminant dans le modèle économique anglais qui prendra fin avec
M.Thatcher. un dispositif proche de la planification indicative est mis en place aux Pays-Bas. Au Japon, le
ministère de l’industrie, le MITI (Ministry of Economy, Trade and Industry) organise une politique volontariste
de conquête des marchés extérieurs et une politique de fermeture réglementaire financière et commerciale du
marché intérieur.
Source : Dictionnaire de science économique, A.Colin, p. 348
Document 40 : les 70 ans du Plan en 2016
Quelques rappels historiques :
http://www.strategie.gouv.fr/travaux/1946-2016-plan-france-strategie
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Document 41 : l’interventionnisme public modifie l’allocation des ressources
L’Etat volontariste : le cas Définition
Effets attendus
français après la seconde
guerre mondiale
L’Etat définit pour les entreprises du L’Etat définit les axes de l’allocation
La planification
secteur public et privé des objectifs des ressources sur une période donnée
de production et y affectent des (par exemple, au lendemain de la
investissements ;
seconde guerre mondiale, les secteurs
Le Plan est un « réducteur du transport et de l’énergie, puis plus
d’incertitudes » ;
tard dans les années 1960 les secteurs
La planification, « une ardente du nucléaire et de l’informatique)
obligation »
L’Etat détient le contrôle de certaines L’Etat devient un acteur économique
Les nationalisations
entreprises ;
dans des secteurs qu’il estime
stratégiques
(aéronautique,
automobile) et dans des « services
publics »
(énergie,
transport,
télécommunication, médias)
Les aides directes aux L’Etat vient en aide aux industries Contrôler la transformation des
en crise et aux industries en secteurs productifs et stimuler les
entreprises privées
développement ;
secteurs d’avenir ;
Approche « colbertiste » de la politique industrielle ; (Colbert, contrôle
En résumé ;
général des finances de Louis XIV crée des manufactures royales, tout comme
d’ailleurs B.de Laffemas) ;
Stratégie des champions nationaux ;
Influence de J.Monnet : la planification « à la française » est une
planification de technocrates, d’experts plus que de fonctionnaires (moins une
planification « politique » qu’une planification « technique ») ;
Logique de rattrapage : la France envoie des experts aux Etats-Unis pour des
« missions de productivité » ; les technologies militaires développées durant la
guerre sont reproduites pour des biens civils à grande échelle (la radio ; le
transport aérien ; le nucléaire civil …)
2.2.2 D’autres exemples de politiques industrielles verticales dans des pays en rattrapage : du
décollage du Japon à la Chine contemporaine
Document 42 : Les stratégies d’industries industrialisantes
Ces stratégies d’industries industrialisantes s’inspirent du modèle socialiste de développement mis en œuvre
dans les années 30. Il s’agit de favoriser, par une politique étatique volontariste utilisant les moyens de
planification centralisée, les activités économiques situées en amont des filières de production. L’industrie
lourde, les industries de biens d’équipement, sont les priorités de l’Etat et des entreprises publiques. On
recherche ainsi un effet d’entraînement permettant, dans un second temps, de développer les industries de biens
de consommation et d’agriculture. A la suite de l’Union soviétique, et des premiers plans quinquennaux mis en
place sous Staline, l’Inde et la Chine mettent en œuvre ce type de politique dès la fin des années 1940. Plus
tard, l’Algérie définit une politique fortement inspirée de ces exemples. Dès 1967, la planification algérienne
repose sur une priorité absolue accordée aux secteurs des hydrocarbures et de la sidérurgie qui reçoivent la
moitié des investissements industriels, celui-ci représentant près de 60% de l’investissement total (…). Les
résultats sont incontestables puisque la croissance industrielle a été supérieure à 10% par an dans les années
1960, et de près de 8% par an dans les années 1970. La part de l’industrie dans le PIB passe du tiers à la moitié
en vingt ans. Les bases industrielles de l’Algérie sont donc incontestables grâce à cette politique.
Source : Jean-Marc Huart « Croissance et développement », Bréal, coll. Thèmes et débats, 2003
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Document 43 : les stratégies d’industrialisation par substitution d’importations (ISI)
Ces politiques consistent à remplacer les importations, notamment de produits manufacturés, par des
productions locales, à l’abri de barrières douanières importantes. Trois étapes caractérisent cette politique :
- on commence par produire des biens de consommation non durable (alimentaires ou textiles) en
protégeant ces activités par des droits de douanes élevés ou des barrières quantitatives ;
- on élabore ensuite une stratégie de remontée de filière en cherchant à produire les biens situés en amont
des filières de production ;
- enfin, l’industrialisation doit permettre des exportations.
Ces stratégies de substitution d’importations ont été adoptées dans l’entre-deux-guerres en Amérique latine et
dans les années 1950 en Asie du Sud-Est.
Source : Jean-Marc Huart « Croissance et développement », Bréal, coll. Thèmes et débats, 2003
Document 44 : l’exemple du Brésil « 50 ans d'industrialisation en 5 ans » (Gvt Kubitschek)
L'industrialisation par voie substitutive d'importation qui marque pendant plus d’une trentaine d’années
l'économie du Brésil, peut être appréhendée selon deux phases.
La première phase concerne la substitution d’importations légères. Cette étape qui nécessite peu de
capital et de main-d’œuvre qualifiée est d'autant plus aisée à franchir qu’elle s’appuie sur des capacités
industrielles et des infrastructures préexistantes, générées par l’économie exportatrice. [...]
La deuxième phase de la substitution aux importations concerne des secteurs plus lourds (cimenterie,
acier commun, chimie, biens d'équipement pour les industries textiles, métallurgie.. ) pour toucher plus
tardivement d'autres secteurs plus complexes (équipement industriel, construction navale, matériel électrique,
aciers spéciaux, pétrochimie...) et des biens de consommation durables (appareils ménagers, automobiles, radio,
télévision...) ce qui nécessite plus de capital et une main d’œuvre mieux formée, plus différenciée. [...] L'Etat
définit le cadre juridique de l'industrialisation (institution du Code minier en 1934 du Conseil national du
pétrole en 1938..) ; il crée un Institut national de statistique, un Conseil fédéral du commerce extérieur ouvrant
la voie à une ébauche de planification ; il poursuit également l'effort pour les infrastructures et met en place une
législation sociale relativement avancée. Il intervient aussi directement dans la production quand il crée (en
1941) l'usine de Volta Redonda (Compagnie sidérurgique nationale) après que des grandes sociétés
sidérurgiques étrangères eurent refusé de construire une aciérie. D'autres mesures [...] comme la création de la
Banque Nationale de Développement économique (1952), de Pétrobas (1954) augmentent les instruments de
l'Etat qui élargit par ailleurs ses interventions en faveur d'une diversification industrielle. C'est cependant le
Plan Metas du gouvernement Kubitschek (1955-1961) qui donne l'impulsion décisive à la substitution
d'importations lourdes dans le cadre d'une stratégie délibérée d'industrialisation intense symbolisée par le mot
d'ordre : « 50 ans d'industrialisation en 5 ans ». [...]. Sur la période 1955-1961, l'économie croît de 8,1% par an
tandis que la part de l'industrie dans le PIB passe de 21,9% en 1949 à 30,5% en 1960.
Source : A. Merad-Boudia, « Economie du développement Une perspective historique », L’Harmattan, 2012
Document 45 : politique industrielle visant à développer l’offre intérieure
Industrie industrialisante : les
investissements dans l’industrie lourde
doivent générer des effets d’entraînement
de l’amont vers l’aval
Substitutions aux importations : orienter la
demande vers des producteurs locaux pour
stimuler l’offre
Document 46 : les stratégies de développement fondées sur les marchés extérieurs, le rôle des politiques
commerciales protectionnistes
Au 19ième siècle, le développement des pays occidentaux s’est déroulé dans un cadre d’essor des échanges
internationaux. De manière logique, les pays du tiers-monde ont cherché à mettre en valeur leurs avantages afin
de favoriser l’entrée des capitaux permettant le développement. Deux types de politiques ont été menées :
- la première politique vise à la promotion d’exportations de produits primaires agricoles ou miniers ; les
pays cherchent, dans ce cas, à profiter de l’avantage qu’ils ont dans ce type de production ou des
dotations importantes qu’ils détiennent. La spécialisation dans les exportations de produits pétroliers,
dans les années 1970, en est un premier exemple, mais des pays d’Amérique latine ou africains (Côte
d’ivoire, Sénégal …) ont adopté ce type de stratégie depuis les années 1960. Ces spécialisations,
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généralement fondées sur un seul produit de base, se sont soldées par un bilan très mitigé : la monoexportation rend les ressources du pays très liées aux fluctuations internationales des prix. Les
tentatives des cartels ont généralement échoué, sauf dans le cas de l’OPEP ;
fondée sur la substitution d’exportations, la stratégie de valorisation des exportations de produits
primaires consiste à transformer les produits primaires dans le pays pour valoriser les exportations. Le
Brésil, l’Argentine, le Mexique, l’Egypte ont adopté cette politique à partir du milieu des années 1960.
Les pays d’Asie du Sud-Est ont progressivement adopté cette stratégie, l’objectif étant, comme en
Thaïlande ou en Corée du sud, de remplacer les exportations de produits primaires par des exportations
de produits manufacturés. La Corée adopte, dès 1961, une stratégie extravertie fondée sur l’exportation
de biens courants, comme le textile. Mais cette politique se double d’une stratégie de remontée de
filière qui permet une industrialisation et des exportations de produits de plus en plus sophistiqués.
L’aide de l’Etat, notamment des mesures protectionnistes, est essentielle. Une nouvelle vague
d’industrialisation touche d’autres pays d’Asie dans les années 1980 (Malaisie, Philippines, Indonésie,
Chine, Inde …). Ces pays réussissent progressivement à exporter des produits de plus en plus
sophistiqués, en se fondant sur les avantages comparatifs liés au coût du travail.
Source : Jean-Marc Huart « Croissance et développement », Bréal, coll. Thèmes et débats, 2003
Document 47 : les politiques industrielles visant à stimuler les exportations
Exportations de produits primaires
Exportations de produits transformés
avec remontée de filière (produits de
plus en plus sophistiqués)
Document 48 : soutenir les producteurs nationaux, deux stratégies possibles
Développer le marché intérieur :
développement auto-centré
Développer les exportations :
insertion dans le commerce
mondial
Document 49 : les NPI d’Asie
Le rattrapage de l’Asie a été préparé par l’histoire longue de ce continent ainsi que par la période socialiste
récente. La Chine et l’Inde ont été précédées par des chevau-légers qu’on a appelés les « nouveaux pays
industrialisés » (NPI) et naturellement par le Japon qui avait débuté son rattrapage dans la deuxième moitié du
19ième siècle.
Dans les années 1960-1970, le Japon est l’exemple même d’une croissance social-démocrate autocentrée de
rattrapage extrêmement rapide. Peu d’investissements directs étrangers, un développement tiré en premier lieu
par la croissance d’un marché intérieur très homogène : jusque dans les années 1980, 90% des japonais se
disent appartenir à la classe moyenne. Le taux d’équipement des ménages en biens de consommation durable,
pilier de la croissance fordiste, évolue très rapidement par vagues successives. D’une très forte compétition sur
le marché intérieur émergent des champions nationaux, en général deux ou trois par secteurs. Ces champions
font partie de grands groupes très diversifiés rassemblant des firmes industrielles, des maisons de commerce et
des banques : les Keiretsu, héritiers des Zaibastu d’avant-guerre. Les Kereitsu entretiennent des rapports étroits
et permanents avec l’Etat, en particulier avec le fameux MITI, ministère de l’industrie et du commerce
extérieur. L’Etat les préserve de la concurrence extérieure par un protectionnisme délibéré et multiforme (…).
Durant cette phase social-démocrate autocentrée, la croissance japonaise est très égalitaire. Dans les années
1980, le relais est pris par les exportations, puis par les investissements directs des firmes japonaises à
l’étranger, aux Etats-Unis mais surtout en Asie, ce qui les place au sommet d’un système de production
asiatique, et qui va leur faire jouer un rôle important dans l’industrialisation du reste de l’Asie, Chine comprise.
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Le rattrapage de la Corée suit celui du Japon d’après-guerre avec un décalage d’une quinzaine d’années, dans le
cadre d’un capitalisme qui présente avec celui du Japon des années 1960 à 1980 d’importantes similitudes :
faiblesse des investissements directs à l’étranger, homogénéité sociale et inégalité sociale réduite, rôle décisif
de l’Etat et collusion entre l’Etat et de grandes firmes industrielles : les Chaebols. Les traits distinctifs sont :
une aide extérieure américaine, liée à la guerre de Corée et à ses suites, probablement plus importante dans la
phase initiale ; une croissance plus nettement tirée par les exportations dès le départ ; une compétition politique
avec le Nord socialiste ; enfin, une revanche à prendre vis-à-vis du Japon, la puissance colonisatrice honnie
(…).
Comme la Corée, et en raison de son caractère plus tardif, le rattrapage de Taiwan et Singapour s’appuie plus
que celui du Japon sur les exportations ne serait-ce qu’en raison de l’étroitesse des marchés intérieurs.
Source : P.N.Giraud « La mondialisation. Emergences et fragmentations », Editions Sciences humaines, 2012,
p.71-73
Document 50 : le cas du Japon et des autres pays asiatiques
Années 1960/1970
Importance du développement du
marché intérieur
Demande intérieure dynamique et
protégé
Logique de conglomérat (Kereitsu)
Peu d’IDE entrants
Années 1970/1980
Importance du développement du
marché extérieur : exportations et
appui du MITI
Demande extérieure dynamique
Champions nationaux « Japonais »
Davantage d’IDE entrants
Monnaie faible
Corée du Sud : à partir années 1960
Transferts de technologie et
d’investissement US plus importants
Importance des conglomérats
(Chaebols)
Rôle des exportations
Remontée de filière par imitation
technologie leader
Autres « dragons » : Taiwan,
Singapour
Marché intérieur petite taille
Nécessité développement par
exportation
Rôle de la diaspora chinoise
Document 51: la promotion des exportations comme stratégie d’émergence, les NPI d’Asie
La stratégie d’insertion dans l’économie mondiale adoptée par les quatre dragons (Corée du Sud, Taiwan,
Singapour, Hong-Kong) suit assez fidèlement celle du Japon, qui garde une à deux décennies d’avance tout au
long du processus. On peut distinguer trois grandes phases dans la période qui couvre l’après-guerre jusqu’aux
années 1990.
La première phase (phase de stabilisation institutionnelle – 1945/1960) consiste à mettre en place les conditions
politiques et institutionnelles d’une stabilisation de l’économie et de la société de ces pays : établissement d’un
pouvoir politique stable, réduction du niveau de tension dans la société, réforme agraire, mise en place d’un
cadre juridique cohérent.
La seconde phase (l’amorçage de l’industrialisation par la sous-traitance internationale – 1955/1970). La
puissance publique joue un rôle déterminant dans la planification et le financement du développement
industriel. (…) Tout en menant une politique active de modernisation de leur tissu productif national, les futurs
dragons se positionnent comme bases de sous-traitance pour l’industrie textile des pays avancés. (…) Le coût
de la main d’œuvre est maintenu à un niveau très modeste : en 1984, il représente encore 17% (Corée du sud)
des niveaux constatés en France. (…) A la fin de cette période, les dragons restent caractérisés par un niveau de
vie encore relativement faible (particulièrement en Corée du sud, dont le PIB/Tête reste inférieur à celui de
Corée du nord jusqu’en 1966), et une part modeste de l’emploi manufacturier (7% en Corée du Sud, 12% à
Taiwan mais 32% à Hong Kong).
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Abandonnant explicitement les politiques de substitution aux importations au tournant des années 1960, les
autorités décident de pratiquer une politique agressive de promotion des exportations, qui combine incitations
fiscales, subventions aux exportations, et sous-évaluation de la monnaie nationale. On rentre alors dans la
troisième phase, celle de diversification industrielle et de montée en gamme des exportations (1965/1990). (…)
Le rôle structurant de l’Etat en Corée du sud est illustré (…) par la création de grands conglomérats nationaux
capables de se porter directement sur les marchés mondiaux (les Chaebols). (…) L’effort d’investissement
consenti pour moderniser l’économie est considérable : le taux d’accumulation représente 40% du Pib à Taiwan
et Singapour.(…) Pour maintenir la compétitivité prix de leur économie, les autorités monétaires adoptent une
gestion dynamique de leur taux de change, qui reste sous-évalué malgré son appréciation progressive, ce qui
permet de protéger le secteur domestique de la concurrence internationale et de maintenir l’attractivité de
l’économie pour les investisseurs étrangers.
Source : Julien Vercueil « Les pays émergents. Mutations économiques et nouveaux défis », Bréal
Document 52
Les
autres
exemples Le Japon / La Corée du Sud L’Algérie
Le Brésil
historiques de politique
industrielle volontariste
Substitution
aux
Stratégies
de 1950-1960 : substitution des Années 1970
importations et développement Planification
et importations,
développement
d’industrie à faible valeur développement de développement
ajoutée ; protectionnisme des l’industrie lourde ; industrie
secteurs en développement ; logique
des (lourde/équipement et
les marchés intérieurs sont industries
consommation
concurrentiels mais protégés industrialisantes ;
courante)
et
des étrangers ; quelques firmes
planification
leaders ressortent de cette
Plan Kubitschek à la
concurrence,
elles
fin des années 1960: «
appartiennent aux Kereitsu ou
50
ans
au Chaebols (relation étroite
d'industrialisation en 5
entre banques, entreprises et
ans »
Etat) ;
à partir 1960 : remontée de
filières
et
soutien
aux
exportations : au Japon, le Miti
apporte son aide financière et
logistique aux exportateurs ;
Rôle de l’Etat dans les L’Etat joue un rôle important dans les pays en retard car il permet une
pays « late comers »: accumulation du capital plus importante que ne le feraient les initiatives privées,
et il protège les industries naissantes ;
A.Gerschenkron
Le rattrapage de ces économies vient donc de l’impulsion fournie par la
puissance publique, mais aussi par les conditions d’imitation à moindre coût des
technologies développées par les pays leaders ;
2.2.3 Les limites des politiques industrielles verticales
2.2.3.1 Interventionnisme public et défaillances de l’Etat
Document 53 : les défaillances de l’Etat
(Les politiques verticales) supposent que l’Etat soit un agent à la fois bienveillant, impartial et efficace en
fixant ses priorités industrielles, ce qui peut être contesté.
Les entreprises protégées par un monopole, des réglementations favorables ou des aides directes ont tout intérêt
à conserver les rentes de situation qui en découlent, elles peuvent dans ce but corrompre les agents publics,
s’organiser en groupe de pression pour détourner les subventions et les réglementations à leur profit, et leur
petit nombre facilite leur travail de lobbying face à l’éparpillement des clients. (…) L’échec du « Plan Calcul »,
ESH ECE2
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lancé en 1966 pour entraîner la formation d’une industrie informatique française autour de la société Bull est le
symbole de cette difficulté à mener jusqu’au bout des choix innovants de façon volontariste.
Source : Manuel ESH A.Colin, 2013, p. 619
Document 54: les défaillances de l’Etat
Les limites et effets pervers Explications
Exemples
d’un Etat volontariste en
matière
de
politique
industrielle
L’intervention de l’Etat ne se Situation de « capture du régulateur » ; Lobby du nucléaire contre le
fait pas dans le sens de poids des lobbys qui orientent la développement des énergies
dépense et les investissements publics alternatives (France) ;
l’intérêt général
à leur profit plutôt que dans l’intérêt
général ;
L’Etat est lui-même victime Bien qu’actionnaire, l’Etat peut être Le crédit Lyonnais (alors
d’asymétrie
d’information piégé par les dirigeants des entreprises banque publique) est au bord de
dans la gestion des entreprises publiques et s’avérer un mauvais la faillite (1993) – intervention
pour éviter la faillite (coût net
publiques : conséquence, sa gestionnaire ;
environ 8 milliards d’euros)
gestion est défaillante
Areva et le scandale des mines
d’uranium
2.2.3.2 Des institutions uniquement efficaces dans un contexte de rattrapage
Document 55:
Situation de rattrapage
Contexte institutionnel :
Protection du marché intérieur
Peu de concurrence intérieure
Soutien aux entreprises « stratégiques » ;
Peu de flexibilité sur le marché de l’emploi
Les entreprises rattrapent leur retard
technologique en bénéficiant d’une demande
intérieure dynamique et de politiques
conjoncturelles contra-cycliques
Ouverture croissante des économies / nouvelle
mondialisation
Dans les pays « imitateurs », les entreprises
protégées par les barrières et soutenues par les
pouvoirs publics ne sont plus compétitives et la
concurrence a tendance à les éliminer
Nécessité de changer de cadre institutionnel pour
pousser à l’innovation (radicale) plutôt qu’à
l’imitation
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Document 56 : les économies qui arrivent à la frontière de production ne peuvent plus être compétitives
par l’imitation des technologies les plus avancées
Pendant la période faste des Trente Glorieuses (…) la croissance des pays européens a reposé essentiellement
sur le « rattrapage », c’est-à-dire sur la reconstitution du stock de capital et sur l’imitation technologique.
L’organisation économique était dominée par les activités des grandes entreprises, soit publiques, soit
fortement subventionnées par l’Etat, avec relativement peu d’ouverture au commerce extérieur, peu de
concurrence sur les marchés de biens et services, et peu de flexibilité sur le marché de l’emploi. Dans ce
contexte, pour assurer le plein emploi et le bien-être social, l’Etat disposait de trois leviers d’intervention. En
premier lieu, un secteur public étendu donnait à l’Etat la possibilité d’orienter la politique industrielle. Ensuite,
les politiques « keynésiennes » lui permettaient de gérer le cycle macroéconomique ; dans le cadre d’une
économie relativement fermée, on pouvait en effet impulser l’activité économique en augmentant la dépense
publique, sans craindre que cela ne profite à un pays voisin. Enfin, l’Etat-providence permettait à l’Etat de
régler les problèmes sociaux résiduels à coups de subventions et de revenus de substitution, (protection sociale,
allocations familiales …).
Depuis les années 1980, ce modèle a cessé de fonctionner. Nous sommes entrés dans une ère où la croissance
des pays développés est tirée non plus par l’imitation technologique mais par l’innovation. En effet, la
mondialisation nous met directement en concurrence avec d’autres pays « imitateurs », mais qui disposent
d’une main d’œuvre moins coûteuse ; la seule façon de survivre à cette concurrence est d’être parmi ceux qui
inventent les nouveaux procédés ou produits, autrement dit qui innovent à la frontière technologique.
Dans une économie désormais ouverte et tournée vers l’innovation, de nouvelles entreprises et de nouveaux
emplois sont créés en permanence, tandis que d’autres sont détruits ; d’où l’importance, pour l’Etat, non pas
tant de contrôler directement les entreprises, mais de les réguler. De même, dans une économie mondialisée, la
gestion macroéconomique par la demande perd de son efficacité, car relancer la dépense publique peut se
traduire par un creusement du déficit commercial, et non par une reprise de l’activité. La France en a fait l’amer
expérience entre 1981 et 1983, lorsque la relance de la consommation a profité essentiellement à nos
partenaires, en stimulant davantage les importations que la production nationale. Enfin, l’ Etat providence
théorisé par Beveridge dans les années 1940 est entré en crise : il ne s’agi plus seulement maintenant de
protéger, mais d’accompagner les individus dans un parcours professionnel plus mobile que par le passé, où
l’on change plus fréquemment d’emploi ou de métier.
Ce modèle « keynésien » ayant vécu, il est nécessaire de relever, avec d’autres outils, d’autres perspectives, les
défis imposés par la mondialisation des échanges et le passage à une économie de l’innovation. Dès lors, deux
choix sont possibles : soit, comme le proposent les néolibéraux, réduire le rôle de l’Etat ; soit, renforcer les
prérogatives de l’Etat en redéfinissant son rôle. C’est cette dernière approche que nous défendons.
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011, p. 9
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Document 57
Les limites et effets pervers
d’un Etat volontariste en
matière
de
politique
industrielle
L’intervention de l’Etat ne se
fait pas dans le sens de
l’intérêt général
L’Etat est lui-même victime
d’asymétrie
d’information
dans la gestion des entreprises
publiques : conséquence, sa
gestion est défaillante
L’approche volontariste (dite
approche « top down ») ne
fonctionne plus à l’approche
de la frontière technologique
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Explications
Exemples
Situation de « capture du régulateur » ;
poids des lobbys qui orientent la
dépense et les investissements publics
à leur profit plutôt que dans l’intérêt
général ;
Bien qu’actionnaire, l’Etat peut être
piégé par les dirigeants des entreprises
publiques et s’avérer un mauvais
gestionnaire ;
Lobby du nucléaire contre le
développement des énergies
alternatives (France) ;
Dans les économies en rattrapage,
l’Etat protège les industries naissantes
à la fois de la concurrence intérieure
(monopole public) et de la concurrence
extérieure (protectionnisme) pour en
faire des champions nationaux. Dans
ce cas de figure, augmenter la
concurrence a un double désavantage :
la concurrence interne empêche la
capacité à générer des économies
d’échelle et donc à faire baisser les
CUP. Augmenter la concurrence
externe conduit les entreprises
nationales « en retard » à disparaître
face aux concurrents des pays leaders.
Par contre, lorsque l’économie est à la
frontière technologique, l’innovation
ne vient pas des firmes « installées »
(les champions nationaux) mais de
« newcomers » qui cherchent à obtenir
à leur tour une position de leader sur le
marché. Dans ce cas, plus la
concurrence est forte plus cela stimule
les innovations entre les entreprises
privées.
Conclusion : lorsqu’une économie a
rattrapé son retard (qu’elle se trouve à
la frontière technologique), elle doit
modifier le degré de concurrence sur
les
marchés
(davantage
de
concurrence) et limiter l’intervention
publique, afin de favoriser la
concurrence entre une multitude
d’entreprises privées.
Le crédit Lyonnais (alors
banque publique) est au bord de
la faillite (1993) – intervention
pour éviter la faillite (coût net
environ 8 milliards d’euros)
Le scandale Aréva et les mines
d’uranium
Echec des politiques verticales ;
par exemple, dans le domaine
informatique qui se développe à
partir des années 1960, la France
élabore deux plans pour devenir
un pays leader, mais qui seront
deux échecs :
Le Plan calcul (lancé en 1966) :
son objectif est d’assurer
l’indépendance de la France en
matière de gros ordinateurs et de
soutenir l’industrie électronique
française ;
Le Plan informatique pour tous
(lancé en 1985) pour initié tous
les élèves à l’informatique ;
l’Etat choisit d’acheter des
ordinateurs Thomson – qui est
alors en situation financière
difficile - plutôt qu’Apple ;
25
Document 58 : distinguer les moteurs de l’innovation dans les pays en rattrapage et dans les pays à la
frontière technologique
Des travaux récents le montrent : les leviers d’une croissance basée sur l’innovation sont différents de ceux
d’une croissance fondée sur l’imitation ou le rattrapage technologique.
Tout d’abord, l’innovation de pointe (ou d’innovation à « la frontière technologique ») a besoin d’un marché
des biens concurrentiels, et cela pour deux raisons essentielles :
- d’une part, parce que davantage de concurrence incite à l’innovation pour justement échapper à la
concurrence et réaliser des profits de monopole (au moins temporairement, jusqu’à ce que l’innovation
soit rendue obsolète par de nouvelles innovations) ;
- d’autre parce, parce que les nouvelles idées sont souvent introduites par de nouveaux entrants sur le
marché des biens, tandis que les firmes en place tendent à perfectionner les produits ou les technologies
qu’elles ont inventé dans le passée. Ainsi, ce ne sont pas les grands producteurs d’avions à hélices qui
ont introduit les avions à réaction, tout comme ce n’est pas IBM qui a le premier introduit les
ordinateurs portables. Et, de fait, les travaux empiriques montrent que plus la croissance d’une
économie repose sur l’innovation « frontière », plus cette croissance est stimulée par davantage de
concurrence et de mobilité sur le marché des biens.
Le graphique suivant montre bien qu’une augmentation du niveau de la concurrence (ici, cela correspond à un
taux d’entrée plus élevé des firmes étrangères) a un impact positif sur la croissance de la productivité
(autrement dit sur l’innovation) pour les firmes qui sont proches de la frontière technologique.
A l’inverse, cette même augmentation du niveau de concurrence a un effet négatif sur la croissance de la
productivité pour les firmes qui sont loin derrière la frontière technologique.
Dans le premier cas, plus de concurrence incite les firmes à innover davantage pour survivre, alors que dans le
second cas, cela a l’effet inverse pour les firmes qui sont loin de la frontière technologique/ ces dernières savent
qu’elles n’ont aucune chance face aux nouveaux entrants sur le marché des biens. Et plus l’économie est proche
de la frontière technologique, plus est composée de firmes innovantes plutôt que de firmes installées, et par
conséquent l’effet global de la concurrence sur l’innovation sera plus largement positif dans cette économie.
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.97
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Nicolas Danglade
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Document 59 : l’efficacité des institutions dépend de la distance à la frontière technologique
Faire augmenter la PGF
Soutenir, protéger et aider les grandes
firmes stratégiques, accumulation du
capital et imitation : importance des
entreprises déjà installées
Stimuler la concurrence pour faire
apparaître des innovations de rupture :
importance des newcomers
Institutions efficaces pour des pays
avec une ouverture extérieure faible :
les entreprises sont faiblement
concurrencées par celles des pays situés
à la frontière technologique
Institutions efficaces pour des pays
avec une ouverture extérieure forte : les
entreprises sont fortement
concurrencées par celles des pays à la
frontière technologique
Quelle stratégie pour les pays en rattrapage, pour
conserver une compétitivité en économie ouverte ?
Conserver les institutions « de rattrapage »
mais posséder une compétitivité prix
élevée grâce à CUP faible
Changer d’institutions pour ne plus être
dans une logique d’imitation
2.3 L’essor des politiques industrielles « horizontales » : une place plus grande laissée à la
régulation marchande
2.3.1 Dans le cadre européen, la politique industrielle se réduit à la politique de la concurrence
Document 60 : le marché unique doit permettre l’émergence de « champions européens »
La méthode, suivie en Europe par la Commission européenne depuis les années 1980, a conduit à rapprocher
politique industrielle et politique de la concurrence, et en particulier à favoriser l’ouverture à la concurrence des
grands marchés européens de monopoles publics (énergie, transport, télécommunication), et la restriction
progressive des aides à l’industrie allouées par les Etats.
Le principe général est de permettre la constitution d’entreprises compétitives à l’échelle mondiale, en
favorisant la concurrence au sein de l’UE pour sélectionner ainsi les firmes leaders de taille continentale, plutôt
que de laisser chaque Etat protéger son « champion national » à l’abri de son marché intérieur. Cette stratégie
est donc basée sur la recherche d’économie d’échelle au niveau européen, sur des marchés oligopolistiques où
la taille est primordiale.
Cela a entraîné une vaste réorganisation industrielle à l’échelle continentale, avec la concentration d’un certain
nombre d’industries (automobile) et une redéfinition des relations industrielles au sein de l’UE (l’Allemagne et
son réseau de filiales et de sous-traitants en Europe centrale).
Source : Manuel ESH A.Colin, 2013, p. 620
ESH ECE2
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Document 61 : le développement de la politique européenne de la concurrence à partir des années 1980
A l’origine, au niveau européen, le Traité de Rome ne fait aucune référence à la politique industrielle. Les
institutions supranationales mises en place en 1958 ne disposent pas des mêmes compétences prévues par la
CECA en matière de rationalisation des capacités de production. La doctrine sous-jacente au Traité de Rome
est beaucoup plus libérale que celle de la CECA et rejette le principe qu’une intervention étatique planifiée
puisse favoriser le développement de l’industrie. En ce sens, elle est beaucoup plus proche de l’ordolibéralisme allemande que de la tradition colbertiste française. Il n’existe donc pas de compétences explicites
supranationales relatives à la politique industrielle au cours des premières décennies du Marché Commun.
Au cours des années 1960, la Commission considère la politique industrielle comme un frein à la concurrence
intracommunautaire. En effet, les politiques industrielles de soutien aux champions nationaux poursuivies par
plusieurs Etats membres maintiennent un haut degré de fragmentation du Marché commun.
Dès la fin des années 1960, la pénétration des multinationales américaines en Europe et leur domination dans
les nouvelles technologies comme l’informatique ou les avions met en évidence l’insuffisance des moyens
financiers des firmes nationales des différentes Etats membres. A cette époque, la Commission commence à
envisager de substituer une politique industrielle communautaire à ces politiques industrielles nationales. Cette
politique industrielle prend essentiellement une forme horizontale. Elle envisage également de créer des normes
techniques européennes pour stimuler la concurrence intracommunautaire, mais qui érigeraient des barrières
techniques au commerce face aux concurrents extracommunautaires. Elle propose également de créer le statut
européen des sociétés. Ce développement du droit commercial européen devrait favoriser les fusions et
l’émergence de champions européens. En 1970, le rapport Colonna de la Commission européenne insiste sur la
nécessité de créer une politique industrielle véritablement européenne dans le secteur de la haute technologie.
Au cours des années 1970, la Commission essayera vainement de faire émerger un champion européen dans
l’informatique. Ces initiatives visant à développer des politiques industrielles européennes restent pour la
plupart lettre morte, car elles se heurtent aux logiques protectionnistes des Etats membres qui poursuivent leurs
politiques de champions nationaux.
C’est au cours des années 1980 que la stratégie des champions nationaux est remise en cause par
l’intensification de la crise et de la concurrence internationale ainsi que par le passage à la production
différenciée postfordiste par des grandes multinationales européennes. L’accroissement des coûts de R&D dans
les nouvelles technologies qui se développent au cours des années 1980 et les moyens des politiques
industrielles nippones et américaines soulignent les limites des politiques industrielles nationales poursuivies
par les Etats membres et renforcent les partisans d’une politique industrielle européenne commune. En effet,
l’Administration Reagan augmente les dépenses publiques en R&D (…) au moment où se forment des futurs
géants des NTIC comme Microsoft et Intel. (…) Lorsque le gouvernement Mitterrand fait face à une
détérioration grave de sa balance courante, il décide d’abandonner sa politique de relance et de soutien aux
champions nationaux. (…) Soutenu par de nombreux chefs d’industrie français, Mitterrand essaye de proposer
au niveau européen des politiques industrielles verticales dotées d’importants financements publics. (…) Ce
projet se heurte aux positions allemande et britannique qui restent opposées aux politiques industrielles
verticales et qui préfèrent soutenir une politique industrielle horizontale et un renforcement de la politique de la
concurrence au niveau européen. La politique européenne va donc rester essentiellement horizontale avec
quelques exceptions. Pour combler le retard européen dans les nouvelles technologies, la Commission propose,
au début des années 1980, la création de programmes de recherche européens, mais ceux-ci resteront
caractérisés par une gestion intergouvernementale avec quelques rares éléments de supranationalité
européenne.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.246-279
Document 62 : « l’objectif même de la politique industrielle est de permettre à la concurrence de
jouer » ; Commission européenne, 1990
En 1990, sous l’impulsion du Commissaire allemand (…), la Commission a élaboré une communication
intitulée « la politique industrielle dans un environnement ouvert et concurrentiel » qui prône officiellement
une politique industrielle horizontale. Le Commissaire semble rejeter définitivement les politiques industrielles
verticales pour générer des champions européens. On insiste surtout sur le rôle de la concurrence et la nécessité
de poursuivre l’intégration du marché européen pour améliorer la compétitivité des firmes européennes :
« l’objectif même de la politique industrielle est de permettre à la concurrence de jouer. Tout cela est
absolument étranger à une politique industrielle interventionniste. Il ne s’agit en aucun cas de fabriquer des
champions européens à qui la politique industrielle confierait le soin de damer le pion aux japonais ou aux
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américains. » Cette position qui soumet la politique industrielle à la politique de la concurrence se maintien
jusque dans les années 2000.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.246-279
Document 63 : les politiques industrielles et l’intégration européenne
Années 1960 : développement des
politiques de champions nationaux
Années 1970/1980 : concurrence FMN
américaines + nouvelle concurrence asiatique
Les entreprises européennes sont trop petites
pour lutter contre concurrence internationale
Quelle stratégie adopter ?
Passage au marché unique : recherche
d’économie d’échelle ; normes européennes =
apparition de « champions européens »
Quelle politique industrielle
européenne adopter ?
Verticale : position française
Soutien champions européens par
l’UE
Horizontale : position britannique ou
allemande
Régulation par le marché
Résumé 64 : les freins à la mise en œuvre d’une politique industrielle européenne verticale
Explications
Les pays membres défendent leurs champions nationaux contre les
Années 1960/1970
entreprises non européennes (USA) mais aussi contre les projets de
création de « champions européens » (les intérêts des pays membres
priment sur l’intérêt européen) ;
Echec du rapport Colonna (objectif : faire émerger un leader européen
dans le domaine de l’informatique)
La tradition « colbertiste » française se heurte aux politiques
Années 1980
industrielles horizontales britanniques et allemandes mais aussi aux
coûts financiers du soutien aux champions (coûts des politiques
verticales) ;
Exceptions : programmes Airbus ou Ariane ;
ESH ECE2
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Résumé 65 : le virage de la politique industrielle en Europe au début des années 1980 et ses conséquences
sur les politiques industrielles verticales nationales
Effet attendu de la politique de la une hausse du surplus du consommateur car
concurrence européenne =
Disparition (privatisation et ouverture des marchés – logique des
Monopoles publics
marchés contestables et des industries de réseaux)
Fin des aides aux entreprises nationales ; essor d’une
Champions nationaux
concurrence véritablement européenne ; réalisation du marché
unique / intégration plus poussée des marchés / économies
d’échelle / capacité à innover plus importante
Degré de concurrence sur les marchés Augmentation de la concurrence ;
de chaque pays membres
Supprimer les aides publiques nationales
Politique de la concurrence
Interdire les ententes entre les entreprises
Contrôler les positions dominantes pour éviter que les « grandes
entreprises » produites par le passage au marché unique
étouffent volontairement la concurrence
Document 66 : Politique de la concurrence comme politique industrielle
Ouverture des
marchés
Fin champions
nationaux
Economies
d’échelle
Politique de la
concurrence
Contrôle des
positions
dominantes et
des ententes
Champions de
taille
européenne
2.3.2 D’autres réformes qui s’intègrent dans la logique horizontale pour créer un
« environnement » favorable aux entreprises
Document 67: la libéralisation des marchés participe à la politique de désinflation compétitive en France
La situation française au début des années 1980 : chômage élevée, inflation importante, déficit de la balance
commerciale.
Début 1983, le gouvernement procède à un infléchissement de sa politique économique (après la relance
Mauroy de 1981). (…) Cette politique dite « de désinflation compétitive » initiée par le gouvernement Mauroy
sera poursuivie aussi bien par ses successeurs (…) jusqu’aux années 2000 et au contexte de l’entrée dans la
« zone euro ».
Les différentes composantes de cette politique furent exposées par Jean-Claude Trichet, gouverneur de la
Banque de France, puis de la BCE ; il s’agissait de mener :
- une politique monétaire restrictive plus stricte, réduisant la croissance des moyens de paiement en
circulation ;
- une politique budgétaire moins expansionniste ; l’objectif ultime étant le retour à l’équilibre des
finances publiques ;
- une politique de « maîtrise des coûts de production » portant essentiellement sur les salaires, dont la
croissance excessive est jugée cause d’inflation par les coûts et par la demande ;
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une politique structurelle visant à rendre plus d’autonomie aux entreprises par rapport à la tutelle de
l’Etat (suppression de tout contrôle des prix et de l’autorisation administrative de licenciement,
dénationalisation, engagement plus poussé au sein du « grand marché » européen) ;
L’objectif de cette politique était de permettre aux entreprises françaises de vendre leurs produits à des prix
plus attractifs que ceux de leurs concurrents étrangers, dans une économie de plus en plus ouverte. Elle
s’opposait à la politique de « dévaluation compétitive » de plusieurs points de vue : elle rendait possible
l’adhésion de la France au SME reposant jusqu’en 2001 sur des changes fixes, puis sur une monnaie unique ;
elle faisait reposait la compétitivité sur des ajustements réels et non pas monétaires ; elle était liée à une
politique de monnaie forte, qui permet d’importer à moindre coût, ce qui renforce encore la compétitivité
nationale. De plus, elle favorisait la réduction progressive des taux d’intérêt, car une monnaie forte attire les
capitaux.
Source : Pierre Bezbakh « Inflation et désinflation », La découverte, 2006, p.91-103
-
Document 68 : pratiquer une dévaluation fiscale lorsque la dévaluation monétaire est impossible – le cas
de la zone euro
Depuis, la création de l’euro, la dévaluation monétaire n’est plus option pour restaurer la compétitivité de
l’économie française ; il faut donc, en cas de compétitivité insuffisante lui substituer la dévaluation fiscale. (…)
Il faut au contraire prendre acte du fait que nous sommes en économie ouverte, et qu’il y a urgence à relance la
dynamique de notre compétitivité pour regagner les parts de marché que nous avons perdues. Que la
dévaluation fiscale soit alors un bon moyen de stimuler l’activité économique lorsque l’instrument de la
dévaluation monétaire n’est plus disponible, Keynes lui-même l’avait déjà compris à l’époque de la Grande
crise. L’idée de procéder à une dévaluation fiscale à travers un choc de compétitivité a été combattue jusqu’au
bout au sein du Parti socialiste et du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, et la décision de finalement
adopter le Pacte de Compétitivité (CICE) a été probablement le geste le plus audacieux du président et du
gouvernement en faveur du passage d’une approche de l’économie purement dictée par la demande à une
approche davantage dictée par l’offre.
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.97
Action sur la compétitivité prix
Libéralisation des marchés
- Marché des biens et services
- Marché des capitaux
- Marché du travail
Fiscalité
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Document 69
Effets attendus
Exemples
Favoriser la concurrence sur les
marchés / hausse du surplus des
consommateurs
Favoriser un accès plus facile et
moins coûteux au financement
Politique européenne de la
concurrence et sa déclinaison au
niveau national
Big bang de Londres en 1986 ;
réforme des marchés en France et
suppression de l’encadrement du
crédit en 1984 ;
Alléger
les
contraintes Réformes Hartz en Allemagne
réglementaires du contrat de travail entre 2003 et 2005
pour favoriser les flux de création
et de destruction ; lutter contre le
chômage volontaire ;
Augmenter la compétitivité des Baisse des cotisations sociales : de
entreprises en réduisant la fiscalité la réforme Juppé de 1995 au CICE
sur
les
bénéfices
et
les de 2013 en France ;
prélèvements obligatoires servant à Baisse de l’impôt sur les bénéfices
financer la protection sociale entre 1980 et 2011 : de 60% à 30%
(baisse des cotisations sociales) ;
en Allemagne ; de 50% à 33% en
France ;
31
Document 70 : la libéralisation des marchés source de compétitivité des entreprises
Libéralisation des marchés
Marché des B&S
Marché des capitaux
Marché du travail
Ouverture extérieure
Suppression monopole
public
Déréglementation et
décloisonnement des
marchés financiers
Développement
flexibilité numérique ;
Réduction du coût du
travail
Politique de la
concurrence
Supervision
prudentielle
Concurrence comme
aiguillon
Efficience allocation
épargne
Réduire les coûts de
production
Impacts positifs attendus sur
les conditions de l’offre
2.4 Les limites des politiques industrielles horizontales
2.4.1 Quand l’application de la politique de la concurrence freine l’innovation : l’écart EtatsUnis / Europe se creuse de nouveau
Document 71 : quand la politique de la concurrence freine l’innovation
En 1989, un rapport du MIT, sous la direction, notamment de R.Solow, met en évidence le déclin relatif de la
compétitivité de l’industrie américaine par rapport à l’UE et au Japon depuis le début des années 1970. Ils
recensent les causes présumées de ce déclin et les mesures à prendre pour le contrer. Parmi celles-ci, le rapport
met en évidence le caractère décourageant du droit de la concurrence américain pour le partage de
l’information et la recherche coopérative entre concurrents et souligne la nécessité de prendre en compte les
gains d’efficacité dynamique issus de pratiques anticoncurrentielles telles que les ententes ou mêmes certains
abus de position dominante. La fin des années 1980 marque un tournant aux Etats-Unis en matière de droit à la
concurrence qui assouplit grandement les règles sur les ententes et leur donne une orientation plus
schumpétérienne. (…) Du coup, certaines entreprises européennes ont critiqué les inadéquations entre les droits
de la concurrence américaine et communautaire, soulignant la plus grande latitude donnée aux entreprises
américaines, mais également japonaises, et l’avantage compétitif qu’une telle marge de manœuvre induit au
niveau international. (…) Au début des années 2000, la position américaine est suivie par la Commission
européenne (2004) qui publie de nouvelles lignes directrices renforçant la prise en compte des impacts
économiques des opérations soumises à contrôle, notamment sur le plan de l’innovation.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.210-244
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Document 72
La politique de la concurrence doit
arbitrer entre :
Stimuler la concurrence
pour éviter les rentes
Permettre les ententes
pour réduire l’incertitude
Conséquence : le niveau d’innovation est optimal pour un
niveau de concurrence intermédiaire
La critique faite à l’UE : fixer un niveau de concurrence
trop élevé qui freine l’innovation et handicape les
entreprises européennes par rapport à leurs concurrents
étrangers
2.4.2 Quand les défaillances de marché freinent l’accumulation de capital physique et
technologique
Document 73 : les défaillances de marché pénalisent l’accumulation de capital physique et de capital
technologique
Les contraintes de crédit limitent la capacité des entreprises ou des individus à emprunter pour réaliser leurs
projets d’innovation, de formation ou d’évolution de carrière. Enfin, les entreprises ne prennent en compte
l’impact de leurs décisions (procédés de production, embauche, délocalisation …) sur le capital humain, sur la
patrimoine technologique, sur l’environnement et sur le climat social. En jargon économique , on parle
« d’externalités » socio-économiques, que les entreprises ou les individus privés n’internalisent pas lorsqu’ils
font leurs choix d’investissement. C’est l’ensemble de ces considérations qui nous amène à rejeter le paradigme
néolibéral et à revendiquer, au contraire, une réaffirmation de l’action publique.
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La République
des idées, p.10-11, 2011
Document 74 : les défaillances de marché dans le cas des investissements énergétiques
Les investissements requis par le défi climatique ne font pas partie du business as usual. Ils sont affectés d’une
double incertitude écologique et technologique, et par conséquence présentent des risques difficiles à
appréhender, car ce sont des risques non financiers résultant d’externalités que le marché n’évalue pas. Ils
s’insèrent dans des structures très lourdes qui sont affectées d’irréversibilités considérables. Ils requièrent des
financements longs et de gros montants, alors que les retours sur investissement sont lointains. Pour toutes ces
raisons, les marchés de capitaux n’offrent que des financements très insuffisants que l’on peut remarquer en
observant la faible attraction des obligations « vertes ». car les investisseurs institutionnels détiennent des
actions et des obligations facilement négociables, dont ne font pas partie les titres de dettes finançant les
infrastructures et l’environnement. ce sont des actifs alternatifs que les investisseurs institutionnels ne
détiennent presque pas (moins de 1% de leur portefeuille pour les fonds de pension des pays de l’OCDE).
Quant aux banques, elles ne sont pas outillées pour immobiliser des crédits sur le long terme si elles ne peuvent
pas partager les risques, donc trouver les relais d’investisseurs capables d’engagements à long terme.
Bref, la transition sera trop lente si les Etats européens n’organisent pas la politique industrielle requise et
l’intermédiation financière capable de la soutenir.
Jusqu’ici rien n’est venu. Ainsi, les politiques énergétiques en Europe sont-elles chaotiques et contradictoires
(…). L’incertitude politique et l’inaptitude des marchés financiers pour investir dans les infrastructures
environnementales constituent un double handicap. (…) Les investissements verts ont des handicaps
supplémentaires. Le plus rédhibitoire est l’inexistence ou l’inadéquation du prix du carbone déterminé sur le
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marché des droits à polluer. (…) Sans une valorisation crédible suffisante du carbone, garantie par les
gouvernements et croissante dans le temps, et sans arrêt des subventions aux énergies fossiles, ces
investissements sont dominés par les infrastructures existantes. Pour rediriger l’épargne dans les
investissements bas carbone, il faut abaisser les profils de risque des projets pour les investisseurs sans
surcharger les contribuables.
Source : M.Aglietta « Sortir de la crise et inventer l’avenir », Michalon, 2014, p. 288
Document 75
Régulation marchande
Besoin de financement des newcomers et/ou
des filières innovantes
Incertitude
Frein au financement = défaillance de marché
2.4.3 D’autres limites à la libéralisation des marchés : crises financières et pauvreté des actifs
Document 76: conséquences négatives de la libéralisation des marchés financier et du travail
Marchés des capitaux
Marché du travail
Cycles financiers et crises
financières et économiques
Hausse de la pauvreté et de
la précarité chez les salariés
2.4.4 Les limites des stratégies de dumping fiscal
Quand la course à la compétitivité conduit à des stratégies qui sont toujours non coopératives : le cas du
dumping fiscal et social dans l’UE
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2.5 Repenser la politique industrielle : réformer les institutions pour mettre en œuvre « une
social-démocratie de l’innovation » (Aghion & Roulet)
2.5.1 Les grands axes d’une nouvelle politique industrielle : réduire à la fois les défaillances de
marché et les défaillances de l’Etat
Document 77 : redéfinir le cadre des politiques industrielles pour dépasser l’opposition politiques
verticales vs politiques horizontales
Politiques horizontales
Stimule la
concurrence
Défaillances
du marché
Politiques verticales
Réponses aux
défaillances de
marché
Défaillances de
l’Etat
Enjeu : est-il possible de mettre en place une intervention publique en
réponse aux défaillances de marché qui ne produise pas de
défaillance de l’Etat et assure un degré élevé de concurrence ?
Document 78 : promouvoir une nouvelle politique industrielle en France, la position d’Aghion, Cette et
Cohen dans « Changer de modèle « (2014)
Au sortie de la Seconde guerre mondiale, de nombreux pays ont engagé des politiques dites « industrielles »
dans le but de promouvoir de nouvelles industries et de protéger les activités domestiques contre la concurrence
des pays étrangers plus avancés. Ainsi, en Asie de l’Est, des pays comme la Corée ou la Japon ont choisi de
promouvoir l’exportation, en partie grâce à des barrières tarifaires et non tarifaires et en partie en maintenant
des taux de change sous-évalués. En Europe, plusieurs pays se sont engagés dans des politiques de subventions
ciblant certaines industries ou certains « champions nationaux », en particulier en France où le pouvoir gaulliste
a pratiqué une politique colbertiste en soutenant fortement des secteurs en pointe tels que l’industrie
aéronautique, les télécoms, l’espace, l’énergie. Cependant, la fin du rattrapage, l’intégration européenne qui
interdit le protectionnisme, même offensif, et le passage à une économie de l’innovation basée sur la
destruction créatrice (c’est-à-dire la création et la destruction permanente d’entreprises et d’activités) ont remis
en cause ce modèle. En particulier, il lui est reproché d’empêcher ou de biaiser la concurrence, or celle-ci est un
moteur clé du processus d’innovation.
Ainsi, les décideurs publics ont progressivement basculé en faveur de politiques dites « horizontales » qui, au
lieu de soutenir telle ou telle industrie, visent à améliorer l’environnement économique, dans lequel opèrent
toutes les entreprises. En particulier, la Commission européenne prône une pleine libéralisation des marchés de
biens et services et du marché du travail ainsi que la stabilité macroéconomique et financière.
Mais l’histoire économique récente et la crise financière de 2008 son venues à leur tour bousculer cette
nouvelle doxa anti-politique industrielle. Tout d’abord, l’expérience de la crise financière récente et la montée
en force de la Chine sur la scène économique internationale ont démontré la supériorité des pays où l’Etat
intervient pour soutenir des secteurs décisifs pour la croissance, autrement dit où l’Etat conduit une politique
industrielle conséquente. Plus précisément, la crise a montré qu’en l’absence totale d’intervention de l’Etat, les
pays se soumettent à des dynamiques de spécialisation uniquement dictées par les forces du marché et qui
s’avèrent souvent sous-optimales. C’est ainsi, que en se spécialisant à l’excès dans les services domestiques
non exportables (construction et immobilier), la Grèce et l’Espagne sont devenues particulièrement vulnérables
à la crise. Et il est intéressant de remarquer également que, pour lutter contre la récession, les gouvernements de
plusieurs pays avancés (France, Allemagne, Etats-Unis) ont renoué avec les politiques sectorielles et ont
notamment tous soutenu leurs industries automobiles.
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Cela signifie-t-il qu’il faille retourner aux pratiques anciennes et à cette conception dirigiste (top-down) de la
politique industrielle ?
Nous ne le pensons pas. Certes, il y a une place pour des politiques sectorielles même dans une économie de
l’innovation, mais ces politiques doivent être profondément repensées et réinventées. Elles passent par une
meilleure définition du rôle des acteurs, une gouvernance plus rigoureuse (…).
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.86-87
2.5.2 Réduire les défaillances de marché pour soutenir les entreprises innovantes
Document 79: l’action de l’Etat pour soutenir le financement des entreprises innovantes
La supériorité américaine par rapport à l’Europe en matière d’innovation tient d’abord au fait que les EtatsUnis dominent largement en termes de création de nouvelles entreprises. par ailleurs, alors que 50% des
innovations aux Etats-Unis émanent d’entreprises qui ont moins de 10 ans d’âge, en Europe, 90% des
innovations proviennent d’entreprises établies depuis plus de 10 ans. Le contraste entre l’Europe et les EtatsUnis ne concerne pas seulement la création de nouvelles entreprises, mais également leur croissance : les
entreprises américaines augmentent beaucoup plus rapidement leurs effectifs que leurs homologues
européennes, et tirent parti de l’immigration à tous les niveaux de qualification, y compris dans le high-tech.
Comment expliquer cette relative apathie du secteur des entreprises en Europe et tout particulièrement en
France ? (…) Les contraintes de crédit représentent la principale barrière à l’entrée et à la croissance des
entreprises, loin devant les réglementations : ces contraintes empêchent de nombreuses PME à fort potentiel de
se développer et freinent ainsi l’innovation. Pour aider les PME innovantes à contourner l’obstacle du crédit,
l’Etat dispose de trois leviers essentiels :
- un small business act, qui permettrait à l’Etat de soutenir les PME innovantes en leur réservant une part
constante des commandes publiques. L’Etat peut également réformer le crédit interentreprises en
réduisant drastiquement les délais de paiement qui pèsent fortement sur l’activité et la profitabilité
desPME. Enfin, il faudrait revoir le droit des faillites qui, par la priorité qu’il accorde
systématiquement à l’Etat sur les autres créanciers, inhibe les banques dans leur métier de prêteur.
- Le crédit d’impôt recherche, qui exonère de l’impôt une partie des dépenses consacrées à la recherche
et au développement constitue un autre outil de soutien aux start up innovantes ;
- Enfin, la Banque publique de développement, dont l’objectif serait d’aider les entreprises et leurs
partenaires financiers à prendre des risques : garantie des financements bancaires, financements directs
de certains investissements …
Ces trois leviers doivent s’accompagner d’une fiscalité qui ne décourage pas l’investissement innovant.
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011, p. 9
Document 80
Défaillance de marché : difficulté accès
au crédit / financement
En particulier des « jeunes » entreprises
innovantes
Intervention de la puissance publique
commandes publiques
« small business act »
Risque corruption
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Crédit d’impôt
recherche
Banque publique de
développement
Risque « mauvais choix »,
« captation » des
subventions
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2.5.3 Soutenir les entreprises innovantes sans défaillances de l’Etat
Document 81: subventionner des secteurs plutôt que des firmes
Des études récentes montrent qu’en ciblant des subventions sur des secteurs, et non sur des firmes, on limite le
risque de choisir un mauvais « champion ». En outre, si les subventions se concentrent sur des secteurs où
opèrent déjà plusieurs firmes concurrentes, alors la concurrence au sein du secteur continue à opérer, favorisant
l’innovation et la croissance. Plus précisément, on observe que des aides sectorielles sont d’autant plus
favorables à la croissance qu’elles interviennent dans des secteurs fortement compétitifs. De même, on peut
montrer que les aides sectorielles ont plus d’impact sur la croissance si elles sont ciblées sur des secteurs qui
misent davantage sur la qualification des travailleurs. Il est donc possible de définir des critères pertinents de
sélection des secteurs.
D’autres études montrent qu’il importe de bien penser la gouvernance des subventions. Des subventions
sectorielles ont un effet sur la croissance d’autant plus positif qu’elles sont « égalitaires », c’est-à-dire qu’elles
ne privilégient pas une entreprise ou un sous-groupe d’entreprises au sein d’un secteur. A cet égard,
décentraliser la politique industrielle peut aider : par exemple, en Allemagne, le fait que l’aide sectorielle soit
décentralisée au niveau des Lander fait que , même si chaque région choisit son propre champion, la
multiplicité des région garantit la pluralité des entreprises bénéficiaires au sein d’un même secteur au niveau
national. Enfin, l’analyse historique des banques de développement, notamment en France et en Allemagne,
ainsi que celles des processus de transition dans les PECO, suggère que des aides publiques sectorielles
cofinancées avec le secteur privé offrent la garantie que des investissements qui se révèlent infructueux ne
seront pas poursuivis indéfiniment.
En résumé, la question n’est pas tant de savoir si les pays développés ont besoin ou non d’une politique
industrielle que de la définir intelligemment. Comment concevoir et gouverner la politique industrielle de façon
à limiter ses effets négatifs, et comment la réconcilier avec la politique de la concurrence, étant donné que cette
dernière exerce un rôle positif sur l’innovation et la croissance ?
. (…) En résumé, la question n’est pas tant de savoir si les pays développés ont besoin ou non d’une politique
industrielle, que de concevoir et gouverner cette politique industrielle de façon à la rendre compatible avec la
concurrence, qui elle-même stimule l’innovation. (…) En particulier, on constate à partir de données chinoises
que plus la concurrence dans le secteur recevant l’aide de l’Etat est élevée, plus cette aide est de nature à
stimuler l’innovation et la croissance dans ce secteur. On s’aperçoit aussi qu’une aide sectorielle a des effets
positifs élevés sur l’innovation et la croissance de la PGF si cette aide est moins concentrée, autrement dit si
elle ne privilégie pas une ou quelques entreprises dans le secteur. En résumé, plutôt que de s’accrocher aux
principes passéistes de l’Etat interventionniste ou au contraire à une opposition systématique à tout ciblage
sectoriel, nous proposons une refonte des politiques industrielles française et européenne qui permette de les
réconcilier avec les exigences d’une économie de l’innovation.
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011, p. 9
Document 82 : une condition pour que l’action publique ne bénéficie pas à certaines entreprises,
l’absence de corruption
Dans les économies développées, le principal moteur de la croissance est l’innovation de pointe, ce que l’on
appelle l’innovation à la frontière technologique. Or, la démocratie se trouve avoir un effet très positif sur
l’innovation de pointe. Au contraire, dans les pays les moins développés, la croissance est davantage tirée par
l’imitation technologique ou l’accumulation du capital, pour lesquelles la démocratie joue un rôle moins
important. (…) Dans le graphique suivit, on voit que plus un pays limite les pratiques de népotisme et de
corruption, plus le nombre de brevets qu’il dépose tend à augmenter.
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(…) La corruption érige des barrières à l’entrée de nouvelles entreprises innovantes. Dans une démocratie
« corrompue » c’est-à-dire où les dirigeants accordent régulièrement des faveurs ou des privilèges en échange
de gratifications matérielles ou symboliques, le processus de « destruction créatrice » est faussé. En effet, si les
entrepreneurs en place bénéficient de traitements de faveur, en particulier de législations favorables à leurs
intérêts, il devient difficile à tout entrant potentiel de s’imposer sur le marché en question. dans un pays miné
par le népotisme, sans appuis politiques, point de salut. Et inversement, lorsque l’on dispose d’assez
d’influence et de poids pour défendre ses intérêts, il n’est plus besoin d’innover pour se maintenir sur le
marché. au contrainte, dans une économie où il n’y a pas de collusion entre le gouvernement et les entreprises
en place, les barrières à l’entrée sont plus faibles et, par conséquent, l’innovation a toutes ses chances. Non
seulement, elle est portée par de nouveaux entrants, mais de plus la menace de nouvelles entrées sert de
catalyseur et oblige les entreprises en place à innover pour se maintenir sur le marché. A cet égard, le graphique
suivant est très parlant : un pays qui contrôle mieux sa « corruption » est également un pays où les barrières à
l’entrée sont plus faibles. C’est un pays où le processus de destruction créatrice est plus dynamique et ouvert.
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011, p. 95
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Document 83 : une condition pour que l’action publique ne bénéficie pas à certaines entreprises, la
transparence de l’information et l’évaluation des politiques publiques
Des historiens de l’économie, comme Mancur Olson, ont expliqué le déclin de l’économie anglaise, au début
du 20ième siècle, par le fait que les grandes entreprises issues de la révolution industrielle, constituées en groupes
de pression, avaient réussi à obtenir du gouvernement britannique des mesures restreignant l’entrée de
nouveaux concurrents sur leurs marchés. Plus récemment, des études ont montré l’ampleur des moyens dont
peuvent disposer les lobbies. (…) L’action des lobbies sur les choix gouvernementaux et sur les hommes
politiques ne constitue pas seulement une entrave à la mise en œuvre des réformes visant à dynamiser
l’économie en la rendant plus concurrentielle, plus flexible et plus ouverte. Elle pervertit également les effets
de toute politique d’intervention ciblée. (…) La capacité d’une politique d’aide sectorielle à générer de la
croissance est liée à sa bonne gouvernance et notamment au respect de critères objectifs dans le choix des
secteurs et de modalités claires et vérifiables pour l’attribution de l’aide aux entreprises d’un même secteur. En
particulier, il est capital que les bénéficiaires des aides soient déterminés en fonction de leur capacité à générer
de la croissance, indépendamment de toute pression provenant de groupes influents et « généreux ».
Mais concrètement, comment faire pour éviter que népotisme et favoritisme ne minent la démocratie ?
On peut distinguer deux leviers importants et insuffisamment développés en France par rapport à d’autres pays
de l’OCDE : d’une part, des médias suffisamment indépendants (pour pointer du doigt les pratiques politiques
douteuses ou abusives) ; d’autre part, des institutions adéquates et dotées de moyens suffisants pour évaluer les
politiques publiques de façon systématique, indépendante et rigoureuse.
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011, p. 9
Document 84: limiter les défaillances de l’Etat dans le domaine du soutien aux entreprises innovantes
Contre le risque de défaillance de l’Etat
Contre le risque de corruption et de
captation de la dépense publique (lobbies)
Contre le risque de « mauvais
choix »
Transparence de l’information +
Evaluation des politiques publiques =
régime démocratique
Subventionner des secteurs
plutôt que des firmes : laisser la
concurrence entre firmes se
dérouler
2.5.4 Une fiscalité incitative mais qui ne produise pas des inégalités : l’exemple de la fiscalité des
pays socio-démocrates d’Europe du Nord
Document 85 : les pays scandinaves montrent qu’il est possible d’avoir un système fiscal qui combine
équité (réduction des inégalités) et efficacité (incitation à l’innovation)
Une fiscalité juste est d’abord souhaitable d’un point de vue éthique : elle est un préalable indispensable à
l’édification d’un système social sans exclusion ni par le haut ni par le bas, un système solidaire où chacun
trouve son compte et où personne n’est laissé sur le bord de la route. Mais une fiscalité équitable est également
facteur d’efficacité économique : elle génère davantage de croissance en ouvrant l’accès aux opportunités
d’investissement et d’innovation au plus grand nombre. (…) Lorsque l’on compare ces deux critères (équité et
efficacité), le plus frappant est qu’il ne semble pas y avoir d’arbitrage systématique entre équité et efficacité.
Au contraire, lorsqu’on compare la France à la Finlande ou à la Suède, on voit que ces deux pays nordiques
font mieux que la France aussi bien en matière de redistribution (avce un coefficient de Gini après impôt plus
faible) qu’en nombre de brevets ou en croissance de la productivité. Les bonnes performances des Scandinaves
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montrent que certains pays ont su mettre en place des systèmes fiscaux à la fois redistributifs et incitatifs à
l’innovation.
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011, p. 9
Document 86 : les pays nordiques réforment leur fiscalité dans les années 1990 pour s’adapter au
nouveau contexte de la mondialisation
Il est intéressant de noter que les différents pays scandinaves ont tous réformé leur système fiscal au cours des
25 dernières années et qu’ils convergent vers des fiscalités relativement similaires, avec un système « dual »
dans lequel les revenus du travail sont soumis à des taux d’imposition progressif, tandis que, pour les revenus
du capital, c’est un taux forfaitaire qui est appliqué. Dans le cas de la Suède, le tournant a été pris en 1991.
Cette année-là ont été parallèlement introduites une réforme fiscale et une série de réformes structurelles
(budgétaires, …). Les deux piliers de la réforme fiscale ont été d’une part, un abaissement significatif du taux
marginal de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu (de 88% à 55%) et, d’autre part, le passage à un taux
d’imposition forfaitaire de 30% pour les revenus du capital (au lieu d’une imposition progressive en vigueur
jusque-là). Par ailleurs, les plus values foncières sont taxées à 22%.
La Finlande a également modifié son système au début des années 1990. (…) quant au Danemark, l’année 1993
a également été marquée par l’introduction de changements dans la fiscalité. (…)
Cette vague de réformes scandinaves nous paraît intéressante parce qu’elle témoigne de démarches parallèles
suivies par les gouvernements sociaux-démocrates de différents pays : ces démarches sont dictées par un même
souci de stimuler l’innovation pour mieux s’adapter à l’économie mondialisée, tout en préservant une
distribution équitable des revenus en maintenant un niveau d’investissement publics conséquent, en particulier
dans l’éducation et la santé.
Ces gouvernements ont tâtonné au fil des années, mais en fin de compte, leurs fiscalités ont convergé vers des
systèmes qui répondent au mieux à cette double exigence d’équité et d’efficacité, tout en respectant des règles
strictes d’équilibre budgétaire.
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011, p. 9
Document 87 : une pression fiscale élevée peut être compatible avec l’innovation
Une caractéristique commune aux systèmes fiscaux scandinaves actuels est que les prélèvements obligatoires y
demeurent, malgré les réformes, globalement élevés et fortement progressifs. Cette progressivité marquée, ainsi
que l’absence de niches fiscales, expliquent que la distribution des revenus après impôts soit dans ces pays plus
équitables que dans les autres. Par ailleurs, dans tous les pays scandinaves, le taux marginal de l’impôt sur le
revenu s’appliquant à la tranche supérieure avoisine ou dépasse les 50%. Néanmoins, ces pays ont su préserver
leurs incitations à l’innovation et à l’investissement dans le capital humain. Comment expliquer ce tour de
force ?
Que nous enseignent ces graphiques ? Tout d’abord que le poids des prélèvements obligatoires n’est pas en soi
un frein à l’innovation, puisque, par exemple, la Suède se distingue de la France à la fois par une pression
fiscale plus importante et par davantage de brevets par habitant. Cela donne tort à ceux qui prônent une fiscalité
minimale au nom de la croissance ou de la compétitivité.
Deuxième enseignement : il existe un écart entre la Suède et le Danemark en termes de brevets, alors même que
ces deux pays semblent avoir un rendement de l’impôt globalement similaire. L’une des différences entre la
fiscalité danoise et celle des autres pays scandinaves concerne la taxation des revenus du capital : ainsi, le
Danemark est le seul à taxer encore ces revenus de façon progressive, tandis que la Suède, la Norvège et la
Finlande leur appliquent un taux forfaitaire d’environ 30%. Si des pays comme la Suède ou la Finlande, qui
sont par ailleurs fortement redistributifs et ont un taux de prélèvement obligatoire élevé, ont choisi de taxer
forfaitairement les revenus du capital, cela n’est pas sans raison, et leurs performances en matière de brevets et
de croissance de la productivité ne sont pas étrangères à ce choix.
Dernier constat frappant : on voit apparaître un véritable décollage du nombre de brevets suédois après 1991,
date à laquelle la Suède à réformer sa fiscalité. (…)
Une fiscalité fortement redistributive peut augmenter les opportunités d’investissement dans une économie où
les marchés sont imparfaits.
D’autre part, l’analyse de la relation entre fiscalité et croissance ne peut s’abstraire de celle de l’utilisation qui
est faite des revenus fiscaux. En particulier, si les revenus fiscaux sont affectés en priorité aux investissements
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de croissance (éducation, santé, flexicurité, politique industrielle) plutôt qu’à la satisfaction d’objectifs
clientélistes, alors des hausses de taux d’imposition peuvent avoir un effet positif sur l’innovation et la
croissance.
Source : P.Aghion et A.Roulet « Repenser l’Etat. Pour une social-démocratie de l’innovation », La république
des idées, 2011, p. 9
Document 88 : la dynamique vertueuse des « social-démocraties de l’innovation »
(à partir de Aghion & Roulet)
Le modèle fiscal des pays
d’Europe du Nord
Une fiscalité sur le
revenu des ménages
élevée et progressive
Redistribution
importante : réduction
des inégalités de revenus
Une fiscalité sur le
capital faible et
forfaitaire
Incitation à
l’investissement /
innovation =
compétitivité
Les entreprises s’adaptent à
la destruction créatrice
permanente de l’innovation
Permet le financement
Education, santé,
infrastructure
Politique industrielle (le
degré élevé de
démocratie du système
permet d’éviter les
défaillances de l’Etat)
Formation et suivi des
chômeurs +
Indemnités chômeurs
Marché du travail
flexible
Document 89 : le système fiscal français fait peser le poids de la fiscalité des entreprises sur les PME
La France est le pays européen qui affiche le taux d’impôt sur les sociétés le plus élevé (34,4%), qui dénonce
avec le plus de vigueur le dumping fiscal irlandais mais qui constate année après année que le rendement de son
IS est plus faible que celui de l’Irlande ! Le résultat peut surprendre mais les chiffres sont éloquents : les taux
implicites d’IS en Irlande et en France sont respectivement de 29,1% et de 7,6% mais le rendement en points de
PIB est de 2,9% contre 2,8%. Ce que l’Irlande perd en taux, elle le gagne en assiette, ce qui maximise le
rendement.
Pour améliorer le rendement des impôts sur les entreprises (hors de l’Impôt sur les sociétés), la France n’a cessé
de multiplier les taxes qui pèsent sur le cycle productif (sur les transports pour 6,5 mds d’euros, sur la
formation pour 6 mds d’euros, … ). Comme les grandes entreprises localisent de moins en moins leurs activités
productives sur le sol national et qu’elles savent faire de l’optimisation fiscale en reportant les charges en
France et les bénéfices hors de France, elles paient au total un tiers de moins que ce qu’elles devraient
nominalement payer alors que les PME paient à peu près leur IS au taux nominal. (…) La France n’arrive pas à
faire émerger des grosses PME innovantes et exportatrices. Si la création d’entreprise est dynamique, si le taux
de survie est comparable à ce qui s’observe en Europe, les PME ne parviennent pas à grandir. Les explications
sont plurielles (financement, …) mais la médiocrité de la rentabilité des entreprises françaises (29% d’EBE
contre 40% en Allemagne) explique le cercle vicieux de la sous-compétitivité : des faibles marges dissuadent
les prises de risques en R&D, l’export et l’investissement, la dégradation de la compétitivité hors coût dégrade
davantage la capacité à bénéficier des marchés extérieurs sauf à rogner sur des marges faibles, ce qui déprime à
nouveau l’EBE…
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Redonner de l’oxygène aux PME dont la rentabilité est une des plus médiocres d’Europe suppose au minimum
que l’on puisse redéployer la fiscalité qui pèse sur les entreprises.
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.230
Document 90 : les points clés d’une réforme fiscale française
En nous inspirant des modèles scandinaves, nous prônons la mise en place d’un système « dual » dans lequel le
travail serait taxé de manière progressive alors que le capital serait prélevé à un taux relativement bas. L’impôt
sur les successions permettrait quant à lui de limiter les fortes inégalités de patrimoine. Ce système est celui
utilisé dans la plupart des pays du nord de l’Europe. considérant par ailleurs qu les revenus actuels de l’impôt
sur le revenu sont trop faibles (un foyer sur deux ne paie pas l’IR), nous estimons nécessaire d’en élargir
l’assiette en l’alignant sur celle de la CSG.
En résumé, une réforme fiscale juste et efficace passe par la mise en œuvre d’orientations simples et claires en
particulier :
- rendre l’impôt sur le revenu plus efficace en élargissant son assiette et en supprimant les niches fiscales
qui n’ont pas d’impact avéré sur la compétitivité ;
- mettre en place une taxation duale avec un impôt progressif sur les revenus du travail et un impôt
forfaitaire sur le revenus du capital productif ;
- augmenter la TVA ou la CSG et utiliser cette augmentation pour réduire les cotisations sociales
employeurs (celles qui financent les dépenses sociales non contributives comme les cotisations
familiales) ;
diminuer l’impôt sur les sociétés en visant une convergence fiscale au niveau européen ;
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.232
2.5.5 Réformer le fonctionnement du marché du travail : vers le modèle de flexicurité
Document 91 : l’importance du capital humain et de la flexibilité sur le marché du travail dans
l’économie de l’innovation
Une économie tournée vers l’innovation a besoin de mobilité sur le marché du travail. En effet, l’innovation
« frontière » implique la « destruction créatrice » pour utiliser l’expression chère à l’économiste J.Schumpeter.
Autrement dit, l’innovation entraîne la création en permanence de nouveaux emplois et de nouvelles entreprises
qui viennent remplacer des emplois ou des entreprises rendues obsolètes par l’innovation. Pour que ce
processus puisse se dérouler facilement, il faut de la flexibilité sur le marché du travail, à la fois pour
embaucher si une nouvelle activité est créée, et pour licencier quand une activité ancienne disparaît.
Un défi majeur pour l’Etat et les partenaires sociaux est de réconcilier une plus grande flexibilité à l’embauche
et au licenciement avec une sécurisation des parcours professionnels, c’est-à-dire une assurance à la fois sur le
revenu des travailleurs et sur leur possibilité de rebondir facilement d’un emploi à un autre, notamment grâce à
un bon système de formation professionnelle.
Une économie dont la croissance repose sur l’innovation a besoin d’universités performantes, notamment en
matière de recherche. Certains en France minimisent l’importance d’avoir des universités bien notées par les
classements de Shanghai ou du Times, voire les récusent au nom d’une irréductibilité spécificité française. Or,
on peut montrer que les pays qui ont des universités bien classées par Shanghai ou le Tims sont également ceux
qui ont les meilleures performances en matière d’innovation et de brevets. Autrement dit, alors que la France
des Trente glorieuses pouvait se contenter d’avoir se grandes écoles pour former le cercle étroit de ses élites
polyvalentes tout en laissant à ses universités la formation de ses cadres, une France de l’innovation a besoin
d’universités ancrées dans la recherche (…). On remarque que plus un Etat américain est proche de la frontière
technologique, et plus l’investissement en troisième cycle universitaire stimule la croissance de la productivité
dans cet Etat (c’est le cas de la Californie ou du Massachusetts). En revanche, plus un Etat est loin derrière la
frontière technologique (Mississipi, Alabama), et plus c’est le premier cycle universitaire (avec l’école et le
collège) qui stimule la croissance de la productivité de cet Etat.
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.99
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Document 92 : le résultat des réformes entreprises sur les marchés des biens et services et des capitaux
est conditionné par le fonctionnement du marché du travail
Réformes marchés des B&S
et marché des capitaux
Stimuler la destruction créatrice
issue des innovations
Croissance
Conditions ?
Flexibilité numérique
des entreprises vs
rigidité du marché du
travail
Mobilité géographique
des actifs et absence
de chômeurs
volontaires
Qualité de la
formation initiale et
continue ; qualité de
la protection sociale
Les trois éléments réunis = flexicurité
Des entreprises qui proposent des emplois
Des actifs protégés qui acceptent les emplois proposés
L’offre et la demande de travail se rencontrent sans inadéquations
Document 93 : mesurer les gains de croissance à s’aligner sur les meilleures pratiques
Un défi majeur pour la France aujourd’hui est de pouvoir mobiliser ces trois leviers :
- concurrence ;
- mobilité sur le marché du travail et économie du savoir ;
- tout en réduisant ses déficits et sa dette publics.
En outre, il faut viser une croissance « inclusive », c’est-à-dire une croissance qui ne laisse personne sur le bord
de la route. (…) Que peut espérer la France en termes de croissance de sa productivité en mobilisant ces trois
leviers ? Nous avons chiffré les gains en croissance potentielle découlant d’un alignement des politiques de
libéralisation du marché des biens et du marché du travail ainsi que de l’investissement en éducation
supérieure, sur les meilleures pratiques au sein de l’OCDE. L’investissement en éducation supérieure est
mesuré par la proportion des 25-64 ans ayant obtenu un diplôme du supérieur. La libéralisation sur le marché
du travail est mesurée par un indice de l’OCDE quantifiant la libéralisation du marché. Enfin, la libéralisation
du marché du travail est inversement mesurée par un indice de l’OCDE quantifiant la protection de l’emploi.
Les résultats sont que les effets de convergence pour la régulation du marché des biens et du travail génèrent
une croissance de 0,3% à 0,4% sur le court terme-moyen terme, alors que ceux pour l’éducation supérieure
induisent un gain de croissance plus faible sur le court terme mais qui pourraient atteindre un quart de point sur
les dix prochaines années. Mis ensemble, c’est 0,75 à 1 point entier de croissance qui peut être dégagé en
s’alignant sur les meilleures pratiques au sein de l’OCDE.
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.93
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Document 94: la situation française par rapport à la dynamique vertueuse des « social-démocraties de
l’innovation »
La situation française
Fiscalité sur le revenu
des ménages élevée et
progressive mais qui
touche 50% des foyers
fiscaux + niches fiscales
Situation paradoxale : la
redistribution réduit les
inégalités de revenus
mais pas avec le Top 1%
des plus riches !
Fiscalité sur le capital
élevée, qui touche
surtout les PME
Faible incitation à
l’investissement /
innovation notamment
des PME et des
newcomers = déficit
de compétitivité
Les entreprises s’adaptent
mal à la destruction
créatrice permanente de
l’innovation et dualisation
du marché du travail
Permet le financement
santé,
infrastructure,
éducation
Politique industrielle (le
degré peu élevé de
démocratie du système
ne permet pas d’éviter
les défaillances de
l’Etat)
Mauvaise formation +
Indemnités pour 50%
des chômeurs
Marché du travail peu
flexible
Document 95 : l’innovation « sociale » facteur clé de la compétitivité
C’est l’innovation sociale qui est le facteur prédominant de la compétitivité : effort public de formation et de
recyclage des travailleurs, lien étroit des entreprises et des institutions scolaires dans l’apprentissage. Il faut y
ajouter ce que ne fait pas l’Allemagne, mais que fait la scandinavie : l’égalité hommes/femmes dans l’emploi et
la mobilité professionnelle, l’aide publique à la prise en charge de l’enfance préscolarisée.
La dynamique auto-entretenue de la croissance industrielle implique une organisation des rapports entre
puissance publique et acteurs privés.
Elle requiert aussi des politiques dédiées aux systèmes d’innovation. La stratégie industrielle doit être insérée
dans les territoires. En France, il revient aux régions de promouvoir un nouvel état d’esprit. Elles doivent
sélectionner des entreprises capables de développer des avantages compétitifs régionaux, détecter des segments
d’industries prometteurs et monter des projets pilotes associés à des cofinancements publics – privés.
Pour inciter les PME à innover et exporter, il peut être utile en France d’instituer un statut de PME innovantes
qui auraient accès à des financements attractifs et d’aider beaucoup plus efficacement les PME à l’étranger.
Enfin, reterritorialiser l’industrie et engendrer des flux d’innovations incrémentales repose sur la définition du
développement durable comme axe de stratégie à la fois européenne et nationale.
Source : M.Aglietta « Sortir de la crise et inventer l’avenir », Michalon, 2014, p. 146-148
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Document 96
Innovation « sociale »
(M.Aglietta)
Synergie entre acteurs
publics et privés
Sur un territoire donné
Stimuler les entreprises
innovantes
Compétitivité des
entreprises
2.2.4.4 Définir l’espace géographique de la politique industrielle
Document 97 : les forces d’agglomération stimulent la croissance mais renforcent les inégalités
territoriales
Les politiques de croissance ne s’envisagent pas uniquement à l’échelon des nations. Les gouvernements
mettent en place des politiques de développement régional (dites en France les politiques d’aménagement du
territoire). Au niveau européen, la cohésion régionale est inscrite dans le Traité : les fonds structurels
constituent 31% du budget européen et 90% de ces fonds ont pour objectif la convergence de PIB/hab des
régions de l’Europe. (…)
L’économie géographique amène à jeter un regard nouveau sur les politiques régionales. Nous avons vu qu’elle
mettait en regard des forces de concentration des activités, dues aux externalités d’offre et de demande, et les
forces de dispersion liées aux coûts de transport. (…)
Les forces de concentration ont une double implication : en présence de tels effets, les inégalités entre régions
s’accroissent spontanément. La seconde implication est normative : il est en général efficace, au sens de la
maximisation du PIB par tête de ne pas s’opposer à cette concentration. Bien au contraire, il faut l’encourager
avec l’apparition de pôle de croissance.
Source : Bénassy-Quéré p. 514
Document 98
L’intervention publique destinée à catalyser la localiser des activités dans une région particulière est ainsi plus
efficace pour les activités innovantes, plus mobiles car le stock de capital existant y jour un rôle moins
important. C’est l’objectif en France des Pôles de compétitivité créés par le Gvt Raffarin (2005). (…) A
l’inverse, les incitations publiques seront moins efficaces dans des secteurs qui bénéficient spontanément
d’externalités très fortes. Ainsi, le soutien public aux places financières de Paris et de Francfort n’a pu éviter
une concentration croissante des activités financières à Londres, où elles bénéficient d’externalités de réseau et
d’un accès au marché mondial du travail très qualifié. Il est possible pour favoriser les régions périphériques de
réduire les coûts de transport afin d’infléchir l’équilibre entre les forces de dispersion et les forces de
concentration. Mais cela peut, au moins dans un premier temps, favoriser la concentration en rendant plus facile
les déplacements de main d’œuvre. C’est ainsi que l’existence du TGV a encouragé la concentration en région
parisienne, en permettant aux provinciaux proches d’aller travailler à Paris. Ce phénomène est efficace (parce
qu’il accroît le PIB par tête de la France) mais il accroît la polarisation géographique et les inégalités
territoriales.
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Un autre moyen de résoudre le dilemme entre efficacité (qui suggère de laisser les activités se concentrer pour
exploiter les externalités) et équité (qui impose de répartir les activités sur l’ensemble du territoire) consiste à
laisser s’opérer la concentration et à mettre en place un système de transferts budgétaires compensatoires vers
les régions périphériques : c’est dans une large mesure ce qui prévaut aux Etats-Unis.
Le rapport Sapir au président de la Commission européenne (2004) propose dans cet esprit de séparer les
fonctions d’allocation et de redistribution du budget européen en distinguant en son sein un « fonds de
croissance » dont l’objectif serait de financer les projets les mieux à même de contribuer à la croissance de
l’ensemble de l’Union, et un « fonds de convergence » réservé aux pays ou aux régions en retard de
développement.
Source : Bénassy-Quéré p. 514
Document 99 : les activités innovantes renforcent les phénomènes d’agglomération
Activités innovantes
Domaine des NTIC :
coût de distance faible
Importance des
économies d’échelle
externe
Renforce le phénomène
d’agglomération
Maximisation utilisation
des ressources
Creusement inégalités
territoriales
Dilemme efficacité /
équité
Quelle réponse ?
Financer le rattrapage et la convergence :
investissements en infrastructures publics
mais risque d’accentuer la dynamique de
concentration, peu efficace pour lutter contre
concentration (surtout quand défaillances de
l’Etat)
Politique de « redistribution
compensatoires » : les transferts
budgétaires assurent la cohésion sociale
plus que le rattrapage économique
(idée du « fonds de convergence » du
rapport Sapir 2004)
Document 100 : la création des pôles de compétitivité en France en 2005
Dans la plupart des pays, l’Etat favorise la collaboration entre les acteurs publics et privés, en s’appuyant sur
des mesures incitatives afin de créer des effets externes positifs. En France, par exemple, la constitution de 67
pôles de compétitivité en 2005 met en œuvre un partenariat entre recherche et industrie, entre grandes et petites
et moyennes entreprises autour de grands programmes (nucléaire quatrième génération, automobile propre,
mobile G4 …). Un pôle de compétitivité se définit « comme la combinaison, sur un espace géographique
donné, d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche publiques ou privées, engagés dans une
démarche partenariale destinée à dégager des synergies autour de projets innovants ».
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La politique structurelle ne s’inscrit donc plus dans le triptyque : recherche publique/entreprise
publique/commande publique. Mais sous des formes renouvelées, en concentrant les moyens autour d’un petit
nombre d’acteurs pour des projets industriels circonscrits, la politique industrielle cherche à favoriser les effets
d’agglomération et la concentration oligopolistique, en l’occurrence au niveau européen.
Source : Dictionnaire de science économique, A.Colin, p. 354
Document 101 : le fonctionnement des Pôles de compétitivité
Le rapprochement des acteurs industriels, scientifiques et de la formation d’un même territoire, sur le modèle
des "clusters", constitue :
- une source d’innovation : la proximité stimule la circulation de l’information et des compétences et
facilite ainsi la naissance de projets plus innovants,
- une source d’attractivité : la concentration des acteurs sur un territoire offre une visibilité
internationale,
- un frein aux délocalisations : la compétitivité des entreprises est liée à leur ancrage territorial grâce à
la présence des compétences et des partenaires utiles.
L'État s'attache à promouvoir un environnement global favorable aux entreprises et à l'innovation et à soutenir
l'effort de recherche et de développement déployé au sein des pôles de compétitivité. Ainsi, aux niveaux
national ou régional, il accompagne leurs développements avec les collectivités territoriales :
- en octroyant, via le fonds unique interministériel (FUI), des aides financières aux meilleurs projets de
R&D et de plates-formes d'innovation, lors d'appels à projets ;
- en finançant partiellement les structures de gouvernance des pôles (associations), aux côtés des
collectivités locales et des entreprises;
- en aidant financièrement des actions collectives thématiques initiées par les pôles dans des domaines
très divers, par l'intermédiaire des DIRECCTE ;
- en impliquant divers partenaires : l'Agence nationale de la recherche (ANR), Bpifrance ou encore la
Caisse des Dépôts.
Source : http://competitivite.gouv.fr/politique-des-poles-471.html
Document 102 : quelles politiques pour renforcer les effets des pôles de compétitivité ?
Il n’y a pas de miracle à attendre des pôles de compétitivité. Les gains des clusters, en terme de productivité,
existent bien : le point de départ des politiques de cluster et donc vérifié. Ces gains ne sont pas négligeables,
mais ils apparaissent comme des effets de second ordre (…).
Les clusters se forment naturellement et ils ont un impact positif sur la productivité, mais il existe un certain
nombre de freins à leur expansion qui font qu’en moyenne ils n’atteignent pas toujours la taille optimale.
Les freins les plus importants sont ceux liés à la mobilité des travailleurs : les coûts de transaction élevés sur le
marché immobilier, les réglementations locales qui réduisent l’offre immobilière, la faible qualité des services
publics dans les grandes agglomérations. Pour les moins aisés, les locataires sont rendus « captifs » de leur
logement car le droit au logement social n’est en pratique pas transférable d’une ville à l’autre.
D’autres freins réglementaires et politiques limitent la mobilité du côté des entreprises en augmentant le coût de
fermeture ou d’ouverture des sites de production. (…) L’explosion des coûts du foncier ou des services locaux,
la congestion des réseaux de transport, la réduction de la qualité de vie limitent aussi le développement des
clusters.
Dès lors, que vaut-il mieux faire pour le décideur public : inciter les secteurs à augmenter leur niveau de
concentration géographique à l’aide de subventions ou réduire les obstacles auxquels se heurte l’établissement
de clusters d’une taille efficace ? La tendance actuelle des politiques françaises du type « politique de
compétitivité » privilégie clairement la première option, notre travail suggère qu’il faut au minimum se poser la
question de la pertinence de la seconde. Ce constat n’est certes pas entièrement nouveau : au niveau local, les
politiques de transports urbains, la mise en place de biens publics, les réglementations sur l’utilisation des
terrains, etc., ont toujours constitué le fondement des politiques économiques des autorités locales, qui
fournissent les conditions d’un développement autonome de compétences économiques de type cluster. Ce
genre d’action est assurément moins excitant que de tenter de créer un cluster en biotechnologie ou une
nouvelle Silicon Valley, mais certainement plus raisonnable au vu des connaissances accumulées par les
économistes sur cette question.
Source : G.Duranton, P.Martin,T.Mayer et F.Mayneris « Les Pôles de compétitivité : que peut-on en
attendre ? » CEPREMAP, 2008, p.82
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Document 103 : les pôles de compétitivité, quels résultats ?
Objectif : subventionner les entreprises pour qu’elles
s’installent dans un périmètre donné et génèrent des
économies d’échelle externe
Mais double constat
Les clusters apparaissent
« naturellement » : la dépense publique est
peu incitative donc peu efficace
Les clusters rencontrent des problèmes de
développement en raison : prix du foncier,
taille du bassin d’emploi, réseaux
transports
Les politiques qui jouent sur ces critères
ont plus d’impact sur le développement des
clusters que les incitations financières
Résumé 104 : les pôles de compétitivité en France, que doit-on en attendre ?
Pôle de compétitivité
Caractéristiques
Date de création en France 2005 (près de 70 pôles en 2014)
/ nombre actuel ?
Générer une synergie entre acteurs publics (recherche fondamentale,
Objectif
université) et privés (entreprises privées, associations) ; les acteurs se
regroupent sur des bassins « industriels » pour y bénéficier d’externalités
positives
Modalités de l’intervention Essentiellement financière + infrastructures ; l’Etat cherche donc à attirer les
entreprises afin de produire des économies d’échelle externe (sur le principe
publique
des « districts marshalliens » ou des clusters)
Constat
critique
des Les subventions publiques sont peu incitatives pour attirer les entreprises ; par
auteurs du rapport du contre, les clusters ont parfois du mal à se développer (dépasser une taille
CEPREMAP
en
2008 critique) car ils se heurtent à des difficultés de recrutement liées à la mobilité
géographique des actifs trop rigide en France. Les auteurs du rapport suggèrent
(Duranton et alii)
qu’il vaudrait mieux consacré les sommes dépensées en subvention pour attirer
les entreprises en sommes dépensées pour régler les problèmes de mobilité
géographique des salariés.
Conséquence
sur
les Elles se renforcent ;
inégalités territoriales
Document 105 : le Mittelstand allemand
Dans les «Trente glorieuses », la France avait construit un système industriel efficace organisé par l’Etat, que
l’on peut appeler « système d’innovation industrialo-étatique ». Les entreprises publiques en étaient le fer de
lance. L’aéronautique, les transports terrestres, le nucléaire et la chimie étaient les secteurs d’intégration
industrielle. L’Etat dominait directement le financement avec l’aide de la Caisse des dépôts. Le retrait de l’Etat
et la conversion politique au fondamentalisme de marché dans les années 1980 et surtout 1990 ont laissé le
pays sans stratégie de reconversion industrielle dans le cadre de la concurrence mondiale. Ce flou de
l’organisation industrielle française contraste avec le Mittelstand qui est la référence de l’excellence
compétitive en Europe. Le renforcement de la puissance exportatrice de l’Allemagne depuis la création de
l’euro fait pendant à la lente désindustrialisation de la France. Les entreprises allemandes ont investi
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massivement l’Europe de l’Est pour accroître la compétitivité des systèmes d’innovation sur leur territoire.
Elles ont fortement intégré leurs investissements à l’étranger dans les systèmes industriels installés dans les
Lander. Au contraire, sous l’influence de leur actionnariat anglo-saxon, les entreprises françaises se sont
découplées du territoire national, déterritorialisant mêmes des centres de recherche. Le Mittelstand est une sorte
d’écosystème autoreproduit qui fabrique un cercle vertueux dont dépendent sa résilience aux chocs et sa
longévité historique. Le cœur du système est la qualité des actifs intangibles renouvelée dans la durée. Elle rend
possible une innovation incrémentale continue ; ce que l’on appelle « la perfection du banal ». Ce n’est donc
pas un système qui fait des percées fulgurantes dans les innovations radicales. Mais cette innovation
incrémentale, répandue dans toute l’industrie, nourrit des avantages compétitifs hors prix qui garantissent des
parts de marché solides et compatibles avec des marges élevées. Grâce à la solidité des comptes d’exploitation,
l’autofinancement est la première source de l’investissement ; ce qui favorise l’indépendance par rapport à la
finance, donc la continuité du contrôle capitalistique par un actionnariat principalement familial. Le maintien
de ce contrôle permet aux conseils de surveillance, dans lesquels la représentation des salariés est paritaire,
d’affirmer leur indépendance stratégique sur des horizons longs et de négocier des financements externes en
position de force. C’est la condition essentielle pour que la finance soit mise au service de l’économie. Grâce à
cette indépendance, des stratégies de spécialisation peuvent être poursuivies qui entretiennent l’innovation
incrémentale et donc les parts de marché.
Trois leçons peuvent être tirées de l’expérience allemande. En premier lieu, l’innovation est le plus souvent
incrémentale à partir d’une base industrielle maîtrisée. En second lieu, de petites niches au niveau national
peuvent produire des exportations très profitables sur les marchés globaux. En troisième lieu, on peut préserver
une vaste gamme d’activités de la concurrence des pays émergents si l’on sait innover sur ses points forts.
C’est l’innovation sociale qui est le facteur prédominant de la compétitivité : effort public de formation et de
recyclage des travailleurs, lien étroit des entreprises et des institutions scolaires dans l’apprentissage. Il faut y
ajouter ce que ne fait pas l’Allemagne, mais que fait la scandinavie : l’égalité hommes/femmes dans l’emploi et
la mobilité professionnelle, l’aide publique à la prise en charge de l’enfance préscolarisée.
La dynamique auto-entretenue de la croissance industrielle implique une organisation des rapports entre
puissance publique et acteurs privés. Elle requiert aussi des politiques dédiées aux systèmes d’innovation. La
stratégie industrielle doit être insérée dans les territoires. En France, il revient aux régions de promouvoir un
nouvel état d’esprit. Elles doivent sélectionner des entreprises capables de développer des avantages
compétitifs régionaux, détecter des segments d’industries prometteurs et monter des projets pilotes associés à
des cofinancements publics – privés.
Pour inciter les PME à innover et exporter, il peut être utile en France d’instituer un statut de PME innovantes
qui auraient accès à des financements attractifs et d’aider beaucoup plus efficacement les PME à l’étranger.
Enfin, reterritorialiser l’industrie et engendrer des flux d’innovations incrémentales repose sur la définition du
développement durable comme axe de stratégie à la fois européenne et nationale.
Source : M.Aglietta « Sortir de la crise et inventer l’avenir », Michalon, 2014, p. 146-148
« Mittelstand » allemand
PME ou grande entreprise ?
Orienté marché intérieur ou
exportation ?
Fonctionnement de la DIPP :
délocalisation totale ou partielle ?
Actionnariat ouvert ou fermé ?
Relation avec les banques ?
Formation continue ou initiale ?
Innovation
radicale
ou
incrémentale ?
Caractéristiques
PME
Exportations
Partielle
Fermé
Importante et durable
Continue
Incrémentale
Document 106 : conclusion, contre la thèse de la stagnation séculaire
Le quadruple déficit de balance courante, de finances publiques et sociales, d’emploi et de compétitivité, et son
aggravation continue pourraient laisser croire que la France est devenue l’homme malade de l’Europe. C’est
oublier que, par le passé, elle a connu des situations comparables et qu’elle les a surmontées. C’est méconnaître
les exemples étrangers de rebond à partir des situations tout aussi dégradées. C’est surtout tenir pour quantité
négligeable les opportunités de l’actuelle phase de la mondialisation et de la nouvelle révolution industrielle.
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L’instar d’autres pays industrialisés, la France peut, par des politiques structurelles fortes, profiter de l’arrivée
de nouvelles vagues technologiques pour accélérer la croissance de sa productivité. (…) Sur la longue période,
la croissance de la productivité aux Etats-Unis a connu des vagues technologiques successives
Les gains de productivité induits par la révolution technologique associée aux chemins de fer et à la machine à
vapeur s’épuisent au début du XXième siècle. Les effets de la révolution technologique suivante, associée à la
diffusion de l’usage de l’électricité, du moteur à explosion et de la chimie moderne, induisent alors une
nouvelle vague de croissance de la productivité qui s’étend sur près de trois quart de siècle avec un point
culminant au milieu du 20ième siècle. Cette vague connaît un fort ralentissement transitoire au moment de la
crise des années 1930. Les effets de la dernière révolution technologique, associée à la production et à l’usage
des technologies de l’information et de la communication, induisent une nouvelle vague de croissance de la
productivité beaucoup plus courte (un peu plus d’un quart de siècle) et moins élevée que la précédente
A l’époque où la diffusion de produits intégrant des nouvelles technologies s’intensifie auprès des ménages, la
baisse des gains de productivité associées à la dernière révolution, celle des TIC, peut sembler paradoxale.
Cette baisse, qui n’a rien de conjoncturel et qui est au contraire structurelle, s’explique pourtant assez bien et
fait l’objet d’une littérature aujourd’hui abondante. Ce qui est ici pris en compte correspond aux gains de
performance productive des TIC, qui induisent des gains de productivité des entreprises. Ces gains de
performance des TIC sont eux-mêmes principalement liés au nombre de transistors qu’un microprocesseur
(puce) peut contenir. Ce nombre a doublé tous les deux ans environ, du début des années 1960 jusqu’au début
des années 2000 (c’est évolution est parfois appelée la « loi de Moore » du nom de l’ingénieur qui l’a théorisée
initialement), avec une accélération au milieu des années 1990. Cette amélioration des performances ne cesse
de ralentir ensuite (épuisement de la loi de Moore) du fait des contraintes d’ordre physique à augmenter
continûment le nombre de transistors introduits dans les puces. Il est souvent considéré qu’une nouvelle vague
de gains de performance des TIC devrait émerger dans les prochaines années, associée à la fabrication et à la
diffusion des puces 3D, puis des « biochips », et, enfin, dans une avenir beaucoup plus lointain, à l’électronique
quantique. Dans cette hypothèse réaliste, la révolution technologique associée aux TIC induirait une seconde
vague de croissance de la productivité, qui pourrait même être plus importante que la première vague, et qui
s’amorcerait dans quelques années.
La croissance de la productivité en France connaît des vagues décalées par rapport à celles observées aux EtatsUnis. La productivité était en France très inférieure au début du XXième siècle à celle des Etats-Unis. Un
phénomène de rattrapage se produit au tournant du siècle et dans l’entre-deux-guerres, qui se caractérise par
une diffusion tardive de la précédente révolution technologique dont ont déjà bénéficié les Etats-Unis. Puis la
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France ne profit qu’après la seconde guerre mondiale de la vague technologique suivante dont les Etats-Unis
ont déjà tiré le plein bénéfice. Ce retard dans la diffusion des vagues technologiques s’explique par différents
facteurs, parmi lesquels bien entendu le fait que la France a pâti sur son propre sol des deux guerres mondiales,
mais aussi et surtout par des institutions moins adaptées à une diffusion généralisée et rapide des vagues
technologiques. Cette inadaptation des institutions concerne à la fois les structures des biens, une certaine
flexibilité sur le marché du travail, la qualification de la population en âge de travailler, la fiscalité …. (…) Le
moindre bénéfice des TIC de la France comparée aux Etats-Unis s’explique par leur moindre diffusion dans nos
entreprises. Ce phénomène qui concerne plus largement les pays européens et pas seulement la France a fait
l’objet de nombreuses analyses ; ici encore, les principaux facteurs explicatifs semblent être une moindre
flexibilité du marché du travail, un environnement moins compétitif sur le marché des biens, et enfin un
moindre niveau d’éducation moyen de la population en âge de travailler. On constate notamment qu’une
moindre flexibilité sur le marché des biens et sur le marché du travail expliquerait la moitié de l’écart de
diffusion des TIC vis-à-vis des Etats-Unis, l’autre moitié étant justifiée par un niveau d’éducation plus faible de
la population en âge de travailler.
Quelles leçons peut-on tirer des constats qui précèdent ? Tout d’abord, que des réformes structurelles
ambitieuses, sur les marchés du travail et des biens et dans le domaine éducatif, permettraient de rattraper le
retard de diffusion des TIC et de bénéficier d’une accélération de la productivité. Ensuite, que ce rattrapage
permettrait à la France de ne pas connaître le fléchissement de la productivité que traversent actuellement les
Etats-Unis, entre les deux vagues associées aux TIC. Ainsi, la France pourrait connaître de façon prolongée des
gains de productivité soutenus, tout d’abord en rattrapant son moindre bénéfice de la première vague des TIC,
puis en bénéficiant immédiatement et pleinement de la seconde vague des TIC. La condition à cela est la mise
en œuvre de réformes structurelles ambitieuses.
L’accélération de la productivité qui pourrait ainsi être obtenue dynamiserait la croissance de l’économie
française, ce qui faciliterait simultanément l’amélioration du niveau de vie moyen, la soutenabilité d’un
système sociale protecteur, généreux mais coûteux et la consolidation des finances publiques.
Source : P.Aghion, E.Cohen et G.Cette « Changer de modèle », p. 42-48
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Document 107 : en résumé
Les politiques industrielles
Comment faire augmenter
la croissance potentielle ?
Les politiques horizontales
Portée
Limites : les défaillances
de l’Etat dans un
environnement
économique mondialisé
Les politiques verticales
Limites : les défaillances de
marché freinent l’investissement ;
la libéralisation de certains
marchés ont des effets non
souhaités ; risque dumping fiscal
Portée
Redéfinir les politiques industrielles
Intervention de l’Etat pour éviter
défaillances de marché
Mais une bonne gouvernance pour éviter
défaillances de l’Etat
Des politiques industrielles au niveau des
territoires qui stimulent l’innovation
« sociale » (interaction public-privé)
Des politiques de redistribution entre
territoires pour répondre au creusement des
performances économiques des territoires
en raison des phénomènes d’agglomération
(admettre que le rattrapage économique est
impossible)
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La mise en œuvre d’autres réformes
structurelles pour favoriser la
dynamique de destruction créatrice qui
accompagne les innovations :
Une réforme de la fiscalité réduisant les
inégalités et incitative
Une réforme du marché du travail
permettant la destruction créatrice des
emplois nécessaires à l’innovation
Une réforme des marchés des biens et
services pour éliminer les rentes qui ne
sont pas utiles à l’innovation
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2.3 La transition énergétique et les politiques environnementales : un nouveau cadre pour les
politiques structurelles et industrielles
2.3.1 Un détour par la problématique du bien-être et du développement : distinguer croissance,
bien-être et développement
2.3.1.1 Comment rendre compte du bien-être économique ? Les limites du PIB
Document 108 : ce que le PIB ne voit pas
Le changement climatique, les atteintes à la biodiversité et à la dégradation des écosystèmes entament chaque
jour un peu plus, dans la méconnaissance générale, notre qualité de vie future et celle de ceux qui nous
suivront. (…) « Le retour de la croissance » que l’on annonce en France pour 2015 et 2016 sera une attente
déçue. L’enjeu n’est donc pas de tenter de forcer l’allure en alimentant une chaudière poussive au besoin en
désossant la coque de notre navire mais de se doter d’une boussole fiable pour éviter le naufrage et naviguer
aussi paisiblement que possible sur les eaux du nouveau monde économique. les indicateurs de bien-être et de
soutenabilité, qui visent à aller au delà du PIB sont parfois perçus ou caricaturés comme d’amusants gadgets.
Ils sont bien plus que cela : ce sont des vecteurs de transition et des viatiques démocratiques. La mesure précise
et pertinente du bien-être et de la soutenabilité est en effet une dimension essentielle de la qualité du débat
public. (…) Les indicateurs économiques conventionnels (comme le PIB) peuvent être utiles pour comprendre
une partie de la réalité, mais cette partie est bien trop limitée et se réduit comme peau de chagrin à mesure que
montent en puissance les défis écologiques. On connaît les critiques classiques adressées au PIB qui découlent
de sa dénomination même : le produit intérieur brut. (…) On peut corriger ces défauts et améliorer le PIB. Mais
le véritable enjeu consiste à le dépasser dans trois directions.
« En deçà du PIB » émergent les déterminants profonds du développement humain qui sous-tendent
l’accumulation quantitative des facteurs de production et l’amélioration qualitative de leur assemblage
nécessaire à l’accroissement du niveau de production. Les institutions, la géographie, l’ouverture internationale
se combinent depuis des siècles pour ouvrir ou fermer la possibilité de l’expansion économique.
« A côté du PIB » prospère ou non le bien-être humain qui dépend bien plus de la santé et de l’éducation que de
l’accumulation du revenu et qui n’y est pas réductible. (…) Augmenter le PIB ne suffit pas à se développer
humainement, il y faut des politiques spécifiques qui se donnent pour objet direct l’éducation, la santé, les
conditions environnementales ou encore la qualité démocratique. Sans la considération de cette pluralité du
bien-être, une dimension, généralement la dimension économique, s’impose aux autres et les écrase, mutilant la
développement humain.
« Au-delà du PIB » se dessine l’enjeu écologique : que nous importe un taux de croissance de 10% du PIB si
les écosystèmes, l’eau, l’air qui sous-tendent notre bien-être sont ravagés ? Que nous importe la croissance si la
vie même devient impossible ? Ou pour le dire avec les mots du ministre de l’Environnement chinois Zhou
Shengxian en 2011 : « si notre terre est dévastée et que notre santé est anéantie, quel bienfait nous procure notre
développement ? »
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.10-13
Document 109
Conditions de la
croissance :
« En deçà du Pib »
Croissance (mesurée
par le PIB)
Enjeu écologique du
développement humain :
« au-delà du Pib »
Autres dimensions
du bien-être :
« à côté du PIB »
Le développement = augmentation du bien-être
humain (élargir les choix qui s’offrent aux
individus de mener la vie qu’ils souhaitent)
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Le développement durable=
augmentation du bien-être humain de
génération en génération
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Document 110 : Mesurer le bien-être économique, du Pib au niveau de vie des ménages
Distinguer PIB et revenu, c’est établir une distinction entre la production de richesses et leur répartition
effective entre les membres de la société.
Mesurer le revenu, c’est évaluer le revenu des ménages, c’est-à-dire le revenu qui leur parvient effectivement
au terme du processus de création de richesse économique (la production). Le grand partage social de la
richesse commence entre salaires et profits. (…) On peut encore affiner le diagnostic en mesurant dans
l’ensemble des profits la part qui revient à la finance représentée par la distribution de dividendes des
entreprises à leurs actionnaires. (…)
Mais y a-t-il vraiment une différence entre la mesure du développement économique à partir du PIB, des
profits, de la progression des marchés financiers et du revenu des ménages ?
Ne peut-on pas dire que ces grandeurs évoluent dans le même sens ? La réponse est négative, et elle l’est
d’autant plus dans la période actuelle. Un détour par les derniers chiffres de l’économie américaine permet de
s’en convaincre.
Les données disponibles sur les Etats-Unis sont tout à fait claires : la régression du revenu des ménages résulte
autant de la part de la richesse revenant aux entreprises et captée par la finance que de celle qui est accaparée
par les plus hauts revenus. L’économiste Emmanuel Saez a montré que depuis la reprise de la croissance du
PIB en 2010, 90% des gains de revenu ont été captés par le 1% supérieur de la distribution des revenus.
Autrement dit, la « reprise » économique est un mirage pour 99% des citoyens américains, qui n’ont vu leur
revenu augmenter que de 0,8% entre 2009 et 2012 tandis que les revenus du 1% les plus riches augmentaient
d’environ 35% dans le même temps (soit 45 fois plus). Il s’agit là de la reprise économique la plus inégalitaire
depuis que les statistiques économiques modernes existent. La croissance du PIB américain ne nous dit rien de
ces phénomènes d’inégalité. (…) Les données européennes nous invitent à une décomposition plus fine des
éléments qui forment le revenu des ménages, celui-ci comprenant au moins trois composantes principales : le
revenu tiré des activités marchandes, les impôts et cotisations versés et enfin les prestations sociales perçues.
Le revenu des ménages ne se limitent pas au revenu marchand mais est correctement mesuré par le « revenu
disponible brut ». (…)
Dans le cas français, une décomposition du revenu des ménages entre les années 2010 et 2013 montre une perte
totale de revenu de plus de 1600 euros, qui s’explique par une baisse du revenu marchand, une hausse des
prestations sociales et une hausse de la fiscalité. Les trois effets se cumulent donc ici : la crise économique qui
se poursuit et explique la perte du revenu marchand, le soutien de l’Etat providence qui vient compenser cette
baisse et la politique d’austérité qui s’est traduite par une hausse de la fiscalité. Alors même que pendant la
période 2010-2013, le PIB affiche une progression de 1,2% en moyenne.
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Il importe de prendre en considération au moins deux éléments nouveaux pour apprécier à sa juste mesure la
situation réelle des français et passer du revenu disponible brut au niveau de vie, qui est le revenu tel qu’il est
vécu par les personnes. Le premier élément est l’inflation, (…) le deuxième élément est la partie des ménages
qui est dite « contrainte » ou « préengagée ». Ces dépenses représentent en moyenne 30% du budget des
français et leur part a doublé au cours des dernières décennies, sous l’effet de la hausse des dépenses de
logement.
(…) Une fois pris en compte ces éléments, le niveau de vie des ménages recule de 2,3% en 2012, tandis que le
PIB lui augmente de 0,4%. L’écart entre l’indicateur de référence du débat public et celui qui mesure le revenu
vécu des français s’établit à près de 3 points de pourcentage, la différence entre une croissance faible et une
récession profonde !
Comment s’étonner dans ces conditions du malaise démocratique français ? on mesure l’écart qui se forme
entre un discours politique fondé sur les chiffres de la croissance du PIB et la réalité quotidienne des citoyens.
(…) Utiliser de mauvais indicateurs économiques, c’est courir le risque de parler à ses concitoyens dans une
langue étrangère.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.10-13
Document 111: quel indicateur pour mesurer le bien-être économique ?
Le PIB
PIB/hab
Tenir compte
de la taille de
la population
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Revenu des ménages
Tenir compte de la
répartition des revenus
primaires et des inégalités
de revenus
RDB
Tenir compte
de la
redistribution
des revenus
Niveau de vie
Tenir compte
de l’inflation et
des dépenses
préengagées
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2.3.1.2 Comment rendre compte du bien-être humain ? Le bien-être ne se résume pas à un bienêtre économique
Document 112: la notion de développement humain
Pour Mahbub ul Haq, co-concepteur avec Sen du premier Rapport mondial sur le développement humain de
1990, « le principal objectif du développement est d’élargir les choix qui s’offrent aux gens. (…) Les gens
attachent de la valeur aux réussites qui ne transparaissent pas du tout, ou immédiatement, dans les chiffres
relatifs aux revenus ou à la croissance économique : un meilleur accès aux connaissances, une meilleure
nutrition, de meilleurs services de santé, des moyens d’existence plus sûrs, une certaine sécurité contre la
criminalité et la violence physique, du temps libre bien rempli, des libertés politiques et culturelles et un
sentiment de participation aux activités de la communauté. L’objectif du développement est de créer un
environnement favorisant l’épanouissement pour que les gens puissent jouir d’une vie longue, saine et
créative ».
Le développement devient, avec cette approche qui dépasse le seul revenu, le processus d’expansion des
libertés réelles dont jouissent les individus. (…)
L’emploi reste, dans les économies développées, la principale source de revenu, d’insertion sociale et
d’épanouissement personnel. Dès lors, l’accès de tous ceux qui le souhaitent à un emploi doit demeurer l’un des
objectifs premier de toute politique économique et sociale. (…) Mais ces politiques ne doivent pas se contenter
de poursuivre un objectif quantitatif de création d’emplois, condition nécessaire mais non suffisante du progrès
humain : elles doivent aussi viser à en améliorer la qualité.
La santé est sans doute la dimension du bien-être humain la plus intuitive, celle que tout un chacun reconnaît
d’emblée comme la plus essentielle. (…) La santé a une dimension directe et indirecte : elle procure
directement du bien-être via la longévité et elle garantit indirectement le bien-être économique via la capacité
de travailler et donc de « gagner sa vie ». il n’est donc guère surprenant de voir la santé sous forme de « capital
humain ». (…) L’IDH présente le grand intérêt d’aborder l’enjeu du développement en agrégeant ensemble
trois dimensions : le revenu, la santé et l’éducation. (…)
L’éducation occupe un place à part parmi les dimensions du bien-être humain pour deux raisons principales. La
première est qu’elle représente à la fois un bénéfice immédiat et la promesse d’un bien-être futur. La seconde
est que l’éducation est à la fois un accomplissement personnel et une réalisation sociale. (…)
Le bonheur est assurément la dimension du bien-être humain la plus insaisissable. (…) Le point de départ de
toute étude sur le bonheur doit donc être la reconnaissance de sa polysémie et de sa pluralité. L’étude des
relations entre bonheur et revenu se révèle précieuse car elle permet d’éclairer les relations entre indicateurs
objectifs et subjectifs de bien-être. (…) Le paradoxe d’Easterlin permet d’éclairer cette question. il se compose
de (…) constats empiriques. Le premier constat est que les plus riches dans une société donnée à un moment
donné, se déclarent plus heureux que les plus pauvres. (…) Cependant, deuxième constat, à mesure que le
revenu augmente dans le temps pour un pays donné, les individus ne se déclarent pas plus heureux. (…) Il n’y a
donc pas de relation mécanique au cours du temps entre accroissement du revenu et accroissement du bonheur.
(…) Compte tenu de la nature actuelle de la croissance économique des pays, l’augmentation a des
conséquences environnementales néfastes alors même que le progrès qu’elle induit en matière de bonheur est
très faible. Pour le dire clairement, les chinois ont beaucoup perdu de leurs ressources environnementales les
plus vitales sous l’effet d’une croissance effrénée pour un gain en termes de bonheur qui paraît limité. (…) Si la
relation entre bonheur et revenu est forte lorsque seules ces deux variables sont mises en présence, elle s’efface
devant l’importance des relations sociales et de la jouissance des libertés civiles dès que ces autres déterminants
sont pris en considération. Si les pouvoirs publics veulent augmenter le niveau de bonheur des citoyens, il est
donc plus important d’améliorer directement ces dimensions plutôt que d’augmenter le revenu. (…)
La confiance est tout autant un déterminant qu’une dimension du bien-être humain. on peut désirer la confiance
pour elle-même comme pour ce qu’elle permet d’accomplir dans les sociétés humaines. La confiance est la clé
de la coopération sociale. elle domestique l’incertitude attachée aux conduites humaines pour la transformer en
risque acceptable ou non. Elle favorise la réciprocité et accélère les transactions de tous les ordres. Ce faisant,
elle libère la puissance de l’intelligence collective qui est au cœur de la prospérité. (…) La confiance est à la
fois un moyen et un résultat du bien-être, ce que l’on appelle parfois le « capital social ». (…)
Les institutions sont les formes concrètes de la coopération sociale, l’incarnation des règles et des principes
qu’une société se donne à elle-même pour se gouverner et se projeter dans le temps. elles sont (DC.North) « les
contraintes humainement formées qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales ». (…)
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Elles sont les règles du jeu et du progrès social, un jeu pratiqué par les personnes mais aussi les organisations
comme les entreprises, les syndicats ou encore les associations.
En mesurant la qualité des institutions, on entend dépasser les indicateurs économiques pour adopter une
perspective longue du développement humain, qui n’est pas durable sans des institutions de qualité, à
commencer par les institutions les plus élémentaires qui garantissent l’ordre public et la paix civile, telles que la
police et la justice, la défense et la diplomatie. (…) Un enjeu important pour les pays en développement est la
question de la justice sociale ou de l’égalité, qui dépasse la question des droits politiques et des libertés civiles
pour évaluer les démocraties dans leur deuxième âge, celui des droits sociaux.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.20-126
Document 113: les autres dimensions du bien-être humain
Bien être humain dépend
Bien être « économique » :
du Pib au niveau de vie des
ménages
Bien être non « économique » :
éducation, santé, emploi,
bonheur, confiance, institution
2.3.1.3 Passer du développement au développement soutenable : répondre au défi climatique
Document 114: l’exemple de la Chine
Nous vivons encore sous le règne du PIB mais force est de constater que le nouveau monde économique est en
train d’être défriché sous nos yeux. Nul pays n’illustre mieux la révolution du bien-être et de la soutenabilité en
cours que la Chine, qui est véritablement entre deux mondes, celui de l’économie du 20 ième siècle et celui du
21ième siècle, en train de basculer de l’un vers l’autre.
Ainsi donc, si l’on en croit les récents calculs du FMI, la Chine a ravi en 2014 aux Etats-Unis la place de
première puissance économique mondiale mesurée par le PIB. (…) Mais la Chine est l’illustration parfaite des
raisons pour lesquelles le PIB doit être dépassé en ce début de 21ième siècle. Mieux encore : les dirigeants
chinois en paraissent convaincus !
Pour commencer la taille de l’économie chinoise ne nous dit rien du bien-être économique réel des chinois.
(…) Or on constate que le revenu par habitant en Chine est non seulement 10 fois moins important qu’en Suède
(la Chine est classée 121ième pays) mais qu’il est en outre deux fois plus inégalement réparti. (…) Le bien être
humain ne se limite pas ailleurs pas au bien-être économique. dans des dimensions aussi essentielles pour le
développement que la santé et l’éducation, la Chine se situe nettement derrière le groupe des nations les plus
avancées. Des indicateurs comme le bonheur des habitants relèguent la Chine au même rang (fait notable : alors
même que le revenu par habitant a été multiplié par 4 ces 20 dernières années, les indicateurs de bonheur des
Chinois ont eu tendance à reculer).
Lorsque l’on élargit la focale pour envisage le progrès social, et notamment la question des libertés civiles et
des droits politiques, la situation apparaît encore plus dégradée : la Chine se classe parmi les 5% des pays les
moins libres de la planète.
Enfin, et serait-on tenté de dire surtout, les dégradations environnementales massives dont la Chine est le
théâtre depuis les années 1990 font douter que la première puissance économique du monde puisse le demeurer
longtemps. Apprécié sous l’angle non plus seulement du niveau de vie statique mais du développement
soutenable, le modèle de croissance chinois de ces dernières années s’apparente à une véritable autodestruction.
(…)
La bonne nouvelle pour l’avenir vient du fait que les dirigeants chinois ont désormais accepté cette réalité : en
conséquence, ils abaissent leur objectif de croissance du PIB pour rehausser leurs objectifs de développement.
Le pouvoir chinois a ainsi adopté depuis 2006 ce qui revient à un tableau de bord de développement soutenable
comprenant des cibles environnementales qui viennent compléter les objectifs économiques et sociaux que se
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fixe le pays. Cette nouvelle stratégie de développement « harmonieux » qui reconnaît que la croissance
économique a marche forcée finira par anéantir le développement humain a été très clairement explicitée dès
2006 par le Premier Ministre Wen Jiabao.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.240
Document 115 : l’amélioration du bien-être humain dans le temps
Réalisation du bien-être
humain au temps t
Réalisation du bien-être
humain au temps t+n
Transmettre des capitaux qui sont des
« moyens de bien-être » :
Le capital physique
Le capital humain
Le capital technologique
Le capital social
Le capital institutionnel
Le capital naturel
La « véritable richesse des nations » :
le patrimoine qui sera transmis =
Le « capital total »
Document 116: l’ensemble des « capitaux » transmis aux générations suivantes
Construire une mesure de la soutenabilité globale sous la forme d’une indicateur unique suppose que l’on
définisse précisément ce qui permet aux générations présentes et futures de subvenir à leurs besoins, ou, dans
une optique plus large, d’assouvir leur aspiration au bien-être. (…)
De même que les économistes ont l’habitude de penser la fourniture de biens et services comme nécessitant
l’utilisation, dans le processus de production d’un stock de capital productif (outils, machines, bâtiments), les
différentes personnes qui participent à la production, avec leurs qualifications ; la fourniture des autres
composantes du bien-être peut être comprise comme le résultat de la mobilisation de stocks de capitaux de
nature différente : le capital naturel, qui fournit aux humains les ressources naturelles, l’environnement et tous
les bénéfices qu’il recèle, et le capital social, constitué des institutions, modes d’organisation sociale, de toutes
les habitudes, traditions, pratiques culturelles qui régissent la vie en société et les rapports des individus entre
eux au sein de ces sociétés humaines.
La somme de toutes ces composantes (le capital productif produit par l’homme, le capital humain, le capital
naturel, le capital social) constitue la « véritable richesse des nations » ; c’est cet ensemble de capitaux qui,
combinés en mobilisant les techniques et les savoirs disponibles, assure aux générations présentes la couverture
de leurs besoins et leur fournit le bien-être dont elles jouissent. C’est donc aussi cet ensemble de « moyens de
bien-être », ces stocks de capital, qu’il convient de préserver, voire d’accroître, et de léguer aux générations
futures pour qu’elles puissent, à leur tour, satisfaire leurs besoins et jouir d’un bien-être au moins égal au nôtre :
c’est en somme le patrimoine de l’humanité.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 117 : la réalisation du bien-être humain doit être soutenable
C’est un rapport des Nations Unies publié en 1987 sous la direction de Gro Harlem Brundtland (alors premier
ministre de Norvège) qui a posé les bases et formulé pour la première fois une définition générale de la
soutenabilité, en introduisant ce que l’on appelle en France le développement durable. Le rapport, préparatoire
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au Sommet de la Terre de Rio (1992) met en exergue la notion de capacité limitée de l’environnement naturel à
répondre aux « besoins » présents et futurs des humains. L’objectif n’est donc pas tant de « sauver la planète »
que de ne pas compromettre la possibilité pour le plus grand nombre d’humains de continuer d’y vivre et d’y
prospérer. (…)
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 118 : les activités humaines modifient l’environnement de manière ample et brutale, on assiste
à une dégradation du stock de capital naturel
La concentration de gaz à effet de serre dans les basses couches de l’atmosphère, responsable du changement
climatique, responsable du changement climatique, s’accroît de manière exponentielle depuis un peu plus de
deux siècles : un peu moins de 280 ppm, en moyenne au cours des siècles qui ont précédé le commencement de
l’ère industrielle, plus de 400 ppm aujourd’hui, avec un rythme annuel d’émissions mondiales qui s’accélère
dangereusement au cours des trois dernières décennies au lieu de se réduire.
Le changement climatique qui en résulte est désormais incontestable et perceptible : non seulement la
température moyenne à la surface de la terre augmente (elle s’est accrue d’environ 0,8° C depuis la fin du 19ième
siècle), mais les phénomènes climatiques extrêmes (sécheresses, canicules, tempêtes, ouragan, cyclones,
inondations …) deviennent plus fréquents et plus intenses dans toutes les régions du globe. (…)
La vie sur notre planète prend des formes d’une variété presque infinie. C’est cette diversité biologique que
l’on désigne par le terme de biodiversité. (…). Selon les données collectées par l’Union internationale pour la
conservation de la nature, environ 30% des espèces connues sont menacées. (…) La planète est entrée dans une
nouvelle ère d’extinction massive d’espèce, la sixième recensée par les paléontologues, la précédente ayant été,
il y a environ 65 millions d’années, celles qui a vu disparaître les dinosaures. Parallèlement, la disparition de
nombreux ecosystèmes (du fait de la pollution, des changements d’utilisation des sols notamment du fait de
l’artificialisation engendrée par l’urbanisation et l’aménagement des voies de communication et autres
infrastructures) se produit à un rythme rapide. Les modifications de l’environnement engendrées par les
activités humaines depuis un peu plus de deux siècles sont trop amples et trop brutales pour que le processus de
l’évolution permette à la plupart des espèces vivantes et aux écosystèmes de s’y adapter, comme cela a pu se
produire dans le passé lorsque les changements ont été progressifs. (…)
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 119 : un indicateur pour mesurer l’impact de l’activité humaine sur la terre, l’empreinte
écologique
Certains chercheurs ont eu l’idée d’évaluer l’ampleur des « traces » des activités humaines à l’aide
d’indicateurs appelés « empreintes » dont le plus connu est « l’empreinte écologique ». Il s’agit de mesurer la
pression qu’exercent la vie et les activités humaines sur l’environnement naturel, soit sur un phénomène
spécifique et bien identifié (par exemple l’empreinte carbone, pour évaluer la pression sur le climat) soit en
s’efforçant d’inclure et de synthétiser différentes dimensions des atteintes à l’environnement global et aux
ressources naturelles. (…) L’attrait de cette évaluation par empreinte tient à ce qu’elle permet, en principe,
d’évaluer la « capacité biologique » de la planète, représentant l’offre disponible de ressources naturelles et de
services écosystémiques, et de la comparer à ce que nécessiterait (…) la consommation effectivement
observée : l’écart entre cette « offre biologique » et la « demande » émanant des consommations humaines
donne une indication sur la « pression excessive » de ces dernières sur les capacités naturelles de la planète.
(…) L’évaluation de l’empreinte écologique indique ainsi que depuis 1980 l’humanité a dépassé la capacité
biologique de la planète et « surexploite » désormais, et de plus en plus, les ressources biologiques disponibles.
(…) Même si elles sont fondée sur une méthodologie discutable (…) ces empreintes pointent vers l’enjeu
essentiel : la « résilience » de la planète, c’est-à-dire sa capacité d’endurance.
La démarche adoptée par l’approche dite des « limites planétaires » peut être vue comme une généralisation de
celles des empreintes qu’elle améliore de différentes manières. (…) Cet indicateur fait clairement apparaître les
quatre domaines dans lesquels, en l’état actuel de nos connaissances scientifiques, les risques sont élevés : les
atteintes à la biosphère, et les perturbations des cycles biochimiques de l’azote et du phosphore, l’utilisation des
sols et le changement climatique,
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
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Document 120 : impact des activités humaines sur l’environnement
Activités humaines
Emission de GES
Destruction biodiversité
Destruction
Ecosystème
Réchauffement climatique /
phénomènes climatiques
extrêmes
2.3.1.4 Expliquer la destruction du capital naturel : les activités économiques produisent des
externalités négatives et les agents manifestent une préférence pour le présent
Document 121 : le développement suppose l’accumulation des formes de « capitaux », cette accumulation
réagit à des incitations
Le capital social
Le capital institutionnel
Incitation / impact sur le
calcul coûts-avantages
des AE
Accumulation :
Le capital physique
Le capital humain
Le capital technologique
La capital naturel
Document 122 : l’importance du soutien au secteur de l’énergie en raison des défaillances de marché
On a pu montrer que des aides ciblant des secteurs à forte concentration de main d’œuvre qualifiée stimulent
davantage la croissance. Un autre critère, étroitement relié au précédent, est celui de la contribution potentielle
du secteur à la croissance de l’économie dans son ensemble (l’existence d’externalités technologiques). Ainsi,
un premier domaine où l’intervention sectorielle s’impose naturellement est celui des énergies renouvelables et
de l’environnement.
Outre les externalités environnementales (une firme individuelle ne prend pas en compte les effets de son
activité de production sur l’environnement et le climat), il y a une « dépendance historique » (pathdependance) dans le processus d’innovation technologique. Plus précisément, des entreprises ou individus qui
ont innové dans les technologies polluantes dans le passé tendent à innover dans ces mêmes technologies dans
le futur.
Une étude récente utilise une base de données internationale sur les brevets dans l’industrie de l’automobile
afin d’établir la dépendance historique qui caractérise les innovations propres et sales. Cette étude montre que
si le prix du pétrole augmente (par exemple, à la suite d’une augmentation de la taxe carbone), les entreprises
redirigent leurs innovations vers les brevets propres.
En outre, la propension à innover de manière propres est positivement corrélée avec les stocks d’innovations
propres déjà détenus, mais négativement corrélée avec les stocks d’innovations sales déjà détenus. En d’autres
termes, on observe bien un effet de path dependance dans les activités innovantes des entreprises, puisque des
entreprises qui ont précédemment investi dans des technologies pour les moteurs à combustion continuent
d’investir dans ces technologies dans le futur, et inversement pour les entreprises qui ont investi dans des
technologies pour les moteurs électriques. L’effet de path dependance dans l’innovation, couplé au fait que les
entreprises ont jusqu’à présent investi principalement dans des innovations « sales », implique d’en l’absence
d’intervention gouvernementale, nos économies tendent à générer trop d’inventions « sales ». c’est ainsi que
nous avons pu montrer que l’équilibre d’une économie en « laisser-faire » est susceptibles de conduire à des
désastres environnementaux. Il est au contraire souhaitable que le gouvernement intervienne pour rediriger le
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progrès technologique vers les inventions propres. en fait, la politique optimale pour combattre le changement
climatique est de combiner une taxer carbone et une politique de subvention des innovations propres.
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.200
Document 123 : l’existence d’un chemin de dépendance incite à agir vite pour stimuler la transition
énergétique
Parmi ceux qui sont convaincus de la nécessité d’une transition énergétique mais reconnaissent en même temps
qu’une telle transition est coûteuse, le débat achoppe souvent autour de l’arbitrage entre les coûts immédiats
d’une intervention et ses bénéfices à long terme. Préfère-t-on supporter un coût maintenant et des bénéfices
demain parce que l’on valorise davantage l’avenir que le présent, auquel cas il faut intervenir dès à présent pour
préserver notre environnement, ou bien accorde-t-on davantage d’importance à notre bien être immédiat au
détriment de notre bien être futur (et de celui de nos enfants), auquel cas, on différera toujours la lutte contre le
réchauffement climatique ?
Le rapport Stern, qui suppose une faible préférence pour le présent prône une intervention immédiate, tandis
que l’économiste W.Nordhaus fait l’hypothèse d’une préférence plus forte pour le présent, ce qui le conduit à
recommander des politiques plus graduelles. La prise en compte de l’innovation dans le débat sur le
réchauffement climatique remet en cause le calendrier optimal des politiques environnementales. Elle incite à
agir vite et par conséquent donne raison à N.Stern. En effet, ne pas intervenir induit non seulement une
détérioration de l’environnement mais, de plus, en l’absence d’intervention de l’Etat, les entreprises continuent
d’innover dans les technologies polluantes où elles ont déjà acquis une avance technologique. Et plus les
technologies polluantes prennent de l’avance par rapport aux technologies vertes, plus les politiques
environnementales requises pour redresser la barre et faire basculer l’économie vers les technologies propres
seront coûteuses.
Source : P.Aghion, G.Cette et E.Cohen « Changer de modèle », O.Jacob, 2014, p.91-93
Document 124 : chemin de dépendance et marchés financiers
Plusieurs indices montrent que les marchés financiers n’ont pas encore pris en considération l’ampleur du
réchauffement climatique et de ses conséquences économiques. ils continuent à financer massivement les
énergies « sales » et ne répondent que partiellement aux besoins de financement de la transition vers une
économie bas carbone.
Ainsi entre 2011 et 2013, les investissements dans les énergies renouvelables ont diminué de 23% malgré les
immenses besoins énergétiques de la planète ; de ce fait, l’écart cumulé entre besoins de financement et
financement apportés augmente. (…) Ce déficit de financement a été qualifié par le Programme des Nations
Unies pour l’environnement de « mauvaise allocation flagrante des capitaux. (…) Comment comprendre ce
défaut de prise en compte des enjeux climatiques ? il faut se référer à ce que les économistes appellent des
imperfections de marché. Ces imperfections désignent l’ensemble des phénomènes susceptibles d’entraîner de
mauvaises décisions de la part des acteurs, en raison de la structure du marché ou de défaillances
informationnelles. Le climat cumule la quasi-totalité des catégories d’imperfections dégagées par les
économistes : déficit d’information, dispositifs incitatifs qui favorisent la performance à très court terme,
caractère de bien public global du climat à l’origine d’incapacités à décider et de comportements de « passagers
clandestins », les uns comptant sur les autres pour initier des actions et en assumer les coûts. Ajoutons que les
marchés ont longtemps perçu le risque climatique comme une incertitude, c’est-à-dire une menace
probabilisable.
Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p. 141
Document 125 : prix du carbone et marché incomplet
L’incertitude politique et l’inaptitude des marchés financiers pour investir dans les infrastructures
environnementales constituent un double handicap. (…) Les investissements verts ont des handicaps
supplémentaires. Le plus rédhibitoire est l’inexistence ou l’inadéquation du prix du carbone déterminé sur le
marché des droits à polluer. (…) Sans une valorisation crédible suffisante du carbone, garantie par les
gouvernements et croissante dans le temps, et sans arrêt des subventions aux énergies fossiles, ces
investissements sont dominés par les infrastructures existantes. Pour rediriger l’épargne dans les
investissements bas carbone, il faut abaisser les profils de risque des projets pour les investisseurs sans
surcharger les contribuables.
Source : M.Aglietta « Sortir de la crise et inventer l’avenir », Michalon, 2014, p. 288
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Document 126 : les défaillances de l’Etat se rajoutent aux défaillances de marché
La régulation des marchés, la fiscalité et les subventions n’ont pas encore été adaptées au monde psot-énergies
fossiles. A titre d’illustration, les subventions pour les énergies propres atteignent 100 milliards de dollars par
an, contre 600 pour les énergies fossiles. Ce ratio, défavorable à la transition énergétique, se retrouve dans
différentes formes de politique publique : la politique industrielle à travers les subventions aux exportations, le
soutien à l’innovation à travers les subventions à la recherche. Il ne faut donc pas opposer l’inefficience des
marchés au volontarisme des Etats : marchés et Etats doivent travailler à mieux intégrer les enjeux climatiques
et sont appelés à évoluer ensemble.
Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p.145
Document 127 : une première difficulté, en présence d’externalités l’absence de prix empêche un calcul
économique efficient (défaillance de marché)
Dans son principe, cette démarche est séduisante, parce qu’elle nous maintient en terrain familier et procède par
généralisation des catégories auxquelles nous sommes habitués. Elle focalise sur la dimension intrinsèquement
dynamique de la soutenabilité : le capital, ou le patrimoine, peut être accumulé ou, inversement, consommé et
détruit.
Mais elle soulève des objections de principe et des difficultés redoutables : peut-on tout quantifier ? peut-on
mesurer ces différentes composantes de la richesse véritable à l’échelle de la nations ? (…)
Dans nos économies de marché, le prix d’un bien remplit en principe une double fonction : il agit comme un
signal envoyé aux producteurs et aux consommateurs, qu’il renseigne sur la rareté relative du bien ; et il permet
l’évaluation des biens lorsqu’on cherche à faire des comparaisons ou des additions de biens disparates. (…)
Or on sait maintenant, à la suite des travaux précurseurs de l’économiste britannique Arthur Pigou, que, dans de
nombreuses circonstances, les prix de marché ne reflètent pas l’intégralité des coûts. C’est notamment le cas en
présence des externalités : toutes les situations dans lesquelles les choix et les actions d’un individu ou d’une
entreprise ont des conséquences induites sur le bien-être ou sur les coûts d’un autre individu ou d’une autre
entreprise, conséquences qui ne sont pas prises en considération par celui qui les occasionne et qui ne reçoivent
pas de prix sur le marché.
L’exemple classique d’une telle situation d’externalité est justement celui de la pollution. (…) L’existence
d’externalités entraîne donc une « inefficacité sociale », une « défaillance de marché » : l’équilibre atteint est
sans doute optimal du point de vue des décideurs individuels mais ne l’est pas du point de vue de la collectivité
tout entière.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 128 : comment appréhender les externalités et leur donner une valeur ? Le cas du carbone
Comment faire en sorte que ces « externalités négatives », ces nuisances, soient éliminées, ou en tout cas
limitées, et qu’elles soient effectivement prises en compte dans les indicateurs qui mesurent le bien-être et la
soutenabilité ?
Dans certains cas, il est possible d’interdire purement et simplement l’activité qui engendre la nuisance : on
interdit bien le tapage nocturne ; on a de même interdit l’amiante dans un certain nombre de pays développés ;
les gaz fluorés contenus dans les aérosols et les systèmes de réfrigération nocifs pour la couche d’ozone ont été
bannis par le protocole de Montréal en 1987 et ont aujourd’hui presque disparu. (…) Mais beaucoup de choses
ne peuvent tout simplement pas être interdite. (…) On ne peut pas bannir les émissions de CO2, dont une part
est inhérente au métabolisme des organismes vivants et dont l’essentiel provient de nos consommations
d’énergie.
Mais on peut les limiter, et il faut pour cela que les émetteurs y soient incités. Il faut que les atteintes à
l’environnement fassent supporter à ceux qui en sont les auteurs, un coût économique, afin de les inciter à
« économiser » la nature. C’est le principe « pollueur-payeur » ; mais c’est aussi la condition pour que les
nuisances ou les activités qui sont à leur origine puissent être intégrées dans les indicateurs de bien-être et de
soutenabilité.
Deux méthodes alternatives permettent, en principe, de faire supporter au décideur (producteur ou
consommateur) le coût « total » de ses activités : la taxe ou la vente de permis ; leur résultat est parfaitement
équivalent quant à l’inclusion du coût de la nuisance dans le calcul économique des décideurs et quant à
l’évaluation.
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La différence tient aux outils de l’intervention publique dans le mécanisme de prix : alors que la taxe oblige les
autorités à en fixer le montant, le système de « permis » exige qu’elles déterminent la quantité totale autorisée,
la détermination du prix étant laissée au marché, par confrontation entre cette offre totale, fixée par elles, et la
demande émanant des agents privés à l’origine de la nuisance.
A quel niveau fixer le prix ? En théorie, la réponse est simple : le prix doit être tel que le dommage causé soit
tout juste compensé par le coût que supporte celui qui l’inflige. Mais, en pratique, nous n’avons, la plupart du
temps, pas d’indications précises sur le coût du dommage à l’environnement, que l’on ne peut donc approcher
que de manière indirecte. (…)
L’incertitude demeure toutefois importante, la plupart du temps, comme l’illustre l’exemple du prix du
carbone : la plupart des pays n’en impose aucun ; les pays de l’UE ont instauré un « marché » du carbone » sur
lequel le prix de la tonne de carbone émise est aujourd’hui voisin de 5 euros ; tandis que certains pays, comme
la Suède, ont institué, depuis longtemps, une taxe carbone dont le montant est aujourd’hui d’environ 130 euros
la tonne.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 129 : deuxième difficulté, comment comparer le présent et l’avenir ? quel taux d’actualisation
utiliser ?
Autre défi de taille, l’analyse dynamique suppose de valoriser le temps.
En effet, si les politiques publiques comme les choix privés se font sur la base d’un calcul coût-bénéfices, le
contexte de la soutenabilité est comparable à celui des décisions d’investissement, elles ont une dimension
temporelle. On ne peut donc se contenter de comparer simplement les coûts supportés aujourd’hui avec les
bénéfices futurs, d’autant que ceux-ci sont hypothétiques et susceptibles de profiter à des générations qui ne
sont pas encore nées, donc pas parties prenantes à la décision.
Dès lors que l’analyse coûts-bénéfices a une dimension temporelle, on ne peut comparer directement les
sommes qui surviennent à des dates différentes, en raison de ce que les économistes appellent la « dépréciation
du futur » : les sommes placées aujourd’hui rapportent un intérêt ; les individus ont également une « préférence
pour le présent » qui leur fait préférer une somme aujourd’hui à la promesse de la même somme dans le futur.
Il convient donc de convertir les sommes futures en leur montant équivalent actuel. (…) Le taux d’actualisation
est donc le prix du temps.
Lorsque ce calcul concerne des décisions privées, d’investissement par exemple, il est usuel de choisir une
valeur du taux d’actualisation proche du taux d’intérêt observé sur le marché, dans la mesure où l’alternative à
une telle décision est la possibilité de placer la somme dont on dispose à ce taux. Mais comment choisir le taux
d’actualisation applicable à des décisions publiques, comme les politiques environnementales, et aux
évaluations de phénomènes dont les conséquences sont, par nature, souvent très lointaines dans l’avenir et
entachées, dans tous les cas, d’une incertitude qui tient avant tout aux limites de notre savoir ? C’est un choix
politique. (…) Bien sûr, les générations futures seront plus riches que nous, si la croissance économique se
poursuit comme cela a été le cas dans les siècles passés, mais les dommages qu’elles subiront du fait de nos
actes doivent aussi être mis en balance avec les coûts des mesures que nous pouvons prendre pour éviter ces
dommages.
Si le taux d’actualisation choisi varie de 1,4% à 6% on assiste à une différence de 1 à 10 dans l’évaluation des
gains ou des pertes.
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Le danger de cet instrument qu’est l’actualisation est donc évident : dès lors que l’on s’intéresse à des coûts
survenant à des dates suffisamment éloignées dans le temps, choisir une valeur positive, même très faible, du
taux d’actualisation conduit à minimiser les coûts supportés par les générations futures, au regard des éventuels
bénéfices que les projets analysés sont susceptibles de procurer aux générations présentes. (…)
La controverse suscitée par le Rapport Stern (2007) qui tentait d’évaluer les coûts et les bénéfices des politiques
climatiques a eu le mérite de montrer que le choix du taux d’actualisation social était déterminant dans
l’évaluation. Elle a aussi permis de mettre en pleine lumière cette question de l’incertitude. Martin Weitzman a
ainsi montré que si le changement climatique augmentait la probabilité d’évènements climatiques aux effets
catastrophiques, alors il convenait de retenir une valeur très basse, voire nulle, de la préférence pour le présent :
c’est, en quelque sorte, une application opérationnelle du principe de précaution. Lorsque l’incertitude est
grande, ce qui est le cas dans la plupart des contextes de l’évaluation de la soutenabilité, la prudence est de
mise et le taux d’actualisation doit être très faible.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 130
Pour engager sérieusement la lutte contre le réchauffement climatique, la première démarche est sans doute de
donner aux citoyens les signaux qui rendent le changement non seulement souhaitable mais acceptable. (…)
Mais il existe une schizophrénie dans les opinions publiques entre la prise de conscience du dérèglement
climatique, qui appelle l’action des gouvernements, et la préférence indécrottable pour le présent qui freine les
initiatives et aboutit à un certain immobilisme. Les responsables politiques ont d’ailleurs bien senti qu’il était
contre-productif de résoudre le défi climatique sous la forme d’une « pénalité » ou d’une « punition » (…). Il
apparaît donc avisé de changer de méthode en mettant, par exemple, l’accent sur les créations d’emploi. Mais
peut-on réellement parier sur les retombées, les innovations, les investissements, les emplois de la « croissance
verte » ? (…) Une épargne abondante est disponible, prête à s’investir, mais les investissements qui pourraient
stimuler cette « croissance verte » sont découragés par le manque de visibilité en particulier pour le paramètre
central, le prix du carbone.
La lutte contre le réchauffement climatique change indubitablement la politique, mais ce changement se
présente à ce jour sous une forme paradoxale puisqu’un consensus assez large sur sa réalité semble établi dans
les opinions publics et les médias … alors que les décisions politiques, soumises aux froids calculs des
électeurs et des élus, sont plutôt marquées du sceau de l’attentisme voire de l’immobilisme.
Source : ss la direction de Jacques Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme » Eyrolles, 2015, p.19
Document 131 : les difficultés « d’accumulation » du capital naturel
Le capital social
Le capital institutionnel
Incitation / impact sur le
calcul coûts-avantages
des AE
Conséquence négative sur
l’accumulation de capital
naturel
Deux problèmes :
L’activité économique entraîne des
externalités : l’utilisation de l’énergie
émet des GES, …
L’absence de prix rend l’allocation des
ressources sous-optimale
Comment modifier les comportements
des AE pour réduire ces externalités ?
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Les AE dans leurs activités économiques
manifestent une préférence pour le présent
La préservation du bien-être futur nécessite des
dépenses au temps présent : quel montant de
dépenses est-on prêt à fournir ? si la préférence
pour le présente est forte, la dépense pour le
future sera faible ;
Comment augmenter la préférence pour
l’avenir ?
64
2.3.2. Comment faire face au défi climatique ?
Document 132
Le capital social
Le capital institutionnel
Incitation / impact sur le
calcul coûts-avantages
des AE
Agir sur les valeurs/les
idées pour modifier les
institutions et produire
les bonnes incitations
Agir sur les
comportements : éviter
défaillances de marché ;
sortir du chemin de
dépendance
Débat ?
Instruments ?
Conséquence négative sur
l’accumulation de capital
naturel
2.3.2.1 Fabriquer des indicateurs de développement soutenable pour observer la réalité
(autrement qu’avec le PIB)
Document 133 : prendre en compte des « actifs manquants » et des « prix imputés »
Le bien être des individus aujourd’hui et demain dépend de beaucoup d’autres dimensions que celles qui sont
comptabilisées dans le PIB ; et ce dernier est produit en mobilisant des ressources dont les coûts ne sont pas
pris en compte du tout, ou pas complètement. L’intuition qui fonde l’analyse dynamique de la soutenabilité est
donc qu’il existe des « actifs manquants », des ingrédients essentiels du bien-être humain qui ne sont pas inclus
dans la mesure usuelle du capital et qu’il convient de valoriser convenablement.
La construction d’indicateurs de soutenabilité véritablement dynamique repose donc sur une approche
patrimoniale et s’apparente à la démarche d’une organisation cherchant à évaluer ses actifs productifs pour
établir son bilan : recenser les éléments qui constituent son actif et ceux qui viennent en déduction ; les
valoriser, en utilisant les prix de marché lorsqu’ils paraissent fiables, mais en recourant à des prix « imputés »
dans tous les autres cas, notamment pour valoriser les coûts futurs anticipés.
Tout indique que notre « hors-bilan »- tout ce qui n’apparaît pas dans le bilan établi selon les normes
comptables usuelles – est probablement plus important que ce que l’on comptabilise habituellement ; mais les
méthodes nécessaires à son évaluation n’en sont qu’à leurs balbutiements.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 134 : construire un indicateur unique de soutenabilité, l’analyse par les flux
Les tentatives de construction d’indicateurs synthétiques alternatifs au PIB incluant des dimensions autres que
la production et la consommation recensées par les comptables nationaux ont des origines diverses.
En 1972, Tobin et Nordhaus avaient proposé d’élargir le champ d’évaluation en incluant dans leur mesure du
« bien-être économique soutenable » des éléments du capital naturel et du capital humain. (…) Des progrès
considérables ont été depuis lors accomplis dans la collecte et l’analyse de données sur l’environnement, les
ressources naturelles, les écosystèmes et la nature et l’ampleur des atteintes que les activités humaines infligent.
Parallèlement les comptables nationaux ont affiné et harmonisé les méthodes d’évaluation économiques de
certains des flux de nuisance … Même si les prix retenus pour estimer la valeur économique de ces flux sont
sujets à discussion, leur évaluation fournit une base commune pour la publication d’une nouvelle comptabilité
nationale, tel que le « PIB vert » qui retranche à la mesure usuelle de la croissance, une évaluation monétaire de
plusieurs flux prélevés sur les ressources naturelles et des pollutions infligées à l’environnement.
Ces indicateurs corrigés ne sont toutefois pas des indicateurs de soutenabilité : tout au plus nous renseignent-ils
sur la vraie valeur nette de ce que nous produisons, et sur la part de notre consommation présente qui sera
prélevée sur ce que nous laisserons aux générations futures. Ce qui est déjà bien, mais purement statique.
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L’effort d’évaluation économique de la soutenabilité a cependant franchi une étape importante avec
l’élaboration et l’évaluation par la Banque mondiale de la notion d’épargne nette ajustée, première tentative
pour mettre en œuvre la notion de « capital total ».
La première étape consiste à passer de l’épargne brute à l’épargne nette, en soustrayant une estimation de la
dépréciation du stock de capital productif produit. (…) A l’évolution de cette épargne nationale nette, il
convient d’ajouter les investissements faits dans d’autres catégories de capital (capital humain) ou en
soustrayant une estimation de la dépréciation du stock de capital naturel (pollution ou exploitation des
ressources naturelles). (…) Les pays exportateurs de matières premières ne sont soutenables que s’ils
réinvestissent dans la formation de capital humain ou de capital productif. (…) Mais le commerce international
de matière première introduit à l’évidence une distorsion dans l’image que donne l’indicateur de la contribution
de chaque pays à la soutenabilité globale : la Chine ou, dans une moindre mesure la France, apparaissent très
soutenables en partie parce qu’elles sont importatrices nettes de ressources naturelles minérales, tandis qu’à
l’inverse, les exportations de matières premières grèves les indicateurs de soutenabilité des autres pays. (…)
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
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Document 135 : construire un indicateur unique de soutenabilité, l’analyse par les stocks
Les évaluations de la richesse véritable des nations publiées par la Banque mondiale en 2010, qui concerne
cette fois les stocks et non les flux, fournissent des informations intéressantes sur la répartition du capital total
dont dispose l’humanité.
L’une des principales limitations de l’indicateur de « richesse véritable » élaboré par la Banque mondiale tient
aux méthodes d’évaluation des composantes du capital, singulièrement, bien sûr, celles qui sont les plus
éloignées des rapports marchands, et pour lesquelles les prix utilisés sont des prix « imputés ». (…)
Dépasser certaines au moins de ces limites est précisément l’ambition du programme IWR (Inclusive Wealth
Report) lancé par les Nations Unies dont le premier rapport à été publié en 2012. Concentré sur 20 pays, il
s’appuie sur une analyse plus générale de la soutenabilité pour proposer une évaluation plus satisfaisante des
composantes de la « richesse totale » des nations.
La principale amélioration par rapport à l’épargne nette ajustée tient à une définition plus large et une meilleure
évaluation du capital naturel, pour tenir compte, notamment des éco-systèmes. L’indicateur de richesse
véritable est, de ce fait, plus sensible aux dégradations environnementales. Mais la valorisation du capital
humain demeure très discutable, alors même que son accumulation domine, comme dans la richesse véritable
calculée par la BM, les évolutions de la richesse totale.
(…) La répartition de la richesse totale mondiale semble moins déséquilibrée : le capital humain en constitue
54%, le capital naturel 28% et le capital manufacturé 18%.(…)
Le stock mondial de richesse par habitant ainsi corrigé a diminué de 0,3% par an entre 1990 et 2010.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
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2.3.2.2 La construction des indicateurs nécessite des choix (exprimer des préférences
collectives) : l’espace démocratique permet l’émergence et l’application de ces choix
Document 136 : la construction d’un indicateur synthétique s’appuie sur le concept de soutenabilité
faible
L’une des principales objections que soulève cette cette évaluation de la soutenabilité à l’aide d’un indicateur
unique de « richesse véritable » ou de « richesse totale » tient à la démarche d’addition des différentes
composantes de ce stock, qui suppose que celles-ci sont parfaitement et indéfiniment substituables : un euro
accumulé en capital productif ou en capital humain compense un euro perdu en capital naturel. (…) avec ce
type d’indicateur, si la population mondiale continue d’augmenter, et pourvu bien sûr qu’elle soit suffisamment
éduquée, alors le processus actuel de développement économique apparaît éminemment soutenable (…).
C’est d’ailleurs une critique qui s’applique aussi à l’IDH : les trois dimensions étant considérées sur un pied
d’égalité dans la construction de l’indice, une baisse dans l’une d’elles peut être compensée par une hausse
d’une autre.
Peut-on raisonnablement faire l’hypothèse d’une substituabilité sans limite entre les différentes composantes du
stock de richesse véritable, à l’échelle de la planète ou celle d’un pays ? On peut dans une certaine mesure
substituer, grâce aux progrès technologiques, du capital manufacturé au capital naturel : l’Europe a certes
massivement réduit la taille des forêts depuis le Moyen Age, mais qui songerait à se plaindre que des villes ou
des champs cultivables les aient remplacés ? Il y a bien des possibilités de substitution, et elles sont d’autant
plus étendues que nos compétences et nos savoirs, donc notre capital humain, s’accumulent. Mais cette
substitution peut-elle être poursuivie sans limite et sans risque ? C’est ici, deux conceptions de la soutenabilité
qui affleure : la notion de soutenabilité « faible » qui sous-tend la construction des indicateurs discutés
précédemment, et celle de soutenabilité « forte ».
Alors que la première postule la substituabilité entre les différentes composantes du capital total, la seconde
met l’accent sur les limites qu’impose la disponibilité des ressources naturelles épuisables, la capacité
d’absorption ou de résistance de l’environnement naturel, en un mot la résilience de la biosphère. (…) Il n’est à
l’évidence, ni raisonnable ni politiquement et moralement défendable d’opter pour la soutenabilité « forte » qui
implique de préserver à n’importe quel prix (donc à un prix fantôme infini) l’environnement naturel et les
écosystèmes existants, jusque y compris en sacrifiant les possibilités de développement humain de la partie de
l’humanité dont les besoins vitaux ne sont aujourd’hui pas assouvis. Mais si la soutenabilité « faible » nous
permet d’espérer que le monde que nous laisserons aux générations futures sera vivable, elle laisse planer une
incertitude sur la capacité des humains d’aujourd’hui et de demain à maîtriser les risques qu’elle porte en
germe, et ne nous garantit nullement que ce monde de demain sera agréable ou aimable. Evaluer en termes
monétaires est donc utile, indispensable même pour pointer les pires erreurs de trajectoire et pour peser sur les
choix, individuels et collectifs ; mais la monétisation a ses limites. La mesure de la soutenabilité ne saurait donc
se réduire à la seule dimension économique : c’est une affaire démocratique.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
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Document 137 : la construction d’un indicateur synthétique de développement soutenable
Mesurer l’évolution des flux des actifs
qui forment le « capital total » :
Le bien-être économique soutenable
Le Pib vert
L’épargne nette ajustée (BM)
Mesurer l’évolution des stocks des actifs
qui forment le « capital total » :
La richesse véritable des nations (BM)
La richesse totale des nations (ONU)
Construire un indicateur unique (synthétique) de
soutenabilité
Difficultés méthodologiques : pour
certains « actifs » (les actifs manquants), il
n’existe pas de prix de marché ; il faut
donc les valoriser (les prix imputés)
Ces indicateurs adoptent la démarche de la
soutenabilité faible, pour laquelle les
variations de capitaux peuvent se
compenser
Document 138 : mais l’application du concept de soutenabilité « faible » soulève des remarques
Construire un indicateur unique (synthétique) de soutenabilité =
utiliser le concept de soutenabilité « faible » =
Considérer que les différents capitaux sont substituables
Critique du critère de soutenabilité
« forte » : le capital naturel doit avoir une
valeur supérieure aux autres et ce
« capital » est strictement complémentaire
des autres pas substituables ; mais
l’application stricte de ce principe
empêcherait l’accumulation des autres
formes de capitaux
Admettre que tous les capitaux ne sont
pas parfaitement substituables; au-delà
d’un certain seuil, il n’est plus possible de
remplacer une qualité de l’environnement
dégradé par du progrès technique ou du
capital humain ;
(position intermédiaire)
Il est donc indispensable de pouvoir exprimer les choix
de la société en faveur de telle ou telle combinaison des
capitaux, dans un contexte d’incertitude et de préférence
pour le présent +/- forte ; il faut donc construire un
indicateur qui indique la trend de soutenabilité et la
position par rapport à une/des situations dangereuses ;
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2.3.2.3 Engager le débat politique sur la préservation du capital naturel : le rôle de la
démocratie
Document 139
Enjeu préservation du capital
naturel : modifier les valeurs et les
comportements
Objectif = changer les valeurs :
priorité à la soutenabilité (au bienêtre durable plutôt que présent)
Objectif = changer les
comportements : prendre en
compte les externalités
Méthode : développer le débat
démocratique sur le développement
soutenable
Construction des
indicateurs de
développement
soutenable
Définition des
instruments et
évaluation des politiques
publiques
Définition de l’espace
adéquat des politiques
publiques : territoire,
nation, monde
Redéfinir le cadre des politiques économiques pour les nouveaux enjeux du 21ième
siècle
Document 140 : les incitations découlent des institutions
Les conditions nécessaires de la transition des valeurs vers le bien-être et la soutenabilité sont politiques : il faut
construire des institutions qui portent sur les principes du nouveau monde économique.
Le débat contradictoire et parfois le conflit sont nécessaires dans cette perspective. mais nous disposons pour
cela, en Europe et en France en tout cas, du système politique le plus efficace qui soit : le régime démocratique,
dont la qualité première est de pouvoir sans cesse interroger ses erreurs pour se remettre en cause. (…) Le débat
public en économie n’est pas une page blanche sur laquelle il suffirait de commencer à écrire, en ce début du
21ième siècle, le chapitre de la transition du bien-être et de la soutenabilité. Le débat économique est en réalité
peuplé d’indicateurs qui dominent les commentaires et les analyses. (…) Au cœur des préoccupations
contemporaines on trouve le « carré mystique » formé par la performance des marchés boursiers, le niveau du
déficit et de la dette publics et la croissance du PIB. Aucun de ces indicateurs n’a trait au bien-être ou à la
soutenabilité. (…) La priorité pour entamer la nécessaire dépollution du débat économique consiste à rendre
pluriel ce qui est monolithique et à introduire de la complexité dans cet ensemble de fausses certitudes. (…)
C’est donc à restaurer la pluralité des valeurs économiques qu’il nous faut employer et nul régime politique
n’est plus apte à cette tâche que la démocratie. La qualité d’un indicateur n’est en effet pas déterminée par sa
valeur technique (même si elle importe à l’évidence) mais par sa « contestabilité » démocratique, c’est-à-dire
qu’il puisse être mis en débat de manière contradictoire et compréhensible. (…) Beaucoup peut tout d’abord
être fait dans le cadre du Parlement et de l’action gouvernementale, en travaillant en deux directions. La
première consiste à intégrer les indicateurs de bien-être et de soutenabilité à la décision budgétaire, qui est
historiquement le lieu de la délibération démocratique. (…) L’enjeu est d’aboutir à la création d’une
Commission permanente d’information et d’évaluation des choix budgétaires au sein du Parlement, composée
de représentant de l’Etat, des territoires et des citoyens. cette instance pourrait devenir un lieu de délibération
continue de l’impact des choix publics sur le bien-être et la soutenabilité. (…) Autrement dit, il faut créer une
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véritable culture parlementaire du bien-être et de la soutenabilité. La seconde direction dans laquelle œuvrer est
celle de l’évaluation des politiques publiques. (…)
La démocratie participative doit venir renforcer ces réformes du gouvernement représentatif. Il importe de
comprendre à ce sujet que la démocratie n’est pas seulement une dimension du bien-être, mais aussi et surtout,
la méthode qui doit présider à sa définition. (…) En tout état de cause, les commissions d’experts, comme la
Commission Stiglitz en 2009, ne peuvent au mieux qu’attirer l’attention publique. Il est donc préférable
d’associer le plus tôt possible les citoyens et leurs représentants à ce qui est avant tout une délibération
démocratique sur des valeurs et non une décision technique sur des outils. C’est précisément pourquoi le
collectif FAIR (Forum pour d’autres indicateurs de richesse) a été constitué en 2008 comme s’en sont expliqués
ses membres fondateurs : « Nous pensons que l’on ne peut pas confier à des groupes d’experts, dont les
contributions sont évidemment utiles, le soin de dire quelles sont les fins à considérer et comment les prendre
en compte. la participation de la société, la délibération politique sont indispensables pour dire et sélectionner
les fins que l’on vise, et pour pondérer les critères d’évaluation qui leur correspondent ».
Ce qui nous amène finalement à la dimension militante de la démocratie. Comme le montre l’économiste
écologique Joan Martinez Alier, il existe des conflits « écologico-distributifs », c’est-à-dire des conflits sociaux
qui portent sur la répartition des ressources et des nuisances naturelles. Son argument tient dans l’idée que le
coût de l’extraction, du transport et de la consommation des ressources naturelles est d’abord supporté par les
plus pauvres et les plus vulnérables. De cet état de fait, résulte une vérité contre-intuitive : l’écologie n’est pas
un luxe mais une nécessité, elle n’est pas l’apanage d’une classe aisée qui aurait sublimé le besoin matériel
mais la condition de survie des défavorisés de tous les continents. Les pauvres sont soucieux de leur
environnement parce qu’ils sont les premières victimes de sa dégradation.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 142 : les instruments pour de nouveaux comportements et de nouvelles valeurs
La capacité de changement des sociétés humaines dépend de deux leviers fondamentaux : les attitudes et les
comportements de leurs membres.
Les comportements sont déclenchés par des signaux économiques que les personnes perçoivent (ou non) et
auxquels elles choisissent (ou pas) de répondre. (…)
Il nous faut avancer, anticiper l’inversion des valeurs qui est déjà en marche et qui est en train de remettre le
développement économique à sa place pour donner le priorité au bien-être et à la soutenabilité. Cette transition
des valeurs prendra de longues décennies et on ne peut pas compter sur les marchés pour la porter, en tout cas
pas spontanément. Il nous faut modifier nous-mêmes le système de valorisation sociale, en diminuant celle de
la croissance économique et en réhaussant celle du développement humain et du développement soutenable, en
diminuant celle des bénéfices des générations présentes pour augmenter le bien-être des générations à venir.
(…) Les instruments économiques peuvent être de puissants alliés dans cette entreprise à condition d’être
contrôlés par la puissance publique. C’est tout le sens de la taxation du carbone que beaucoup, au-delà des seuls
économistes, voient comme une solution efficace pour lutter contre le changement climatique : on espère ainsi
canaliser la puissance des échanges marchands au service d’une modification des comportements de
production, de consommation, de logement, de transport, …qui va progressivement réduire le rôle des énergies
fossiles dans le système économique. mais ce changement des comportements doit s’accompagner d’une prise
de conscience qui conduira les individus à opter pour des solutions bas carbone parce qu’ils sont convaincus de
leurs bénéfices et pas seulement parce qu’ils y sont contraints par le système de prix.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 143 : Répondre au défi climatique : un enjeu aussi important pour les démocraties que la
réponse à la Question Sociale du 19ième siècle
Le défi climatique devrait bien conduire à changer la logique du capitalisme, ou plus largement de l’économie
industrielle qui a produit le réchauffement. Et si l’on se place dans une perspective d’histoire économique et
politique, on peut y voir un défi à certains égards comparable à celui qu’à représenté la transformation du
capitalisme concurrentiel du 19ième en un capitalisme organisé ou institutionnalisé au 20ième. Cette « grande
transformation » a abouti à un ensemble d’innovations institutionnelles dont la théorie de la régulation a
formalisé la logique, elle a mis en mouvement des forces économiques nouvelles connues sous le nom de
« fordisme ». Au 20ième siècle, le capitalisme a ainsi connu une première mutation, le salariat s’est transformé,
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le pouvoir d’achat a augmenté, la protection sociale s’est généralisée ; au 21ième siècle, le climat le met au défi
d’une mutation d’ampleur comparable. Le paramètre déterminant était, pour le fordisme, le lien entre salaire
réel et productivité ; le paramètre déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique, c’est le prix du
carbone. Mais si le jeu de ces paramètres économiques est dans les deux cas essentiel, c’est comme l’enseigne
l’histoire, le contexte politique qui joue un rôle déterminant pour organiser de telles mutations : le climat peut-il
aussi changer la logique des choix politiques ?
La prise de conscience par les opinions publiques de la réalité et des dangers du réchauffement climatique est
bien le point de départ d’une révolution. C’est en effet dans les régimes démocratiques qu’est née la sensibilité
aux questions d’environnement et que sont apparus ses premiers fruits, il suffit de comparer l’état de l’Europe
occidentale et de l’Europe orientale au lendemain de la chute du mur de Berlin pour s’en convaincre.
Source : ss la direction de Jacques Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme » Eyrolles, 2015, p.18
2.3.3 Quel niveau d’action publique pour promouvoir la soutenabilité de la croissance et du
développement ?
2.3.3.1 Les politiques publiques territoriales pour promouvoir le bien-être dans toutes ses
dimensions
Document 144: Les territoires et la « transition polycentrique » (E.Ostrom)
Il existe au moins trois raisons fortes qui font des territoires (régions, métropoles, départements, villes) plus que
les Etats-nations, les vecteurs par excellence de la transition du bien-être et de la soutenabilité. La première
tient à leur montée en puissance sous le double effet de la mondialisation et de l’urbanisation. Les territoires ne
sont plus des subdivisions administratives de l’espace national mais des multiplicateurs autonomes de
développement. Toute politique publique est désormais territoriale. Deuxièmement, la nécessité de mesurer et
d’améliorer le bien-être humain au plus près des réalités vécues par les personnes impose l’échelle territoriale.
L’IDH calculé pour la France entière est utile pour les comparaisons internationales ou historiques mais il ne
nous dit rien du développement humain réel dans le pays et notamment des différences parfois fortes qui
peuvent exister entre les territoires. Enfin, les territoires sont plus agiles que les Etats et davantage capables de
mettre en mouvement les nouveaux indicateurs et de les traduire en nouvelles politiques. On parle à ce sujet, à
la suite d’Elinor Ostrom (Prix Nobel 2009) de « transition polycentrique » pour signifier que chaque échelon de
gouvernement peut s’emparer de la transition du bien-être et de la soutenabilité sans attendre une impulsion
venue d’en haut. (…)
L’approche territoriale du bien-être est indispensable et le cas de la France permet de s’en convaincre
complètement. Une étude conduite récemment pour l’Association des régions de France par la Direction de la
prospective du Nord-Pas-de-Calais, très en pointe sur la conception et l’usage des indicateurs de bien-être de
soutenabilité, permet de saisir tout ce que ces indicateurs apportent à la compréhension des trajectoires de
développement des régions françaises. L’étude croise 3 indicateurs : le PIB par habitant, l’IDH et l’indicateur
de santé sociale. ce dernier présente l’avantage d’enrichir encore l’approche du bien-être par rapport à l’indice
de développement humain en agrégeant non pas trois mais quatorze indicateurs parmi lesquels les conditions de
travail, de logement, la sécurité ou encore la qualité du lien social. En comparant le classement des différentes
régions françaises obtenu selon ces trois indicateurs, on constate trois faits particulièrement intéressants.
Tout d’abord, les régions les mieux classées selon le PIB par habitant ne sont pas les mieux classées selon
l’IDH. Pour autant, deuxième constat, la corrélation entre PIB/hab et IDH n’est pas négligeable. Mais dernier
constat, les dimensions non monétaires du développement humain (santé et éducation) sont quant à elles très
faiblement corrélées au PIB/hab.
Ces considérations nous dévoilent deux réalités essentielles : d’une part, la carte du PIB par habitant ne
coincide pas en France avec celle du développement humain, autrement dit les régions les plus riches
économiquement ne sont pas nécessairement les plus développées humainement ; d’autre part, les dimensions
non monétaires du développement humain, la santé et l’éducation, ne « découlent » pas du revenu : il faut donc
des politiques spécifiques qui prennent ces enjeux à bras-le-corps car le simple fait d’être riche ne suffit pas
pour être bien éduqué et en bonne santé, ou riche humainement.
Tout dernier constat, le niveau du Pib par habitant et l’indicateur de santé social sont encore moins corrélés que
le PIB par habitant et le niveau de développement humain. ce dernier point nous indique que lorsque le revenu
est remis à sa place dans un ensemble plus vaste qui vise à mieux appréhender la pluralité du bien-être humain,
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son influence diminue. Autrement dit, en élargissant la définition du bien-être pour y inclure de nouvelles
dimensions, on met encore plus de distance entre la carte de France de la richesse économique et celle de la
richesse humaine.
Les travaux de qualité sur le bien-être territorial en France se multiplient ces dernières années et permettent de
laisser de côté des débats devenus trop étroits sur le développement économique territorial (réduit au pib ou au
revenu par habitant) ou « l’attractivité économique » considéré sous le seul angle d’une « compétitivité » dont
la définition est mal assise. (…) L’Insee a ainsi proposé récemment une étude de la qualité de vie dans les
territoires français en croissant une trentaine d’indicateurs. Il en résulte une cartographie du bien-être territorial.
(…) L’Insee dégage huit grands types de territoires. Ce qui apparaît c’est une carte de France des arbitrages
territoriaux entre différentes dimensions du bien-être humain. (…) L’OCDE s’est aussi récemment engagé sur
le terrain de la mesure du bien-être territorial.
On repère immédiatement qu’en matière de logement ou d’environnement, la région capitale est nettement en
dessous de la moyenne des autres régions françaises alors qu’elle les dépasse en matière de revenu et de santé.
Il s’agit là d’éléments très utiles portés à la connaissance des pouvoirs publics franciliens qui peuvent les mettre
à profit dans la conception de politiques publiques adaptées au profil du bien être territorial de la région.
Source : E.Laurent et J. Le Cacheux « Un nouveau monde économique. Mesurer le bien être et la soutenabilité
au 21ième siècle », O.Jacob, 2015, p.150
Document 145
Les gouvernements européens ont voulu adjoindre des objectifs de politique générale visant au développement
durable et à la diminution de l’intensité carbone. C’est ce que l’on appelle le paquet climat-énergie, une
décision européenne de 2009 qui impose la règle des « 3x20 pour 2020 » : améliorer de 20% l’efficacité
énergétique, monter la part des énergies renouvelables à 20% du bilan énergétique et réduire de 20% nos
émissions de GES par rapport au niveau atteint en 1990. (…)
La dynamique de la transition énergétique est aujourd’hui très profondément installée dans la plupart des pays
européens. L’une des interrogations majeures porte sur la vitesse à laquelle va se faire cette transition. (…) La
transition possède une forte composante décentralisée. (…) Les collectivités locales sont beaucoup plus
motivées pour agir sur le plan économique et social et le couple énergie-environnement est un thème qui
motive localement les consommateurs-électeurs. (…) La polarisation sur des projets locaux correspond à une
volonté des citoyens d’âgir directement sur leur environnement quotidien. (…) Plusieurs types de collectivités
locales sont concernées par la décentralisation : les régions, les départements, les communautés de communes,
les communes elles-mêmes. Après l’adoption du paquet climat-énergie en 2009, plusieurs centaines de villes
européennes s’étaient mobilisées à Bruxelles pour affirmer qu’elles souhaitaient aller « plus vite et plus fort »
que les 3x20 pour 2020. Elles sont aujourd’hui des milliers à être engagées dans des programmes locaux. (…)
Cet enracinement décentralisé constitue un élément nouveau de l’équation énergie-climat et on le trouve
fréquemment au niveau international
Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p. 93
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2.3.3.2 Une nouvelle politique industrielle au niveau national pour stimuler l’innovation
nécessaire à la transition énergétique
Document 146 : la transition énergétique à l’origine d’un nouveau cycle long d’innovation
L’investissement dans la maîtrise du changement climatique a le potentiel de renouveler profondément le
régime de croissance dans le sens du développement durable. La transition énergétique, liée au changement
climatique et pas seulement à la rareté à venir des sources d’énergie fossile, n’est pas qu’un processus de
substitution des sources d’énergie renouvelables à des non renouvelables. C’est une transformation d’ensemble
de la production dans le sens de l’efficacité énergétique à laquelle l’efficacité carbone est étroitement corrélée.
En ce sens, on peut qualifier cette transformation de vague d’innovation séculaire.
Les innovations séculaires nourrissent l’accumulation du capital sur de longues périodes parce qu’elles
bouleversent la vie des sociétés. C’est une coévolution du changement des structures économiques et des
institutions sociales qui oriente des trajectoires de croissance sur de très longues périodes. S’inscrivant dans la
logique capitaliste, ces innovations radicales sont concrétisées dans les structures de la production et dans les
modes de vie par les paris de la finance. Les crises d’adaptation sont donc toujours marquées par des crises
financières de grande ampleur qui résultent des excès dans la valorisation des promesses de rentabilité que ces
innovations engendrent. A travers ces crises financières, c’est le régime de croissance qui se redéfinit. Les
grandes vagues d’innovation peuvent se chevaucher, la crise d’adaptation d’un type d’innovation coexistant
avec l’émergence du suivant. C’est ainsi que l’organisation taylorienne du travail développée dans les chaînes
intégrées de production de l’industrie lourder a essaimé dans la production de masse des biens durables de
consommation, fer de lance de la vague d’innovations suivante. En recoupant les informations sur les dates des
révolutions industrielles et sur les déclenchements des crises financières majeures, puis sur l’étude de l’époque
dite fordiste, on peut dresser le tableau suivant complété par des connaissances parcellaires sur les révolutions
en cours des technologies de l’information et de l’environnement.
Ce tableau décrit le déploiement de ces innovations qui scandent les époques historiques du capitalisme depuis
la première révolution industrielle. Elles sont bien au-delà des politiques économiques. toute la société des pays
qu’elles transforment est concernée, soit directement, soit par les répercussions de la mobilité du travail sur les
secteurs plus traditionnels.
Toutefois, ces innovations requièrent une complémentarité des investissements publics et privés. C’est ainsi
que l’automobile a remodelé entièrement les villes. Elles se déploient en phases successives. Les
investissements structurants jouant un rôle majeur dans leur expansion parce qu’ils induisent des flux
d’investissement qui réalisent le paradigme de l’innovation majeure dans l’ensemble de l’économie. c’est le
lien entre l’innovation générique qui révolutionne le progrès technique et transforme le mode de vie et les
innovations incrémentales qui la réalisent concrètement dans les entreprises.
La possibilité d’une vague d’innovations radicales fondées sur l’environnement n’est pas reconnue par tous. Si
l’on fait remonter l’événement inaugural à l’avertissement du Club de Rome en 1972, la phase d’émergence est
particulièrement longue. Même le sommet de la terre à Rio en 1992, et les conférences internationales qui ont
suivi n’ont pas véritablement lancé la phase de diffusion. Celle-ci est en effet la phase où le principe qui porte
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l’innovation séculaire considérée devient dominant dans les choix d’investissement des pays leaders dans les
technologies qui concrétisent cette innovation. Même si de plus en plus d’acteurs économiques et de
gouvernements sont convaincus de la réalité du changement climatique et de son origine humaine, le lien
financier qui déclenche les investissements massifs de l’entrée en phase de diffusion n’a pas encore été noué.
Source : M.Aglietta « Sortir de la crise et inventer l’avenir », Michalon, 2014, p. 288
Résumé 147 : la position d’Aghion, Cette et Cohen « Changer de modèle » 2014
Une nouvelle politique industrielle verticale
Agir sur l’environnement des Mobilité sur le marché du travail ;
entreprises
Accès au financement des activités innovantes ;
Dévaluation fiscale ;
Stimuler l’enseignement supérieur ;
Favoriser la mobilité professionnelle
Aides financières aux entreprises : En subventionnant des secteurs concurrentiels plutôt que des
comment aider des entreprises sans entreprises ;
aider un champion national (ie sans
choisir le vainqueur de la compétition
avant) ?
Tenir compte de la transition Le financement des activités liées à la transition énergétique est touché
énergétique
(l’enjeu
du par de nombreuses défaillances de marché auxquelles l’Etat doit
développement durable)
répondre et qui le conduisent à se substituer au marché ;
Il faut éviter que ne se renforcent des phénomènes de chemins de
dépendance dans des technologies sales ;
Les innovations dans le secteur de l’environnement sont le moteur
d’une nouvelle phase d’« innovation séculaire »
Document 148 : les modalités de l’intervention publique
La lutte contre le réchauffement climatique est une affaire collective. Elle est « additive » : tous y contribuent à
hauteur de leurs émissions. Les pouvoirs publics ont un rôle particulier à y jouer. D’une part, il leur incombe de
mener des actions de financement direct pour développer la recherche et l’information et pour adapter les
infrastructures publiques aux exigences climatiques. De l’autre, taxation, réglementation, subventions,
assurances … sont essentielles pour créer un cadre général favorable aux investissements verts. (…) Le défi est
de parvenir à mobiliser le secteur privé pour la fourniture d’un bien public, à savoir la lutte contre le
réchauffement climatique.
Pourquoi les investisseurs privés ne s’engagent-ils pas plus avant dans les investissements verts favorables au
climat ? Essentiellement parce qu’ils n’ont pas à être gouvernés par la philanthropie et que le profil des retours
financiers est trop incertain et lointain. Les politiques publiques peuvent améliorer ce profil de plusieurs
façons : en donnant plus de visibilité au cadre réglementaire et au calendrier d’introduction de normes plus
exigeantes en termes d’émissions de carbone ; en soutenant la recherche et l’information sur le réchauffement
climatique lui-même, mais aussi sur les innovations techniques ; en partageant certains risques (techniques,
climatiques, politiques) ; ou encore en contribuant à soutenir la demande pour les produits issus des
investissements verts.
Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p.120
Document 149 : Agir sur le financement (aides publiques et nouveaux instruments financiers)
Un frein majeur au développement rapide de la transition est celui du financement : pas de prix carbone, peu de
transferts tarifaires, peu de ressources disponibles du côté des Etats, de charges financières importantes pour les
compagnies européennes d’électricité touchées par le développement rapide des renouvelables. Une véritable
politique de la transition énergétique impliquerait d’importantes innovations financières. Ainsi l’Allemagne
s’est dotée d’un groupe bancaire public très actif dans la promotion de cette transition. Plus généralement, le
développement rapide de green bonds (obligations vertes) et de certaines formes de crowdfunding montre que
les investissements de changement peuvent attirer des fonds. En France, des propositions ont été faites pour
rendre éligibles à la politique de rachat de la BCE des titres privés dont l’impact bas carbone serait garanti par
le gouvernement.
Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p. 93
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Document 150: le coût de la transition, la préférence allemande pour une énergie chère
En Allemagne, la transition énergétique s’accompagne de la sortie du nucléaire. Dans ce pays, les énergies
renouvelables se développent rapidement. Leur production d’électricité est institutionnellement achetée par les
électriciens à des prix préférentiels. Cela entraîne la diminution de la production des grandes centrales
thermiques voire la fermeture de certaines d’entre elles. En 2013 et 2014, plusieurs dizaines de gigawatts de
capacité ont ainsi été mis sous cocon. Au niveau européen, l’électricité renouvelable allemande se traduit
parfois par une vente d’électricité à un prix négatif aux pays voisins car l’Allemagne ne peut absorber toute sa
production. la transition énergétique allemande est coûteuse : la fermeture des centrales nucléaires entraîne la
construction de centrales à charbon qui augmentent temporairement les émissions de GES. Le coût de la
transition allemande fait débat mais les citoyens paraissent pour l’instant prêts à payer des prix élevés pour une
électricité de transition.
Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p. 90
Document 151 : les contradictions de la politique énergétique dans le cadre européen
L’organisation traditionnelle des systèmes énergétiques est très vivement interpellée par la transition
énergétiques et la nécessité de diminuer l’intensité carbone des structures en place. (…) La construction d’un
marché européen de l’énergie est fondée sur un principe essentiel du traité de Rome : la libre circulation des
marchandises et des services, qui doit être orchestrée par le jeu des marchés et de la concurrence. Pour
l’électricité et le gaz naturel, des filières qui étaient souvent organisées en monopole, il a fallu attendre 1996 et
1998 pour que deux directives européennes déclenchent la libéralisation des marchés. En fonction de ces
directives, la concurrence doit être introduite partout où cela est possible et l’intégration verticale doit être
brisée afin de séparer clairement les activités jugées concurrentielles de celles qui doivent être maintenue en
monopole. (…) C’est ainsi que les pays européens ont été amenés à créer des autorités de régulation pour le gaz
naturel et l’électricité, des autorités en principe indépendantes des instances politiques.
A côté du principe des marchés et de la concurrence, les gouvernements européens ont voulu adjoindre des
objectifs de politique générale visant au développement durable et à la diminution de l’intensité carbone. C’est
ce que l’on appelle le paquet climat-énergie, une décision européenne de 2009 qui impose la règle des « 3x20
pour 2020 » : améliorer de 20% l’efficacité énergétique, monter la part des énergies renouvelables à 20% du
bilan énergétique et réduire de 20% nos émissions de GES par rapport au niveau atteint en 1990. On comprend
bien que ce ne sont pas les marchés et la concurrence qui vont automatiquement conduire à la réalisation de ces
objectifs. Il existe donc une sorte de contradiction entre le principe de la concurrence et ce que l’on peut
appeler une « vision européenne de l’énergie » qui reflète une prise de conscience et une responsabilité
politique collective vis-à-vis du réchauffement climatique. En 2014-2015, la réduction des émissions de GES a
été réaffirmée en fixant un nouvel objectif de réduction à hauteur de 40% à l’horizon 2030. (…)
Source : ss la direction de J.Mistral « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? », Eyrolles, 2015, p. 93
2.3.3.3 La coopération internationale pour mettre en œuvre une gouvernance mondiale sur
l’enjeu climatique
Document 152 : la coopération internationale se heurte aux comportements de passager clandestin
L’économie politique du réchauffement climatique n’est pas très favorable à la réalisation de l’optimum social :
les coûts d’un comportement vertueux sont supportés aujourd’hui par le pays le mettant en œuvre, et la quasitotalité de ses bénéfices vont à l’étranger et à des générations qui ne sont pas en âge de voter. (…) Quel serait
un bon accord international ? Comment obtenir l’adhésion des pays ? quelle feuille de route établir pour
parvenir à un résultat meilleur ? (…)
Source : Jean Tirole dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme » ss la direction de J.Mistral, Eyrolles,
2015, p. 49
Document 153 : la coopération internationale en matière environnementale (rappels historiques)
Dans l’histoire des accords environnementaux, le protocole de Montréal de 1987 occupe une place particulière.
Cet accord à portée universelle a conduit la communauté internationale à pratiquement cesser les émissions de
gaz CFC dont l’accumulation dans l’atmosphère provoquait la destruction de la couche d’ozone. Ce succès a
reposé sur trois piliers : un engagement politique fort des gouvernements concernés, un système rigoureux et
indépendant de suivi, des instruments économiques adaptés.
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25 ans de négociations climatiques n’ont pas permis d’engranger des résultats comparables, bien au contraire :
durant la décennie 2000, les émissions mondiales de GES se sont accélérées et augmentent d’autant notre
exposition collective au risque climatique. (…)
La mise en œuvre d’un accord international sur le climat se heurte au problème très classique du passager
clandestin. (…) De plus, les impacts les plus sévères sont éloignés dans le temps, ce qui incite chaque acteur à
reporter l’intégralité des coûts du changement climatique sur les générations futures. Dans un tel contexte,
chaque joueur a intérêt à attendre que ses voisins lancent l’action. (…) Inversement, aucun acteur n’a intérêt à
s’engager unilatéralement tant qu’il n’a pas la conviction que d’autres suivront dans le cadre d’une coalition
plus large. (…)
Face à cette question du passager clandestin, l’Europe et les Etats-Unis ont adopté des attitudes opposées.
L’Europe a toujours considéré que l’engagement unilatéral des pays riches était de nature à provoquer un effet
d’aspiration des autres pays qui rejoindraient spontanément une large coalition internationale. A l’opposé, le
Sénat américain adopté dès 1997 une résolution s’opposant à la ratification de tout traité sur le climat qui lierait
les Etats-Unis sans que des pays comme la Chine ou l’Inde soient engagés à des efforts équivalents. Cette
résolution rendait impossible la ratification par les Etats-Unis du protocole de Kyoto et contribua à l’enlisement
des négociations climatiques. (…)
Source : C.de Perthuis et P.A.Jouvet dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? » ss la direction de
J.Mistral, 2015, p. 52
Document 154
Les externalités environnementales ne s’arrêtent pas aux frontières de
chaque Etat ;
Tous les Etats profitent de la qualité de l’environnement (non excluabilité)
La stabilité climatique : un bien public mondial
La production de ce BPM se heurte à :
- une difficulté spécifique aux relations internationales : les comportements de passage
clandestin ; chaque Etat attend des autres qu’ils prennent les mesures nécessaires pour
assurer la qualité de l’environnement ;
- des difficultés classiques aux problèmes environnementaux : défaillance de marché
(externalités négatives) et préférence pour le présent
Comment dépasser ces difficultés ?
Comment inciter les Etats à ne pas
jouer les passagers clandestins ?
Comment faire internaliser les
externalités afin que les AE intègrent
dans leurs calculs économiques les
coûts générés sur l’environnement ?
Document 155 : la méthode utilisée à partir de la Conférence des Parties (COP) de Kyoto (1997)
La question du climat s’est introduite dans la vie internationale en 1990 avec la publication du premier rapport
d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) destiné à fournir aux
décideurs une information fiable sur l’état des connaissances scientifiques en matière de changements
climatiques. Deux ans après, la convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques était signée
à Rio lors du Sommet de la Terre de 1992.
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Cette convention ratifiée par 196 pays pose trois principes de base :
- le principe de reconnaissance : chaque partie reconnaît l’existence des changements climatiques en
cours et leur lien avec l’accumulation de GES d’origine anthropique ;
- le principe de stabilisation : l’objectif de limiter à 2°C le réchauffement moyen relativement à l’ère
préindustrielle a été adopté en décembre 2009 lors du Sommet de Copenhague. Cet objectif est peu
contraignant tant qu’il n’est pas associé à une trajectoire précise d’émission et de concentration de
GES. Les travaux du GIEC permetttent de tracer de telles trajectoires. Une idée simple est qu’en
l’absence d’une réduction de 40% à 70% des émissions mondiales de GES entre 2010 et 2050, cet
objectif de 2° est probablement inatteignable ;
- le principe de « responsabilité commune mais différenciée » : ce principe de différenciation du degré
de responsabilité suivant le niveau de développement des pays est incontestable.
La convention cadre des Nations Unies introduit un mode de gouvernance de la question climatique (…) et fait
de la négociation climatique un processus continu à travers la « Conférence des parties » (COP) qui doit
statutairement se réunir chaque année et prend des décisions au consensus des 196 parties.
La COP réunie à Kyoto (1997) introduit deux éléments clés :
- un engagement contraignant de réduction de 5% des émissions de GES ;
- la mise en place d’un système de cape and trade permettant aux pays d’échanger des droits d’émission pour
faire émerger un prix international du carbone.
A Copenhague, les pays émergents et les Etats-Unis ont accepté de prendre des engagements de réduction des
émissions. Mais l’avancée s’est accompagnée d’un affaiblissement drastique du dispositif : engagements
volontaires de certains pays, sans homogénéisation des méthodes ni système de vérification qui garantissent
leur matérialité. Un tel dispositif n’a quasiment aucune change d’aboutir à l’objectif des 2°C. Depuis
Copenhague, la négociation fait du surplace. (…) Peut-on espérer un sursaut qui conduise à un accord reposant
sur le trépied : engagement politique fort des gouvernements, dispositif crédible de reporting, instruments
économiques puissants dépendant de la tarification du carbone. (…)
Source : C.de Perthuis et P.A.Jouvet dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? » ss la direction de
J.Mistral, 2015, p. 52
Document 156 : la mise en place d’une gouvernance mondiale sur la question climatique
Sommet de la Terre : Rio 1992
Signature de la Convention cadre des Nations
Unies sur le changement climatique
Reconnaissance de trois principes :
- Principe de reconnaissance : c’est bien l’activité humaine qui produit des GES
responsables du changement climatique
- Principe de stabilisation : définir un objectif de croissance max de la température
et d’une trajectoire d’évolution des émissions de GES pour l’atteindre
- Principe de responsabilité commune mais différencié : en fonction du niveau de
développement
COP de Kyoto 1997
Comment inciter les Etats à ne pas
jouer les passagers clandestins ?
Comment faire internaliser les
externalités ?
Mettre en place un accord
contraignant
Mettre en place un marché mondial des
quota d’émission de GES = faire
apparaître un prix mondial du carbone
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Document 157 : avant la COP 21 à Paris (2015)
Mettre en place un accord
contraignant ?
Mettre en place un marché mondial des
quota d’émission de GES ?
De nombreux pays grands émetteurs
de GES n’ont pas ratifié le protocole
de Kyoto
Pas de marché mondial, mais des
tentatives régionales de marché des
permis (UE) mais échec relatif
Les pays avancent en ordre dispersé,
sans objectifs, méthodes ou contrôle
communs
Document 158 : un « bon accord » pour réduire les défaillances de marché selon J.Tirole
Pour éviter passager
clandestin
Accord contraignant :
objectifs, méthodes et
contrôle communs
Pour éviter défaillances de
marché
Mise en place marché
mondial des permis
d’émission (cap and trade)
= prix unique du carbone
Rôle du FMI pour contrôler
les engagements nationaux
Mise en place
de consortium
mondiaux de
R&D sur le
modèle
d’ITER
Le marché des quotas : un
instrument plus facile à
contrôler que les taxes et
plus acceptable
politiquement
Document 159 : un « bon accord » pour réduire les défaillances de marché selon J.Tirole
Un bon accord serait :
- un accord où le prix du carbone serait le même dans tous les pays et toutes les industries ; (…)
- un accord où la force d’engagement assure une visibilité sur une longue période. En effet, toute
décision de déploiement privé (énergie, bâtiment, transport…) exerce ses effets pendant 20 ans, 40 ans
ou plus. Il en va de même des engagements de R&D dans les technologies vertes ;
Quant au choix de l’instrument, (…) je préfère la solution des marchés de permis d’émission. Avec le cap and
trade les vérifications sont plus faciles. Il suffit de mesurer les émissions totales d’un pays, tandis qu’avec les
taxes il faut vérifier qu’elles sont effectivement collectées par les Etats alors que ceux-ci peuvent adopter des
comportements de passagers clandestins et donc qu’ils n’ont pas dans ce cas d’incitation à les collecter. De
plus, même si la taxe carbone est collectée, il faut vérifier qu’elle n’est pas compensée par une subvention
compensatoire. Le cap and trade peut être instauré pour une longue durée alors que les taxes sont d’ordinaire
réexaminées tous les ans. L’octroi d’un permis est souvent un moyen aisé et politiquement moins visible de
pratiquer une compensation.
Imaginons par exemple une démarche de cap and trade de plafonnement et de marché de droits d’émission
négociables. Elle pourrait reposer sur les principes suivants :
- un chemin cible de pollution globale défini et lui apporter des ajustements pour tenir compte
d’incertitudes à venir quant au rythme d’accumulation des technologies (…) ;
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-
-
chaque pays se voit allouer des permis et doit en acheter de nouveaux sur le marché mondial si la
pollution les dépasse ;
chaque pays choisit sa propre politique intérieure en matière de CO2 ;
les engagements nationaux devraient être comptabilisés et traités comme des dettes nationales. cela
implique que le FMI ait un rôle dans la gouvernance internationale des accords sur le climat ;
le respect des engagements est un sujet très délicat et un point faible de toutes les négociations. (…) un
pays qui viole les règles de l’OMC s’expose à des mesures de rétorsion qui pourraient lui coûter cher.
Etre exclu du libre-échange est indésirable pour la plupart des pays. Dans les questions
environnementales, être exclu de l’accord ne bénéfice qu’au pays concerné qui peut alors agir de
manière opportuniste au détriment des autres ;
pour corriger deux dysfonctionnement du marché (externalités polluantes et retombées non
appropriables de la R&D), deux instruments sont nécessaires : le prix du carbone et les subventions à la
R&D. Les subventions à la R&D non appropriable posent le même problème que la pollution :
l’incitation à l’opportunisme est substantielle. Ce qui soulève une autre question : comment organiser
des consortiums internationaux de R&D comme ITER ? Les négociations (sur la désignation des
contributeurs et sur l’emplacement des installations) et l’obtention d’une gouvernance et de
financements durables sont des sujets complexes.
Source : Jean Tirole dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme » ss la direction de J.Mistral, Eyrolles,
2015, p. 49
Document 160: comment inciter des pays à entrer dans l’accord ? la proposition de C.de Perthuis
Un bon accord pour réduire les défaillances de marché
Pour les agents privés : mise en
place cap and trade
Avantage : un prix mondial du
carbone
Un inconvénient : un prix trop élevé pour
les PVD = refus de signer accord
S
Solution ? une redistribution mondiale pour financer la
transition énergétique dans les PVD
Comment financer cette redistribution ? créer un
système de bonus/malus environnemental pour les
Etats afin de les inciter à être vertueux (obtenir un
bonus)
Document 161 : les propositions de Christian de Perthuis
Tentons de tracer les contours de l’accord « idéal » : une forme de jeu coopératif dans lequel tous les agents
coopèrent sans dévier, sans passager clandestin, ni arrière pensée. Dans ce jeu, un prix unique du carbone
s’applique à chaque tonne de GES quel que soit l’endroit du globe où elle est émise. Par exemple, une
tarification uniforme de 25 dollars dans le monde ferait apparaître un rente environnementale de 1250 milliards
de dollars, à niveau d’émission inchangé. (…) Les effets distributifs d’un prix unique du carbone constitue
depuis 20 ans la véritable pierre d’achoppement de la négociation climatique. Les écarts de richesse entre pays
sont tels que la mise en place d’un prix uniforme du carbone semble impossible : le prix du carbone adapté au
Nord sera toujours trop élevé pour le Sud (…). Si on veut traiter cette question (…) il faut opérer des transferts
massifs entre Nord et Sud. (…)
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Pour inciter les gouvernements à entrer dans le jeu, il manque un mécanisme permettant de satisfaire les
contraintes de participation et d’incitation. Un dispositif de type bonus/malus s’appliquant aux gouvernements.
Dans un tel système, tout pays dépassant le niveau moyen d’émission par tête verserait une contribution pour
chaque tonne émise au-dessus du seuil ; symétriquement, chaque pays émettant moins que ce niveau de
référence recevrait une compensation calculée sur le nombre de tonnes qu’il a permis d’économiser par rapport
à la moyenne mondiale. Par construction, ce dispositif s’équilibrerait d’année en année. Il bénéficierait au
démarrage aux pays ayant les plus faibles émissions par habitant qui correspondent au groupe des pays les
moins avancés. Le bonus/malus inciterait l’ensemble des pays à réduire leurs émissions par habitant plus vite
que la moyenne pour alléger leur malus ou accroître leur bonus suivant leur position initiale. Ce système incite
les pays bénéficiaires à intégrer le système de reporting et donc à révéler leur niveau d’émissions. (…)
C’est pourquoi nous préconisons une double évolution pour sortir de l’impasse :
- l’établissement d’un bonus/malus carbone international pour inciter les pays les moins avancés à
rejoindre l’accord ;
- la constitution d’une coalition restreinte mais ouverte sur le reste du monde pour poser les bases d’un
marché transcontinental du carbone d’ici à 2020 qui révèle le prix du carbone associé à une trajectoire
d’émission compatible avec l’objectif de 2°C. (…)
Source : C.de Perthuis et P.A.Jouvet dans « Le climat va-t-il changer le capitalisme ? » ss la direction de
J.Mistral, 2015, p. 52
Document 162 : un bon accord pour réduire les défaillances de marché selon P.Aghion
Dans les pays à la frontière technologique, les
innovations produisent des externalités positives
La présence de ces externalités positives limite
l’innovation
Les politiques industrielles et la fiscalité verte (taxe
carbone) dans les PDEM stimulent l’innovation
Accord pour des transferts de technologie PDEM vers
PVD
Imitation des technologies avancées dans les PVD
Document 163 : innovation de rupture et innovation « par imitation »
Si les pays du Nord incitent leurs entreprises à l’innovation dans les technologies vertes, et s’ils facilitent la
diffusion de ces technologies vers les pays du Sud, des progrès très substantiels pourraient être accomplis dans
la lutte contre le changement climatique. En particulier il n’est pas forcément nécessaire de taxer les facteurs de
production polluants dans les pays du Sud pour éviter la catastrophe planétaire. L’incitation aux innovations
vertes dans le Nord doit permettre d’enclencher dans les pays riches le cercle vertueux du changement
technologique environnemental, qui à son tour (si les technologies sont partagées) doit enclencher un processus
d’imitation à l’échelle planétaire, d’où un cercle vertueux de croissance verte globale. En d’autres termes, les
pays du Nord ont la responsabilité d’assumer le leadership en faisant le premier pas, et ils doivent adopter une
attitude proactive en matière de transferts de technologie Nord/Sud. Voilà qui constitue un argument en faveur
d’une action unilatérale des pays développés et de la maximisation des transferts Nord/Sud (plus les retombées
technologiques Nord/Sud sont importantes, plus l’imitation des pays du Sud pouvant fonctionner à plein
régime).
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Bien sûr, cet argument n’apporte aucune réponse à l’épineux problème des « fuites de carbone » qui apparaît
dès lors qu’on prend en considération le commerce international : dans un monde de libre-échange, si la
pollution est taxée dans un pays mais pas dans un autre, les entreprises sont incitée à se délocaliser et à innover
dans le « paradis polluant », puis à exporter leurs produits et leurs innovations à partir de celui-ci dans les pays
du Nord. Pour résoudre ce problème, les pays développés doivent instaurer (ou menacer de façon crédible
d’instaurer) une « taxe carbone aux frontières ».
Source : P.Aghion dans « Les économistes peuvent-ils sauver la planète ? » Revue Regards croisés sur
l’économie n°6, La découverte, p.173
Document 164 : il est possible d’utiliser les outils de l’analyse économique des défaillances de marché
pour concevoir les modalités de fonctionnement des accords internationaux (de la gouvernance mondiale
pour produire un BPM : qualité environnement)
Défaillances de
marché
Bien collectif =
passager clandestin
Externalité négative =
trop de GES
Externalité positive = pas
assez d’innovation verte
Le but de l’accord international = limiter ces défaillances de marché au niveau mondial
Contrainte / incitation
à participer
Internalisation de
l’externalité négative
grâce à un prix
mondial du carbone
(cape and trade)
Politique industrielle
dans PDEM pour
stimuler innovation et
transfert d’innovation
vers les PVD
Document 165 : une approche alternative de la coopération internationale pour sortir de l’impasse du
modèle enclenché à Kyoto
On soutient que l’accord de Paris, qui devrait être signé inaugurera une nouvelle économie politique des
changements politiques. Pendant deux décennies, l’espoir fut de construire une politique globale de réduction
des émissions « par la haut » basé sur ce que l’on appelle le partage du fardeau entre Etats. L’architecture
retenue consistait dans le cadre d’un accord international contraignant à répartir des quotas de réduction entre
pays, avec un système international de marché de permis de carbone pour assurer de la flexibilité et atteindre
leurs objectifs au moindre coût. L’ambition représentée par le protocole de Kyoto n’a pas été tenue. Une autre
politique et un autre accord sont devenus nécessaires. Dans les termes de l’analyse économique, la première
politique, que l’on qualifiera de « pollutionniste » fut d’obédience néoclassique, dominé par les concepts de la
boîte à outils standard : le dioxyde de carbone a été appréhendé comme une pollution, une externalité, disent les
économistes susceptibles d’être internalisée par le signal des prix délivré par le marché des permis de carbone,
qui serait un instrument de politique d’environnement des plus incitatifs. (…)
En cohérence avec le modèle d’équilibre général néoclassique, le point de vue d’A.C.Pigou a irrigué
durablement l’économie standard de l’environnement. En donnant un prix à la pollution par le biais d’un
instrument économique du type taxe chez lui, ou permis négociable pour les économistes inspirés par Coase,
l’externalité peut être externalisée. (…)
La construction de l’action jusqu’au protocole de Kyoto en 1997 a reposé sur ce cadre d’analyse avec trois
composantes :
1) Un diagnostic : la réduction des émissions de CO2 est un problème de pollution, une externalité pour
les économistes ;
2) une vision d’ensemble « par le haut » : puisque la pollution est globale, l’enjeu planétaire et le climat
un « bien public global » un accord international contraignant est la seule réponse appropriée pour répartir les
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efforts de réduction des émissions entre tous les Etats, et empêcher que certains ne se comportent en « passager
clandestin » ;
3) une pierre d’angle : le signal des prix offert par le système des marchés de permis négociables est
l’instrument le plus incitatif, le plus efficace et le plus efficient pour modifier les comportements des
entreprises et des consommateurs en direction de technologies et de biens à moindre teneur en carbone.
Ces trois piliers de l’architecture climatique initiale ont tous montré leurs limites. (…)
Lorsque s’engagent les premières négociations, le modèle d’accord que les négociateurs ont en vue est celui
adopté pour la préservation de la couche d’ozone (en interdisant les gaz CFC qui trouent la couche d’ozone).
Mais on se trompe si l’on croit que le protocole de Montréal a été initialement impulsé par «le haut » pour
ensuite s’imposer aux Etats. Il a été préparé et engagé par des actions nationales bien antérieures à la
construction d’un accord international, avec l’interdiction décisive des aérosols aux Etats-Unis en 1978 suite à
des actions de mouvements environnementalistes devant les tribunaux. (…)
La nouvelle économie politique du climat glisse vers une approche « par le bas », plus en termes d’économie de
la production du point de vue de la pensée économique. Les politiques nationales, l’action graduelle des Etats et
la réglementation, les technologies à basse teneur en carbone, les méthodes concrètes de réduction des
émissions et les actions d’agents multiples à des échelles variées en seront les maîtres mots. (…)
Les Etats-Unis ont été le premier pays à faire connaître en 2014 leurs propositions pour la Conférence de Paris :
des « politiques nationales » avec des « contributions » et non plus des engagements. Loin du substrat
« économiciste » qui présidait au design du protocole de Kyoto, les Etats-Unis se placent aujourd’hui sur un
terrain plus politique, qui privilégie l’acceptabilité interne de l’accord international. Ces orientations
représentent le seul dénominateur commun acceptable pour une majorité de grands pollueurs et de pays en
développement. La Cop 21 marquera ainsi un triple tournant :
- un accord sur le climat sera fondé sur les seules politiques nationales : il tournera le dos à la première
politique climatique à l’architecture ancienne « par le haut » et à l’ambition d’un accord international
contraignant ; ça ne sera pas un protocole qui demande à être ratifié par les parlements nationaux, un
opération inenvisageable aux Etats-Unis ;
- des contributions nationalement déterminées sont attendues pour réduire les émissions. Ces
contributions seront de nature hétérogènes et d’ambitions modestes à court terme ; du fait de leur
responsabilité historique, celles des pays développés sont attendues plus ambitieuses ;
- l’accord de Paris est là pour durer ; il n’aura pas d’échéance fixe et sera ensuite périodiquement évalué
et renforcé.
Entre les travaux économiques de l’époque Kyoto et ceux qui ont la Conférence de Paris en ligne de mire, un
glissement des analyses et préoccupations est perceptible : la politique climatique change de paradigme. Le
rapport qui s’annonce comme une publication marquante pour la Conférence de Paris coordonné par l’institut
du développement durable et des relations internationales dirigé par Laurence Tubiana et le réseau onusien
animé par Jeffrey Sachs est lui, comme la soumission américaine, sans substrat explicite de théorie
économique. Entrepris à la demande du ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, le rapport du DDPP
est centré sur les trajectoires nationales, concrètes de décarbonisation à long terme des douze plus grands
émetteurs de GES représentant environ 70% des émissions mondiales. L’originalité de la démarche est de tenir
compte, aussi finement que possible, de ce qui fait la spécificité de chaque pays, chacun avec ses enjeux
politiques, ses débats et conditions propres : potentiel de technologies, acceptabilité ou pas de certaines options
comme le nucléaire, inertie du stock d’infrastructures urbaines et de transport, enjeux de développement
comme les inégalités et la pauvreté, l’emploi, la pollution locale et la santé. Cette approche en termes de
« décarbonisation profonde » est, là aussi, prévue pour durer, puisqu’elle accompagnera l’évaluation, la
révision et le renforcement des « contributions nationalement déterminées ».
La politique climatique a été construite jusqu’à Kyoto autour d’un seul instrument : le signal prix offert par les
marchés de permis de carbone. Les politiques publiques, les réglementations, les actions à entreprendre par de
multiples acteurs sont demeurées à la marge des analyses et des préconisations. La nouvelle politique
climatique inverse les priorités. Tout en haut de l’agenda, il y a maintenant les politiques nationales et les Etats,
les réglementations, les technologies à basse teneur en carbone, la modification des comportements. La
question essentielle d’un prix minimal et crédible à donner au carbone, pour inciter les entreprises à modifier
leurs technologies et les consommateurs leurs comportements sera bien présente à Paris, mais comme
complément des politiques nationales et actions des acteurs.
Source : M.Damian et F.D.Vivien in Problèmes économiques HS n°8, p.116
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Document 166 : la position de F.D.Vivien, vers une nouvelle forme de coopération internationale, une
politique climatique mondiale « par le bas »
La coopération internationale de Kyoto à
Copenhague : une politique climatique par « le
haut » :
La coopération internationale à partir de
Paris: une politique climatique par « le
bas » :
L’accord surplombe les politiques nationales et les
contraint ;
Les Etats doivent adapter leurs actions au cadre
défini par l’accord : ils se plient à des engagements
et peuvent être sanctionnés ;
La mise en œuvre d’un prix mondial du carbone est
essentielle
Les Etats proposent des contributions dans
lesquelles ils fixent leurs propres
méthodes, objectifs : « les trajectoires
nationales » ; la mise en œuvre d’un prix
mondial du carbone n’est pas essentielle
Document 167 : l’accord de la CPO21 (Paris 2015)
S’il fallait résumer d’une formule la teneur des 32 pages de l’Accord de Paris (et des décisions afférentes)
adopté le 12 décembre 2015 par la COP 21, on pourrait dire que jamais l’ambition n’a été aussi forte mais que
jamais la contrainte n’a été aussi faible. C’est l’arbitrage fondamental du texte et sans doute était-ce la
condition de son adoption par tous les Etats de la planète. On pensait que l’enjeu, à Paris, serait d’étendre aux
pays émergents, à commencer par la Chine et l’Inde, les engagements contraignants acceptés à Kyoto voilà dixhuit ans par les pays développés. C’est exactement l’inverse qui s’est produit : sous l’impulsion du
gouvernement américain, qui aura dominé de bout en bout et jusqu’à la dernière minute ce cycle de
négociations (dont l’UE a été cruellement absente), tous les pays se trouvent désormais de fait hors de l’Annexe
1 du Protocole de Kyoto, libérés de toute contrainte juridique quant à la nature de leurs engagements dans la
lutte contre le changement climatique, qui se résument à des contributions volontaires qu’ils déterminent seuls
et sans référence à un objectif commun. (…)La nécessité de donner un prix au carbone (et donc de lui conférer
une valeur sociale), dont l’affirmation croissante aura été mise en lumière dès l’inauguration de la COP 21 sous
l’égide d’Angela Merkel et du nouveau gouvernement canadien, figurait encore dans l’avant-dernière version
du texte. Elle a disparu de la dernière mouture (sous la pression combinée de l’Arabie Saoudite et du
Venezuela). Il ne fait pourtant pas de doute que c’est en internalisant le prix du carbone que l’on mettra le
système économique au service de la transition climatique. Mais il semble à ce stade que les Etats aient choisi
d’externaliser cette fonction d’internalisation au secteur privé. Il leur faudra vite reprendre la main, au plan
interne et mondial. (…)la critique la plus sévère que l’on peut adresser à un accord d’architecture, qui est un
programme d’intentions plutôt qu’un véritable plan d’action, est de n’être pas assez évolutif et dynamique et de
ne pas davantage anticiper ses propres insuffisances et son dépassement futur en ouvrant la voie à de nouveaux
principes, de nouveaux instruments et de nouveaux acteurs. En outre, comment comprendre qu’il faille
patienter jusqu’en 2020 pour sa mise en œuvre, alors que les signes du dérèglement climatique sont partout
visibles ?
Le desserrement de cette contrainte temporelle viendra peut-être du grand pays qui s’est montré le plus
constructif avant et pendant la COP 21 : la Chine. C’est de Chine qu’est venue, cinq jours avant la conclusion
de l’Accord, la meilleure nouvelle climatique depuis l’annonce du ralentissement de la déforestation
amazonienne au cours de la décennie 2000 : les émissions mondiales de CO2, après avoir connu une quasistabilisation en 2014, devraient légèrement diminuer en 2015. Cette atténuation tient à leur fléchissement en
Chine sous l’effet combiné de la décélération économique (la sortie choisie de l’hyper-croissance) et de la décarbonisation de la croissance (liée à la moindre consommation de charbon). Cette baisse elle-même s’explique
par la pression de plus en plus forte des Chinois sur leur gouvernement, car ils ont compris que le
développement économique de leur pays est en train de détruire le développement humain de leurs enfants. On
peut donc espérer que la Chine contienne les émissions mondiales dans les cinq années qui nous séparent de
2020 et rende l’attente de l’Accord de Paris plus supportable. A condition de la mettre à profit pour sortir de
l’incohérence climatique.
Source : Eloi Laurent « Après l’accord de Paris, sortir de l’incohérence climatique », Blog de l’OFCE,
15/12/2015
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