un espace économique sans frontière

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Module 3 La mondialisation économique et financière
Partie 3. L’intégration européenne
Chapitre 2. L’Europe économique et monétaire
1. La construction d’une Europe sans frontières intérieures : le projet de marché unique et ses
conséquences
1.1 Du traité de Rome à l’Acte unique
1.1.1
Le Traité de Rome : de l’Union douanière à l’eurosclérose
Document 1
Le Traité de Rome (1957) se fixe comme objectif la création d’un marché commun permettant les échanges sans
entraves de biens & services, de personnes et de capitaux.
Cette réalisation passe tout d’abord par l’élimination des droits de douanes et des quotas existants ainsi que par le
rapprochement des tarifs extérieurs douaniers. L’Union douanière est ainsi achevée le 01 juillet 1968.
Sur la décennie 1970, le projet de marché commun progresse peu. Il y a certes l’élargissement de la CEE au
Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark, mais l’utilisation par les Etats-membres de barrières non tarifaires
persiste. C’est le cas avec les normes techniques ou les aides aux « champions nationaux ». Les contrôles
frontaliers des biens et des personnes toujours présents, les marchés de capitaux restent cloisonnés. L’hétérogénéité
des réglementations professionnelles empêche l’exercice de certaines activités de services d’un pays à l’autre. Les
personnes, à la différence des travailleurs, ne peuvent toujours pas circuler librement dans l’espace européen.
Finalement, l’Europe des 6 reste encore un espace économique fragmenté où les frontières comptent. Cette
fragmentation alimente la situation d’ « eurosclérose » du début des années 1980.
1.1.2
L’Acte unique (1986) et la finalisation du marché commun
Document 2 : la mise en œuvre des quatre libertés
Les quatre libertés sont :
La liberté de circulation des marchandises et des services ;
La liberté d’établissement et la liberté de prestation ;
La liberté de circulation des personnes ;
La liberté de circulation des capitaux.
Le premier instrument sur lequel cette libéralisation des échanges va s’opérer est le principe de reconnaissance
mutuelle des législations nationales. Ce principe découle d’un arrêt de la Cour de justice rendu en 1979, l’arrêt
« Cassis de Dijon » : si la fabrication d’un produit respecte la législation nationale d’un pays membre, ce produit
doit être admis sur les marchés des autres pays de la CEE. Cet arrêt sert de base au travail entrepris par la
Commission pour réduire les pratiques protectionnistes des Etats membres et permettre la circulation des biens sans
uniformisation préalable des normes nationales. Il va également servir à partir de l’Acte unique pour faciliter les
échanges de services financiers (Banques, Bourses, Finances).
La Commission obtient que les décisions du Conseil des ministres concernant les normes soient prises à la majorité
qualifiée et non plus à l’unanimité. Ce qui agit comme un frein aux comportements protectionnistes.
A partir de 1988, la Commission lance une politique de déréglementation et de libéralisation dans les industries de
réseaux : les transports, les télécommunications, la distribution postale et l’énergie. Cette politique se traduit en
France par la disparition des monopoles légaux et la privatisation progressive des entreprises publiques.
Les marchés financiers sont déréglementés et décloisonnés et le 1er janvier 1990, la liberté de circulation des
capitaux est totale.
La liberté de circulation des personnes est réalisée le 1er janvier 1993.
Enfin en 2006, la directive Service (connue également sous le nom de directive Bolkestein) est adoptée par l’UE.
Son objectif : permettre à une entreprise installée dans un pays de détacher ses salariés dans un autre pays. Cette
directive connaît une seconde version en 2013 afin de limiter les risques de dumping social. Il y a en France en
2016 environ 300 000 salariés détachés.
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Document 3 : la suppression des contrôles douaniers des biens et des personnes
Les contrôles frontaliers sont considérablement allégés à partir de 1993. Les contrôles administratifs relatifs au
passage de marchandises sont abandonnés et remplacés par un système coordonné au niveau européen et un code
douanier commun de l’UE. C’est un gain de temps appréciable, car en moyenne 50% des marchandises échangées
au sein de la CEE franchissaient au moins deux frontières. Avec la création de l’espace Schengen en 1993, les
contrôles automatiques de passeport sont supprimés au sein des Etats membres ayant signé la Convention de
Schengen et les restrictions aux permis de résidence sont supprimés pour permettre la libre circulation des
travailleurs.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.123
Document 4 : la diminution des barrières techniques
Dès la fin des années 1970, les institutions communautaires s’attaquent aux barrières techniques au commerce qui
ont jusqu’alors fragmenté le Marché commun. En 1979, la cour européenne de Justice rend l’arrêt dit « Cassis de
Dijon ». (…) La cour affirme que si la fabrication et la commercialisation d’un produit respectent la législation
nationale du producteur, ce produit doit être admis sur les autres marchés des Etats membres de la CEE. (…) La
Commission s’appuie ensuite sur cet arrêt pour faire consacrer de manière décisive le principe de reconnaissance
mutuelle des normes nationales des différents Etats membres. ce n’est pas encore une harmonisation européenne
des normes techniques et sanitaires mais cela signifie que les Etats ont moins de marge de manœuvre pour créer des
barrières techniques au commerce. (…) La Commission arrive aussi à développer une harmonisation technique
européenne dans certaines nouvelles technologies. On assiste ainsi à la création d’institutions européennes qui
peuvent émettre des normes techniques européennes (…). Une dernière avancée majeure contre les barrières
techniques est réalisée par la ratification de l’Acte unique, qui prévoit que l’unanimité ne soit plus requise pour les
décisions du Conseil relatives à l’harmonisation européenne réglementaire et technique. Une simple majorité est
désormais suffisante.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.124
Document 5 : la déréglementation des activités de réseau
Avant le marché unique certains secteurs, essentiellement de services n’étaient pas concernés par les quatre libertés
économiques inscrites dans le traité de Rome et avaient donc conservé une dimension locale. Les activités
concernées relevaient fréquemment de monopoles assurant un service public. L’article du traité de Rome
interdisant les situations de position dominante avait du reste prévu une exception pour ces entreprises. (…) La
Commission a lancé à partir de 1988 une politique de déréglementation-libéralisation, notamment dans les
transports, les télécommunications,la distribution d’énergie et la distribution postale. Lorsque dans une industrie les
rendements sont croissants, il est souhaitable qu’une entreprise fournisse la totalité du marché. Dans les industries
de réseau, ces coûts fixes sont particulièrement élevés en comparaison des coûts variables. (…) Plus l’entreprise
produit, plus le coût moyen diminue. (…) Dans la plupart des cas, les monopoles publics étaient intégrés
verticalement, assurant à la fois la production et la distribution. Les directives européennes conduisent à redéfinir
leur périmètre en séparant les deux fonctions. (…) Ainsi, on peut partager les chemins de fer entre la constructionentretien des voies et la circulation des convois. (…) L’objectif est de permettre la circulation de trains appartenant
à plusieurs compagnies concurrentes.
Source : ss la direction de M.Dévoluy et G.Keonig « Les politiques économiques européennes », Points Economie, 2015, p.236
Document 6 : la directive Service 2006-2013
La directive service englobe des activités de services non concernées par le processus d’ouverture à la concurrence
des activités de réseau (télécom, Poste, transport ferroviaire …), n’ayant pas déjà fait l’objet de directives
spécifiques (banques, assurances, …) ou celles n’étant pas expressément exclues (santé, sécurité sociale, …). Sont
notamment inclus dans cette directive : les services aux entreprises tels que le conseil en management et gestion,
les services de certification et d’essai, de maintenance, d’entretien des bureaux, les services de publicité, les
services au recrutement et les services des agents commerciaux. Les services fournis à la fois aux entreprises et aux
consommateurs comme les services liés à l’immobilier, à la construction (les architectes notamment), au secteur de
la distribution, l’organisation des foires et salons commerciaux, la location de voitures et les agences de voyages.
Les services aux consommateurs comme le tourisme, les services de loisir, les centres sportifs et les parcs
d’attraction.
Document 7 : les problèmes posés par la libre circulation des services
Les services représentent environ 70% de la valeur ajoutée communautaire (…). Les services étant difficilement
exportables, la liberté de circulation, qui prend ici la forme de la liberté de prestation, doit être complétée par celle
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de l’installation. En effet, la possibilité de produire sur place se substitue souvent à la vente à distance. Le principe
de reconnaissance mutuelle conduit alors à admettre toute prestation conforme à la réglementation du pays
d’origine. Comme ce pays pourrait aboutir à un alignement des exigences réglementaires sur celles qui sont les
moins contraignantes, il peut être tempéré par une réglementation minimale de l’UE. Lorsque la vente se fait à
distance, ou lorsque le siège social du vendeur est situé à l’étranger, il convient de déterminer les règles qui doivent
s’appliquer pour garantir au consommateur le respect des engagements pris par les entreprises.
Source : ss la direction de M.Dévoluy et G.Keonig « Les politiques économiques européennes », Points Economie, 2015, p.41
Document 8 : un marché unique qui s’élargit
La décennie 1990 est une période d’intensification du processus de libéralisation des marchés nationaux. Cette
intégration se fait dans un contexte d’élargissement de l’UE qui passe à 15 membres en 1995. L’UE décide
également d’intégrer au marché commun les membres de l’AELE (Accord européen de libre-échange, 1960) qui ne
sont pas membres de la CEE. La Norvège, l’Islande, le Liechtenstein forment avec l’UE, l’Espace économique
européen (EEE) qui est créé en 1994. Ils participent au marché intérieur européen, à l’exclusion de l’agriculture et
de la pêche. La Suisse qui refuse de rejoindre l’EEE, signe des accords bilatéraux avec l’UE. A la fin des années
1990, le marché commun concerne tous les pays de l’Ouest du Continent européen. A partir de 2003,
l’élargissement de la taille du marché commun se poursuit vers les pays d’Europe centrale et orientale. L’UE passe
de 15 à 28 pays membres entre 1995 et 2013.
Document 9 : les gains attendus du passage au marché unique
DIPP
Recul des contrôles
administratifs
Hausse de la
concurrence
Baisse coûts de transaction
Choix de localisation
Effet de rationalisation
Baisse des prix
Hausse de la demande
Eco. d’échelle /
innovation
Diversification offre
Gains d’efficience : avec la même quantité de facteurs,
l’économie produit davantage et pour un prix moins élevé
Document 10 : une meilleure allocation des ressources
Le marché intérieur vise d'abord à l'établissement d'un vaste espace commercial, sans frontières intérieures, au sein
duquel la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes est assurée. Du point de
vue de la théorie économique, il existe deux principaux arguments qui plaident pour une suppression des barrières
aux échanges. Premièrement, l'effet commerce, avec la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires, générerait
une augmentation de la demande adressée au secteur exportateur, des gains d'efficience et, par conséquent, un
accroissement du revenu disponible. Deuxièmement, l’effet pro-concurrentiel, du fait de l’ouverture des marchés,
conduirait à des baisses de prix favorables aux consommateurs.
Ces deux effets seraient source de gains d’efficience. En effet, selon la théorie des avantages comparatifs,
l’accroissement des échanges commerciaux conduit à la spécialisation des économies dans les activités où elles
sont relativement les plus productives, ce qui a un impact positif sur l’activité et l’emploi. De plus, la hausse de la
concurrence pourrait générer une réduction des rentes de monopole et inciter les entreprises à faire des gains de
productivité et à innover pour se maintenir sur le marché ou pour limiter leur perte de marges.
Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
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Document 11: les gains tirés de la circulation des capitaux
Les gains d’efficience attendus ne concernent pas que le système productif, le système financier aussi est concerné.
En relâchant la contrainte de financement des économies fermées, la constitution d’un marché des capitaux
européen permet une meilleure allocation de l’épargne des agents à capacité de financement et une baisse du coût
d’accès au financement pour les agents à besoin de financement.
1.2 Les conséquences de l’instauration du marché unique sur l’intégration des économiques et
la croissance économique
1.2.1
L’impact sur les échanges communautaires et l’intégration des économies
Document 12 : évolution des échanges commerciaux intra-communautaires en % du PIB
Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
Document 13 : une intégration économique qui progresse
Jörg König et Ohr Renate ont construit un indicateur agrégé d'intégration économique entre les pays en utilisant des
données sur le commerce intra-communautaire et sur la situation macro-économique. On observe ainsi que
l'intégration économique a progressé dans la quasi-totalité des pays de l'UE à 15 entre 1999 et 2010 (sauf Espagne),
et qu’elle a progressé aussi bien dans des pays déjà très intégrés (Belgique) que dans des pays qui l’étaient moins
(Danemark).
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Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
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Document 14 : essor de l’échange intra-branche (en % des échanges manufacturiers totaux)
1970
1980
1990
2000
Allemagne
70
75
79
82
Belgique
77
86
83
90
Espagne
43
69
75
82
France
53
65
79
91
Italie
70
61
67
71
Source : OCDE
Document 15 : l’importance des échanges intrazone (en % du total des échanges)
Document 16 : la convergence des prix, un indicateur d’intégration des économies
Dernier indicateur d’intégration des marchés : la convergence des prix. Dans l’UE à 15 sur la période 1995-2010,
on observe que le coefficient de variation des niveaux des prix relatifs a baissé de 16% à 12%. Ce qui va dans le
sens d’un prix unique.
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1.2.2
L’impact sur la croissance économique : un bilan globalement positif mais des exceptions
Document 17 : un bilan « globalement » positif de l’approfondissement du marché intérieur
Selon la Commission européenne, les réformes entreprises pour approfondir le marché commun entre 1995 et 2003,
ont permis d’obtenir en France un PIB, 1,7% plus élevé qu’en l’absence de ces réformes. Mais on constate aussi
que le résultat de ces réformes peut s’avérer être « négatif ». C’est le cas de l’Italie. Il y a donc eu des gagnants et
des perdants au développement d’une Europe sans frontières intérieures.
Document 4 : estimations des gains du marché intérieur
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1.2.3
L’UE est toujours économiquement et financièrement fragmentée : les limites de
l’intégration des économies européennes
Document 18 : un biais domestique, 3 à 4 fois plus élevé qu’aux Etats-Unis
Dans un marché totalement intégré, on s’attend à ce que l’origine géographique d’un bien importe peu : le coût
d’accès à n’importe quel bien, produit n’importe où, est identique. Les échanges devraient donc être répartis
géographiquement de manière proportionnelle. Or, ce n’est pas ce que l’on constate en Europe. Les échanges à
l’intérieur des Etats sont privilégiés aux échanges avec d’autres Etats. Cet effet frontière – selon lequel, finalement,
les frontières comptent – s’explique par des différences linguistiques, par la distance géographique mais également
et surtout par l’incomplétude de l’intégration des marchés. Si on enlève les effets linguistiques et de distance, les
européens continuent à avoir un « biais domestique » 3 à 4 fois plus élevé qu’aux Etats-Unis.
Document 19 : l’effet frontière
Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
Document 20 : les secteurs où l’intégration fait encore défaut
Les services représentent plus de 71% du PIB et 67% des pays membres de l’UE (2011) et pourtant c’est dans ce
secteur que l’intégration reste encore la moins aboutie. L’hétérogénéité encore très présente des réglementations
nationales dans les activités de service pénalise les échanges européens. C’est le cas par exemple chez les
professionnels du droit et des chiffres (comptabilité … ), les architectes, mais également dans le commerce (de
détail et de gros) ainsi que dans les industries de réseaux. Cette fragmentation des marchés prive l’UE de gains
d’efficience, en particulier ceux qui découlent du découpage international de la chaîne de valeur. L’hétérogénéité
des réglementations nationales dans les services réduit les opportunités d’optimisation des firmes qui font appel à la
DIPP. Le cas des industries de réseaux (énergie, transport, télécommunication) est particulier : celles-ci restent
encore dans le domaine des transports et de l’énergie sur des structures nationales. Cela limite la taille des
économies d’échelle.
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En ce qui concerne les marchés des capitaux, la double crise des subprimes et des dettes souveraines a montré que
les marchés financiers étaient moins intégrés qu’on ne le pensait. Si certaines banques européennes ont acquis une
taille systémique, les autres acteurs financiers et les circuits de financement hors crédit sont encore très orientés
nationalement. Il manque aujourd’hui d’acteurs paneuropéens dans les domaines de la gestion d’actifs ou du
capital-risque et une architecture financière capable de transférer davantage les capitaux des agents à capacité vers
les agents à besoin de financement dans toute l’Europe. En conséquence, dès qu’un choc affecte une région
européenne, les capitaux refluent pour retourner vers leurs territoires d’origine. L’absence d’un véritable marché
européen des capitaux rend les systèmes financiers européens peu résilients, leur capacité à encaisser les chocs est
insuffisante. C’est pourquoi le plan Juncker (2014) c’est donné pour objectif de réaliser l’Union des marchés des
capitaux d’ici 2019.
Enfin, la libre circulation des travailleurs reste encore très modeste au sein de l’UE : en 2010, 0,35 % des habitants
d'un pays de l'UE-27 habitait dans un autre État au cours de l'année précédente, contre 2,4 % aux États-Unis.
Document 21 : l’intégration des services
L'action de l'UE ces dernières années a permis un certain approfondissement du marché unique des services. La
mise en œuvre de la directive Services a permis de réduire, en 2009, de 25 % l'hétérogénéité des réglementations
entre États membres. Cependant, l'intégration du marché des services apparaît encore en net retrait par rapport au
marché des biens. Les services représentent 71 % du PIB européen et 67 % de l'emploi en 2011 mais le biais
domestique et local y est naturellement beaucoup plus élevé que dans le marché des biens compte tenu de
l'importance relativement plus forte de la relation du fournisseur au client dans la vente d'un service. Au niveau
européen, l'intégration du marché des services, si elle progresse, est ainsi plus faible et plus progressive que celle
du marché des biens. Depuis 1999, la part des échanges de services dans l'UE a progressé lentement, pour atteindre
6 % du PIB en 2013 (contre 4,8 % en 1999).
(…) Certains secteurs sembleraient être particulièrement concernés par un tel approfondissement : services
professionnels du droit et du chiffre (services juridiques, comptabilité etc.), autres professions réglementées
(architecture, ingénierie), commerce de détail et commerce de gros, ou encore l'économie des réseaux.
(…) Ces secteurs, caractérisés par un niveau de réglementation élevé dans la plupart des États membres, pourraient
bénéficier de réformes pro-concurrentielles qui seraient poussées dans le cadre du marché intérieur afin d'en assurer
la cohérence.
En outre, ces secteurs produisent des services qui sont non seulement des intrants importants pour la plupart des
autres secteurs de l'économie mais, dans le cadre d'une imbrication accrue de la production des biens et de services,
participent également pleinement à la chaîne de valeur des entreprises. Les gains d'efficience potentiels qui
pourraient y être réalisés seraient transmis à l'ensemble de l'économie européenne.
Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
Document 22 : l’intégration des industries de réseaux
Le développement de l'intégration des réseaux, structurants pour le marché intérieur, représente en particulier un
gisement potentiel de croissance économique au sein de l'UE. Outre les bénéfices directement liés au
développement du commerce intra-communautaire, une meilleure interconnexion des réseaux de transport et de
télécommunication, en rapprochant les individus et les entreprises, est susceptible d'engendrer des externalités
positives au sein de l'espace européen (diffusion des connaissances, meilleur appariement sur le marché du travail,
etc.).
De plus, une interconnexion plus forte du marché de l'énergie permettrait de tirer parti des moyens de production
les moins coûteux.
L'intégration des industries de réseaux devrait se poursuivre grâce à la suppression de certains monopoles et la
levée de certaines barrières administratives.
Dans le domaine des transports, plusieurs chantiers d'intégration ont été lancés et doivent être menés à leur terme
(projet « ceinture
bleue » dans le transport maritime, « 4ème paquet » ferroviaire, projet de « ciel unique
européen »).
En ce qui concerne l'énergie, au-delà de la transposition du troisième paquet « énergie », des progrès en matière de
sécurité d'approvisionnement électrique sont nécessaires.
Au final, l'approfondissement du marché intérieur devrait s'appuyer sur le développement de réseaux
transeuropéens d'énergie, de télécommunication et de transport.
Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
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Document 23 : le marché des capitaux
Le marché intérieur des capitaux a fortement progressé depuis les 25 dernières années : interdiction des restrictions
aux mouvements de capitaux et aux paiements depuis le Traité de Maastricht, création du passeport unique (en
1989 pour les banques, en 1992 pour les assurances), vaste politique d'harmonisation avec le « plan d'action pour
les services financiers », lancé à partir de 1999 puis mesures de régulation depuis 2008. L'intégration des marchés
financiers européens a ainsi vivement progressé de 1995 à 2008, avant de chuter fortement avec la crise, retombant
aux niveaux du milieu des années 1990. C’est ce que montre notamment l’indicateur FINTEC de la BCE pour la
zone euro. La crise de 2008 a mis en lumière que l'intégration européenne n'avait pas permis de prévenir la
fragmentation des marchés financiers au sein de l'Union.
Dans ce contexte, l'objectif premier de la création d'une union des marchés de capitaux (UMC) sera de favoriser le
développement de circuits de financement des entreprises complémentaires au secteur bancaire. De manière
générale, l'UMC devrait viser à rapprocher les investisseurs d'une gamme plus large de produits financiers et les
entreprises de sources plus diversifiées de financement. Cela suppose de diminuer les incertitudes (asymétries
d'information, différences de normes) touchant les investissements, en particulier transfrontières, d'inciter au
développement des segments de marché aujourd'hui sous-développés par rapport à leur potentiel (titrisation,
capital-risque, placement privé, etc.) et de favoriser l'émergence d'acteurs paneuropéens dans la gestion d'actifs ou
le capital-risque.
Cet agenda semble particulièrement important pour la zone euro : en accroissant la diversification géographique
des portefeuilles financiers, l'union des marchés de capitaux permettra un plus grand partage des risques en zone
euro, renforçant ainsi sa résilience. La littérature montre ainsi que le partage géographique des risques sur une base
privée est un canal d'ajustement très important au sein d'unions monétaires intégrées comme les États-Unis, la
France ou le Royaume-Uni. En particulier, de nombreuses études montrent qu'une part substantielle des chocs
affectant une région est diffusée (et donc partagée), via les marchés financiers et le canal du crédit.
Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
Document 24 : la mobilité des personnes
Consacrée dès le Traité de Rome, la libre circulation des travailleurs a depuis fait l'objet de nombreuses mesures
législatives européennes visant à en assurer l'effectivité. La mobilité du travail doit permettre d'assurer un meilleur
appariement entre l'offre et la demande de travail au sein du marché intérieur, ce qui est d'autant plus important
pour la zone euro dans la mesure où la mobilité du travail permet de mieux faire face à un choc asymétrique. Une
plus grande mobilité des travailleurs favoriserait également la convergence des conditions de travail et des
salaires21.
Cependant, à ce stade, la mobilité du travail, dans l'UE comme dans la zone euro, demeure relativement faible,
notamment en comparaison des Etats-Unis : en 2010, 0,35 % des habitants d'un pays de l'UE-27 habitait dans un
autre État au cours de l'année précédente, contre environ 2,4 % aux États-Unis.
Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
Document 25 : l’intégration des économies européennes, des résultats inégaux par secteurs
Intégration des
Des biens
Des services
Des capitaux
Du travail
marchés
(circulation des
personnes)
Elevée / faible ?
Freins à
l’intégration ?
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2. Les politiques économiques « communautaires » : la politique de la concurrence, la politique
industrielle et la politique agricole
2.1 La politique de la concurrence européenne
Document 26 : un marché unique nécessite une régulation unique de la concurrence
La politique de la concurrence est une politique fondatrice de l’UE. Elle apparaît avec la CECA. La Haute Autorité
est chargée de lutter contre les pratiques déloyales menées par des entreprises mais aussi par des Etats. Elle est
présente dans le Traité de Rome qui l’inscrit dans le fonctionnement du marché commun. Mais c’est durant les
années 1980 qu’elle devient véritablement un élément moteur de l’intégration européenne. C’est en effet à cette
période que les pays européens, en signant l’Acte unique, veulent faire aboutir le projet de marché commun et
tournent le dos aux politiques de champions nationaux.
Document 27 : lutter contre les pratiques anti-concurrentielles des entreprises et des Etats-membres
La politique européenne de la concurrence vise à combattre les pratiques anti-concurrentielles sur l’ensemble du
marché commun. Ses compétences sont donc distinctes des politiques nationales de la concurrence. C’est la
Commission européenne qui a le pouvoir d’investigation et la capacité à produire des sanctions.
Les objectifs de cette politique sont de :
Contrôler les pratiques anti-concurrentielles des entreprises : la formation de cartel (ententes) et les abus de
position dominante. Les ententes se font au détriment des autres entreprises et des consommateurs. La Commission
est amenée à les sanctionner (ex : cartel des ascenseurs en 2007) . Pourtant, toutes les formes d’entente entre firmes
ne réduisent pas le bien-être global. On sait qu’en raison des économies d’échelles externes, les entreprises ont
intérêt à collaborer. Les ententes qui visent à améliorer la R&D, qui contribuent au progrès technique, ne sont donc
pas proscrites. Par ailleurs, il ne faut pas confondre position dominante et abus de position dominante. La
Commission européenne s’appuie sur la théorie des marchés contestables et la notion de concurrence potentielle
pour montrer que ce n’est pas la structure du marché (c’est-à-dire le nombre d’entreprises) qui compte pour définir
le degré effectif de concurrence mais le comportement réel des firmes. Une entreprise en monopole peut se
comporter comme si elle était en concurrence si elle pense que d’autres entreprises peuvent entrer sur le marché.
L’abus de position dominante se fait au détriment du consommateur (tarifs plus élevés qu’en concurrence) mais
aussi au détriment des autres producteurs (l’entreprise dominante empêche de manière déloyale leur entrée sur le
marché) La Commission ne sanctionne pas les firmes en position dominante mais celles dont elle considère
qu’elles en abusent (ex : condamnation de Microsoft en 2013).
Contrôler les fusions ou les concentrations d’entreprises : les fusions et acquisitions peuvent réduire le
nombre d’entreprises présentes sur le marché et faire disparaître la concurrence potentielle. Le marché n’est alors
plus contestable. Lorsque la Commission juge que cette situation est probable, elle y met son veto (ex : refus de la
fusion Aer Lingus et Ryanair en 2007).
Contrôler les aides publiques : elles peuvent fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou
secteurs de production au détriment des autres. Les décisions de la Commission européenne dépendent de
l’appréciation, d’un côté, de la mesure des distorsions engendrées par ces aides et, de l’autre, des effets bénéfiques
que ces aides peuvent apporter à la collectivité. Il n’y a donc pas d’opposition systématique aux aides publiques.
Les aides qui permettent de stimuler la R&D, l’innovation, la formation des salariés, le retour à l’emploi des
populations précaires, les aides en cas de catastrophes naturelles sont tolérées. Les aides de la PAC sortent du
champ de compétence de la politique de la concurrence. En 2015, la Commission européenne a condamné Fiat et
Starbucks pour des accords fiscaux très avantageux passés avec le Luxembourg et les Pays-bas. La Commission a
jugé que ces Etats avaient délivré des avantages fiscaux « sélectifs » illégaux en matière d’aides d’Etat. Pour autant
ce sont les entreprises qui ont été condamnées pas les Etats.
Document 28 : quelques décisions de la commission européenne de la concurrence
1985
1991
2003
Azko, multinationale hollandaise présente sur l’ensemble du marché européen des additifs chimiques a baissé ses
prix sélectivement sur le marché anglais pour contrer la tentative de la firme anglaise ECS de pénétrer le marché
européen continental
Tetra pak, leader européen sur le marché du conditionnement aseptique, a vendu à perte ses cartons sur le marché
italien dans le but d’éliminer son concurrent local Elopak
Wanadoo a pratiqué des prix prédateurs dans le domaine de l’accès internet haut débit afin de préempter le marché
Source : D.Guellec, « Economie de l’innovation », La Découverte, 2009, p.26-27
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Document 29 : l’entente sur le marché des ascenseurs
Le 21 février 2007, la commission européenne a infligé une amende de 992 millions d’euros à des entreprises ayant
mis en œuvre une entente secrète sur le marché de l’installation et de l’entretien des ascenseurs et des escaliers
mécaniques en Belgique, en Allemagne, au Luxembourg et aux Pays-Bas : entre 1995 et 2004, ces sociétés ont
truqué les appels d’offres, fixé les prix, se sont réparti les marchés et ont échangé des informations
commercialement importantes et confidentielles
Source : D.Guellec, « Economie de l’innovation », La Découverte, 2009, p.26-27
Document 30 : les ententes tolérées
Le régime d’exemptions a été profondément modifié en 2004 pour prendre davantage en compte les effets
d’efficacité productive et les gains d’efficacité dynamiques.
Au titre des exemptions, les accords entre entreprises, qui permettent d’améliorer la production et la distribution de
biens ou contribuent au progrès technique et économique, et à condition que les consommateurs en bénéficient,
peuvent être considérés comme bénéfiques.
Ainsi, les accords horizontaux, qui sont jugés favorables au développement d’un marché plus compétitif, en
favorisant la R&D, l’innovation, une meilleure spécialisation, la mise en place de standards ou en proposant des
améliorations environnementales , font l’objet d’exemptions. (…)
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.210-244
Document 31 : les aides publiques tolérées
L’autorisation et l’interdiction des aides publiques sont conditionnées à l’appréciation d’une part du coût engendré
par la distorsion de concurrence due à l’aide et d’autre part du bénéfice apporté à la communauté. (…) Il est à noter
que les aides octroyées aux secteurs des transports, du charbon, de l’agriculture et de la pêche ne sont pas gérées
par la Direction générale de la concurrence, mais par des directions en charge de ces industries spécifiques.
Il existe de nombreuses exemptions, comme par exemples : les aides à l’investissement et l’emploi en faveur des
PME, les aides à la création de petites entreprises par les femmes, les aides pour la protection de l’environnement,
les aides sous forme de capital-investissement, les aides à la R&D et à l’innovation, les aides à la formation, les
aides en faveur des travailleurs défavorisés ou handicapés, les aides exceptionnelles en cas de catastrophes
naturelles …. (…)
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.210-244
Document 32 : coopération en recherche et politique de concurrence
L’Etat peut permettre ou même encourager les entreprises à se regrouper autour de projets de recherche d’un intérêt
commun.
Dans le cadre d’une coopération, chaque partenaire bénéficie des compétences et des découvertes de tous les autres
et les fait bénéficier de ses propres capacités. Il y a donc réciprocité, ce qui réduit la propension de chacun à garder
pour lui ses technologies. La coopération entre firmes constitue une infraction à la lettre des politiques de
concurrence.
Les entreprises trouvent des avantages multiples dans ce type d’opération. Elles réduisent le coût de la recherche,
elles peuvent bénéficier des compétences spécifiques de leurs partenaires, elles réduisent le risque en le partageant
avec d’autres. Cependant, si la coopération s’étend vers l’aval (développement des produits) alors il s’agit plutôt de
collusion : les consommateurs se retrouveront captifs d’un cartel, un monopole collectif, qui imposera notamment
des prix plus élevés. C’est pourquoi la coopération est autorisée seulement dans les phases en amont, dites de
recherche « précompétitives ».
Source : D.Guellec, Economie de l’innovation, La découverte, 2009, p.108-109
Document 33 : Google va ouvrir un "centre d'innovation"
Le géant américain de l'internet Google a annoncé cet après-midi l'ouverture à Londres en 2011 d'un "centre
d'innovation", le premier du genre en Europe, alors que le gouvernement britannique cherche à attirer les
entreprises technologiques.
Ce centre accueillera des ateliers de formation et de démonstration de produits destinés aux start-up et aux
ingénieurs, et permettra au personnel de Google de travailler avec des développeurs locaux. "On n'a rien
d'équivalent en Europe", a déclaré un porte-parole de Google.
Il sera basé dans l'est de la capitale britannique, une zone en pleine transformation en vue des jeux Olympiques de
2012 et où le Premier ministre britannique David Cameron compte ouvrir un centre dédié aux entreprises
technologiques.
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Trois sociétés américaines, le géant des microprocesseurs Intel, le site de socialisation Facebook et l'équipementier
de télécoms Cisco, se sont déjà engagés à s'installer dans ce quartier.
"On ne va pas simplement soutenir les grosses entreprises d'aujourd'hui, mais aussi soutenir celles de demain",
devait dire M. Cameron jeudi à Londres, dans un discours dont l'AFP a obtenu une copie.
Source : Lefigaro.fr /AFP- 04/11/2010
Document 34: l’utilisation de la théorie des marchés contestables dans la politique de la concurrence
européenne
Aujourd’hui, la Commission européenne s’appuie largement sur la théorie des marchés contestables. Il s’agit pour
elle de ne pas fixer une structure de marché prédéterminée (par exemple une structure atomistique, à l’instar de la
théorie de la CPP) mais de pouvoir identifier le niveau de concentration acceptable en fonction de facteurs tels que
la structure des coûts (fixes et variables), la différenciation des produits, l’existence de barrières à l’entrée, … (…)
La Commission européenne ne contrôle pas si oui ou non une entreprise est en position dominante sur le marché,
mais si elle abuse d’une telle position. La Commission européenne n’intervient pas tant qu’une entreprise dominant
le marché se comporte comme si elle était sous la menace de la concurrence.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.210-244
Document 35: le contrôle des concentrations (le marché doit rester contestable)
Une concentration d’entreprises par fusion, acquisition ou création d’une entreprises conjointe désigne une
opération par laquelle deux ou davantage d’entités économiques indépendantes ne deviennent plus qu’une unité
économique. une concentration peut être horizontale, verticale ou conglomérale. (…) Comme dans le cas des
ententes, ce sont les fusions horizontales qui focalisent l’attention des autorités de la concurrence. En effet, elles
signifient nécessairement une plus grande concentration des parts de marché et risque d’aboutir à une structure de
marché non contestable. (…) Entre 1990 et 2009, 4129 fusions ont été notifiées à la Commission. Sur les 4129 cas
examinés, 3574 fusions ont été autorisées au premier examen, et seulement 20 ont été refusées depuis 1990, soit
moins de 0,5% des notifications.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.210-244
Document 36 : Ryanair & Aer Lingus
Le 27 juin 2007, la Commission européenne a bloqué le projet de fusion entre les deux compagnies aériennes
irlandaises Aer Lingus et Ryanair, au motif que cette opération donnerait naissance à un monopole sur 22 lignes à
destination et au départ d’Irlande, conduisant sans doute à des hausses de prix des billets dommageables pour les
consommateurs.
Source : D.Guellec, « Economie de l’innovation », La Découverte, 2009
Document 37 : la politique de la concurrence, une politique industrielle horizontale
En 1990, sous l’impulsion du Commissaire allemand (…), la Commission a élaboré une communication intitulée
« la politique industrielle dans un environnement ouvert et concurrentiel » qui prône officiellement une politique
industrielle horizontale. Le Commissaire semble rejeter définitivement les politiques industrielles verticales pour
générer des champions européens. On insiste surtout sur le rôle de la concurrence et la nécessité de poursuivre
l’intégration du marché européen pour améliorer la compétitivité des firmes européennes : « l’objectif même de la
politique industrielle est de permettre à la concurrence de jouer. Tout cela est absolument étranger à une politique
industrielle interventionniste. Il ne s’agit en aucun cas de fabriquer des champions européens à qui la politique
industrielle confierait le soin de damer le pion aux japonais ou aux américains. » Cette position qui soumet la
politique industrielle à la politique de la concurrence se maintien jusque dans les années 2000.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.246-279
2.2 La politique agricole commune
Document 38 : les premiers succès de la PAC
La PAC est créée par le Traité de Rome (1957) et mise en œuvre à partir de 1962. Le budget de la PAC pèse
aujourd’hui environ 43 milliards d’euros dont 10 milliards pour la France. On comprend donc que les crises et
réformes de la PAC bénéficient d’une résonance importante dans l’hexagone.
L’objectif de la PAC au moment de sa création est d’assurer l’autosuffisance alimentaire de l’Europe grâce à une
rationalisation de l’activité qui doit stimuler l’investissement, moderniser l’agriculture, stabiliser le revenu des
agriculteurs. La PAC est à l’origine une politique « directive » sur le modèle de la CECA plutôt qu’une politique de
libéralisation des marchés comme dans le cadre du marché commun. Cette politique s’appuie sur une « gestion du
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marché » » qui passe par le contrôle des prix, des subventions et des droits de douanes. Les agriculteurs ne vendent
pas leur production au prix du marché (offre/demande) mais à un prix « garanti », c’est-à-dire fixé
administrativement. Quand le prix de marché s’écarte de ce prix garanti, la CEE intervient de manière à les faire
converger. Dans le cas des importations, des droits de douanes sont mis en œuvre pour empêcher que les prix des
biens importés soient inférieurs aux prix garantis. La PAC est exemptée du cadre des négociations du GATT. Les
producteurs vendent leur production à un prix inférieur à leurs coûts et sont protégés de la concurrence extérieure.
La PAC atteint rapidement ses objectifs : autonomie alimentaire de l’Europe, amélioration de la productivité
agricole qui rapproche l’Europe des Etats-Unis, amélioration des conditions de vie des agriculteurs, production de
masse favorable aux consommateurs.
Document 39 : les réformes de la PAC
Mais au tournant des années 1980, la PAC est soumise à de nombreuses critiques :
sa place prépondérante dans le budget de la CEE qui empêche d’autres politiques de se développer ;
la surproduction engendrée par les mécanismes des prix et des subventions poussent ;
les dégradations environnementales provoquées par les pratiques agricoles productivistes ;
son absence du cadre des négociations commerciales multilatérales.
Cette crise de la PAC alimente une crise plus générale du projet européen, c’est la période de l’eurosclérose. La
question des réformes de la PAC se pose donc avec insistance.
La première grande réforme de la PAC est la réforme Mac Sharry (1992). Elle consiste à baisser les prix
réglementés, pour rapprocher les prix européens des prix mondiaux, à baisser les subventions aux exportations hors
UE et à réduire les surfaces cultivées. Elle vise donc à libéraliser progressivement le secteur agricole pour pouvoir
développer les négociations multilatérales dans l’agriculture, mais aussi à réduire la surproduction.
La seconde réforme de la PAC a lieu en 2003 (renforcée en 2013), dans un contexte d’ouverture de l’UE vers les
PECO. Pour éviter un dérapage des dépenses de la PAC, celles-ci sont gelées de 2006 à 2013. La réforme
flexibilise encore davantage les prix. Pour réduire la surproduction, elle effectue un découplage entre les aides et la
production réalisée. Le soutien à l’activité agricole passe alors par des aides aux revenus. En France en 2013, en
moyenne, les aides représentent 84% des revenus agricoles. Les outils mis en œuvre par la PAC au début des
années 1960, c’est-à-dire les mesures de gestion des marchés, reculent.
La PAC intègre également de plus en plus l’objectif d’un agriculture soutenable. L’agriculture n’a pas pour seul
objectif de nourrir la population, mais doit aussi être associée aux questions de développement régional et
d’environnement. Elle devient « multifonctionnelle ». Dans cette optique, les exploitations qui respectent un certain
nombre de contraintes environnementales perçoivent depuis 2015 un « paiement vert ».
Enfin, signalons qu’avec le Traité de Lisbonne (2007), la PAC est devenue une compétence partagée. Une partie
des mesures de la PAC dépend de l’UE mais la marge de manœuvre laissée aux Etats membres et aux collectivités
territoriales a augmenté de manière à co-financer « le développement rural » à travers la modernisation des
structures, la qualité, la diversification des activités.
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3. La monnaie unique et le passage à l’Union Economique et Monétaire
3.1 L’intégration monétaire avant la monnaie unique
3.1.1
L’UEM, un projet ancien : le rapport Werner
Document 40 : crise du système de Bretton Woods et rapport Werner
L’intégration économique européenne passe dans les années 1960 par la réalisation de l’Union douanière et la
PAC. Ces deux réalisations bénéficient de la stabilité des taux de change fournie par le système monétaire de
l’étalon de change-or. L’agonie progressive de Bretton Woods qui débute à la fin des années 1960 pousse les pays
membres de la CEE, et en particulier la France, à chercher des solutions pour maintenir un régime de change fixe.
Pour le rapport Werner publié en octobre 1970 l’instauration d’un régime de change fixe est une condition
essentielle pour préserver le marché commun et se protéger des déstabilisations monétaires provenant des EtatsUnis. Mais le rapport Werner va plus loin. Il envisage : 1) la création d’une union monétaire avec une banque
centrale européenne sur le modèle de la Fed ; 2) une coordination des politiques budgétaires ; 3) la mise en œuvre
de transferts interétatiques des pays les plus riches vers les plus pauvres sur le modèle fédérale américain. Ce
rapport propose donc la réalisation d’une UEM européenne. Il se pose dans la continuité du communiqué final du
sommet européen de La Haye de décembre 1969 : « Les chefs d'État ou de gouvernement, ainsi que les ministres
des affaires étrangères des États membres des Communautés européennes (…) sont d'avis que le processus
d'intégration doit aboutir à une Communauté de stabilité et de croissance. Dans ce but, ils sont convenus qu'au sein
du Conseil, (…) un plan par étapes sera élaboré au cours de l'année 1970 en vue de la création d'une union
économique et monétaire. Le développement de la coopération monétaire devrait s'appuyer sur l'harmonisation des
politiques économiques. »
Le rapport Werner est accepté par le Conseil des ministres de l’Economie et des finances en mars 1971, mais il ne
sera en réalité jamais mis en oeuvre. L’Allemagne craint que ses partenaires européens imposent des politiques
monétaires laxistes et inflationnistes. La France redoute de son côté que la politique monétaire européenne soit
confiée à des experts indépendants du pouvoir politique.
Document 41 : la fin du système de Bretton Woods pousse les européens à réfléchir à l’intégration monétaire
Jusqu’aux années 1970, le système de Bretton Woods fournit à l’Europe la stabilité monétaire dont elle avait
besoin. Stabiliser les monnaies européennes par rapport au dollar les stabiliser les unes par rapport aux autres.
Réaliser le marché commun, comme l’Europe l’a fait en 1968, aurait été plus difficile face à des soubresauts des
taux de change. Importateurs et exportateurs auraient vu leurs affaires perturbées. Les Etats auraient eu plus de mal
à supprimer les barrières commerciales et à établir un tarif douanier commun. (…) On pouvait donc s’attendre à ce
que les premiers pas significatifs dans la direction d’une monnaie européenne commune coïncident avec l’agonie
de Bretton Woods. (…) En 1968, les troubles du dollar attisèrent les tensions en Europe. La crainte que les EtatsUnis ne dévaluent provoqua un raz de marée de capitaux vers l’Allemagne. Le Deutsch Mark se trouva poussé vers
le haut. (…) Avec l’élection du président Nixon (1968) et les politiques de plus en plus unilatérales de son
administration (….) les arguments en faveur d’un renforcement de la communauté prirent de la vigueur. (…) En
France V.Giscard d’Estaing ministre de l’Economie et des finances sous de Gaulle et Pompidou (…) voyait dans la
coopération avec l’Allemagne un moyen de d’affranchir la politique monétaire française des questions de politique
intérieure et d’importer la culture de la stabilité allemande. Giscard considérait aussi qu’une monnaie commune
européenne était essentielle pour sauvegarder la politique agricole commune, dont les paysans français tiraient de
grands avantages. Et il voyait en elle une rivale à part entière du dollar. (…)
Publié en octobre 1970, le rapport de la Commission Werner considérait le blocage irrévocable des taux de change
comme essentiel pour la préservation du marché commun et pour éviter à l’Europe les déstabilisations monétaires
venues des Etats-Unis. Il proposait un système paneuropéen de banques centrales comparable à celui de la Fed. Il
soulignait qu’il faudrait coordonner les budgets nationaux des pays cohabitant dans l’union monétaire. Et il insistait
sur le caractère désirable d’un système de transferts interétatiques d’aide aux pays faibles analogue au système
fédéral d’imposition et de transfert qui assure la péréquation des fonds publics aux Etats-Unis. (…) Mais ne pas
préciser exactement qui dicterait la politique monétaire commune de l’Europe, et comment, s’avéra une faiblesse
fatale pour le rapport Werner. Cela permit au président de la Bundesbank d’attiser les craintes allemandes de voir la
politique monétaire dictée par les politiciens francophones et devenir un moteur d’inflation. En France, on craignait
que le pouvoir de décision soit retiré aux politiques, ce qui aurait ruiné les efforts des Français pour reprendre en
mains leur destinée monétaire. Bien que les ministres de l’Economie et des finances européens eussent adopté le
rapport Werner en mars 1971, ils ne prirent aucune disposition concrète pour l’applique.
Source : Barry Eichengreen « Un privilège exorbitant. Le déclin du dollar et l’avenir du SMI », O.Jacob, 2011, p.102
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Document 42 : le rapport Werner, vers l’UEM (c’est moi qui souligne)
Durant les années 1960, la Commission européenne, bien consciente des problèmes monétaires qui entravent le bon
fonctionnement de la politique économique de la CEE, s'interroge sur les moyens susceptibles de rétablir la
stabilité monétaire des Six. (…) De la coordination efficace des politiques économique, monétaire et sociale
qu'appelle le Conseil en octobre 1969 à l'union économique et monétaire il y a un pas considérable. Celui-ci est
néanmoins franchi lors du sommet européen organisé à La Haye, en décembre 1969 (…). Aux termes du
communiqué final de la conférence :
« Les chefs d'État ou de gouvernement, ainsi que les ministres des affaires étrangères des États membres des
Communautés européennes (…) sont d'avis que le processus d'intégration doit aboutir à une Communauté de
stabilité et de croissance. Dans ce but, ils sont convenus qu'au sein du Conseil, (…) un plan par étapes sera
élaboré au cours de l'année 1970 en vue de la création d'une union économique et monétaire. Le développement de
la coopération monétaire devrait s'appuyer sur l'harmonisation des politiques économiques. » (…)
Source : http://www.cvce.eu/
3.1.2
Le serpent monétaire et le Système Monétaire Européen (SME)
Document 43 : le serpent monétaire
Durant l’année 1971, les chocs monétaires provenant des Etats-Unis s’amplifient. Avec les accords du Smithsonien
Institution, le dollar est dévalué et la bande de flottement entre les monnaies passe de +/-1% à +/- 2,25%. Si le DM
s’apprécie de 2,25% tandis que le dollar se déprécie de 2,25%, et que le Franc fait l’inverse, le taux de change
FF/DM varie de 9% ce qui perturbe le fonctionnement de la PAC et aux exportations allemandes. Or c’est
exactement ce qui se passe : le DM a tendance à s’apprécier tandis que le FF a tendance à se déprécier. Les
membres de la CEE, plus la Grande-Bretagne, l’Irlande, le Danemark et la Norvège décident alors de maintenir les
taux de change de leurs monnaies respectives dans des marges plus étroites. Mais le manque de coopération
monétaire a raison de ce système. Ces pays ne se coordonnent pas assez pour défendre les parités ni pour faire
converger leurs politiques monétaires. Les troubles monétaires se poursuivent : les anglais se retirent rapidement du
serpent monétaire, les français d’abord en 1974 puis de nouveau en 1976.
Document 44 : le Système monétaire européen
A partir de 1976, la France rapproche son point de vue à celui de l’Allemagne en matière d’inflation et de contrôle
des dépenses publiques. Ce rapprochement s’opère par le président V.Giscard d’Estaing et le chancelier H.Schmidt.
Avec le président de la Commission européenne, l’anglais R.Jenkins, ils soutiennent la création du Système
monétaire européen en 1979. Le mécanisme de taux de change (MTC) fixe des cours pivots pour chaque devise
d’un Etat membre par rapport aux autres devises des autres Etats membres. Chaque monnaie est exprimée en ECU
(European currency unit) qui sert d’unité de compte. Les cours pivot ont des marges de +/- 2,25%. Les
réévaluations ou dévaluations ne peuvent plus se faire de manière unilatérale et découlent d’un accord entre les
pays participants.
Document 45 : du projet de SME à son application
Dans un discours à l’Institut universitaire de Florence fin 1977, Roy Jenkins plaida pour une relance des
négociations sur une union monétaire européenne. En écho au rapport Werner, il proposa d’élargir le budget de la
CEE pour qu’elle puisse venir en aide aux pays qui auraient du mal à s’adapter aux rigueurs d’une politique
monétaire allemande. (…) Les idées de Jenkins offraient une ouverture à H.Schmidt et V.Giscard d’Estaing. (…)
Leur projet fut dévoilé en juillet 1978. On fixerait pour les taux de change de nouvelles marges de fluctuations de
2,25% sur le modèle du Serpent. Pour que le système ne soit pas une fois de plus dominé par les Allemands, les
marges seraient définies par rapport à un panier de monnaies européennes. Un mécanisme de déclenchement
imposerait aux pays à monnaie forte d’assouplir leur politique monétaire tandis que les pays à monnaie faible
durciraient la leur. Leurs banques centrales seraient obligées d’intervenir pour maintenir leur monnaie dans la
grille. Au bout de deux ans, un Fonds monétaire européen serait créé pour administrer les réserves mises en
commun par les membres. A une date future non précisée interviendrait un passage à l’union monétaire. (…)
Ces propositions n’étaient pas exactement du goût du gouvernement britannique (…) et ne plaisaient pas non plus à
la Bundesbank. (…) Les membres du conseil de la Bundesbank exigèrent l’abandon du mécanisme de
déclenchement, exclurent toute nouvelle discussion sur la mise en commun des réserves, refusèrent d’envisager la
substitution d’un panier de monnaies au DM en guise de pivot du système. Ils demandèrent à ce qu’il ne soit plus
question d’union monétaire. Le gouvernement allemand s’inclina sur les points clés. Le SME entra donc en
fonctionnement sans mécanisme déclencheur ni obligations claires d’intervention. Sa composante opérationnelle, le
mécanisme de change européen ressemblait au Serpent plus que ses fondateurs n’étaient disposés à le reconnaître.
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La principale différence était qu’en cas de problèmes de compétitivité les Etats ajusteraient désormais leur monnaie
à l’intérieur du mécanisme au lieu d’abandonner celui-ci.
Source : Barry Eichengreen « Un privilège exorbitant. Le déclin du dollar et l’avenir du SMI », O.Jacob, 2011, p.111-112
3.2 Le passage au marché unique pousse à l’unification monétaire
3.2.1
« One market, one money »
Document 46 : le triangle des incompatibilités
Tommaso Padoa-Schioppa, en transposant dans l’espace européen le triangle des incompatibilités de Robert
Mundell, montre l’impossibilité d’obtenir simultanément : la libération du commerce, la mobilité des capitaux, la
stabilité des changes et l’autonomie des politiques monétaires nationales. Il écrit en 1988, «[i]n the long run, the
only solution to the inconsistency is to complement the internal market with a monetary union.» Il fait écho à
Jacques Delors qui lors du Conseil européen de décembre 1985 affirme «Vous n'avez pas besoin d'avoir un
doctorat en économie pour comprendre le besoin d'une union monétaire pour établir un marché unique.»
La libéralisation des mouvements de capitaux, conséquence de l’Acte unique, entraîne en effet immédiatement des
crises de change, notamment lorsque les investisseurs anticipent des politiques macroéconomiques incohérentes
entre les Etats membres du SME. Cette incohérence est alimentée par la conjoncture allemande liée au choc de la
réunification allemande. En 1993, l’Allemagne ressert sa politique monétaire pour éviter l’inflation, au moment où
l’économie européenne entre en récession : les français suivent la politique monétaire allemande au prix d’une
hausse du chômage, tandis que les anglais privilégient leur objectif interne de croissance. Les tensions sur le
marché des changes augmentent. Le SME élargit les marges de fluctuations de 2,25% à 15% durant l’été 1993.
Mais rien n’y fait, les spéculateurs anticipent l’incapacité de la Banque d’Angleterre à défendre sa parité. La livre
quitte le SME en 1993, les anglais font flotter leur monnaie. Ils choisissent donc de préserver leur autonomie
monétaire mais au prix d’une sortie du SME. Les français, quant à eux, restent dans le SME, mais au prix d’une
perte d’autonomie de leur politique monétaire.
Document 47 : les attaques spéculatives sur les monnaies déstabilisent le SME
Dès qu’il existe d’importantes turbulences sur les marchés monétaires internationaux et que les firmes qui opèrent
sur les marchés financiers doutent de la capacité des Etats membres de maintenir cette convergence en matière de
politique macroéconomique, ces Etats sont alors soumis à des mouvements brusques de capitaux et à des attaques
spéculatives contre leurs monnaies. (…) Les plus importantes ont lieu en 1992 et 1993, conséquence de
divergences de politiques macroéconomiques entre les Etats membres induites par les conséquences des politiques
économiques allemandes poursuivies dans le cadre de la réunification allemande. Cette volatilité des capitaux est
très perturbatrice. Le SME est obligé d’élargir ses marges de fluctuations de 2,25% à 15% au cours de l’été 1993
pour limiter les attaques spéculatives, plusieurs Etats membres sont forcés de quitter le SME après des
interventions coûteuses de leurs banques centrales sur le marché des changes.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.478-529
Document 48 : le projet du Comité Delors
Le projet d’Union économique et monétaire, apparu dès la fin des années 1960, revient sur le devant de la scène
européenne avec l’Acte unique.
Pourtant, le projet porté par J.Delors se distingue en de nombreux points de celui de P.Werner. Delors prévoit
d’inscrire la stabilité des prix dans les missions de la nouvelle institution monétaire, affirme la nécessité d’une
Banque centrale européenne indépendante. Mais il ne prévoit pas d’élaborer un budget européen capable de réaliser
des transferts entre régions riches et pauvres, ni de toucher à la souveraineté des nations en matière fiscale. Il
propose même d’interdire ces transferts budgétaires entre Etats. Delors abandonne donc l’intégration budgétaire et
sociale présente dans le rapport Werner. Il interdit également l’achat par la banque centrale des titres émis par les
Etats membres. C’est le Conseil européen d’Hanovre (1988) qui confirme la réalisation progressive de l’Union
économique et monétaire et qui charge J.Delors de proposer des étapes concrètes pour y parvenir. Il adopte la
position défendue par l’Allemagne selon laquelle le passage à la monnaie unique vient couronner la convergence
des économies. Dans cette conception de la monnaie unique, qualifiée d’ « économiste », plus l’hétérogénéité des
économies est élevée, moins l’opportunité d’une monnaie unique est pertinente. Les français défendent une autre
approche, qualifiée de « monétariste » (à ne pas confondre avec la théorie monétariste de la monnaie) : la monnaie
unique est l’outil qui stimulera les échanges entre économies et en assurera alors la convergence.
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Document 49 : le Comité Delors
La décision de créer la commission Delors fut prise au printemps 1988. Son rapport, publié un an plus tard (2009),
décrivait un passage à trois étapes à l’union monétaire qui n’était pas sans ressembler à celui du rapport Werner
vingt ans plus tôt. Mais contrairement à son prédécesseur, le rapport Delors soulignait qu’il était important
d’inscrire la stabilité des prix parmi les missions de la nouvelle institution monétaire. Il affirmait explicitement la
nécessité d’une banque centrale européenne et d’une mise en commun des réserves des pays participants.
Concession au scepticisme thatchérien, il n’insistait pas sur la nécessité d’une intégration politique accompagnant
l’intégration monétaire, même si Delors espérait quant à lui que l’intégration politique suivrait. Il ne préconisait ni
élargissement substantiel du budget de la CEE, ni système d’impôts et de transferts couvrant l’union tout entière, ni
autre menace sur les prérogatives fiscales nationales, de telles propositions ayant conduit à l’échec du rapport
Werner. Bien que politiquement opportunes, ces concessions poseraient ultérieurement des problèmes à l’union
monétaire. Et ces problèmes s’avéreraient importants pour limiter la capacité de l’euro à rivaliser avec le dollar. La
disposition capitale était l’indépendance de la Banque centrale. L’Allemagne y tenait, mais la France s’y était
longtemps opposée. (…) Convaincu par Delors des bénéfices qu’apporterait à la France la discipline du mécanisme
de change, Mitterrand était conscient des avantages qu’il y avait à mettre la politique monétaire à l’abri de la
politique intérieure. Les membres de la commission Delors, relayant la position allemande, convinrent que le
passage à l’union monétaire devait nécessairement être précédé par une convergence économique significative, et
qu’il fallait donc fixer des conditions préalables à la participation des Etats.
Source : Barry Eichengreen « Un privilège exorbitant. Le déclin du dollar et l’avenir du SMI », O.Jacob, 2011, p.118
3.2.2
Le passage à la monnaie unique : critères de convergence et Pacte de Stabilité et de
croissance
Document 50 : les critères de convergence
Le traité de Maastricht (1992) entérine le passage à la monnaie unique, et le nom d’euro est officialisé en 1995. La
position des « économistes » l’emporte et les Etats membres s’entendent sur des critères de convergence que
doivent respecter les pays candidats à la monnaie unique pour pouvoir y participer. Ces critères doivent permettre
d’atteindre :
- une stabilité des prix : le taux d’inflation dans chaque Etat ne doit pas dépasser de plus de 1,5% le taux moyen
des trois meilleurs Etats dans ce domaine ;
- une convergence des taux d’intérêt : le taux d’intérêt nominal moyen à long terme dans chaque Etat ne doit
pas dépasser de plus de 2,5% le taux moyen des trois Etats présentant les meilleurs résultats en termes de
stabilité des prix ;
- le respect des marges de fluctuations prévues par le mécanisme de taux de change (avec interdiction de
dévaluation) ;
- le caractère soutenable de la situation des finances publiques : le déficit public ne doit pas dépasser 3% du pib
(sauf situation exceptionnelle) et la dette publique ne doit pas dépasser 60% du pib.
Pourquoi de telles cibles pour ces critères de convergence ?
En matière d’inflation, cela s’explique par le fait que c’est la différence entre taux d’intérêt nominal et inflation qui
produit le taux d’intérêt réel. Deux pays partageant la même monnaie, mais ayant des niveaux d’inflation différents
n’auront donc pas les mêmes taux d’intérêt réels. Or, cela pose problème à une zone monétaire dans le cas suivant :
là où la croissance est plus élevée, l’inflation est plus forte, les taux d’intérêt réels plus faibles, ce qui produit un
effet pro-cyclique en favorisant l’endettement, l’investissement, la consommation … Inversement, là où la
croissance est moins élevée, l’inflation est plus faible, les taux d’intérêt réel plus élevés, ce qui produit aussi un
effet pro-cyclique en déprimant l’activité. Une même politique monétaire dans une zone monétaire où il y a des
écarts d’inflation entre des régions renforce les écarts de croissance entre ces régions. Avant d’adopter la même
monnaie, il faut donc faire converger l’inflation des différents pays membres.
En matière de finance publique, les critères de convergence se justifient car les politiques budgétaires restent
nationales. Or, les politiques budgétaires laxistes s’accompagnent d’inflation. Une manière de contrôler l’inflation
est donc de contrôler sa source « budgétaire » en empêchant les déficits publics trop importants et l’accumulation
de dettes publiques qui en découlent.
Force est de constater que tous les pays qui sont entrés dans la monnaie unique n’ont pas respecté l’ensemble de
ces critères de convergence. C’est le cas de la Belgique ou de la Grèce par exemple.
L’introduction de l’euro se fait progressivement entre 1999 et 2002.
On remarquera pour terminer que ces critères de convergence s’appuient sur certains indicateurs
macroéconomiques (écarts de taux d’intérêt, écarts d’inflation, maintien de la parité, caractère soutenable des
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déficits publics) mais que d’autres indicateurs n’y figurent. Notamment tous les indicateurs en lien avec l’activité
économique et productive (croissance, chômage) ainsi que le commerce international sont absents des objectifs de
convergence. Les critères de convergence font davantage référence à une convergence « nominale » (inflation, taux
d’intérêt) des économies qu’à une convergence réelle.
Document 51: la coordination des politiques budgétaires dans le cadre de l’UEM
La position adoptée par la Commission et le Conseil ECOFIN est la suivante : la politique monétaire se charge de
réagir aux évènements qui ont un impact sur l’ensemble de la zone euro (choc symétrique), tandis que la politique
budgétaire se charge de réagir aux évènements qui touche spécifiquement un pays membre (choc asymétrique). On
appelle cette doctrine du policy mix, le consensus de Bruxelles.
Si les Etats gardent la maîtrise des politiques budgétaires, pourquoi alors chercher à les coordonner une fois le
passage à l’euro réalisé ?
Lorsqu’un Etat décide de financer ses dépenses publiques par un déficit et qu’il ne partage pas sa monnaie avec
d’autres pays, les émissions de titres publics font augmenter les taux d’intérêt. Le coût du financement augmente,
ce qui agit comme un garde-fou et empêche les dérapages budgétaires. Mais lorsqu’un Etat partage sa monnaie et
son système financier avec d’autres pays, les émissions de titres publics se « noient » dans l’offre de titre déjà
existante. Les taux d’intérêt réagissent peu à ces émissions. Les pouvoirs publics ne sont pas incités à contrôler
leurs déficits, ce qui peut entraîner un dérapage des finances publiques. En conséquence, aucun Etat n’a intérêt à
être vertueux et tous comptent sur les autres pour l’être. Nous sommes bien dans une situation de stratégie de
passager clandestin. C’est pourquoi le Traité d’Amsterdam (1997) impose le respect dans la zone euro du Pacte de
Stabilité et de croissance qui réutilise les règles de finances publiques des critères de convergence : pas de déficit
public au-delà de 3% du PIB, pas de dette publique au-delà de 60% du pib, pas de prêts avec intérêts entre Etats
membres, pas d’achat de titres publics sur le premier marché (c’est-à-dire au moment de leur émission) par la
Banque centrale européenne.
Avec la crise des dettes souveraines, les Etats membres de l’euro ont créé en 2010 le Fonds Européen de Stabilité
Financière (FESF), devenu en 2012, le Mécanisme Européen de Stabilité (MES). Ces deux institutions
intergouvernementales ont pour mission de venir en aide aux Etats rencontrant des difficultés de financement de
leur déficit public sur les marchés financiers. Elles agissent en dehors du budget européen. L’accès au MES est
conditionné par l’adhésion à un nouveau traité, le Traité sur la Stabilité, la Coopération et la Gouvernance de
l’Union (2012).
Document 52 : les raisons de la coordination des politiques budgétaires
Dans le Traité de Maastricht, l’autre grand outil de politique macroéconomique, la politique budgétaire, reste sous
le contrôle exclusif des Etats membres. Des Etats pourraient donc adopter des comportements de free riders. Ils
pourraient se lancer dans des dépenses publiques inconsidérées, générant ainsi de l’inflation et faisant remonter les
taux d’intérêt de l’ensemble de la zone euro, mais de manière beaucoup plus diluée que s’il s’agissait uniquement
de leur propre monnaie (…). Les autres Etats subiraient les effets dilués de cette inflation et de ces hausses de taux
d’intérêt engendrées par le comportement du seul free rider alors qu’eux auraient correctement maîtrisé leurs
dépenses publiques. Ce risque est clairement identifié par plusieurs membres du Comité Delors. Pour lutter contre
ce risque, le gouvernement allemand (…) impose sans difficulté le Pacte de stabilité et de croissance dans le Traité
d’Amsterdam de 1997. Celui-ci fixe des amendes aux Etats de la zone euro qui auraient un déficit persistant de plus
de 3% du PIB.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.478-529
Document 53 : le PSC introduit une règle de finance publique sur un instrument (la politiquer budgétaire)
par nature très marqué par le cycle économique
Le rôle de la politique macroéconomique est de stabiliser la demande adressée aux produits nationaux quand celleci s’écarte trop, à la hausse ou à la baisse, des capacités de production des entreprises. Cette stabilisation n’a de
sens qu’à court terme : une politique prolongée de stimulation de la demande ne se traduirait à terme que par une
inflation accrue. Pour élever durablement le niveau d’activité, seules sont efficaces les politiques d’offre :
investissement, éducation et formation, mesures d’incitation au retour sur le marché du travail, … Cette conception
s’est généralisée dans les pays développés depuis la Seconde guerre mondiale. (…) Quelle est la conséquence de
cette doctrine pour les déficits publics ? On admet généralement que l’activité économique est cyclique, c’est-àdire qu’elle connaît une succession de phase d’expansion et de ralentissement. L’activité s’écarte ainsi
successivement à la hausse ou à la baisse de son niveau potentiel (output gap). L’impact de ces fluctuations
cycliques sur les déficits publics est double. Le premier impact est mécanique : en période de forte croissance, les
recettes fiscales augmentent et les dépenses diminuent (essentiellement celles liées aux dépenses sociales). Le
déficit se réduit donc en haut de cycle économique et se creuse en base de cycle. En retour, cette activité exerce un
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effet stabilisant sur l’activité, même en l’absence de politique budgétaire active : ainsi, en phase haute, la
progression des recettes fiscales et la baisse des prestations sociales ralentissent le revenu disponible des ménages
et des entreprises, donc la demande de biens et services. On parle de stabilisateurs automatiques. En dehors de cet
effet mécanique, l’utilisation active de la politique budgétaire pour stabiliser l’activité peut accentuer l’évolution
cyclique du déficit (par exemple, une baisse des impôts soutient la consommation en période de ralentissement) :
on parle alors de politiques contracycliques.
Source : A.Bénassy-Quéré et B.Coeuré « Economie de l’euro », La découverte, 2010, p.71-92
Question :
1) remplir tableau :
Phase de récession
Phase de forte croissance
Recettes fiscales : ______
Dépenses publiques : Recettes
fiscales : Dépenses publiques :
________
_________
_______
Déficit budgétaire : ______
Déficit budgétaire : ________
Effet multiplicateur
Effet multiplicateur
Reprise de l’activité
Freinage de l’activité
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4. Le fonctionnement de l’UEM : de la convergence des économies à la crise des dettes
souveraines
4.1 Une double dynamique jusqu’à la fin de la décennie 2000 : convergence des niveaux de vie et
divergence des structures productives
4.1.1
La dynamique de convergence des niveaux de vie
Document 54 : une convergence des PIB nationaux / hab. au sein de l’Europe des 15 entre 1960 et 2000
(indice 100 pour UE-15)
1960
1980
2000
121,1
115,5
106,4
Allemagne
95,8
106,2
110,8
Autriche
95,6
107,9
111
Belgique
119,2
108,2
116,8
Danemark
59,1
72,7
82,1
Espagne
88,2
96,5
100,9
Finlande
106,2
112,9
101,3
France
43,6
70
67,1
Grèce
87,3
101,1
98,9
Italie
62,6
65,5
114,3
Irlande
176,7
132,9
180
Luxembourg
115,7
108,1
113,4
Pays-Bas
40,1
55,4
75,7
Portugal
121,6
95,7
102,3
Royaume-Uni
126
113,7
102,8
Suède
100
100
100
UE (15)
Source : Commission Européenne
Document 55
Durant les premières années de la mise en place de l’UEM, on constate que les pays les moins avancés de la zone
euro rattrapent les autres : le PIB par habitant des pays du Nord (groupe 1) est 1,26 fois plus grand que celui des
pays du Sud (groupe 2) en 1998 contre 1,12 fois plus grand en 2006. La réalisation du marché commun et l’entrée
dans la monnaie unique a donc permis une convergence des niveaux de vie. Ce qui est bien un des objectifs
attendus.
Document 56 : évolution PIB par habitant Europe du Nord et Europe du Sud
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Document 57 : la période de rattrapage des pays du Sud
4.1.2
La dynamique de divergence des structures productives
Document 58
Dans le même temps, on constate que les déséquilibres des balances des paiements au sein de la zone euro se sont
creusés avec des montants historiquement très élevés :
Document 59 : évolution des balances courantes
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Document 60 : ces déséquilibres accompagnent une désindustrialisation sévère des pays du Sud
Document 61 : une polarisation géographique des activités à forte valeur ajoutée
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Document 62 : la concentration des activités industrielles dans certaines régions européennes
L’intégration européenne mène logiquement à un accroissement de la spécialisation des activités économiques d’un
pays, et à un regroupement des activités complexes. Elle génère des rendements croissants au centre du marché,
c’est-à-dire dans le cœur géographique de l’UE. de ce point de vue, le fait que les petits pays de la périphérie de
l’UE connaissent les pires difficultés à maintenir une industrie compétitive n’a malheureusement rien d’étonnant »
(…). Il convient également de noter le rôle des élargissements des années 2000 qui ont eu tendance à déplacer le
centre de l’Europe vers le Nord-Est et ainsi à renforcer la centralité de l’Allemagne. Ces élargissements ont accru la
marginalisation des pays du sud de l’Europe. Les nouveaux entrants ont pu développer, au détriment des pays du
Sud, des synergies industrielles avec l’Allemagne, et les autres pays industrialisés de l’UE, comme le montre le
renforcement de leurs spécialisations industrielles. Pour résumé, il y a bien une polarisation ou plutôt une tendance
au renforcement de la polarisation des pays européens (et plus encore des régions européennes), mais surtout de
spécialisation des activités économiques. Cette tendance existe depuis longtemps et, de façon prévisible,
l’élargissement de l’UE, et son approfondissement (euro) l’ont accentué.
Source : Matthieu Crozet « Les défis de l’hétérogéneité de l’UE » in RCE n°11 juin 2012
Document 63 : les inégalités entre régions
On constate généralement une convergence entre les Etats membres au cours de la période 2000-2009 mais une
forte disparité subsiste entre les régions. Les chiffres d’Eurostat mettent en évidence une croissance hypertrophiée
des capitales et de certaines régions centrales au détriment de régions périphériques. Ainsi, au niveau régional, il
n’y a pas de convergence. La hausse fulgurante de la région de Londres Ouest est compensée par le déclin de la
région occidentale du Pays de Galles qui tombe au-dessous des 75% de la moyenne du PIB par habitant de l’UE-27
en PPA.
Cette tendance est également vraie au sein des PECO, où certaines régions frontalières plus proches du centre
attirent des IDE et accueillent des districts marshalliens. C’est le cas par exemple de Timisoara en Roumanie avec
des districts créés notamment par les investisseurs italiens. Mais ce sont surtout les capitales qui ont tendances à
concentrer les richesses et la croissance. Les disparités entre régions ou sein de chaque Etat membre ont tendance à
se renforcer.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.400-465
Document 64 : l’inefficacité des politiques régionales à faire converger les territoires
Les mécanismes de solidarité actuellement en place au niveau européen - fonds structurels UE, fonds européen
d'ajustement à la mondialisation - ne semblent pas adaptés ou être de taille suffisante pour accompagner
efficacement un approfondissement du marché intérieur.
Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
4.1.3
Comment expliquer cette double dynamique de rattrapage des niveaux de vie et de
divergence des structures productives ?
Document 65 : la politique monétaire unique renforce les divergences de rythmes de croissance
L’entrée des pays du Sud dans l’UEM se fait dans une période de rattrapage économique : le PIB croît plus vite
dans ces économies que dans les économies de l’Europe du Nord. Cette croissance plus rapide stimule les effets
inflationnistes. La politique monétaire étant unique, elle produit un effet procyclique qui renforce l’activité et
l’inflation. Cette inflation se répercute sur les coûts du travail qui s’écartent progressivement de la moyenne dans la
zone euro. Du côté des pays à croissance faible, le politique monétaire produit l’effet inverse, ce qui freine au
contraire les coûts salariaux unitaires. Alors que le coût salarial unitaire augmente de 17% en moyenne dans la zone
euro entre 2002 et 2010, cette hausse est de 38% en Grèce. Ces écarts de coûts salariaux impactent négativement la
compétitivité prix des pays concernés, ce qui se traduit par une contraction des exportations et une stimulation des
importations.
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Document 66 : une demande plus dynamique dans le Sud
Source : Natixis Flash Economie « Comment ont évolué depuis la création de l’euro les policy mix des pays du Nord et du Sud
de la zone euro ?», 09 janvier 2014
Document 67 : et une inflation supérieure
Source : Natixis Flash Economie « Comment ont évolué depuis la création de l’euro les policy mix des pays du Nord et du Sud
de la zone euro ?», 09 janvier 2014
Document 68 : dans un contexte de convergence des taux d’intérêt
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Document 69 : conséquence, des écarts de taux d’intérêt réels apparaissent dans la zone euro et conduisent
la politique monétaire à être pro-cyclique
(taux d’intérêt réel = taux d’intérêt nominal – inflation)
Pays où activité est plus faible
Pays où activité est plus forte
Inflation plus faible/forte
Inflation plus faible/forte
Taux d’intérêt réel plus faible/fort
Taux d’intérêt réel plus faible/fort
Freine/Stimule l’activité économique
Freine/Stimule l’activité économique
Document 70 : les écarts d’inflation se répercutent sur les coûts salariaux unitaires
Document 71 : au sein des pays du Sud, la position de la Grèce
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Document 72 : le rattrapage économique dans le contexte de la monnaie unique renforce les déséquilibres
des balances des paiements
Rattrapage économique
des pa ys du S ud
Monna ie
unique : baisse
des taux
d’intérêt réel
Stimulation de l’activité
Hausse de la demande
intérieure
Hausse de l’inflation
Recul compétitivité prix de
la produc tion dom estique
Hausse des import ations
Déficit balance courante
Hausse des salaires
(conve rgenceEffet BS )
Désindus tri
alisation
Recul des export ations
Financement extérieur :
entrée capitaux
Document 73 : l’effondrement des performances commerciales des pays du Sud est accentué par d’autres
facteurs
Cette dégradation des performances commerciales est accentuée par :
- les différences de politiques économiques notamment en matière de flexibilité du marché du travail (Lois
Hartz par exemple en Allemagne) ;
- les phénomènes d’agglomération des activités entre les régions qui accentuent la désindustrialisation de
certaines zones, ce qui impacte négativement les capacités exportatrices des ces zones. Selon P.Krugman, les
entreprises cherchent à bénéficier d’économie d’échelle externe ce qui les pousse à s’agglomérer. Cette
réallocation du capital productif est aussi la conséquence de la concurrence fiscale que se livrent les Etats
européens entre eux ;
- l’utilisation improductive des capitaux : les circuits de financement de certains pays (Espagne par exemple)
n’orientent pas les capitaux vers les secteurs à fort progrès technique mais plutôt vers des secteurs où la PGF
est faible (construction). Alors que les investissements sont importants, la PGF progresse peu.
Les déséquilibres des balances courantes est permis par des flux de capitaux entre les pays de l’Europe du Nord (à
capacité de financement) et les pays de l’Europe du Sud (à besoin de financement).
Document 74 : le modèle « irlandais », les Etats membres en concurrence
Les gouvernements des nouveaux Etats membres imitant en partie le modèle irlandais, les élargissements de 2004
et 2007 mènent au renforcement de la concurrence fiscale et sociale. Cette concurrence existe déjà (Luxembourg,
Belgique, îles anglo-normandes) mais elle s’accélèrent avec les 12 nouveaux Etats membres qui adoptent des taux
d’imposition des sociétés très faibles. Le rapport Monti de 2010 met en évidence la concurrence fiscale entre Etats
membres pour expliquer comment le taux d’imposition moyen de l’impôt sur les sociétés de l’UE-15 est passé de
50% à 30% entre 1980 et 2010, avec une accélération du phénomène depuis 2000.
La problématique de la concurrence sociale était également parfaitement prévisible au moment de l’élargissement.
Le différentiel de salaire est énorme, (…) bien sûr la productivité du travail y est plus faible, mais le coût unitaire
salarial reste plus faible. Par ailleurs, la main d’œuvre ne dispose pas du même niveau de protection sociale sur le
plan du marché du travail, la durée du travail y est beaucoup plus élevée, le taux de syndicalisation est y plus faible,
le taux de chômage plus élevé. (…) Dans le cadre institutionnel du marché unique qui permet la libre circulation
des capitaux et du travail, il est clair que de telles différences permettent aux entreprises de jouer la concurrence
entre les travailleurs et entre les Etats sur le plan social et fiscal. On assiste à des délocalisations en masse dans les
secteurs manufacturiers et dans certains services. (…) Cette crainte des délocalisations permet à des entreprises de
jouer au chantage des fermetures. En 2005, la direction de Bosch France impose à ses salariés d’accroître leur
temps de travail de 10% sans compensation salariale sous la menace d’une délocalisation à l’Est.
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Si l’on adopte une perspective dynamique, il est fondamental d’observer la vitesse de convergence des nouveaux
Etats membres vers les Etats de l’UE-15 estimée en termes de productivité et de salaire pour voir combien de temps
se poursuivront ces disparités génératrices de tensions intracommunautaires et de concurrence sociale.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.400-465
Document 74 : les écarts de politiques fiscales et sociales
Les disparités fiscales et sociales au sein de l'UE peuvent constituer une source de distorsions majeure dans
l'allocation des facteurs productifs et fausser la concurrence, via l'instauration de régimes préférentiels. Une
concurrence accrue entre les politiques sociales et fiscales des États membres peut aboutir à une situation dégradée
pour l'Europe prise dans son ensemble. Une impulsion donnée à l'intégration des marchés européens devrait ainsi
s'accompagner d'instruments susceptibles de freiner la concurrence entre les standards sociaux qu'elle pourrait
générer.
En particulier, il serait nécessaire de prévenir une concurrence fiscale sous-optimale (notamment une « course vers
le bas »). (…) Ainsi, l'approfondissement du marché intérieur devrait s'accompagner d'une coordination accrue en
matière fiscale. (…) Par ailleurs, pour empêcher le « dumping social » et garantir l'équité sur les marchés du travail
européen, ce processus d'harmonisation pourrait également se traduire par des standards communs de condition
d'emploi, en particulier en termes de taux de salaire minimal (par exemple par rapport au salaire médian du pays).
Source : Trésor-Eco n°156, octobre 2015
Document 75 : les politiques économiques menés dans les pays du Nord de la zone euro renforcent les écarts
de compétitivité entre économies européennes
L’Allemagne a mené des politiques qui ont accompagné la spécialisation productive. (…) La progression limitée
du coût du travail et les efforts pour contenir les prélèvements obligatoires ont permis d’améliorer la compétitivitécoût des entreprises (capacité à gagner des parts de marché en raison d’un coût de production stable ou en baisse) et
les marges des entreprises. De ce fait, les entreprises allemandes disposent de capacités de financement plus
importantes, qu’elles peuvent utiliser pour financer notamment les dépenses de R&D, et logiquement,
l’augmentation des budgets de R&D permet de réaliser des innovations. Ces innovations améliorent la qualité de la
production et par conséquent la compétitivité hors prix des entreprises allemandes, c’est-à-dire leur capacité à
gagner des parts de marché pour des raisons autres que le prix. Les réformes entreprises par le gouvernement
allemand ont ainsi accompagné les entreprises allemandes en leur fournissant un environnement répondant à leurs
besoins.
Source : Patrick Artus et Isabelle Gravet « La crise de l’euro. Comprendre les causes. En sortir par de nouvelles institutions »,
A .Colin (2012)
Document 76 : des flux de capitaux entrants qui n’alimentent pas la croissance potentielle
Source : Agnès Bénassy-Quéré « Economie monétaire internationale », Corpus Economie, Economica, 2014, p.18-20
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Document 77 : conclusion de l’intégration européenne avec l’UEM, des économies davantage intégrées, des
cycles économiques qui convergent mais des structures économiques et des performances commerciales qui
divergent
Traditionnellement, on exige des pays qui veulent participer à une même union monétaire qu’ils aient des cycles
économiques similaires, ce qui exclut la présence de chocs asymétriques. Lorsque l’on regarde les pays de la zone
euro, on trouve une forte similitude des cycles. (…) Mais la corrélation des cycles est naturelle entre les pays qui
échangent beaucoup entre eux, mais pour autant elle n’exclut pas que les pays puissent différer par leur tendance de
croissance ; par leur structure productive ; par leur compétitivité. Ces différences expliquent d’ailleurs les
divergences quant au commerce extérieur et à la dette extérieure. Ces divergences structurelles, qui n’empêchent
pas une forte corrélation des cycles, rendent difficile, si elles sont présentes, la coexistence de cas pays dans une
union monétaire.
La zone euro est homogène du point de vue des cycles mais, elle est hétérogène du point de vue de l’effort
d’innovation, de la productivité, donc de la croissance de long terme, de la spécialisation de l’économie, donc du
commerce extérieur. Seuls cinq pays (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Autriche, Finlande) composent une zone
euro réellement homogène du point de vue structurel.
Source : Patrick Artus et Isabelle Gravet « La crise de l’euro. Comprendre les causes. En sortir par de nouvelles institutions »,
A .Colin (2012)
4.2 De l’endettement croissant à la crise des dettes souveraines
4.2.1
L’endettement augmente dans les économies en besoin de financement
Document 78 : l’endettement croissant des pays d’Europe du Sud
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Document 79: le déclenchement de la crise grecque
Le déficit des balances courantes est financé par la circulation des capitaux sur les marchés européens, libéralisée
depuis 1992. L’endettement privé et l’endettement public progressent. Et lorsqu’un événement produit chez les
prêteurs une perte de confiance dans la capacité des emprunteurs à rembourser, le canal du financement extérieur se
referme : c’est le sudden stop. En Europe, cette situation se déclenche progressivement durant l’année 2010, et elle
concerne d’abord le financement du déficit public grec puis se diffuse à l’Espagne, le Portugal et l’Irlande.
Lorsqu’il s’avère en 2010 que le gouvernement grec ne peut plus financer son déficit sur les marchés des capitaux,
la peur qu’il ne puisse plus rembourser ses dettes précédentes apparaît. Or, les créanciers de la Grèce sont les
grands acteurs financiers européens déjà sévèrement touchés par la crise des subprimes. Une « faillite » de la Grèce
pourrait être le coup fatal porté à plusieurs établissements bancaires européens. Cette faillite serait également la
première d’un Etat d’un pays développé depuis 1945 envoyant un mauvais signal sur le fonctionnement de la zone
euro.
Après plusieurs mois de tergiversations, les Etats membres de la zone euro décident d’intervenir afin de transférer
la dette grecque des créanciers privés à des créanciers « publics » : il s’agit donc des Etats membres de la zone
euro, mais aussi de la BCE et du FMI. Dans le courant de l’année 2010, des prêts bilatéraux avec la Grèce sont
réalisés, sans versement d’intérêt jusqu’en 2022, ce qui permet de respecter le critère de no bail-out dans la zone
euro. Les Etats de la zone euro mettent en place un Fonds européen de stabilité financière (FESF) qui consiste à
émettre des titres sur les marchés de manière pour ensuite prêter aux Etats de la zone euro privés d’accès aux
marchés financiers. Le FMI joue également le rôle de prêteur en dernier ressort. Enfin, la BCE achète à des
établissements bancaires européens des titres grecs en contrepartie de liquidité. Progressivement, la dette grecque
change de main.
Document 80 : la perte progressive de confiance des investisseurs = augmenter les primes de risques
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Document 81: la hausse de l’endettement dans un contexte de ralentissement de l’activité = hausse ratio
d’endettement
Document 82
Source : le Monde, 7 juillet 2015
Document 83 : les plans d’aide
Le premier plan (2010) d’aide a donc consisté en une chose très simple : faire passer la dette grecque des mains, ou
plutôt des tiroirs caisses, du privé à ceux du public.
Le FMI et les Etats de la zone euro prêtent 110 milliards d’euros à la Grèce et la BCE se met à racheter des titres de
dette grecque pour éviter que leur prix ne s’effondre.
Le premier plan prévoyait que la Grèce reviendrait se financer sur les marchés au premier trimestre 2012. Mais dès
2011, tout le monde voit que c’est impossible, et qu’il faut de nouveau prêter à la Grèce.
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Le deuxième plan d’aide (2011) est scellé le 27 octobre 2011. Il prévoit une nouvelle aide de 130 milliards d’euros,
une annulation de 107 milliards d’euros de ce que doit la Grèce aux créanciers privés (banques, fonds, etc.), et une
recapitalisation des banques grecques, c'est à dire un don en capital.
Le troisième plan (2015) correspond à une aide de 85 milliards d’euros.
Document 84 : la diffusion de la crise à d’autres pays européens en besoin de financement
Ce qui arrive à la Grèce inquiète les marchés financiers qui s’interrogent sur la solidité d’autres économies
« fragilisées » par le choc des subprimes comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal, l’Italie (ou même la France). Ces
économies ont vu leur déficit courant se creuser depuis l’entrée dans l’euro et leur déficit public explosé après
2008. Une panique généralisée s’empare des marchés : l’Irlande, l’Espagne, le Portugal doivent à leur tour faire
appel au FESF et sont soumis aux mêmes conditions de réforme des dépenses publiques.
Document 85 : comment revenir à l’équilibre des comptes publics et à l’équilibre de la balance courante
grecs ?
Les nouveaux créanciers qui assurent dorénavant le financement des déficits grecs demandent à la Grèce des
réformes des finances publiques de manière à réduire ses déficits et être en mesure de rembourser la charge
annuelle de la dette. Les dépenses publiques sont réduites, les impôts augmentés : en d’autres termes, une politique
d’austérité est mise en œuvre. La conséquence sur la croissance est rapide : le PIB s’effondre et le chômage
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explose. La « potion » délivrée à la Grèce plonge l’économie dans une dépression plus sévère que celle des EtatsUnis au début des années 1930. Il paraît clair que la Grèce sera dans l’incapacité de rétablir rapidement ses comptes
publics et le risque de défaut grec réapparaît.
Document 86 : les conséquences des plans d’austérité
Con trep art ie s aid es
Hau sse des impô ts + b aisse des dé pense s p ubliq ues
Baisse de s im port ations
Ba isse d es défici ts
p ublics + excé den t en
2015
Cho c d e de man de négatif
Baisse du d éficit d e la ba la nce
des tra nsa ct ions co u ra ntes
Baisse cro issa n ce
(e t cro issa n ce
potentielle)
D éflation (2 01 3-2015)
L e mo ntant de la d ette p ublique est st abilisé , mais
la b aisse du PIB entra îne une hausse d u ra tio
(d et te/pib)
R ecu l beso in d e finan ce men t
exte rne de l’éco no mie gre cq ue
au prix d’un effon dre men t de
la de man de inte rne
Document 87 : le ratio d’endettement public ne baisse pas
Document 88 : la Grèce peut-elle encore faire défaut sur sa dette ?
La Grèce peut-elle faire défaut sur sa dette dans les proches années à venir ? La spécificité de la dette grecque, et de
ses modalités de remboursement, la protège pour quelques années encore, mais à terme se posera un nouveau
risque de défaillance de la dette publique, et donc la question du Grexit.
Actuellement, les prêts bilatéraux contractés par la Grèce (avec d’autres Etats membres de l’UE) ont une maturité
de 30 ans avec non paiements des intérêts jusqu’en 2022. Pour les prêts accordés dans le cadre du MES, le capital
ne sera remboursé qu’en 2045 avec non paiements des intérêts jusqu’en 2023. La BCE reverse les intérêts et les
plus-values éventuelles à son débiteur (la Grèce) qui ne rembourse finalement que le capital. Seuls aujourd’hui, le
FMI et les créanciers privés (qui détiennent 20% de la dette grecque) perçoivent des intérêts sur la dette grecque
(mais très faible). La charge de la dette (le paiement des intérêts) pèse environ 2,8% du PIB grec alors qu’elle
s’élève à 4,7% pour l’Italie et 5% pour le Portugal. La position de la Grèce est donc finalement à court terme assez
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favorable (si l’on ne tient pas compte des politiques d’austérité que ses créanciers lui ont demandé d’appliquer). Se
pose donc la question de la soutenabilité de la position grecque à moyen terme. Cette soutenabilité dépend de la
capacité de la Grèce à ramener son ratio dette publique/PIB à 120% contre 180% en 2016. Selon le FMI, il faudrait
pour cela que le surplus primaire du budget atteigne 3% à 4% du pib chaque année. Or, actuellement, il atteint 2%
(ce qui est historiquement exceptionnellement élevé pour ce pays !). Il ne semble donc pas que la Grèce puisse,
d’ici le début des années 2020, réduire significativement le poids de sa dette publique. La question de la dette
grecque n’est pas résolue et risque donc de réapparaître à moyen terme. Le remboursement de la dette grecque n’a
donc pas été renvoyé … aux calendes grecques.
Quelles seraient les conséquences pour la Grèce d’un Gexit ? Dans « Economie du bien commun », Jean Tirole
recense les conséquences d’un Grexit. En cas de sortie de l’UE et d’abandon de l’euro, la Grèce verrait ses
exportations stimuler en raison de la dépréciation de sa monnaie (retour au drachme), ce qui pourrait faire
progresser la croissance et l’emploi. Mais hormis le tourisme, la Grèce exporte peu, et la dépréciation de la
drachme aurait des conséquences négatives importantes : 1) augmentation du prix des importations, provoquant
une baisse du pouvoir d’achat des grecs ; 2) augmentation du poids des dettes contractées en euro ce qui conduira à
un défaut de l’Etat et des banques grecques ; 3) augmentation de la défiance des investisseurs étrangers obligeant
l’économie à équilibrer sa balance courante ce qui provoquera une réduction de la demande intérieure ; 4) arrêt des
transferts financiers de l’UE vers la Grèce ; 5) augmentation des inégalités provoquée par la hausse du patrimoine
financiers détenus par les riches grecs à l’étranger. En résumé, comme l’écrit Jean Tirole (2016) « Le Grexit est
une option risquée, comme l’est la continuation de la tendance actuelle. Il est acceptable de vouloir gagner du
temps mais, pour ne pas courir à la ruine, les responsables politiques devront réfléchir à la question plus générale
de l’avenir de la zone euro. »
4.3 La crise des dettes souveraines : une crise du fonctionnement de la zone euro
Document 89 : le passage à l’UEM a rendu la zone euro de moins en moins « optimale »
Il est possible de tirer un triple constat inquiétant sur le fonctionnement de la zone euro :
- l’UEM a renforcé l’hétérogénéité des économies européennes : le marché unique et la monnaie unique sont des
catalyseurs d’hétérogénéité des économies de la zone euro.
- malgré le PSC, certains pays n’ont pas eu un comportement budgétaire vertueux : l’entrée dans la crise des
subprimes a tellement dégradé leur déficit et dette publique, que le remboursement de cette dernière est devenu
problématique. Par exemple, en juin 2011, le montant des remboursements prévus de la dette publique grecque
pour l’année 2014 s’élève à 58 milliards d’euro, soit un montant supérieur au budget de l’Etat grec !
- même des pays ayant respecté le PSC se sont retrouvés plongés dans cette crise des dettes souveraines (Espagne).
Document 90 : les solutions budgétaires qui répondent aux crises de la dette souveraine renforcent la
récession économique
La peur qu’une défaillance d’un Etat n’entraîne à son tour des difficultés pour ses créanciers publics pousse tous les
Etats de la zone euro à adopter des politiques budgétaires restrictives durant l’année 2011. Alors que les
conséquences de la crise des subprimes ne sont pas effacées, que la demande privée reste inférieure à ce qu’elle
était avant 2008, les choix non coordonnés des Etats de la zone euro produisent un puissant choc de demande
négatif. La zone euro bascule dans ce que l’OFCE a appelé « l’austérité maniaco-dépressive ».
La signature du Traité pour la stabilité, la coordination et la convergence au sein de l’Union en mars 2012 (sauf
Grande-Bretagne et Tchéquie) confirme cette stratégie de consolidation fiscale. Il introduit une nouvelle règle de
finances publiques : le contrôle du déficit budgétaire structurel. Ce déficit ne peut dépasser 0,5% lorsque la dette
publique est supérieure à 60% du pib et 1% lorsque la dette publique est inférieure à 60% du pib. Seuls les Etats
membres de l’UE qui ont signé ce traité peuvent solliciter une aide du MES qui remplace en 2012 le FESF. Le
TSCG est un nouvel instrument de coordination par la règle, il se rajoute aux critères de Maastricht.
La logique du TSCG est double :
- éviter les situations d’aléa moral qui apparaissent dès lors qu’existe un fonds européen d’aide aux pays en
difficulté ;
- renforcer la crédibilité des gouvernements en matière de contrôle des finances publiques pour compenser
les faiblesses du PSC dans ce domaine. En se liant davantage les mains, les gouvernements espèrent envoyer
un signal positif aux marchés financiers et faire relâcher la pression sur le coût du financement public ;
Mais l’opportunité de mettre en œuvre le TSCG fait débat. Certains défendent l’obligation de redonner rapidement
confiance aux investisseurs de manière à casser un cercle vicieux de propagation des crises de finances publiques.
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D’autres estiment que l’effort budgétaire réalisé arrive trop vite et trop fort, et qu’il ne peut qu’aboutir à un cercle
vicieux dépressif : consolidation fiscale / récession / hausse du ratio (dette/pib) / consolidation fiscale …
Document 91 : La mise en place d’un outil de stabilisation macroéconomique pour les pays en crise : le MSF,
un instrument intergouvernemental qui fonctionne hors budget européen
Le budget de l’UE et ses objectifs ont peu été modifiés par la crise des dettes souveraines ; par contre, des solutions
sont apparues pour venir en aide aux pays « au bord de la faillite ».
Printemps 2010 : Création en 2010 du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Le FESF peut contracter des
emprunts, avec la garantie des États membres de la zone euro, en faveur d’un pays rencontrant des difficultés de
solvabilité (crise de la dette publique). Ces interventions (500 milliards d’euros) peuvent être combinées avec celle
du Fonds Monétaire International (250 milliards d’euros), un montant total de 750 milliards d’euros pouvant ainsi
être mobilisé.
Courant 2012 - le FESF est remplacé par une institution financière internationale, le Mécanisme de stabilité
financière (MES).
Le budget du MES s’élève à 1000 milliards d’euro (janvier 2012). C’est un organisme intergouvernemental :
- La règle de décision se fait à l’unanimité des 17 pays membres de l’Euro (sauf cas d’urgence / vote à la
majorité qualifiée des 85%). Il est prévu, qu’à partir du 1er mars 2013, l’octroi d’une assistance financière dans le
cadre du MES soit conditionné à la ratification du « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de
l’Union économique et monétaire » (Le Pacte budgétaire) qui a été adopté par 25 des pays membres de l’Union
européenne le 30 janvier 2012.
- Chaque Etat est responsable à hauteur de sa contribution ; il ne répond pas du total du risque assumé par
le MES ;
- Le budget du MES est hors budget européen, et n’est pas présenté au PE ;
Aujourd’hui ce budget existe ; il est intergouvernemental ; mais rien n’interdit de penser qu’il puisse servir de base
au développement futur d’un budget « fédéral » / décision politique de transferts de souveraineté.
Document 92 : le TSCG, la mise en place d’une « règle d’or » en matière de finances publiques
Le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UEM (TSCG) a été signé par 25 pays de
l’UE sur 28 le 2 mars 2012 (entrée en vigueur le 1 janvier 2013). Il concerne essentiellement les pays de la zone
euro (et non pas tous les pays de l’UE).
La crise des dettes souveraines qui touche certains pays de l’UE est en partie un symptôme de l’échec du PSC. De
nombreux pays n’ont pas à partir de 2005 suivi le PSC et certains parmi eux n’ont pas durant les périodes de
croissance mis à profit la hausse des recettes publiques pour réduire la part du déficit en pourcentage du PIB.
L’entrée dans la crise économique s’est donc mécaniquement accompagnée d’une envolée des déficits au delà des
3%. Ce manque de crédibilité des Etats à suivre le PSC a été sanctionné immédiatement par les marchés qui ont fait
augmenter les spreads des Etats les plus touchés par la dégradation de leurs finances publiques. Conséquence : un
cercle vicieux de la dette publique. L’idée d’une règle d’or renvoie à la notion d’incohérence temporelle des
décisions publiques et à ses conséquences en termes de crédibilité. Adopter une règle d’or en l’inscrivant dans la
Constitution (ou dans la législation) est un signal adressé aux prêteurs visant à marquer la fin des comportements
opportunistes et incohérents. C’est un moyen de se lier les mains à partir de chaque constitution nationale.
La signature du Traité intervient dans une période de crise des dettes souveraines, il est présenté comme la
condition nécessaire pour la poursuite des aides aux pays en difficulté (le Mécanisme européen de stabilité). Face
aux difficultés de coordination rencontrées par le PSC, le Traité cherche à faire respecter à la fois la souveraineté
nationale en matière budgétaire et le respect des critères de déficits et de dette. Il s’appuie sur le pouvoir exécutif de
la Commission européenne et demande aux Etats d’intégrer dans leur cadre législatif national les critères de
finances publiques définis par l’ensemble des Etats membres de la zone euro. Les Etats doivent donc eux-mêmes se
« lier les mains ». En terme de critères de finances publiques, à la différence du PSC, le Traité de Stabilité met
l’accent sur le contrôle de la dimension « structurelle » du déficit. En effet, compte tenu de la conjoncture, l’état
des finances publiques peut évoluer, il faut donc pouvoir tenir compte de cette dimension conjoncturelle et observer
le déficit sous sa forme structurelle.
Les critères de finances publiques dans le TSCG :
- Une dette publique qui ne dépasse pas 60% du pib ;
- Un déficit public (au sens de Maastricht) qui ne dépasse pas 3% du pib ;
- Un déficit structurel (incluant les investissements et lissés des variations conjoncturelles) ne dépassant pas
1% du pib (lorsque la dette publique est inférieure à 60% du pib) ou 0,5% du pib (lorsque la dette publique est
supérieure à 60% du pib).
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Document 93 : la seule solution pour les Etats touchés par une crise, la dévaluation interne
Il est possible de contrer le choc asymétrique par une relance des exportations sans dévaluer le taux de change
nominal de la monnaie, mais en s’attaquant au taux de change réel, c’est-à-dire au niveau des prix des facteurs de
production de l’économie nationale, ce que l’on appelle une « dévaluation interne ». Pour gagner ainsi de la
compétitivité pour les exportations, il faut qu’il soit possible de faire baisser les salaires et les autres coûts de
production dans l’économie nationale (énergie, composantes, télécoms, …). Cette flexibilité à la baisse des salaires
et des prix n’est jamais totale, car il existe une série de dispositions législatives qui fixent certains prix et salaires.
(…) Ce degré de flexibilité peut donc varier considérablement d’un pays à l’autre selon leur législation sociale, leur
politique de la concurrence et leur degré d’ouverture commerciale.
La mobilité du travail est le critère développé dans la théorie originelle de Mundell. Un pays qui est touché par un
choc asymétrique verra son chômage augmenter. Si les travailleurs de ce pays peuvent librement se déplacer dans
le pays voisin de l’union monétaire qui n’est pas touché par ce choc, alors une dévaluation n’est pas nécessaire
pour résorber le chômage. Ainsi bien qu’aux Etats-Unis, certains Etats n’ont pas de forte synchronisation de leurs
cycles d’affaires, la forte mobilité de la main d’œuvre entre Etats permet d’absorber plus facilement les chocs
asymétriques subis par certains Etats.
Est-ce que l’Etat touché par un choc asymétrique peut le contrer par un programme de relance des dépenses
publiques ? Un choc a généralement a pour effet de fortement dégrader les finances publiques du fait des
stabilisateurs automatiques (allocations de chômage, soutien aux entreprises, pertes de rentrées fiscales liées à la
baisse de revenus). Si la dette publique du pays est déjà élevée et que son déficit commercial s’aggrave avec la
récession causée par le choc, ce pays pourra difficilement faire financer un programme de relance par les dépenses
publiques. En effet, les marchés financiers craindront le risque d’un défaut de paiement ou d’une sortie de l’union
monétaire, et d’une dévaluation. Cet Etat devra alors emprunter à des taux prohibitifs, ce qui l’empêchera de
résorber le choc par des dépenses publiques. C’est ce qui s’est produit en 2010 pour la Grèce. (…) Il est toutefois
possible au sein d’une union monétaire d’envisager des mécanismes de transferts financiers entre les Etats. Les
pays qui ne seraient pas touchés par ce choc seraient alors solidaires du ou des pays en récession et leur verseraient
des transferts pour leur permettre de contrer le choc par un programme de relance par les dépenses publiques. Ce
mécanisme existe déjà à l’intérieur de la plupart des grands pays où certaines régions peuvent subir des chocs
asymétriques. C’est l’Etat central (par exemple l’Etat fédéral américain) qui réduit les taxes et augmente les
dépenses publiques des régions touchées par un choc asymétrique et il répercutera le coût de ces mesures sur les
autres régions du pays. Ce mécanisme suppose donc l’acceptation politique d’une solidarité financière par tous les
pays de l’union monétaire. Cette dernière sera d’autant plus difficile à accepter si les chocs asymétriques sont
récurrents dans certains Etats membres de l’UM et pas dans d’autres.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.478-529
Document 94 : le rééquilibrage de la balance courante passe par une contraction de la demande intérieure
Lorsque les pays sont touchés par la crise de balance des paiements, ils ne peuvent plus financer leurs déficits
extérieurs. (…). On doit donc s’attendre à ce que les pays en difficulté doivent faire disparaître le déficit de la
balance courante, c’est-à-dire rééquilibrer l’offre et la demande de biens et services exportables, c’est-à-dire en
particulier de produits industriels. A long terme ceci peut se faire par des politiques de l’offre qui stimulent la
capacité de production, mais à court terme, ceci ne peut se faire que par la baisse de la demande intérieure de
produits industriels, c’est-à-dire par la perte de pouvoir d’achat. La récession européenne (on attend une croissance
en 2012 de -3% au Portugal, -2% en Espagne en Italie, -5% en Grèce) s’explique fondamentalement par la
nécessité de ramener la demande intérieure au niveau de la capacité de production, ce qui exige des politiques
budgétaires restrictives, une baisse des salaires réels, et une hausse des taux d’intérêt. Cette nécessité de récession
inévitable explique les craintes d’éclatement de la zone euro. »
Source : Patrick Artus et Isabelle Gravet « La crise de l’euro. Comprendre les causes. En sortir par de nouvelles institutions »,
A .Colin (2012)
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Document 95
Source : Natixis, Flash Economie n°510
Document 96
A la fin du 20ième siècle, l’intégration européenne s’est accélérée : le passage au marché commun et la mise en place
de la monnaie unique ont transformé une CEE des 12 en UEM des 28. L’UEM a fabriqué de l’hétérogénéité des
économies et a conduit les balances courantes des Etats membres à diverger jusqu’au déclenchement des crises des
dettes souveraines en 2011. Si les pays européens souhaitent garder un marché commun, et certains d’entre eux une
monnaie unique, l’existence de cette hétérogénéité est consubstantielle au fonctionnement de l’UE : il n’est pas
possible d’empêcher les dynamiques d’agglomération. La question est alors de savoir comment compenser cette
hétérogénéité, en particulier lorsqu’elle concerne une zone monétaire, la zone euro. En 2009, Jean Pisani-Ferry
(Commissaire général de France Stratégie) écrivait déjà « Si les forêts brûlent en Grèce, l'Union européenne peut
intervenir au titre de l'aide face aux catastrophes naturelles. Mais si un pays de la zone euro est confronté à une
crise de balance des paiements ou à un défaut de paiement, nous n'avons pas d'outils ».
La théorie des zones monétaires indique qu’il existe trois possibilités pour compenser un choc qui affecte une
région de la zone :
Soit la population active est très mobile dans toute la zone monétaire : elle quitte la région où le chômage
augmente pour aller là où le chômage est faible. Les chocs asymétriques se compensent par la mobilité
géographique de la population. Ce n’est pas la caractéristique de la zone euro ;
Soit il existe un gouvernement fédéral qui assure des transferts des régions les plus riches vers les régions
les plus pauvres afin que ces dernières puissent financer leur déficit courant et ainsi maintenir le niveau de leur
demande. C’est ce que fait par exemple l’Etat fédéral aux Etats-Unis. P.Artus et I.Gravet rappellent ainsi qu’en
2010, la balance commerciale du New Jersey est déficitaire de 15,7% de son PIB, que celle de la Californie est
déficitaire de 9,7% de son PIB. Ces déséquilibres sont nettement supérieurs à ceux que connaissent les pays de la
zone euro. Cette solution n’est également pas celle de l’UE. Il n’y a pas de fédéralisme budgétaire en Europe.
Soit la région cherche à rétablir sa balance courante afin de ne pas avoir à relâcher la contrainte du
financement externe. Pour cela, elle met en place une dévaluation « interne » : elle fait baisser son taux de change
réel, c’est-à-dire qu’elle va réduire le prix des biens qu’elle exporte par rapport à ceux des autres régions de la zone
monétaire. Cette dévaluation interne s’appuie sur une baisse des dépenses publiques et des salaires. C’est
exactement la solution mise en œuvre en Europe : les pays qui ont bénéficié des plans d’aide ont mis en place des
politiques d’austérité pour alimenter les mécanismes de dévaluation interne. Les balances courantes se sont
rétablies mais au prix d’une récession, voire d’une dépression, de l’activité. Ce mode dépressif de résolution des
déséquilibres courants rappelle celui de l’étalon-or.
Il apparaît donc qu’en l’état de son architecture et de son fonctionnement l’UEM ne peut qu’entraîner des situations
de dévaluation interne et d’appauvrissement des régions concernées par des déséquilibres courants.
L’intégration européenne ne peut donc en rester là.
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4.4 Quelles voies de sortie pour la zone euro ? Quel avenir pour l’UE ?
Document 97 : trois voies de sortie possibles
La première est celle de l’éclatement de l’UE et de la zone euro. Hypothèse peu crédible, elle a pourtant pris de
l’ampleur avec le « oui » au referendum britannique pour la sortie de l’UE en juin 2016.
La seconde est plus ambitieuse, et sans doute dans le contexte actuelle trop ambitieuse. Elle consiste à rapprocher
le fonctionnement de l’UE de celui des Etats-Unis. Dit autrement à créer un gouvernement et un budget fédéral à
partir duquel gérer les écarts de développement et d’hétérogénéité des territoires de l’Europe. Cela implique de
transférer des compétences budgétaires vers l’UE, comme cela a été fait pour la monnaie. Finalement, cette
solution nous renvoie au plan Werner de 1971. Le budget actuel de l’UE est essentiellement constitué de
contributions versées par les Etats. Il s’agit ici maintenant de créer une véritable capacité à lever l’impôt et à
émettre des titres publics, les eurobonds. Ce faisant, l’euro deviendrait une « monnaie complète » puisqu’il
existerait une demande mondiale de titre européen émis en euros, comme il existe une demande mondiale de titres
américains émis par le Trésor des Etats-Unis. Pour M.Aglietta, cela permettrait à l’euro d’acquérir un véritable
statut de monnaie internationale en devenant une monnaie internationale de réserve. Au final, le fédéralisme
budgétaire permettrait de faire fonctionner une zone monétaire hétérogène sans crise de balance de paiements et
assoirait le poids de l’euro comme monnaie internationale. Il serait également l’expression de la solidarité des
européens entre eux. Cette solution se heurte pourtant au déficit de légitimité que subissent les institutions
politiques européennes. Il est peu probable que les peuples européens acceptent de transférer plus de pouvoirs
politiques à des institutions dont la crédibilité ne cesse de chuter. Si l’Europe apparaît toujours comme vecteur de
paix, elle n’est plus synonyme de croissance, bien-être et prospérité. C’est la panne de la stratégie des petits pas
(Schuman, Monnet) selon laquelle la dynamique d’intégration produit des « solidarités de fait » entre les nations
qui les conduisent à davantage d’intégration politique.
La troisième solution est moins ambitieuse, mais, peut être, plus pragmatique. A défaut d’une Europe fédérale, il
est possible de réaliser des transferts budgétaires entre Etats membres en communautarisant certaines dépenses. Ce
peut être par exemple le cas d’un système d’assurance chômage. La création d’un marché du travail européen
permettrait aux différentes régions européennes d’encaisser plus facilement des chocs asymétriques. Cela peut
également passer par le développement des dépenses européennes dans les « investissements sociaux » par exemple
la santé, l’enfance, l’éducation et la formation qui font croître le capital humain. En effet, les régions les plus
touchées par la crise de l’euro sont celles où ces dépenses sont les moins importantes. La construction d’une
Europe sociale apparaît donc comme une condition de fonctionnement pérenne de l’UEM.
Document 98 : l’absence d’un budget fédéral européen est un handicape
Jusqu’à maintenant, l’UE a maintenu le mythe d’un objectif de convergence. Les politiques mises en œuvre,
conformément d’ailleurs aux principes du Traité de Rome, visaient à favoriser la convergence des niveaux de vie et
des structures industrielles, pour arriver à un « développement harmonieux ». Or, l’intégration commerciale et
monétaire a produit les effets qui sont les siens : elle a renforcé les spécialisations et généré un mouvement de
concentration des activités à rendements croissants vers le cœur du marché. Sans compter que le maintien d’une
relative dispersion des activités industrielles au niveau européen a un coût en termes de croissance : elle interdit
l’émergence de pôles d’activités spécialisés, disposant de la taille critique pour générer des externalités fortes. Cet
argument a d’ailleurs conduit l’UE à réorienter des objectifs politiques et à mettre en place les stratégies de
Lisbonne et UE2020, où l’objectif de cohésion passe au second plan pour laisser la place à des politiques de
croissance et d’emploi pour l’ensemble de l’UE.
La question pour l’UE, et plus encore pour la zone euro, n’est alors pas tant de savoir comment forcer l’ensemble à
devenir plus homogène que d’apprendre à gérer l’hétérogénéité des situations nationales. Cela passe, effectivement
par la mise en place de politiques industrielles (au sens large, ie incluent tous les secteurs des services) ambitieuses,
coordonnées, mais aussi plus libres, pour pouvoir s’adapter aux différentes situations nationales. Cela passe surtout
par des politiques macroéconomiques coordonnées et le développement des mécanismes de stabilisation : mobilité
des travailleurs, portabilités des droits et transferts.
L’intégration ayant généré les problèmes actuels liés à la divergence des pays, le choix est aujourd’hui relativement
simple : soit ralentir la marche vers le fédéralisme en renonçant à l’intégration de tous les pays sur un pied
d’égalité, soit se doter des outils politiques du fédéralisme pour en traiter les maux.
Source : Matthieu Crozet « Les défis de l’hétérogéneité de l’UE » in RCE n°11 juin 2012
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Document 99 : le fédéralisme budgétaire, une réponse face au déséquilibre structurel « normal » des
balances courantes dans la zone euro
Le problème essentiel pour nous est de rendre compatibles les institutions de la zone euro avec l’hétérogénéité
« normale » de long terme. L’hétérogénéité normale des pays résulte de la spécialisation productive qui s’opère en
fonction des avantages comparatifs, des dotations en facteur de production. Les pays disposant de beaucoup de
main d’œuvre qualifiée, de capital et réalisant beaucoup d’innovation se spécialisent naturellement dans l’industrie
et les services exportables haut de gamme. (…) Il faut que les institutions de la zone euro soient compatibles avec
cette situation ; or, ce n’est pas le cas ; en l’absence de fédéralisme, c’est-à-dire de transferts de revenus organisés
entre les pays, les pays de la zone euro sont condamnés à l’équilibre extérieur de leur balance courante.
En effet, s’ils se spécialisent dans les services non exportables, ils ont nécessairement un déficit extérieur. Ce
déficit extérieur n’est pas compensé par des transferts de revenus liés au fédéralisme et conduit donc à une dette
extérieure insuffisante, d’où une crise de solvabilité et une crise extérieure. Dans une union monétaire sans
fédéralisme, les pays sont soumis à la contrainte d’équilibre extérieur, ce qui est incompatible avec le processus
normal de spécialisation. Si les institutions restent semblables, c’est-à-dire continuent à imposer l’équilibre
extérieur des pays de la zone euro, il n’y aura pas d’autre solution pour ces pays que de comprimer leur demande
intérieure et leur pouvoir d’achat jusqu’au point où leur déficit extérieur disparaît. (…) Les déséquilibres imposent
le fédéralisme, seul moyen de compenser les déséquilibres de balance courante par des flux de revenus entre pays.
Sans cette évolution vers le fédéralisme, il ne peut y avoir qu’éclatement de l’euro, les pays de la zone euro étant
pris entre la nécessité d’équilibrer leurs comptes extérieurs et celle de respecter la spécialisation productive
conforme à leurs avantages comparatifs et à leurs dotations en facteurs de production. le fédéralisme est sans
conteste la seule réponse possible à la crise actuelle. C’est même la condition sine qua non de toute union
monétaire.
Source : Patrick Artus et Isabelle Gravet « La crise de l’euro. Comprendre les causes. En sortir par de nouvelles institutions »,
A .Colin (2012), p.143
Document 100 : le fédéralisme budgétaire aux Etats-Unis
Source : Patrick Artus et Isabelle Gravet « La crise de l’euro. Comprendre les causes. En sortir par de nouvelles institutions »,
A .Colin (2012), p.143
Document 101 : arguments économiques et politiques en faveur du fédéralisme budgétaire
Les dispositifs de coordination ont été conçus pour prendre acte de l’absence d’un budget fédéral qui accomplirait
au niveau communautaire la fonction de stabilisation conjoncturelle. Le choix de ne pas doubler l’euro d’un budget
fédéral a été fait en 1990-1991 pour des raisons politiques : l’union monétaire constituait déjà un bond dans la
direction du fédéralisme, à la limite de ce que pouvaient accepter des gouvernements et des opinions publiques
attachés au maintien de la souveraineté nationale. La marge étroite du « oui » français au Traité de Maastricht
(1992) comme la décision de trois pays européens de ne pas rejoindre l’euro, et dans les années 2000, le « non » de
plusieurs pays au projet de traité constitutionnel en ont témoigné. Or, la capacité de lever l’impôt, le rôle du
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Parlement en matière budgétaire sont, comme la monnaie, des attributs essentiels de la souveraineté. Toute
évolution en ce sens est donc conditionnée par une évolution des Européens en faveur d’un fédéralisme accru.
Ceci étant posé, y a-t-il des arguments économiques en faveur du fédéralisme budgétaire ? Tout dépend du type de
redistribution qui serait alors mis en place entre le niveau fédéral et les Etats. Aux Etats-Unis, Sachs et Sala-iMartin ont estimé que cette redistribution permet d’amortir à hauteur de 30% à 40% l’impact budgétaire des chocs
économiques qui affectent les Etats, mais cette évaluation est discutée. En outre, un système de transferts du niveau
fédéral vers les Etats pourrait rapidement devenir un système de redistribution permanente concurrent des
politiques régionales comme les fonds structurels ou le fonds de cohésion et difficilement acceptable politiquement.
En revanche, d’autres motifs que la stabilisation conjoncturelle peuvent conduire à la montée en puissance du
budget européen. Dans des marchés de plus en plus intégrés, un nombre croissant de fonctions régaliennes
(sécurité, protection du consommateur, autorité de régulation des marchés), sont désormais assurées au niveau
communautaire. Dans certains secteurs très intégrés ou comportant une dimension transnationale naturelle (par
exemple, les transports) on peut très bien imaginer que le service public soit partiellement financé au niveau
européen. Par ailleurs, la crise de 2008-2009 a montré la nécessité de renforcer le fédéralisme dans le domaine de la
surveillance financière (…). Enfin, puisque la protection de l’environnement constitue un bien public commun, le
principe d’une écotaxe européenne pourrait s’imposer naturellement dans les secteurs non couverts par le marché
des droits d’émission, à l’image de la « taxe carbone ».
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014
Document 102 : développer un véritable policy-mix européen
La zone euro doit se doter d’une autorité budgétaire permanente, munie d’outils d’analyse et de surveillance des
politiques budgétaires nationales dans le cadre d’une procédure complètement renouvelée d’élaboration des
budgets nationaux (…). Cela revient à une souveraineté partagée sur le budget agrégé de la zone euro ; ce qui
permet de dialoguer avec la BCE pour élaborer un policy mix européen. La banque centrale doit avoir une doctrine
monétaire renouvelée en prenant explicitement en compte la stabilité financière dans son mandat. Sur cette base, il
sera possible d’émettre des eurobonds. L’ensemble de ses transformations politico-institutionnelles doit être tourné
vers le seul objectif à long terme qui puisse stopper le déclin de l’Europe : redresser la croissance potentielle. (…)
Il faut à la fois relever la croissance potentielle de l’ensemble de la zone euro et concevoir des politiques
industrielles capables de contrecarrer les forces centrifuges qui rendent une partie de la zone euro non compétitive
dans l’espace d’une monnaie unique. On peut renoncer à combattre la polarisation qui s’est produite et instituer une
union de transferts, comme à l’intérieur de certains pays. L’Etat transfère du revenu des zones riches qui ont profité
de la polarisation des activités modernes vers les zones défavorisées qui en ont été victimes, solidarité
complètement justifiée par la cohésion de la nation. C’est toute la question de l’acceptation du vivre ensemble qui
ne s’est pas manifesté jusqu’ici à l’échelle européenne. Si la zone euro doit être le pivot du projet européen, une
mise en commun des politiques budgétaires est certes nécessaire pour maîtriser les dérapages financiers, mais aussi
des mécanismes de transfert, indispensables pour que l’euro devienne une monnaie complète. »
Source : Michel Aglietta «Zone euro. Eclatement ou fédération » Michalon 2012, p.124
Document 103 : une coordination entre Etats pour réguler la formation des déficits extérieurs mais aussi les
transferts entre régions à capacité/besoin de financement
Dès sa conception en 1997, le Pacte de Stabilité a été fortement débattu par les économistes. De ce débat, mais
aussi de l’incapacité de l’Allemagne et de la France à le respecter lors de la crise de 2002-2004, est née la réforme
du Pacte en 2005. Parallèlement, des efforts ont été faits pour mieux organiser institutionnellement la coordination
des politiques macroéconomiques, grâce en particulier au renforcement de la présidence de l’Eurogroupe. La crise
de 2008-2009 a cependant mis en lumière la faiblesse récurrente de ces dispositifs : certains pays, comme la France
ou la Grèce, ont abordé la crise avec des finances publiques précaires ; d’autres, comme l’Espagne et l’Irlande ont
respecté le PSC mais laissé se développer des déséquilibres macroéconomiques majeurs ; tous, à des degrés divers,
ont ignoré le risque macrosystémique résultant des prises de risques excessives au sein du système financier ; enfin,
la zone euro a manqué d’un dispositif pour réagir de manière coordonner à la crise. La crise a ainsi montré
l’importance d’une coordination plus étroite des gouvernements. La nécessité de cette coordination ne faisait pas
consensus avant la crise. (…) La crise a montré l’importance d’une coordination en amont pour empêcher
l’accumulation des déséquilibres macroéconomiques et financiers, mais aussi en aval, pour résorber les déficits
budgétaires sans étouffer dans l’œuf la reprise économique ni relancer les anticipations inflationnistes.
Parallèlement, la nécessité d’une coordination entre les gouvernements et la BCE est apparue moins essentielle, la
BCE ayant finalement montré sa capacité à gérer la crise financière dans le cadre de son mandat et sans attendre les
gouvernements.
ESH ECE2 Camille Vernet
Nicolas Danglade 2016-2017
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Plus que jamais, la zone euro se caractérise par un modèle hybride entre une coopération entre Etats (pour les
questions budgétaires, pour la surveillance prudentielle) et une fédération (pour la monnaie). Une solution serait
d’aller jusqu’au bout du chemin en rendant contraignante la coordination des politiques budgétaires, soit en
introduisant des règles automatiques, soit en allant jusqu’au fédéralisme budgétaire.
Source : A.Bénassy-Quéré et B.Coeuré « Economie de l’euro », La découverte, 2010, p.71-92
Document 103 : synthèse
L’Europe économique c’est d’abord l’Europe sans frontières intérieures du marché commun. Projet lancé par le
Traité de Rome en 1957, il faut attendre les années 1980 et l’Acte unique (1986) pour que les obstacles qui freinent
les échanges de biens, services, capitaux et personnes soient peu à peu éliminés par les Etats membres, sans
toutefois complètement disparaître. Les économies européennes sont plus intégrées, mais de nombreux effets
frontières subsistent encore.
L’Europe économique c’est aussi l’Europe des politiques communautaires. La première, aujourd’hui, est la
politique européenne de la concurrence. L’UE, devenue le plus grand marché intérieur du monde, se dote d’une
politique capable de réguler la concurrence en empêchant les comportements déloyaux des entreprises mais aussi
des Etats. La seconde, pendant longtemps la plus importante, est la Politique agricole commune. Conçue sur le
principe d’une politique sectorielle interventionniste, son poids dans le projet européen a décru même si elle reste
encore un élément prépondérant du budget de l’UE.
L’Europe monétaire est un projet qui remonte à la fin des années 1960 et l’agonie du SMI de Bretton Woods. Les
membres de la CEE considèrent que le régime de change flottant pénalisent les échanges mais aussi le
fonctionnement de la PAC. Dès 1971, ils s’organisent autour de systèmes de change fixe : le serpent monétaire puis
le système monétaire européen. Avec la relance du marché commun en 1986, la nécessité d’une monnaie unique
s’impose. Elle est entérinée par le Traité de Maastricht de 1992. La création de l’euro nécessite de repenser
l’articulation entre la politique monétaire unique et les politiques budgétaires nationales et conduit à la coordination
par des règles des politiques budgétaires des Etats membres de la zone euro.
L’UEM se caractérise donc par un marché commun, une monnaie unique, des politiques européennes et une
coordination des politiques budgétaires.
La réalisation de l’Union économique et monétaire a pour objectif de stimuler la croissance et à renforcer
l’intégration des économies des pays membres. Le renforcement progressif des interdépendances économiques a
conduit les Etats à envisager toujours plus d’intégration politique. La dimension supranationale de l’Europe s’est
ainsi largement développée depuis le Traité de Rome, confirmant en cela les espoirs des pères fondateurs
fédéralistes du projet européen comme Schuman et Monnet. La situation contemporaine marque une nouvelle étape
dans l’évolution de l’UE. La zone monétaire formée par l’euro n’est pas une zone monétaire optimale et la
dynamique d’intégration l’en éloigne de plus en plus. Or, les caractéristiques de fonctionnement de l’UE ne
permettent qu’une seule solution pour résoudre les problèmes que pose l’usage d’une même monnaie dans des
territoires hétérogènes : les politiques de dévaluation interne. Ces politiques ont un coût économique et social tel
qu’elle sont légitimement rejetées par les européens qui les subissent. La crise de l’euro qui débute en 2010 et n’est
toujours pas terminée en 2016 marque un moment crucial dans l’avenir du projet européen. Peut-on encore affirmer
comme J.Monnet « l’Europe se fera dans les crises » ? L’essor de l’europhobie ne permet pas d’assurer avec
certitude que l’Europe va encore avancer en répondant aux failles responsables de la crise de l’euro. Le risque
aujourd’hui est que la stratégie « des petits pas » se transforme en un grand bond en arrière.
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ESH ECE2 Camille Vernet
Nicolas Danglade 2016-2017
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