Module 3 La mondialisation _conomique et

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Module 3 La mondialisation économique et financière
L’intégration européenne
L’Europe sociale
1. Les dimensions de l’intégration sociale : du Traité de Rome (1957) au Traité de Lisbonne
(2007)
1.1 L’évolution des objectifs et des moyens utilisés pour réaliser l’Europe sociale
Document 1 : dans le cadre du traité de Rome
Dans le traité de Rome (1957), la dimension « sociale » de l’intégration européenne est prise en compte de trois
manières :
La première traite la question du progrès social sous l’angle de la croissance économique à partir de
l’axiome suivant : l’intégration économique stimule la croissance, la croissance permet le rattrapage des pays en
retard et l’amélioration des conditions de vie des habitants de tous les pays membres. Ici, il n’y a pas de politique
sociale en tant que telle, le progrès social est une conséquence attendue de la croissance ;
La seconde fait de la politique sociale un élément de la politique de la concurrence. En supprimant les
barrières douanières entre pays membres, les législations sociales nationales ne doivent pas avantager les
entreprises domestiques au détriment de celles des pays partenaires. En permettant une concurrence juste et loyale,
la CEE s’attaque donc indirectement à la question du risque de « dumping fiscal et social » ;
La troisième s’appuie sur une compétence « sociale » donnée à la CEE : la lutte contre les discriminations
hommes/femmes. Ainsi les ouvrières de la Fabrique nationale d’armes d’Herstam en Belgique obtiennent en 1966
l’égalité de leur rémunération avec les hommes en vertu de l’application de l’article 119 du traité de Rome. Le droit
social communautaire se développe peu à peu.
Document 2 : un exemple de conflit du travail s’appuyant sur le droit européen
En février 1966 a lieu la grève des ouvrières de la Fabrique nationale d’armes d’Herstam en Belgique. Le motif du
conflit est simple : l’inégalité des salaires entre hommes et femmes pour des tâches identiques. (…) Pour la
première fois la revendication d’égalité des rémunérations prend forme d’une exigence de respect et d’application
de l’article 119 du Traité de Rome sur l’égalité de traitement hommes-femmes. L’aboutissement du conflit donnera
que partiellement satisfaction aux ouvrières, mais il aura des effets considérables sur la nature du discours social
européen. En effet, les nombreuses délégations syndicales des différents pays membres venues pour soutenir le
mouvement, vont également appuyer la demande des ouvrières de faire respecter les articles sociaux du traité de
Rome. (…) Les tensions sociales qui accompagnent la croissance économique vont donc également contribuer à la
définition du droit social communautaire naissant qui, de simple auxiliaire du marché commune, devient
progressivement exigence de justice sociale.
Source : J.Y.Letessier, J.Silvano et R.Soin « L’Europe économique et son avenir », Cursus, 2008, p. 233-273
Document 3 : à partir des années 1960, l’objectif de cohésion sociale des territoires
A partir des années 1960, la Commission européenne déclare qu’elle souhaite « promouvoir un acheminement
progressif vers une politique régionale susceptible de réduire les écarts entre les niveaux de développement des
diverses régions de la Communauté ». La Commission européenne estime donc que le rattrapage des régions en
retard n’est pas « spontané » et que l’intervention de la puissance publique est nécessaire. La convergence n’est
donc plus considérée comme le résultat automatique et naturel de la croissance économique. Elle devient un
objectif de la politique sociale de l’Europe. Le développement de la politique régionale donne ainsi une nouvelle
dimension à l’Europe sociale à travers l’objectif de lutte contre les inégalités territoriales.
Durant les années 1960, le poids de cette politique dans le budget de l’UE est très modeste. Ses instruments sont la
Banque européenne d’investissement (qui finance des dépenses d’infrastructures), le Fonds social européen (qui
octroie des fonds pour lutter contre le chômage), et une partie du budget de la PAC (qui est utilisée pour assurer le
développement et la modernisation des territoires ruraux).
Avec les élargissements des années 1970 et l’accélération de la désindustrialisation des économies européennes, cet
objectif de cohésion sociale se renforce. Lors de leur entrée dans la CEE, les britanniques, peu concernés par la
PAC, négocient la création du FEDER (Fonds européen de développement régional) en 1974. Au tournant des
années 1970/1980, le contexte est différent de celui des années 1960 : la croissance faiblit et le chômage progresse.
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La politique sociale européenne n’est plus seulement une politique de rattrapage des régions en retard, elle a aussi
pour objectif de permettre le retour sur le marché du travail des populations les plus fragiles.
Document 4 : l’essor de la politique régionale et sociale (politique de cohésion)
Dès les années 1960, la Commission déclare qu’elle souhaite « promouvoir un acheminement progressif vers une
politique régionale susceptible de réduire les écarts entre les niveaux de développement des diverses régions de la
Communauté ».
Certes, il est déjà possible à cette époque d’effectuer des transferts vers les régions les plus pauvres de manière
indirecte par le biais de projets spécifiques de certaines institutions européennes qui sont créées en même temps
que le Marché commun. Ainsi la Banque européenne d’investissement (BEI) offre des prêts pour réaliser des
projets d’infrastructures qui peuvent bénéficier aux régions les plus défavorisées. Le Fonds social européen (FSE),
octroie des fonds pour lutter contre le chômage. Le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA)
qui vise à financer des projets d’adaptation des structures agricoles et de développement rural cible généralement
les régions les plus pauvres comme le sud italien. Toutefois, l’ensemble de ces fonds qui sont transférés vers les
régions les plus pauvres ne s’élève qu’à 3% du budget européen en 1970.
La donne change avec l’entrée de la Grande Bretagne en 1973. Elle ne possède qu’un très petit secteur agricole et
est donc contributrice nette de la PAC qui consomme plus de 90% du budget européen en 1970, soit environ 0,72%
du PIB de la CEE. En soutenant la création d’une politique régionale de cohésion dont ses régions pauvres sont
bénéficiaires (Pays de Galles, Irlande du Nord), elle obtiendra 28% du budget de la politique régionale en 1974. Le
gouvernement britannique réduit ainsi sa contribution nette au budget de la CEE. Le Fonds Européen de
développement régional (FEDER) est accepté en 1974. La politique régionale prend progressivement une part aussi
importante que la PAC dans le budget européen, les sommes allouées aux deux politiques grevant 75% du budget
européen. Avec les élargissements de 1981 et 1986, les nouveaux Etats membres en deviennent les principaux
bénéficiaires.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.400-465
Document 5 : la politique de cohésion sociale, accentuée par les élargissements des années 1970/1980
Avec la crise, la logique en place qui n’envisageait le social qu’en termes de progrès, de surcroît issu d’une
croissance économique qui s’essouffle, se trouve rapidement débordée. Les termes dans lesquels se posent
désormais les questions sociales se modifient radicalement puisqu’il ne s’agit plus de répartir les gains d’une
croissance soutenue et durable mais de préserver dans un contexte de croissance rapide du chômage et de récession
les droits sociaux des individus.
Dans ces conditions de croissance défaillante, l’économie n’étant plus en mesure d’assurer son rôle de moteur du
social, c’est en termes de politiques sociales que les Etats membres et les institutions européennes devront repenser
les questions sociales et poser les principes d’un véritable programme social communautaire.
Là réside, sans doute, l’origine de la mise en place progressive d’un ensemble de normes, d’objectifs et de
principes sociaux dont la réunion permet de cerner la notion de « modèle social européen ».
Source : J.Y.Letessier, J.Silvano et R.Soin « L’Europe économique et son avenir », Cursus, 2008, p. 233-273
Document 6 : la volonté de prolonger l’UEM par une Europe sociale
Sous l’impulsion de Jacques Delors, la Commission européenne pense la mise en œuvre d’un programme social
communautaire, l’idée est d’associer à l’Europe économique et monétaire, une Europe sociale, en s’appuyant sur
les objectifs et outils déjà existants : lutter contre le chômage, aider les régions en crise et les populations agricoles
précaires, développer l’insertion professionnelle et la formation. La politique sociale consiste ici à faciliter la
participation de tous les européens au marché unique. Mais le cœur de ce que l’on a coutume d’appeler les
« politiques sociales » à savoir le droit du travail (nature des contrats, modalités de rémunération) et la protection
sociale (financement, couverture) relève toujours des prérogatives nationales sur lesquelles l’Europe n’a pas de
prise. Cette souveraineté nationale freine donc le développement d’un espace social européen puisque chaque Etat
établit ses propres règles et que finalement comme l’écrit Yannick L’Horty « la règle sociale européenne reste
largement l’exception nationale ».
Document 5 : à partir de l’Acte unique, l’approfondissement de la politique sociale européenne
L’Acte unique rentre en vigueur en 1987. Un pas décisif est franchi vers la définition de l’Europe sociale. (…) Cinq
objectifs ont été définis :
- une politique de développement des régions retardataires sur le plan économique et social ;
- une aide à la reconversion des régions industrielles en déclin ;
- la lutte contre le chômage de longue durée ;
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- l’insertion professionnelle des jeunes ;
- l’aide au maintien d’une population agricole aux revenus suffisants.
Un effort financier a été consenti, relayé par les trois grands fonds d’orientation structurelle à finalité sociale :
FEOGA pour l’agriculture, le Fonds social européen et le FEDER (1975) et qui est le véritable pivot de la politique
régionale communautaire.
L’avancée la plus significative est la signature de la Charte sociale de décembre 1989 qui précise les droits sociaux
fondamentaux. Mais il ne s’agit qu’une déclaration solennelle de portée surtout symbolique, et sans réelle portée
concrète. Enfin, le traité de Maastricht entrée en vigueur en 1994 a permis de donner une ampleur nouvelle à la
politique sociale européenne. Le champ des décisions a été élargi à de nouvelles compétences (conditions de travail
notamment) mais le principe de subsidiarité peut en même temps singulièrement amoindrir les possibilités d’action
de la Commission européenne dans le domaine social. En effet, le traité d’UE indique clairement qu’en vertu du
principe de subsidiarité, le social relève essentiellement des législations nationales.
Source : A.Figliuzzi « L’économie européenne », Bréal Thèmes et débats, 2008, p.110
Document 6 : la construction de « l’espace social européen » (J.Delors) à partir de l’Acte unique
La signature de l’Acte unique (1986) constitue la première étape de cette nouvelle approche du social. Elle doit
beaucoup à l’engagement de J.Delors qui appuie fortement la mise en place d’un « espace social européen » destiné
à accompagner la mise en place du Marché unique. Une place plus importante est ainsi faite à la politique sociale
dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail. (…) Le principe de la cohésion économique et sociale
devient un objectif européen à part entière, l’article 138 favorisant l’harmonisation des conditions de santé et de
sécurité sur les lieux de travail afin de contrer les pratiques de dumping social de la part d’entreprises tentées
d’utiliser les écarts de protection sociale des travailleurs comme argument de compétitivité. (…) En 1989,
l’adoption de la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, confirme l’importance croissante prise par
les questions sociales. (…) Avec le Traité de Maastricht (…) une nouvelle impulsion est donnée : la cohésion
sociale devient un objectif à part entière de l’Union : les tâches du Fonds social européen sont précisées : le droit à
l’éducation et à la formation professionnelle pour tout citoyen européen est affirmé. (…) Par ailleurs, pour la
première fois, le vote à la majorité qualifiée est étendu aux conditions de travail et à l’égalité des chances. (…) Le
Traité d’Amsterdam en 1997 (…) intègre un protocole social avec la stratégie européenne pour l’emploi et des
initiatives contre les diverses discriminations. (…) Par la suite, le Traité de Nice (2000) adopte la Charte des droits
sociaux fondamentaux qui étend les droits des citoyens européens. Un comité pour la protection sociale est créé,
afin de favoriser l’harmonisation des systèmes sociaux. La stratégie de Lisbonne (2000) qui cherche à
« promouvoir l’économie de la connaissance la plus compétitive et dynamique du monde capable (…) d’une plus
grande cohésion sociale » élabore comme outil de coordination des politiques des Etats membres en matière
d’emploi, d’inclusion sociale, de retraite et de protection sociale : la méthode ouverte de coordination. Son
fonctionnement repose sur la base d’un processus d’échange et d’apprentissages mutuels, (…) des actions
communautaires pour promouvoir une plus grande cohésion sociale. Toutefois son caractère est peu contraignant.
Source : J.Y.Letessier, J.Silvano et R.Soin « L’Europe économique et son avenir », Cursus, 2008, p. 233-273
Document 7 : La Charte sociale européenne et la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs
En 1950, le Conseil de l’Europe signe la Convention européenne des droits de l’homme qui a pour but de protéger
les libertés fondamentales et les droits de l’homme.
En 1961, le Conseil de l’Europe signe la Charte sociale européenne. Il s’agit d’élargir au domaine social les droits
fondamentaux établis par la Convention européenne des droits de l’homme. Cette charte concerne notamment la
santé, l’éducation, le logement mais aussi les conditions de travail, le droit de grève, la convention collective, la
non-discrimination, la protection contre la pauvreté ou l’exclusion sociale.
En 1986, l’Acte unique rappelle l’importance des droits fondamentaux reconnus dans les constitutions et lois des
Etats membres ainsi que dans la Charte sociale européenne.
En 1989, le Conseil de l’Europe demande aux institutions de la Communauté européenne d’adopter la Charte
sociale européenne. Mais le Conseil européen préfère se doter de son propre texte, il s’agit de la Charte des droits
sociaux fondamentaux des travailleurs. Elle a été adoptée le 9 décembre 1989 lors du Conseil européen de
Strasbourg par 11 Etats membres sur 12 (le Royaume uni ne l’a pas signé).
La Charte sociale européenne et la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs sont mentionnées dans
l’article 151 du TFUE du traité de Lisbonne
Document 8 : la politique sociale et le projet européen
Une originalité du modèle social européen réside dans la diversité des niveaux de compétence et de décision qu’il
doit articuler. Son fonctionnement requiert de conjuguer en permanence le niveau communautaire avec les niveaux
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nationaux, régionaux, locaux, de la vie sociale. L’efficacité du système dépend des interactions entre ces niveaux.
(…) Le principe de subsidiarité organise la hiérarchie des initiatives sociales parmi ces acteurs, le niveau supérieur
n’intervenant que s’il est prouvé qu’il est mieux à même de conduire une action. (…)
Le modèle social européen peut donc être défini par un ensemble de valeurs communes aux pays de l’Union, par un
ensemble de régulations, de pratiques et d’instruments destinés à garantir et à promouvoir les droits sociaux des
citoyens européens et la cohésion sociale. Mais, le modèle social européen peut également être défini par son
caractère normatif, comme un idéal type vers lequel devraient tendre les systèmes sociaux des pays membres.
Angle d’observation qui permet, à rebours, d’évaluer la distance qui sépare chacun des systèmes sociaux nationaux
du modèle européen, de constater qu’ils n’en sont pas équidistants.
Le modèle social européen peut être présenté comme une construction des Etats membres visant à favoriser le
progrès social et le rapprochement des systèmes sociaux nationaux. Mais, dans le même temps, ces mêmes Etats
adoptent des positions politiques montrant qu’ils entendent maintenir leur autorité sur leurs propres systèmes
sociaux. Il existe donc une tension permanente (…) qui accompagne chaque pas de la construction sociale de
l’union.
Source : J.Y.Letessier, J.Silvano et R.Soin « L’Europe économique et son avenir », Cursus, 2008, p. 233-273
Document 9 : l’Europe sociale du Traité de Rome (1957) au Traité de Lisbonne (2007)
Qu’est-ce que l’Europe sociale ?
Les politiques« sociales » mises en
Quels sont ses objectifs ?
œuvres
Le
progrès
social
:
Les
questions
« sociales » qui sont
Le Traité de Rome (1957)
Une conséquence de la croissance
économique ; ie, un objectif de second rang
Années 1960
Réduire les écarts de développement entre
les régions
Années 1970 :
conséquence
élargissement + crise
Années 1980 : Acte
Unique
Réduire les écarts de développement entre
les régions et lutter contre les effets
territoriaux de la crise (désindustrialisation)
Années 1990 : Traité de
Maastricht
Années 2000 : Stratégie
de Lisbonne
Années 2000 : le Traité de
Lisbonne (2007)
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La politique « sociale » devient un objectif
de la Communauté européenne ; cette
politique reprend l’ensemble des objectifs
déjà développer : lutte contre le chômage,
aide aux régions en retard ; aide aux régions
en crise ; insertion professionnelle et
formation ; aide aux populations agricoles
précaires ;
Le vote à la majorité qualifiée est adopté
pour les questions sociales = sortir les
politiques sociales du vote à l’unanimité
Elle se fixe comme objectif de faire de
l’Europe la première économie de la
connaissance du monde dotée d’une plus
grande cohésion sociale
Quatre compétences « sociales » exclusives
de l’UE : la lutte contre les discriminations
sous toutes ses formes, la lutte contre
l’exclusion sociale, l’égalité des sexes et les
mesures d’incitation à l’emploi
traitées sont celles qui assurent le bon
fonctionnement du marché ; exception :
lutter contre les discriminations hommesfemmes
Mise en œuvre d’une politique
«régionale » (de cohésion des territoires)
Création BEI
Fonds social européen
Utilisation d’une partie du FEOGA pour
le développement rural
Création FEDER : fonds européen de
développement régional
Article 138 : harmonisation des
conditions de santé et de sécurité au
travail dans tous les pays de la
Communauté
1989 : adoption de la Charte des droits
sociaux fondamentaux
2000 : approfondissement de la Charte
des droits fondamentaux
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1.2 L’hétérogénéité des modèles sociaux nationaux en Europe : un frein à l’émergence d’une
Europe sociale
Document 10 : l’hétérogénéité des formes d’Etat-providence en Europe
La typologie des Etats Providence proposée par G.Esping-Andersen s’appuie sur une notion centrale : la démarchandisation. Celle-ci consiste à réduire la dépendance des individus aux risques associés au marché, et
notamment au marché du travail.
Un régime d’Etat providence se définit donc en fonction du degré de dé-marchandisation et des modalités qu’il
utilise. G.Esping-Andersen distingue ainsi le régime libéral, le régime social-démocrate, le régime continental et
plus récemment le régime méditerranéen.
Dans le régime libéral (Grande-Bretagne), l’institution centrale reste le marché, la protection sociale est universelle,
financée par l’impôt mais la redistribution qui en découle est faible. Le niveau de dé-marchandisation est réduit.
Dans le régime social-démocrate (Danemark), où la protection sociale est aussi universelle et financée par l’impôt,
l’institution centrale est l’Etat, et la redistribution réduit fortement les inégalités. La logique de démarchandisation
est cette fois beaucoup plus recherchée.
Dans le régime continental (France, Allemagne), l’Etat est également l’institution centrale, la logique de
démarchandisation forte, mais la protection sociale passe par les cotisations sociales. Elle est donc catégorielle. Elle
fournit des revenus de remplacement et au final elle impacte peu les inégalités.
Enfin, dans le modèle familialiste (ou méditerranéen : Espagne, Grèce, Portugal), la protection sociale repose sur
les familles. Elle est donc essentiellement privée et elle n’est pas en mesure de réduire les inégalités.
Document 11 : le recul de la domination des modèles continentaux et socio-démocrates avec l’entrée des
PECO
Jusqu’aux années 2000, le poids des régimes continentaux et socio-démocrates en Europe fait que, malgré leurs
différences, les européens sont majoritairement d’accord sur l’importance de la dé-marchandisation. Que ce soit
l’Etat par le biais de l’impôt, ou les caisses d’assurances sociales par le biais des cotisations sociales, les individus
sont protégés des risques sociaux par des institutions hors marché. Il existe un consensus pour penser que la
redistribution protège les individus, même si ses conséquences sur les inégalités sont différentes entre pays
sociaux-démocrates et continentaux (l’impact sur les inégalités de revenu est plus élevée dans le régime socialdémocrate que dans le régime continental). En ce sens, on peut dire qu’il existe un modèle social européen dans
lequel l’influence des régimes libéraux ou familialistes est minoritaire.
Mais l’entrée dans la décennie 2000 met fin à ce consensus. D’une part, parce que les nouveaux pays membres
adoptent les régimes d’Etat providence qui sont les moins redistributifs : le régime libéral et le régime familialiste.
D’autre part, parce que de nombreuses réformes sont menées pour réduire la durée et le montant des prestations
sociales (réformes Hartz en Allemagne par exemple). Le centre de gravité de l’Europe sociale se déplace, ce qui
affaiblit la conception jusqu’alors dominante du modèle social européen.
En conclusion, si l’Europe sociale a toujours été annoncée, elle peine à se réaliser. Ces difficultés sont exacerbées
aujourd’hui car il n’y a plus de consensus sur les objectifs à atteindre par l’Europe sociale et parce que les Etats
continuent de défendre le maintien de la souveraineté nationale en matière fiscale et de protection sociale.
Document 12 : l’attractivité du modèle libéral chez les nouveaux Etats membres
Les travaux de Cartapanis, Koulinsky et Richez-Battesti (2005) ont montré les effets du passage à une Union à 25
sur l’hétérogénéité sociale préexistante de l’Europe. Trois lignes directrices se dégagent de leurs travaux. En
premier lieu, ces pays durablement soumis à un régime de dé-marchandisation durant la domination soviétique (…)
vont nécessairement connaître une re-marchandisation de la protection sociale (…). En second lieu, cette
reconstruction sociale ne semble pas tendre vers l’ajout d’un nouveau type de modèle social qui viendrait s’ajouter
à ceux existants. Enfin, et c’est la conclusion la plus importante, ce sont les systèmes sociaux les moins portés sur
la redistribution qui exercent la plus nette attractivité, à savoir le modèle libéral anglo-saxon et le modèle
familialiste du Sud de l’Europe. En revanche, ni le modèle social-démocrate, ni le modèle continental (en dehors de
la Slovénie) ne semblent exercer d’influence significative sur les choix sociaux de ces pays. Autrement dit, si
l’intégration européenne des PECO est à faible conséquence économique, tel n’est pas le cas dans le domaine
social. (…) En isolant davantage le modèle social-démocrate des pays du Nord de l’Europe et en affaiblissant
l’attractivité du modèle continental, les derniers élargissements ont pour effet mécanique de renforcer
l’hétérogénéité sociale de l’UE. Par extension, le déplacement du centre de gravité social vers les modèles
britannique et latin contribue à affaiblir le modèle social européen, plus tourné vers les logiques de redistribution.
Source : J.Y.Letessier, J.Silvano et R.Soin « L’Europe économique et son avenir », Cursus, 2008, p. 233-273
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Document 13 :
Source : J.Y.Letessier, J.Silvano et R.Soin « L’Europe économique et son avenir », Cursus, 2008, p. 233-273
Document 14 : un recul accentué par la crise des systèmes de protection sociale
La crise des systèmes de protection sociale est essentiellement liée à :
- des causes conjoncturelles. Il existe bien une spécificité européenne du chômage face au dynamisme de
l’emploi américain, même si la situation à l’intérieure de l’Europe est assez diverse. (…) Dans tous les cas,
le chômage est aujourd’hui la principale cause de dégradation des comptes des systèmes de protection
sociale ;
- une cause structurelle : la démographie. L’Europe doit faire face à un déclin démographique et à un
vieillissement sans équivalent historique de sa population. (…) Cette situation, qui correspond à une
amélioration considérable des conditions de vie, suscite des inquiétudes sur l’évolution des systèmes de
retraite et de santé et sur leur capacité à faire face à l’incontournable croissance des dépenses. La
dégradation des comptes sociaux accentue la diversité et complique l’harmonisation sociale en Europe.
Certains pays s’orientent vers une libéralisation accrue des régimes de retraite (capitalisation), d’autres
restent attachés au principe de répartition.
Source : A.Figliuzzi « L’économie européenne », Bréal Thèmes et débats, 2008, p.108
1.3 L’Europe sociale, la jambe boiteuse de la construction européenne
Document 15 : Une Europe sociale, toujours annoncée, jamais réalisée
Deux régularités caractérisent le traitement de la question sociale depuis le début de la construction européenne :
textuellement présente dans tous les traités européens, elle n’est cependant jamais devenue une réalité tangible au
même titre que les réalisations économiques, monétaires et, dans une moindre mesure, politiques. L’Europe sociale
est tout à la fois constamment annoncée et à faire. (…)
Source : J.Y.Letessier, J.Silvano et R.Soin « L’Europe économique et son avenir », Cursus, 2008, p. 233-273
Document 16 : L’Europe sociale n’existe pas (Y.L’Horty)
La notion d’Europe sociale désigne l’ensemble des normes communautaires et des politiques sociales qui sont
communes aux différents pays de l’UE. Elle recouvre une vaste collection d’objets, dans les domaines de l’emploi,
de la mobilité, de la santé au travail, de la protection sociale ou encore de la lutte contre les discriminations. Pour
autant, relativement à l’étendue du champ du social, l’Europe sociale est une réalité qui reste à construire. Même si
les acquis communautaires ne doivent pas être négligés, on peut dire que, de manière générale, le social ne relève
pas de la compétence de l’Union mais de celle de chacun des États membres. L’Europe sociale est moins une
réalité communautaire qu’un projet politique.
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Document 17 : l’Europe sociale, « jambe boiteuse » de l’Europe (B.Magliulo)
Ainsi, le social apparaît comme la « jambe boiteuse » de l’Europe, selon l’expression de B.Magliulo. il suffit pour
s’en convaincre d’observer les cinq critères de convergence du traité de Maastricht, il n’y a aucun critère social. Ce
déficit d’avancée sociale tient sans doute à trois facteurs : la diversité des systèmes sociaux, reflet d’évolutions
historiques particulières ; l’extrême sensibilité des opinions publiques sur ces questions, avec en toile de fond, la
crainte d’une remise en cause d’acquis sociaux conquis de haute lutte ; les difficultés actuelles de la majorité des
systèmes sociaux confrontés aux conséquences de la crise financière et la dynamique démographique.
Source : A.Figliuzzi « L’économie européenne », Bréal Thèmes et débats, 2008, p.102
Document 18 : la faiblesse de l’Europe sociale
Au total, si le modèle social européen existe, les rapports de forces économiques et politiques de la dernière période
n’ont été favorable ni à l’ancrage de ses grands principes dans les pays membres, ni au rapprochement des systèmes
sociaux nationaux. Il semble même que la tendance ait plutôt été marquée par un renforcement de l’hétérogénéité
sociale de l’Union au bénéfice du modèle social néo-libéral anglo-saxon. Les conditions de la mise en place d’un
Pacte social européen, jamais réunies jusqu’à ce jour, paraissent s’éloigner dans un contexte politique où le social
demeure, plus que jamais, un complément du noyau dur de l’intégration économique et monétaire européenne.
Présenté comme horizon de l’UE, mais cible quotidienne de forces internes et externes de déconstruction, le
modèle sociale européen se trouve relégué au rang de composante formelle de la gouvernance européenne.
Pourtant, la poursuite du processus d’intégration européenne ne pourra se faire en dehors de la question sociale.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.204
Document 19 : mais l’approfondissement de la construction européenne ne pourra faire l’économie de la
question sociale
Présenté comme horizon de l’UE, mais cible quotidienne de forces internes et externes de déconstruction, le
modèle sociale européen se trouve relégué au rang de composante formelle de la gouvernance européenne.
Pourtant, la poursuite du processus d’intégration européenne ne pourra se faire en dehors de la question sociale.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.204
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2. L’Europe sociale, l’enjeu central de l’approfondissement de l’intégration européenne
Document 20
Le fonctionnement de l’UEM pose une série de problèmes dont la solution passe par la réalisation de l’Europe
sociale. Ces problèmes sont :
- La faible mobilité du travail qui éloigne la zone euro des caractéristiques d’une zone monétaire optimale ;
- Les écarts en investissement social (éducation, santé) et en R&D qui affectent la croissance potentielle
des pays de l’Europe du Sud et transforment ces économies en économie en besoin de financement ;
- Une agglomération géographique des activités qui enrichit certaines régions, dont certaines demandent
une séparation politique avec les autres régions plus pauvres ;
- Des inégalités croissantes entre régions européennes qui ne sont pas compensées efficacement par un
mécanisme de redistribution des revenus (le modèle social européen se veut plus égalitaire qu’aux Etats-Unis
pourtant, dans les faits, il corrige moins les inégalités qu’aux Etats-Unis) ;
- L’utilisation des stratégies non coopératives en matière sociale et fiscale afin d’améliorer (au détriment
des autres) ses performances économiques ;
La réalisation de l’Europe sociale devrait permettre :
- La création d’un véritable marché du travail européen avec la portabilité des droits sociaux dans toute
l’UE (notamment en matière de chômage) ;
- Des transferts budgétaires en matière d’investissement social et de R&D vers les régions les moins riches
(en besoin de financement) pour augmenter leur croissance potentielle ;
- Des transferts budgétaires à portée redistributive des régions les plus riches vers les régions les plus
pauvres pour réaliser l’objectif de cohésion et de solidarité européennes ;
Remarque : Mobilité du travail + transferts financiers vers les Etats à besoin de financement = deux éléments qui
permettent de faire face à la non optimalité de la zone euro et donc d’en améliorer le fonctionnement afin d’éviter
que les retraits brutaux de capitaux ne conduisent systématiquement à des dévaluations internes.
La réalisation de l’Europe sociale devrait aussi permettre :
- de fixer des règles sociales minimales, comme par exemple, un salaire minimum européen (calculé en
PPA) pour réduire les stratégies de dumping social ;
Avancer vers l’Europe sociale conduit donc à redéfinir les missions et les dépenses européennes, et donc aussi, les
recettes (c’est-à-dire à repenser le budget de l’UE). Pour cela, il faut donc que l’Europe soit en capacité de
préserver sa base fiscale et de supprimer les stratégies non coopératives de dumping fiscal. C’est pourquoi, la
construction de l’Europe sociale nécessite de s’attaquer aux situations de dumping fiscal qui concernent les grandes
firmes multinationales. Cela passe par une harmonisation des règles fiscales européennes (harmonisation dans la
manière de calculer l’impôt, ce que l’on appelle « l’assiette fiscale »). Cette réforme doit supprimer les incitations
au dumping fiscal : d’abord par l’harmonisation des règles (qui empêche de créer des règles nationales plus
favorables), ensuite par davantage de solidarité financière entre Etats (qui permet de mieux redistribuer les
richesses entre Etats et régions). Enfin, cette réforme pose la question du fédéralisme budgétaire : l’Europe sociale
sera d’autant plus efficace que le budget passant par l’UE sera important. Cela souligne donc la nécessité de
transférer certaines recettes et dépenses au niveau européen (principe de subsidiarité) et de distinguer, comme dans
le cas de la concurrence, une politique nationale et une politique européenne.
2.1 Le cloisonnement des systèmes de protection sociale : un frein à la mobilité du travail
Document 21
En Europe, les principaux obstacles à la mobilité demeurent les barrières linguistiques ; l’importance du marché du
travail caché (l’appariement via le réseau des relations sociales, personnelles et professionnelles) ; les barrières
réglementaires (dont l’accès aux professions réglementées), la non-reconnaissance des qualifications ; le manque
de lisibilité et de coordination des différents systèmes socio-fiscaux ; la non-portabilité des droits.
Malgré des acquis communautaires indéniables et des initiatives récentes, dont l’amélioration du réseau européen
d’aide à la recherche d’emploi (EURES), la portabilité des droits des travailleurs mobiles en Europe peut encore
progresser.
Source : France stratégie « Un contrat social pour l’Europe : priorités et pistes d’action », décembre 2014
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Document 22
Source : France stratégie « Un contrat social pour l’Europe : priorités et pistes d’action », décembre 2014
Document 23 : portabilité des droits, l’allocation chômage européenne, conditions nécessaires à la création
d’un véritable marché du travail européen
La non-portabilité des droits sociaux en Europe est un frein au bon fonctionnement de la zone euro. La mise en
place d’une allocation chômage européenne, ou bien de droits européens à la formation, pourrait être des outils
incitant à la mobilité professionnelle. L’objectif est donc de réaliser un marché du travail européen et de rendre la
zone euro plus résiliente aux chocs asymétriques. L’allocation-chômage serait également un instrument pour
réaliser une redistribution des régions les plus riches (où le chômage est faible) vers les régions les plus pauvres (où
le chômage est élevé).
2.2 Le décrochage des pays touchés par la crise de l’euro : un déficit d’investissement social et
en R&D
Document 24 : niveau d’investissement social selon les modèles sociaux européens en % du PIB, 2004-2012
Depuis 2007, la zone euro a accumulé un retard d’investissement important, par rapport aux États-Unis notamment.
À l’échelle européenne, les divergences de trajectoires nationales correspondent pour beaucoup à des différentiels
dans les investissements productifs et sociaux.
Les pays les plus en difficultés aujourd’hui sont ceux qui ont le moins investi au cours des années 1990 et 2000
dans l’innovation, la recherche et développement mais aussi dans le capital humain. Les dépenses d’investissement
social - en santé, petite enfance et conciliation vie professionnelle/vie familiale, éducation et formation, autres
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Nicolas Danglade 2016-2017
politiques actives du marché du travail - sont essentielles pour stimuler le potentiel de croissance et garantir la
soutenabilité des finances publiques. Leur niveau varie du simple au double entre le sud et le nord de l’UE,
d’environ 7-8 % à 15-16 % du PIB. Ces différentiels entraînent des effets cumulatifs très importants à moyen et
long terme.
Document 25 : depuis la crise, les politiques d’austérité menées dans les pays d’Europe du Sud accentuent la
dualisation des économies
Alors qu’il apparaît nécessaire de rééquilibrer les modèles de croissance et de moderniser les États providence
européens pour relancer les processus de convergence, depuis 2010, l’impact des plans d’ajustement a plutôt
contribué à creuser les écarts entre les pays. Depuis la crise, les plus performants socialement se maintiennent (pays
nordiques), voire se renforcent (Allemagne, Autriche), quand les moins bons sont contraints de restreindre leurs
dépenses et leurs politiques sociales, en réponse à des niveaux d’endettement et de déficits publics excessifs (sud
de l’Europe). La tendance est à une dualisation de l’Europe, avec une érosion du capital humain et un risque
d’affaiblissement durable du potentiel de croissance dans la périphérie sud et est de l’Union et de la zone euro.
Cette évolution n’est pas sans risque pour les pays du Nord. Un abandon de la logique de rattrapage par le haut peut
à terme précipiter une course vers le bas en matière de standards sociaux, qu’avaient voulu éviter les fondateurs des
Communautés européennes. Il est temps de sortir l’Europe sociale du sommeil et d’inventer de nouvelles réponses
communes aux échelles de l’Union européenne et de la zone euro.
Source : http://www.strategie.gouv.fr/actualites/dualisation-sociale-de-leurope
Document 26 : une Europe fédérale à portée sociale, une nécessité pour les pays d’Europe du Sud
France Stratégie dans Un contrat social pour l’Europe : priorités et pistes d’action (2014) montre que (…) le fait
que certaines dépenses soient finalement peu communautarisées ou harmonisées conduit donc à une très forte
hétérogénéité des dépenses publiques entre Etats membres et à des écarts de trend de croissance potentielle qui se
creusent au cours du temps. Les politiques d’austérité menées dans les pays qui ont connu une crise des dettes
souveraines accentuent en outre ces écarts. Or, on sait que l’hétérogénéité croissante des économies européennes
s’est traduite par des flux de capitaux entre pays européens à capacité de financement et ceux à besoin de
financement. Lorsque ces flux de capitaux se sont brutalement arrêtés à partir de 2010 cela a conduit à la mise en
place de politiques de dévaluation interne dans les pays du Sud de l’Europe.
La mise en œuvre d’une Europe fédérale à portée sociale apparaît donc comme un instrument indispensable pour :
- augmenter les dépenses publiques en investissement social et en R&D dans les Etats où elles sont
inférieures, et ainsi stimuler leur croissance potentielle ; à défaut, les écarts de niveau de vie par tête vont se creuser
et la convergence observée au début des années 2000 ne sera plus qu’un lointain souvenir. La note de France
stratégie propose ainsi la création d’un fonds d’investissement long ou un Pacte d’investissement social.
- transférer les revenus entre les Etats membres les plus riches et ceux les plus pauvres sur le modèle des
transferts budgétaires de l’Etat fédéral américain afin d’éviter les situations de sudden stop et les dévaluations
internes qui les accompagnent. Les transferts budgétaires permettent ainsi aux Etats dont les niveaux de
développement économiques sont inégaux de pouvoir échanger dans un même espace et de maintenir durablement
des déséquilibres des balances courantes, c’est-à-dire de maintenir le niveau de la demande globale dans les pays
les moins riches de l’UE.
2.3 Le fonctionnement de la redistribution en Europe pousse au séparatisme territorial de
certaines régions « riches » : le « nouvel égoïsme territorial »
Document 27 : l’ouverture des économies nationales pousse les régions riches (des pays pauvres) à faire
sécession
Laurent Davezies, dans Le nouvel égoïsme territorial. Le grand malaise des nations (2015), analyse la poussée
séparatiste que l’on observe dans de nombreux pays européens (Etats-Unis du Nord, Catalogne, Ecosse, Flandre
par exemple). Chaque pays possède un régime d’Etat providence qui redistribue les revenus. Comme les activités
économiques se concentrent géographiquement, la redistribution se fait de plus en plus des régions « riches » vers
les régions « pauvres » d’un Etat. Dans une économie fermée, la redistribution permet le maintien de la demande
dans les régions les plus « pauvres » et se traduit par la consommation de produits provenant des régions les plus
« riches ». Il y a donc un circuit de transfert des revenus et circulation des biens entre les régions riches et pauvres.
Dit autrement, le poids de la redistribution qui pèse sur les régions riches est contrebalancé par la demande qui
s’adresse aux producteurs des régions « riches ». Que se passe-t-il lorsque les économies s’ouvrent de plus en plus,
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ce qui est évidemment le cas dans l’UE avec le passage à l’UEM ? Comme les marchés sont de plus en plus
intégrés, les producteurs nationaux des régions « riches » perdent des parts de marché dans les régions « pauvres »
de leur propre pays, mais ils en gagnent dans d’autres pays. Ainsi, Fiat possédait 70% du marché automobile en
Etats-Unis du Sud dans les années 1960, contre 30% aujourd’hui. Il y a donc une dissociation entre financement de
la redistribution et accès au marché. La fiscalité redistributive n’est plus perçue aujourd’hui comme source de
croissance mais, comme frein à la compétitivité prix des exportations car elle pèse sur le coût du travail. La
contestation de cette situation est d’autant plus forte dans les pays les plus pauvres de l’UE car la fiscalité est
considérée comme un frein au développement économique et au rattrapage.
Cette contestation se double d’un second argument. Dans les pays les plus pauvres de l’UE, les régions riches sont
contributrices nettes : elles financent davantage qu’elles ne perçoivent. Mais si ces régions se situaient dans un pays
plus riche, elles seraient, au contraire, bénéficiaires nettes du système de redistribution. C’est le cas de la Catalogne
avec la Etats-Unis par exemple. Cette situation paraît injuste aux régions riches des pays pauvres.
La conjonction d’un grand marché européen intégré et de systèmes de redistribution des revenus nationaux produit
des tensions qui déstabilisent certains Etats membres de l’UE.
Document 28 : le séparatisme territorial progresse en Europe
Ce qui se passe aujourd’hui dans les pays industries, particulièrement en Ecosse et en Catalogne, a valeur
d’exemple et va encourager les vocations dans de nombreuses autres régions d’Europe et du monde. Le référendum
de septembre 2014 en Ecosse a été considéré par beaucoup comme un acquis (…) positif et progressiste (…). Mais
contrairement à la séparation par consentement mutuel de la Tchéquie et de la Slovaquie en 1993, ou à la lente
fragmentation de la Etats-Unis qui passe en 1993 d’un régime de pays unitaire à celui de pays fédéral, les écossais
aujourd’hui, les basques, les catalans et bien d’autres demain entendent répudier sans leur consentement les autres
territoires nationaux. L’idée de séparatisme, relatif ou absolu, fait son chemin, de façon accélérée avec l’essor de la
mondialisation.
Source : Laurent Davesies « Le nouvel égoisme territorial. Le grand malaise des nations », La république des idées, 2015, p.70
Document 29 : un système de redistribution qui pénalise les régions « riches » des pays « pauvres »
Si l’on analyse les 20 nations européennes sur lesquelles on dispose de données régionales comparables pour 2011.
On constate que plus un pays est riche, moins il y a d’inégalités, et plus il les réduit. (…) Cela signifie que plus un
pays européen est riche, moins les transferts redistributifs pèsent, relativement, sur ses régions « financeuses ». A
l’inverse, plus il est pauvre, plus lourde est la charge qui repose sur les épaules de ses régions « riches ». Cette
cohésion fragmentée en Europe conduit à des situations paradoxales et injustes. Hambourg, par exemple aide la
région de Chemnitz pendant que Lisbonne fait la même chose avec la région Centro. Mais il ne se passe rien entre
Hambourg et Centro. Pourtant la région allemande « pauvre » de Chemnitz (17200 euros par habitants) est plus
riche que la région portugaise « riche » de Lisbonne (15 500 euros).
A niveau de PIB par habitant égal, beaucoup de régions européennes selon qu’elles sont dans un pays ou un autre,
sont « riches » ou « pauvres » et se retrouvent « perdantes » ou « gagnantes » au jeu de la cohésion européenne
dont les mécanismes fondamentaux restent pour l’essentiel nationaux. Quand vous êtes dans une région riche d’un
pays pauvre, vous êtes clairement perdante, alors qu’une autre région européenne, de niveau de développement
égal ou supérieur, mais « pauvre » dans un pays riche, se trouvera systématiquement gagnante. En matière de
cohésion, en Europe, c’est aux borgnes d’aider les aveugles. (…)
En bref, l’Europe fonctionne comme un grand pays décentralisé, avec un tout petit gouvernement central. (…)
Source : Laurent Davesies « Le nouvel égoisme territorial. Le grand malaise des nations », La république des idées, 2015,
p.40-58
Document 30 : la redistribution des régions riches vers les régions pauvres dans les pays « pauvres » de l’UE
est vécue comme une injustice
Les élus et les universitaires catalans ont parfaitement repéré ce « bug » de la cohésion européenne. Cela leur
permet de motiver leur volonté d’autonomie, voire d’indépendance, moins sur un discours d’égoïsme territorial et
de dénonciation des régions espagnoles qui les « parasiteraient » (à la façon de la Ligue du Nord italienne) que sur
le fait, vérifiable, qu’ils sont victimes d’une injustice pénalisante et que les conditions de la compétition intraeuropéenne ne sont pas équitables à leur égard.
Source : Laurent Davesies « Le nouvel égoïsme territorial. Le grand malaise des nations », La république des
idées, 2015, p.40-58
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Document 31 : la redistribution des régions riches vers les régions pauvres dans les pays « pauvres » de l’UE
est un handicap économique
La montée des mécanismes de redistribution interterritoriaux dans les dernières décennies a permis de doter de
nombreuses régions faiblement productives de revenus (et d’emplois publics) leur permettant de les faire converger
vers le niveau moyen de revenu national. Du même coup, cette redistribution a permis de stimuler la consommation
des ménages dans ces régions. Tout cela était extrêmement positif pour l’économie des régions riches tant que les
frontières douanières étaient maintenues. (…) On baigne dans le keynésianisme à l’état pur : redistribuer des
revenus vers des territoires pauvres ayant une forte propension à consommer leurs revenus ; pour stimuler la
consommation, et derrière, la production des pays riches. Tout le monde était content. Avec la libéralisation du
commerce mondial, cet accélération de croissance (pour tout le monde) devient un frein. (…) Fiat qui détenait 70%
des parts du marché automobile italien en 1980, est aujourd’hui passé au dessous des 30%. On comprend pourquoi
les régions du Nord ne veulent plus financer le Sud. (…)
Les régions riches avaient hier besoin des régions pauvres, et même les subventionnaient, via les budgets publics et
sociaux, pour qu’elles consomment leurs produits. Plus aujourd’hui : leurs marchés se sont élargis au monde, et
leur conquête suppose notamment une réduction des coûts de production, prélèvements obligatoires compris.
Source : Laurent Davesies « Le nouvel égoisme territorial. Le grand malaise des nations », La république des
idées, 2015, p.40-58
Premier argument
Second argument
Document 32 : synthèse
Arguments en faveur du séparatisme territorial
des « riches » des pays « pauvres »
Ils sont financeurs nets, alors que dans d’autres
régions pour un niveau de PIB équivalent, ils
seraient receveurs nets : situation injuste
En économie ouverte, les entreprises sont en
compétition mondiale = la fiscalité
redistributive dont ils sont financeurs nets
pénalise leur compétitivité prix
2.4 Une agglomération des richesses dans certaines régions mais une redistribution peu
efficace : les limites de la solidarité et de la cohésion en Europe
Document 33 : la redistribution des revenus est avant tout une affaire intra-nationale en Europe
Laurent Davezies montre également que, compte tenu de la faiblesse des moyens de la politique européenne en
matière régionale et sociale, la redistribution des revenus se fait essentiellement au niveau national. Ce faisant les
régions riches des pays pauvres viennent en aide aux régions pauvres de leur pays, tout comme les régions riches
des pays pauvres viennent en aide aux régions pauvres. Mais les régions riches des pays riches ne viennent pas en
aide aux régions pauvres des pays pauvres. Le poids de la redistribution est sur les épaules des régions riches quel
que soit le niveau de richesse du pays. En conséquence, la capacité à redistribuer est plus faible puisque les régions
riches des pays pauvres sont nettement moins riches que les régions riches des pays riches. Finalement, nous
arrivons à une situation paradoxale : alors que les pays européens ont des régimes d’Etat providence davantage
redistributifs que les Etats-Unis, le niveau de redistribution dans l’ensemble de l’UE est plus faible qu’aux EtatsUnis. En laissant la redistribution être une affaire entre régions économiques d’un même Etat membre, les régions
européennes les plus riches ne se préoccupent pas du sort des régions les plus pauvres. Ce fonctionnement de la
redistribution est donc peu efficace pour réduire les inégalités de revenu par tête entre les différentes régions de
l’UE. D’autant plus que les inégalités ont progressé depuis 2008. Le PIB par tête grec représente moins de 45% du
PIB par tête allemand, le Pib par tête espagnol 65%, contre respectivement 65% et 75% en 2001.
Une Europe fédérale permettrait de rendre la redistribution et la lutte contre les inégalités plus efficace entre les
différentes régions de l’UE, ce qui va dans le sens des objectifs d’une Europe plus solidaire.
Document 34 : la redistribution en Europe et inférieure aux Etats-Unis alors même que les régimes d’Etat
providence sont plus égalitaristes
Si dans tous les pays industriels, la formation du revenu compense les pénalisations productives des territoires, un
fait majeur différencie les Etats américains des régions européennes. Dans le premier cas, le même mécanisme
national de solidarité inter-Etats couvre l’ensemble des 51 Etats. En Europe, ce sont autant de mécanismes de
solidarité que de nations qui sont à l’œuvre.
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La moyenne arithmétique des coefficients de variation des PIB/hab régionaux entre pays européens est de 0,32 ;
celui des revenus/hab est de 0,13. Cela signifie que les inégalités interrégionales de revenus sont en moyenne
presque trois moins importantes que les inégalités interrégionales de création de richesse. (…)
Les mécanismes de cohésion interrégionale dans les pays européens sont puissants à l’intérieur de chacun de ces
pays, mais les différences de niveau de développement entre ces pays et l’absence de mécanisme significatif de
cohésion intégré à l’échelle européenne font perdre une bonne partie du pouvoir d’égalisation à l’échelle
européenne.
Finalement, les inégalités de revenu entre les régions européennes sont un peu plus d’une fois et demie plus faibles
que celles de PIB, alors qu’elles le sont plus de deux fois plus aux Etats-Unis. On a, d’un côté, une Europe avec un
budget communautaire (interdit de déficit) pesant de l’ordre de 1% du PIB européen et, de l’autre, un budget
fédéral pesant le quart du PIB américain et où 66% des impôts vont au budget fédéral (qui pratique de généreux
déficits).
Les Etats-Unis n’ont pas, comme l’Europe, inscrit la question de la « cohésion » dans le marbre de leurs
institutions. Ils n’ont jamais eu de politique régionale ou de ministère de la Cohésion et passent souvent pour
incarner « l’univers impitoyable » du marché. Certes, mais le fait d’être vraiment unis (d’avoir un budget fédéral et
de n’avoir aucun frein aux mobilités inter-Etats) leur permet de faire mieux, en termes de cohésion, qu’une Europe
qui, elle, parle beaucoup de cohésion (avec une Direction générale de la Cohésion), mais ne s’appuie que sur un
maillage fragmenté de systèmes nationaux de cohésion territoriales étanches. On parle plus d’amour qu’on y
apporte des preuves. (…)
Source : Laurent Davesies « Le nouvel égoisme territorial. Le grand malaise des nations », La république des idées, 2015,
p.40-58
Document 35 : le modèle européen de « cohésion fragmentée »
La cohésion européenne est donc l’affaire, pour l’essentiel, des mécanismes de solidarité interrégionale internes
aux nations européennes. En d’autres termes, le « modèle de cohésion » en Europe ne tient pas ou presque pas à
l’Europe, mais aux pays qui la constituent. C’est elle qui en parle le plus et qui, jusqu’à aujourd’hui, y contribue le
moins (alors qu’au contraire, elle a joué un rôle majeur dans l’intégration économique et la convergence des
économies de ces pays). (…)
Le modèle européen de cohésion sociale est un modèle de « cohésion fragmentée » qui consiste en une agrégation
d’une trentaine de systèmes nationaux, chaque pays prenant à sa charge la redistribution des revenus au profit de
ses seules régions défavorisées. Il n’y a pas de mécanisme significatif de solidarité entre les régions les plus riches
de l’Europe (Londres, Paris, la Bavière, Stockholm) et les régions les plus pauvres (Epire, Estrémadure, Campanie,
pour ne parler que de ces vieux pays européens), comme c’est le cas entre le riche Massachusetts et le pauvre
Mississippi, via le budget fédéral. Entre régions européennes riches, on ne se partage pas la charge de la solidarité
européenne.
Source : Laurent Davesies « Le nouvel égoisme territorial. Le grand malaise des nations », La république des idées, 2015,
p.40-58
2.5 Une construction européenne qui incite à des stratégies non-coopératives des Etats en
matière fiscale et sociale
2.5.1
Le dumping : une stratégie non coopérative pour améliorer les performances d’une
économie nationale
Document 36 : le champ des instruments utilisables pour améliorer la compétitivité par les Etats se réduit
Finalement, c’et la construction même de l’UE qui pousse aux stratégies de dumping fiscal et social. Pour stimuler
l’emploi et la croissance, les Etats ne peuvent plus utiliser de politique de change ni de politiques protectionnistes,
et l’utilisation du budget est encadrée par des règles de finances publiques. Ils se tournent donc vers d’autres
instruments pour stimuler l’emploi intérieur : les dévaluations sociales et fiscales compétitives. Or, ces pratiques ne
sont efficaces que si elles sont plus importantes que celles des autres : il s’agit donc de stratégies non coopératives.
Cette absence de coopération va à l’encontre même de l’objectif de « solidarités de fait » des pères fondateurs de
l’Europe. La dynamique d’intégration européenne, au lieu de conduire à davantage d’intérêts en commun et
d’intégration politique, fabrique la situation inverse : de moins en moins de solidarités entre Etats. La persistance
d’une souveraineté nationale dans les domaines fiscaux et sociaux alimente aujourd’hui une défiance croissante
vis-à-vis de l’Europe. Les autres Etats membres sont perçus comme profitant du système au détriment de
l’ensemble de l’UE.
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En raison des stratégies non coopératives qui poussent au dumping mais également en raison des politiques
d’austérité et de contrôle des dépenses publiques, la dynamique européenne n’est plus associée à celle du progrès
social et n’est plus considérée comme un instrument indispensable à l’augmentation du niveau de vie des habitants
de l’UE.
Document 37 : le dumping social et le dumping fiscal en Europe
A l’intérieur d’un ensemble régional, les pratiques de dumping social peuvent être définies comme des stratégies
non coopératives, mises en œuvre par certains pays afin de bénéficier d’avantages nationaux qu’ils n’auraient pu
obtenir dans le cadre du jeu politique commun. Les pratiques de dumping sont donc des variables d’ajustement
adverse entre pays membres. Comprendre le dumping social européen nécessite donc d’identifier les processus
endogènes de l’Union (dysfonctionnements, politiques …) qui produisent des incitations à y recourir. Deux causes
principales peuvent être identifiées :
- La première, structurelle, renvoie à l’insuffisance d’harmonisation en matière sociale. L’opportunité de
gains à l’échange ouvert par la persistance de différentiels sociaux entre pays membres constitue la condition
première d’apparition de pratiques de dumping. Les entreprises nationales et étrangères sont alors incitées à faire
usage des retards sociaux (salaires, fiscalité, normes de travail) pour améliorer leur position concurrentielle. (…)
Le risque de voir s’étendre une conception mercantiliste et agressive du commerce intracommunautaire, à l’exact
opposé des objectifs européens, grandit en même temps qu’il érode les principes mêmes de l’Union.
- La seconde cause du dumping social européen (…) concerne les orientations macroéconomiques de la
gouvernance économique européenne qui opèrent comme un facteur aggravant des causes structurelles. (…) Le
passage à la monnaie unique et les contraintes exigeantes du PSC ont privé les pays de la zone euro d’un ensemble
de moyens traditionnels de soutien à l’activité et de lutte contre le chômage. Autrement dit, certaines orientations
de la gouvernance économique européenne, loin de mener à une harmonisation des politiques sociales et fiscales
des pays membres, opèrent comme de véritables trappes à dumping qui les poussent à faire usage de leurs
disparités sociales comme des dévaluations sociales compétitives se substituant aux ajustements par les taux de
change. En l’état actuel des choses, il est donc peu probable qu’à brève échéance des pays comme l’Irlande et le
Luxembourg, parmi les plus riches de pays membres, ou des pays comme les PECO, parmi les plus pauvres,
modifient leurs législations fiscales ou leur législation du travail afin de les rapprocher des normes européennes …
et encore moins probable qu’ils renoncent à les utiliser comme variables d’ajustement en cas de choc
macroéconomique.
Source : J.Y.Letessier, J.Silvano et R.Soin « L’Europe économique et son avenir », Cursus, 2008, p. 233-273
Expliquer la trappe à dumping
Première raison
Seconde raison
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Document 38
Dumping comme « dévaluation compétitive fondée sur
un comportement non-coopératif d’un Etat »
Insuffisance harmonisation = les différentiels (de règles
sociales ou fiscales) sont des éléments de compétitivité
prix propres à chaque territoire = concurrence entre
territoire (avec alignement vers le bas)
L’évolution des politiques utilisées par les Etats
européens (fin des politiques de change ; limitation dans
l’utilisation des politiques budgétaires ; absence de
protectionnisme) = les Etats cherchent d’autres
instruments pour stimuler l’activité et l’emploi
14
2.5.2
Le dumping fiscal : améliorer les marges des entreprises et attirer les capitaux et les
FMN
Document 39 : l’évolution du taux d’imposition des sociétés dans 9 pays de l’UE de 1980 à 2005
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.439
Document 40 : mobilité du capital et mise en concurrence des systèmes fiscaux nationaux
La concurrence fiscale entre les Etats membres explique la baisse du taux moyen d’imposition des bénéfices des
entreprises dans l’UE-15 de 50% en 1980 à 30% en 2010.
Dans un univers de mobilité élevée des capitaux, l’alignement vers le bas de la fiscalité des entreprises sert
également à attirer les capitaux sur un territoire donné. Dans ce domaine, la différence entre pratique
d’optimisation fiscale et évasion fiscale devient très mince. Gabriel Zucman dans La richesse cachée des nations
(2013) montre comme le fait de laisser la souveraineté fiscale aux Etats membres a conduit, au fur et à mesure de
l’intégration des marchés européens, les Etats à développer une ingénierie financière dont l’objectif est de réduire
de manière drastique l’assiette de l’impôt sur les sociétés et les revenus. Certains pays de la zone euro, comme le
Luxembourg ou les Pays-bas, se sont spécialisés dans ce type d’activités.
Document 41 : le Luxembourg, paradis fiscal
Faut-il exclure le Luxembourg de l’UE ? La question mérite d’être posée, car le Luxembourg qui a cofondé l’Union
en 1957 n’a plus rien à voir avec celui d’aujourd’hui. L’acier y était tout ; la finance n’y était rien. Aujourd’hui
sans son industrie financière, le Grand Duché n’est rien. (…) C’est le paradis fiscal des paradis fiscaux présent à
toutes les étapes du circuit de la gestion de fortune internationale, utilisé par toutes les autres places financières.
Les signataires du traité de Rome ne pouvaient envisager la possibilité d’un tel bouleversement quand ils ont posé
les bases des institutions européennes. Pour eux, le Luxembourg était une vieille nation (…) qui s’était résolument
engagée en faveur du rêve européen. Aujourd’hui, le piège s’est refermé. Colonie économique de l’industrie
financière internationale, le Luxembourg est au cœur de l’évasion fiscale européenne et paralyse la lutte contre ce
fléau depuis des décennies. (…) Si le Luxembourg a réussi à devenir l’une des premières places financières
mondiales, c’est en commercialisant sa propre souveraineté. A partir des années 1970, l’Etat s’est lancé dans une
entreprise inédite : la vente aux multinationales du monde entier du droit de décider elles-mêmes de leurs propres
taux d’imposition, contraintes réglementaires et obligations légales. Nombreux sont ceux qui ont trouvé avantage à
ce commerce d’un nouveau genre. Une grande banque souhaite-t-elle créer un fonds d’investissement pour ces
clients ? Qu’elle s’installe au Grand-Duché, l’Etat renonce entièrement à le taxer. (…) Le commerce de
souveraineté ne connaît pas de limite : tout s’achète ; tout se négocie. (…) Le Luxembourg n’est pas loin s’en faut
le seul pays qui ait vendu sa souveraineté. Bien des micro-Etats ont cédé à la tentation. Mais c’est celui qui a été le
plus loin. En 2013, un tiers de la production du Grand-Duché sert à payer les salaires des travailleurs
transfrontaliers et, surtout, les revenus dus aux propriétaires étrangers des banques, sicav et holdings. (…) Situation
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unique au monde et dans l’histoire ; aucune nation indépendante, aussi petite et ouverte au commerce international
soit-elle, n’a jamais versé une telle part de ses revenus à l’étranger. (…) Au Conseil des ministres de l’UE, chaque
pays a un droit de veto sur les questions relatives à la fiscalité, à la protection sociale et aux affaires extérieures. Au
Conseil européen, les décisions sont prises à l’unanimité. Dans ces deux institutions où s’exerce l’essentiel du
pouvoir, le représentant des 500 000 habitants du Luxembourg peut dicter sa volonté à 500 millions d’européens.
Saura-t-on un jour tout des blocages et des compromissions imposés par ce dernier ? Sans doute pas, car les
délibérations du Conseil européen (et certaines réunions des ministres des finances) sont tenues secrètes, ce dont le
Premier ministre luxembourgeois s’est d’ailleurs félicité.
Source : Gabriel Zucman « La richesse cachée des nations », La république des idées, 2013, p.96
Document 42 : le « modèle irlandais »
Les gouvernements des nouveaux Etats membres imitant en partie le modèle irlandais, les élargissements de 2004
et 2007 mènent au renforcement de la concurrence fiscale et sociale. Cette concurrence existe déjà depuis les
années 1980 avec des Etats comme l’Irlande, mais aussi la Belgique qui crée des « centres de coordination
financières » dont l’objectif est d’attirer des centres financiers de multinationales en leur offrant un taux de taxation
variable compris entre 0,01% et 2%, ou encore le Royaume-Uni qui développe des liens étroits avec des paradis
fiscaux off shore sous sa juridiction. (…) Le rapport Monti de 2010 sur le marché unique met en évidence la
concurrence fiscale entre Etats membres pour expliquer comment le taux d’imposition moyen de l’impôt sur les
sociétés de l’UE-15 est passé de 50% à 30% entre 1980 et 2010, avec une accélération du phénomène depuis 2000.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.438
2.3.3 Le dumping social : améliorer les marges des entreprises et attirer les capitaux et les FMN
Document 43 : Mobilité du capital et mise en concurrence des systèmes sociaux nationaux
La mobilité des capitaux met également en concurrence les systèmes sociaux nationaux : le droit du travail a des
conséquences sur le coût du travail et intervient dans le choix de localisation des filiales des FMN ou de leurs soustraitants. Les entreprises allemandes ont ainsi pleinement profité de l’entrée dans l’UE des pays frontaliers
d’Europe centrale, comme la Tchéquie, la Pologne ou la Slovaquie pour développer une véritable « économie de
bazar » en poussant fortement la division internationale du processus de production.
Document 44 : l’hétérogénéité du fonctionnement des marchés européens du travail
La main d’œuvre des nouveaux Etats membres ne dispose pas du même niveau de protection sociale sur le plan du
marché du travail. La flexibilité est très importante avec un nombre très élevé de CDD ou d’entreprises
unipersonnelles où le travailleur paie ses propres charges et où il s’engage dans des contrats de droit civil sans
aucune protection sociale. La durée hebdomadaire du travail y est beaucoup plus élevée. En 2005, 20% des salariés
des nouveaux Etats membres travaillent plus de 50 heures par semaine. (…) Au sein de l’UE-15, seule la GrandeBretagne est dans une situation comparable. (…) Le taux de syndicalisation est sensiblement plus faible. (…) Le
taux de chômage est plus élevé et les allocations chômage plus faibles. Les aides sociales sont moins développées.
Ces éléments fragilisent considérablement et de manière durable la position de négociation des salariés.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.440
Document 45 : DIPP et délocalisation des productions vers les PECO
Dans le cadre institutionnel du marché unique qui permet la libre circulation des capitaux et du travail, il est clair
que de telle différences permettent aux entreprises de jouer la concurrence entre travailleurs et entre les Etats sur le
plan social et fiscal. On assiste à des délocalisations en masse dans les secteurs manufacturiers et dans certains
services. Des secteurs tels que l’industrie automobile, l’électronique-télécom, l’électroménager, l’électrique, le
textile, l’ameublement se réorganisent en fermant des centaines de sites de production dans l’UE-15 pour les
transférer dans les nouveaux Etats membres. Cette crainte de la délocalisation permet à des entreprises de jouer au
chantage des localisations et des fermetures. En 2005, la direction de Bosch France impose à ses salariés
d’accroître leur temps de travail de plus de 10% sans compensation de salaire sous la menace de délocalisation à
l’est.
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.441
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2.5.3
Comment sortir de ces stratégies non coopératives ?
Document 46: la nécessité d’une harmonisation fiscale et sociale
L’approfondissement de l’intégration européenne ne peut donc plus aujourd’hui faire l’impasse d’une coordination
plus importante en matière fiscale ou sociale. Il n’agit pas ici de coordonner en fixant des seuils de dépenses à ne
pas franchir (cf les règles de finances publiques) mais en harmonisant ou en interdisant certaines pratiques.
Certains poussent à l’harmonisation des taux d’imposition sur les bénéfices des entreprises, d’autres imaginent la
création d’un Eurogroupe « social » ou bien d’un salaire minimum européen.
Document 47 : la politique de la concurrence intervient pour interdire les pratiques déloyales de certains
Etats
Face aux difficultés à harmoniser la fiscalité des Etats, la Commission européenne est revenu sur le champ de la
politique de la concurrence. Elle a ainsi condamné en 2015 deux entreprises (Starbucks et Fiat) ayant utilisé la
technique du « ruling » pour payer moins d’impôts sur les bénéfices. Cette technique consiste à domicilier des
filiales de l’entreprise dans différents pays. Les bénéfices transitent alors des filiales domiciliées dans des pays à
fiscalité élevée vers des filiales domiciliées dans des pays à fiscalité faible. Dans certains de ces pays à fiscalité
avantageuse, les entreprises négocient directement le taux d’imposition qui leur sera appliqué. La Commission n’a
pas sanctionné les Etats qui pratiquent des taux d’imposition faible (le Luxembourg pour Fiat et les Pays-Bas pour
Starbucks) mais les entreprises qui utilisent cette méthode en raison d’une distorsion de concurrence qu’elle
provoque. Face aux difficultés d’harmonisation de fiscalité, l’UE ne se retrouve donc pas complément démunie
pour empêcher les comportements non coopératifs dont les Etats sont à l’origine. C’est ce que l’on retrouve
également dans le cas des travailleurs détachés.
Document 48 : Une Europe fédérale « sociale », quelles solutions aux difficultés de l’UE aujourd’hui ?
Problèmes ?
Pas de marché du travail Ecarts d’investissement
européen
social et de R&D dans
pays du Sud
Pas de mobilité des actifs
Creusement écart de
croissance potentielle S/N
Europe sociale
Portabilité des droits = plus Transferts
budgétaires
de mobilité
pays avancés vers pays en
rattrapage
Solutions ?
Le marché du travail Croissance
potentielle
permet de compenser la pays du Sud augmente :
non-optimalité de la zone convergence Sud / Nord
euro
Stratégies non coopératives de
dumping social et fiscal
Absence de solidarités entre
pays membres ; course au moins
disant social et fiscal
Harmonisation des normes
sociales
Harmonisation assiette fiscale
Transferts budgétaires pays
avancés vers pays en rattrapage
Alignement des normes vers le
haut
La solidarité européenne permet
de répondre à un choc macro
négatif
Document 49 : Une Europe fédérale « sociale », quelles solutions aux difficultés de l’UE aujourd’hui ?
La suite
Une redistribution essentiellement intra-nationale
Une redistribution dont la légitimité est Une redistribution moins efficace qu’aux
Problèmes
contestée
Etats-Unis
Europe sociale Une fiscalité européenne plus importante (transferts des régions riches des pays riches vers
les régions pauvres des pays pauvres)
Réduction des inégalités = plus de Une redistribution qui soulage les régions
Solutions ?
cohésion entre régions européennes
« riches » des pays « pauvres » = baisse
La redistribution permet de compenser pression fiscale
la non-optimalité de la zone euro
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2.6 Le cas des salariés détachés : une concurrence déloyale ?
Document 50 : définition
Un travailleur détaché est un salarié envoyé temporairement par son employeur sur le territoire d’un autre Etat
membre de l’UE. à la différence des travailleurs migrants qui relèvent du principe communautaire de libre
circulation des personnes, le détachement de travailleurs s’appuie sur le principe de libre prestation des services.
Document 51
Au début des années 2000, les européens constatent la faiblesse des échanges de services au sein de l’UE. Il y a
moins de 10 000 travailleurs détachés en France en 2000. L’absence d’uniformisation des réglementations
nationales en serait le facteur explicatif. Pour stimuler ces échanges, mais devant l’impossibilité d’uniformiser
toutes les législations nationales, la directive dite « Bolkestein » est votée en 2006, elle vise à relancer la directive
Services de 1996. Elle consiste à appliquer à l’échange de services le principe de la reconnaissance mutuelle des
normes nationales déjà utilisé avec succès dans les échanges de produits manufacturés.
Mais cette directive soulève rapidement des critiques car elle fait de la réglementation du pays d’origine celle qui
doit être appliquée à tout travailleur détaché dans un autre pays. En conséquence, la présence de travailleurs
détachés en provenance de pays où le droit du travail est moins contraignant, et coût du travail plus faible, aurait
pour conséquence de produire un ajustement vers le bas des conditions de travail dans les pays accueillant ces
travailleurs détachés. La polémique est d’autant plus forte qu’à l’époque, l’UE s’ouvre aux PECO. Elle fait rentrer
dans l’espace économique européen le fameux « plombier polonais ». Le contexte européen au moment du vote et
de l’application de la directive Bolkestein n’est plus celui de la directive Services de 1996. La polémique conduit
en 2013 à une seconde version de la directive Bolkestein qui vise à empêcher le risque d’alignement vers le bas des
régimes sociaux.
Est considéré désormais comme détaché un salarié effectuant une mission d’au maximum deux ans. Pour une
période de détachement comprise entre 1 mois et deux ans, c’est le principe du pays de destination qui s’impose, et
non celui du pays d’origine. Les règlements qui encadrent l’activité du travailleur détaché sont ceux de son pays
d’accueil en ce qui concerne : le temps de travail, le salaire minimum, les conditions de travail (sécurité et
hygiène), les congés. Mais ce n’est pas le cas pour les cotisations sociales. En effet, le salarié est toujours sous la
responsabilité de l’entreprise qui l’emploi. Les droits de la protection sociale en matière de chômage, de retraite ou
d’accident du travail sont ceux du pays d’origine de cette entreprise. En conséquence, le montant des cotisations
sociales est calculé dans le pays d’origine du travailleur détaché et non dans son pays d’accueil.
En 2014, cette directive est une nouvelle fois révisée avec pour objectif d’encadrer les abus en sanctionnant aussi
les donneurs d’ordre des entreprises sous-traitantes qui détachent leurs salariés : ils sont ainsi rendus responsables
lorsque leurs sous-traitants ne respectent pas le droit. L’utilisation de travailleurs détachés fait débat. Certains
craignent que ces travailleurs produisent une concurrence « déloyale » en raison des écarts de cotisations sociales
entre pays ou bien raison de la faiblesse des contrôles de ces activités qui engendrent de nombreuses fraudes. Les
travailleurs locaux seraient donc désavantagés face aux travailleurs détachés. Dans le cas de la France, une étude de
2016 du Trésor conduit à relativiser très fortement ce type d’analyse. Par contre, l’utilisation de travailleurs
détachés peut avoir des conséquences sur la compétitivité prix de certains secteurs. Les travailleurs détachés ont été
ainsi utilisés dans certains pays pour réduire les coûts de production dans des secteurs à forte intensité de main
d’œuvre peu qualifiée, comme, par exemple, la filière porcine en Allemagne. Dans ce pays, l’absence de salaire
minimum a eu pour conséquence de voir les travailleurs détachés payés très largement au-dessous des salariés
allemands. La Belgique a alors saisi la Commission européenne en mars 2013 pour pratique non conforme aux
règles communautaires de la concurrence, poussant l’Allemagne à introduire progressivement un salaire minimum
(assez proche du salaire minimum français). On constate à travers cet exemple, que la mise en œuvre d’une Europe
sociale passe par la politique de la concurrence et la condamnation de pratiques déloyales plutôt que par la capacité
des européens à s’entendre sur des pratiques fiscales et sociales communes.
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Document 52 : dépenses totales de protection sociale par habitant en 2003 en PPA
Source : J.C.Defraigne « Introduction à l’économie européenne », De Boeck, 2014, p.441
Objectif
Première version (2006)
Seconde version (2013)
Document 53 : synthèse
Directive Bolkestein
Faire augmenter la mobilité géographique du travail en Europe
Les règlements qui concernent le Risque ?
travailleur détaché sont ceux de son si le travailleur vient d’un pays où la
pays d’origine
protection sociale est moins
développée, il bénéficie donc d’un
avantage en terme de coût et donc de
prix
Contexte : ouverture aux PECO =
« le plombier polonais »
Conséquence alignement par le bas
Détachement : durée max (2 ans)
Risque ? contrôles insuffisants =
Principe du pays de destination pour incitation à ne pas respecter les
durée supérieure à 1 mois (sinon règles et appliquer les conditions du
règle du pays d’origine)
pays d’origine
Les règlements qui concernent le Nombre de travailleurs détachés en
travailleur détaché sont ceux de son France : entre 150 000 et 300 000
pays d’accueil en ce qui concerne : 1,5 million en Europe
le temps de travail, le salaire
minimum, les conditions de travail,
mais pas les cotisations sociales qui
sont toujours payées dans le pays
d’origine
Document 54 : mieux réguler la mobilité du travail en Europe
Mieux réguler la concurrence sociale et salariale entre États membres est le pendant d’un marché du travail
européen devenu plus intégré sous l’effet des mobilités (travailleurs détachés, migrants ou transfrontaliers).
Un premier axe consiste à renforcer les capacités de contrôle pour prévenir et lutter contre les développements
actuels du travail illégal en Europe, notamment les abus en matière de détachement, concentrés sur trois secteurs
(transports, construction et agroalimentaire), ou le travail dissimulé (dont les faux indépendants). Des progrès ont
été enregistrés en 2014, avec l’adoption d’une nouvelle directive d’exécution relative au détachement des
travailleurs et l’accord sur une plateforme européenne de lutte contre le travail non déclaré. Une prochaine étape
serait la mise en place d’identifiants fiables et communs pour les travailleurs européens ou les entreprises de
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détachement ; et la création d’une inspection du travail européenne intervenant, en appui des capacités nationales,
sur les montages complexes impliquant plusieurs États membres.
Un second axe est un principe européen de salaires minima, établis au niveau national et pour l’ensemble des
secteurs. Il permettrait notamment que ne soit plus tiré bénéfice de l’absence de minimum salarial d’application
générale dans les pays accueillant des travailleurs détachés. C’est le pas que l’Allemagne doit franchir à compter du
1er janvier 2015. À un horizon plus éloigné, un principe européen de revenus minima, à un niveau suffisant pour
offrir un filet de sécurité dans chaque État membre, est à considérer pour mitiger les risques d’immigration de
pauvreté à l’intérieur de l’Union.
Source : France Stratégie, note d’analyse « Un contrat social pour l’Europe : priorités et pistes d’action », n°19, décembre
2014
Document 55 : A regarder
http://www.strategie.gouv.fr/publications/un-contrat-social-leurope-priorites-pistes-daction
France Stratégie, note d’analyse « Un contrat social pour l’Europe : priorités et pistes d’action », n°19, décembre 2014
2.7 Faut-il réformer la politique de cohésion sociale (politique régionale) ?
Document 56 : l’histoire des politiques de cohésion
La politique de cohésion, ou politique régionale européenne, prend une place croissante dans le budget de l’UE,
surtout à partir des premiers élargissements des années 1980 vers les pays du Sud (Espagne, Portugal et Grèce).
Elle vise à « réduire l’écart entre les diverses régions et le retard des régions les moins favorisées ». C’est donc une
politique de convergence dont l’objectif est le développement équilibré de l’intégration européenne : l’intégration
européenne doit profiter à tous.
Cette politique mobilise aujourd’hui environ un tiers du budget de l’UE. Elle s’appuie sur plusieurs fonds qui ne
relèvent pas des mêmes critères d’éligibilité : le fonds de cohésion, le Feder et le FES.
Le fonds de cohésion est à destination des Etats membres les moins riches (ceux dont le RNB est inférieur à 90%
de la moyenne de l’UE). Il finance des projets d’infrastructures de transport et d’énergie.
Le Fonds européen pour le développement régional et le Fonds social européen financent les investissements en
capital humain, l’innovation et la modernisation administrative. Ils s’adressent aux régions les moins développées
de l’UE (dont le PIB est inférieur à 75% de la moyenne de l’UE), toujours dans une optique de convergence. Mais
Ils s’adressent également à des régions plus développées (dont le PIB est supérieur à 75% de la moyenne de l’UE)
pour améliorer leur compétitivité et l’emploi. Enfin, ils financent des projets de coopération entre les territoires
pour le développement urbain et économique, ainsi que la préservation de l’environnement.
Au final, plus de 75% des fonds de la politique régionale vont aux régions les plus pauvres de l’UE.
Cette politique doit permettre la convergence des économies par le financement de projets qui assurent
l’accumulation de capital public, humain, privé, technologique . Cette accumulation du capital permet
l’augmentation de la croissance potentielle et vise à compenser les effets d’agglomération engendrés par
l’intégration économique et monétaire. La logique redistributive de cette politique est particulière : il n’y a pas de
transferts de revenus entre citoyens européens, mais des transferts entre Etats contributeurs nets (ceux qui
contribuent plus qu’ils ne perçoivent) et Etats bénéficiaires nets (ceux qui perçoivent plus qu’ils ne contribuent).
Document 57 : des politiques dont la taille est insuffisante pour atteindre leur objectif
Mais nous avons vu que cette politique est très insuffisante pour contrecarrer les dynamiques qui poussent aux
inégalités territoriales. Le rattrapage des PIB par tête des années 2000 a masqué une divergence profonde des
économies « réelles » entre l’Europe du Sud et l’Europe du Nord, qui s’est terminée en crise de balance des
paiements. Cette politique n’est pas en mesure de lutter contre l’hétérogénéité économique croissante des territoires
européens. On peut même penser qu’en permettant la réduction des coûts de transaction ce type de politique
favorise les effets d’agglomération et creusent les inégalités territoriales (qu’elles sont censées combattre).
Si la politique de cohésion échoue dans son objectif de convergence doit-elle être abandonnée ? Peut-on
promouvoir la cohésion sociale sans vouloir la convergence ? Est-il possible de faire évoluer cette politique de
manière à ce qu’elle permette non pas d’éliminer les inégalités mais de les « gérer » ? Mathieu Crozet, dans un
article intitulé Les défis de l’hétérogénéité de l’UE publié dans la revue Regards croisés sur l’économie (2012),
écrit « Jusqu’à maintenant, l’UE a maintenu le mythe d’un objectif de convergence. Les politiques mises en œuvre,
conformément d’ailleurs aux principes du Traité de Rome, visaient à favoriser la convergence des niveaux de vie et
des structures industrielles, pour arriver à un « développement harmonieux ». Or, l’intégration commerciale et
monétaire a produit les effets qui sont les siens : elle a renforcé les spécialisations et généré un mouvement de
concentration des activités à rendements croissants vers le cœur du marché. (…) La question pour l’UE, et plus
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encore pour la zone euro, n’est alors pas tant de savoir comment forcer l’ensemble à devenir plus homogène que
d’apprendre à gérer l’hétérogénéité des situations nationales ».
Document 58 : mais des politiques utiles dont les dépenses doivent augmenter et être réorienter
Plusieurs options sont possibles. Les dépenses des politiques de cohésion pourraient davantage porter sur les
infrastructures de production et l’innovation plutôt que sur celles de transports (qui diminuent les coûts de
transaction et augmentent les effets d’agglomération). Elles pourraient viser à stimuler la diffusion des idées, des
connaissances dans les régions en retard pour permettre davantage de liens économiques avec les régions plus
développées. Ces deux premiers points renvoient à l’idée que la politique de cohésion est en lien avec la politique
industrielle. La politique de cohésion devrait ensuite favoriser la mobilité des travailleurs européens. Enfin, elles
devraient compléter les transferts nationaux de revenus par des transferts européens : il s’agirait alors de
redistribuer des revenus vers ceux qui sont les « perdants » de l’intégration européenne. Ce dernier point souligne
que l’Europe peut difficile faire l’économie d’une réflexion sur la redistribution des revenus entre les régions et les
populations les plus riches et celles les plus pauvres.
On constate donc que les politiques de cohésion peuvent servir de support à de nombreuses transformations de
l’Europe sociale permettant de répondre aux difficultés engendrées par la faible mobilité des actifs, les phénomènes
d’agglomération, les écarts de dépenses des Etats en investissement social et aux tentations séparatistes.
Document 59 : toute réforme nécessite de régler le problème des fuites des bases fiscales
Pour corriger la divergence, une piste est celle de transferts temporaires à l’échelle de la zone euro (exemple d’une
assurance chômage). Mais sans réformes de structure et sans rééquilibrage des modèles de croissance, il est
probable qu’un besoin de transferts permanents se fera jour. Si le partage de la monnaie justifie une solidarité
commune, des transferts sont moins efficaces et acceptables politiquement - vis-à-vis des contributeurs dans la
zone euro mais aussi des partenaires qui en seraient écartés au sein de l’Union - que des initiatives européennes sur
la croissance et les investissements.
Depuis 2007, la zone euro a accumulé un retard d’investissement important, par rapport aux États-Unis notamment.
À l’échelle européenne, les divergences de trajectoires nationales correspondent pour beaucoup à des différentiels
dans les investissements productifs et sociaux. Les pays les plus en difficulté aujourd’hui sont ceux qui ont le
moins investi au cours des années 1990 et 2000 dans l’innovation, la recherche et développement mais aussi dans le
capital humain. Les dépenses d’investissement social - en santé, petite enfance et conciliation vie
professionnelle/vie familiale, éducation et formation, autres politiques actives du
marché du travail - sont essentielles pour stimuler le potentiel de croissance et garantir la soutenabilité des finances
publiques. Leur niveau varie du simple au double entre le sud et le nord de l’UE, d’environ 7-8 % à 15-16 % du
PIB. Ces différentiels entraînent des effets cumulatifs très importants à moyen et long terme.
Un prérequis est que la capacité d’investissement public soit préservée ou restaurée en Europe. Lutter contre
l’érosion des bases fiscales est (donc) une autre priorité.
Source : France Stratégie, note d’analyse « Un contrat social pour l’Europe : priorités et pistes d’action », n°19, décembre
2014
Document 60 : une synthèse du chapitre
A partir du traité de Rome, la dynamique européenne est basée sur l’intensification des échanges économiques avec
comme ambition la réalisation d’un grand marché commun européen et des politiques économiques communes
dans des domaines considérés comme stratégique (la PAC). La question monétaire émerge peu à peu durant les
années 1960 et les prémisses de la crise du système monétaire international. Le passage à la monnaie unique se
concrétise à la fin des années 1990. L’UE devient une union économique et monétaire. Quelle place est alors
laissée à l’Europe sociale dans la construction européenne ?
La dimension « sociale » du projet européen est présente dès le traité de Rome mais sous une forme secondaire et
modeste. Le progrès social est considéré comme la résultante mécanique des effets positifs de l’intégration
économique. Il n’y a pas à proprement parler de politique sociale européenne hormis dans un domaine qui,
jusqu’alors, est délaissé par les Etats membres, celui de la lutte contre les inégalités hommes-femmes. Sur cette
base, le droit social communautaire se développe peu à peu. Les Etats membres se rendent néanmoins compte que
le maintien de la souveraineté nationale dans le domaine fiscal et social peut être la source de comportements
déloyaux menés par les Etats membres. C’est pourquoi un des aspects de la politique de la concurrence consiste à
contrôler l’action publique. C’est à travers la politique de la concurrence que l’Europe intervient dans le domaine
social. Cet aspect est toujours très présent aujourd’hui.
Durant les années 1960, les instruments de la politique sociale se diversifient avec la création de la Banque
européenne d’investissement (BEI) et du Fonds social européen (FSE). La politique sociale devient
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Nicolas Danglade 2016-2017
progressivement un outil pour permettre le rattrapage des régions en retard, elle est utilisée pour stimuler la
convergence des territoires, la cohésion des territoires. D’ailleurs, une partie des fonds de la PAC sert aussi à
moderniser et à diversifier les économies des régions agricoles. Dans les années 1970, sous l’effet de la montée du
chômage, de la désindustrialisation, et dans un contexte d’élargissement de la CEE, est créé le Fonds européen de
développement de développement régional (FEDER). La dimension régionale de la politique sociale est donc
renforcée.
Durant les années 1980/1990, le projet de réalisation d’un espace social européen faisant écho à l’espace
économique et monétaire se heurte au fait que les Etats conservent toujours leur souveraineté en matière fiscale et
sociale. Il en découle des traditions d’Etat providence très différentes. Dans l’espace européen se côtoient ainsi les
quatre régimes d’Etats providence de la typologie d’Esping-Andersen. L’harmonisation de la fiscalité des
entreprises, des modalités et du financement de la protection sociale est impossible, mais la Commission
européenne sous l’impulsion de J.Delors obtient l’harmonisation des conditions de santé et de sécurité dans les
entreprises. La Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs est également adoptée.
Au début des années 2000, avec le traité de Lisbonne, le projet d’Europe sociale reste modeste, mais un consensus
existe sur l’idée que l’Europe doit apporter le progrès social, faire augmenter et converger les niveaux de vie par
tête, protéger les citoyens européens face aux différents risques sociaux. Si le modèle social européen n’est pas
encore réalisé, son contour est relativement clair : il se distingue des formes libérales ou familialiste de l’Etat
providence.
Mais l’entrée des PECO va progressivement faire reculer l’influence des régimes continentaux et socio-démocrates
dans la conception du rôle social de l’Etat. L’impératif de protection collective des risques sociaux et la nécessité
d’une redistribution importante des revenus reculent. Les nouveaux Etats membres font de la « faiblesse » de leur
protection sociale un atout de compétitivité dans le marché commun. Le recul d’un « haut niveau » de protection
sociale est par ailleurs alimenté par les évolutions démographiques et le ralentissement de la croissance
économique.
C’est dans ce contexte de recul d’une conception « ambitieuse » de l’Europe sociale qu’arrive la crise que traverse
encore l’Europe aujourd’hui. L’absence d’Europe sociale pénalise le fonctionnement de l’UE et alimente un rejet
du projet européen. L’absence de portabilité des droits sociaux empêche l’émergence d’un marché du travail
européen et limite la zone euro dans sa capacité à encaisser les chocs asymétriques. La redistribution des revenus
est essentiellement nationale malgré l’existence d’une politique régionale. Cela crée des distorsions entre les
régions riches des Etats riches et des Etats pauvres. Le poids de cette fiscalité est rejeté par certaines régions qui la
considèrent comme une entrave à leur développement. Tandis que ces politiques de redistribution produisent un
résultat paradoxal : les Etats européens redistribuent individuellement davantage que les Etats-Unis, mais pris
globalement, l’Europe est moins redistributrice ! La souveraineté des systèmes fiscaux et sociaux conduit à des
écarts d’effort d’investissement public en particulier dans les domaines sociaux et de R&D, ce qui alimente les
écarts de croissance potentielle et donc l’hétérogénéité entre Europe du Nord et Europe du Sud. Cette souveraineté
conduit également à des stratégies non coopératives des différents Etats membres afin de stimuler la compétitivité
des producteurs domestiques au détriment de ceux des autres Etats membres. Enfin, la législation sur les
travailleurs détachés fait encore débat.
On constate que toutes ces difficultés sont concentrées autour de deux éléments de compétences exclusives des
Etats membres : la fiscalité (en particulier des entreprises) et la protection sociale. Pour que ces problèmes
disparaissent, trois solutions sont envisageables :
- la première s’appuie sur une régulation intergouvernementale qui consiste à coordonner les politiques nationales
fiscales et sociales. La question est alors de savoir d’où vient l’incitation à se coordonner ? Comment faire
disparaître les stratégies non coopératives ? Privés par l’usage des politiques de change, contraints dans l’utilisation
des politiques budgétaires, sans véritable politique industrielle européenne, les Etats jouent des cartes solitaires et
cherchent des solutions sans faire cas des autres pays membres. Les européens explorent néanmoins déjà cette voix
avec le projet d’harmonisation de l’assiette fiscale de l’impôt sur les sociétés ou l’idée d’un salaire minimum
européen.
La seconde s’appuie sur une régulation supranationale qui consiste à confier au niveau européen des compétences
fiscales ou sociales. C’est la logique du fédéralisme avec comme modèle les Etats-Unis. Cette voie est celle qui
répondrait le plus efficacement aux questions de transferts financiers entre les régions riches vers les régions les
plus pauvres, et qui fonderait pleinement une solidarité européenne. Mais cette solution soulève une question
essentielle : les européens sont-ils prêts aujourd’hui à donner plus de compétences à l’Europe dans un contexte
d’euroscepticisme croissant ? L’expérience du rejet du projet de Constitution en 2005, le Brexit, rappellent que
l’UE n’apparaît plus comme le vecteur du progrès social et de la croissance dans l’opinion publique.
La troisième est une solution intermédiaire qui donne davantage de moyens à l’UE pour intervenir sur les politiques
d’investissement social ou pour mettre en place un élément de protection sociale : il s’agit là aussi de transférer
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certaines compétences à l’UE mais à un niveau moins ambitieux que la création des Etats-Unis d’Europe. Cela
conduit à définir ce qui peut être transférer des Etats à l’UE à partir du principe de subsidiarité : cela peut-être par
exemple le cas de l’assurance-chômage. Cette solution peut s’appuyer sur la politique de cohésion européenne déjà
existante. On retrouve cette approche dans le plan Juncker mis en place à partir de 2014. La question que soulève
ce type d’intervention est celle des moyens mobilisés par l’UE qui restent encore très en deçà de ceux déployés par
les Etats-membres, et qui donc ne peuvent avoir des effets que modestes.
Le projet européen est aujourd’hui à la croisée des chemins et c’est celui, pris par l’Europe sociale, qui
conditionnera en grande partie les autres.
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