Cancer de la vessie chez le sujet âgé dossier thématique Radio-chimiothérapie des cancers infiltrants de la vessie : une alternative thérapeutique chez les patients âgés Radio-chemotherapy for infiltrative bladder carcinomas: an alternative therapeutic for elderly patients » Une stratégie conservatrice vésicale par radio-chimiothérapie après résection transurétrale de la vessie peut constituer une alternative à la cystectomie chez des patients âgés, dans des cas sélectionnés. » Le taux de conservation vésicale à 5 ans varie de 42 à 80 % selon les séries et le stade T. » La qualité de vie après la radio-chimiothérapie est satisfaisante pour près de 80 % des patients. » Un schéma d’irradiation hypofractionnée en 2 séances quotidiennes est bien toléré chez les patients âgés. » Des essais de phases I/II récents, utilisant la gemcitabine, rapportent des taux de rémission complète et de survie sans progression satisfaisants. Mots-clés : Cancer de la vessie – Sujets âgés – Radio-chimiothérapie – Conservation vésicale – Irradiation hypofractionnée. E n France, les tumeurs infiltrantes de la vessie représentent 3,5 % des décès par cancer, et occupent le sixième rang des causes de cancers, avec une incidence de 10 700 nouveaux cas en 2008. Le traitement curatif de référence des cancers infiltrants (pT2-T4a) repose sur la cystectomie totale complétée d’un curage ilio-obturateur, avec obtention d’un contrôle local de l’ordre de 80 %. Néanmoins, 30 % des patients, dont les patients les plus âgés, sont récusés sur le plan chirurgical, en raison notamment de comorbidités cardiovasculaires. Si la chirurgie reste la recommandation des référentiels de traitement, il est montré que 76 % des sujets de plus de 75 ans sont traités par une approche conservatrice (1, 2). highlights P o i nt s f o rt s M. Deberne*, M. Housset* Trans-urethral bladder resection (TURB) followed by radio-chemotherapy is an alternative treatment option to primary cystectomy for some selected elderly patients with muscle-invading bladder cancer. Reported rate of bladder preservation fluctuates from 42 to 80%, depending on T stage. Quality of life after conservative therapy is satisfying for 80% of the patients. Hypofractionated radiotherapy scheme with two daily fractions is well tolerated in elderly patients. Recent published phase I/II trials based on gemcitabine report good response and progression-free survival rates. Keywords: Bladder cancer – Elderly patients – Chemoradiotherapy – Bladder preservation – Hypofractionated radiotherapy. Les traitements de préservation vésicale par radiochimiothérapie, réalisés après une résection transuréthrale de la vessie (RTUV) complète (3), constituent donc une alternative majeure chez les patients âgés et/ou présentant des comorbidités. Trois objectifs principaux sont poursuivis dans le cadre de ce traitement : ✓ éviter une chirurgie mutilante (sur le même principe que la préservation laryngée en ORL, ou la radio-chimiothérapie des cancers du canal anal) ; ✓ obtenir une survie et un contrôle local au moins équivalents à ceux obtenus par cystectomie ; ✓ assurer une qualité de vie satisfaisante grâce à une vessie fonctionnelle. Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 * Département d’oncologie-radiothérapie, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris. 27 Cancer de la vessie chez le sujet âgé dossier thématique 21 jours, avec ou sans 5 fluoro-uracile (5-FU) est le radiosensibilisant habituel, permettant d’augmenter le contrôle local et agissant également sur les métastases infracliniques. D’autres agents, tels que les taxanes et la gemcitabine, ont démontré leur efficacité tout en ayant des profils de toxicité acceptables (5) [figure]. Résection transurétrale de la vessie complète initiale Radiothérapie pelvienne standard 45 Gy (5 sem.) Radiothérapie hypofractionnée biquotidienne IHF 2SQ 3 Gy × 2 /j (J1-J3-J15-J17) soit 24 Gy Résultats en termes de contrôle local et de survie Évaluation de la réponse : cystoscopie à 40-45 Gy avec cartographie biopsique systématique Biopsies négatives Radiothérapie standard 20 Gy (total = 65 Gy) Radiothérapie IHF 2SQ 20 Gy de complément 2,5 Gy × 2/j (J29-J31-J42-J44) [total = 44 Gy] Biopsies positives Cystectomie totale Figure. Schéma thérapeutique des associations de radio-chimiothérapie. Associations radio-chimiothérapies : indications, doses, volumes Les critères cliniques et histologiques d’éligibilité usuels permettant de proposer une radio-chimiothérapie sont : ✓ une résection complète de la tumeur par RTUV ; ✓ un stade T inférieur ou égal à T2b (selon la classification TNM 2002) ; ✓ une tumeur unifocale dont la base d’implantation est idéalement inférieure à 3 cm ; ✓ l’absence d’urétero-hydronéphrose ; ✓ l’absence de carcinome in situ (CIS) associé. Le volume d’irradiation inclut le pelvis avec la vessie et les premiers relais ganglionnaires de drainage (iliaques externes, hypogastriques, obturateurs et iliaques primitifs) jusqu’à 45 Gy. Le volume est ensuite réduit sur le volume vésical avec des marges de 1,5 cm autour de la vessie, de 45 à 65 Gy. Un complément de dose peut être apporté en cas d’envahissement ganglionnaire à l’imagerie (N1-N3) jusqu’à 65 Gy. Chez les patients opérables, la réévaluation intermédiaire à la dose de 40-45 Gy d’irradiation par cystoscopie et biopsies doit objectiver une réponse complète histologique afin de poursuivre l’irradiation à la dose totale de 65 Gy (3, 4). Cette réévaluation permet de différencier les patients répondeurs de ceux qui ne le sont pas. Les non-répondeurs sont orientés vers la cystectomie radicale. Le schéma optimal de chimiothérapie associée reste à déterminer : le cisplatine hebdomadaire ou tous les 28 Les résultats des associations de radio-chimiothérapie sont issus d’essais de phase II menés dans les années 1990, chez des patients porteurs d’une tumeur urothéliale infiltrante T2 à T4-M0 sans envahissement ganglionnaire radiologique. La tolérance est acceptable, y compris chez des sujets âgés, sans décès toxique. Le taux de rémission complète histologique observé à l’évaluation endoscopique était de 60 à 90 % (88,4 et 90 % respectivement dans les études actuelles) [6-7], le taux de récidive locale variant de 5 à 25 %. Globalement, à 5 ans, la moitié des patients traités par radiochimiothérapie sont en vie avec une vessie fonctionnelle, ces résultats étant assez homogènes dans les différentes séries en termes de taux de réponse complète histologique, de survie et de préservation vésicale. Si aucune étude de phase III n’a comparé directement cystectomie et radio-chimiothérapie vésicale, il semble cependant que le taux de survie à 5 ans des patients cystectomisés, de l’ordre de 48 à 59,5 %, soit, à stade T égal, légèrement supérieur à celui des séries conservatrices (8, 9). Pour les stades T1, la survie à 5 ans est équivalente à celle retrouvée dans la série chirurgicale de J.P. Stein et al. portant sur 1 054 patients (10), les survies des stades T2/T3 restant un peu inférieures (50 % versus 58-72 %). En revanche, la survie des patients de stade T4 traités par radio-chimiothérapie est nettement inférieure (16 % dans la série de F.S. Krause et al. versus 33-38 % chez les patients cystectomisés) [8]. Les stades T les plus avancés tirent donc bénéfice de la chirurgie radicale, davantage que d’une approche conservatrice. Néanmoins, dans un cadre gériatrique, une étude portant sur les patients âgés de plus de 80 ans montre que seul un bénéfice en survie marginal, de l’ordre de 3 mois, peut être escompté en ayant recours à la cystectomie plutôt qu’aux approches conservatrices (1). Cela indique que les bénéfices-risques de la cystectomie, ainsi que l’estimation de l’espérance de vie de ces patients doivent être bien évalués lors de la décision thérapeutique. Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 Radio-chimiothérapie des cancers infiltrants de la vessie : une alternative thérapeutique chez les patients âgés Facteurs pronostiques La recherche de facteurs pronostiques et prédictifs de réponse à la radio-chimiothérapie permettra donc d’orienter au mieux la décision thérapeutique. Les facteurs déjà connus sont le stade T, N, une résection R0 à la RTUV et la réponse complète à la RTUV d’évaluation. En termes de biomarqueur, le niveau d’expression d’ERCC1 (Excision Repair Cross-Complementing group 1) semble impliqué dans la résistance à la radiochimiothérapie à base de cisplatine (11). Qualité de vie La qualité de vie, évaluée par autoquestionnaire, est statistiquement meilleure après conservation vésicale qu’après une cystectomie, sur les plans digestif, urinaire, social et sexuel. La fonction vésicale est satisfaisante pour 57 à 82 % des patients traités (6, 9). Les toxicités génito-urinaires et digestives tardives sont faibles : seuls 5,7 % de toxicités génito-urinaires et 1,9 % de toxicités gastrointestinales de grade 3 ont été analysés dans une série de 285 patients (tableau I) [12]. Sujets âgés : revue de la littérature chez les patients de plus de 75 ans Un très faible nombre de séries rétrospectives sont consacrées à la radio-chimiothérapie des cancers de la vessie du sujet âgé, en intention curative. A. Santacaterian a établi la faisabilité d’une irradiation de 60 Gy chez 45 patients d’un âge médian de 75 ans et ayant un score de comorbidité de Charlson supérieur à 2. La médiane de survie était de 22 mois, et les survies à 3 et à 5 ans respectivement de 36 et 19,5 % (13). E. Tran et al. ont rapporté en 2009 les résultats et les facteurs pronostiques de réponse à la radiochimiothérapie d’une population d’un âge médian de 78 ans, dont 67 % étaient inopérables pour raisons médicales et 33 % refusaient la cystectomie. Le taux de survie à 5 ans était de 32 % pour les T2 et de 26,8 % pour les T3-T4a (14). Les facteurs pronostiques de survie sont le Performance Status (PS) et l’âge. Enfin, la radiothérapie hypofractionnée seule garde sa place à visée hémostatique et décompressive : un schéma hypofractionné de 30 ou 36 Gy et 6 Gy/fraction donne une palliation complète des symptômes pour 51 % des patients et 92 % d’arrêts des hématuries (15). Schémas de radiothérapie hypofractionnée Le service de radiothérapie de l’hôpital européen Georges-Pompidou (Paris) utilise un protocole bien adapté aux patients âgés, consistant en une irradiation hypofractionnée comportant 2 séances quotidiennes (IHF 2SQ). Les patients sont traités les jours 1-3-15-17 en 2 séances de 3 Gy/j, puis les jours 29-31-42-44 en 2 séances de 2,5 Gy/j. Des biopsies sont pratiquées la sixième semaine. La chimiothérapie concomitante est un doublet à base de 5-FU (400 mg/m2/j) + cisplatine (15 mg/m2/j) administré les 3 premiers jours de chaque semaine de traitement (16). Tableau I. Résultats des principales séries de chimio-radiothérapies dans les tumeurs infiltrantes de la vessie localisées. Série Patients (n) Stade Chimiothérapie Conservation vésicale à 5 ans (%) Survie à 5 ans (%) Housset (JCO 1997) 120 T2-T4 CDDP-5-FU 75 66 Sauer (IJROBP 1998) 205 T1-T4 CDDP 79 64 Dunst (Sem Surg Oncol 2001) 131 T1-T4 CDDP 75 47 Rodel (JCO 2002) 415 T1-T4a CDDP-5-FU 42 51 Shipley (Sem Oncol 2004) 190 T2-T4a CDDP 42 54 Danesie (Cancer 2004) 77 T2-T4a CDDP-5-FU Weiss (IJROBP 2007) 112 T1 CDDP-5-FU 82 74 Kaufman (Urology 2009) 80 T2-T4a Paclitaxel-CDDP 56 71 Lagrange (Int J Radiat Oncol Biol Phys 2011) 53 T2a-T4 CDDP-5-FU 67 36 à 8 ans Krause (Anticancer Res 2011) 473 T1-T4 CDDP ± 5-FU 70,4 49 59 CDDP : cisplatine ; JCO : Journal of Clinical Oncology ; IJROBP : International Journal of Radiation Oncology Biology, Physics ; Sem Oncol : Seminars in Oncology ; Sem Surg Oncol : Seminars in Surgical Oncology. Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 29 Cancer de la vessie chez le sujet âgé dossier thématique Tableau II. Toxicités de la gemcitabine et du paclitaxel en association avec la radio-chimiothérapie dans les cancers vésicaux. Série de radio-chimiothérapie Choudhury et al. (J Clin Oncol 2011) Caffo et al. Phase I-II (Cancer 2011) Kaufman DS et al. RTOG 99-06 (Urology 2009) Müller et al. (Strahlenther Onkol 2007) Patients (n) 50 26 80 42 Chimiothérapie concomitante Gemcitabine 100 mg/m2 J1, J8, J15, J22, J28 de la radiothérapie Gemcitabine 400 mg/m2 J1, J8, J22, J29 CDDP 100 mg/m2 J1 et J22 Paclitaxel 50 mg/m2 J1 CDDP 20 mg/m2 J1-J2 Paclitaxel 25-35 mg/m2 Bihebdomadaire Toxicités rapportées Compliance : 92 % Toxicités GI de grade 3 : 4 Toxicités tardives à 2 ans sexuelles, vésicales, intestinales identiques aux mesures baseline Neutropénie de grade 3 : 2 Toxicités aiguës max. de grade 2 Toxicités GI de grades 3/4 : 25 % Toxicités vésicales de grade 3 tardives à 2 ans : 3/53 Compliance : 76 % Toxicités GI de grades 3/4 : 15/1 CDDP : cisplatine ; GI : gastro-intestinale. Dans une autoévaluation de 40 patients traités par ce schéma hypofractionné de type “IHF 2SQ”, la qualité de vie était considérée comme satisfaisante pour 65 % des patients, 60 % des patients n’ayant aucun trouble mictionnel et 40 % décrivant des symptômes essentiellement en rapport avec une diminution de leur capacité vésicale. un taux de survie spécifique de 82 % à 3 ans. Le taux de réponse complète est de 88 % sur la cystoscopie de contrôle à 3 mois (17). La tolérance gastro-intestinale de la gemcitabine pourrait être améliorée par l’utilisation de la radiothérapie conformationnelle par modulation d’intensité (RCMI) ou guidée par l’image afin de diminuer le volume d’intestin grêle irradié. Récents résultats de phases I-II de radio-chimiothérapie (tableau II) Conclusion La gemcitabine a fait l’objet de publications de phases I-II récentes. Dans l’essai de O. Caffo et al., 26 patients pT2 et plus ont reçu une radio-chimiothérapie à base de gemcitabine (400 mg/m2) + cisplatine (100 mg/m2). Le taux de survie à 5 ans est de 70,1 %, la survie sans progression de 80 %, et 73,8 % de conservation vésicale sont rapportés (5). L’addition de gemcitabine au cisplatine semble donc augmenter le contrôle local. A. Choudhury et al. ont proposé un schéma hypofractionné (52,5 Gy en 20 fractions) associé à la gemcitabine (100 mg/m2 hebdomadaire), rapportant La radio-chimiothérapie des cancers de la vessie, pratiquée après RTUV complète, est une option valide pour les patients âgés présentant des contre-indications médicales à la cystectomie, ou encore en cas de refus de cystectomie. Les toxicités digestives et urinaires tant aiguës que tardives sont acceptables, la qualité de vie et la fonction vésicale post-radiochimiothérapie ayant été décrites comme satisfaisantes pour au moins 60 % des patients. Le facteur pronostique majeur chez ces patients âgés reste l’index de Karnofsky, retrouvé à la fois dans les séries chirurgicales et dans les séries conservatrices. ■ Agenda 3e Journée d’actualités médico-chirurgicales de la polyclinique du parc Rambot Samedi 14 avril 2012 Centre des congrès, Aix-en-Provence Inscription et renseignements : Email : [email protected] Tél. : 04 42 54 42 60 Internet : www.atoutcom.com 30 Correspondances en Onco-Urologie - Vol. III - no 1 - janvier-février-mars 2012 Radio-chimiothérapie des cancers infiltrants de la vessie : une alternative thérapeutique chez les patients âgés R é f é r e n c e s (suite de la p. 30) 1. Chamie K, Hu B, Devere White RW et al. Cystectomy in the elderly: does the survival benefit in younger patients translate to the octogenarians? BJU Int 2008;102(3):284-90. 2. Prout GR Jr, Wesley MN, Yancik R et al. Age and comorbidity impact surgical therapy in older bladder carcinoma patients: a population-based study. 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