Métastases caverneuses de tumeurs de vessie après

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◆ ARTICLE ORIGINAL
Progrès en Urologie (2003), 13, 1330-1333
Métastases caverneuses de tumeurs de vessie après cystoprostatectomie
Fabrice MONDET (1), Soufiane MKAOUAR (1), Emmanuel CHARTIER-KASTLER (1), Marc-Olivier BITKER (1),
Annick DELCOURT (2), François RICHARD (1)
(1) Service
d’Urologie et de Transplantation Rénale et Pancréatique, (2) Service d’Anatomopathologie, Hôpital de la Pitié, Paris, France
RESUME
Objectif : Evaluer les paramètres prédictifs de métastases caverneuses après cystoprostatectomie pour cancer de
vessie à cellules transitionnelles.
Matériel et Méthode : Entre février 1998 et janvier 2002, 61 hommes ont été traités par cystectomie pour un cancer de vessie à cellules transitionnelles (56 cystoprostatectomies totales et 5 cystectomies partielles). Cinq patients
(5/61= 8%) ont secondairement présenté une métastase caverneuse. Les critères d’évaluation sont répartis en
trois catégories : les données d’anamnèse, les données histologiques de la pièce opératoire et les données du suivi.
Résultats : La métastase apparaissait en moyenne 8,4 mois (3-17) après la cystoprostatectomie. Trois patients sur
5 ont eu un geste endo-uréthral dans le même temps qu’une résection de tumeur vésicale infiltrante de haut
grade histo-pronostique dans leur histoire : on notait alors l’existence d’une récidive urétrale concomitante à la
métastase pénienne. Dans 4 cas sur 5, la tumeur vésicale était multifocale, atteignant le col, étendue et de haut
grade histo-pronostique (> pT3 G3). Dans 4 cas on notait l’existence d’embols vasculaires néoplasiques sur la
pièce de cystoprostatectomie. Toutes les recoupes urétrales faites lors de la cystectomie étaient négatives. Les 5
patients sont décédés avec une survie moyenne de 7 mois (1-21)
Conclusion : L’apparition de métastases péniennes après cystectomie semble volontiers associée à l’existence sur
la pièce opératoire d’une tumeur étendue (> pT3) atteignant le col vésical, de haut grade histo-pronostique et
avec présence d’embols vasculaires. Il faut proscrire tout geste endo-uréthral dans le même temps que la résection d’une tumeur de vessie manifestement infiltrante. Les recoupes urétrales saines n’éliminent pas le risque de
métastases péniennes.
Mots clés : Cancer de vessie, métastases, corps caverneux, cystectomie.
Le cancer de vessie est la tumeur primitive qui métastase le plus fréquemment aux corps caverneux (35% de l’ensemble des métastases
caverneuses selon HADDAD [3]). L’apparition de métastases caverneuses est un événement rare dans l’évolution des cancers vésicaux.
Son incidence est évaluée à 1%. [1] Leur pronostic est sombre avec
une survie dépassant exceptionnellement 20 mois [1, 2]. Les voies
empruntées par les cellules tumorales pour diffuser aux corps caverneux restent discutées mais sont probablement multiples [1-3] :
extension directe par contiguïté, diffusion par voie artérielle, veineuse ou de façon rétrograde par voie lymphatique. Un mécanisme
traumatique instrumental iatrogène est discuté. Dans la littérature,
on ne retrouve pas de facteur prédictif pouvant faire augurer d’un
risque d’apparition de métastases caverneuses. Seul HADDAD [3]
évoque la radiothérapie, qui pourrait favoriser l’apparition de métastases caverneuses dans l’évolution des cancers de vessie.
Nous rapportons notre expérience parmi les patients traités par cystoprostatectomie ou cystectomie partielle pour un cancer de vessie,
qui au décours de l’intervention ont développé une métastase aux
corps caverneux afin de tenter d’en dégager des facteurs de risque.
trante de vessie à cellules transitionnelles. Tous les patients ont eu
en pré-opératoire un scanner thoraco-abdomino-pelvien et une scintigraphie osseuse. Cinq patients ont présenté, au décours de la chirurgie, une métastase caverneuse. Dans tous les cas des biopsies des
corps caverneux ont prouvé l’origine urothéliale de la métastase.
Les critères d’évaluation ont été : les critères d’anamnèse, antérieurs à la cystectomie (durée d’évolution de la pathologie urothéliale superficielle ou infiltrante, types de gestes endo-uréthraux
réalisés en même temps qu’une résection de vessie), les critères histologiques de la pièce de cystectomie (localisation de la tumeur,
classification pTNM, grade histo-pronostique, recoupe urétrale,
présence de CIS, présence d’embols vasculaires néoplasiques), et le
suivi (délai entre le diagnostic du cancer et celui de la métastase
caverneuse, existence d’une localisation urétrale, survie).
RESULTATS
Sur la période étudiée de 4 ans, dans notre centre l’incidence des
Manuscrit reçu : avril 2003, accepté : septembre 2003
MATERIEL ET METHODE
Il s’agit d’une étude monocentrique rétrospective menée entre
février 1998 et janvier 2002 sur des patients consécutifs. Durant
cette période, 56 hommes ont été traités par cystoprostatectomie
totale (CPT) et 5 par cystectomie partielle pour une tumeur infil-
Adresse pour correspondance : Pr. E. Chartier-Kastler, Service d’Urologie et de
Transplantation Rénale et Pancréatique, Hôpital de la Pitié, 83, Bd. de l’Hôpital, 75013
Paris.
e-mail : [email protected]
Ref : MONDET F., MKAOUAR S., CHARTIER-KASTLER E., BITKER M.O., DELCOURT A., RICHARD F., Prog. Urol., 2003, 13, 1330-1333.
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Figure 2. Embols vasculaires néoplasiques sur la pièce opératoire de
cystoprostatectomie.
Figure 1. Récidive uréthrale de la maladie tumorale vésicale.
Tableau I. Résultats :
P : période durant laquelle s’étend l‘évolution de la maladie urothéliale (superficielle et/ou infiltrante) ; RTv : résection de tumeur de vessie ;
CPT : cystoprostatectomie ; CP ; cystectomie partielle ; UP : uréthre prostatique ; V : vessie.
métastases caverneuses au sein d’une population d’hommes traités
par cystectomie pour un cancer de vessie à cellule transitionnelle a
été de 8%. Le délai moyen d’apparition de la métastase caverneuse
après la cystectomie était de 8,4 mois [3-17] avec des modes de
révélation variés (Tableau I) mais où la douleur a été présente dans
4 cas sur 5. L’âge moyen des patients était de 57,6 ans [45-70]. Quatre patients avaient été traités par CPT, le cinquième par cystectomie partielle en raison d’une contre-indication anesthésique à une
CPT. Les indications opératoires et les principaux résultats sont précisées dans le Tableau I.
Trois des 5 patients n’avaient aucun antécédent de tumeur urothéliale superficielle avant la découverte du cancer de vessie. Trois
patients avaient eu un geste endo-uréthral en même temps qu’une
résection de tumeur vésicale infiltrante ou de haut grade histo-pronostique (2 uréthrotomies internes, 1 résection endoscopique de
prostate). Tous les trois présentaient une récidive urétrale (Figure 1)
concomitante au diagnostic de métastase caverneuse (Ta G1 dans
un cas et T2 G3 dans 2 cas).
Dans tous les cas il s’agissait sur la pièce de cystectomie d’une
tumeur étendue ou multifocale atteignant le col vésical. Quatre
patients avaient une tumeur localement avancée (2 pT3, 2 pT4).
Quatre patients avaient une tumeur de haut grade histo-pronostique
(G3). Deux patients présentaient du CIS sur la pièce opératoire
(urètre prostatique et vessie pour l’un ; vessie pour l’autre). Dans
quatre cas (4/4) la recoupe urétrale lors de la chirurgie d’exérèse
était saine (le patient traité par cystectomie partielle n’a pas eu de
recoupe urétrale). Quatre patients présentaient des embols vasculaires néoplasiques sur la pièce opératoire (Figure 2). Trois patients
étaient N0.
Les cinq patients sont décédés. La survie moyenne est 7 mois (121). Dans 2 cas, le décès est survenu un mois après le diagnostic de
la métastase caverneuse (avant l’instauration de tout traitement). Un
patient est décédé à 3 mois, après radiothérapie. Les 2 autres
patients sont décédés avec métastases osseuses et osseuses et hépatiques à respectivement 9 et 21 mois. Le premier a été traité par 4
cures d’une association Gemcitabine et Carboplatine et le second a
subi une pénéctomie associée à 9 cures de MVAC.
DISCUSSION
Dans ce travail, l’incidence de 8% de métastases caverneuses après
cystectomie pour cancer de vessie, entre 1998 et 2001 est huit fois
plus élevée que celle communément admise au sein de l’ensemble
des cancers de vessie établie sur la base de méta-analyses ou de
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revues d’une littérature peu abondante sur ce sujet [3, 6, 1]. La
brève période de 3 ans au cours de laquelle sont apparus ces 5 cas
de métastases caverneuses nous incite à penser que la variation
observée est avant tout due à un aléa statistique et non au traitement
chirurgical lui même qui n’a pas changé sur la période dans l’institution. Cependant, quatre patients présentaient sur la pièce de cystoprostatectomie des embols vasculaires néoplasiques. On peut
alors supposer que la mobilisation per-opératoire d’une pièce de
cystectomie ayant des embols néoplasiques endo-vasculaires puisse
favoriser la diffusion métastatique au corps caverneux. D’un autre
côté, certains auteurs ont plutôt incriminé le traitement par radiothérapie comme favorisant les métastases péniennes [3]. Le délai
observé entre le diagnostic du cancer de vessie et le diagnostic de la
métastase (8,4 mois) est identique à celui observé dans la littérature [1] malgré un cas apparu 10 ans après la tumeur primitive et 2.5
ans après une métastase pulmonaire [1]. Les trois patients qui ont
eu un geste endo-uréthral en même temps qu’une résection de
tumeur infiltrante ou de grade 3 (2 uréthrotomies internes dont une
avec fausse route et une résection trans-uréthrale de prostate) ont
présenté une localisation uréthrale concomitante à la métastase
caverneuse. Ce résultat est en accord avec les données de la littérature [3], qui voient dans les traumatismes instrumentaux urétraux
une possible voie de diffusion métastatique. Compte tenu du caractère rétrospectif de l’étude et que tous les patients opérés d’une cystoprostatectomie dans la même période (n=56) n’ont pas tous un
dossier complet exhaustif de leur passé de chirurgie endoscopique,
nous n’avons pas pu retracer ce facteur de risque par comparaison
statistique. Tous les patients présentaient une tumeur de vessie évoluée : multifocale ou étendue atteignant le col ou infiltrant la prostate (4 tumeurs sur 5 étaient pT3 ou plus). On peut remarquer que
dans un cas, les biopsies de l’urètre prostatique faites 15 jours avant
la CPT n’ont pas diagnostiqué un envahissement prostatique pourtant présent sur la pièce opératoire et que tous les patients avaient
une recoupe urétrale saine lors de l’examen extemporané en peropératoire de la CPT.
Nous avons eu un patient pour lequel le mode de révélation a été un
priapisme. Ceci est rapporté de façon éparse dans la littérature [2].
Cette information a pour intérêt de devoir faire penser à l’hypothèse diagnostique de métastase caverneuse dans un contexte de
tumeur urothéliale connue. CHAN [2] dans son rapport clinique de
deux patients avait trouvé des natures tumorales histologiques similaires mais retrouvait une association à des adénocarcinomes prostatiques. Les biopsies confirmaient le diagnostic de métastase d’origine urothéliale.
Si le diagnostic final impose la biopsie, l’imagerie peut être une
aide substantielle au diagnostic. Nous n’y avons pas eu recours dans
notre série. La qualité de l’imagerie par résonance magnétique
nucléaire dans le diagnostic des pathologies de la verge est bonne et
a été confirmée dans cette pathologie sur quelques dossiers [1].
Au total, au décours d’une cystectomie pour cancer de vessie, il
pourrait exister des facteurs favorisants l’apparition d’une métastase caverneuse d’autant que le patient a eu un geste instrumental
endo-uréthral lors de la résection de vessie préopératoire, qu’il s’agit d’une tumeur localement avancée, multifocale, atteignant le col
vésical, d’un stade supérieur ou égal à pT3, d’un grade histo-pronostique égale à G3, et avec des embols néoplasiques endo-vasculaires. Les recoupes urétrales saines lors de la CPT ainsi que des
biopsies de l’urètre prostatique saines n’éliminent pas le risque de
métastase pénienne d’un cancer de vessie.
L’objectif de ce travail n’était pas d’évaluer les traitements des
métastases caverneuses. Pour notre part, nous avons tenté de l’adapter à chacun des cas particuliers. Il n’en reste pas moins que quel
que soit le traitement proposé, l’apparition de métastases péniennes
reste un événement qui assombrit de façon certaine le pronostic
d’un patient opéré d’un cancer de vessie et témoigne d’une grande
évolutivité de la maladie. En cela cette série est comparable à la littérature [7].
CONCLUSION
L’apparition d’une métastase caverneuse après cystectomie est un
événement rare mais non exceptionnel dans l’évolution des patients
opérés d’un cancer de vessie. Ce risque évolutif semble être plus
important chez les patients ayant eu un geste endo-uréthral concomitant à la résection d’une tumeur infiltrant de haut grade histo-pronostique. Le risque évolutif semble également important lorsque sur
la pièce de cystectomie, on trouve une tumeur de localisation multiple, localement avancée, atteignant le col vésical, de haut grade (>
pT3 G3) et avec la présence d’embols vasculaires. Des recoupes
uréthrales et des biopsies de l’urètre prostatique saines n’éliminent
en rien le risque de métastase pénienne d’un cancer de vessie.
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of the bladder. Eur. Urol., 1987 ; 13 : 310-316.
6. MIYAMOTO T., IKEHARA A., ARAKI M., AKAEDA T., MIHARA M. :
Cutaneous metastatic carcinoma of the penis : suspected metastasis implantation from a bladder cancer. J. Urol., 2000 ; 163 : 1519.
7. PAQUIN A., ROLAND S. : Secondary carcinoma of the penis : a review of
the litterature and a report of 9 new cases. Urology, 1987 ; 29 : 394-397.
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SUMMARY
Cavernosal metastases from bladder tumour after cystoprostatectomy.
Objective: To evaluate the predictive factors for cavernosal metastases
after cystoprostatectomy for transitional cell bladder cancer.
Material and Method: Between February 1998 and January 2002, 61
men were treated by cystectomy for transitional cell bladder cancer (56
total cystoprostatectomies and 5 partial cystectomies). Five patients
(8%) subsequently developed cavernosal metastases. The assessment
criteria were classified into three categories: clinical history, histological findings on the operative specimen and follow-up data.
Results: The metastasis was observed an average of 8.4 months (range:
3-17) after cystoprostatectomy. Three of the 5 patients had a history of
transurethral procedure at the same time as resection of a high-grade
invasive bladder tumour: a urethral recurrence concomitant with the
penile metastasis was observed in these cases. In 4 out of 5 cases, the
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bladder tumour was multifocal, involving the bladder neck, extensive
and high-grade (≥ pT3 G3). Vascular tumour emboli were detected on
the cystoprostatectomy specimen in 4 cases. All urethral sections performed during cystectomy were negative. All 5 patients died with a
mean survival of 7 months (range: 1 to 21 months).
tumour (≥ pT3) on the operative specimen, involving the bladder neck,
with a high histoprognostic grade and with the presence of tumour
embolus. No transurethral procedures should be performed at the same
time as resection of an obviously invasive bladder tumour. Health urethral sections do not exclude the risk of penile metastases.
Conclusion: The development of penile metastases after cystectomy
appears to be frequently associated with the presence of extensive
Key-Words: Bladder cancer, metastases, corpora cavernosa, cystectomy.
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