OPHTALMOLOGIE Revue Marocaine du Cancer 2012, vol. 4, n°2 : 48-51 Fait Clinique CARCINOME EPIDERMOIDE CONJONCTIVAL AVEC EXTENSION LOCO-REGIONALE (A PROPOS DE 2 CAS) L. BENHMIDOUNE, R. KARAMI, G. ELHOUARI, M. ADLI, W. BAHA, A. BENSEMLALI, M. ELBELHADJI, K. ZAGHLOUL, A. AMRAOUI Service d'Ophtalmologie, Hôpital 20 Août, Casablanca, Maroc RESUME ABSTRACT Le carcinome épidermoïde conjonctival est une tumeur rare. Le diagnostic de certitude est histologique. Le traitement dépend de l’extension maligne locorégionale et générale, ainsi que de l'état de santé du patient lui-même. Nous rapportons le cas de deux patients adressés dans notre Service d’Ophtalmologie Adulte de l’Hôpital 20 Août du CHU de Casablanca pour la prise en charge d’une tumeur maligne de la conjonctive. Dans tous les cas, il s’agissait d’un carcinome épidermoïde conjonctival. Les deux tumeurs étaient unilatérales. La première survenue chez un patient âgé de 72 ans avec notion d’exposition importante aux UV, la deuxième est survenue chez un sujet jeune de 43 ans ayant comme antécédents une brûlure chimique à la choux. Les deux cas sont pris en charge à un stade tardif d’envahissement locorégional. Ils ont bénéficié d’une exentération, avec un curage ganglionnaire pour le premier cas, complété d'une radiothérapie. Les deux patients ont été suivis. Les carcinomes épidermoïdes conjonctivaux sont rares, même au Maroc qui est une région au climat chaud. Une surveillance particulière des facteurs de risque, comme l’exposition solaire s’impose, ainsi que le diagnostic histologique devant toute tumeur conjonctivale, surtout si celle-ci se modifie rapidement. Le traitement dépend de l’extension maligne locorégionale et générale, ainsi que de l’état de santé du patient lui-même. Il faut insister sur l’importante fréquence des récidives tumorales obligeant la mise en place d’un suivi au long cours. CONJUNCTIVAL EPIDERMOID CARCINOMA WITH LOCOREGIONAL EXTENSION (TWO CASES REPORT) Mots clés : conjonctive, carcinome épidermoïde, exposition solaire, brûlure à la chaux, exentération, radiothérapie Key words : conjunctive, epidermoid carcinoma, solar exposure, burn with lime, exenteration, radiotherapy Conjunctival epidermoid carcinoma is a rare tumor. The diagnosis is histological. The treatment depends on the malignant locoregional and general extension, as well as health condition of the patient himself. We report the case of two patients addressed in adult Ophthalmology unit of the hospital August 20 of the university hospital of Casablanca for the management of conjunctive malignant tumor. In all the cases, it was about conjunctival epidermoid carcinoma. The two tumors were unilateral. The first has occurred at a 72 year-old man with concept of important exposure to UV. The second occurred at a 43 year-old man having as antecedents a chemical burn with lime. The two cases were at late stage of locoregional invasion. They profited from a exenteration, with a lymphoid curage, supplemented of a radiotherapy for the first case. The two patients were followed. Conjunctival epidermoid carcinomas are rare, even in Morocco which is an area with the hot climate. A particular monitoring of the risk factors, as the solar exposure is essential, as well as the histological diagnosis in front of any conjunctival tumor, especially if this one changes quickly. The treatment depends on the malignant locoregional and general extension, as well as health condition of the patient himself. It is necessary to insist on the important frequency of the tumoral relapses obliging the installation of a follow-up to the long course. Correspondance : Dr. L. BENHMIDOUNE. 65, Bd Omar El Idrissi, Rés. Prestige du Jardin, appt 14, Mers Sultan, Casablanca, Maroc. E-mail : [email protected] INTRODUCTION MATERIEL ET METHODE Le carcinome épidermoïde conjonctival (CEC) est une tumeur rare qui fait partie des tumeurs malpighiennes différenciées. On lui reconnaît une évolution précancéreuse longue comprenant de multiples dysplasies jusqu'au carcinome in situ (CIS) qui progresse lentement [1]. Le traitement dépend de l'extension maligne locorégionale et générale, ainsi que de l'état de santé du patient lui-même. Nous rapportons deux observations du carcinome épidermoïde conjonctival colligés dans le Service d’Ophtalmologie de l’Hôpital 20 Août de Casablanca dont nous précisons les caractéristiques cliniques, les bilans complémentaires ainsi que les modalités thérapeutiques. 48 Carcinome épidermoïde conjonctival avec extension loco-régionale L. BENHMIDOUNE et coll. OBSERVATIONS • Cas 2 Un homme de 43 ans, est adressé à notre service pour une tuméfaction de la conjonctive bulbaire temporale supérieure augmentant rapidement de volume de l’œil droit. L’interrogatoire révèle une brulure oculaire à la chaux de l’œil droit il y a 11 mois mal prise en charge du fait de la mauvaise observance du patient. L’examen trouve au niveau de l’œil droit une exophtalmie importante, globe oculaire non identifiable, une tumeur ulcéro-bourgeonnante de 6 à 7 cm, aux dépens des paupières épaissies avec nécrose de la paupière inférieure (fig. 4a). L’étude anatomopathologique des biopsies de la conjonctive bulbaire et du globe a posé le diagnostic de carcinome épidermoïde conjonctival bien différencié et invasif avec nécrose et infiltration du globe (fig. 5). Le bilan d’extension fait de TDM crânio-faciale objective une tuméfaction volumineuse mesurant 7 cm dans son grand diamètre aux dépens de la conjonctive bulbaire temporale avec envahissement des muscles oculomoteurs externe et supérieur, de la graisse orbitaire (fig 4b). Le patient a bénéficié d’une exentération suivie d’une radiothérapie avec un suivi de 2 mois. • Cas 1 Un homme âgé de 72 ans, ayant comme antécédent une chirurgie de cataracte de l’œil gauche il y a un an, présente une tuméfaction de la conjonctive de l’œil gauche évoluant depuis 10 mois. L’examen ophtalmologique trouve au niveau de l’œil gauche une acuité visuelle à 1/10ème, une tumeur de la conjonctive bulbaire étendue sur 360° bourgeonnante infectée envahissant le limbe, un œdème palpébral, une motilité oculaire limitée dans le regard en dehors (fig. 1), pseudophaque, un fond d’œil normal. L’examen de l’œil droit est normal. L’examen anatomopathologique révèle un carcinome épidérmoide bien différencié kératinisé et infiltrant le chorion (fig. 2). La TDM complétée d’une IRM crânio-faciale objective et une lésion tumorale au niveau de la partie externe de l’orbite gauche envahissant le muscle droit externe et la graisse extraconique (fig. 3) avec adénopathie intra parotidienne gauche. Le bilan d’extension est négatif. Le patient a bénéficié d’une exentération avec parotidectomie et curage ganglionnaire suivie d’une radiothérapie, la patient a été suivi sur une durée de 10 mois sans récidive régionale ni générale puis perdu de vu par la suite. a. b. Fig. 1. Carcinome épidermoïde conjonctival sous forme d'une tumeur bourgeonnante infectée Fig. 2. Prolifération carcinomateuse infiltrante disposée en lobules et envahissant le stroma conjonctival (HE x 200) 49 Revue Marocaine du Cancer 2012, vol. 4, n°2 : 48-51 a. b. Fig. 3. TDM cranio-faciale : lésion tumorale au niveau de la partie externe de l'orbite gauche envahissant le muscle droit externe et la graisse extraconique a. b. Fig. 4. a. Une tumeur ulcéro-bourgeonnante de 6 à 7 cm aux dépens des paupières épaissies avec nécrose de la paupière inférieure. b. Tuméfaction volumineuse mesurant 7 cm dans son grand diamètre avec envahissement des muscles oculomoteurs externe et supérieur Fig. 5. Les cellules carcinomateuses sont polygonales atypiques bordant des foyers de kératinisation (HE x 400) DISCUSSION avec prédilection en regard de la fente palpébrale au sein de la conjonctive épibulbaire et aux dépens du limbe conjonctivocornéen [3]. Le premier patient résidait depuis longtemps dans une région où l’intensité du rayonnement ultra-violet est importante. De surcroît, il exerçait sa principale activité à Le carcinome épidermoïde conjonctival (CEC) est une tumeur rare. L’exposition solaire prolongée est reconnue comme un facteur prédisposant aux CEC. Ainsi, ces tumeurs s’observent 50 Carcinome épidermoïde conjonctival avec extension loco-régionale L. BENHMIDOUNE et coll. CONCLUSION l’extérieur, ne portait pas de protection contre les rayons ultraviolets et évoquait l’existence d’une lésion conjonctivale nodulaire, indolore, superficielle, ancienne, apparue sur le site du CEC et négligée depuis longtemps. Ces lésions précancéreuses non kératinisées (néoplasies intra-épithéliales) sont le siège de dysplasies épithéliales dont le degré le plus élevé est le carcinome in situ [1]. On le distingue de la kératose actinique, lésion autonome et kératinisée, dont la signification est tout aussi sévère. Le carcinome micro-invasif est une lésion précancéreuse en voie de transformation vers le carcinome invasif vrai. Une irritation sévère de nature chimique, comme une brûlure à la chaux observée chez le deuxième patient et d’autres irritations de nature infectieuse comme le trachome, et l’infection par le Human Papilloma Virus (HPV) 16 ou 18, seraient également des facteurs de risque [3]. Devant toute tumeur conjonctivale suspecte de part son aspect, sa symptomatologie douloureuse, ou encore sa croissance brutale, il faut procéder à une exérèse chirurgicale soigneuse. L'étude anatomopathologique de la pièce est la seule à garantir le diagnostic de certitude. Il reste à sensibiliser la population aux facteurs de risque et à l'importance de la protection contre les rayons ultraviolets. REFERENCES Le CEC concerne le plus souvent des personnes âgées de plus de 55 ans, sans prédominance d’un sexe. Notre premier patient était âgé de 72 ans. Quand le CEC survient à des âges plus précoces, une brûlure oculaire sévère ou surtout une infection par le VIH doit être recherchée. Au Kenya, sur 409 patients infectés par le VIH, la prévalence du CEC était de 7,8%, et la moyenne d’âge des patients était de 38,3 ans [4]. Dans les zones d'épidémie de SIDA, on observe une augmentation constante de l'incidence du CEC : 10 cas recensés en 1994, 40 en 1997 en Tanzanie [5, 6, 7]. Le CEC prend l’aspect d’une tumeur végétante ou bourgeonnante parfois ulcérée, dont chaque lobule comporte un axe vasculaire [8]. Il survient souvent sur une zone préalablement irritée de façon chronique (kératose actinique et carcinome in situ). L’histologie seule permet le diagnostic avec certitude. Les CEC sont constitués de cellules épithéliales atypiques organisées en travées ou isolées et situées au sein de cellules dyskératosiques concentriques. Les anomalies nucléaires consistent en de gros noyaux hyperchromatiques et de gros nucléoles. Le stroma est le siège d'une importante réaction inflammatoire. Les capillaires sont dilatés, tortueux, nombreux et doublés d'une multitude de fins néovaisseaux formant un réseau de boucles et de ramifications. L’extension du CEC se fait avant tout localement par continuité d'abord en surface, puis en profondeur. Les métastases lymphatiques (prétragiennes et sous-angulomaxillaires) et générales (cœur, poumon, cerveau) sont rares et concernent essentiellement les tumeurs très évoluées. L’exérèse de la tumeur doit être complète. En présence d’un envahissement orbitaire, l’exentération s'impose ainsi qu’un curage ganglionnaire, une parotidectomie et une radiothérapie. En effet, le taux de récurrence des CEC est élevé, surtout au cours de la première année suivant l’exérèse chirurgicale [9]. Dépourvue d'effets secondaires importants, la cryothérapie du lit scléral, du limbe et/ou de la conjonctive marginale réduit de façon significative le taux de récidive [10]. La mytomycine C a été préconisée par certains en cas de récidives ou sur des tumeurs de grande taille [9]. La radiothérapie de contact préopératoire faciliterait la régression tumorale et rendrait l’exérèse plus aisée [11]. De bons résultats ont également été obtenus par Barbazetto et al. [12]. En utilisant la photothérapie dynamique, plus respectueuse des tissus environnants. 1. Johnson TE, Tabbara KF, Weatherhead RG, Kersten RC, Rice C, Nasr AM. Secondary squamous cell carcinoma of the orbit. Arch Ophthalmol 1997 ; 115 : 75-8. 2. Tulvatana W, Tirakunwichcha S. Multifocal squamous cell carcinoma of the conjunctiva with intraocular penetration in a patient with AIDS. Cornea 2006 ; 25 : 745-7. 3. Chisi SK, Kollmann MK, Karimurio J. Conjunctival squamous cell carcinoma in patients with human immunodeficiency virus infection seen at two hospitals in Kenya. East Afr Med J 2006; 83 : 267-70. 4. Pola EC, Masanganise R, Rusakaniko S. The trend of ocular surface squamous neoplasia among ocular biopsies submitted for histology from Sekuru Kaguvi, Harare between 1996 and 2000. Eye Unit Centr Afr Med J 2003 ; 49 : 1-4. 5. Kaimbo Wa Kaimbo D, Parys-Van Ginderdeuren R, Missotten L. Conjunctival squamous cell carcinoma and intraepithelial neoplasia in AIDS patients in Congo Kinshasa. Bull Soc Belge Ophtalmol 1998 ; 268 : 135-41. 6. Tabin G, Levin S, Snibson G, Loughnan M, Taylor H. Late recurrences and the necessity for long-term follow-up in corneal and conjonctival intraepithelial neoplasia. Ophthalmology 1997; 104 : 485-92. 7. Sudesh S, Rapuano CJ, Cohen EJ, Eagle RC Jr, Laibson PR. Surgical management of ocular surface squamous neoplasms: the experience from a cornea center. Cornea 2000 ; 19 : 27883. 8. Khokhard S, Soni A, SinghSethi H, Sudan R, Sony P, Pangtey MS. Combined surgery, cryotherapy, and mitomycin-C for recurrent ocular surface squamous neoplasia. Cornea 2002 ; 21: 189-91. 9. Jefferson T. Topical mitomycin C for extensive, recurrent conjunctivalcorneal squamous cell carcinoma. Am J Ophthalmol 2003 ; 135 : 122-3. 10. Kearsley JH, Fitchew RS, Taylor RGS. Adjunctive radiotherapy with strontium-90 in the treatment of conjunctival squamous cell carcinoma. Int J Radiat Oncol Biol Phys 1988 ; 14 : 43543. 11. Goldberg JR, Becker SC, Rosenbaum HD. 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