DERMATOLOGIE

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DERMATOLOGIE
Revue Marocaine du Cancer 2010 ; 3 : 31-34
Article Original
LES CARCINOMES EPIDERMOIDES DE LA REGION CEPHALIQUE
(ETUDE DE 178 CAS)
N. EL FARES1, M. RACHID1, S. MATEH1, O. HOCAR1, N. AKHDARI1, S. AMAL1, B. BELAABIDIA2,
A. HAKKOU3, B. BEN HAMI3, B. EDDAFALI3
1. Service de Dermatologie et Vénéréologie, CHU Mohammed VI, Marrakech, Maroc ; 2. Service d’AnatomopathologieCHU Mohammed VI, Université Cadi Ayyad, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Marrakech, Maroc ;
3. Laboratoires d’Anatomo-Pathologie du secteur libéral, Marrakech, Maroc
RESUME
ABSTRACT
Le carcinome épidermoïde cutané (CEC) est une tumeur maligne
épithéliale de la peau. Il constitue un véritable problème de santé
publique du fait de sa fréquence, de sa morbidité et de sa mortalité.
Le but de ce travail est de définir le profil épidémiologique et
anatomo-clinique du CEC dans la région de Marrakech.
Une étude rétrospective était réalisée sur une période de 14 ans (de
janvier 1995 à décembre 2009), colligeant tous les cas de CEC du
Service de Dermatologie et du Laboratoire Anatomo-pathologique
du CHU Mohammed VI, ainsi que des laboratoires anatomopathologiques du secteur libéral. L’âge moyen était de 72 ans et
une prédominance masculine a été notée (74%). Les lésions
précancéreuses les plus fréquentes étaient les kératoses actiniques
(8 cas) et les génodermatoses (4 cas) avec 3 cas de xeroderma
pigmentosum. La localisation était le visage dans 79% des cas et
le cuir chevelu dans 21% des cas. Les formes ulcéro-bourgeonnantes
prédominaient. Le type histologique bien différencié était le plus
fréquent. Des adénopathies satellites ont été rapportées dans 9 cas.
Les métastases cutanées et viscérales ont été notées chez un patient.
Le traitement chirurgical seul a été instauré chez 96,7% des malades.
Les données épidémiologiques et anatomo-cliniques du carcinome
épidermoïde cutané dans la région de Marrakech sont comparables
aux données de la littérature.
SQUAMOUS CELL CARCINOMAS OF THE CEPHALIC
REGION (STUDY OF 178 CASES)
Squamous cell carcinoma (SCC) is a malignant epithelial tumor of
the skin. It constitutes a real public health problem because of its
frequency, morbidity and mortality. The aim of this work is to define
the epidemiological and anatomoclinical profile of the CEC in
Marrakech region.
A retrospective study was conducted over a period of 14 years
(january 1995 - december 2009). All cases of CEC of Dermatology
Department, Pathological Laboratory of the Mohammed VI University
Hospital, as well as pathological laboratories of liberal sector were
collected. The average age was 72 years old. A male predominance
was noted (74%). The most frequent precancerous lesions were the
actinic keratosis (8 cases) and genodermatosis with 3 cases of
xerodema pigmentosum. The most frequent localisation was the face
in 79% of cases and the scalp in 21% of cases. The ulcero-budding
forms prevailed. Histological distinguished type was the most
frequent. Satellite adenopathies were reported in 9 cases. Cutaneous
and visceral metastases were noted in one patient. For 96.7% of the
patients, only surgery was chosen. Epidemiological and
anatomoclinical data of squamous cell carcinoma in the Marrakech
region joins literature data.
Mots clés : carcinome épidermoïde cutané, génodermatose, lésion
précancéreuse, région céphalique
Key words : squamous cell carcinoma, genodermatosis, precancerous
lesion, cephalic region
Correspondance : Dr. N. EL FARES. Résidence Najd, Immeuble
C39, Appt 5, route de Safi, 40000, Marrakech, Maroc. E-mail :
[email protected]
INTRODUCTION
PATIENTS ET METHODES
Les carcinomes cutanés sont les cancers les plus fréquents
chez l’adulte. Les carcinomes épidermoïdes cutanés (CEC)
ou carcinomes spinocellulaires représentent 20% de ces
carcinomes [1]. Ils constituent un véritable problème de santé
publique du fait de leur fréquence, de leur morbidité et de
leur mortalité.
C’est une étude rétrospective sur une période de 14 ans (de
janvier 1995 à décembre 2009), colligeant tous les cas de
CEC du Service de Dermatologie et du Laboratoire AnatomoPathologique du CHU Mohammed VI, ainsi que des
laboratoires anatomo-pathologiques du secteur libéral de la
région de Marrakech.
Le but de ce travail est de définir le profil épidémiologique
et anatomo-clinique du CEC dans la région de Marrakech.
Les données recueillies étaient l’âge, le sexe, les antécédents
pathologiques, la présence de lésion précancéreuse, le siège,
les aspects cliniques et histologiques, le bilan d’extension, le
traitement reçu et l’évolution.
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Les carcinomes épidermoïdes de la région céphalique
N. EL FARES et coll.
RESULTATS
Durant cette période, 178 cas de CEC confirmés
histologiquement siégeant au niveau de la région céphalique
ont été recensés, soit 70% de tous les CEC colligés durant la
même période. L’âge moyen était de 72 ans. Le diagnostic du
CEC se faisait après un intervalle supérieur à 12 mois. Une
prédominance masculine a été notée (74%). Le tiers de nos
patients travaillait dans l’agriculture.
Le CEC est survenu sur des lésions de kératoses actiniques
dans 8 cas, sur des génodermatoses prédisposantes : xeroderma
pigmentosum dans 3 cas et albinisme oculo-cutané type II
dans 1 cas (fig. 1), sur des lésions de leucodysplasie et de
teigne favique dans 1 cas chacune.
Fig. 2a. et b. CEC au niveau du cuir chevelu
Tableau I. Répartition du CEC au niveau du visage
Siège
Nombre de cas
Pavillon de l'oreille
Lèvres
Joue
Pyramide nasale
Front
Paupières
Siège non précisé
36
27
20
15
11
8
25
Fig. 1. Carcinome épidermoïde cutané chez un albinos
La localisation était le visage dans 79% des cas et le cuir
chevelu dans 21% des cas (fig. 2a et b). La répartition du
CEC au niveau du visage était comme suit (tableau I) : pavillon
de l’oreille (36 cas), lèvres (27 cas) (fig. 3), joue (20 cas),
pyramide nasale (15 cas), front (11 cas) (fig. 4), paupières
(8 cas) (fig. 5). Le siège était non précisé dans 25 cas.
Cinquante-deux pour cent des patients avaient bénéficié de
biopsie cutanée, alors que 48% avaient eu une biopsie exérèse
d’emblée. La forme ulcéro-végétante était la plus fréquente
(26%), suivie de la forme végétante (14%), puis la forme
ulcéreuse (11%). Le CEC était bien différencié dans 77% des
cas. Neuf patients avaient présenté des adénopathies au niveau
du territoire de drainage de la lésion. Vingt deux malades
avaient bénéficié d’un bilan d’extension : la radiographie du
poumon était la plus demandée soit 63%, elle n’avait pas
objectivé de localisation secondaire dans tous les cas.
L’échographie abdominale était réalisée dans 53% des cas,
elle avait mis en évidence des métastases hépatiques dans 1
cas. Seulement deux patients avaient bénéficié d’un scanner
thoraco-abdominal qui était normal.
Fig. 3. CEC au niveau de la lèvre
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Revue Marocaine du Cancer 2010 ; 3 : 31-34
L’incidence du carcinome épidermoïde cutané est difficile à
évaluer car la plupart des cas ne sont pas collectés dans les
registres du cancer.
Dans notre étude, on note une prédominance masculine (74%),
ce qui concorde avec les données de la littérature [2, 3]. L’âge
moyen de survenue est de 72 ans, constatation soutenue par
l’étude réalisée par Foo qui montre que l’âge médian de
survenue est de 72,9 ans [4]. Tandis que dans les études
menées sur peau noire, l’âge moyen est de 48 ans dans la série
de Napo-Koura [5] et de 47 ans dans celle de Dieng [6].
Dans notre contexte, la localisation prédominante était le
visage (79%), ce qui rejoint les résultats de l’étude de Lage
avec un pourcentage de 72,4% [7]. L’électivité pour le pavillon
de l’oreille constatée dans notre série est retrouvée dans la
littérature. Dans notre série, le diagnostic du carcinome
épidermoïde cutané se fait dans 70% des cas après une durée
d’évolution supérieure à 12 mois, alors que dans les résultats
rapportés dans l’étude réalisée par Benzekri [2], le délai moyen
est de 36 mois et de 21,2 mois dans celle faite par Foo [4].
Fig. 4. CEC ulcéro-végétant au niveau du front
La kératose actinique est la lésion précancéreuse la plus
fréquente dans notre étude, ce qui concorde avec la littérature
[8, 9]. Dans notre série, la forme ulcéro-végétante était la plus
dominante ce qui coïncide avec les résultats de la littérature
représentés par l’étude faite par Dieng où cette forme était
retrouvée dans 66% des cas [6], et également dans l’étude
réalisée par Chiheb où la forme ulcéro-végétante était la plus
observée [8].
Le traitement des carcinomes épidermoïdes est avant tout
chirurgical. En effet, seul ce traitement permet un contrôle
histologique des marges d’exérèse et donc un meilleur contrôle
de l’évolution à moyen et à long terme, ce qui devient de plus
en plus nécessaire du fait de l’augmentation de la durée de
vie de la population. Il est préférable de faire la reconstruction
dans un deuxième temps par les greffes cutanées de peau
totale, peau mince, et greffe composée, ou par les lambeaux
selon l’indication chirurgicale, lorsque l’examen histologique
a confirmé que l’exérèse est totale.
Dans notre série, le traitement chirurgical seul a été instauré
chez 96,7% des malades. Ces résultats sont identiques à ceux
démontrés par la littérature dans l’étude menée par Bouhllab
où la chirurgie a été pratiquée chez 92,3% [10], et dans l’étude
réalisée par Foo [4] dont 83,3% des malades ont eu un
traitement chirurgical.
Fig. 5. CEC ulcéro-végétant au niveau de la paupière
Tous les patients hospitalisés au service de dermatologie (34
malades) avaient bénéficié d’un traitement chirurgical sous
forme d’exérèse complète, sauf un cas qui présentait d’emblée
des métastases cutanées et viscérales. Un curage ganglionnaire
était réalisé chez 3 malades. L’évolution était marquée par
une récidive de la lésion dans 4 cas après un délai moyen de
4 mois et un patient avait présenté des métastases cutanées
et viscérales.
Tout carcinome épidermoïde doit être considéré comme
agressif puisqu’il a tendance à récidiver et à métastaser. Le
taux de récidive d’une tumeur primitive à 5 ans est d’environ
8% et celui de métastase de 5% [11].
Les carcinomes épidermoïdes cutanés de la face et du cou ont
un taux relativement faible de métastases ganglionnaires
cervico-faciales (0,5 à 16%), mais le pronostic de ces métastases
est mauvais (la survie à 5 ans est de 20%) [12]. Les localisations
au niveau des lèvres, des oreilles et du cuir chevelu sont plus
agressives que celles de la face avec un taux de récidive entre
20 et 25% [13].
DISCUSSION
Le CEC est une tumeur invasive qui se développe aux dépens
des kératinocytes épidermiques ou des muqueuses
malpighiennes buccales, anales ou génitales.
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Les carcinomes épidermoïdes de la région céphalique
N. EL FARES et coll.
CONCLUSION
Le CEC est une tumeur maligne fréquente, son incidence
augmente régulièrement du fait de l’allongement de la durée
de vie et des habitudes comportementales, en particulier
l’exposition solaire.
L’évolution de cette tumeur est marquée par la destruction et
la dissémination métastatique.
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Le traitement curatif fait appel essentiellement à la chirurgie.
La gravité de cette tumeur justifie un traitement préventif qui
repose sur la photoprotection, l’éducation de la population,
le dépistage et le traitement des lésions précancéreuses.
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