Carcinome - Edilivre

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Guylaine Jollivet
Carcinome !
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Quelqu’un m’a demandée récemment : « que t’est-il
arrivé dans la vie avant ce cancer ? ».
Comment répondre ? J’avais une vie qu’on peut
qualifier de normale, facile… Enfance et jeunesse plutôt
agréables, un mari présent, aimant, deux enfants en pleine
construction de leur propre vie.
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À quoi bon un roman auquel son auteur
n’a pas été contraint ?
Georges Bataille
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Carcinome ! saison 1
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Vendredi 15 juin 2012
Mon jour de chance !
J’ai un « petit » cancer du sein, rien de méchant…
Je suis allée seule au rendez-vous chez ma gynécologue
parce que je n’y croyais pas du tout. Et pourtant, c’était
d’une évidence. Après une biopsie, si tout va bien, on
reçoit un simple coup de fil de sa gynéco.
Moi, je suis en pleine forme, alors… c’est sûrement
une erreur… quelqu’un qui a un cancer est forcément
affaibli, non ?
Pas facile, pour ma gynéco, des moments comme celuilà, qui font malheureusement partie de son quotidien.
L’annonce… c’est le début d’une longue histoire…
Elle a fait ça très bien. J’écoute. Mes yeux se brouillent.
Mes oreilles bourdonnent. Mon sang se glace. Qu’est-ce
que je dois dire ? Je me sens pourtant bien encore pour
quelques minutes.
Carcinome lobulaire infiltrant, grade II. Que veut dire ce
mot « Carcinome » ? ah oui… Cancer ! Je ne le savais pas. Le
mot cancer ne figure nulle part sur mes résultats de biopsie,
ce qui pourrait paraître rassurant quand on ne sait pas !
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Et pourtant, il s’agit bien d’un cancer du sein.
C’est grave ? Bien sûr que c’est grave !
Je pleure, j’ai peur, c’est normal. Colère, apitoiement,
révolte…
Je vais devoir me « battre », moi qui aspirait plutôt à
une certaine sérénité, une vie zen comme je l’aime, à l’aube
de mes 50 ans.
Le dire.
Ça ne peut pas attendre, il faut que je le dise.
Je pars rejoindre Bertrand sur son lieu de travail.
J’arrive à conduire, je ne sais comment, je suis gravement
malade, on vient de me l’apprendre, mais j’ai tous mes
réflexes. On se serre dans les bras, on ne réalise pas encore.
J’arrive au bureau. Tout le monde est gentil tout à
coup. Tout me semble accessible, facile.
Agnès, ma meilleure amie, je dois l’appeler tout de
suite, lui faire partager ce qui vient de me tomber sur la
tête. Que dire ! Il faut trouver les mots, déjà, pour apaiser
les maux.
Mon généraliste, vite, il faut l’informer, il y a des
papiers à remplir, il faut mettre en place l’ALD1 (je sais
vaguement ce que ça veut dire)… ah ! pour cinq ans quand
même…
Mes parents. Je ne peux pas annoncer une chose
pareille par téléphone. Je décide d’y aller. Ils font bonne
figure, je dédramatise comme je peux. Ils ont dû craquer
dès mon départ. S’il existe le mot « orphelins » pour les
enfants qui perdent leurs parents, il n’en existe pas pour
des parents qui perdent leur enfant, enfin, je ne le connais
pas.
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Affection longue durée.
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Les enfants. Geoffrey termine sa licence à Rennes, je
vais attendre qu’il rentre à la maison afin de lui parler de
vive voix. En revanche, Anaïs vit à Londres, le téléphone,
c’est cruel dans ces cas-là.
Mon frère, qui ne réagit pas car il n’est pas dans ses
habitudes de montrer ses émotions, est très affecté. Ma
nièce est sûre qu’ils se sont « trompés », ce n’est pas
possible autrement. J’aimerais bien qu’elle ait raison, mais
non, c’est bien de moi qu’il s’agit.
Le lendemain matin, les grandes eaux, un chagrin
intarissable, un mal de tête carabiné. Au secours ! Mon
amie Brigitte, qui habite tout près et qui sait guérir tous les
maux (Shiatsu2, fleurs de Bach3…), arrive tout de suite.
Voilà. J’ai fait le tour. Tous ceux qui doivent le savoir le
savent, ce sont eux qu’on appelle « les proches » : ma famille
(j’y inclus ma belle-famille), mes amies les plus intimes.
Quatre jours seulement avant le rendez-vous avec le
chirurgien, comme c’est simple, rapide. Contrairement à la
gynéco, il ne parle pas de « petit » cancer. Il nous expose
tous les scénarios possibles, c’est difficile à entendre.
Prochaine étape, une IRM4, pour vérifier qu’il n’y a pas des
« p’tits » cachés derrière la tumeur dépistée. Le même jour,
une ponction d’un ganglion « sentinelle » sera effectuée
pour l’analyser (le sein n’est pas seul, il y a des ganglions
auxquels on ne pense pas d’un premier abord). Ensuite, il
prévoit une intervention chirurgicale, plus ou moins
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Thérapie japonaise d’équilibre des énergies du corps avec des pressions des
doigts le long des méridiens.
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Élixirs floraux réalisés à partir de trente-huit essences de fleurs qui permettent
de ré-harmoniser les états d’esprit. Elles tiennent leur nom de leur concepteur, le
docteur Edward Bach (1886-1936).
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Imagerie par résonance magnétique.
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importante en fonction des résultats, « le moins », on
enlève la tumeur et on n’en fait pas d’histoire, « le plus »,
on enlève tout le sein et cela s’appelle une mastectomie.
Je craque. J’ai des règles qui n’en finissent pas, je n’en
peux plus de voir tout ce sang. Finalement, c’est facile de
perdre mes deux kilos en trop. Je profite de moments
simples qui deviennent divins. Je vis normalement mais
dans un autre monde, qui m’est propre. Au bureau, je
forme ma remplaçante, moi qui me croyais irremplaçable !
Les objectifs prioritaires de la certification ISO 9001 me
semblent totalement obsolètes, tout me paraît sans intérêt
alors que mon travail me passionnait.
Quelque part, aussi étrange que cela puisse paraître, je
me sens libre.
Mes cellules folles sont en train de me grignoter de
l’intérieur. Et pourtant, je me sens en pleine forme, tout
cela semble tellement irréel !
Anaïs a 24 ans, l’âge que j’avais quand je l’ai mise au
monde. Rien que d’y penser, je m’émotionne, je souris, je
pleure. Elle est belle la vie tant qu’on est en vie.
Les chats, Maïto, Toumaï, sont chamboulés.
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Mercredi 4 juillet 2012
Finalement, « il » est méchant !
Je n’aurai plus de sein droit mercredi prochain.
L’IRM a révélé une deuxième tumeur cachée, plus
grosse que l’autre, 4 cm. Il n’a pas été nécessaire de
ponctionner un ganglion « sentinelle », le verdict est clair
et net, je n’aurai plus de sein droit mercredi prochain. Je
suis passée de la salle de l’IRM à celle de l’échographie
pour une biopsie, je ne sais comment, je ne me souviens de
rien. Ai-je pu marcher ? Parler ? J’ai juste eu le temps de
dire à Bertrand qui attendait sagement dans la salle
d’attente que les résultats étaient catastrophiques. J’ai dû
lui annoncer assez brutalement. J’ai comme un vide dans
ma mémoire. Quelle horreur pour lui, il est resté seul avec
cette nouvelle immonde à digérer. La biopsie a été faite
rapidement, rageusement. Je pleure. L’infirmière essuie
mes larmes. Le cancer fait peur au personnel soignant
aussi, même s’il fait partie de leur quotidien. Ils savent
qu’ils ne sont pas immunisés.
Je suis en vie.
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