DOULEUR ANALGESIE PERIDURALE POSTOPERATOIRE, INDICATIONS ET SURVEILLANCE C. Jayr, DAR Institut Gustave Roussy, 39, rue Camille Desmoulins, 94805 Villejuif. INTRODUCTION L’analgésie épidurale fut utilisée pour la première fois par voie caudale en 1885. En 1931, un cathéter urétéral et l’injection de dibucaïne permettent une analgésie obstétricale prolongée. En 1949, il est rapporté que cette technique permet une déambulation précoce après chirurgie abdominale et en 1956, il est recommandé de l’utiliser avec des anesthésiques locaux pour traiter la douleur postopératoire. Depuis, de nombreuses équipes ont précisé les indications, les modalités de traitement et les éléments de surveillance pour la rendre efficace et sûre. L’association d’un anesthésique local et d’un morphinique par voie épidurale procure une analgésie de meilleure qualité que les autres techniques, surtout à la mobilisation. La sédation de la douleur ne devrait plus, au moins en théorie, être un problème majeur. Mais le rapport risque/bénéfice de cette technique doit être cependant évalué pour chaque malade et l’impact de la qualité de l’analgésie sur la morbidité postopératoire reste à préciser. Enfin, l’analgésie doit s’intégrer dans une prise en charge globale de l’opéré afin d’améliorer sa qualité de vie et raccourcir la durée d’hospitalisation. 1. INDICATIONS DE L’ANALGESIE EPIDURALE POSTOPERATOIRE L’analgésie épidurale lombaire ou thoracique procure une analgésie efficace et satisfaisante après chirurgie du thorax et de l’abdomen [1]. La qualité et la consistance de cette analgésie en font une référence à laquelle les autres techniques d’analgésie aspirent. Pour la chirurgie orthopédique des membres inférieurs, l’analgésie épidurale s’inscrit comme la suite d’une technique anesthésique. Une analgésie comparable peut cependant être obtenue avec les blocs nerveux tronculaires. Le bénéfice, escompté d’une analgésie d’excellente qualité, est de faciliter la récupération des perturbations liées à l’acte chirurgical, de diminuer la morbidité postopératoire et enfin de raccourcir la durée d’hospitalisation et la convalescence [2] . Chez les patients à risque, le bénéfice peut être une réduction des complications cardiaques, respiratoires et thrombo-emboliques, de la mortalité et des coûts d’hospitalisation [3]. Les résultats de la littérature sur ce sujet sont contradictoires [4]. La correction des anomalies physiopathologiques postopératoires n’entraîne pas toujours une réduction de la morbidité ou de la durée d’hospitalisation. Mais, si l’analgésie épidurale avec des anesthésiques locaux se prolonge au minimum 48 heures, la durée 263 264 MAP AR 2000 de l’iléus postopératoire est raccourcie et l’alimentation précoce est possible [2]. Par ailleurs, grâce à des stratégies de soins (kinésithérapie, déambulation, alimentation orale précoce) facilitées par la qualité de l’analgésie, plusieurs équipes ont montré que la durée d’hospitalisation pouvait être considérablement réduite. Mais il reste à définir les catégories de patients qui sont susceptibles de bénéficier de telles stratégies thérapeutiques. Actuellement, il n’existe pas d’étude française qui ait recensé la fréquence d’emploi de l’analgésie épidurale postopératoire. Le respect des contre-indications (en particulier le refus du patient), le temps nécessaire à la mise en place du cathéter épidural et la crainte des complications sont les principaux obstacles au développement de cette technique. En dehors de la France, 20 à 75 % des patients nécessitant une analgésie postopératoire puissante, bénéficient d’une épidurale. Les indications dépendent surtout du type de chirurgie et des antécédents du patient (patients ayant un risque de développer une complication respiratoire, cardiaque ou thrombo-embolique) [3]. 2. CONTRE-INDICATIONS DE L’ANALGESIE EPIDURALE Les contre-indications classiques sont : le refus du patient, l’existence d’une pathologie neurologique, les désordres de l’hémostase, la prise d’anticoagulants à dose curative (voir complications dues au cathéter), une infection cutanée à proximité du point de ponction, des métastases vertébrales, une déformation très importante du rachis, des antécédents de chirurgie du rachis avec ouverture de la dure-mère, l’allergie aux médicaments devant être utilisés. 3. MEDICAMENTS UTILISES PAR VOIE EPIDURALE 3.1. MORPHINE Au début des années 1980 à la suite de la mise en évidence de récepteurs médullaires aux enképhalines, un engouement pour l’administration de morphine par voie épidurale, verra le jour. La morphine procure une analgésie de bonne qualité, prévisible et de longue durée. La morphine épidurale ne provoque pas de bloc moteur ni sympathique, il n’y a pas de perte de la sensibilité thermique ni tactile. Seule la perception des stimulations douloureuses est diminuée. Les morphiniques liposolubles (fentanyl, sufentanil et méthadone) ou hydrosolubles (morphine, diamorphine, mépéridine) sont utilisés avec succès (Tableaux I et II). La morphine épidurale procure une analgésie supérieure à l’analgésie intraveineuse contrôlée par le patient (PCA IV), ou équivalente, mais pour une dose administrée plus faible. La morphine reste présente dans le liquide céphalo-rachidien et se déplace en direction céphalique permettant l’extension de la zone d’analgésie. Les doses nécessaires par voie épidurale sont 5 à 10 fois inférieures à celles utilisées par voie intraveineuse [5]. La morphine a la même efficacité lorsqu’elle est injectée au niveau lombaire ou au niveau thoracique mais le délai d’action dépend de l’éloignement du site d’injection par rapport à celui de la douleur. Les morphiniques liposolubles agissent rapidement au niveau spinal pendant les 6 premières heures après leur injection. Mais, pour les morphiniques liposolubles et en raison d’une résorption plasmatique rapide et importante, la voie péridurale n’apporte pas de bénéfices comparée à la voie intraveineuse : pour une même dose, la sédation de la douleur et les concentrations sériques sont similaires quelle que soit la voie d’administration. Le placement du cathéter au centre de la zone d’analgésie permettrait théoriquement d’améliorer l’efficacité au moins pendant les premières heures après leur injection. Mais rapidement, il apparaît que les morphiniques donnent une moindre analgésie que la bupivacaïne seule ou associée à la morphine. DOULEUR Tableau I Médicaments utilisés par voie médullaire pour l’analgésie postopératoire. Morphinique Dose unitaire (mg) Pic d'action (minutes) Duré e (heures) Dé bit de perfusion (mg/h) 1A àA 6 20A àA 60 0,025A àA 0,1 0,01A àA 0,06 0,5A à 1 30A àA 60 10A àA 20 10A àA 15 10A àA 15 15A àA 20 6A àA 24 4A àA 8 2A àA 4 2A àA 4 1A à 3 0,1A àA 1 10A àA 60 0,025A àA 0.1 0,01A àA 0,05 0,2 Voie é pidurale Morphine Péthidine Fentanyl Sufentanil Alfentanil Des petites doses peuvent être efficaces chez le sujet âgé, ou par voie cervicale ou thoracique. Les morphiniques peuvent être associés aux anesthésiques locauxA: bupivacaïne (0,0625A% à 0,125A%A: 5Aà 15 ml/h) ou ropivacaïne (0,2A%A: 5Aà 15 ml/h). Les durées d’analgésie augmentent avec la dose de morphinique. Tableau II Les différents types de morphiniques utilisés par voie épidurale selon les pays. Résultats basés sur une enquête européenne (Rawal). Pays Allemagne Autriche Belgique Danemark Espagne Finlande France Grèce Hollande Irlande Islande Italie Norvège Portugal Royaume-Uni Suède Suisse Moyenne Types de morphiniques Légende MA>ABA>AFA>APir, P MA: Morphine, SA>AMA>ABA>APir, P BA: Buprénorphine, MA>ASA>AFA>AB, A DA: diamorphine M, F FA: fentanyl, MA>AFA>AMet SA: Sufentanil, MA> FA>AO PirA; Piritramide, MA>AFA>AP, B, S AA: Alfentanil, M, F OA: Oxycodone, M, N, S PA: Péthidine, M, F >AP, A NA: Nicomorphine, MA>ASA> F, P MetA: Méthadone. MA>ABA>AF MA>AFA>AP, B, A MA>ASA>AB, P DA>AFA>AMA>AMet, P MA>AFA> S, P FA> MA> B M%> F%>%S%>%B >%P%>%D%>%A%>%N%>%Pir%>%Met%>%O 3.2. ANESTHESIQUES LOCAUX La bupivacaïne est l’anesthésique local le plus utilisé pour l’analgésie postopératoire. Elle procure une analgésie de longue durée avec un bloc sensitif plus important que le bloc moteur. La tachyphylaxie est moins importante comparée aux autres anesthésiques locaux à radical amide mais de courte durée d’action (lidocaïne, prilocaïne et mépivacaïne). L’utilisation de faibles concentrations (< 0,125 %) diminue le risque de bloc moteur sans complètement le supprimer. La ropivacaïne a un profil pharmacologique similaire à la bupivacaïne, mais sa toxicité, en particulier cardiaque, est moindre. A concentrations égales, le bloc moteur est moins intense. La ropivacaïne se substituera donc à la bupivacaïne pour l’analgésie postopératoire. 265 266 MAP AR 2000 3.3. ASSOCIATION D’ANESTHESIQUES LOCAUX ET DE MORPHINIQUES L’association des anesthésiques locaux et des morphiniques a un effet synergique qui améliore la qualité de l’analgésie et permet de réduire la dose de chaque produit. De nombreuses publications ont montré l’efficacité de telles associations avec des scores de douleur au repos inférieurs à 20 mm sur une échelle visuelle analogique (EVA) pour la majorité des patients et une meilleure analgésie à la mobilisation que celle obtenue avec les autres techniques [1]. Les avantages de cette association sont une réduction des effets secondaires liés aux anesthésiques locaux (bloc moteur, hypotension artérielle, tachyphylaxie). Les associations le plus souvent utilisées, sont bupivacaïne-morphine, bupivacaïne-fentanyl ou bupivacaïne-sufentanil. A l’Institut Gustave Roussy (IGR) nous avons choisi d’utiliser la morphine parce que nous voulons une analgésie étendue en rapport avec l’importance de l’incision après chirurgie abdominale majeure. Les doses de morphine sont relativement faibles pour obtenir le meilleur rapport risque/bénéfice (Tableau III). Tableau III Protocole d’analgésie péridurale thoracique pour chirurgie abdominale majeure. • Absence de contre-indication. Hémostase normale. • Insertion du cathéter péridural entre D8 et D12, avant l’anesthésie. Longueur dans l’espace péridural 2 à 3Acm. Le niveau de ponction est fait au centre de la zone d’analgésie évaluée en nombre de dermatomes. • Bonne fixation du cathéter avec pose d’un pansement transparent au niveau du site de ponction • Dose test avec 3Aml de xylocaïne (2A%) adrénalinée. Evaluation des niveaux sensitifs. • Utilisation facultative en peropératoire. • A la fermeture de l’incision chirurgicale, 2 injections lentes de 10Aml de ropivacaïne (0,2A%). • Evaluation du bloc sensitif et moteur au réveil du patient. • Soit perfusion continue : - ropivacaïne 0,2A% - morphine 0,025Amg.ml-1 - débit 8 à 10Aml.h-1 • Soit analgésie contrôlée par le patient (PCEA) - ropivacaïne 0,2A% - morphine 0,025Amg.ml-1 - débit de base 5Aml.h-1 - bolus : 3Aml - période réfractaire : 20Aminutes - pas de limitation des injections par le patient 3.4. CLONIDINE La clonidine par voie épidurale, agit sur les récepteurs alpha-2 adrénergiques de la corne postérieure de la moelle. Le mécanisme d’action est différent de celui de la morphine et des anesthésiques locaux. A la dose de 400 à 600 µg en bolus, elle procure une analgésie de 3 à 5 heures mais aussi des effets secondaires (sédation, hypotension et bradycardie). La perfusion épidurale continue (20 à 40 µg.h-1) réduit la consommation de morphinique de 20 % à 50 % et donc le retentissement. La clonidine doit être associée à un morphinique ou à un anesthésique local. Compte tenu du fait qu’elle renforce le bloc moteur et sensitif des anesthésiques locaux, son intérêt est moindre dans cette association. DOULEUR 4. METHODES D’ADMINISTRATION Trois méthodes d’administration sont possibles par voie épidurale : 1-injection par bolus, 2-en perfusion continue, 3-analgésie contrôlée par le patient (PCEA). La perfusion continue est moins contraignante pour le personnel, elle réduit les effets secondaires en évitant les pics de concentration des agents injectés en bolus. L’utilisation d’une pompe de perfusion peut limiter la mobilisation du patient, mais ce désavantage est contrebalancé par une qualité d’analgésie plus stable. La perfusion continue est la méthode la plus utilisée cependant il existe un risque d’accumulation des drogues qui nécessite une surveillance régulière des effets secondaires. Le principe de l’analgésie contrôlée par le patient s’est appliqué à la voie d’administration épidurale. Elle présente plusieurs avantages théoriques : une adaptation des doses au patient, une diminution du risque de surdosage et donc des effets secondaires. Les premiers résultats rapportés pour l’analgésie obstétricale font état d’une réduction des doses de fentanyl de 50 %. Il y a peu d’études qui ont utilisé des anesthésiques locaux en PCEA, après chirurgie abdominale. Nous utilisons en pratique la PCEA depuis un an avec l’association ropivacaïne-morphine (Tableau III), nous avons obtenu une réduction de 30 % des doses, mais il est trop tôt pour savoir s’il existe une réduction des effets secondaires. Les scores de douleur restent très bas et comparables à ceux de la perfusion continue. Avec les nouvelles pompes portables récemment commercialisées, il est possible de préparer un volume de solution qui couvre toute la durée du traitement. Le problème du changement de seringue par le personnel infirmier, avec son risque d’erreur ne se pose plus et seule la surveillance reste de mise. 5. POSITION DU CATHETER L’extrémité du cathéter doit être au centre de la zone d’analgésie (Tableau III) surtout lorsque le fentanyl est utilisé. Seulement 2 à 3 cm du cathéter doivent être laissés dans l’espace péridural pour diminuer le risque de mauvaise position ou de migration aberrante. Pour la chirurgie thoracique et abdominale majeure, il faut mettre le cathéter au niveau thoracique. Après une bonne expérience de la ponction épidurale au niveau lombaire, l’épidurale thoracique ne présente pas de difficulté supplémentaire. Pour un anesthésiste entraîné, le risque de traumatisme médullaire est très faible et aucun cas n’est rapporté dans la littérature. La bonne position du cathéter est confirmée par une dose test (Figure 1). Enfin, la fixation du cathéter à la peau prévient le risque de déplacement secondaire (Tableau III). 6. COMPLICATIONS DE L’ANALGESIE EPIDURALE Les complications peuvent être séparées entre les complications dues au cathéter et celles dues aux médicaments utilisés. Les échecs de l’analgésie sont dus au cathéter et aux médicaments. 6.1. COMPLICATIONS DUES AU CATHETER (Tableau IV) La ponction de la dure mère est rare dans des mains entraînées mais elle donne fréquemment des céphalées. Encore moins fréquentes sont les complications neurologiques à type de paresthésies ou de lésions neurologiques et elles ne nécessitent pas de traitement. 267 268 MAP AR 2000 Tableau IV Effets secondaires et complications de l’analgésie péridurale associant bupivacaïne (≥ 0,125 %) et un morphinique. Les incidences sont des valeurs extrêmes retrouvées dans la littérature. Effets Incidence (%) Echec 5 à 20 Bloc moteur 0 à 20 Nausées, vomissements 22 à 30 Prurit 22 à 35 Rétention d'urine 15 à 90 Hypotension 3 à 25 Sédation . Stade 2 . Stade 3 Dépression respiratoire 3 0,07 0,07 à 0,09 Effraction de la dure-mère 0,2 à 1,3 Céphalées après effraction 16 à 86 Migration du cathéter en sous arachnoïdien < 0,07 Infection au point de ponction Abcès péridural Lésion neurologique mineure 0,28 à 1 0,02 0,01 à 0,001 Ponction vasculaire 3 à 12 Hématome péridural < 0,001 La paraplégie est exceptionnelle et grave. Elle est le plus souvent due à un hématome péridural (1/150 000). La reconnaissance précoce de la paraplégie permet une décompression et prévient les complications neurologiques définitives. Les facteurs de risques des hématomes périduraux sont : les troubles de l’hémostase, les ponctions difficiles, multiples ou sanglantes et les malformations de la moelle épinière ou du canal rachidien. Dans plus de 50 % des cas, les hématomes sont provoqués par le retrait du cathéter [6]. Récemment (1995-1998), une véritable épidémie d’hématomes périduraux a été recensée aux Etats-Unis, succédant à l’utilisation de l’enoxaparine (Lovenox® : 30 mg en injection sous-cutanée, 2 fois par jour) pour la thromboprophylaxie. Une telle épidémie n’est pas survenue en Europe parce que les HBPM en prophylaxie sont utilisées en dose unique journalière (20 à 40 mg.24 h-1). La dernière recommandation en Europe émane de la Société Allemande d’Anesthésie et de Réanimation (1997) : • la ponction péridurale peut être faite pendant l’utilisation d’HBPM uniquement à dose prophylactique ; • un minimum de 10 à 12 heures doit être observé entre la dernière injection d’HBPM et la ponction péridurale ou le retrait du cathéter péridural ; • l’injection suivante d’HBPM sera faite au minimum 4 heures après la ponction ou le retrait du cathéter. DOULEUR Finalement, il ne semble pas prouvé que l’injection préopératoire d’HBPM soit plus efficace que le traitement débuté en postopératoire. Dans ces conditions et en respectant les intervalles de sécurité, la première injection d’HBPM pour la prévention du risque thrombo-embolique pourra être débutée 4 heures après la ponction de l’espace péridural [6, 7]. DOSE TEST Naropeine® 0,2 % 15 à 20 mL ou Marcaïne® 0,25 % 5 mL x 2 à 10 min d’intervalle ECHEC Pas de bloc sensitif Niveaux insuffisants SUCCES Bloc sensitif latéral Bloc sensitif bilatéral adapté ➚ Les doses Ablation du KT de PCEA Pose d’un nouveau KT ou PCA IV Tirer le KT Perfusion continue Dose test Figure 1 : Algorithme pour l’évaluation initiale ou en cas de persistance d’une douleur après la pose d’un cathéter péridural. La dose initiale doit se faire avec de la Xylocaïne® 2 % adrénalinée (3 ml) puis secondairement avec de la Xylocaïne®, de la Marcaïne® ou de la Ropivacaïne®. Chaque bras de l’algorithme peut aboutir à un succès ou un échec qui peut être évalué par une nouvelle dose test. (KT = cathéter ; PCA = analgésie contrôlée par la patiente ; IV = intraveineuse ; PCEA = analgésie contrôlée par la patiente par voie péridurale). L’aspirine ou les AINS seuls n’augmentent pas le risque d’hématome, par contre la péridurale est contre-indiquée après ticlopidine (Ticlid®) ou en cas d’associations de plusieurs médicaments modifiant l’hémostase, parce que leurs conséquences sont méconnues [6]. Enfin, l’utilisation de thrombolytiques est contre-indiquée, un traitement anticoagulant à doses efficaces est possible s’il est débuté au minimum 1 heure après la ponction péridurale et que le retrait du cathéter se fasse après normalisation de l’hémostase [6, 7] (Tableau V). 269 270 MAP AR 2000 Tableau V Valeurs de l’hémostase compatible avec une ponction péridurale ou rachidienne [7] - TPA≥A40A% à 50A%% (INRA<A1,5 à 1,75) - TCA 1 à 4AsA>Atémoin - Anti XaA<A0,5AU.mL-1 - PlaquettesA≥A50A000 à 80A000.mm-3 - TSA<A8 à 10Amin Les autres causes de paraplégie sont encore plus rares avec les abcès périduraux, l’embolie gazeuse due à la technique du mandrin gazeux et enfin l’aggravation d’une pathologie préexistante. La migration du cathéter dans l’espace sous arachnoïdien est aussi rare et donne un tableau de rachianesthésie avec bloc moteur intense (Tableau IV et Figure 2). BLOC MOTEUR Passage sous arachnoïdien ? - Aspiration - Etendue du bloc LCR - LCR + Rachianesthésie ➘ Débit Pas de bloc moteur Bonne analgésie Continuer Echec analgésie Algorithme échec (Figure 1) Bloc moteur - Arrêt péridurale - Position demi-assise - Hyptension, dépression respiratoire... ? ➘ Débit ou ➘ concentration bupivacaïne (0,0625 %) ou arrêt temporaire Figure 2 : Evaluation et prise en charge d’un bloc moteur après analgésie par voie péridurale, (LCR = liquide céphalo-rachidien ; = diminution). Enfin, il existe un risque d’erreur de branchement sur la voie veineuse. Cette erreur est très grave avec les anesthésiques locaux. Les couleurs des lignes de perfusion peuvent prévenir ce risque, mais la solution la plus sûre serait l’impossibilité mécanique de connecter deux différentes voies. La pose d’un cathéter au niveau thoracique n’entraîne pas plus de complications qu’au niveau lombaire. DOULEUR 271 6.2. COMPLICATIONS DUES AUX ANESTHESIQUES LOCAUX (Tableau IV, Figure 3) Le retentissement hémodynamique dépend de l’étendue du bloc sympathique, de la volémie du patient et de l’utilisation de solution adrénalinée. L’injection intravasculaire ou intrathécale d’anesthésiques locaux peut entraîner des troubles du rythme, un collapsus ou une rachianesthésie. L’utilisation d’une dose test et l’injection lente et fractionnée des produits prévient ces complications sans toutefois éliminer complètement le risque. EFFETS SECONDAIRES Hypotension PAS < 80 mmHg Cause Analgésie médicopéridurale chirurgicale Remplissage sympathomimétiques Nausées vomissements Dépression respiratoire Arrêt temporaire + Oxygène Naloxone Métoclopramide Dropéridol Sétron Naloxone (±) Arrêt morphinique Prurit Antihistaminique Naloxone (±) Arrêt morphinique Arrêt temporaire Figure 3 : Algorithme pour la prise en charge des effets secondaires (excepté le bloc moteur) de l’analgésie par voie péridurale utilisant une association d’un anesthésique local et d’un morphinique. Les solutions à faible concentration de bupivacaïne (< 0,125 %) diminuent le risque de bloc moteur et sympathique qui donnent une hypotension artérielle, une rétention urinaire, une impossibilité de marcher et enfin la survenue d’escarres. Le niveau de ponction pourrait modifier l’incidence de ces complications. L’épidurale thoracique entraîne moins de bloc sympathique lombaire et sacré que l’épidurale lombaire et donc moins de complications. Dans ces conditions, l’incidence des complications est similaire à l’analgésie parentérale avec de la morphine. 6.3. COMPLICATIONS DUES AUX MORPHINIQUES (Tableau IV) La complication la plus préoccupante après administration d’un morphinique par voie épidurale est la dépression respiratoire qui peut être retardée. Ce risque est faible et dépend de la dose, du produit, de l’âge et de l’état hémodynamique du patient. La dépression respiratoire survient plus fréquemment quand on utilise des doses élevées de morphine (hydrosoluble), chez des patients âgés et hypovolémiques. Elle est toujours précédée d’une sédation importante, mais l’incidence est assez faible (< 1 %) et le risque reconnaissable par une surveillance clinique régulière dans les services de chirurgie. Une fois reconnu, le traitement doit être rapidement mis en place (Figure 3). 272 MAP AR 2000 Les autres complications sont le prurit, les nausées et la rétention vésicale. L’association des anesthésiques locaux et des morphiniques a une action synergique sur l’analgésie, mais l’incidence de la dépression respiratoire, du prurit, des nausées et de la rétention urinaire est diminuée. 6.4. ECHECS DE L’ANALGESIE POSTOPERATOIRE Dans la plupart des cas, l’analgésie épidurale est excellente et les patients sont entièrement satisfaits, mais, parfois, la gestion des échecs est problématique. L’incidence varie de 5 % à 20 % selon leur définition. Les causes sont : une insuffisance de dose, une tachyphylaxie ou un problème de placement ou de déplacement du cathéter. Le cathéter peut aussi être coudé, percé ou déconnecté de la perfusion. En cas de mauvais placement, la seule solution est le replacement du cathéter. Si le cathéter est en bonne position, la clonidine qui a un mécanisme d’action différent des anesthésiques locaux ou des morphiniques, la substitution du sufentanil à la morphine (en raison de son affinité supérieure pour les récepteurs opiacés) ou la PCEA pourraient palier à une insuffisance de dose ou à une tachyphylaxie. 7. ANALGESIE EPIDURALE POSTOPERATOIRE : SURVEILLANCE Le but de la surveillance est d’évaluer la qualité de l’analgésie, du bloc sensitif, la satisfaction des patients et de rechercher les effets secondaires ou les complications du traitement. L’évaluation utilise des échelles verbales, des échelles visuelles analogiques, les scores de sédation ou de bloc moteur (Tableau VI) et les éléments cliniques habituels (pouls, tension artérielle, fréquence respiratoire). Elle se fera selon des protocoles écrits avec des tableaux de surveillance, des algorithmes décisionnels et des schémas thérapeutiques très précis (Figures 1, 2, 3). Tableau VI Différents scores utilisés pour la surveillance de l’analgésie péridurale. Echelle visuelle analogiqueA: 0 à 100A mm SatisfactionA: Excellente, bonne, moyenne, mauvaise, nulle Echelle de sédation : • Patient éveillé = 0 • Patient somnolent répond aux stimulations verbalesA=A1 • Patient somnolent, répond aux stimulations tactilesA=A2 • Patient non stimulableA=A3 Echelle de Bromage pour le bloc moteurA: • 0A=AAbsence de bloc moteur (flexion complète des hanches, des genoux et des pieds) • 1A=AIncapacité de surélever les jambes étendues (tout juste capable de bouger les genoux et les pieds) • 2A=AIncapacité de fléchir les genoux (capable uniquement de bouger les pieds) • 3A=AIncapacité de fléchir les chevilles (incapable de bouger les hanches, les genoux et les pieds). Un médecin doit pouvoir être contacté en permanence par le personnel infirmier. Dans ces conditions et selon notre expérience, les malades sans risque particulier et ayant une telle analgésie peuvent être surveillés dans des services chirurgicaux de soins réguliers. Tous les patients doivent bénéficier des différentes techniques d’analgésie sans augmenter les coûts d’hospitalisation. Les articles de la littérature sont convergents pour dire que les complications sont peu fréquentes voire exceptionnelles, qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser des moyens de surveillance sophistiqués (oxymètre de pouls) ou coûteux (soins intensifs). Si le patient présente un risque médico-chirurgical DOULEUR particulier, l’indication d’un séjour en soins intensifs et le rapport risque/bénéfice doivent être évalués. Bien que l’analgésie épidurale puisse diminuer la morbidité postopératoire, les antécédents et le type de chirurgie sont décisifs pour indiquer le mode de surveillance. D’après la circulaire DGS/PS n° 97/412 du 30 mai 1997, relative à l’application du décret n° 93-345 du 15 mars 1993 relatif aux actes professionnelles et à l’exercice de la profession d’infirmier : «En ce qui concerne l’injection de médicaments en vue d’analgésie ou de sédation par voie épidurale ou intrathécale prescrits en cas de douleurs rebelles aux thérapeutiques usuelles, la mise en place du dispositif implantable ainsi que la première injection du médicament prescrit qui permet de déterminer les posologies optimales sont effectuées par le médecin. Les réinjections suivantes peuvent être réalisées, sur prescription médicale, par un infirmier dans le cadre de l’article 4 du décret n° 93-345 du 15 mars 1993 susvisé. L’exécution et la surveillance du traitement sont effectuées par l’infirmier sous la responsabilité du médecin prescripteur. L’ablation du dispositif implantable relève de la compétence exclusive du médecin en raison des risques particuliers que présente la réalisation de cet acte.» CONCLUSION L’analgésie épidurale postopératoire est une excellente technique qui, dans la majorité des cas, procure à l’opéré, un confort et, facilite une stratégie de soins élaborés [8]. Une bonne connaissance des échecs et des effets secondaires permet au mieux de les prévenir et, dans tous les cas, de mettre en œuvre une réponse adaptée. L’analgésie épidurale doit être un maillon d’une chaîne de soins et non une technique opposée à une autre. Il reste à définir plus précisément les patients qui peuvent en tirer le meilleur bénéfice. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Jayr C, Thomas H, Rey A, Fahrat F, Lasser Ph, Bourgain JL. Postoperative pulmonary complications. Epidural analgesia using bupivacaine and opioids versus parenteral opioids. Anesthesiology 1993;78:666-676 [2] Liu S, Carpenter RL, Neal JM. 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