Société Un colloque sur les stéréotypes en Europe s'est tenu vendredi à Paris. Les clichés nationaux face à la globalisation par Matthieu ECOIFFIER QUOTIDIEN : lundi 07 novembre 2005 Ah, les stéréotypes sur le dos des pays voisins ! Ils s'installent dans les esprits, collent aux mains comme un morceau de ruban adhésif. Le Français est ainsi méfiant, l'Allemand bien sûr pinailleur, l'Espagnol toujours en retard, et l'Anglais tellement fair-play. «Au XIXe siècle, des fantasmes se sont développés sur les habitants limitrophes. Des stéréotypes qui empêchent parfois une bonne connaissance des autres», explique doctement Antonio Francica, président du Centre de langue et culture italiennes à Paris. Il y a huit ans, les instituts et centres culturels de l'Union européenne s'étaient regroupés pour promouvoir le plurilinguisme. Et, au passage, tenter de dépasser certains stéréotypes. D'où ce colloque, organisé vendredi à l'Institut hongrois (1), sur le thème : «Stéréotypes et prototypes nationaux en Europe». Un intitulé courageux quelques mois après le «non» massif à la Constitution, et les réticences face à l'entrée éventuelle de la Turquie. «Des chercheurs turcs avaient trouvé le financement pour exposer : "Pourquoi la Turquie est un pays européen ?" Quand ils ont dû se recentrer sur les "stéréotypes turcs", on leur a supprimé l'argent», raconte même un organisateur. Marketing. De fait, en dépit de toutes les bonnes volontés, certains clichés nationaux paraissent indéracinables, comme un train italien jamais à l'heure. «Les stéréotypes évoluent plus lentement qu'on ne voudrait le croire. Les Anglais et les Suédois ont beau avoir des stratégies de marketing pour changer leur image nationale, cela ne marche pas à tous les coups», a expliqué Christophe Campos, ex-directeur de l'Institut britannique de Paris. Exemple : l'arrogance prototypale des Français demeure inchangée depuis les années 50 et avec Astérix. A l'époque d'ailleurs, les auteurs de la bande dessinée (Goscinny et Uderzo) ont préféré, au mythe fondateur royaliste de Clovis, celui plus républicain, des Gaulois résistants contre l'envahisseur romain. «Les tribus voisines les appellent pour résoudre leurs problèmes, les Gaulois inventent le thé en Grande-Bretagne, la cordée en Suisse, la cape rouge du matador en Espagne. Et la France s'approprie le rôle des Anglo-Saxons pendant l'Occupation, manière de récupérer une position dominante dans la future Europe», a commenté Christophe Campos. Aujourd'hui, les Frenchies passent toujours aux yeux des Britanniques pour des «égoïstes» qui siphonnent tout l'argent de l'Union pour financer la politique agricole commune. «En temps de paix, les stéréotypes ne sont pas bien méchants, c'est une façon d'apprivoiser la différence fantasmée de l'autre. Ils servent de "bêtes à penser" aurait dit Barthes : "Le renard est rusé", "l'allemand est une langue difficile" réservée aux meilleurs élèves... Mais, dans des moments de tension, ils peuvent devenir agressifs», a noté Campos. Depuis peu, les stéréotypes prennent pourtant de nouvelles formes. Aux yeux de plusieurs intervenants, la publicité est devenue l'un de leurs vecteurs. Et cela change la donne. Le spot récent pour une radio, avec le slogan «Vivre ensemble» reste «typiquement français», selon Stéfanie Brandt de l'université de Nice : dans ce spot, on y voit un jeune à capuche saluer un religieux arborant le même couvre-chef, une fillette dans une poussette sourire à un jeune handicapé en chaise roulante. Mais le stéréotype n'est plus tout à fait le même. «La publicité actuelle en France veut saisir l'altérité et la dynamique interculturelle. Elle repose sur le désir de distinction et d'identification. En acceptant les différences, on s'enrichit mutuellement. Mais est-ce qu'on est vraiment si différents ?» explique cette anthropologue. Tour Eiffel. L'univers technologique avec des produits mondialisés a tendance également à gommer ces particularismes nationaux. Ainsi, cette publicité pour un téléphone portable qui met en miroir un jeune homme et une jeune femme dans une métropole désincarnée. «On ne peut plus parler de stéréotypes mais d'images archétypales ancrées dans l'imaginaire collectif», assure la chercheuse. «On va vers un stéréotype de la non-culture, l'image d'un homme universel qui possède tout, c'est-à-dire rien», dénonce Nikos Graikos, un professeur de grec. Dans ce spot, il faut bien ouvrir les yeux pour apercevoir une tour Eiffel en toile de fond. Un comble : peut-être va-t-on, bientôt, regretter quelques-uns de ces bons vieux stéréotypes ?