Tumeurs de l’estomac (150) -1- CANCER GASTRIQUE J.P. PALOT, O BOUCHE Les cancers de l’estomac sont dans 90% des cas des adénocarcinomes développés au dépend de l’épithélium de la muqueuse gastrique. Leur pronostic est mauvais dans la forme habituelle, puisque la survie à 5 ans n’est que de 26 % en France tous stades évolutifs confondus. La seule façon d’améliorer le pronostic est d’en faire un diagnostic précoce à un stade où la survie à 5 ans peuvent atteindre 90 à 95 %. I - EPIDEMIOLOGIE A) EPIDEMIOLOGIE DESCRIPTIVE. Le cancer de l’estomac est au 9eme rang de tous les cancers mais reste le 2eme cancer digestif après le cancer colo-rectal avec environ 7125 cas par an. Sa fréquence est très variable dans le monde : elle est très élevée au Japon, elle diminue avec le temps en particulier en France et aux Etats Unis. En France, l’incidence est de 8 à 15 pour 100 000 habitants suivant les régions.. Rare avant 50 ans, le risque augmente ensuite plus vite chez l’homme que chez la femme. Le cancer de l’estomac est plus fréquent chez l’homme (sex ratio entre 2 et 3). B) EPIDEMIOLOGIE CAUSALE . 1) Maladies prédisposantes : - gastrite chronique atrophiante. - métaplasie intestinale. - dysplasie - ulcère gastrique - gastrectomie partielle ancienne (plus de 15 ans) - adénome - maladie de Biermer - maladie de Menétrier Au total 15 à 20% seulement des cancers gastriques surviennent chez des sujets atteints d’une lésion précancéreuse. 2) Carcinogenèse : - sont considérés avoir un rôle dans carcinogenèse : l’Hélicobacter pylori, le sel, les nitrates et les nitroamines ; à moindre degré l’alcool et le tabac et la consommation d’aliments fumés. - sont considérés comme avoir un rôle protecteur : les légumes et les fruits. 1 Tumeurs de l’estomac (150) -2- II - ANATOMIE PATHOLOGIQUE Voir chapitre anapath du poly +++ A) FORMES MACROSCOPIQUES Elles correspondent aux différents aspects endoscopiques. Trois mode de développement sont possibles : bourgeonnement, infiltration et ulcération. Assez rarement l’un d’eux prédominent pour réaliser des tumeurs végétantes polypoïdes, des cancers infiltrants comme la linite plastique, des cancers ulcériformes appelés ulcères malins. Dans la plupart des cas les trois aspects macroscopiques sont associés pour donner la forme ulcéro-végétante ou cancer en « lobe d’oreille » : vaste ulcération à fond bourgeonnant creusée dans une masse infiltrante entourée d’un bourrelet irrégulier. Deux formes particulières doivent être décrites à part : la linite plastique et le cancer superficiel. - la linite plastique représente la forme typique des cancers infiltrants : la paroi gastrique est épaissie, cartonnée, rétractée de façon circulaire. L’estomac est rigide et ne se distend pas. L’infiltration tumorale est surtout sous muqueuse, blanche comme du lin d’où le nom de linite. - le cancer superficiel de l’estomac (Early gastric carcinoma) a été clairement individualisé par les Japonais et représente dans ce pays près de 50% des cancers de l’estomac. Il pourrait représenter une forme particulière de cancer à marche lente. Malgré l’apparition de méthodes diagnostiques simples et fiables, sa fréquence n’est qu’en faible augmentation en Europe. Il se définit comme un cancer limité à la muqueuse avec une extension possible dans la sous muqueuse avec ou sans métastases ganglionnaires. Du point de vue macroscopique on décrit : un type I exophytique correspondant aux polypes cancérisés. un type II muco-érosif (type II a cancer superficiel en saillie, type II b cancer plan, type II c cancer ulcéré). un type III ulcéré correspond typiquement à un ulcérocancer B) SIEGE 60% petite courbure horizontale 20% petite courbure verticale 20% autres parties de l’estomac C) EXTENSION En dehors du cancer superficiel, l’extension trans-pariétale du carcinome gastrique est précoce. Tumeurs de l’estomac (150) -3- 1) locale 3 La tumeur infiltre progressivement des différents plans de la paroi, depuis la muqueuse jusqu’à dépasser la séreuse. 2) loco-régionale Elle se fait vers les chaines lymphatiques et les organes de voisinage - l’envahissement ganglionnaire se fait vers les chaînes ganglionnaires régionales (coronaires stomachique, gastro-épiploïque, splénique et hépatique). Par le canal thoracique, ou elle peut s’arrêter et proliférer pour former une tumeur du creux sus-claviculaire gauche, improprement appelé « ganglion de Troisier ». - les organes de voisinage intéressés par l’extension du cancer gastrique par contiguïté sont le pancréas, la rate, le mésocolon puis le côlon transverse, le diaphragme, le pédicule hépatique. - l’extension au péritoine peut donner un tableau de carcinose péritonéale. 3) générale Les métastases viscérales se développent par voie veineuse, au niveau du foie, des poumons, des ovaires. D) FORMES HISTOLOGIQUES L’aspect habituel est celui d’un adénocarcinome Lieberkhunien plus ou moins différencié. Plusieurs classifications ont été proposées : celle de l’OMS repose sur des données cytologiques et architecturales, elle distingue : - l’adénocarcinome papillaire - l’adénocarcinome tubulé - l’adénocarcinome mucineux (ou colloïde muqueux) dont les cellules apparaissent en petits groupes flottants dans les lacs de mucine. - l’adénocarcinome à cellules indépendantes en bague à chaton qui constitue la forme histologique habituelle de la linite plastique. L’infiltration néoplasique épaissit tous les plans de la paroi dissocie la musculeuse sans la détruire et s’accompagne d’un stroma scléreux très abondant. Le diagnostic peut être très difficile sur des biopsies en l’absence de destruction muqueuse. Le pronostic de la linite plastique est très défavorable. Les caractères histologiques du cancer superficiel ne différent pas de ceux du cancer habituel. En dehors des adénocarcinomes l’OMS distingue des formes rares : carcinome épidermoïde, carcinome à petites cellules, carcinome indifférencié au pronostic très mauvais. Les autres tumeurs malignes de l’estomac sont essentiellement des lymphomes le plus souvent non Hodgkiniens, des tumeurs stromales, des carcinoïdes, des sarcomes de Kaposi ou des tumeurs secondaires métastases d’autre cancers. Tumeurs de l’estomac (150) -4- 4 III CLINIQUE Il convient de rappeler qu’il n’y a pas de parallélisme anatomo-clinique et que le cancer est rarement symptomatique au début de son évolution anatomique. A) FORMES LATENTES Révélées par : - une complication (sténose, hémorragie rarement abondante) - une métastase (ganglionnaire, hépatique, ovarienne) - des signes extra-digestifs (fièvre, phlébite, anémie) Attention une anémie hypochrome est un signe fréquent de découverte d’un cancer digestif. Il ne faut instituer de thérapeutique symptomatique qu’après un bilan endoscopique. B) FORMES REVELEES PAR DES MANIFESTATIONS DIGESTIVES VAGUES : Troubles dyspeptiques, signes intestinaux, signes oesophagiens . C) FORMES DOULOUREUSES Elles posent le problème du diagnostic différentiel de l’ulcère. - le cancer peut se greffer sur l’ulcère - le cancer peut provoquer un syndrome ulcéreux qu’il est dangereux de traiter par les antisecrétoires qui peuvent supprimer la douleur. Donc, endoscopie d’abord +++ D) FORMES AVANCEES Tumeur palpable dans le creux épigastrique, signes généraux (anémie, amaigrissement), signes de sténose digestive (voir chapitre sténose), perforations.( en péritoine libre, dans le côlon : fistule gastro-colique (lienterien, éructation fétide). La sémiologie clinique du cancer gastrique est très polymorphe. Les signes d’appel peuvent être : - un syndrome ulcéreux - un syndrome dyspeptique ou une anorexie isolée - une diarrhée ou une constipation - une complication hémorragique, une perforation, une sténose ou une dysphagie. - une métastase - une altération de l’état général, une anémie - un syndrome para-néoplasique (phlébite ...) Tumeurs de l’estomac (150) -5- 5 IV EXAMENS COMPLEMENTAIRES A) LES DEUX EXAMENS INDISPENSABLES AUX DIAGNOSTICS DE CANCER GASTRIQUE SONT L’ENDOSCOPIE ET L’ETUDE HISTOLOGIQUE DES BIOPSIES MULTIPLES ET DIRIGEES . L’examen endoscopique est indispensable au diagnostic de cancer de l’estomac car il permet : - le diagnostic précoce des lésions cancéreuses. - la caractérisation histologique du cancer - de préciser la taille et la localisation du cancer par rapport aux orifices et aux courbures - la surveillance du cancer opéré (dépistage de la récidive). La pratique systématique des biopsies dirigées est l’élément essentiel du diagnostic. Elles doivent être faites aussi bien sur des lésions évidentes macroscopiquement pour en apprécier le type histologique que sur des altérations minimes, ce qui permet le diagnostic précoce . Elles seront toujours multiples (5 à 10), éventuellement à un brossage pour examen cytologique. Lorsque l’aspect endoscopique est celui d’un ulcère bénin, et que les biopsies sont négatives, la règle est de biopsier la cicatrice après le traitement médical anti-ulcéreux. B) LE TRANSIT OESO GASTRO DUODENAL Cet examen après avoir eu une place de choix dans le diagnostic a été supplanté par l’endoscopie. Il ne peut en effet découvrir que des lésions évoluées. Les lésions localisées à la muqueuse peuvent passer inaperçues même sur les clichés de mucographie à double contraste. Il a par contre un intérêt dans le dépistage et le bilan de certaines complications (sténose, fistule gastro-colique). Les images les plus typiques sont représentées par une niche dans un lacune, en saillie mais ne débordent pas les contours de l’estomac. Cette ulcération est entourée par une bourgeonnement formant un bourrelet donnant le profil une image de ménisque. Une radio peut être particulièrement utile si l’on suspect une linite plastique en montrant un aspect typique de microgastrie avec rétention sus-cardial de baryte et incontinence pylorique. Un examen radiologiquement normal ne dispense en aucun cas de l’examen endoscopique. C) L’ECHOENDOSCOPIE Elle est utile dans l’approche de l’extension lésionnelle intra-murale. Elle peut mettre également en évidence des ganglions péri-gastriques. Dans les cancers avancés, l’échoendoscopie est moins probante. 6 Tumeurs de l’estomac (150) -6- D) LE SCANNER : Il met en évidence les épaississement pariétaux, les infiltrations tissulaires de voisinage, les extensions vasculaires artérielles veineuses ou lymphatiques. Il permet également d’étudier les viscères adjacents et de mettre en évidence des métastases hépatiques dans le cadre d’un bilan d’extension à distance. Dans le bilan des tumeurs volumineuses, il participe au bilan d’extirpabilité. E) L’ECHOGRAPHIE ABDOMINALE CONVENTIONNELLE : Elle est surtout utile dans la recherche des métastases hépatiques. F) LA RADIOGRAPHIE PULMONAIRE : Recherche de métastases pulmonaires V CONDUITE PRATIQUE DU BILAN PRE THERAPEUTIQUE A) BILAN D’EXTENSION : 1 - Local : L’endoscopie précise l’étendue de la tumeur et sa situation par rapport au cardia et au pylore. Elle mesure les distances par rapport aux arcades dentaires. 2 - Général : Recherche de métastases hépatiques ( par la clinique et l’échographie), péritonéales (recherche d’une ascite, recherche d’un nodule dans le Douglas par le toucher pelvien), pulmonaires (par la radiographie pulmonaire). 3 - On pourra faire également en option en fonction de circonstances particulières : - un scanner abdominal si la tumeur est volumineuse - une échoendoscopie si l’aspect est celui d’un cancer superficiel, si il existe une suspicion de linite, ou si l’on a l’attention d’inclure le patient dans un protocole de traitement néoadjuvent (pré-opératoire). Dans ces conditions, c’est l’échoendoscopie qui est l’examen le plus fiable pour stadifier la lésion avant le traitement. - éventuellement une cœlioscopie exploratrice : en cas de grosse tumeur d’ extirpabilité douteuse avec suspicion de métastases hépatiques ou de carcinome péritonéale, la réalisation d’une cœlioscopie peut permettre d’éviter au patient une laparotomie inutile Tumeurs de l’estomac (150) -7- 7 B) BILAN DU TERRAIN dénutrition coeur poumon rein etc ... VI TRAITEMENT A) METHODES 1) La chirurgie : - Méthodes palliatives : gastrectomie partielle palliative, dérivations gastrojéjunales ou oesojejunales laissant la tumeur en place, jéjunostomie d’alimentation. - Méthodes à visée curative : gastrectomie totale avec anastomose oesojéjunale sur anse en Y si cancer du corps gastrique ou de la grosse tubérosité gastrectomie partielle des 4/5 avec anastomose gastrojéjunale si cancer antropylorique curage ganglionnaire dans tous les cas emportant les ganglions juxta-gastriques, coronaires stomachiques et caeliaques, hépatiques et spléniques. La pièce opératoire doit comporter au moins 15 ganglions pour permettre une stadification correcte. dans des cas particuliers la gastrectomie peut être élargie, de principe ou de nécessité, à la rate voire à la queue du pancréas. 2) la chimiothérapie Essentiellement à base de 5 fluorouracile et de cisplatine en situation palliative. D'autres molécules (irinotécan, docetaxel) sont en cours d'évaluation. 3) la radiothérapie Elle est indiquée en post-opératoire associée au 5 fluorouracile B) INDICATIONS: Elles dépendent du siège de la tumeur, de son extension locale et régionale, et de l’état du patient. 8 Tumeurs de l’estomac (150) -8- Les cancers résécables et opérables : Ils doivent bénéficier d’une gastrectomie totale ou partielle avec curage ganglionnaire éventuellement associée une chimiothérapie pré opératoire dans le cadre d’un essai Les cancers inopérables, non résécables ou métastatiques : Ils doivent bénéficier d’une stratégie palliative associant selon les cas soins palliatifs, chirurgie palliative, chimiothérapie et éventuellement radiothérapie. C) RESULTATS Le pronostic à 5 ans d’un adénocarcinome gastrique traité chirurgicalement dépend de la précocité du diagnostic : au stade de cancer superficiel la survie au delà de 5 ans dépasse 90% des cas. au stade habituel (cancer dépassant la musculeuse) ; survie au delà de 5 ans, dépend du degré de pénétration pariétale. Elle est en moyenne de 15%. L’atteinte de la séreuse marque une étape importante en permettant la dissémination au péritoine et l’atteinte secondaire des viscères de l’abdomen. à tous les stades de pénétration pariétale le pronostic est aggravé par la présence d’un envahissement ganglionnaire. Cette extension ganglionnaire est d’autant plus fréquente que : - le cancer est moins différencié - le cancer est plus infiltrant - le cancer est plus profondément développé dans la paroi. VII SURVEILLANCE A) APRES TRAITEMENT CURATIF Seulement chez les patients capables de supporter une réintervention ou une chimiothérapie : - examen clinique (plus ou moins cs de diététique) tous les 6 mois pendant 5 ans. - échographie abdominale tous les 6 mois pendant 5 ans - radiographie pulmonaire annuelle pendant 5 ans. Si gastrectomie totale : vitamine B12 1 mg IM tous les 3 ans. B) APRES TRAITEMENT PALLIATIF Examen clinique orienté par la symptomatologie. 9 Tumeurs de l’estomac (150) -9- C) DEPISTAGE D’AUTRES CANCERS Si autre cas de carcinome gastrique dans la famille Gastroscopie avec biopsies à la recherche d’Hélicobacter pylori chez apparenté du premier degré et éradication d’Hélicobacter pylori si positif. Muqueuse normale Hélicobacter pylori Sel Mauvaise nutrition Gastrite atrophique Nitrates, Nitrites Atrophie gastrique Hydrocarbures polycycliques Métaplasie intestinale Alcool, tabac Dysplasie Reflux bilieux Facteurs génétiques Légumes Fruits Cancer Schéma de la carcinogenèse gastrique