Le corps à corps : plaisirs, sexualités - Espace Culture

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LNA#65 / cycle le corps
Le corps à corps : plaisirs, sexualités
Par Yves FERROUL
Médecin, sexologue
En conférence le 4 février
Un cerf n’est pas attiré par la beauté du corps de la biche quand il cherche à s’accoupler. Mais les singes vivant en
groupe ont détaché leur sexualité des automatismes rythmés pour en faire un comportement de tissage de liens
sociaux fondé sur le plaisir : l’automaticité est remplacée par le désir, par l’envie d’avoir et de donner du plaisir. Cette
nécessité de donner envie et d’avoir envie entraînera leurs descendants humains à jouer avec l’apparence de leurs
corps pour y parvenir.
La perte du schéma comportemental
Les mammifères au cerveau le moins développé ont une
sexualité fondée sur un rythme biologique impérieux, celui
qui déclenche les périodes de rut et de chaleur. Quand le
changement hormonal commande l’accouplement, celui-ci
s’exécute automatiquement selon un schéma comportemental inné : le cerf et la biche, par exemple, n’ont pas à se
demander ce qu’il faut faire, cela « marche tout seul ». Leur
sexualité de couple est – inconsciemment, mais de fait –
strictement à visée reproductrice. En dehors des périodes de
reproduction, aucune activité de nature sexuelle ne lie un
tant soit peu femelles et mâles, qui broutent côte à côte sans
la moindre pensée pour « la chose » !
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voit aussi beaucoup de singes consacrer du temps à l’acte
sexuel, et le préparer par des jeux génitaux. L’orgasme est
recherché et atteint par de nombreuses espèces de primates,
dont les femelles, même si elles ne peuvent pas en parler, ont
des réactions physiologiques et comportementales typiques.
Les quelques réflexes automatiques qui subsistent, l’érectionéjaculation chez le mâle, la lubrification vaginale chez la
femelle permettent qu’un nombre suffisant de jeux sexuels
comprennent une pénétration vaginale (elle ne fait pas mal
à la femelle) et une éjaculation interne (la sensation vaginale
la provoque quasi instantanément), donc puissent aboutir à
une fécondation, et que l’espèce perdure, alors que le
processus reste parfaitement ignoré des individus.
Cependant, au fur et à mesure du développement cérébral
dans certaines branches de mammifères, les individus
perdent leurs automatismes comportementaux au profit
d’une capacité d’apprentissage croissante. Ainsi, les rats,
femelles ou mâles, élevés hors de la présence d’adultes, ne
savent pas s’accoupler une fois devenus eux-mêmes adultes
et mis en présence de partenaires potentiels : au contraire
des cervidés, il leur faut apprendre le comportement
d’accouplement, en voyant agir des congénères adultes.
Il en a été de même dans l’espèce humaine, qui est un rameau
de la branche des chimpanzés ayant pris son autonomie il y a
entre six et huit millions d’années. La sexualité y était un jeu
avec l’excitation et la jouissance, une sexualité relationnelle,
tenant compte de l’autre, intégrée aux autres comportements
de tissage de liens sociaux, et, comme pour certains singes,
venant parfois renforcer un attachement préférentiel.
Pour les grands singes, a fortiori, les différentes étapes qui
permettent de parvenir à la pénétration ne sont plus du tout
spontanées et doivent être apprises. Les grands singes ne
s’accouplent donc plus simplement parce que l’instinct inné
les pousse à cet acte lors de périodes spécifiques afin que
l’espèce puisse se perpétuer, mais parce que l’accouplement
leur procure des sensations agréables, et leur permet d’établir
des liens sociaux absolument nécessaires à leur qualité de vie,
voire à leur survie (comme, d’ailleurs, d’autres activités, notamment l’épouillage) : ces finalités nouvelles de la sexualité
expliquent le nombre de copulations, très supérieur à ce qui
serait nécessaire à la reproduction. D’ailleurs, non seulement
beaucoup de guenons multiplient les rapports en période
féconde, mais elles s’accouplent aussi à des moments qui
débordent largement celles-ci, même alors qu’elles ne sont
pas encore pubères ou alors qu’elles sont déjà grosses. On
Les nouvelles conditions que l’évolution a mises en place
dans l’exercice de la sexualité humaine entraînent des changements profonds dans les comportements sexuels : si la
biche provoque l’accouplement du cerf simplement parce
qu’elle est en chaleur, sans qu’il lui soit nécessaire d’attirer
autrement son attention, la femme doit attirer l’attention de
l’homme en lui faisant espérer du plaisir. Symétriquement,
le cerf n’a pas à se faire beau pour la biche, les taux d’hormones suffisant à leur faire rechercher l’accouplement, alors
que l’homme doit susciter l’envie de plaisir chez la femme.
Conséquences anatomiques et comportementales
L’automaticité comportementale, quand le taux d’hormones
est atteint, est donc remplacée par un travail volontaire et
conscient sur l’apparence, destiné à provoquer l’envie de
plaisir sexuel chez un partenaire.
cycle le corps / LNA#65
L’évolution anatomique s’adapte à cette nouvelle règle du
jeu, en dotant les femmes de signaux érotiques antérieurs
(les seins permanents) et postérieurs (les fesses), les hommes
ayant respectivement leur sexe et leurs fesses aussi.
Mais, surtout, les sociétés humaines ont développé le travail
sur le corps, travail d’ornementation, de parure, de jeu avec
les coiffures et les vêtements, propre à l’espèce. Cependant,
avec l’agriculture et l’élevage qui entraînent l’accumulation de
biens, donc la création du mariage comme moyen de déterminer les enfants légitimes afin de transmettre les héritages,
les femmes seront réparties en deux groupes : les épouses,
réservées à leur propriétaire, confinées dans l’espace privé, et
n’ayant pas besoin de séduire ; les autres, à qui est laissée la
liberté d’être dans l’espace public, donc d’être séductrices.
Historiquement, certaines sociétés ont maintenu ce clivage.
La société européenne occidentale, elle, a maintenu les
épouses dans l’espace public, permettant à toutes les femmes
de séduire. Cette culture a donc développé un « travail des
apparences » particulièrement important si bien que, dès
le Moyen Âge au moins, femmes et hommes y cherchent
à plaire par les habits, les coiffures, les bijoux, les soins du
corps, le langage et les manières. La vie sociale intègre des
règles de courtisement qui valorisent le fait que les relations
entre individus intègrent la séduction.
dées sur la symétrie, les femmes ayant en creux ce que les
hommes avaient en relief : aux testicules correspondaient les
ovaires, à la verge, le vagin, au gland, la vulve.
La conséquence sur le « corps à corps » était qu’il apparaissait
alors logiquement comme fondé sur l’insertion du saillant
dans le creux, et comme déterminant un « actif » qui pénètre
et un « passif » qui est pénétré. La réflexion sur la sexualité
comme sa pratique concrète en ont été particulièrement
marquées.
Aujourd’hui, la reconnaissance que le clitoris n’est pas que
sa petite extrémité saillante, mais comprend quatre racines
d’environ huit centimètres, formant un ensemble interne
aussi volumineux que la verge, amène le « corps à corps »
à tenir compte de cette nouvelle donne, et à accorder de
l’importance à d’autres jeux érotiques. Avec une autre
explication des modalités d’accession à l’orgasme chez les
femmes, d’autres règles du jeu se mettent en place, troublant
les certitudes, déstabilisant les habitudes.
Conséquences sur la sexualité contemporaine
Si la sexualité humaine n’offre plus de séquences comportementales automatiques, innées, elle doit être apprise et faire
l’objet d’un apprentissage.
Pour les hommes, on aura par exemple les braguettes
médiévales, les bustiers avantageux de la Renaissance, les
culottes moulantes des aristocrates, etc. Pour les femmes,
les décolletés, les tailles serrées, les corsets et les guêpières,
les hanches élargies, les soutiens-gorge pigeonnants… Pour
les deux sexes, les bijoux, les fards, les talons hauts qui
augmentent la taille et la cambrure, etc.
Si l’autre n’a pas un rythme sexuel synchronisé automatiquement par la simultanéité des périodes de rut et de chaleur,
chacun doit apprendre à susciter le désir de l’autre pour
qu’il réponde au sien, aussi bien que susciter son propre
désir pour répondre à celui de l’autre. Sans conditionnement
hormonal déterminant, les techniques de séduction
deviennent prépondérantes.
Puis, quand, au xxème siècle, le vêtement s’ajuste au corps des
femmes, il ne reste plus qu’à transformer le corps lui-même,
et c’est l’avènement de la chirurgie esthétique.
Chaque adolescent doit donc faire l’apprentissage de
l’ensemble des comportements qui seront mis en jeu dans
l’accomplissement de la sexualité adulte, et chaque adulte
doit vérifier qu’il a acquis les maîtrises nécessaires à leur
réalisation.
L’imaginaire du corps
Une autre caractéristique de l’espèce humaine vient du
développement d’un cortex cérébral qui aboutit à donner
la prééminence à l’imaginaire, à la représentation intellectuelle. Ce que les individus s’imaginent va déterminer les
modalités de leurs activités.
Références :
--www.sexodoc.fr
--Élisa Brune, Yves Ferroul, Le Secret des femmes, Voyage au cœur du plaisir et de la jouissance, éd. Odile Jacob Poche, 2010.
Or, les différences sexuelles physiques ont été imaginées,
depuis les Grecs jusqu’à l’époque moderne, comme fon5
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