Le corps à corps : plaisirs, sexualités - Espace Culture

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La perte du schéma comportemental
Les mammifères au cerveau le moins développé ont une
sexualité fondée sur un rythme biologique impérieux, celui
qui déclenche les périodes de rut et de chaleur. Quand le
changement hormonal commande laccouplement, celui-ci
s’exécute automatiquement selon un schéma comportemen-
tal inné : le cerf et la biche, par exemple, nont pas à se
demander ce quil faut faire, cela « marche tout seul ». Leur
sexualité de couple est – inconsciemment, mais de fait –
strictement à visée reproductrice. En dehors des périodes de
reproduction, aucune activité de nature sexuelle ne lie un
tant soit peu femelles et mâles, qui broutent côte à côte sans
la moindre pensée pour « la chose » !
Cependant, au fur et à mesure du développement cérébral
dans certaines branches de mammifères, les individus
perdent leurs automatismes comportementaux au profit
dune capacité d’apprentissage croissante. Ainsi, les rats,
femelles ou mâles, élevés hors de la présence dadultes, ne
savent pas s’accoupler une fois devenus eux-mêmes adultes
et mis en présence de partenaires potentiels : au contraire
des cervidés, il leur faut apprendre le comportement
d’accouplement, en voyant agir des congénères adultes.
Pour les grands singes, a fortiori, les différentes étapes qui
permettent de parvenir à la pénétration ne sont plus du tout
spontanées et doivent être apprises. Les grands singes ne
s’accouplent donc plus simplement parce que linstinct in
les pousse à cet acte lors de périodes spécifiques an que
lespèce puisse se perpétuer, mais parce que l’accouplement
leur procure des sensations agréables, et leur permet détablir
des liens sociaux absolument nécessaires à leur qualité de vie,
voire à leur survie (comme, dailleurs, dautres activités, notam-
ment l’épouillage) : ces finalités nouvelles de la sexualité
expliquent le nombre de copulations, très supérieur à ce qui
serait nécessaire à la reproduction. D’ailleurs, non seulement
beaucoup de guenons multiplient les rapports en période
féconde, mais elles s’accouplent aussi à des moments qui
débordent largement celles-ci, même alors quelles ne sont
pas encore pubères ou alors quelles sont déjà grosses. On
voit aussi beaucoup de singes consacrer du temps à l’acte
sexuel, et le préparer par des jeux génitaux. Lorgasme est
recherché et atteint par de nombreuses espèces de primates,
dont les femelles, même si elles ne peuvent pas en parler, ont
desactions physiologiques et comportementales typiques.
Les quelques réflexes automatiques qui subsistent, l’érection-
éjaculation chez le mâle, la lubrification vaginale chez la
femelle permettent quun nombre suffisant de jeux sexuels
comprennent une pénétration vaginale (elle ne fait pas mal
à la femelle) et une éjaculation interne (la sensation vaginale
la provoque quasi instantanément), donc puissent aboutir à
une fécondation, et que lespèce perdure, alors que le
processus reste parfaitement ignoré des individus.
Il en a été de même dans lespèce humaine, qui est un rameau
de la branche des chimpans ayant pris son autonomie il y a
entre six et huit millions dannées. La sexualité y était un jeu
avec lexcitation et la jouissance, une sexualité relationnelle,
tenant compte de lautre, intégrée aux autres comportements
de tissage de liens sociaux, et, comme pour certains singes,
venant parfois renforcer un attachement préférentiel.
Conséquences anatomiques et comportementales
Les nouvelles conditions que l’évolution a mises en place
dans lexercice de la sexualité humaine entraînent des chan-
gements profonds dans les comportements sexuels : si la
biche provoque laccouplement du cerf simplement parce
quelle est en chaleur, sans quil lui soit nécessaire dattirer
autrement son attention, la femme doit attirer lattention de
lhomme en lui faisant espérer du plaisir. Symétriquement,
le cerf n’a pas à se faire beau pour la biche, les taux dhor-
mones suffisant à leur faire rechercher laccouplement, alors
que l’homme doit susciter lenvie de plaisir chez la femme.
Lautomaticité comportementale, quand le taux dhormones
est atteint, est donc remplacée par un travail volontaire et
conscient sur lapparence, destiné à provoquer l’envie de
plaisir sexuel chez un partenaire.
Le corps à corps : plaisirs, sexualités
Médecin, sexologue
En conférence le 4 février
Par Yves FERROUL
Un cerf n’est pas attiré par la beauté du corps de la biche quand il cherche à s’accoupler. Mais les singes vivant en
groupe ont détaché leur sexualité des automatismes rythmés pour en faire un comportement de tissage de liens
sociaux fondé sur le plaisir: lautomaticité est remplacée par le désir, par lenvie davoir et de donner du plaisir. Cette
nécessité de donner envie et davoir envie entraînera leurs descendants humains à jouer avec lapparence de leurs
corps pour y parvenir.
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L’évolution anatomique s’adapte à cette nouvelle règle du
jeu, en dotant les femmes de signaux érotiques antérieurs
(les seins permanents) et postérieurs (les fesses), les hommes
ayant respectivement leur sexe et leurs fesses aussi.
Mais, surtout, les sociétés humaines ont développé le travail
sur le corps, travail dornementation, de parure, de jeu avec
les coiffures et les vêtements, propre à lespèce. Cependant,
avec lagriculture et lélevage qui entraînent l’accumulation de
biens, donc la création du mariage comme moyen de déter-
miner les enfants légitimes afin de transmettre les héritages,
les femmes seront réparties en deux groupes : les épouses,
réservées à leur propriétaire, confinées dans lespace privé, et
nayant pas besoin de séduire ; les autres, à qui est laissée la
liberté d’être dans lespace public, donc dêtre séductrices.
Historiquement, certaines sociétés ont maintenu ce clivage.
La société européenne occidentale, elle, a maintenu les
épouses dans lespace public, permettant à toutes les femmes
de séduire. Cette culture a donc développé un « travail des
apparences » particulièrement important si bien que, dès
le Moyen Âge au moins, femmes et hommes y cherchent
à plaire par les habits, les coiffures, les bijoux, les soins du
corps, le langage et les manières. La vie sociale intègre des
règles de courtisement qui valorisent le fait que les relations
entre individus intègrent la séduction.
Pour les hommes, on aura par exemple les braguettes
médiévales, les bustiers avantageux de la Renaissance, les
culottes moulantes des aristocrates, etc. Pour les femmes,
les décolletés, les tailles serrées, les corsets et les guêpières,
les hanches élargies, les soutiens-gorge pigeonnants… Pour
les deux sexes, les bijoux, les fards, les talons hauts qui
augmentent la taille et la cambrure, etc.
Puis, quand, au XXème siècle, le vêtement s’ajuste au corps des
femmes, il ne reste plus quà transformer le corps lui-même,
et c’est lavènement de la chirurgie esthétique.
L’imaginaire du corps
Une autre caractéristique de l’espèce humaine vient du
développement dun cortex cérébral qui aboutit à donner
la prééminence à limaginaire, à la représentation intellec-
tuelle. Ce que les individus simaginent va déterminer les
modalités de leurs activités.
Or, les différences sexuelles physiques ont été imaginées,
depuis les Grecs jusquà lépoque moderne, comme fon-
es sur la symétrie, les femmes ayant en creux ce que les
hommes avaient en relief : aux testicules correspondaient les
ovaires, à la verge, le vagin, au gland, la vulve.
La conséquence sur le « corps à corps » était quil apparaissait
alors logiquement comme fondé sur l’insertion du saillant
dans le creux, et comme déterminant un « actif » qui pénètre
et un « passif » qui est pénétré. La réflexion sur la sexualité
comme sa pratique concrète en ont été particulièrement
marquées.
Aujourdhui, la reconnaissance que le clitoris nest pas que
sa petite extrémité saillante, mais comprend quatre racines
denviron huit centimètres, formant un ensemble interne
aussi volumineux que la verge, amène le « corps à corps »
à tenir compte de cette nouvelle donne, et à accorder de
limportance à dautres jeux érotiques. Avec une autre
explication des modalités daccession à l’orgasme chez les
femmes, dautres règles du jeu se mettent en place, troublant
les certitudes, déstabilisant les habitudes.
Conséquences sur la sexualité contemporaine
Si la sexualité humaine noffre plus de séquences comporte-
mentales automatiques, innées, elle doit être apprise et faire
lobjet dun apprentissage.
Si l’autre na pas un rythme sexuel synchronisé automatique-
ment par la simultanéité des périodes de rut et de chaleur,
chacun doit apprendre à susciter le désir de lautre pour
quil réponde au sien, aussi bien que susciter son propre
désir pour répondre à celui de lautre. Sans conditionnement
hormonal déterminant, les techniques de séduction
deviennent prépondérantes.
Chaque adolescent doit donc faire lapprentissage de
l’ensemble des comportements qui seront mis en jeu dans
laccomplissement de la sexualité adulte, et chaque adulte
doit vérifier quil a acquis les maîtrises nécessaires à leur
alisation.
Références:
-www.sexodoc.fr
-Élisa Brune, Yves Ferroul, Le Secret des femmes, Voyage au cœur du plai-
sir et de la jouissance, éd. Odile Jacob Poche, 2010.
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