818-822 Binz 132_f.qxp 9.10.2008 13:02 Uhr Seite 818 CABINET Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822 818 Carcinome différencié de la thyroïde Ce qu’il faut savoir en pratique Katharina Binza, Andreas Haldemannb, Ingrid Schweizerc, Thomas Gürtlerd, Christoph A. Meiere a d Praxis für Endokrinologie-Diabetologie, Zürich, b Nuklearmedizin, Stadtspital Triemli, Zürich, c Chirurgische Klinik, Kreisspital Männedorf, Chirurgische Klinik, Stadtspital Triemli, Zürich, e Medizinische Klinik, Stadtspital Triemli, Zürich Quintessence 쎲 Les carcinomes de la thyroïde se manifestent par des nodules indolores au niveau de la loge thyroïdienne. Leur incidence annuelle en Suisse est d’environ 2/100000 chez les hommes et de 5/100000 chez les femmes [1]. Leur mortalité est faible. 쎲 Histologiquement, on distingue les carcinomes bien différenciés (papillaires et folliculaires) des indifférenciés (anaplasiques), sans oublier les rares carcinomes thyroïdiens médullaires. Ce travail ne traitera que des carcinomes thyroïdiens différenciés. 쎲 La classification se base sur le système de l’UICC (Union Internationale Contre le Cancer) de 2002, basé quant à lui sur le système TNM, combiné avec l’âge du patient lors du diagnostic. Cette donnée a une valeur pronostique et détermine ainsi le choix du traitement. 쎲 En principe, le traitement est choisi en fonction du risque individuel. Pour un carcinome thyroïdien différencié de 01,5 cm de diamètre, la strumectomie totale est le traitement de choix. Une résection des ganglions lymphatiques par compartiments n’est effectuée qu’en cas de suspicion échographique ou peropératoire de métastases. 쎲 Un traitement d’élimination à l’iode 131 fait souvent suite à la strumectomie totale dans le but d’éliminer toutes les cellules thyroïdiennes résiduelles (dans la loge thyroïdienne mais aussi les éventuelles micrométastases). Cette procédure a également une importance diagnostique (scintigraphie du corps entier, mesure fiable du marqueur tumoral). 쎲 Le suivi des patients se fait en fonction du risque. Il a été sérieusement modifié par les appareils d’échographie actuels et par le dosage ultrasensible de la thyroglobuline après stimulation par la rhTSH. 쎲 L’hormonothérapie suppressive continue à représenter un élément important du traitement. Toutefois, ici aussi, il faut bien en peser les bénéfices par rapport aux risques potentiels. Summary Differentiated thyroid cancer: pointers for the practitioner 쎲 Thyroid cancer presents as painless nodules in the thyroid bed. The annual incidence in Switzerland is approx. 2/100 000 for men and 5/100 000 for women [1]. Mortality is low. 쎲 Histologically a distinction is drawn between well differentiated (papillary and follicular) and undifferentiated (anaplastic) as well as the rare medullary thyroid cancers. In this paper only differentiated thyroid cancers will be considered. 쎲 The basis for classification is the UICC system (Union Internationale Contre le Cancer) of 2002, which is based on the TNM system, combined with patient’s age at diagnosis. It has prognostic significance and thus determines the choice of therapy. Introduction En Suisse, quelque 350 nouveaux carcinomes différenciés de la thyroïde sont diagnostiqués chaque année [1]. Ils sont deux fois plus fréquents chez les femmes que chez les hommes. Leur incidence et leur prévalence en Suisse sont très proches des valeurs pour l’ensemble de l’Europe de l’Ouest. Les carcinomes papillaires sont 3–4 fois plus fréquents que les folliculaires. Ils font le plus souvent leurs métastases dans les ganglions lymphatiques régionaux. Le diagnostic peut être posé par la cytologie. Les carcinomes folliculaires sont généralement plus volumineux lors de leur diagnostic, et leurs métastases sont principalement hématogènes. Leur diagnostic cytologique n’est généralement pas possible. L’incidence du carcinome thyroïdien papillaire est en augmentation dans le monde entier. S’agit-il d’une augmentation bien réelle? Cette question est très controversée. Les modifications des critères histologiques surtout, ainsi que les échographies toujours plus fréquentes de la thyroïde et de la région cervicale contribuent très nettement à cette augmentation d’incidence [2]. Le pronostic du carcinome thyroïdien différencié après traitement adéquat (strumectomie totale avec ou sans élimination par l’iode radioactif) est excellent [3]; pour le carcinome papillaire, la survie à 10 ans est de 97% (avec toutefois jusqu’à 20% de récidives locales et ganglionnaires) et celle du carcinome folliculaire de 75% [4]. L’agressivité de la chirurgie ainsi que le traitement qui suit doivent donc être adaptés au risque. Facteurs de risque et manifestations du carcinome thyroïdien différencié Les patients à haut risque sont ceux qui ont subi une irradiation de la tête ou du cou, ceux qui présentent certains syndromes tumoraux familiaux rares (par ex. Cowden, carcinome thyroïdien papillaire familial) ainsi que ceux chez lesquels il y a une rapide augmentation de volume d’un nodule. Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 809 ou sur internet sous www.smf-cme.ch. 818-822 Binz 132_f.qxp 9.10.2008 13:02 Uhr Seite 819 CABINET 쎲 Basically the choice of treatment is guided by the individual risk. In differentiated thyroid cancers of 01.5 cm diameter total thyroidectomy is the therapy of choice. Lymph node resection by compartment is performed only where there is intraoperative suspicion of metastases. 쎲 Total thyroidectomy is frequently followed by radioiodine-131 ablation therapy, the aim of which is to eliminate all residual thyroid cells (in the thyroid bed, but also micrometastases). It is likewise of diagnostic importance (whole body scintigraphy, reliable measurement of the tumour marker). 쎲 Patient follow-up is risk-dependent and has been greatly changed by presentday sonography equipment and by rhTSH-stimulated ultrasensitive thyroglubulin determination. 쎲 Thyroid hormone suppressive therapy continues to form an important part of treatment, though here, too, its usefulness must be weighed against the potential risks. Le carcinome thyroïdien papillaire est plus fréquent chez les survivants de la bombe atomique d’Hiroshima, et chez les gens qui vivaient près de Tchernobyl lors de l’accident du réacteur [5]. La relation entre irradiation reçue et incidence est linéaire, et le risque très dépendant de l’âge. Le risque le plus élevé se trouve chez les enfants de moins de 10 ans; après 20 ans, il n’y a plus d’augmentation démontrable du risque. Ce risque est encore augmenté par le manque d’iode. La manifestation la plus fréquente du carcinome de la thyroïde est un nodule découvert par hasard. L’examen peut révéler un nodule thyroïdien fixé et parfois des ganglions lymphatiques latérocervicaux homolatéraux. Les patients ayant un carcinome thyroïdien différencié ne présentent que rarement un enrouement d’apparition récente, signe d’une compression ou d’une infiltration du nerf récurrent. L’absence de ces signes ou symptômes n’exclut toutefois pas un carcinome thyroïdien. La biologie, le status et l’évolution sont différents pour les carcinomes papillaire et folliculaire [6]. Le papillaire est souvent de petite taille, multifocal et s’accompagne de métastases lymphatiques cervicales chez un tiers des patients. Les récidives ganglionnaires atteignent 12% pour le stade pN1, contre 3% pour le stade pN0 [7]. Le carcinome thyroïdien folliculaire est souvent plus volumineux lors du diagnostic (>pT2). Les carcinomes folliculaires minimalement invasifs sont des carcinomes dits «low risk»; ils sont unifocaux, ne font pas de métastases lymphatiques et très rarement des métastases hématogènes. La survie à long terme est >95%. Examens à faire en cas de suspicion de carcinome de la thyroïde Le premier examen à demander après la découverte d’un nodule thyroïdien solide est le dosage de la TSH. Si elle est augmentée ou abaissée, il faut doser la FT4. Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822 819 Le dosage de la thyroglobuline ou de la calcitonine lors de l’évaluation initiale d’un nodule thyroïdien ne peut être préconisé (gros problème de sensibilité, de spécificité et de rapport coût–efficacité). Une scintigraphie de la thyroïde est surtout indiquée si la TSH est supprimée ou en cas de suspicion d’extension rétrosternale d’un goitre multinodulaire. L’échographie de la thyroïde est la technique de choix pour le diagnostic des nodules thyroïdiens, leur localisation précise, la mesure de leur volume et la ponction à l’aiguille fine (FineNeedle Aspiration Cytology, FNAC)) sous contrôle échographique. Cet examen doit toujours inclure aussi les ganglions lymphatiques cervicaux. Bien que des signes échographiques aient été décrits concernant les ganglions métastatiques (microcalcifications, hypoéchogénicité et/ou limites irrégulières, nodule solide sans bordure hypoéchogène [«halo»] ou perfusion plus importante et irrégulière au Doppler couleur), ils ne sont pas fiables et ne permettent aucune certitude diagnostique [8, 9]. Tous les ganglions de plus de 1–1,5 cm de diamètre (ou de moins de 1 cm si constellation à risque, v. plus haut) doivent être ponctionnés à l’aiguille fine et, dans le goitre multinodulaire, les 2–3 plus grands, ou ceux dont l’image échographique semble suspecte. La FNAC est le meilleur examen diagnostique des nodules thyroïdiens. C’est même l’examen de choix des nodules aussi bien solitaires que multiples. L’examen cytologique permet de faire l’importante distinction entre lésion macrofolliculaire (bénigne) et microfolliculaire (dignité incertaine) et de poser le diagnostic de carcinome papillaire de la thyroïde. Le diagnostic cytologique de lésion microfolliculaire est posé dans 10–20% des cas, mais il ne permet pas de faire la distinction entre un adénome (90–95%) et un carcinome (5–10%) en toute sécurité. Un examen histologique est recommandé dans de telles situations. Dans 10% des cas, la FNAC ne donne pas de diagnostic, car le matériel est insuffisant. Plusieurs articles ont déjà présenté en détail les nodules thyroïdiens et leur investigation [10, 11]. L’échographie permet de diagnostiquer pratiquement autant de nodules thyroïdiens que l’autopsie, soit chez >50% de la population. Un dixième seulement se manifestera cliniquement. La prévalence d’un carcinome dans un nodule thyroïdien est estimée à 10–15% environ, mais il s’agit là en très grande majorité de microcarcinomes papillaires, sans aucune importance clinique. En d’autres termes: l’examen échographique permet de diagnostiquer des carcinomes qui ne seront jamais cliniquement manifestes et n’auront donc jamais besoin d’un quelconque traitement. Ce n’est que dans des situations exceptionnelles (volumineux goitre rétrosternal, suspicion d’infiltration de la tra- 818-822 Binz 132_f.qxp 9.10.2008 13:02 Uhr Seite 820 CABINET chée ou de l’œsophage) qu’une IRM peut également être indiquée en vue de la préparation à l’intervention. Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822 820 donnée a une valeur pronostique et détermine ainsi le choix du traitement (tab. 1 p). Traitement du carcinome de la thyroïde Classification La classification se base sur le système de l’UICC (Union Internationale Contre le Cancer) de 2002, basé quant à lui sur le système TNM, combiné avec l’âge du patient lors du diagnostic. Cette Tableau 1. Classification TNM des carcinomes différenciés de la thyroïde de 2002 (AJCC, UICC 2002) et classification par stades en fonction des catégories de risque. TNM T1 Tumeur primaire ≤2 cm T2 Tumeur primaire 2–4 cm T3 Tumeur primaire >4 cm, à l’intérieur de la thyroïde ou envahissement extrathyroïdien minime T4a Tumeur primaire de toute taille avec envahissement au-delà de la capsule thyroïdienne et invasion du tissu sous-cutané, du larynx, de la trachée, de l’œsophage ou du nerf récurrent T4b Tumeur avec invasion du fascia prévertébral ou manchon autour de la carotide ou de vaisseaux médiastinaux TXN0 Volume de la tumeur primaire inconnu mais pas d’envahissement extrathyroïdien N0 Pas d’envahissement ganglionnaire N1a Métastases ganglionnaires niveau VI (prétrachéales, paratrachéales, prélaryngées, ganglions de Delphes) N1b Métastases ganglionnaires autres niveaux unilatérales, bilatérales, controlatérales, cervicales ou médiastinales supérieures NX Status ganglionnaire lymphatique inconnu M0 Aucune métastase à distance M1 Métastases à distance MX Status métastatique inconnu Stage Patient de moins de 45 ans Patient de plus de 45 ans Stage I Tous les T, tous les N, M0 T1, N0, M0 Stage II Tous les T, tous les N, M1 T2, N0, M0 Stage III T3, N0, M0 T1, N1a, M0 T2, N1a, M0 T3, N1a, M0 Stage IVA T4a, N0, M0 T4a, N1a, M0 T1, N1b, M0 T2, N1b, M0 T3, N1b, N0 T4a, N1b, M0 Stage IVB T4b, tous les N, M0 Stage IVC Tous les T, tous les N, M1 Tableau 2. Indication à l’ablation à l’iode radioactif en fonction du risque [13]. Patients à très faible risque: carcinomes différenciés unifocaux ≤1 cm N0 M0 Aucun avantage prouvé Patients à faible risque: T 1–2 cm N0 M0 T2 N0 M0 Récidives peut-être moins nombreuses, évidence non définitive Patients à haut risque: tous les T3 et T4 tous les T N1 M1 Preuve évidente de récidives moins nombreuses et de mortalité abaissée Chirurgie A l’exception du microcarcinome solitaire bien différencié (diamètre 91 cm), en l’absence de toute métastase ganglionnaire et d’irradiation préalable de la région cervicale, la strumectomie totale est le traitement de choix. Dans le carcinome papillaire, elle est complétée par une résection des ganglions lymphatiques du compartiment central. En présence de métastases ganglionnaires confirmées en préopératoire, ou d’un status suspect en peropératoire, il faut en plus procéder à une lymphadénectomie des compartiments suspects [12]. Cette intervention devrait se faire dans des centres expérimentés, de manière à en réduire au maximum la morbidité et les récidives. Les chirurgiens expérimentés opèrent avec un risque de 1,6% de parésies unilatérales définitives du nerf récurrent et de 2–3% d’hypoparathyroïdie persistante [6]. Un enrouement suite à une lésion transitoire du récurrent est très fréquent, mais il disparaît la plupart du temps au bout d’un à six mois. Des hypocalcémies transitoires (par manipulation peropératoire des parathyroïdes) peuvent se présenter chez jusqu’à un tiers des patients opérés. Mais souvent les parathyroïdes fonctionnent de nouveau normalement en l’espace de trois mois. Radiothérapie postopératoire L’ablation à l’iode radioactif (I¹³¹) s’effectue dans des centres équipés pour ce faire, dans le but de détruire le tissu thyroïdien normal résiduel et d’éventuels résidus tumoraux microscopiques. Deux à cinq jours après l’ablation, on fait une scintigraphie du corps entier (TBS, Total Body Scan) dans le but de dépister d’éventuelles métastases encore inconnues. Un dosage de la thyroglobuline est en outre effectué, car c’est un paramètre important de l’évolution. Les patients ne doivent avoir pris aucune hormone thyroïdienne pendant plusieurs semaines (but: TSH >30 mU/l), aucun iode (attention: le produit de contraste radiologique prend au moins 1–2 mois pour être éliminé) et, pour des raisons légales (loi sur la radioprotection), ils doivent être hospitalisés dans des chambres de radioprotection spéciales (3–5 jours). La dose est déterminée par les spécialistes en médecine nucléaire en fonction du risque (en général 3700 MBq). Le tableau 2 p montre quels patients devraient bénéficier d’une ablation à l’iode radioactif [13]. Grossesse et allaitement sont des contre-indications absolues à un traitement à l’iode radioactif. Les femmes ne doivent en outre pas tomber enceintes dans les 12 mois qui suivent un tel traitement. 818-822 Binz 132_f.qxp 9.10.2008 13:02 Uhr Seite 821 CABINET Strumectomie totale et ablation à l’iode 131 Evaluation au moment de l’ablation: Scintigraphie du corps entier postthérapeutique – examen clinique – Tg: aucune preuve de maladie Contrôles après 3 mois: TSH, Tg, FT3 sous lévothyroxine, échographie cervicale, examen clinique: aucune preuve de maladie Contrôles après 6–12 mois: Tg après stimulation par rhTSH, échographie cervicale, examen clinique, en cas de scintigraphie postthérapeutique positive Tg non dosable aucune autre particularité Tg dosable, Tg dosable (ou >norme mais <norme interne interne) et/ou et aucune autre particularité autre particularité Diminuer dose de LT4 évaluation au moins annuelle Tg sous LT4 ± échographie** Répéter Tg après stimulation par rhTSH au moins chaque année* Tg en baisse Légende Tg rhTSH FT3 LT4 Norme interne Echographie cervicale TBS * ** Arrêter la LT4; traitement par iode radioactif à haute dose et/ou chirurgie TBS posttraitement Tg stable ou en augmentation thyroglobuline TSH humaine recombinante triiodothyronine libre lévothyroxine la norme pour la thyroglobuline doit être fixée par le laboratoire interne pour chaque méthode de dosage. tout élément suspect doit être précisé par une FNAC ou d’autres examens. scintigraphie du corps entier cet intervalle dépend du taux de Tg et du contexte clinique certains experts proposent un second dosage de la Tg après stimulation par rhTSH après 2–5 ans au plus Figure 1 Traitement et suivi du carcinome différencié de la thyroïde, légèrement modifié d’après le consensus européen [12]. Il est depuis peu également possible d’effectuer l’ablation à l’iode radioactif après injection de TSH recombinante [14], ce qui permet d’éviter l’interruption des hormones thyroïdiennes et les symptômes parfois invalidants d’une hypothyroïdie. Les métastases à distance, en général pulmonaires ou osseuses, se voient chez 10–15% des patients ayant un carcinome différencié de la thyroïde. Pratiquement tous les patients ayant des métastases ont un taux sérique de thyroglobuline augmenté, et les deux tiers captent l’iode 131 dans leurs métastases. Le traitement des grands foyers métastatiques est chirurgical, de même que celui des complications neurologiques ou orthopédiques. Les autres patients sont traités par plusieurs doses d’iode 131 (en général tous les 4–6 mois). Les patients jeunes ont un bon pronostic de même que ceux qui n’ont que des micro- Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822 821 métastases pulmonaires. La survie à 10 ans des patients ayant des métastases est d’environ 40%. Suppression de la TSH La thérapie visant la suppression de la TSH a les objectifs suivants: 1) la substitution des patients athyroïdiens par la thyroxine et 2) l’inhibition de la prolifération d’éventuelles cellules tumorales encore présentes, dépendantes de la TSH. Un traitement suppresseur se fait par la lévothyroxine, avec pour but d’atteindre un taux de TSH 90,1 mU/l (ou même <0,01 mU/l chez les patients à haut risque), avec des taux de FT4 dans les normes supérieures. Le premier dosage de la TSH devrait se faire après 3 mois, et ensuite tous les 6–12 mois. Un tel traitement suppresseur est certainement indiqué chez les patients ayant une activité tumorale persistante (radiologiquement visible ou chez les patients positifs pour la thyroglobuline). Chez les patients à haut risque ayant atteint une rémission après traitement initial, le traitement suppresseur sera poursuivi durant 3–5 ans. Chez ceux à faible risque (microcarcinome ou stade I), et ceux ayant obtenu une guérison, le risque de récidive est minime (<1%). La dose de lévothyroxine peut alors être adaptée de manière à atteindre un taux de TSH dans les normes inférieures (0,5–1,0 mU/l) [14]. Les effets indésirables les plus fréquents d’une hyperthyroïdie subclinique induite sont des complications cardiaques (fibrillation auriculaire, insuffisance cardiaque et augmentation de la mortalité cardiovasculaire), sans oublier une baisse de la densité osseuse. Donc, chez les patients très âgés et ceux souffrant de cardiopathies, il faut renoncer à un traitement suppresseur trop agressif. Il s’agit, ici aussi, de traiter les patients en fonction de leurs risques. Les autres formes de traitement, comme la radiothérapie externe ou la chimiothérapie, n’ont pas leur place dans le traitement du carcinome thyroïdien différencié, exception faite des tumeurs inopérables ou réfractaires à l’iode radioactif. Contrôles Un consensus européen pour le traitement et le suivi du carcinome thyroïdien différencié a été élaboré et publié en 2004 (fig. 1 x [12]). Il repose pour l’essentiel sur la détermination du taux sérique de thyroglobuline (basale et stimulée par TSH), l’échographie et la scintigraphie à l’iode radioactif. Nous recourons depuis peu à la rhTSH (TSH recombinante humaine), qui remplace la stimulation par la TSH endogène après 6 semaines de sevrage de lévothyroxine. Cette stimulation par rhTSH permet de doser la thyroglobuline (Tg) et de faire une scintigraphie du corps entier à visée diagnostique. Il est même possible d’entrepren- 818-822 Binz 132_f.qxp 9.10.2008 13:02 Uhr Seite 822 CABINET dre un traitement au iode radioactif dans des cas spéciaux [15, 16]. La stimulation par rhTSH est moins lourde, les patients ne sont pas obligés d’interrompre leur travail, mais la rhTSH est chère (Thyrogen®, Genzyme, coûte 1680.55 francs, situation septembre 2007). En Suisse, elle est prise en charge par les caisses maladie comme prestation obligatoire pour deux injections, actuellement uniquement pour l’utilisation du iode radioactif à des fins diagnostiques (stimulation de la Tg, TBS) et non thérapeutiques. La condition à l’utilisation de la rhTSH est de disposer d’un test de la thyroglobuline sensible avec mesure de la récupération (problème d’interférence avec les anticorps anti-thyroglobuline), de manière à atteindre une sensibilité et une spécificité suffisantes. Ce test n’est pas effectué de routine dans tous les laboratoires. L’échographie de la région cervicale joue un rôle important également dans le suivi, car entre des mains expertes sa sensibilité est très élevée pour déceler les récidives, en général locales (loge thyroïdienne ou ganglions cervicaux). Une FNAC sous contrôle échographique doit être faite pour chaque nodule suspect. Théoriquement, les patients devraient être contrôlés pour la plupart chaque année ou tous les deux ans à long terme (>10 ans). Cela n’a pas de sens chez les patients âgés ou ceux ayant un risque de récidive très faible, et l’échographie peut être remplacée par une simple palpation. Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822 822 Conclusions Le carcinome différencié de la thyroïde est une tumeur rare dont le pronostic est bon. La palpation et l’échographie, avec ponction à l’aiguille fine, permettent la plupart du temps d’en poser le diagnostic précocement. Le traitement de choix d’un carcinome de plus de 1,5–2 cm de diamètre est la strumectomie, généralement (en fonction du risque) suivie d’un traitement d’ablation à l’iode radioactif. La suppression par la lévothyroxine joue un rôle important, surtout dans les situations à haut risque, mais ne doit être entreprise que de manière différenciée, en fonction du patient. Le patient peut ensuite être contrôlé par examen clinique, échographie et dosage du taux de thyroglobuline. Dans les situations à très haut risque, il est possible d’envisager un dosage de la thyroglobuline après stimulation par la rhTSH, éventuellement avec scintigraphie du corps entier. En cas de très haut risque ou de métastases, un nouveau traitement par iode radioactif lui fera suite. La prise en charge et le suivi de ces patients se feront de préférence sur le mode interdisciplinaire et dans des centres spécialement organisés pour ce faire, avec des spécialistes en chirurgie, médecine nucléaire, pathologie et endocrinologie. Références Correspondance: Dr Katharina Binz FMH Endokrinologie-Diabetologie Stockerstrasse 42 CH-8002 Zürich [email protected] 1 Schweizerisches Krebsregister, Globocan 2002, www.vskr.ch 2 Verkooijen HM, Fioretta G, Pache JC, Francesci S, Raymond L, Schubert H, et al. 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