Carcinome différencié de la thyroïde

publicité
818-822 Binz 132_f.qxp
9.10.2008
13:02 Uhr
Seite 818
CABINET
Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822
818
Carcinome différencié de la thyroïde
Ce qu’il faut savoir en pratique
Katharina Binza, Andreas Haldemannb, Ingrid Schweizerc, Thomas Gürtlerd, Christoph A. Meiere
a
d
Praxis für Endokrinologie-Diabetologie, Zürich, b Nuklearmedizin, Stadtspital Triemli, Zürich, c Chirurgische Klinik, Kreisspital Männedorf,
Chirurgische Klinik, Stadtspital Triemli, Zürich, e Medizinische Klinik, Stadtspital Triemli, Zürich
Quintessence
쎲 Les carcinomes de la thyroïde se manifestent par des nodules indolores au niveau
de la loge thyroïdienne. Leur incidence annuelle en Suisse est d’environ 2/100000
chez les hommes et de 5/100000 chez les femmes [1]. Leur mortalité est faible.
쎲 Histologiquement, on distingue les carcinomes bien différenciés (papillaires
et folliculaires) des indifférenciés (anaplasiques), sans oublier les rares carcinomes thyroïdiens médullaires. Ce travail ne traitera que des carcinomes thyroïdiens différenciés.
쎲 La classification se base sur le système de l’UICC (Union Internationale Contre
le Cancer) de 2002, basé quant à lui sur le système TNM, combiné avec l’âge du
patient lors du diagnostic. Cette donnée a une valeur pronostique et détermine
ainsi le choix du traitement.
쎲 En principe, le traitement est choisi en fonction du risque individuel. Pour un
carcinome thyroïdien différencié de 01,5 cm de diamètre, la strumectomie totale
est le traitement de choix. Une résection des ganglions lymphatiques par compartiments n’est effectuée qu’en cas de suspicion échographique ou peropératoire de métastases.
쎲 Un traitement d’élimination à l’iode 131 fait souvent suite à la strumectomie
totale dans le but d’éliminer toutes les cellules thyroïdiennes résiduelles (dans la
loge thyroïdienne mais aussi les éventuelles micrométastases). Cette procédure
a également une importance diagnostique (scintigraphie du corps entier, mesure
fiable du marqueur tumoral).
쎲 Le suivi des patients se fait en fonction du risque. Il a été sérieusement modifié par les appareils d’échographie actuels et par le dosage ultrasensible de la
thyroglobuline après stimulation par la rhTSH.
쎲 L’hormonothérapie suppressive continue à représenter un élément important
du traitement. Toutefois, ici aussi, il faut bien en peser les bénéfices par rapport
aux risques potentiels.
Summary
Differentiated thyroid cancer: pointers for the practitioner
쎲 Thyroid cancer presents as painless nodules in the thyroid bed. The annual
incidence in Switzerland is approx. 2/100 000 for men and 5/100 000 for women
[1]. Mortality is low.
쎲 Histologically a distinction is drawn between well differentiated (papillary
and follicular) and undifferentiated (anaplastic) as well as the rare medullary
thyroid cancers. In this paper only differentiated thyroid cancers will be considered.
쎲 The basis for classification is the UICC system (Union Internationale Contre
le Cancer) of 2002, which is based on the TNM system, combined with patient’s
age at diagnosis. It has prognostic significance and thus determines the choice
of therapy.
Introduction
En Suisse, quelque 350 nouveaux carcinomes
différenciés de la thyroïde sont diagnostiqués
chaque année [1]. Ils sont deux fois plus fréquents chez les femmes que chez les hommes.
Leur incidence et leur prévalence en Suisse sont
très proches des valeurs pour l’ensemble de
l’Europe de l’Ouest.
Les carcinomes papillaires sont 3–4 fois plus
fréquents que les folliculaires. Ils font le plus
souvent leurs métastases dans les ganglions
lymphatiques régionaux. Le diagnostic peut
être posé par la cytologie. Les carcinomes folliculaires sont généralement plus volumineux
lors de leur diagnostic, et leurs métastases sont
principalement hématogènes. Leur diagnostic
cytologique n’est généralement pas possible.
L’incidence du carcinome thyroïdien papillaire
est en augmentation dans le monde entier.
S’agit-il d’une augmentation bien réelle? Cette
question est très controversée. Les modifications des critères histologiques surtout, ainsi
que les échographies toujours plus fréquentes
de la thyroïde et de la région cervicale contribuent très nettement à cette augmentation d’incidence [2].
Le pronostic du carcinome thyroïdien différencié
après traitement adéquat (strumectomie totale
avec ou sans élimination par l’iode radioactif) est
excellent [3]; pour le carcinome papillaire, la survie à 10 ans est de 97% (avec toutefois jusqu’à
20% de récidives locales et ganglionnaires) et
celle du carcinome folliculaire de 75% [4].
L’agressivité de la chirurgie ainsi que le traitement qui suit doivent donc être adaptés au risque.
Facteurs de risque et manifestations
du carcinome thyroïdien différencié
Les patients à haut risque sont ceux qui ont subi
une irradiation de la tête ou du cou, ceux qui présentent certains syndromes tumoraux familiaux
rares (par ex. Cowden, carcinome thyroïdien papillaire familial) ainsi que ceux chez lesquels il y
a une rapide augmentation de volume d’un nodule.
Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 809 ou sur internet sous www.smf-cme.ch.
818-822 Binz 132_f.qxp
9.10.2008
13:02 Uhr
Seite 819
CABINET
쎲 Basically the choice of treatment is guided by the individual risk. In differentiated thyroid cancers of 01.5 cm diameter total thyroidectomy is the therapy of
choice. Lymph node resection by compartment is performed only where there is
intraoperative suspicion of metastases.
쎲 Total thyroidectomy is frequently followed by radioiodine-131 ablation therapy, the aim of which is to eliminate all residual thyroid cells (in the thyroid bed,
but also micrometastases). It is likewise of diagnostic importance (whole body
scintigraphy, reliable measurement of the tumour marker).
쎲 Patient follow-up is risk-dependent and has been greatly changed by presentday sonography equipment and by rhTSH-stimulated ultrasensitive thyroglubulin determination.
쎲 Thyroid hormone suppressive therapy continues to form an important part
of treatment, though here, too, its usefulness must be weighed against the potential risks.
Le carcinome thyroïdien papillaire est plus
fréquent chez les survivants de la bombe atomique d’Hiroshima, et chez les gens qui vivaient
près de Tchernobyl lors de l’accident du réacteur
[5]. La relation entre irradiation reçue et incidence est linéaire, et le risque très dépendant de
l’âge. Le risque le plus élevé se trouve chez les
enfants de moins de 10 ans; après 20 ans, il n’y
a plus d’augmentation démontrable du risque. Ce
risque est encore augmenté par le manque d’iode.
La manifestation la plus fréquente du carcinome
de la thyroïde est un nodule découvert par hasard. L’examen peut révéler un nodule thyroïdien
fixé et parfois des ganglions lymphatiques latérocervicaux homolatéraux. Les patients ayant un
carcinome thyroïdien différencié ne présentent
que rarement un enrouement d’apparition récente, signe d’une compression ou d’une infiltration du nerf récurrent. L’absence de ces signes ou
symptômes n’exclut toutefois pas un carcinome
thyroïdien.
La biologie, le status et l’évolution sont différents
pour les carcinomes papillaire et folliculaire [6].
Le papillaire est souvent de petite taille, multifocal et s’accompagne de métastases lymphatiques
cervicales chez un tiers des patients. Les récidives
ganglionnaires atteignent 12% pour le stade pN1,
contre 3% pour le stade pN0 [7]. Le carcinome
thyroïdien folliculaire est souvent plus volumineux lors du diagnostic (>pT2). Les carcinomes
folliculaires minimalement invasifs sont des carcinomes dits «low risk»; ils sont unifocaux, ne
font pas de métastases lymphatiques et très
rarement des métastases hématogènes. La survie à long terme est >95%.
Examens à faire en cas de suspicion
de carcinome de la thyroïde
Le premier examen à demander après la découverte d’un nodule thyroïdien solide est le
dosage de la TSH. Si elle est augmentée ou
abaissée, il faut doser la FT4.
Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822
819
Le dosage de la thyroglobuline ou de la calcitonine lors de l’évaluation initiale d’un nodule
thyroïdien ne peut être préconisé (gros problème de sensibilité, de spécificité et de rapport
coût–efficacité). Une scintigraphie de la thyroïde est surtout indiquée si la TSH est supprimée ou en cas de suspicion d’extension rétrosternale d’un goitre multinodulaire.
L’échographie de la thyroïde est la technique de
choix pour le diagnostic des nodules thyroïdiens, leur localisation précise, la mesure de
leur volume et la ponction à l’aiguille fine (FineNeedle Aspiration Cytology, FNAC)) sous contrôle
échographique. Cet examen doit toujours inclure aussi les ganglions lymphatiques cervicaux. Bien que des signes échographiques aient
été décrits concernant les ganglions métastatiques (microcalcifications, hypoéchogénicité
et/ou limites irrégulières, nodule solide sans
bordure hypoéchogène [«halo»] ou perfusion
plus importante et irrégulière au Doppler couleur), ils ne sont pas fiables et ne permettent aucune certitude diagnostique [8, 9].
Tous les ganglions de plus de 1–1,5 cm de diamètre (ou de moins de 1 cm si constellation à
risque, v. plus haut) doivent être ponctionnés à
l’aiguille fine et, dans le goitre multinodulaire,
les 2–3 plus grands, ou ceux dont l’image échographique semble suspecte. La FNAC est le meilleur examen diagnostique des nodules thyroïdiens. C’est même l’examen de choix des nodules
aussi bien solitaires que multiples. L’examen cytologique permet de faire l’importante distinction entre lésion macrofolliculaire (bénigne) et
microfolliculaire (dignité incertaine) et de poser
le diagnostic de carcinome papillaire de la thyroïde.
Le diagnostic cytologique de lésion microfolliculaire est posé dans 10–20% des cas, mais il
ne permet pas de faire la distinction entre un
adénome (90–95%) et un carcinome (5–10%) en
toute sécurité. Un examen histologique est recommandé dans de telles situations.
Dans 10% des cas, la FNAC ne donne pas de diagnostic, car le matériel est insuffisant. Plusieurs
articles ont déjà présenté en détail les nodules
thyroïdiens et leur investigation [10, 11].
L’échographie permet de diagnostiquer pratiquement autant de nodules thyroïdiens que
l’autopsie, soit chez >50% de la population. Un
dixième seulement se manifestera cliniquement.
La prévalence d’un carcinome dans un nodule
thyroïdien est estimée à 10–15% environ, mais
il s’agit là en très grande majorité de microcarcinomes papillaires, sans aucune importance
clinique. En d’autres termes: l’examen échographique permet de diagnostiquer des carcinomes qui ne seront jamais cliniquement manifestes et n’auront donc jamais besoin d’un
quelconque traitement. Ce n’est que dans des
situations exceptionnelles (volumineux goitre
rétrosternal, suspicion d’infiltration de la tra-
818-822 Binz 132_f.qxp
9.10.2008
13:02 Uhr
Seite 820
CABINET
chée ou de l’œsophage) qu’une IRM peut également être indiquée en vue de la préparation à
l’intervention.
Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822
820
donnée a une valeur pronostique et détermine
ainsi le choix du traitement (tab. 1 p).
Traitement du carcinome de la thyroïde
Classification
La classification se base sur le système de l’UICC
(Union Internationale Contre le Cancer) de 2002,
basé quant à lui sur le système TNM, combiné
avec l’âge du patient lors du diagnostic. Cette
Tableau 1. Classification TNM des carcinomes différenciés de la thyroïde de 2002
(AJCC, UICC 2002) et classification par stades en fonction des catégories de risque.
TNM
T1
Tumeur primaire ≤2 cm
T2
Tumeur primaire 2–4 cm
T3
Tumeur primaire >4 cm, à l’intérieur de la thyroïde ou envahissement
extrathyroïdien minime
T4a
Tumeur primaire de toute taille avec envahissement au-delà de la capsule
thyroïdienne et invasion du tissu sous-cutané, du larynx, de la trachée,
de l’œsophage ou du nerf récurrent
T4b
Tumeur avec invasion du fascia prévertébral ou manchon autour de la carotide
ou de vaisseaux médiastinaux
TXN0
Volume de la tumeur primaire inconnu mais pas d’envahissement extrathyroïdien
N0
Pas d’envahissement ganglionnaire
N1a
Métastases ganglionnaires niveau VI (prétrachéales, paratrachéales, prélaryngées,
ganglions de Delphes)
N1b
Métastases ganglionnaires autres niveaux unilatérales, bilatérales, controlatérales,
cervicales ou médiastinales supérieures
NX
Status ganglionnaire lymphatique inconnu
M0
Aucune métastase à distance
M1
Métastases à distance
MX
Status métastatique inconnu
Stage
Patient de moins de 45 ans
Patient de plus de 45 ans
Stage I
Tous les T, tous les N, M0
T1, N0, M0
Stage II
Tous les T, tous les N, M1
T2, N0, M0
Stage III
T3, N0, M0
T1, N1a, M0
T2, N1a, M0
T3, N1a, M0
Stage IVA
T4a, N0, M0
T4a, N1a, M0
T1, N1b, M0
T2, N1b, M0
T3, N1b, N0
T4a, N1b, M0
Stage IVB
T4b, tous les N, M0
Stage IVC
Tous les T, tous les N, M1
Tableau 2. Indication à l’ablation à l’iode radioactif en fonction du risque [13].
Patients à très faible risque:
carcinomes différenciés unifocaux ≤1 cm N0 M0
Aucun avantage prouvé
Patients à faible risque:
T 1–2 cm N0 M0
T2 N0 M0
Récidives peut-être moins nombreuses,
évidence non définitive
Patients à haut risque:
tous les T3 et T4
tous les T N1 M1
Preuve évidente de récidives moins
nombreuses et de mortalité abaissée
Chirurgie
A l’exception du microcarcinome solitaire bien
différencié (diamètre 91 cm), en l’absence de
toute métastase ganglionnaire et d’irradiation
préalable de la région cervicale, la strumectomie
totale est le traitement de choix. Dans le carcinome papillaire, elle est complétée par une
résection des ganglions lymphatiques du compartiment central. En présence de métastases
ganglionnaires confirmées en préopératoire, ou
d’un status suspect en peropératoire, il faut en
plus procéder à une lymphadénectomie des compartiments suspects [12].
Cette intervention devrait se faire dans des
centres expérimentés, de manière à en réduire au
maximum la morbidité et les récidives. Les chirurgiens expérimentés opèrent avec un risque de
1,6% de parésies unilatérales définitives du nerf
récurrent et de 2–3% d’hypoparathyroïdie persistante [6]. Un enrouement suite à une lésion
transitoire du récurrent est très fréquent, mais il
disparaît la plupart du temps au bout d’un à six
mois. Des hypocalcémies transitoires (par manipulation peropératoire des parathyroïdes) peuvent se présenter chez jusqu’à un tiers des patients opérés. Mais souvent les parathyroïdes
fonctionnent de nouveau normalement en l’espace de trois mois.
Radiothérapie postopératoire
L’ablation à l’iode radioactif (I¹³¹) s’effectue dans
des centres équipés pour ce faire, dans le but de
détruire le tissu thyroïdien normal résiduel et
d’éventuels résidus tumoraux microscopiques.
Deux à cinq jours après l’ablation, on fait une
scintigraphie du corps entier (TBS, Total Body
Scan) dans le but de dépister d’éventuelles métastases encore inconnues. Un dosage de la thyroglobuline est en outre effectué, car c’est un paramètre important de l’évolution. Les patients ne
doivent avoir pris aucune hormone thyroïdienne
pendant plusieurs semaines (but: TSH >30 mU/l),
aucun iode (attention: le produit de contraste
radiologique prend au moins 1–2 mois pour être
éliminé) et, pour des raisons légales (loi sur la
radioprotection), ils doivent être hospitalisés
dans des chambres de radioprotection spéciales
(3–5 jours). La dose est déterminée par les spécialistes en médecine nucléaire en fonction du
risque (en général 3700 MBq). Le tableau 2 p
montre quels patients devraient bénéficier d’une
ablation à l’iode radioactif [13].
Grossesse et allaitement sont des contre-indications
absolues à un traitement à l’iode radioactif. Les
femmes ne doivent en outre pas tomber enceintes
dans les 12 mois qui suivent un tel traitement.
818-822 Binz 132_f.qxp
9.10.2008
13:02 Uhr
Seite 821
CABINET
Strumectomie totale et ablation à l’iode 131
Evaluation au moment de l’ablation:
Scintigraphie du corps entier postthérapeutique – examen clinique – Tg:
aucune preuve de maladie
Contrôles après 3 mois:
TSH, Tg, FT3 sous lévothyroxine, échographie cervicale, examen clinique:
aucune preuve de maladie
Contrôles après 6–12 mois:
Tg après stimulation par rhTSH, échographie cervicale, examen clinique,
en cas de scintigraphie postthérapeutique positive
Tg non dosable
aucune autre
particularité
Tg dosable,
Tg dosable (ou >norme
mais <norme interne
interne) et/ou
et aucune autre particularité autre particularité
Diminuer dose de LT4
évaluation au moins annuelle
Tg sous LT4 ± échographie**
Répéter Tg après
stimulation par rhTSH
au moins chaque année*
Tg en baisse
Légende
Tg
rhTSH
FT3
LT4
Norme interne
Echographie
cervicale
TBS
*
**
Arrêter la LT4; traitement par
iode radioactif à haute dose
et/ou chirurgie
TBS posttraitement
Tg stable ou en augmentation
thyroglobuline
TSH humaine recombinante
triiodothyronine libre
lévothyroxine
la norme pour la thyroglobuline doit être fixée par le laboratoire interne pour
chaque méthode de dosage.
tout élément suspect doit être précisé par une FNAC ou d’autres examens.
scintigraphie du corps entier
cet intervalle dépend du taux de Tg et du contexte clinique
certains experts proposent un second dosage de la Tg après stimulation
par rhTSH après 2–5 ans au plus
Figure 1
Traitement et suivi du carcinome différencié de la thyroïde, légèrement modifié d’après
le consensus européen [12].
Il est depuis peu également possible d’effectuer
l’ablation à l’iode radioactif après injection de TSH
recombinante [14], ce qui permet d’éviter l’interruption des hormones thyroïdiennes et les symptômes parfois invalidants d’une hypothyroïdie.
Les métastases à distance, en général pulmonaires ou osseuses, se voient chez 10–15% des
patients ayant un carcinome différencié de la thyroïde. Pratiquement tous les patients ayant des
métastases ont un taux sérique de thyroglobuline
augmenté, et les deux tiers captent l’iode 131
dans leurs métastases. Le traitement des grands
foyers métastatiques est chirurgical, de même
que celui des complications neurologiques ou
orthopédiques. Les autres patients sont traités
par plusieurs doses d’iode 131 (en général tous
les 4–6 mois). Les patients jeunes ont un bon pronostic de même que ceux qui n’ont que des micro-
Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822
821
métastases pulmonaires. La survie à 10 ans des
patients ayant des métastases est d’environ 40%.
Suppression de la TSH
La thérapie visant la suppression de la TSH a les
objectifs suivants: 1) la substitution des patients
athyroïdiens par la thyroxine et 2) l’inhibition de
la prolifération d’éventuelles cellules tumorales
encore présentes, dépendantes de la TSH.
Un traitement suppresseur se fait par la lévothyroxine, avec pour but d’atteindre un taux de TSH
90,1 mU/l (ou même <0,01 mU/l chez les patients
à haut risque), avec des taux de FT4 dans les
normes supérieures. Le premier dosage de la
TSH devrait se faire après 3 mois, et ensuite tous
les 6–12 mois.
Un tel traitement suppresseur est certainement
indiqué chez les patients ayant une activité tumorale persistante (radiologiquement visible ou
chez les patients positifs pour la thyroglobuline).
Chez les patients à haut risque ayant atteint une
rémission après traitement initial, le traitement
suppresseur sera poursuivi durant 3–5 ans. Chez
ceux à faible risque (microcarcinome ou stade I),
et ceux ayant obtenu une guérison, le risque de
récidive est minime (<1%). La dose de lévothyroxine peut alors être adaptée de manière à atteindre un taux de TSH dans les normes inférieures (0,5–1,0 mU/l) [14].
Les effets indésirables les plus fréquents d’une
hyperthyroïdie subclinique induite sont des complications cardiaques (fibrillation auriculaire, insuffisance cardiaque et augmentation de la mortalité cardiovasculaire), sans oublier une baisse
de la densité osseuse. Donc, chez les patients très
âgés et ceux souffrant de cardiopathies, il faut
renoncer à un traitement suppresseur trop agressif. Il s’agit, ici aussi, de traiter les patients en
fonction de leurs risques.
Les autres formes de traitement, comme la radiothérapie externe ou la chimiothérapie, n’ont pas
leur place dans le traitement du carcinome thyroïdien différencié, exception faite des tumeurs
inopérables ou réfractaires à l’iode radioactif.
Contrôles
Un consensus européen pour le traitement et le
suivi du carcinome thyroïdien différencié a été
élaboré et publié en 2004 (fig. 1 x [12]). Il repose
pour l’essentiel sur la détermination du taux sérique de thyroglobuline (basale et stimulée par
TSH), l’échographie et la scintigraphie à l’iode radioactif.
Nous recourons depuis peu à la rhTSH (TSH recombinante humaine), qui remplace la stimulation par la TSH endogène après 6 semaines de
sevrage de lévothyroxine. Cette stimulation par
rhTSH permet de doser la thyroglobuline (Tg) et
de faire une scintigraphie du corps entier à visée
diagnostique. Il est même possible d’entrepren-
818-822 Binz 132_f.qxp
9.10.2008
13:02 Uhr
Seite 822
CABINET
dre un traitement au iode radioactif dans des cas
spéciaux [15, 16]. La stimulation par rhTSH est
moins lourde, les patients ne sont pas obligés
d’interrompre leur travail, mais la rhTSH est
chère (Thyrogen®, Genzyme, coûte 1680.55 francs,
situation septembre 2007). En Suisse, elle est prise
en charge par les caisses maladie comme prestation obligatoire pour deux injections, actuellement
uniquement pour l’utilisation du iode radioactif à
des fins diagnostiques (stimulation de la Tg, TBS)
et non thérapeutiques.
La condition à l’utilisation de la rhTSH est de disposer d’un test de la thyroglobuline sensible avec
mesure de la récupération (problème d’interférence avec les anticorps anti-thyroglobuline), de
manière à atteindre une sensibilité et une spécificité suffisantes. Ce test n’est pas effectué de routine dans tous les laboratoires.
L’échographie de la région cervicale joue un rôle
important également dans le suivi, car entre des
mains expertes sa sensibilité est très élevée pour
déceler les récidives, en général locales (loge
thyroïdienne ou ganglions cervicaux). Une FNAC
sous contrôle échographique doit être faite pour
chaque nodule suspect. Théoriquement, les patients devraient être contrôlés pour la plupart
chaque année ou tous les deux ans à long terme
(>10 ans). Cela n’a pas de sens chez les patients
âgés ou ceux ayant un risque de récidive très faible, et l’échographie peut être remplacée par une
simple palpation.
Forum Med Suisse 2008;8(43):818–822
822
Conclusions
Le carcinome différencié de la thyroïde est une
tumeur rare dont le pronostic est bon. La palpation et l’échographie, avec ponction à l’aiguille
fine, permettent la plupart du temps d’en poser
le diagnostic précocement. Le traitement de choix
d’un carcinome de plus de 1,5–2 cm de diamètre
est la strumectomie, généralement (en fonction
du risque) suivie d’un traitement d’ablation à
l’iode radioactif. La suppression par la lévothyroxine joue un rôle important, surtout dans les
situations à haut risque, mais ne doit être entreprise que de manière différenciée, en fonction du
patient. Le patient peut ensuite être contrôlé par
examen clinique, échographie et dosage du taux
de thyroglobuline. Dans les situations à très haut
risque, il est possible d’envisager un dosage de
la thyroglobuline après stimulation par la rhTSH,
éventuellement avec scintigraphie du corps entier. En cas de très haut risque ou de métastases,
un nouveau traitement par iode radioactif lui fera
suite. La prise en charge et le suivi de ces patients
se feront de préférence sur le mode interdisciplinaire et dans des centres spécialement organisés pour ce faire, avec des spécialistes en
chirurgie, médecine nucléaire, pathologie et endocrinologie.
Références
Correspondance:
Dr Katharina Binz
FMH Endokrinologie-Diabetologie
Stockerstrasse 42
CH-8002 Zürich
[email protected]
1 Schweizerisches Krebsregister, Globocan 2002, www.vskr.ch
2 Verkooijen HM, Fioretta G, Pache JC, Francesci S, Raymond
L, Schubert H, et al. Diagnostic changes as a reason for the
increase in papillary thyroid cancer incidence in Geneva,
Switzerland. Cancer Causes Control. 2003;14(1):13–7.
3 Schlumberger MJ. Papillary and follicular thyroid carcinoma.
N Engl J Med. 1998;338(5):297–306.
4 Triponez F, Simon S, Robert J, Andereggen E, Ussel M,
Bouchardy C, et al. Thyroid Cancer: the Geneva experience.
Ann Chir. 2001;126(10):969–76.
5 Boice JD, Thyroid disease 60 years after Hiroshima and
20 years after Chernobyl. JAMA. 2006;295:1011–2.
6 Gemsenjäger E, Heitz PU, Seifert B, Benedict M, Schweizer
I. Differentiated thyroid carcinoma. Swiss Medical Weekly.
2001;131:157–63.
7 Gemsenjäger E, Perren A, Seifert B, Schüler G, Schweizer I,
Heitz PU. Lymph node surgery in papillary thyroid carcinoma.
Am Coll Surg. 2003;197:182–90.
8 Rago T, Vitti P, Chiovato L, Mazzeo S, De Liperi A, Miccoli P,
et al. Role of conventional ultrasonography and color flowdoppler sonography in predicting malignancy in “cold” thyroid nodules. Eur J Endocrinol. 1998;138(1):41–6.
9 Papini E, Giuglielmi R, Bianchini A, Crescenzi A, Taccogna
S, Nardi F, et al. Risk of malignancy in nonpalpable thyroid
nodules: predictive value of ultrasound and colour doppler.
Clin Endocrinol Metab. 2002;87(5):1941–6.
10 Petite Ch, Meier CA. Nodules thyroïdiens et goitres: le traitement chirurgical. Schweiz Med Forum. 2004;4:1090–6.
11 Meier CA. Thyroid nodules: pathogenesis, diagnosis and
treatment. Baillière’s Clinical Endocrinology and Metabolism
2000; Vol14, No4, pp 559–75. London, Baillière Tindall.
12 Pacini F, Schlumberger M, Dralle H, Elisei R, Smit J, Wiersinga W. et al. European consensus for the management of
patients with differentiated thyroid carcinoma of the follicular epithelium. Eur J Endocrinol. 2006;154:787–803.
13 Pacini F, Schlumberger M, Harmer C, Berg GG, Cohen O, Duntas
L, et al. Post-surgical use of radioiodine in patients with papillary and follicular thyroid cancer and the issue of remnant ablation: a consensus report. Eur J Endocrinol. 2005;153(5):651–9.
14 Cooper DS, Specker B, Ho M, Sperling M, Ladenson PW, Ross
DS, et al. Thyrotropin suppression and disease progression
in patients with differentiated thyroid cancer: results from
the National Thyroid Cancer Treatment Cooperative Registry. Thyroid. 1998;8(9):737–44.
15 Haugen B, Pacini F, Reiners C, Schlumberger M, Ladenson P,
Sherman SI. A comparison of recombinant human thyrotropin
an thyroid hormone withdrawal for the detection of thyroid remnant or cancer. J Clin Endocrinol Metab. 1999; 84:3877–85.
16 Kloos R, Mazzaferri EL. A single recombinant human thyrotropin-stimulated serum thyroglobin measurement predicts
differentiated thyroid carcinoma metastases three to five
years later. J Clin Endocrinol Metabol. 2005;90:5047–57.
Téléchargement