Cas Clinique - Conseil national de l`ordre des médecins de Tunisie

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PNEUMOLOGIE
Cas Cliniques, Réponses, Commentaires, Recommandations et Impact
économique Par Dr Béchir LOUZIR
Service de Pneumologie-Allergologie
Hôpital la Rabta 1007 Bab Saâdoun Tunis
Tél : 71 57 88 45
Fax : 71 56 47 24
E.mail: [email protected]
Cas clinique N° 1
Enoncé
Patient âgé de 38 ans, présente depuis 2 jours une toux au début sèche, puis ramenant
une expectoration jaunâtre.
Cette toux a été précédée par une rhinite et une fièvre à 37,5 38,0 pendant 2 jours.
Le patient n’est pas tabagique, il ne présente pas de tares.
L’examen clinique est normal en dehors de quelques râles ronflants aux bases et une
fièvre à 37,8.
Questions :
1- Faut-il pratiquer une radiographie du thorax ?
2- Y a t-il d’autres examens à demander ? Si oui lesquels ?
3- Quelle est votre conduite thérapeutique ?
Cas clinique N° 2
Enoncé
Adulte de 45 ans, tabagisme à 20 PA, arrêté il y a 5 ans, présente une toux pénible avec
expectorations jaunâtres, une fièvre à 39,5 associées à un point de côté à droite.
La température est à 39,5 – le poids à 60 kg ; à l’auscultation pulmonaire de râles
crépitants sont perçus au niveau de la base droite.
Questions :
1- Faut-il pratiquer une radiographie du thorax ?
2- Y a t-il d’autres examens à demander ? si oui lesquels ?
3- Quelle est votre conduite thérapeutique ?
Réponse et commentaires
Cas clinique N° 1
R1 : le tableau clinique évoque une bronchite aiguë, il n’y a pas de signes en foyer.
La température ne dépasse pas 38 ° C.
Le sujet n’a pas d’antécédent pathologique particulier, notamment pas d’antécédent
cardio-respiratoire.
Il n’y a pas lieu de pratiquer une radiographie du thorax de première intention.
R2 : il n’y a pas d’autres examens à pratiquer.
R3 : la grande majorité des bronchites aiguës est d’origine virale : 50 à 90% des
bronchites aiguës (1-2) microbiologiquement documentées (niveau de preuve 2)1 sont
d’origine virales. La surinfection bactérienne est rare chez le sujet sain. L’apparition
d’une expectoration purulente lors d’une bronchite aiguë n’est pas synonyme de
surinfection bactérienne, mais elle correspond plutôt à une nécrose épithéliale (3-4)
(niveau de preuve 3)1.
Au cas ou la fièvre persiste, il faut reconsidérer le diagnostic, une radiographie du thorax
est alors recommandée.
L’intérêt de l’antibiothérapie n’est pas démontré : neuf études randomisées, conduites
contre placebo, menées ces dernières années n’ont pu démontrer qu’il existe un avantage
à prescrire un antibiotique ; celle-ci n’influant ni sur la durée de la bronchite, ni sur la
survenue de complications (5,6,7,8) (niveau de preuve 1)1.
Ainsi l’abstention de toute prescription antibiotique en cas de bronchite aiguë de l’adulte
sain est la règle, évidemment la situation est différente en cas d’exacerbation de
bronchite chronique notamment obstructive sévère.
La prescription d’anti-inflammatoire non stéroïdien à dose anti-inflammatoire ou de
corticoïdes par voie générale n’est pas justifiée.
Cas clinique N° 2
R1 : la radiographie du thorax ne se discute pas chez ce patient, le tableau est très
évocateur d’une pneumonie.
La radiographie du thorax confirme le diagnostic en montrant une opacité
parenchymateuse.
En cas de signes suggestifs d’infection respiratoire basse (bronchite et pneumonie), la
radiographie du thorax est d’autant plus indiquée qu’il y a
- une fièvre qui persiste
- une tachycardie > 100/mn
- une polypnée > 25 /mn
- une douleur thoracique
- une impression globale de gravité
- des signes auscultatoires en foyer.
R2 : Chez ce patient la pneumonie ne s’accompagne pas de signes de gravité, le patient
n’est pas âgé (<65 ans), il ne présente pas de tares,Il n’ y a pas lieu de pratiquer d’autres
examens au maximum une numération de la formule sanguine, une vitesse de
sédimentation et une CRP avant d’instaurer le traitement antibiotique.
R3 :
1. Tout d’abord se pose le problème de l’opportunité de l’hospitalisation. Dans le cas
d’un adulte jeune, sain, sans facteurs de risque, sans signes de gravité, le
traitement sera entrepris en ambulatoire. Toutefois, et indépendamment des signes
de gravité et des comorbidités, l’hospitalisation peut s’imposer dans 2
circonstances (9, 10, 11) (niveau de preuve 4)1.
1
Selon le concept de médecine factuelle ou médecine fondée sur les preuves, traduction de « l’évidence – based
médecine »
2
.
-
-
Lorsque l’observance thérapeutique et le suivi des malades sont aléatoires :
conditions socio-économiques défavorables, isolement, notamment chez les
personnes âgées.
Lorsque l’échec de l’antibiothérapie préconisée est prévisible par exemple
suspicion de complication associée ; telle que pleurésie purulente, ou altération
sévère de l’état général.
2. A l’heure actuelle il n’existe pas un examen microbiologique facile à réaliser, peu
onéreux, fiable et reproductible permettant d’isoler le germe. L’antibiothérapie est
alors probabiliste basée sur l’épidémiologie des germes les plus fréquemment
rencontrés dans les infections pulmonaires, les antibiotiques disponibles et la
résistance de ces germes aux antibiotiques (12). En Tunisie, le streptocoque
pneumoniae est le germe le plus fréquent. Le Mycoplasme pneumoniae survient
dans un contexte épidémique chez l’adulte jeune. Le chlamydiae pneumoniae et la
légionella pneumophila ont une incidence faible (moins de 5%).
Quant à la fréquence des souches de streptocoques pneumoniae de sensibilité diminuée à
la pénicilline et à l’amoxicilline elle est de 25 à 35 % ; uniquement 3,6 % sont de haut
niveau de résistance (13).
3. A ce jour, l’amoxicilline à la dose de 3 g/j reste l’antibiothérapie orale la plus
•
•
•
•
sûre, au vu des résultats actualisés des expériences espagnoles (14) et française
(15,16) et des modèles expérimentaux de pneumonies à streptococcus pneumoniae
de sensibilité diminuée à la pénicilline (PSDP) (17). (niveau de preuve 1)1.
La principale limite à l’utilisation des bétalactamines reste leur inefficacité vis à vis
des bactéries atypiques et en cas d’allergie aux Beta lactamines. Aussi lorsque le
tableau clinique est très évocateur d’une infection à mycoplasma pneumonia (âge <
à 40 ans, absence de comorbidité, contexte épidémique, infection associée des
voies aériennes supérieures) un macrolide peut être administré en première
intention soit l’Erythromycine 2 g/j mais risque de résistance du pneumocoque aux
macrolides, soit macrolide de nouvelle génération tel que Azithromycine 500 mg/j
ou clarithromycine 1000 mg/j)
Dans les cas douteux où le clinicien veut se préserver d’un échec clinique de
l’amoxicilline sur une bactérie atypique ou d’un échec clinique des macrolides sur
un pneumcoque résistant aux macrolides, la prestinamycine à la dose de 3 g/j per
os peut constituer une bonne alternative
Il n’y a pas de justification à l’utilisation en première intention ni de Beta
lactamines injectables en raison de la bonne absorption digestive de l’amoxicilline
ou de l’association aminopénicilline- inhibiteur de Beta lactamase avec une
quinolone active sur le pneumocoque ou d’antibiotiques tels que Cyclines,
cotimoxazole et céphalosporines orales de 1ère génération, (vu leur spectre d’action
et l’état actuel des résistances), les céphalosporines orales de 2ème et 3ème génération
(de par leur faible diffusion et concentration dans le parenchyme ne sont pas
recommandés. Les aminoacides sont à proscrire.
La durée du traitement est de 7 à 10 jours ; elle peut être prolongée à 14 en cas de
suspicion d’un germe intracellulaire. Un contrôle de l’efficacité du traitement après
3
72 h est recommandé. Le critère principal d’efficacité clinique est l’obtention d’une
défervescence thermique.
Lorsque la situation clinique, s’aggrave, stagne ou ne s’améliore que très
incomplètement évoquant un échec de l’antibiothérapie initiale, il faut la modifier en
ciblant prioritairement les lacunes de son spectre. Le clinicien a le choix entre la
substitution (amoxicilline ⇔ macrolide) ou l’association amoxicilline + macrolide ou
dans certains cas l’extension du spectre tout en gardant une activité sur le pneumocoque
et les bactéries atypiques grace aux fluoroquinolones à activité anti pneumococcique tel
que la Levofloxacine sont alors indiqués.
Une évaluation sera refaite au bout de 72 h et en cas de nouvel échec l’hospitalisation
s’impose.
• Un contrôle radiologique doit être pratiqué au bout de 15 j : Une fibroscopie
bronchique est indiquée chez ce patient tabagique âgé de plus de 40 ans, afin
d’éliminer un cancer broncho-pulmonaire sous-jacent. Il faut un arrêt de tabac
depuis au moins 20 ans pour rejoindre le risque de cancer broncho-pulmonaire de
la population non tabagique.
Ampleur économique du problème
Les infections respiratoires sont à l’origine des deux tiers à trois quarts des prescriptions
antibiotiques en ville (18,19) (niveau de preuve 1)1, les infections respiratoires basses
sont à l’origine de 1/3 des prescriptions antibiotiques toutes localisations confondues.
Or ces infections respiratoires basses sont dominées par la bronchite aiguë, les
pneumonies ne représentent que 5 à 10% de toutes les IRB.
La pneumonie constitue une affection respiratoire dont l’évolution peut être fatale dans
5 à 25% des cas en fonction de la célérité de l’instauration de l’antibiothérapie ; la
bronchite aiguë est quant à elle, une affection bénigne, d’origine virale le plus souvent :
l’abstention de toute prescription antibiotique devrait être la règle chez le sujet sain.
Malheureusement les bronchites aiguës qui génèrent un nombre élevé de consultation
sont à l’origine de la prescription injustifiée d’un volume très important d’antibiotiques.
Ainsi en France au cours des bronchites aiguës un antibiotique est prescrit dans 80,5%
des cas, ce qui entraîne des dépenses considérables, totalement injustifiées et a des
conséquences néfastes pour l’écologie microbienne et la sensibilité de ces derniers aux
antibiotiques.
Le point de vue déontologique
L’abstention de toute prescription antibiotique chez l’adulte sain en cas de bronchite
aigu est une attitude rationnelle conforme aux données acquises les plus récentes de la
science et en parfaite harmonie avec le code de déontologie et notamment son titre II
relatif aux devoirs des médecins envers les malades qui stipule dans son Article 33 :
Dans toute la mesure compatible avec la qualité et l'efficacité des soins et sans
négliger son devoir d'assistance morale envers le malade, le médecin doit limiter
au nécessaire ses prescriptions et ses actes.
L'existence d'un tiers payant (assurances publiques ou privées, assistances etc...)
ne doit pas amener le médecin à déroger aux prescriptions prévues par cet article
4
-------------------------------LA MEDECINE FACTUELLE
ANNEXE
La médecine fondée sur les preuves« Evidence based medecine » tableau I : ou
médecine factuelle ou médecine fondée sur des niveaux de preuves est un concept né
dans les années 1990 à l’université Canadienne Mac Master (20)
La médecine factuelle est une façon d’exercer la médecine dans un esprit différent de
celui qui était enseigné traditionnellement dans la Faculté de Médecine.
Les cliniciens dont nous sommes ont tendance à fonder leurs décisions sur des bases
souvent fragiles ; en médecine factuelle on parlerait plutôt dans ce cas de niveaux de
preuves faibles (21). Or « la médecine factuelle consiste en l’utilisation raisonnée,
explicite et judicieuse des preuves scientifiques les plus robustes dans la décision des
soins à donner à un patient particulier. La pratique de la médecine factuelle suppose
l’intégration de l’expertise clinique individuelle et des meilleures preuves externes
issues de la recherche » (22)
Tableau I Niveau de preuve scientifique de la littérature
et force des recommandations (21)
Profitant de l’accès toujours plus aisé aux études les plus récentes de la littérature, la
médecine factuelle a développé un certain nombre d’articles destinés à aider le clinicien
à se faire sa propre opinion sur la validité et l’utilité des données publiées comme le
montre la figure (1) (23)
5
Médecine factuelle et lecture critique de la littérature sont indissociables et répondent à
une démarche commune.
La médecine fondée sur les preuves est devenue incontournable. Elle n’est pas à elle
seule la médecine, mais elle est le socle de l’accès à la connaissance.
Fig1
6
Bibliographie
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8
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