Imprimer cet article publié le 23-11-2009 sur le site www.la-croix.com
Les racines du mouvement eugéniste
Né à la fin du XIXe siècle, l’eugénisme a prospéré tout au long de la première moitié du XXe siècle.
Si sa forme la plus tragique s’est développée sous le nazisme, cette doctrine s’est encore perpétuée
après la guerre
Le mot eugénisme est utilisé pour la première fois en 1883 par le Britannique Francis Galton, cousin de Charles Darwin. Galton,
scientifique renommé, y voit la « science de l’amélioration des lignées ». Nous sommes à l’époque de la révolution industrielle.
Pour lui, « la prolifération désordonnée des classes laborieuses constitue un motif de décadence de l’humanité », explique le
philosophe Jean-Paul Thomas (1).
D’une part, Galton est hostile aux idées égalitaires, par exemple à l’égalité des droits politiques. D’autre part, il est raciste. « Son
originalité, ajoute Jean-Paul Thomas, tient à la relation qu’il établit entre ces deux idées en affirmant que le même sang ne coule
pas dans les veines d’un prolétaire et d’un aristocrate, alors même qu’ils peuvent appartenir l’un et l’autre à la race blanche. »
L’eugénisme, explique pour sa part l’historien des sciences André Pichot (2), « c’est la volonté de pallier la disparition de la
sélection naturelle dans les sociétés humaines en établissant une sorte de sélection artificielle ».
Les États-Unis, premiers à adopter une législation eugéniste
La plupart des biologistes du XIXe siècle ont été partisans de ces positions. On distingue alors un eugénisme « négatif », prônant
la restriction du mariage, la stérilisation, voire l’élimination physique des individus porteurs des gènes indésirables, et un
eugénisme « positif », militant pour la reproduction des individus au potentiel génétique considéré comme élevé.
« En fait, les deux positions se combinaient », souligne Jean-Paul Thomas. « Le seul eugénisme positif à avoir été mis en œuvre
est le Lebensborn (NDLR : les pouponnières d’enfants nés de parents de race dite aryenne) de l’Allemagne nazie », ajoute André
Pichot. Toujours est-il que l’influence du mouvement eugéniste sur la législation s’est traduite par la mise en place de programmes
de stérilisations contraintes, le durcissement de l’encadrement juridique du mariage et, notamment aux États-Unis, la restriction de
l’immigration.
Ce pays fut le premier à adopter une législation eugéniste. En 1907, l’État d’Indiana autorise la stérilisation de certains types de
criminels et de malades. En 1917, quinze États ont voté des dispositifs de ce type. Les criminels récidivistes, les violeurs, divers
types de malades, parfois les alcooliques et toxicomanes sont visés par ces lois de stérilisation.
Un quasi-consensus dans la communauté médicale allemande
Pendant l’Entre-deux-guerres, plusieurs États européens copient les Américains : la Suisse (1928), le Danemark (1929), la
Norvège, la Finlande et la Suède (1935). Majoritairement, il s’agit de pays protestants, l’Église catholique ayant officiellement
condamné l’eugénisme en 1935.
Quant à la France, elle n’a pas de loi eugéniste à proprement parler – sauf celle sur l’examen prénuptial, qui date de Pétain mais a
été conservée après la guerre. Pour André Pichot, cela tient au fait que « le pays avait Pasteur comme héros national », ce qui l’a
conduit à choisir l’éducation et un hygiénisme social pastorien pour améliorer l’espèce humaine.
Enfin, l’Allemagne nazie. La loi du 14 juillet 1933, entrée en vigueur le 1er janvier 1934, est en fait la reprise d’un projet de 1932
(rédigé sous la République de Weimar). Ce texte impose la stérilisation obligatoire pour les personnes atteintes de neuf maladies
considérées comme héréditaires ou congénitales, avec un quasi-consensus dans la communauté médicale allemande. En prônant
l’extermination de populations entières, le nazisme marque-t-il une évolution de l’eugénisme ? Ou n’a-t-il fait que récupérer une