RÉSUMÉS LES BANQUES FRANÇAISES ET LA GRANDE GUERRE 20 janvier 2015 Les moratoires de 1914 à 1916, causes et conséquences pour l’épargne française : l’exemple de la clause de sauvegarde dans les Caisses d'épargne par Vincent Tournié, docteur en histoire, Association pour l’histoire du groupe Caisse d’épargne Résumé : Les runs intenses de la fin du mois de juillet 1914 conduisent le gouvernement français à prendre une décision lourde de conséquences pour l’épargne en instaurant la clause de sauvegarde (l’équivalent du moratoire bancaire pour les Caisses d’épargne). Il s’agit d’une mesure d’exception destinée à éviter les retraits massifs. Si, dans un premier temps, la clause de sauvegarde a été peu contestée car la nécessité de préserver le système la rendait légitime, elle devint rapidement impopulaire auprès des épargnants notamment à cause de la rigidité avec laquelle elle était appliquée et contrôlée par le ministère des Finances. La clause de sauvegarde nous éclaire également sur les difficultés rencontrées par un État qui doit préparer une guerre ; elle interroge les limites du dirigisme économique en matière d’épargne. Le CIC et ses relais provinciaux : des évolutions contrastées au cours de la Grande Guerre par Nicolas Stoskopf, professeur d’histoire contemporaine, Centre de recherche sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques, université de Haute-Alsace Résumé : 1913 marque un tournant pour le Crédit commercial et industriel (CIC) : banque parisienne en expansion mais de faible envergure, elle adopte une nouvelle stratégie régionale en prenant le contrôle de la Société bordelaise de crédit, puis en entrant en mai 1914 dans le capital de la Société nancéienne. Au cours de la Grande Guerre, ce groupe en gestation traverse des circonstances très différentes et en sort donc transformé : le CIC profite des difficultés de ses partenaires ou confrères pour renforcer son emprise sur la Nancéienne (1917), comme ses liens avec des banques du Nord occupé (Dupont, Scalbert), et pour constituer dès 1919-1921 un véritable groupe régional présent également à Strasbourg, Caen et Lyon. La faillite d’un concurrent en 1921, la Société centrale des banques de provinces, lui ouvre enfin de nouvelles perspectives dans l’Ouest et le Centre. Ainsi, le recul des affaires pendant la Guerre et leur difficile redémarrage après 1918 sont largement compensés par l’accélération donnée à la stratégie régionale du CIC. Gérer le personnel au Crédit Lyonnais pendant la Première Guerre mondiale 1914-1919 par Cécile Omnès, professeure certifiée, docteure en histoire Résumé : Le Crédit lyonnais n’a pas échappé à la mobilisation générale qui est décrétée le 1er août 1914. Il est privé de la moitié de ses effectifs : 9568 membres de son personnel masculin titulaire seront finalement mobilisés dans le service armé, sans compter ceux mobilisés dans 1 la réserve. Nombreux parmi eux sont des employés qualifiés, appartenant aux états-majors des services. Dès lors, nous verrons comment l’établissement gère son personnel pour faire face aux impératifs militaires et professionnels, alors même que les affaires courantes continuent, doublées bientôt des campagnes de lancement des emprunts pour la Défense nationale. Nous observerons ensuite comment les personnels de cet établissement se sont comportés au front et à l’arrière, et enfin comment, face à la difficile gestion des personnels dans la Guerre, confrontée à partir de 1917 à deux nouveaux défis, l’inflation galopante et l’instabilité chronique du personnel, l’administration décide de créer une nouvelle direction dans l’entreprise, la direction du Personnel. Les retombées de la Grande Guerre sur la Société générale : stratégie, savoir-faire, gestion par Hubert Bonin, professeur d’histoire contemporaine, Groupe de recherche en économie théorique et appliquée, CNRS-université de Bordeaux Résumé : L’objectif est d’évaluer comment la Société générale a traversé la guerre et quels en ont été les effets durables. Les pertes (hommes, agences, marché russe) et les gains (opérations financières, Alsace-Lorraine, etc.) seront évalués. La remise en cause de la stratégie de la banque sera soupesée, au niveau de la gestion, de la direction, du déploiement européen et méditerranéen, et du portefeuille de métiers. Une comparaison sera établie avec les autres établissements, afin d’évaluer l’évolution des rapports de force entre les années 1910 et les années 1920. Paribas ou l’impact de la guerre sur la stratégie d’une banque d’affaires par Éric Bussière, professeur d’histoire contemporaine, directeur du laboratoire Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe, Paris1-Paris4-CNRS Résumé : La Guerre a représenté pour Paribas une série d’inflexions, apparemment contradictoires, qui prolongent pour partie des évolutions engagées dès le début du siècle. La mobilisation industrielle liée au conflit a amplifié une tendance perceptible au début du XXe siècle qui avait conduit la banque à développer ses activités de financement de l’industrie, en France et à l’étranger. Cette tendance se transforme en une stratégie conduite de manière plus systématique durant la Guerre où les initiatives liées à la Défense nationale trouvent leur prolongement dans une série de projets développés à la fin du conflit. La banque prête aussi son concours au financement extérieur de la Guerre à travers la mobilisation des avoirs français en valeurs étrangères notamment nord-américaines. Si le conflit représente une rupture quant à la capacité de Paribas à conduire désormais de grandes opérations financières internationales, elle représente une consolidation quant à l’émergence d’une stratégie américaine cette fois-ci orientée vers la promotion de partenariats industriels avec les ÉtatsUnis. 2 La première guerre mondiale et la hiérarchisation du système bancaire en « jardin à la française » 1913-1920 par Patrice Baubeau, maître de conférences en histoire contemporaine, laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie, CNRS-université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense Résumé : À la veille de la grande guerre, la hiérarchisation du système bancaire français se distingue mal de sa spécialisation. Cette évolution inachevée présente des côtés positifs – souplesse, adaptabilité, variété – mais aussi des aspects négatifs, et notamment un basculement retardé dans la monnaie et la finance moderne. Le rôle ambigu de la Banque de France, institution en même temps qu’organisme à but lucratif, explique pour partie ce phénomène. Or cet équilibre dynamique vole en éclat durant la Guerre, qui engage l’ensemble du système bancaire dans une évolution de longue durée valorisant le réseau, le contrôle central, la finance hiérarchique. C’est dans ce cadre que s’épanouit jusqu’aux années 1980 un véritable « jardin à la française » de la finance, sous la double tutelle du Trésor et de la Banque de France. Une place bancaire à l’épreuve de la guerre et de l’occupation : la région lilloise 1914-1923 par Jean-Luc Mastin, maître de conférences en histoire contemporaine, laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie et de la société, CNRS-université de Paris8Vincennes-Saint-Denis Résumé : Durant quatre ans (octobre 1914-octobre 1918), l’occupation allemande à Lille, Roubaix, Tourcoing (tandis qu’Armentières est dans la zone des combats) a anémié l’activité industrielle et négociante, victime des réquisitions et des destructions, et placé les banques sous le contrôle étroit des autorités militaires occupantes. Elle coupe les réseaux des banques régionales (surtout celui d’une banque plurirégionale comme le Crédit du Nord) et des sociétés de crédit, amputant les uns de leur tête, les autres d’un membre. Elle isole les banques locales, qui se « replient » en partie à Paris pour suivre leur clientèle « évacuée » en France libre. Mais toutes continuent, sur place et à Paris, à financer les entreprises, notamment les groupes qui prospèrent en France libre et en Amérique. Au final, la guerre renforce l’intégration de la place dans le système bancaire national et la pléthore de capitaux. Une transition bancaire difficile en Alsace dans l’immédiat après-guerre par Michel Siegel, docteur en histoire, Crédit Mutuel Résumé : Un système bancaire original est créé en Alsace entre 1870 et 1914. Les banques alsaciennes jouent un rôle d’intermédiaires entre l’épargne française abondante et les besoins de financement du formidable développement économique allemand. La guerre de 1914-1918 et ses conséquences pour l’économie régionale placent les banques alsaciennes en difficulté. Les problèmes de change et de valorisation des avoirs allemands à la fin de la Guerre les mettent en danger et signifient la fin d’une histoire bancaire singulière. 3 La guerre de 1914-1918 : le début du « great reversal » pour les banques commerciales françaises ? par Michel Lescure, professeur émérite d’histoire contemporaine, laboratoire Institutions et dynamiques historiques de l’économie, CNRS-université de Paris Ouest-Nanterre-La Défense Résumé : On sait depuis les travaux de Jean Bouvier que la guerre de 1914-1918 a entraîné un affaiblissement durable des banques en France. Elle marque le début (précoce en France) du « great reversal »1 qui durera jusque dans les années 1960-1980. Au-delà de ce constat quantitatif, la communication analysera les aspects plus qualitatifs du relâchement des liens entre les grandes banques et les entreprises non financières. Ce relâchement s’explique notamment par la remise en cause des conventions de financement introduites par les modifications qui affectent alors les besoins financiers des firmes et les modes de fonctionnement des banques. 1 Le concept de « great reversal » fait référence à un article de deux économistes américains (Rajan et Zingales) qui analyse l’éclipse du système financier dans les pays occidentaux au XXe siècle jusque dans les années1980. 4