Enjeux l Opinion l Chronique | Universités Banques et taux zéro Michel Vermaerke D.R. Administrateur délégué de Febelfin P Les banques sont confrontées à un nouveau défi : une politique monétaire inédite. I l n’y a pas une journée sans que la presse n’évoque les taux bas et leurs conséquences pour les en­ treprises, pour les épargnants, les emprunteurs et pour les autorités publiques. On peut se demander si les banques se préoccupent de leurs clients en leur proposant une rému­ nération si faible de leur épargne. Es­ sayons de décrypter l’ensemble des éléments essentiels du débat actuel. Le contexte dans lequel évoluent les banques aujourd’hui n’est pas sans s’accompagner de multiples défis, dans un monde en profonde muta­ tion. Le secteur bancaire entend mal­ gré tout jouer son rôle pleinement au service de l’économie et de la société, et ce, de manière équilibrée et dura­ ble. Il faut ouvrir les yeux sur une réa­ lité complexe dans sa globalité, et évi­ ter de s’arrêter uniquement sur des aspects, certes sensibles, mais par­ tiels. La situation économique actuelle est caractérisée par une croissance atone et une faible inflation dans la In these changing times it is paramount to know which digital strategy to use. Knowing about big data, e-commerce and social media as marketing tools is one thing. Having a razor-sharp insight in their potential and understanding which one to use and when is another. The Executive Master in Digital Marketing and Communication from Solvay Brussels School teaches you exactly that. zone euro. Parmi les outils habituels permettant de combattre une situa­ tion économique déprimée, se trouve la politique monétaire, avec comme levier essentiel les taux d’intérêt di­ recteurs. La politique de taux extrê­ mement bas, voire négatifs, complé­ tée par celle des rachats d’actifs par la Banque centrale européenne vise à favoriser l’investissement, le crédit et la consommation. Les banques sont le canal de trans­ mission de cette politique à l’écono­ mie réelle, ce qui explique que les taux soient historiquement faibles tant sur l’épargne que sur le crédit. Le taux appliqué à ces activités découle en effet directement des décisions prises par la BCE. Il s’agit de mesures en principe ex­ ceptionnelles et temporaires qui, à ce stade, sont mises en œuvre depuis de Questions? Curious? Join us at the info session on September 13th at 18:30 or on October 20th at 17:45. Solvay Brussels School, Avenue Roosevelt 42, 1050 Brussels. More info and subscriptions on www.solvay.edu/digital-marketing JOBSITE IN SALES, RETAIL & MARKETING 10 La Libre Entreprise - samedi 10 septembre 2016 longs mois et dont la fin n’est pas en­ core annoncée. Certains effets posi­ tifs se font attendre, ce qui pose la question de l’opportunité de la pour­ suite, à moyen ou long terme, d’une telle ligne de conduite. Il appartient aux autorités et aux économistes d’apporter une réponse à cette ques­ tion. Si l’épargnant regrette aujourd’hui que ses économies ne produisent qu’un rendement faible, l’emprun­ teur, qu’il soit particulier, entreprise ou autorité publique, peut pour sa part se réjouir d’obtenir des crédits à des taux historiquement bas. Ces taux très faibles permettent d’ailleurs à l’Etat belge de financer sa dette à des taux particulièrement avantageux; le taux des obligations li­ néaires est même négatif jusqu’à une échéance de 8 ans. Les banques sont aujourd’hui coincées entre le marteau et l’en­ clume, entre la nécessité de financer les dettes publiques en devant dépo­ ser leurs surplus de liquidités auprès de la BCE moyennant un taux de 0,40 %, tout en assurant un rende­ ment, même minime, à l’épargne. A cela viennent s’ajouter les taxes et prélèvements bancaires. La charge minimale incompressible pour la banque est de 0,32 % sur le volume d’épargne, avant même de compter les frais de fonctionnement, le coût du capital et la prime de risque. Dans ce contexte, des questions se posent sur la justification du rende­ ment minimal de 0,11 % imposé par voie légale sur un volume d’épargne directement exigible par le dépo­ sant. Une telle situation n’existe nulle part ailleurs en Europe et pèse ipso facto sur le secteur bancaire belge et sa capacité à jouer son rôle, sur le long terme, pour le finance­ ment de l’économie. Le rôle d’un secteur bancaire sain et efficace est de pouvoir jouer son rôle à plein pour le financement de l’économie, de manière saine, dura­ ble et stable. Aujourd’hui, la situa­ tion en matière de taux met la renta­ bilité des banques sous pression. Comme toute entreprise, une ban­ que se doit d’être rentable, afin de permettre les investissements dans la banque digitale de demain, le ren­ forcement des fonds propres per­ mettant de financer l’économie, de préserver la solidité des banques et la stabilité financière. Il n’y a pas de solution miracle pour maintenir et renforcer les fonds propres d’une banque. Soit (une partie) du bénéfice est mis en réserve, soit des investisseurs appor­ tent du capital. En pratique, on cons­ tate généralement un mix des deux alternatives. Il est certain, en toute hypothèse, qu’il faut que la banque dégage une certaine rentabilité. Les investisseurs en capital à risque gar­ dent le rendement de leur investis­ sement à l’œil, ainsi que ce qui peut être escompté dans d’autres secteurs au profil de risque similaire. Le secteur bancaire fait également face à la nécessité d’adapter son bu­ siness model dans un monde tou­ jours plus digital, plus européen et international. Les autorités de con­ trôle sont d’ailleurs particulière­ ment attentives à ce que les modèles bancaires se transforment et soient rentables. Tout cela se fait­il au détriment du client ? Au contraire, il nous semble que le financement de l’économie est aujourd’hui assuré à des condi­ tions extrêmement favorables, et que le secteur poursuit ses investis­ sements dans une infrastructure bancaire numérique performante. La concurrence importante au sein du secteur bancaire assure au client de pouvoir trouver de bonnes condi­ tions. Les études indépendantes sur le prix des services bancaires en Bel­ gique montrent que le coût de ceux­ci reste parmi les plus accessi­ bles, pour des services sûrs et de qualité. Une réglementation natio­ nale des prix serait non seulement difficilement réconciliable avec les objectifs du marché unique euro­ péen mais aussi contre­productive et source de distorsions dans un marché bancaire concurrentiel. S’as­ surer de la rentabilité des banques reste ainsi essentiel aujourd’hui mais aussi et surtout pour demain. Les derniers stress­tests européens ont montré la solidité des banques belges et confirment ainsi que les ef­ forts du secteur vont dans la bonne direction. Malgré ce contexte délicat, les ban­ ques continuent à jouer leur rôle pour le financement de l’économie, à investir dans l’avenir et à proposer des services modernes et efficaces. Les nombreux efforts de ces derniè­ res années, qui permettent, par exemple, aujourd’hui, à plus de 3 millions de Belges d’avoir sa ban­ que en poche, ont pu se réaliser grâce à des investissements et des développements menés par les ban­ ques. Il est, au final, dans l’intérêt de la société de pouvoir compter sur une offre bancaire variée et mo­ derne qui réponde aux besoins des clients pour un prix attractif. Les chiffres montrent que cette situa­ tion est une réalité pour le consom­ mateur belge aujourd’hui. Du côté du secteur, le constat est cependant qu’aujourd’hui, les ban­ ques actives en Belgique sont con­ frontées à une situation désavanta­ geuse par rapport aux autres acteurs européens, à cause notamment de mesures et de taxes typiquement belges. Il convient de mesurer les ris­ ques d’une telle situation quant à la capacité des banques de financer l’économie et de continuer à investir dans l’avenir. L’appel lancé par le secteur ban­ caire belge dépasse ainsi largement la question de la rémunération mi­ nimale sur les comptes d’épargne, même si la préoccupation de l’épar­ gnant est légitime et bien compré­ hensible. Il s’agit d’une invitation au dialogue et à l’action lancée aux autorités, pour construire ensemble un avenir équilibré et durable. Des CEO face à des philosophes Philippe Biltiau Professeur à l’ULB et codirecteur de programmes de formation pour adultes à la Solvay Brussels School ULB D.R. Libre Entreprise P La philosophie complète bien l’enseignement du management. P Elle aide le dirigeant à se poser les questions fondamentales. C réé par les trois principales business schools de la Fédéra­ tion Wallonie­Bruxelles, cel­ les de l’ULB, de l’ULg et de l’UCL, et par l’ASBL Philosophie et Manage­ ment, l’executive programme en Management et Philosophies aide les cadres d’entreprise à faire un cheminement ardu : il développe la capacité à questionner les points de vue et les pratiques managériales pour les dépasser et prendre de meilleures décisions. Les neuf jour­ nées du programme sont groupées autour de quatre domaines de ré­ flexion et d’action : la régulation et la liberté, l’émotion et la prise de décision, l’innovation et la com­ plexité, le sens et l’éthique. Nous avons demandé au juriste et philosophe Benoît Frydman qui in­ tervient dans le programme, en quoi la philosophie pouvait­elle être une aide pour un dirigeant d’entreprise : “On a recours à la phi­ losophie souvent quand nos cadres de pensée habituels sont considérés comme plus tout à fait pertinents, ef­ ficaces. Chaque professionnel, dans son milieu, fonctionne avec une vision du monde. Ainsi, il avait une certaine conception de l’entreprise : un acteur économique qui doit faire du profit. Parallèlement, on pensait aussi que fixer les règles était le rôle des pou­ voirs publics. Donc quand on com­ mence à demander à une entreprise de réglementer des choses ou bien de refuser certaines pratiques dans cer­ taines zones où elle est implantée, son discours c’est ‘ce n’est pas mon rôle, je ne suis pas un Etat’. Aujourd’hui, les Etats ne parviennent plus toujours à encadrer et on demande aux entre­ prises de prendre en charge les règles et de les faire respecter. C’est pertur­ “Questionner les points de vue et les pratiques managériales pour les dépasser.” bant pour un dirigeant éduqué dans l’ancien schéma. Il se rend compte que sa vision traditionnelle de l’entreprise n’est pas une évidence, mais une phi­ losophie. Donc il se pose des questions philosophiques : dans quel monde vit­on ? Qu’est­ce qu’une entreprise ? Et non plus, seulement, comment mo­ biliser les énergies pour faire du pro­ fit ? C’est à ça que la philosophie peut aider : répondre à des questions qui ne sont plus seulement de moyens, mais de fins.” Le philosophe, écrivain et édito­ rialiste français Roger­Pol Droit, qui intervient également dans le pro­ gramme, y présente une série de concepts qu’il considère lui aussi comme importants pour un mana­ ger : “Ce qui me paraît essentiel est de faire la jonction entre les analyses philosophiques et les problèmes con­ crets des managers. Les questions à poser sont par exemple : un licencie­ ment peut­il être éthique ? Et une dé­ localisation ? Et une faillite ? En quel sens, à quelles conditions ? Voilà le type d’interrogations que je souhaite aborder, en distinguant trois registres principaux : l’éthique des vertus, où l’on va compter sur les qualités per­ sonnelles des dirigeants, illustrée sur­ tout par Aristote et les philosophes antiques; l’éthique du devoir et de la loi, où l’on demande à une contrainte juridique de faire respecter les nor­ mes, qui s’inspire de Kant; l’éthique des conséquences, où l’on juge les déci­ sions à leurs résultats, indépendam­ ment des intentions ou des normes, qu’ont fondée les utilitaristes (Ben­ tham, Mill). Il me semble que ces trois niveaux d’analyse, qui peuvent se combiner, couvrent la plus grande partie des possibilités d’approche.” Laissons­lui la conclusion : “Ce que des managers peuvent retirer d’une telle confrontation avec des philosophes, ce ne sont sûrement pas des réponses toutes faites, ni des recet­ tes qu’il suffirait d’appliquer mécani­ quement. Mais j’espère qu’ils y trou­ veront des clarifications, des modèles d’analyses que chacun d’entre eux pourra ensuite utiliser dans son do­ maine d’expérience spécifique.” Dés­ tabilisant, non ? samedi 10 septembre 2016 - La Libre Entreprise 11