Le pilum romain

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GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
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Le pilum républicain, ou l’histoire d’un javelot pas comme les autres
« [L]e pilum des légionnaires, cet épieu formidable qui, selon Montesquieu, subjugua l’univers[.] »1.
Introduction
Popularisé par l’univers d’Uderzo et de Goscinny, ainsi que par une longue tradition
de péplums, le pilum est incontestablement l’arme que le grand public associe aux armées
romaines. Cette arme particulière est à distinguer d’un simple javelot, également utilisé par les
légionnaires, car elle présente plusieurs caractéristiques spécifiques. Cette distinction
s’impose d’emblée sur le plan lingusitique, car le latin utilise deux mots bien différents, telum
pour le javelot, la javeline et l’arme de jet en général et pilum.
L’origine même du pilum a longtemps agité les milieux intellectuels, notamment à la
fin du XIXe et au début du XXe siècle. Durant les années 1920, certains chercheurs
commencent à contester les théories qui tendent à donner à l’arme une origine ibérique ou
samnite2. La recherche actuelle bénéficie d’apports fondamentaux qui permettent de faire
coïncider les textes antiques avec l’archéologie, ce qui permet d’affirmer « avec une quasicertitude l’origine italique du pilum. »3. On a en effet retrouvé en Italie plusieurs sortes
d’armes conçues de cette manière et largement antérieures à la périodre républicaine, « [d]es
armes de jet à tête réduite montée sur une fine et longue tige »4 ; c’est le cas notamment à
Rome, où une quinzaine de tombes de la nécropole d’Osteria dell’Osa, datées du IX e et du
début du VIIIe siècle contiennent des armes de ce type5.
Cet article a pour but de donner un aperçu global des connaissances sur le pilum
républicain6 et de mettre en lumière ses spécificités et les modalités de son utilisation en se
basant sur les sources littéraires et archéologiques ainsi que sur les interprétations qu’en font
les spécialistes modernes7.
1
DOUBLE, Lucien, L’Empereur Claude, Paris, Elibron Classics, 2005, p. 185.
Voir notamment COUISSIN, Paul, Les armes romaines, Essai sur les origines et l’évolution des armes
individuelles du légionnaire romain, Paris, Honoré Champion, 1926, pp. 181-190.
3
FEUGÈRE, Michel, Les armes des Romains, De la République à l’Antiquité tardive, Paris, Errances, 1993, p.
100.
4
Ibid.
5
Idem, pp. 100-101.
6
Pour des raisons pratiques et méthodologiques, je me concentre ici sur la période dans laquelle GENVA
s’inscrit, à savoir la Rome républicaine moyenne et tardive, du IIIe au Ier siècle av. J.-C.
7
Cf. bibliographie pp. 24 sq.
2
1
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--Les sources littéraires
Le pilum est fréquemment cité dans les sources antiques à travers les innombrables
récits de bataille qui y foisonnent, d’autant que cette arme est utilisée par Rome durant la
presque totalité de son histoire militaire ; on la retrouve aussi bien sous la Royauté que la
République et l’Empire8.
La description la plus ancienne et la plus précise de l’arme que nous ayons dans les
sources date du IIe siècle av. J.-C., aux environs de 150 ; elle figure dans le Livre VI des
Histoires de Polybe, cet historien grec qui met à profit sa captivité chez les Romains pour
rédiger son œuvre.
« En outre, il y a deux javelots, un casque de bronze et des jambières. Les javelots peuvent être soit épais soit
minces. Dans les javelots lourds, les uns ont une section circulaire d’une palme de diamètre, les autres une
section carrée d’une palme de côté ; quant aux javelots minces, qu’on porte en plus des précédents, ils
ressemblent à un épieu de chasse, de taille moyenne. Tous ces javelots ont un bois d’environ trois coudées de
long ; à chacun est ajusté un fer barbelé de la longueur du bois ; les Romains en assurent si bien la fixation et
l’efficacité, en l’assujettissant dans le bois jusqu’au milieu de celui-ci et en l’y rivant à force de crochets, que
dans l’action le fer se brisera plus tôt que l’attache ne se desserrera, bien qu’il ait un doigt et demi d’épaisseur à
9
la base, du côté où il est attaché au bois. On voit quel soin attentif ils prennent de cette fixation. » .
Cette description a nourri passablement d’interprétations chez les auteurs modernes,
car elle en dit beaucoup tout en n’en disant pas assez. Sans prétendre apporter des réponses à
toutes les questions, je m’efforcerai ici de présenter les théories à mon sens les plus
séduisantes et les éléments les plus pertinents dans une perspective d’histoire militaire et de
l’armement romain. Il convient également de préciser que l’arme a nécessairement subi des
évolutions et des améliorations au fil des siècles.
Toujours d’après Polybe, le pilum fait partie de l’équipement complet du légionnaire ;
il distingue quatre sortes de combattants, les vélites, les hastati, les principes et les triarii, qui
se positionnent en ligne selon cet ordre sur le champ de bataille10.
« La classe d’âge suivante, de ceux qu’on appelle hastati, porte réglementairement un équipement complet. […]
Les principes et les triarii sont équipés de la même façon, sauf que les triarii portent la lance au lieu de
javelots. »11.
8
Le pilum du principat ressemble à quelques aménagements de détail près à celui de la République. Il semble
connaître une baisse d’utilisation vers la fin du Haut-Empire mais on le retrouve comme arme principale des
légionnaires durant l’Antiquité tardive, où il se distingue toujours du javelot par un fer particulièrement allongé,
de 60 à 90 cm. Voir FEUGÈRE, 1993, op. cit., p. 166.
9
POL, VI, 23, 8-11.
10
Les vélites étant généralement formés des combattants les plus jeunes et les plus pauvres, leur équipement peut
varier, raison pour laquelle je ne m’y arrête pas. Ils ne combattent pas en formation, leur tâche étant plutôt de
harceler les troupes ennemies en leur lançant des armes de jet, ou bien souvent, de servir de « chair à canon »
avant le déploiement des soldats lourdement armés.
11
POL, VI, 23, 1 et 16.
2
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--L’importance dans notre propos est que les deux premières lignes de la légion romaine
portent le pilum et la troisième des lances ; de ce fait, cette dernière n’intervient généralement
qu’à la fin du combat ou pour couvrir la retraite des précédents. C’est donc surtout sur ces
deux lignes de hastati et de principes que je vais m’attarder.
La proportion des soldats engagés dans ces différents corps est donnée par Lawrence
Keppie, lequel se base également sur cette description de Polybe, essentielle pour la
connaissance et la compréhension du fonctionnement de l’armée romaine 12. Les hastati et les
principes totalisent 1200 hommes chacun ; viennent ensuite 600 triarii, ce qui porte le total à
3000 hommes. Sachant qu’une légion en compte à ce moment 420013, on peut en déduire le
nombre de 1200 vélites14. Dans les chiffres réglementaires, le pilum est donc l’arme de plus
de la moitié des légionnaires, puisqu’il est porté par 2400 des 4200 hommes.
Comme je l’évoquais en introduction, le pilum n’est pas un simple javelot ; il peut
servir aussi bien comme arme de corps à corps que comme arme de jet. L’information nous
est notamment donnée par Tite-Live lors d’une digression sur Alexandre de Macédoine, dans
son récit de la guerre contre les Samnites en 319.
« Comme armes, les Macédoniens avaient des boucliers de métal et des sarisses [c’est-à-dire des lances], les
Romains le bouclier de cuir, couvrant mieux le corps, et le pilum, arme bien plus forte que la lance pour le coup
de pointe et le jet. »15.
Sa taille et son poids inférieur à ceux d’une lance permettent au légionnaire une plus
grande dextérité16 tout en conservant l’avantage dans un combat en formation d’une alonge
supérieure à celle d’un glaive ou d’une épée celtique. Il faut donc bien y voir une solution
alternative, à mi-chemin entre la lance et l’épée. Le nom même des soldats qui combattent en
première ligne dans la formation indique cette possibilité de frappe du pilum ; littéralement, le
terme latin hastati peut se traduire par « ceux qui frappent ».
12
Je n’ai retenu pour cet article que la partie du texte relative au pilum mais le livre VI de Polybe comprend une
description de l’ensemble de l’armement ainsi que de nombreux éléments relatifs à l’organisation de l’armée
romaine.
13
Ces chiffres correspondent évidemment à la période décrite par Polybe. Par la suite, après les réformes
marianistes de la fin du IIe siècle, le nombre d’hommes augmentera pour atteindre le chiffre théorique de 6000
hommes, un chiffre qui dans les faits peinera souvent à être atteint.
14
KEPPIE, Lawrence, The making of the roman army, From Republic to Empire, London, B. T. Bastford Ltd.,
1987, pp. 34-35.
15
TITE-LIVE, IX, XIX, 7.
16
Les expérimentations démontrent que la lance utilisée par les triarii, longue de près de trois mètres, est
difficile à manœuvrer combinée au bouclier en combat singulier. Cela explique son utilisation généralement à la
fin de la bataille ou pour couvrir une retraite, dans une formation sans doute proche de la phalange
macédonienne. Une telle arme serait en tout cas trop lourde et surtout trop longue pour être utilisée efficacement
dans un combat en première ligne. La lance longue romaine, hasta, est à penser comme une pique et non comme
une arme de jet, en dépit de son nom français ; l’étymologie la renvoie également au sens de « frapper ».
3
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--Les apports de l’archéologie
Les connaissances archéologiques sur les pila pour la période républicaine nous
viennent de fouilles sur plusieurs sites, dont les plus connus sont Numance et Alésia. Pour des
raisons méthodologiques, je me limite ici à l’analyse de ce dernier site, car les pièces qui en
proviennent sont parfaitement révélatrices de la tendance de la période17.
Alésia, lieu mythique et mythifié par l’historiographie française de la victoire finale de
César sur les armées de Vercingétorix en 52 av. J.-C., fait l’objet de fouilles entre 1861 et
1865 déjà, sous l’impulsion de Napoléon III18; l’Empereur fait également procéder à des
reconstitutions qui lui permettent avec des pila lancés d’une distance de 30 mètres de percer
une planche d’environ 3 centimètres, une épaisseur largement supérieure aux boucliers
d’époque19, ce qui en dit long sur la force de pénétration de l’arme. Une quarantaine de
pointes ont été mises à jour lors de ces fouilles ; elles sont aujourd’hui conservées au Musée
des Antiquités Nationales, au Château de Saint-Germain-En-Laye, dans les Yvelines20.
Depuis lors, on a notamment découvert à Alésia en 1991 un pilum complet dans une fosse du
castellum XI (14)21.
Ces chiffres peuvent sembler modestes en regard des effectifs mobilisés par Jules
César lors de ce siège mais s’expliquent par la manière dont les combats se sont déroulés. Il
est vraisemblable que les Romains aient après la bataille récupéré les armes romaines encore
utilisables, « à l’exception des pointes de pilum, désormais défectueuses. »22. Cela explique
également la nette prédominance des armes celtiques sur le site, des armes dont les Romains
n’avaient sans doute pas une grande utilité. Tout ce qui pouvait être réutilisé était ramassé sur
le champ de bataille ; les pointes tordues de pila n’entrant pas dans cette catégorie, elles ont
tout simplement été laissées sur place. Cela explique pourquoi les pila retrouvés à Alésia,
hormis celui découvert en 1991, sont « presque toujours dans un état de conservation
défectueux[.] »23.
17
Cf. annexes p. 17 pour des représentations de pila républicains retrouvés sur d’autres sites archéologiques
qu’Alésia.
18
SIEVERS, Susanne, « Armes celtiques germaniques et romaines : ce que nous apprennent les fouilles
d’Alésia », dans REDDÉ, Michel (s. d.), L’armée romaine en Gaule, Paris, Errances, 1996, p. 67.
19
Idem, p. 73.
20
Cf. annexes p. 16 pour les représentations des pila d’Alésia.
21
SIEVERS, Susanne, « Armes celtiques germaniques et romaines […] », dans REDDÉ, 1996, p. 73.
22
Idem, p. 79-80.
23
Idem, p. 79.
4
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Ce que l’on peut dire de l’aspect du pilum
C’est donc à partir principalement de ce passage de Polybe et des trouvailles
archéologiques que l’on peut tenter d’établir une description un peu plus précise de ce pilum
et de formuler quelques principes généraux.
Pris au sens premier, les chiffres donnés par Polybe rendent l’image d’une arme
impressionnante ; un diamètre d’une palme, soit la largeur d’une main, mesure fixée à 7,7
centimètres et une longueur de 2,79 mètres24. On obtient ainsi une arme plus proche du pieu
que du fin javelot trop souvent représenté dans l’iconographie moderne, à l’image d’Astérix.
Citant les premiers commentateurs de Polybe25, Paul Couissin démontre qu’une traduction
littérale avec une épaisseur constante de la hampe ne correspondrait « qu’à un énorme pieu
dont le poids avoué […] serait de onze livres mais doit être, en réalité, encore plus
considérable. »26. Les soldats romains ont beau avoir une constitution physique sans doute
hors du commun d’un point de vue moderne, on a peine à croire à l’utilisation d’un javelot de
près de six kilos.
Dans un article ancien mais dont la pertinence reste tout à fait à propos, Joseph
Quicherat interprète ces chiffres pour leur donner un autre sens ; il s’appuie notamment sur
l’étymologie du mot pilum, contraction de pisillum ou pistillum, qui désigne l’instrument que
nous appelons un pilon27. Il en déduit que l’arme a du y ressembler28 et que la hampe ne
devait pas avoir dans son ensemble la largeur décrite par Polybe mais être fine au pied pour
enfler progressivement au milieu du bois, ce qui permettait précisément d’y emboîter le fer,
diminuant également la taille29. Il faut donc revoir la longueur à la baisse, ce qui nous donne
dans ce cas une arme d’environ, 2,07 mètres30. Ce chiffre est plus vraisemblable pour une
arme qui comme je l’ai mentionné plus haut, sert aussi bien au lancer qu’au combat au corps à
corps ; on imagine en effet mal un légionnaire manœuvrer habilement d’une main une arme
de près de trois mètres pour affronter un ennemi muni d’une épée.
24
Chiffres donnés par QUICHERAT, Joseph, Le pilum de l’infanterie romaine, Paris, Imprimerie générale de
Ch. Lahure, 1866, pp. 10-11 (extrait du XXIXe volume des Mémoires de la Société impériale des Antiquaires de
France).
25
Notamment Rüstow, Köchly et Dahm.
26
COUISSIN, 1926, op. cit., p. 203.
27
L’étymologie du terme pilum est débattue ; on peut également le rattacher à une racine pig- ou pik., pour
« piquer, percer ». Voir COUISSIN, 1926, op. cit., p. 22. À mon sens, les deux ne sont pas incompatibles.
28
QUICHERAT, 1866, op. cit., p. 8.
29
Idem, pp. 11-12.
30
FEUGÈRE, 1993, op. cit., p. 101.
5
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--L’étude des pila retrouvés sur le site d’Alésia permet plusieurs constats sur l’aspect de
l’arme durant la période césarienne. En ce qui concerne le fer, on remarque d’emblée qu’il n’y
a pas une seule et unique forme de pointe ; elle peut en effet être « pyramidale, foliacée ou
lancéolée. »31. Le système d’attache présente également plusieurs variantes, le fer pouvant
être relié à la hampe de trois manières différentes : « par l’intermédiaire d’une douille (14 et
16)32 ; par l’intermédiaire d’un appendice linguiforme, qui pénétrait dans la hampe, et était
fixé à celle-ci par plusieurs rivets ; par l’intermédiaire d’une soie, qui s’introduisait dans la
hampe et était fixée à l’aide d’une virole et d’un rivet, une plaque métallique assurait la
jonction entre l’extrémité de la hampe et la tige du pilum (18). »33.
Si sur le seul site d’Alésia et en étudiant une quarantaine seulement de pila on
rencontre une pareille diversité, il faut bien comprendre que l’arme n’existe pas dans un
modèle unique et que l’on peut rencontrer au sein des nombreuses légions romaines qui
combattent sous la République une multitude de variantes. C’est un élément fondamental dans
la réflexion qui pose évidemment le problème d’une description d’un pilum-type, que certains
auteurs ont trop facilement je pense tenté d’établir34. L’uniformité est loin d’être la règle et
s’il existe sans doute certaines normes générales, on ne peut assurément pas parler d’un
modèle bien défini qui serait appliqué à l’ensemble des légions ; je reviendrai plus en détail
sur ce point en conclusion.
On sait par l’archéologie que la hampe des lances est protégée par une douille de fer
appelée talon de lance, souvent pointu. Outre un aspect pratique qui permet de planter l’arme
plus facilement en terre lors d’une pause ou dans un campement, cela offre également la
possibilité de combattre avec l’autre partie de l’arme, soit que la pointe ait manqué sa cible et
qu’il faille faire pivoter l’arme pour frapper du talon, soit que l’on soit attaqué par devant et
par derrière dans le cadre d’une mêlée. Les hampes de pila présentaient la même propriété35,
ce qui dans le cas d’une arme de jet, pouvait également avoir ses avantages en cas de ricochet.
En raison de l’intensité des chocs, les douilles mises à jour par l’archéologie sont souvent
éventrées36.
31
SIEVERS, Susanne, « Armes celtiques germaniques et romaines […] », dans REDDÉ, 1996, p. 73.
Ces chiffres renvoient aux différents pila d’Alésia, présents dans les annexes.
33
SIEVERS, Susanne, « Armes celtiques germaniques et romaines […] », dans REDDÉ, 1996, p. 73.
34
Les représentations iconographiques modernes ne rendent que rarement compte de cette diversité.
35
On a notamment retrouvé des pila et leurs douilles parmi les armes du dépôt commémorant la bataille de
Télamon en 228 av. J.-C. Voir COUISSIN, 1926, op. cit., p. 195.
36
SIEVERS, Susanne, « Armes celtiques germaniques et romaines […] », dans REDDÉ, 1996, p. 75.
32
6
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Une arme à usage unique ?
Le fer du pilum est très fin pour une raison très simple dès lors qu’on se place dans la
perspective d’une bataille antique, éviter qu’une arme de jet qui aurait manqué sa cible ne soit
ramassée – voire rattrapée au vol – par l’ennemi et renvoyée à l’expéditeur. Cette finesse du
fer lui permet en effet de se plier à l’impact sur une surface protégée37.
Il faut également se représenter le combattant dont le bouclier est frappé par un pilum ;
outre l’impact sans doute passablement déstabilisant, dans l’hypothèse où le fer n’a pas
traversé la couche protectrice et atteint la chair, le combattant se retrouve avec une hampe de
plus de deux mètres coincée dans son bouclier, ce qui nuit considérablement à sa mobilité et
aura tendance au vu du poids de l’arme à le faire dangereusement pencher en avant, ce qui
l’exposera à un nouveau lancer ou à un coup porté par un glaive. Le légionnaire n’aura par
ailleurs qu’à marcher sur la hampe pour faire pencher l’ensemble et découvrir le combattant,
auquel il est par ailleurs impossible de retirer le pilum de son bouclier sans l’écarter de son
corps et se retrouver ainsi à découvert.
Outre cette fragilité du fer, on prète à Marius à la fin du IIe siècle une modification du
système d’attache en vigueur jusqu’à ce moment. L’épisode est rapporté par l’historien grec
Plutarque dans sa Vie de Marius, au chapitre XXV.
« On dit qu’en vue de ce combat Marius introduisit une innovation dans l’agencement du javelot : jusqu’alors la
hampe de bois insérée dans le fer était maintenue par deux rivets de fer ; Marius en laissa un comme il était
mais fit remplacer l’autre par une cheville en bois qui se brisait facilement. Grâce à ce changement, le javelot
tombant sur le bouclier d’un ennemi ne restait pas droit ; la cheville de bois se rompant, la hampe se courbait à
proximité du fer et traînait par terre, en restant attachée au bouclier par sa pointe tordue. »38.
Avec ce système, outre le fer plié et fiché dans le bouclier, la hampe pendrait tout en
restant attachée ; l’arme deviendrait ainsi parfaitement inutilisable après un lancer et
handicaperait d’autant plus le combattant ennemi. Bien sûr, une arme mal lancée ou qui se
plantait par le talon pouvait être réutilisée.
Se basant sur les apports de l’archéologie, Lawrence Keppie indique que c’est
vraisemblablement au pilum lourd que cette modification est apportée, le léger restant muni
d’un fer emboîté sur la hampe39 ; cela laisse entendre que c’est le lourd qui est destiné au
lancer et le léger à la frappe, ce qui donne un nouvel argument en faveur de la représentation
du pilum comme une arme de jet destinée avant tout à causer des dégats importants.
37
Cf. annexes p. 16 pour un exemple archéologique d’un fer de pilum tordu.
PLUT., Mar., XXV, 2-3.
39
KEPPIE, 1987, op. cit., p. 66.
38
7
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--Cette modernisation du pilum par Marius ne semble cependant pas devenir une norme
bien établie puisque moins de cinquante ans plus tard, on dispose dans la Guerre des Gaules
d’un épisode daté de 57 où César « mentionne à nouveau des Gaulois assez habiles (ou
chanceux) pour renvoyer sur les Romains les pila qui venaient de leur être adressés. »40 ; il
s’agit ici de Nerviens, population établie en Belgique actuelle, que César affronte lors de la
bataille de la Sambre.
« [Q]uand les premiers étaient tombés, ceux qui les suivaient montaient sur leurs corps pour se battre, et quand
ils tombaient à leur tour et que s’entassaient les cadavres, les survivants, comme du haut d’un tertre, lançaient
des traits sur nos soldats et renvoyaient les javelots qui manquaient leur but[.]. »41.
Le fait que l’ennemi soit en mesure de réutiliser les pila42 laisse entendre que la
cheville de bois de Marius a été abandonnée et qu’on a jugé que la propriété du fer de se plier
à l’impact était une garantie suffisante et limitait la réutilisation de l’arme par l’ennemi. Avec
un système d’attache fragilisé par cette cheville de bois, il semble peu vraisemblable qu’un
pilum puisse être réutilisé après un lancer, même en s’étant planté en terre.
Il faut donc nuancer l’importance de cette modernisation du pilum par Marius.Comme
le précise Lawrence Keppie, « [t]he use of the wooden pin may have been merely a shortlived experiment. »43. Si l’introduction de la cheville en bois est attribuée à Marius, rien ne
permet d’affirmer que ce retour à l’ancien système, attesté par l’archéologie, soit le fait de
César44. Cela a pu survenir avant le début de sa carrière militaire, ce qui laisserait entendre
que le système aurait eu une durée de vie encore plus courte, moins d’un demi-siècle.
C’est sur la base de ces considérations que certains spécialistes modernes nuancent
cette image trop fréquente du pilum dont le but premier serait d’être rendu inutilisable après
un unique lancer. M.C. Bishop et J.C.N. Coulston y voient plutôt une conséquence de son
design plutôt qu’une fonction délibérément souhaitée45. À leurs yeux, et je les suis volontiers
sur ce point, le pilum lancé est avant tout destiné à percer une protection, armure ou bouclier.
Cela tendrait à expliquer le poids élevé de l’arme en regard d’une simple javeline, ce qui en
ferait pour ces auteurs « an armour-piercing missile »46.
40
FEUGÈRE, 1993, op. cit., p. 101.
CAES., B. Gall., II, 27.
42
Le texte latin ne laisse aucun doute, les Nerviens lancent des tela mais ramassent ou interceptent des pila ; on
dispose ici d’un exemple tout à fait net de cette distinction que j’évoquais en introduction au niveau du
vocabulaire.
43
KEPPIE, 1987, op. cit., p. 102.
44
Ibid.
45
BISHOP, M. C, et COULSTON, J.C.N., Roman Military Equipment. From the Punic Wars to the Fall of
Rome, Oxford, Oxbow Books, 2006, p. 50.
46
Idem, p. 51.
41
8
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Le pilum au combat : le lancer
Le pilum restant traditionnellement rattaché aux armes de jet, c’est par cela que je
commence la description de son utilisation au combat ; sur ce point également, les sources le
distinguent souvent du simple javelot ou de la javeline et insistent tout particulièrement sur
ses effets dévastateurs.
Dans le premier livre de la Guerre des Gaules, lors de la campagne contre les Helvètes
de 58 av. J.-C., épisode également magnifié par l’historiographie nationale suisse qui a
longtemps insisté sur la bravoure prêtée par César à ses adversaires, celui-ci donne des
informations précieuses sur le pilum en décrivant son utilisation comme arme de jet. Le
corpus césarien, récit de guerre par excellence, est particulièrement riche en ce qui concerne
les descriptions de scènes de bataille et César, excellent soldat et tacticien, donne de
nombreux détails pratiques et précis.
« Nos soldats, lançant le javelot de haut en bas, réussissaient aisément à briser la phalange des ennemis. Quand
elle fut disloquée, ils tirèrent l’épée et chargèrent. Les Gaulois47 éprouvaient un grave embarras du fait que
souvent un seul coup de javelot avait percé et fixé l’un à l’autre plusieurs de leurs boucliers ; comme le fer
s’était tordu, ils ne pouvaient l’arracher, et, n’ayant pas le bras gauche libre, ils étaient gênés pour se battre :
aussi plusieurs, après avoir longtemps secoué le bras, préféraient-ils laisser tomber les boucliers et combattre à
découvert. »48.
Cette pratique de la phallange avec les boucliers bord à bord au moment de la charge
est mentionnée plus loin dans le récit par César à propos des Germains, qui en parle comme
de quelque chose d’habituel.
« Mais les Germains, selon leur tactique habituelle, formèrent rapidement la phalange et reçurent ainsi le choc
des épées. » 49.
Tite-Live mentionne la même tactique chez les Gaulois d’Italie à propos des combats
en Étrurie et dans le Samnium en 295, en insistant lui-aussi sur la violence du coup. La
pratique de la phalange est donc bien attestée pour les peuples celtiques50.
« Aussi, comme les Gaulois, leurs boucliers imbriqués devant eux, se tenaient serrés, et que le corps à corps ne
semblait pas facile, sur l’ordre des légats on ramasse à terre les javelots qui jonchaient le sol entre les deux
lignes, et on les lance contre la « tortue » ennemie. Se plantant nombreux dans les boucliers, quelques-uns dans
les corps mêmes, ils abattent le « coin » que formaient les ennemis, si bien que beaucoup, sans être blessés, de
terreur tombèrent à terre. »51.
47
César parle ici de Gaulois, il faut bien entendre qu’il s’agit d’habitants des Gaules en général ; ce sont ici des
Helvètes qui font face aux légions.
48
CAES., B. Gall., I, XXV.
49
Idem, I, LII.
50
On peut d’ailleurs imaginer que toute armée antique munie de boucliers adopte naturellement une position
défensive similaire pour se protéger des flèches ou armes de jet, ainsi que d’une charge. En matière de boucliers,
il est évident que l’union fait assurément la force.
51
TITE-LIVE, X, XXIX, 6-7.
9
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--Ces passages sont surtout intéressant pour leur aspect très pratique. Un pilum lancé
avec force et précision peut transpercer deux boucliers et immobiliser ainsi le même nombre
de combattants. Sachant que chaque le légionnaire porte généralement deux pila, l’équation
est impressionnante ; un Romain habile et chanceux peut priver de protection trois ou quatre
combattants ennemis, tout en en blessant ou tuant quelques-uns52. Dans les faits, il est évident
que chaque pilum ne remplit pas la totalité de ses objectifs mais il n’en demeure pas moins
que l’arme joue un rôle fondamental au combat.
Il faut donc se représenter la violence de l’impact, non seulement sur un bouclier ou
une cuirasse, mais sur un combattant non protégé, comme c’est souvent le cas notamment
chez les Gaulois où seuls les aristocrates ont les moyens de s’équiper d’armures,
généralement de cottes de maille. La plupart des combattants se battent sans protection
aucune, les sources sont nombreuses à mentionner des guerriers nus au combat. « Le coup
pouvait être assez vigoureux pour que la chair fût entamée par-dessous le bouclier, même
malgré la protection d’une cuirasse. Qu’on juge des terribles blessures que faisait le pilum, s’il
pénétrait dans le corps au défaut du bouclier. »53.
Dans cette perspective, le pilum semble être l’arme du premier choc ; on le lance sur
l’ennemi pour faire le plus de dégat possible avant le combat au corps à corps, moment où le
gladius prend le relai. Alain Deyber insiste sur cette utilisation du pilum dans un premier
temps, tant que l’ennemi est à portée de tir et pas encore assez proche pour être frappé d’un
coup direct. « Dès que la distance pratique était devenue insuffisante pour lancer le pilum ou
que la mêlée commençait à battre son plein, on abandonnait le javelot pour se battre à
l’épée[.] »54. La bataille commence donc généralement par un lancer massif de pila avant que
les légionnaires ne dégainent leurs glaives pour l’affrontement55. Par la suite, tandis que la
première ligne de combattants lourdement armés, les hastati, jouent du gladius, la seconde
ligne, les principes, peut continuer à faire pleuvoir sur les lignes ennemies des volées de traits
meurtriers
52
Qu’on ne s’y trompe pas, le pilum n’est pas la seule arme de jet à pouvoir transpercer un bouclier. Il arrive
également aux Romains de subir les mêmes désagréments, l’article à venir de GENVA sur le scutum républicain
en donnera un bel exemple. Les sources semblent cependant insister sur l’efficacité particulière du pilum sur ce
point.
53
QUICHERAT, 1866, op. cit., pp. 7-8.
54
DEYBER, Alain, « La trilogie glaive, javelot, bouclier (Gladius-pilum-scutum) du légionnaire à l’épreuve des
faits, dans SIEVERS, Susanne, « Armes celtiques germaniques et romaines […] », dans REDDÉ, 1996, p. 75.
55
SOUTHERN, Patricia, The Roman army, A social and institutional history, New-York, Oxford University
Press, 2007, p. 211.
10
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Le pilum au combat : la frappe
Le pilum peut comme je l’ai précédemment mentionné également servir pour frapper
de la pointe dans un combat en première ligne ou en duel au cœur d’une mêlée. Bien que les
sources antiques insistent essentiellement sur son utilisation comme arme de jet, on peut
relever plusieurs passages qui témoignent incontestablement d’un maniement du pilum
comme arme de combat immédiat.
Plutarque rapporte que Camille enseigne à l’aurore du IV e siècle aux Romains à se
servir du pilum pour parer les coups de l’épée gauloise. C’est une particularité car l’arme
devient ainsi défensive plutôt qu’offensive.
« Il savait que la plus grande force des barbares consistait dans leurs épées, avec lesquelles ils frappaient de
haut en bas, à la manière des barbares, sans aucun art, pour abattre surtout les épaules et les têtes. […] Quant
aux soldats eux-mêmes, il leur apprit à manier de longues javelines et à les glisser sous les épées des ennemis
pour amortir les coups assénés d’en haut. »56.
Certains auteurs modernes ont contesté l’authenticité de cette affirmation de Plutarque,
arguant que le terme utilisé dans son récit pour désigner l’arme n’était pas le même que celui
utilisé plus tard dans les sources que qu’il devait plus vraisemblablement désigner une lance.
Paul Couissin s’oppose à cette relecture de Plutarque, et je le suis volontiers en ce sens, sur
une considération relative à la conception des deux armes, la lance longue, la hasta, et le
pilum. « L’épée gauloise, dont la trempe était excellente, eût certainement tranché le bois des
hastae longae, si l’on avait eu l’imprudence de leur en opposer les hampes, et le stratagème de
camille eût abouti à désarmer ses soldats. Pour parer utilement ces terribles coups de taille il
fallait des javelots pourvus d’une importante longueur de fer, c’est-à-dire des pila. »57. La
lance étant en effet composée d’une simple pointe fichée au bout de la hampe, sa fonction est
essentiellement de frapper en coup direct, de la pointe ou du tranchant ; il ne saurait donc être
question d’opposer le bois à l’acier.
Ce passage de Plutarque nous apporte donc une nouvelle explication sur la longueur
du fer du pilum, qui bien que variable, on l’a vu, distingue néanmoins l’arme d’un quelconque
javelot. Sa longue pointe de fer, qui lui confère une force de pénétration importante au lancer,
lui permet également de parer un coup de taille porté par une épée dans un mouvement qui
doit s’approcher d’une parade d’escrime classique58.
56
PLUT., Cam., 40, 4.
COUISSIN, 1926, op. cit., p. 131.
58
On peut supposer que le fer était à ce moment-là un peu plus épais.
57
11
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--On dispose dans le récit de la guerre civile entre César et Pompée d’un bel exemple de
maniement du pilum au combat lors de la bataille de Pharsale en 48 av. J.-C. Alors que la
cavalerie pompéienne tente d’encercler la fameuse Xe légion césarienne, le vainqueur
d’Alésia place en première ligne six cohortes auxquelles il donne l’ordre de frapper de la
pointe en visant le visage. L’épisode est notamment raporté par Florus.
« Se multipliant dans cette bataille, César fut à la fois général et soldat. On a recueilli aussi de lui deux phrases
qu’il prononça en chevauchant, l’une cruelle, mais habile et propre à assurer la victoire : « Soldat, frappe au
visage ! » ; l’autre destinée à le faire valoir : « Epargne tes concitoyens ! »[.] »59.
Bien des choses ont été dites et écrites par les modernes sur ce « Miles, faciem feri »,
comme le fait remarquer François Paschoud dans un article de 1981 consacré à la bataille de
Pharsale. « On est clairement en présence d'un motif qui a été embelli par la légende et qui
peut illustrer au choix la cruauté de César, son ingéniosité de général, ou le manque de
fermeté de la cavalerie pompéienne. »60. Plutarque rapporte également l’évènement dans son
récit de la vie de Pompée.
« Quand César vit l’aile gauche des ennemis appuyée par une si importante cavalerie, craignant pour les siens
l’éclat de leur armement, il fit venir six cohortes de la réserve et les plaça derrière la dixième légion, avec ordre
de ne pas bouger et de ne pas se laisser voir auxennemis, mais, quand les cavaliers chargeraient, de se précipiter
à travers les premiers rangs, et, sans lancer leurs javelots, comme le font d’ordinaire les braves, pressés de
dégainer leurs épées, de frapper en haut pour blesser les ennemis aux yeux et au visage : ces beaux danseurs de
pyrrhique, à la fleur de l’âge et soucieux de leur beauté, ne résisteraient pas et n’oseraient même pas regarder en
face le fer brandi devant leurs yeux. »61.
Sur ce texte également, les interprétations sont nombreuses. Je suis pour ma part
entièrement convaincu par celle du même François Paschoud, qui reprend une théorie
défendue par T. F. Carney dans un article de 1958. La raison invoquée est très concrète et ne
cherche pas d’interprétation symbolique à cette injonction de César de frapper au visage. Lors
de cette bataille, César ne dispose pas d’une cavalerie en mesure d’affronter celle de Pompée
et ne peut lui opposer que son infanterie. Armés de glaives et de pila, les légionnaires n’ont
pas de multiples possibilités. « L]'unique solution était pour eux de se servir de leurs javelots
comme d'une espèce de lance. […] [L]a pointe des javelots se recourbait ; l'arme, utilisée
comme lance, n'était vraisemblablement pas en mesure de percer une armure; il fallait par
conséquent, pour être efficace, viser des parties nues, donc le visage. »62. Comme bien
souvent, c’est une explication concrète qui prévaut, un aspect qu’il ne faut jamais négliger
dans l’étude d’une arme.
59
FLOR., Epit., IV, 2, 50.
PASCHOUD, François, « La bataille de Pharsale : Quelques problèmes de détail », dans Historia : Zeitschrift
für Alte Geschichte, vol. 30, n°2 (2nd Qtr.), Erfurt, Franz Steiner Verlag, 1981, p. 185.
61
PLUT., Pomp., 69, 3-5.
62
PASCHOUD, 1981, op. cit., p. 186.
60
12
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Des pila de siège
En 54 av. J.-C., également en pleine guerre des Gaules, Quintus Cicéron, frère du
célèbre orateur, se trouve assiégé dans son camp par des Gaulois. Outre de nombreuses
fortifications qui témoignent de l’incroyable talent des troupes du génie des armées
césariennes, maintes fois glorifiées dans les sources, on fabrique de nombreux javelots de
siège, désignés en latin par l’appellation pila muralia63. Ces armes qui se distinguent du pilum
traditionnel réapparaissent dans le récit de César en 52 lors du siège d’Alésia ; alors que les
Gaulois de Vercingétorix descendent de leur oppidum pour tenter de franchir les fortifications
érigées par les légions, outre les nombreux pièges creusés au pied des ramparts, ils sont
exposés à une pluie de traits de ces mêmes armes.
« [D]u haut des retranchements et des tours, ils étaient frappés mortellement par les javleots de siège. »64.
Plus lourde, cette arme serait ainsi destinée à n’être utilisée que depuis une position
dominante, idéalement fortifiée, d’où ce terme de muralia, qui permettrait de cumuler la force
de la gravité et celle du légionnaire. L’assiégant au pied du mur devait littéralement se
retrouver cloué au sol lorsqu’il était frappé par une telle arme.
L.-A. Constans, auteur de l’édition du texte césarien sur lequel nous nous appuyons, y
a vu une représentation du pilum lourd décrit par Polybe ; bien qu’ancienne, cette hypothèse
semble toujours convaincre certains chercheurs modernes. J’avoue ne pas en faire partie car le
récit de César donne l’impression d’une arme spécialement construite lors de ces deux sièges
pour répondre à un besoin bien précis. À mes yeux, ce pilum de siège est une exception à la
règle, qui ne devait être fabriqué que lorsque besoin était. L’armée romaine n’est pas une
armée de siège ; certes, les légions de César acquièrent une expérience importante en la
matière et sont maîtresses dans l’art d’ériger des fortifications, mais c’est encore au combat
qu’elles font le mieux preuve de la plénitude de leur talent. J’ai donc peine à concevoir les
légionnaires portant tous un pilum de siège, arme dont l’utilisation est de fait très limitée, juste
au cas où un siège devrait survenir. J’aurais sur ce point plutôt tendance à suivre Paul
Couissin qui estime qu’« il n’est pas vraisemblable que le légionnaire ait été chargé, en
marche, d’un fardeau si lourd, complètement inutilisable en rase campagne. »65. Cette arme
reste donc à mon sens une exception.
63
CAES., B. Gall., V, XL.
Idem, VII, LXXXII.
65
COUISSIN, 1926, op. cit., p. 204.
64
13
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--Conclusion
Au terme de ce survol des sources littéraires et archéologiques, ainsi que des
interprétations qu’en font les spécialistes modernes, il m’apparaît nécessaire de faire un rapide
bilan de ma propre réflexion. Plusieurs points méritent en effet d’être énumérés en conclusion
pour bien rendre de compte des spécificités mais aussi de la diversité du pilum, de son
utilisation sous la République et de son importance au combat.
L’atout principal du pilum est sa force de pénétration, un domaine où le poids de
l’arme joue un rôle certain. C’est une première différence mais de taille, et surtout de poids,
avec un javelot traditionnel ou une javeline, généralement composés d’une simple pointe de
fer assez courte, adaptée à une hampe. Le but principal ne serait donc pas de voler vite et loin
mais de frapper fort et à relativement courte distance, ce qui expliquerait les allusions à des
épisodes où des ennemis habiles parviennent à les rattraper au vol pour les renvoyer ensuite ;
c’est assurément prendre un grand risque qui devait parfois mal tourner mais dont on se figure
l’impact psychologique dans un camp comme dans l’autre lorsqu’un combattant parvient à
intercepter une arme de jet. Cela permet également de donner une lecture convaincante du
récit de Polybe, un pilum lourd destiné au lancer et un léger pour la frappe, qui gagnerait ainsi
en rapidité de mouvement et permettrait d’être employé plus facilement en duel ; cette lecture
est appuyée par le fait que ce soit le pilum lourd qui ait été modifié par Marius et non le léger,
en d’autres termes, celui dont la fonction première est le lancer.
Il n’existe pas durant la période républicaine un modèle unique de pilum, ni d’ailleurs
à aucun moment de l’Antiquité romaine ; l’archéologie permet de le démontrer de manière
catégorique66, je crois avoir suffisamment insisté sur ce point. Les différences, notamment
dans la taille de la pointe ou le système d’attache à la hampe de bois, résultent à mon sens de
spécificités régionales. On ne peut pas parler d’uniformité de l’armement romain au sens
moderne du terme, où chaque soldat dispose exactement de la même arme. Un pilum forgé et
assemblé dans une cité ou une province n’est pas nécessairement identique en tout point à un
autre. Les différentes pointes de pila mises à jour en Europe et datées de la période
républicaine démontrent parfaitement cette différenciation non seulement de taille et de forme
du fer mais aussi de système d’attache67.
66
67
Cf. annexes pp. 16 et 17.
SOUTHERN, 2007, op. cit., p. 209.
14
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Sur ce point également, je rejoins volontiers Paul Couissin lorsqu’il insiste sur cette
illusion d’une homogénéité de l’armement de la légion romaine en précisant notamment « que
les dimensions si rigoureuses données au pilum par les textes, mais inconnues des documents
archéologiques, n’ont qu’une précision illusoire, et n’offrent de l’exactitude qu’une fausse
apparence. »68. C’est un problème récurent dans l’étude de l’histoire ancienne, en particulier
lorsque les sources littéraires sont peu nombreuses ; il convient de savoir s’en écarter pour ne
pas les prendre strictement au pied de la lettre, notamment lorsque l’archéologie permet
d’apporter des informations complémentaires.
Le pilum évolue au fil des siècles mais reste utilisé par les légions romaines, les
sources littéraires et archéologiques sont unanimes sur ce point ; on dispose notamment de
magnifiques exemplaires de cette arme pour la période augustéenne, parfaitement conservés,
bois y compris69, mis à jour sur le site d’Oberaden en Allemagne avant la seconde guerre
mondiale70. L’arme connaît bien sûr des modifications, change parfois d’aspect, mais le
principe de base reste identique. Les techniques de combat républicaines restent globalement
les mêmes sous l’Empire ; le pilum continue d’être utilisé aussi bien pour la frappe directe que
pour le lancer.
Alain Bolle
[email protected]
68
COUISSIN, 1926, op. cit., p. 294.
Cf. annexes p.18. Bien que ces armes échappent à notre chronologie, je les mentionne tout de même car elles
sont du plus haut intérêt archéologique.
70
BISHOP et COULSTON, 2006, op. cit., p. 74.
69
15
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--Les sources archéologiques
Figure 1 Pointe d’un pilum, datation inconnue, en provenance d’Illyrie (Croatie), Split, Musée archéologique.
Figure 2 Lances et pila d’Alésia, Musée des Antiquités Nationales71
71
SIEVERS, Susanne, « Armes celtiques germaniques et romaines […], dans REDDÉ, 1996, op. cit., p. 74.
16
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
---
Figure 3 Republican pila. Tanged : 1, 3-4 Numantia ; Cáceres ; 11 Šmihel ; 12 Kranj ; 13 Entremont. Socketed :
5 Numantia ; 9 Montefortino. Socketed incendiary : 6 Šmihel. Spike-tanged : 7-8 Alesia 72
72
BISHOP, et COULSTON, 2006, op. cit., p. 51.
17
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
---
Figure 4 The Oberaden pila with (1a, 2a) details of the junction between the shank (a) and shaft (b), and
showing wedges (c), collet (d), and rivets (e). 73
73
BISHOP, et COULSTON, 2006, op. cit., p. 74.
18
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Les différentes représentations du pilum dans la bande dessinée, du début du Ier siècle
av. J.-C. au milieu du Ier siècle ap. J.-C.
L’aspect iconographique est central dans l’étude d’une arme, ce qui implique de
prendre en compte les représentations anciennes ou modernes, du moment qu’elles sont
appuyées sur des bases historiques attestées. Pour cette raison, je prends le parti d’utiliser des
images extraites d’ouvrages destinés au grand public ou de bandes dessinées, trop souvent
classées dans un genre mineur ; certaines ont l’avantage d’appuyer visuellement les sources
antiques, d’autre au contraire témoignent d’erreurs dans leur interprétation, ce qui est tout
aussi intéressant au sens de notre réflexion.
À travers six séries de bande dessinée, Alix, Astérix, L’épopée helvète, Les Aigles de
Rome, L’Histoire suisse en bandes dessinées et Murena, je propose ici un survol de la
représentation du pilum dans une période qui s’étend du début du Ier siècle aux années 68-69
ap. J.-C. Cela me fait sortir de mon champ chronologique républicain mais cela importe peu.
Il s’agit surtout de rendre compte de cette hétérogénétié des genres de pila et d’illustrer
certaines propriétés pratiques de l’arme au combat.
19
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--Pila républicains
Contexte : cette vignette illustre le siège d’une
ville fictive du nom d’Icara, située en Afrique
entre Utique et Carthage. L’épisode est supposé
se dérouler « plus d’un demi siècle »75 après la
destruction de Carthage par Scipion Émilien en
146 av. J.-C ; cela nous place donc au début du
Ier siècle.
Analyse : cette image présente – chose rare – ce
qui semble bien être le pilum lourd décrit par
Polybe76, que certains estiment être le pilum
muralis décrit par César77. Si la scène décrit bien
un siège, on peine à comprendre l’intérêt de
cette arme lourde, sans doute bien difficile à
utiliser d’une position située en contrebas, en
l’occurrence le pied des murailles
Figure 5 Le pilum de siège(?) dans Alix74
Contexte : cette image représente la première
armée envoyée à la rencontre de Spartacus au
début de sa révolte, au cours de l’année 73 av.
J.-C.
Analyse : les pila sont ici représentés de
manière très simple, un fer adapté à une hampe
de bois. Cette image a toutefois le mérite de
représenter chaque légionnaire portant deux
pila, conformément aux indications données
par Polybe79. Les deux armes semblent ici
identiques.
Figure 6 le légionnaire et ses deux pila dans Alix78
74
Image extraite de MARTIN, Jacques, Les aventures d’Alix, Tome 5, La griffe noire, Bruxelles, Casterman,
1965, p. 21. © Casterman. Avec l'aimable autorisation des auteurs et des Editions Casterman.
75
Idem, p. 20.
76
POL, VI, 23, 9.
77
CAES, B. Gall., V, XL et VII, LXXXII
78
Image extraite de MARTIN, Jacques, Les aventures d’Alix, Tome 12, Le fils de Spartacus, Bruxelles,
Casterman, 1975, p. 19. © Casterman. Avec l'aimable autorisation des auteurs et des Editions Casterman.
79
POL, VI, 23, 8.
20
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Contexte : cette image a pour fonction dans l’album d’illustrer la
supériorité de l’armée romaine et de son matériel lors de la Guerre
des Gaules ; on est donc dans les années 50 av. J.-C. En raison de
l’approche locale de cette bande dessinée, je situe l’image lors de la
campagne contre les Helvètes de 58 av. J.-C.
Analyse : on notera que si le mouvement qui suit le lancer du pilum
correspond aux descriptions données par les sources, à savoir que le
légionnaire peut utiliser à son avantage ce poids sur le bouclier de
son adversaire, la pointe du pilum devrait être pliée après l’impact.
Figure 7 le pilum au combat dans
L’Histoire suisse en bandes dessinées80
Figure 8 le pilum face au sternum dans Astérix 81
Contexte : dans cet épisode des aventures d’Astérix, Jules César « envahit » la Bretagne. Les auteurs prennent ici
quelques libertés avec la réalité historique. L’expédition romaine de 55 av. J.-C. n’a aucunement pour objectif de
conquérir l’île. César part le 27 août et est de retour sur le continent le 23 septembre ; il s’agit d’avantage d’une
démonstration de force et d’une action symbolique que d’une réelle invasion. Cette adaptation de la réalité des
faits est fréquente dans la bande dessinée mais n’est évidemment aucunement dommageable, celle-ci n’ayant
aucune prétention d’historicité absolue.
Analyse : outre la présence de l’un de ces jeux de mots qui font toute la richesse de l’univers d’Astérix, ces deux
images représentent bien le pilum et son système d’attache du fer à la hampe par deux rivets métalliques. On peut
toutefois reprocher au dessin la petite taille du fer, qui de fait donne plus l’impression d’une lance que d’un
pilum. Il en va de même de ceux des légionnaires figurant à l’arrière-plan de la première image.
80
Image extraite de BORY, Jean-René, (s. d.), L’histoire suisse en bandes dessinées, Tome I, De la préhistoire à
la reine Berthe, Neuchâtel, Delachaux & Niestlé SA, 1981, p. 19.
81
Images extraites de GOSCINNY, René et UDERZO, Albert, Une aventure d’Astérix le Gaulois, Tome VIII,
Astérix chez les Bretons, Paris, Dargaud, 1966, p. 18.
21
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
--Contexte : cette image représente la
défaite de l’armée de Crassus contre
les Parthes en 53 av. J.-C, défaite à
l’issue de laquelle le complice de
César et de Pompée perd la vie, ce qui
précipite l’affrontement entre les deux
hommes et replonge Rome dans la
guerre civile.
Analyse : on voit bien ici les deux
parties du pilum, le fer emboîté dans
le chapiteau de bois de forme carrée
(légionnaire du centre) et l’ensemble
maintenu par des rivets, ici un seul
(légionnaire de droite).
Figure 9 le pilum au combat dans Alix82
Figure 10 Différents pila dans Alix83
Contexte : dans cet épisode fictif, Vercingétorix parvient à s’échapper de sa prison, avec l’aide de Pompée. Cela
nous place entre l’année 52, où le chef Arverne est capturé par César et l’année 48 où Pompée meurt en
débarquant en Afrique. Poursuivi par les troupes césariennes, Vercingétorix se retranche à nouveau à Alésia
pour y livrer son dernier combat.
Analyse : cette image mêle deux sortes de pila, une partie ferrée superposée à la hampe (pila de gauche et du
centre) et un fer emboîté dans un chapiteau circulaire de bois (pilum de droite) ce qui peut sembler étrange au
premier abord, mais les deux modèles sont attestés par l’archéologie. Le dessinateur a sans doute ici voulu
rendre compte de cette diversité des pila en s’inspirant de ceux retrouvés à Alésia.
82
Image extraite de MARTIN, Jacques (s. d.), Les aventures d’Alix, Tome 25, C’était à Khorsabad, Bruxelles,
Casterman, 2006, p. 4. © Casterman. Avec l'aimable autorisation des auteurs et des Editions Casterman.
83
Image de couverture de MARTIN, Jacques, Les aventures d’Alix, Tome 18, Vercingétorix, Bruxelles,
Casterman, 1985. © Casterman. Avec l'aimable autorisation des auteurs et des Editions Casterman.
22
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Contexte : aucune précision chronologique n’est donnée pour
cet épisode, raison pour laquelle je le situe peu de temps après
la fin de la guerre des Gaules, sans doute au début des années
40 av. J.-C. La scène se déroule aux portes de Tarquini.
Analyse : cette hampe en deux parties, une sphère et un
prolongement conique est également difficile à identifier sur la
base de l’archéologie, dans la mesure où les deux pièces sont
en bois, matériau périssable, contrairement au fer. On ne
connaît pas d’armes de ce type pour la période césarienne du
côté de l’archéologie.
Figure 11 Un chapiteau de pilum en deux
parties dans Alix84
Contexte : cette image ne peut pas non plus
être datée autrement que de manière
approximative. L’album s’inscrit également
dans la période césarienne, après la guerre des
Gaules. Je la situe donc comme la précédente
au début des années 40 av. J.-C.
chronologiquement après la Guerre des
Gaules. La scène se passe dans le fort d’Altus
Rhenus, sur la frontière nord de la
République, le long du Rhin.
Analyse : le pilum ici représenté me pose
problème. Le fer en est très court et cette
hampe en deux parties, une droite et une
conique
ne
correspond
à
aucune
représentation habituelle.
Figure 12 un étrange pilum dans Alix85
84
Image extraite de MARTIN, Jacques, Les aventures d’Alix, Tome 8, Le tombeau étrusque, Bruxelles,
Casterman, 1968, p. 52. © Casterman. Avec l'aimable autorisation des auteurs et des Editions Casterman.
85
Image extraite de MARTIN, Jacques et MORALES, Rafael, Les aventures d’Alix, Tome 21, Les barbares,
Pantin, Dargaud, 1998, p. 12.
23
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
---
Contexte : pour cette image également,
aucune précision chronologique n’est
donnée dans l’album. La scène se passe
dans le temple de Priène, cité grecque
d’Ionie, alors que la garnison romaine
réprime un soulèvement populaire.
Analyse : cette image illustre bien la
possibilité d’utiliser le pilum comme
arme de frappe et pas uniquement de
jet. Le mouvement est ici porté de haut
en bas, à la manière d’un coup de
poignard, il peut également être porté
en coup droit, à la manière d’un
mouvement d’escrime moderne. Sur un
plan strictement pratique, je pense que
ce mouvement serait plus utile au-vu de
la situation dans laquelle se trouve le
légionnaire. Une frappe de haut en bas
nécessite plus de place qu’un coup
d’estoc et l’environnement est ici
restreint. On notera que le fer du pilum
est ajusté sur la hampe au moyen d’un
chapiteau rectangulaire et maintenu en
place par deux rivets.
Figure 13 le pilum comme arme de frappe dans Alix86
Contexte : Astérix et Obélix s’engagent
dans les légions de César qui combat
les pompéiens en Afrique au début de
l’année 46 av. J.-C. ; l’information
chronologique est donnée dans l’album,
qui a de ce fait une profondeur
historique que n’ont pas tous les
épisodes du célèbre gaulois.
Analyse : On est loin de l’arme
imposante décrite par Polybe. La
représentation du pilum dans Astérix est
simple ; elle se limite à une longue
hampe à laquelle est fixée une courte
pointe de fer, maintenue en place par un
rivet.
Figure 14 le pilum dans Astérix87
86
Image extraite de MARTIN, Jacques, Les aventures d’Alix, Tome 19, Le cheval de Troie, Bruxelles,
Casterman, 1988, p. 34. © Casterman. Avec l'aimable autorisation des auteurs et des Editions Casterman.
87
Image extraite de GOSCINNY, René et UDERZO, Albert, Une aventure d’Astérix le Gaulois, Tome X,
Astérix légionnaire, Paris, Dargaud, 1967, p. 26.
24
GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Pila sous l’Empire
Figure 15 les pila sur le champ de bataille dans Les Aigles de Rome88
Contexte : en 9 ap. J.-C., l’Empereur Tibère met fin à sa campagne d’Illyrie en battant les Dalmates. Marcus
Valerius Falco, l’un des deux héros des Aigles de Rome, combat lors de cette dernière bataille, bien qu’il ne figure
pas sur cette vignette.
Analyse : cette image représente bien la technique guerrière romaine, qui ne change vraisemblablement pas entre
la République et l’Empire ; on est ici à peine un demi-siècle après la mort de César. L’intérêt est ici d’avoir une
vision d’ensemble du combat en formation, des différents corps d’armée et de leur engagement dans la bataille.
Les premières lignes, composées des hastati combattent à l’aide du gladius, suivis de près par les principes, tandis
que les pila volent de la troisième ligne et déciment les rangs adverses. On constate qu’ils sont lancés à courte
distance, ce qui appuie la théorie selon laquelle leur but est de frapper fort plutôt que vite et loin, sur laquelle
j’insistais en conclusion. Il s’agit véritablement d’ouvrir une brèche dans la ligne ennemie pour ensuite s’y
enfoncer et engager le combat au corps à corps. On peut donc supposer que les combattants en première ligne ont
déjà lancé les leurs et se servent à présent du gladius, comme on a pu le constater dans le récit de César 89. Le
combattant en bas à droite de l’image est transpercé de part en part malgré ce qui semble être une cuirasse, ce qui
témoigne de la violence du coup sur laquelle j’insistais plus haut 90.
88
Image extraite de MARINI, Enrico, Les Aigles de Rome, Livre II, Palaiseau, Dargaud Benelux, 2009, p. 47.
CAES., B. Gall., I, XXV.
90
QUICHERAT, 1866, op. cit., pp. 7-8.
89
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GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
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Figures 16 et 17 les pila dans Murena91
Contexte : La première image illustre un épisode situé en 58 ap. J.-C ; la seconde n’est pas datée mais figure
peu de temps après dans le récit.
Analyse : On est ici sous l’Empire ; les pila tels qu’ils sont représentés correspondent à ce que l’on connait par
l’archéologie. On notera que le fer est relativement court, ce qui témoigne d’une de ces évolutions de l’arme, et
que le chapiteau est carré.
Contexte : on est ici en 62 ap. J.-C. ; une
garnison romaine affronte une troupe de
Gaulois en forêt.
Analyse : cette image présente l’intérêt de
représenter dans une même scène les deux
manières de frapper du pilum, par le bas
(légionnaire au premier plan) et par le haut
(légionnaire au second plan). On notera que les
chapiteaux des pila sont carrés, comme dans
les images précédentes, ce qui peut faire penser
au récit de Polybe.93
Figure 18 les pila au combat dans Murena92
91
Images extraites de DELABY, Jean et DUFAUX, Philippe, Murena, Chapitre quatrième, Ceux qui vont
mourir…, Palaiseau, Dargaud Benelux, 2002, p. 1 et de DELABY, Jean et DUFAUX, Philippe, Murena,
Chapitre sixième, Le sang des bêtes, Palaiseau, Dargaud Benelux, 2007, p. 22.
92
Image extraite de DELABY, Jean et DUFAUX, Philippe, Murena, Chapitre sixième, Le sang des bêtes,
Palaiseau, Dargaud Benelux, 2007, p. 44.
93
POL, VI, 23, 9.
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GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
L’équipement du légionnaire républicain
--Contexte : la scène se déroule en Suisse actuelle,
dans les années 68-69 ap. J.-C., en pleine guerre
civile entre Othon et Vitellius. Alors que le
second quitte la Germanie pour marcher sur Rome
et déposer le premier, il scinde son armée en deux
corps expéditionnaires. Son lieutenant Caecina,
qui dirige le second, fait route à travers l’Helvétie.
Analyse : les légionnaires portent ici un seul pilum
dont le chapiteau semble être de forme cylindrique
et relativement petit, en regard de certains
observés jusqu’ici.
Figure 19 les pila sous l’Empire dans L’épopée helvète94
94
BÜRGLER, Edgar, L’épopée helvète, Tome 3, La dernière commande, Carouge, Lied, 1985, p. 22.
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GENVA, reconstitutions et recherches archéologiques
Le pilum
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30
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