1
L’inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés : un acte illégal ?
Note sous jugements TA Clermont-Ferrand du 13 mai 2003
(n°1200991 et 1201928 M. M)
1. Alors que le système pénitentiaire essuyait des rapports critiques
1
, que les nouvelles règles
pénitentiaires européennes étaient mises en place
2
, et que la Cour européenne des droits de
l’Homme avait condamné la France à plusieurs reprises
3
, le législateur est intervenu dans ce
pan du droit jusqu’alors délaissé et régi quasi-uniquement par des actes réglementaires.
2. Mais si la loi pénitentiaire de 2009
4
a permis un renouveau du droit pénitentiaire et
l’affirmation des droits des détenus, elle n’a pas totalement remédié à la « faiblesse de ses
sources »
5
; bien que parallèlement, un mouvement de lutte contre « le droit souterrain »
6
était initié par le Gouvernement.
1
Sénat, Rapport sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France, Paris, 2000,
551 p. ; G. Canivet, Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires, La Documentation
française, Paris, 2000, 263 p.
2
Ces règles adoptées en 1973 et révisées en 1987 puis en 2006, ont pour objectif d’harmoniser les politiques
pénitentiaires des Etats membres du Conseil de l’Europe dans le sens d’une protection toujours plus accrue des
droits des prisonniers. V. Recommandation du Comité des Ministres aux Etats membres sur les Règles
pénitentiaires européennes, 11 janvier 2006.
3
Sur les fouilles corporelles : CEDH, 12 juin 2007, Frérot c/ France, req. n°70204/01, JCP Adm. 2008, Europe,
décisions de mai à juin 2007, chron. O. Dubos, 2025, obs. S. Platon ; AJ Pénal 2007, p. 337, obs. M. Herzog-
Evans.
Sur le suicide d’un détenu atteint de troubles psychotiques placé en quartier disciplinaire: CEDH, 16 octobre
2008, Renolde c/ France, req. n°5608/05 ; Suicide de détenu : la France condamnée pour peine inhumaine et
dégradante, D. 2008, p. 2723, obs. M. Lena ; Suicide d’un détenu : l’Etat français est responsable, AJ Pénal
2009, p. 41, obs. J.-P. Céré.
Sur le régime pénitentiaire des détenus particulièrement signalés: CEDH, 9 juillet 2009, Khider c/ France, req.
n°3936405 ; M. Herzog-Evans, Prison : encore une condamnation de la France par la CEDH, D. 2009, p. 2462 ;
Transfèrements, isolement et fouilles corporelles des détenus : la France triplement condamnée, AJ Pénal 2009,
p. 372.
4
Loi n°2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, JORF n°0273, 25 novembre 2009, p. 20, NOR :
JUSX0814219L
V. notamment : J.-P. Céré, « Virage ou mirage pénitentiaire ? A propos de la loi du 24 novembre 2009 », JCP G
2009, 552, p. 50 ; M. Giacoplli, « La loi pénitentiaire : la grande désillusion.. », R.P.D.P. 2009, p. 769 ; « Le
contenu de la loi pénitentiaire, des avancées encore insuffisantes », R.F.D.A. 2010, p. 25 ; D. Turpin, « La loi
pénitentiaire du 24 novembre 2009 », J.C.P. A. 2010, p. 2011 ; M. Herzog-Evans, « Loi pénitentiaire du 24
novembre 2009 : Changement de paradigme pénologique et toute puissance administrative », D. 2010, p. 36; C.
M. Simoni, « La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : vers de nouveaux droits pour les détenus », A.J.D.A.
2010, p. 494 ; P. Poncela, « La loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 », R.S.C. 2010, p. 190.
5
M. Herzog-Evans, La gestion du comportement du détenu. Essai de droit pénitentiaire, Coll. Logiques
juridiques, L’Harmattan, 1998, p. 29.
6
Citer Pascal COMBEAU
2
3. A cette fin, par décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des
instructions et circulaires
7
, ont été modifiées les règles de publicité pour « les circulaires
[…] adressées par les ministres aux services et établissements de l’Etat », les soumettant à
une obligation de mise en ligne, sur un site dédié à cette fin
8
, sous peine d’abrogation
implicite et donc d’inapplicabilité.
4. Cette volonté affichée « d’obliger les ministères à effectuer un tri parmi leurs productions
administratives »
9
, trouve un écho particulier en droit pénitentiaire. Si la loi pénitentiaire a
permis la disparition de plusieurs circulaires notamment dans des domaines touchant aux
droits fondamentaux
10
, d’autres demeurent néanmoins soumis à des circulaires, comme celui
de l’inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés qui a fait l’objet de la
circulaire du 18 décembre 2007. Toutefois, celle-ci n’a toujours pas été mise en ligne, rendant
le droit en la matière inapplicable, comme le montre la décision rendue par le tribunal
administratif de Clermont-Ferrand le 13 mai 2013.
5. En l’espèce, un détenu a fait l’objet, à deux reprises, d’une inscription au répertoire des
détenus particulièrement signalés (DPS)
11
par le Ministre de la Justice. Une première fois le
12 mai 2009, suivie d’une tentative de réinscription le 15 décembre 2010
12
, et une seconde
fois le 29 mai 2012. Estimant ne pas pouvoir être qualifié de DPS, et évoquant plusieurs griefs
à l’encontre de ces deux décisions (incompétence du ministre de la justice, absence de base
légale de ces décisions, absence de motivation des actes adoptés, faits inexacts…), il demande
leur annulation par le juge administratif.
7
Décret n°2008-1281 du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires,
JORF n°0287 du 10 décembre 2008, NOR : PRMX0829186D, complété par Décret n°2009-471 du 28 avril 2009
relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, JORF n°0100 du 29 avril 2009, NOR :
PRMX0909196D : Ce décret impose la mise en ligne au 1er mai 2009 de toutes les circulaires adoptées
antérieurement à cette date, et la mise en ligne des « nouvelles » circulaires dès leur entrée en application.
8
www.circulaires.gouv.fr
9
G. Koubi, « De la validité des circulaires administratives antérieures au 1er mai 2009 », R.D.S.S., 2011, p. 514.
10
Jusqu’à la loi pénitentiaire de 2009, c’est une circulaire qui réglementait le recours aux fouilles corporelles,
comprenant les fouilles intégrales. V. Circ. AP, 86-12 G1 du 14 mars 1986 relative à la fouille des détenus
lors des mouvements à l'intérieur de la détention, BOMJ, p. 230.
11
Les détenus particulièrement signalés dits DPS sont des détenus qui, en raison de leur profil ou de leurs
antécédents (appartenance à la criminalité organisée, tentatives d’évasion…), sont soumis à des mesures de
surveillance accrues.
12
Selon la circulaire du 18 décembre 2007, l’inscription eu répertoire des DPS n’est jamais définitive et doit être
réexaminée au moins une fois par an.
3
6. En refusant l’annulation de la première cision datant du 12 mai 2009 pour expiration
du délai de recours contentieux
13
, le juge administratif ne nous éclaire que peu sur le régime
de l’acte d’inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés, alors même qu’il
aurait pu prendre position sur la nécessaire motivation ou non de cet acte, point connaissant
actuellement des divergences au sein de la jurisprudence administrative. En effet, si dans ses
conclusions sur l’arrêt Kehli du 30 novembre 2009
14
, le commissaire du gouvernement B.
Bachini s’interrogeait déjà sur la qualification de l’inscription au répertoire des DPS et avait
pris parti pour la qualifier de « décision individuelle défavorable au sens de l’article 1er de la
loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs », estimant que une telle
mesure fait partie « des mesures de police, lesquelles sont soumises […] à l’obligation de
motivation »
15
, cette question ne semble pas définitivement tranchée par la jurisprudence. Si
récemment, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand
16
, la cour administrative d’appel de
Lyon
17
ou encore la cour administrative d’appel de Marseille
18
ont rappe l’obligation de
motivation de cet acte, la cour administrative d’appel de Nancy a consacré une solution
inédite en jugeant que « la décision par laquelle l’administration pénitentiaire inscrit un
détenu sur le répertoire des détenus particulièrement signalés n’est pas soumise à
l’obligation de motivation en application de la loi du 11 juillet 1979, en tant qu’elle ne
constitue pas en elle-même une décision restreignant l’exercice des libertés publiques,
constituant une mesure de police ou imposant des sujétions »
19
.
7. Cependant, bien que ne se prononçant pas sur ce point, le tribunal administratif, en
acceptant d’examiner la légalité de l’inscription au répertoire des DPS, souligne qu’il
s’agit d’un acte faisant grief, ce qui n’a pas toujours été le cas (I). Par ailleurs, l’annulation de
la seconde décision en date du 29 mai 2012 montre une prise de position de la part du juge
clermontois, qui affirme l’illégalité des décisions d’inscription au répertoire des DPS
postérieures au 1er mai 2009, et ce en application des nouvelles règles de publicité applicables
aux circulaires. Il expose ce qui devrait être, selon lui, l’état du droit en la matière (II).
13
Le délai de recours contentieux à l’encontre d’un acte administratif est de 2 mois à compter de sa
connaissance. Le requérant ayant obtenu un jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 10 avril
2012 annulant la décision de réinscription au répertoire des DPS par le ministre de la justice, connaissait donc
depuis cette date au moins la décision initiale d’inscription datée du 12 mai 2009.
14
CE, 30 novembre 2009, Kehli, req. n°318589.
15
B. Bachini, « Recours pour excès de pouvoir possible à l’égard des inscriptions au répertoire des détenus
particulièrement signalés », A.J.D.A., 2008, p. 1483.
16
TA Clermont-Ferrand, 24 novembre 2011, req n°1001999.
17
CAA Lyon, 13 décembre 2012, req. n°12LY00254.
18
CAA Marseille, 20 septembre 2013, req. n°11MA04735.
19
CAA Nancy, 27 juin 2013, req. n°12NC°1652 et 12BC01609.
4
I- L’inscription au répertoire des détenus particulièrement signalés, un acte
administratif faisant grief
8. Le service public pénitentiaire, en tant qu’instrument de coercition destiné à écarter de la
société des individus jugés dangereux, est l’un des services publics les plus marqués par le
besoin de discipline. L’existence de nombreuses mesures d’ordre intérieur en témoigne. Ces
mesures sont qualifiées de mesures non susceptibles de recours par le juge administratif, du
fait qu’elles ne concernent que l’ordre interne du service public et en raison de leur portée
limitée. Faisant une application extensive de l’adage « de minimis non curat praetor », le juge
a qualifié de nombreuses mesures pénitentiaires de mesures d’ordre intérieur. C’est ainsi que
le Conseil d’Etat, dans son arrêt Winterstein de 1986 a jugé que l’inscription au répertoire des
détenus particulièrement signalés est une mesure d’ordre intérieur
20
.
9. Pourtant selon la circulaire du 18 décembre 2007, « l’inscription au répertoire des DPS
permet d’appeler l’attention des autorités afin d’assurer une vigilance accrue quant à la
surveillance de ces détenus ». Une telle mesure ne semble donc pas anodine. Mais, si une telle
inscription est souvent le prélude à l’aggravation significative des conditions de détention -
entraînant une surveillance renforcée voire la mise à l’isolement
21
, des fouilles intégrales, des
mesures de contrainte en cas de sortie de l’établissement y compris pour raison médicale, des
transferts répétés d’établissement pénitentiaire en établissement pénitentiaire dits « rotations
de sécurité » rendant difficile la mise en place d’activités préparant la réinsertion - , le juge
considèrera pendant longtemps qu’elle n’entraîne pas en elle-même de tels effets et ne fait
donc pas grief
22
.
10. Il faudra attendre la réduction de champ des mesures d’ordre intérieur initiée en 1995 par
l’arrêt Marie
23
et complétée en 2007 par les arrêts Boussouar, Planchenault et Payet
24
, ainsi
20
CE, 12 novembre 1986, Winterstein, req. n°62622, 62623, 62624, Lebon T. 602.
21
Ainsi, le juge administratif a pu rappeler à plusieurs reprises que l’inscription au répertoire des DPS pouvait
être utilisée pour motiver une mise à l’isolement. V. par ex : CAA Marseille, 17 juin 2012, req. n°08MA04161 ;
CE, 26 juillet 2011, Amrani, req. n°328535.
22
TA, Dijon, 9 mai 2006, Amrani : une telle mesure « n’est pas susceptible d’exercer en elle-même une
influence sur les conditions de détention ».
23
CE Ass., 17 février 1995, Marie, Rec. p. 84 ; concl. P . Frydman, R.F.D.A. 1995, p. 353 : v. notamment, A
propos du contrôle des punitions en matière carcéral. Le point de vue du publiciste, R.F.D.A. 1995, p. 822, note
F. Moderne ; A propos du contrôle des punitions en milieu carcéral. Le point de vue du pénaliste, R.F.D.A. 1995,
p. 826, note J.-P. Céré ; P. Couvrat, Le contrôle du juge sur les sanctions du milieu pénitentiaire, RS.C. 1995, p.
5
qu’un arrêt de condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme en 2009 jugeant
que le régime carcéral des DPS est contraire à l’article 3 de la convention
25
pour que le
Conseil d’Etat revienne sur sa jurisprudence en matière d’inscription au répertoire des DPS.
11. En 2009, avec un arrêt Kehli, reprenant les recommandations de son commissaire du
gouvernement Bruno Bachini
26
et une jurisprudence initiée par les juges du fond
27
, il va juger
que « la décision d'inscrire un détenu sur le répertoire des détenus particulièrement signalés
en vue de la mise en oeuvre des mesures de sécurité adaptées a pour effet d'intensifier de la
part des personnels pénitentiaires et des autorités amenées à le prendre en charge les
mesures particulières de surveillance, de précaution et de contrôle à son égard ; que ce
dispositif est de nature à affecter tant sa vie quotidienne par les fouilles, vérifications des
correspondances ou inspections fréquentes dont il fait l'objet, que les conditions de sa
détention en orientant notamment les choix du lieu de détention, l'accès aux différentes
activités, les modalités d'escorte en cas de sortie de l'établissement ; que dès lors une décision
d'inscription sur le répertoire des détenus particulièrement signalés doit être regardée, par
ses effets concrets, comme faisant grief et comme telle susceptible de recours pour excès de
pouvoir »
28
.
12. En acceptant de contrôler la légalité des mesures d’inscription au registre des DPS, le
tribunal administratif de Clermont-Ferrand fait donc une stricte application de cette
jurisprudence. Toutefois, il ne s’arrête pas puisqu’il confronte les mesures adoptées par le
ministre de la justice aux nouvelles exigences de publicité applicables aux circulaires.
381 ; Rétrécissement de la notion de mesure d’ordre intérieur, A.J.D.A. 1995, chron. L. Touvet et J.-H. Stahl, p.
379.
24
CE Ass., 14 décembre 2007, Boussouar, req. n°290730, Planchenault, req. n°290420, concl. M. Guyomar,
R.F.D.A. 2008, p. 87 ; CE Ass. 14 décembre 2007, Payet, req. n°306432, concl. C. Landais, R.F.D.A. 2008, p.
104 ; V. notamment : Le juge administratif et le détenu, A.J.D.A. 2008, p. 128, chron. J. Boucher, B. Bourgeois-
Machureau ; Reconnaissance et limites des recours des détenus, D. 2008, p. 820, note M. Herzog-Evans ;
L’activité des établissements pénitentiaires soumise à un examen plus rigoureux du juge administratif, A.J. Pénal
2008, p. 101, obs. E. Péchillon ; Une nouvelle réduction du champ des mesures d’ordre intérieur en milieu
carcéral, Droit adm. 2008, comm. 24, F. Melleray.
25
CEDH, 9 juillet 2009, Khider c/ France, req. n°3936405 ; V. notamment : M. Herzog-Evans, Prison : encore
une condamnation de la France par la CEDH, D. 2009, p. 2462 ; Transfèrements, isolement et fouilles
corporelles des détenus : la France triplement condamnée, A.J. Pénal 2009, p. 372, obs. M. Herzog-Evans.
26
B. Bachini, « Recours pour excès de pouvoir possible à l’égard des inscriptions au pertoire des détenus
particulièrement signalés », A.J.D.A., 2008, p. 1483.
27
CAA Paris, 22 mai 2008, req. n°05PA00853.
28
CE, 30 novembre 2009, Kehli, req. n°318589.
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