Jean-Paul KARSENTY* L’ECONOMISME, MATRICE DE VULNERABILITE GENERALISEE Pour introduire notre sujet et dessiner progressivement les problématiques que nous souhaitons explorer, nous allons gloser autour de la notion d’action. On peut s’accorder sur une observation minimale : l’homme et les hommes ont toujours agi ; de plus, ils ont toujours été agis par les effets de leurs actes. Mais, à en rester là, on négligerait alors l’intérêt, cognitif au moins, de recourir aux différents paradigmes et aux multiples repères permettant d’approcher l’homme et/ou les hommes « en actes ». Cet intérêt-là renvoie à une préoccupation moderne. Il n’aura, certes, point fallu attendre le philosophe français Henri BERGSON pour penser l’homme en action, pour le considérer dans une dynamique permanente, pour l’envisager par l’action, voire tout entier dans et pour l’action ! Assurément, l’homme est un motif, c’est-à-dire un moteur, pour lui-même. En outre, s’il se déplace dans l’espace, c’est parce qu’il se meut du fait des motifs qu’il se donne à lui-même et qu’il observe chez les autres d’une part, d’autre part parce qu’il est mu du fait de motifs qui ne dépendent pas de lui. A l’échelle collective, on remarquera que si les mythologies – et les formations religieuses – ont été forgées comme des représentations générales, elles l’ont été dans la perspective de donner des cadres à l’action, et peut-être même comme des représentations dont la cohérence d’ensemble entendait proposer à toute intention d’action de l’homme et des hommes les conditions générales de sa légitimité ou de son efficacité. Il reste que ce n’est qu’avec la modernité que l’émancipation relative des hommes à l’égard de mythologies préconstruites s’est manifestée. Elle l’a fait sous la forme d’une tension entre connaissance et action que les hommes ont prise en charge, en principe de manière désormais autonome de toute transcendance. Le processus d’individuation a alors donné à l’homme les traits de la particularité, c’est-à-dire de la partie du tout des hommes. La méthode scientifique en pleine expansion a inspiré ce processus : en effet, du calcul des * Ancien secrétaire général du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie, économiste au CNRS, membre du Centre d'études des techniques, des connaissances et des pratiques (Cetcopra) de l'Université de Paris 1 1 probabilités et de la loi des grands nombres du mathématicien suisse BERNOUILLI à la fin du 17e siècle jusqu’au calcul du bonheur et des peines du philosophe anglais BENTHAM à la fin du 18e, la construction de la particularité aura été guidée par de telles quasi-lois de la nature au service de la vie quotidienne des hommes. Finalement, cette émancipation relative des hommes dans la particularité ne fut que l’antichambre de l’étape ultérieure de leur « majorité », au sens kantien et des Lumières, celle de la possibilité de la singularité. Cette singularité moderne, mentale et comportementale, s’est alors déployée et a pris des formes variées. Elle a autorisé en particulier chez les hommes le développement et l’exercice de capacités à la réflexivité et à l’anticipation. Jusqu’à aujourd’hui. Aujourd’hui précisément, cela n’empêche pourtant pas que la question « Sommes-nous encore modernes ? » soit débattue dans nos contrées. Depuis une trentaine d’années, au moins. Après Hannah ARENDT, surtout. Qu’en est-il de cette tension entre connaissance et action ? Ne serait-il pas pertinent de tester l’hypothèse selon laquelle l’action deviendrait toujours davantage justifiée et validée… par l’action elle-même, autrement dit sans qu’elle ne soit plus, intentionnellement au moins, confrontée aux repères rationnels et sensibles de la connaissance ? Serions-nous alors entrés dans une ère d’hyper-modernité, fantasme déqualifiant la modernité ? Le cas échéant, l’aurions-nous fait sous l’effet d’une instrumentalisation excessive du temps – des diverses temporalités donnant ses expressions concrètes au temps – qui résulterait, fait nouveau, de l’établissement d’un lien désormais non nécessaire entre action et connaissance ; avec quelles conséquences éventuelles ? Par ailleurs, l’action, comme source de subsistance (pour couvrir des besoins), d’existence (pour exercer des liens) et de consistance (pour désirer des valeurs) en appelle spontanément à l’œuvre, à l’ouvrage, au travail ; à l’opus, aux opera et à leurs operanda. Or, il conviendrait de considérer en ceux-ci la caractéristique de puissance (ce qui fut peu fait jusqu’à présent), c’est-à-dire l’opus par unité de temps, bref, la puissance d’agir. Enfin, en vue d’achever de dresser le tableau sommaire des outils que notre propos va mettre en relation, la question « Quels sont aujourd’hui les acteurs génériques en puissance d’agir de façon réelle et distincte ? » renvoie aux hommes (à leurs volontés collectives en formations diverses et innombrables), à l’homme (à son désir, infini et indéfini, en 6 milliards d’exemplaires différents), enfin, à la nature ou à la biogée [1] (à ses régularités nombreuses et finies ou à ses événements infinis, agissant ou rétroagissant). Ce faisant, en nous appuyant sur quelques-unes parmi les relations principales existant de fait entre ces acteurs génériques en puissance d’agir et/ou en situation d’être agis du 2 point de vue spécifique de l’action d’ordre économique, apparaîtra le critère de leur vulnérabilité éventuelle. Nous allons donc, à grands traits, ausculter l’état de notre modernité et ce qu’en font ses acteurs, rien d’autre, comme des « condamnés à vivre dans le monde où nous vivons », pour le dire à la façon de François FURET. Au lecteur impatient ou à celui que j’aurais déjà égaré, je précise que la principale question attachée au fil rouge de notre progression discursive sera la suivante : « Dans quelle mesure, et comment, l’effet d’un certain enchaînement de temporalités forcées transforme-t-il nos actions en agenda, c’est-à-dire en actions nécessaires, vulnérabilisant alors les hommes des générations à venir dans leur capacité d’engendrer librement de nouveaux actes ? ». I. Parce que chronoclastes, les logiques contemporaines les plus puissantes sont délétères. S’il est attristant de le constater chaque jour davantage, il n’est pas banal de le dire ainsi : les différentiels de rythmes, de dynamiques, de temporalités (et donc, souvent, de puissance) affectés aux/affectant les acteurs dans leur diversité ne permettent pas aux logiques qui traversent nos sociétés de coopérer entre elles ; ils ont plutôt tendance à exciter les relations entre ces logiques et à les rendre conflictuelles. Examen. I.1. La logique de financiarisation de l’économie est en train d’asservir la logique de marchandisation de l’innovation dans l’économie du fait de la puissance différentielle et univoque que lui confèrent son rythme, sa dynamique et sa temporalité. … C’était en juillet 2010. Sous l’impulsion du Président OBAMA, le point d’équilibre de la plus importante réforme jamais imposée à l’activité du monde financier depuis le New Deal du Président ROOSEVELT a été déterminé par le rapport d’influence entre son conseiller Paul VOLCKER, l’ancien directeur de la Réserve Fédérale américaine, et Timothy GEITHNER, l’actuel Secrétaire au Trésor des États-Unis d’Amérique, et leurs épigones respectifs. Cette réforme a été considérée par certains comme une esquisse sans portée véritable et par d’autres comme le début d’une courageuse régulation du système financier international. Il reste que personne ne conteste que l’enjeu était bien de contraindre la puissance d’agir d’acteurs dont l’intervention conditionne et impacte aujourd’hui les parties les plus entreprenantes de l’activité économique sur la totalité du globe. Car le 3 pouvoir financier, la finance de marché surtout qui en constitue la partie la plus dynamique, est le premier pouvoir, et pour l’instant le seul, dans l’histoire de l’humanité à (s)’être globalisé [2]. Or, l’une de ses caractéristiques majeures, et rarement présentée comme telle, réside dans le fait que ce pouvoir est l’un des plus mal connus parmi les grands pouvoirs de portée planétaire (en voie de globalisation comme en voie de mondialisation) ; et peut-être le plus mal connu d’entre eux si l’on songe que la science financière qui trouva sa source principale en Mésopotamie figure aujourd’hui parmi les plus indigentes des sciences contemporaines. Aux dires même des impétrants régulateurs de ce pouvoir, on avance dans ce monde à tâtons, sans connaissance, face à des acteurs auxquels échappent, sinon leurs propres mobiles individuels et collectifs, du moins l’essentiel de la compréhension des modus operandi et des effets de leurs actes, souvent trop innovants pour souffrir quelque validation théorique et même pratique. Un travail de connaissance des pratiques concrètes et des techniques des acteurs financiers dont la virtuosité ingénieuse a été remarquable depuis quelques dizaines d’années, autrement dit un travail approfondi et patient de recherche, devra constituer, à l’évidence, l’effort de base d’une refondation de cette science. Bref, le hiatus est abyssal entre la capacité inégalée des pratiques financières sur les faits et événements sociaux et humains dans le monde, et l’incapacité à peine concevable des sciences financières à expliquer et à comprendre, donc à prévoir et à anticiper ! Pour l’instant, on commence à comprendre que l’activité financière supposée servir le développement de l’activité économique a construit un nouveau socle épistémologique et pratique, voilà 50 ans environ, autour d’une autonomie logique qui a conféré à la notion même de promesse, cœur de son métier, un nouveau statut ; et qu’elle l’aurait construit en initiant une instrumentalisation des temporalités différentes de celles qui ont inspiré toute l’époque historique moderne [3] ! Il semble que l’on ne sache pas, en revanche, si le forçage de l’outil temporel aurait procédé, ou non, d’une intention de modifier en profondeur la notion même de promesse, objet central, on vient de le dire, de la transaction dans l’activité financière. Il semble enfin que l’hypothèse soit encore mal explorée selon laquelle le forçage de l’outil temporel résulterait de l’effet conjugué des caractéristiques des deux puissants quasi-équivalents généraux contemporains que sont la monnaie d’une part, l’informatique d’autre part, conférant à l’activité financière globalisée une performativité sans égale. Aussi, peu ou prou, se contente-t-on aujourd’hui de constater que « la finance » dans son ensemble produit d’innombrables promesses (trente fois plus en moyenne, dit-on quelquefois, que ce que l’activité économique réelle des hommes en réclamerait), d’une durée de plus en 4 plus faible [4] : un volume de plusieurs centaines de transactions sur un titre par fraction de seconde n’est pas rare aujourd’hui. Donc, il serait raisonnable de penser que le pouvoir financier globalisé contemporain ne prend plus… d’engagement, qu’il ne répond plus d’une quelconque responsabilité mais plutôt d’un processus innovatif permanent incapable de se penser lui-même comme source d’un service et/ou d’une valeur ajoutant(s). En effet, toute promesse fondée sur un tel jeu purement spéculatif reste-t-elle engagement ou bien ne mute-t-elle pas en pari ? Question conséquente : le pouvoir financier globalisé ne serait-il pas devenu un « acteur collectif privatif » non susceptible – par défaut de capacité réflexive qu’imposerait pourtant la promesse – de penser la plus grande entreprise de « vulnérabilisation » jamais engendrée dans l’histoire de l’humanité en dehors, bien sûr !, de toutes celles qui ont induit intentionnellement des actes de guerre tout au long de l’histoire des hommes ? Individus, groupes économiques et sociaux, institutions, nations, humanité, biogée dans ses différentes formes sont rendus vulnérables, à degrés et modalités divers, lorsque leur contribution directe ou indirecte à la production et/ou à la consommation de biens et de services fait appel aujourd’hui à (ou dépend de) la finance de marché. Donc, sur toute la Terre géographique, en monde occidentalisé. Pourquoi ? Parce que la plus grande partie de l’activité financière de marché progresse par operanda non connus : elle détermine des actes à poser (des actes seulement dits mais de fait imposés), des choses qui doivent être faites, des agenda donc au sens étymologique, enfin non sans avoir désigné auparavant ces choses qui doivent être détruites, ces delenda. Annuler les temporalités associées à la promesse, n’assurer que le risque tendant vers zéro, viser la performance absolue, voilà le triptyque tangentiel de la finance de marché appuyée sur la titrisation, technologie de production d’actifs toxiques parmi les plus délétères des technologies qui aient jamais été inventées ! Or, ce triptyque entre en contradiction avec l’économie de marché et le cœur même du développement des sociétés modernes, à savoir l’innovation. En effet, quand l’innovation de finance de marché engendre une telle dynamique, elle menace gravement l’innovation dans l’économie de marché elle-même. Les choses se passent, en effet, comme si l’innovation financière non régulée ne laissait aucune chance à l’innovation économique de contribuer à créer biens et services en lui enjoignant rythmes, dynamiques et temporalités univoques, au mépris de la diversité des secteurs et des acteurs d’entreprise. L’innovation dans les biens et les services économiques résulte, en effet, d’une promesse temporelle qui traduit généralement un engagement allant de quelques semaines ou de quelques mois à quelques années, voire à quelques dizaines d’années ; elle suppose un risque réel à assurer ; elle 5 vise une performance haute et renouvelable, mais jamais absolue quitte à être unique ; ces biens et ces services, enfin, sont consacrés sur d’innombrables marchés – appelés sous forme figurée « Le marché » – où offres et demandes se rencontrent autour de prix, expressions de la rareté relative. De telles caractéristiques sont reconnues et partagées du fait de l’autorité qu’a conférée progressivement un équilibre nouveau et pérenne entre subjectivation et objectivation des temporalités, lequel a ouvert et stabilisé la modernité en Occident voilà plus de deux siècles. Elles donnent son fondement et sa légitimité à l’économie et à sa « réalité ». I.2. La logique de marchandisation de l’innovation dans l’économie (logique forcée par la logique de financiarisation) asservit, à son tour et pour les mêmes raisons, la logique d’incubation de la recherche dans le processus d’innovation… Certes, les réalités économiques ne sont pas toutes marchandes ; il nous faudrait évoquer leurs autres formes, différentes : solidaires, sociales, souterraines, de troc, de don, de gratuité,… Mais c’est bien elle, la marchande, qui conduit, et de loin, le développement des échanges intra et extraterritoriaux. Or, dans ce cas, le processus innovatif suppose le risque de la recherche, donc avant tout d’accepter de différer l’acte d’échange en vertu de la promesse contenue dans l’effort de recherche d’en augmenter la valeur. C’est là le cœur du détour moderne ! Le scientifique et l’ingénieur constituent le couple opérant (de) ce détour, le « couple auteur », celui de la technoscience, pour employer le terme habituel (et souvent trompeur). En ajoutant un service et/ou une valeur à la production et à l’échange de biens et de services, leur contribution exerce le risque d’une promesse temporelle que la finance de marché, en revanche, leur refuse toujours davantage d’assurer. Cette contribution autorise, au profit des biens et des services, une performance relative des processus imposés aux ressources utilisées, et non une performance absolue qui, elle, ruinerait tangentiellement en un seul coup toutes les ressources engagées. Elle autorise un fonctionnement plus ou moins régulier des marchés où la décision s’exerce par le biais d’un prix symbolisant à tout instant « t » la rareté d’un bien, quand, au contraire, le prix d’un actif financier négocié sur un marché haussier fait aussi monter la demande, et inversement, via l’exercice pervers d’une activité d’anticipation de la spéculation pourtant nécessaire au développement économique même. Bref, la logique du technomarché globalisé, celle emmenée par le « couple acteur » constitué de l’expert et du financier, s’impose aujourd’hui, violente, face à celle de la technoscience. En diminuant systématiquement la durée des modalités de l’innovation par la 6 recherche, elle rend vulnérable toute la chaîne des activités humaines et sociales dont l’effet est de « culturaliser » (par la création, l’éducation, la formation,…). Elle mobilise ce couple en priorité autour des savoirs normalisateurs et de leurs technologies associées fortement performatives : droit, économie, gestion, marketing,… qui savent faire écho aux pulsions du désir désormais expertisé et financiarisé en appelant à des rendements les plus élevés et rapides possibles. L’effet de cette logique est double. Il réduit drastiquement la diversité de l’innovation par la maltraitance des conditions de son incubation. En outre, il conduit à une concurrence entre les innovations restantes sur la base de la réduction relative de leurs coûts respectifs et non sur la base de l’accroissement relatif de leur potentiel innovatif. Voilà pourquoi, en Europe, depuis 15 ans au moins, malgré les incitations publiques de toute nature que les États et l’Union ont pu imaginer, l’effort de R&I des entreprises stagne. Ou bien celles-ci font de plus en plus l’économie du détour par la connaissance et par les savoirs non normalisateurs, ou bien elles contraignent ce détour jusqu’à le rendre inopérant et inutile. De fait, là où l’exercice de la technoscience tenait d’un mandat moral et social, renouvelable sous conditions, d’une temporalité glissante de l’ordre de 10 à 50 ans illustrée par des cycles économiques, celui du technomarché s’arroge le droit à une puissance d’agir, non contrôlable, de l’ordre de 1 à 5 ans. C’est donc le marché même – et ses fondements moraux et sociaux – qui s’étiole. Le jeu brutal contenu dans les pratiques de la puissance d’agir de la finance de marché, lesquelles finissent par la caractériser, menace le capitalisme dont elle est issue et menace donc même l’économie de marché ! Celle-ci, contrainte, restreint la marchandisation de l’innovation, laquelle, à son tour, rend plus difficile l’incubation de la recherche dans le processus d’innovation. I.3. La logique d’incubation de la recherche dans le processus d’innovation (logique forcée par la logique de marchandisation de l’innovation) asservit, à son tour et pour les mêmes raisons, la logique de métabolisation [5] dans le corps social et chez ses acteurs des effets et des représentations induits par les résultats des innovations… Bien entendu, par définition, l’innovation est elle-même vulnérable par rapport à l’existant autant qu’elle rend vulnérable l’existant. Elle peut disparaître sans traces ou en laissant des traces. Elle peut apparaître pour ne plus disparaître, par sédimentation ou par substitution. Elle peut, comme elle tend à le faire davantage aujourd’hui, « cultualiser » les sociétés davantage que les 7 « culturaliser ». C’est bien la question de la temporalisation qui fait sens, ici encore : cultualiser procède souvent d’une dynamique qui en appelle à l’adhésion plus ou moins spontanée et rapide alors que culturaliser procède d’une dynamique exigeant le détour par la réflexivité qui autorise le partage et la mise en œuvre plus ou moins soignée de ses conditions. Mettre en culture l’innovation, c’est peut-être, et avant tout, résister à sa mise en culte ! Or, que fait le capitalisme financier ? En réduisant massivement la diversité de l’innovation, il tarit la capacité de celle-ci à être présentée et accueillie sur les marchés. Il appauvrit ceux-ci. Il dévore l’économie de marché, source participante de la culturalisation. Dit une nouvelle fois autrement : l’économicisation dont il procède restreint la diversité de l’action et vulnérabilise individus et liens sociaux, privés alors d’une partie de la source de leur résilience. Du coup, il renforce les projets dont les trajectoires d’innovation ont été forgées dans un passé plus ou moins lointain, lesquels ont fini par prendre corps et empêcheront toute possible concurrence de les contester. Or, ces dits projets, dans l’intervalle, auront été, peu ou prou, investis de représentations ou associées à des valeurs différentes de celles qui ont couru au long du 20e siècle. Ainsi, la plupart des grands systèmes technologiques qui ont été plus ou moins symbolisés (c’est-à-dire ayant été objets d’un accord préalable consciemment vérifié entre les hommes concernés, voir infra), résistent néanmoins encore à leur métabolisation parce que leur maîtrise, celle de leur puissance ou celle de leur complexité ou encore celle de leur taille physique ou encore celle de leur dynamique propre – vitesse, entropie,... – reste problématique avec le temps (une maintenance qui se relâche, un vieillissement insuffisamment surveillé,…). Illustrons notre propos : si, au cours du 20e siècle, l’on a accepté le nucléaire civil, c’est tout en craignant le caractère inéluctable de futurs Tchernobyl [6] ; si l’on a accepté la bombe atomique, c’est tout en craignant leurs futurs possesseurs ; … les plates-formes pétrolières off shore, c’est tout en ne souhaitant pas connaître leur danger potentiel d’explosion ; … les méga-systèmes satellitaires, … tout en souhaitant méconnaître les risques de paniques (qui surgiraient en cas probable de collision avec des débris spatiaux) bien plus importantes que celles causées par de nombreux volcans islandais réunis… ! I.4. La logique de métabolisation des effets et des représentations induits par les résultats des innovations dans le corps social et chez ses acteurs (logique forcée par la logique d’incubation de la recherche dans le processus d’innovation) asservit, à son tour et pour les mêmes raisons, la logique de symbolisation [7] des projets reliant entre eux les membres d’une société… 8 De ce qui précède, on peut dire que les rapports sont, là aussi, réglés par une différence de rythmes temporels qui déterminent largement les puissances d’agir respectives : les dynamiques rapides des incubations des recherches et des innovations contraignent les représentations individuelles et collectives qu’elles induisent, lesquelles évoluent, elles, plus lentement. En sorte que s’exacerbe aujourd’hui un conflit d’opinions. Il oppose ceux qui redoutent la perpétuation de postures collectives d’imprudence, fruits d’une fascination supposée de nos sociétés pour l’immaîtrise, à ceux qui redoutent la généralisation de sentiments de peurs face à cette supposée immaîtrise, encourageant alors des attitudes collectives de sur-précaution. Du coup, c’est la qualité même du fonctionnement psycho-social et politique du continuum symbolisation-métabolisation qui est fragilisé. Il est intéressant d’envisager les hésitations actuelles de nos systèmes assurantiels comme des miroirs qui reflètent ces pressions et ces conflits : d’une part, ils n’arrivent plus à « probabiliser » aisément (comme dans les années 60) certains des dangers liés à nos systèmes techniques, donc à les caractériser préalablement en risques, d’autre part ils renâclent à assurer certains des risques nouveaux provoqués par les hommes à l’endroit de la biogée. Ces faits-là sont majeurs, car tout le développement technologique et industriel du 20e siècle a été bâti sur une affectation précise des risques, et souvent, en outre, sur leur large mutualisation. Ce qui revient à dire qu’il a été bâti sur la base de responsabilités réparties dans des assurances collectives et, de ce fait, rendues plus ou moins indépendantes des puissances d’agir des acteurs et des impacts de leurs propres décisions. Or, cet édifice s’effrite sourdement aujourd’hui et aucun accord partagé à propos des principes sur lesquels bâtir les systèmes d’assurance de nos choix collectifs susceptibles de prendre le relais pour les 50 prochaines années ne semble se profiler à l’horizon. Il va s’ensuivre une panne progressive du continuum symbolisation-métabolisation et, en perspective, une vulnérabilisation massive des sociétés, de leurs membres et des individus, et de la biodiversité naturelle !… Voici un cas extrême – donc non emblématique –, celui de la question du réchauffement climatique. Le danger est avéré, aujourd’hui personne ne le conteste plus ! Si la controverse persiste, elle n’est plus relative qu’aux parts du danger à imputer respectivement aux facteurs naturels et aux facteurs anthropiques. Le danger n’est donc pas aisément caractérisable en termes de risque. Aussi, dans ce type de situations, l’avantage à ne rien faire est-il immense car les voies de métabolisation sont loin d’être trouvées : aucun système d’assurance, notamment, n’est susceptible d’offrir une réponse acceptable à un tel danger. Plus généralement, là où l’avantage à ne pas conjurer le danger est important, la métabolisation est difficile : c’est le cas de tous les biens dits « biens communs » soumis à la réduction des diversités 9 (biologiques, culturelles, technologiques,…). On peut même avancer, à propos de ces questions, que même si les processus de symbolisation devaient clairement progresser dans la société humaine mondiale en lente formation, face au danger, l’avantage à ne rien faire, à l’inertie serait quand même considérable. Pourquoi ? Pour l’essentiel parce qu’il serait légitimé et validé par des visions financières inappropriées en ce qu’elles rechigneraient à faire émerger des innovations non privativement profitables qu’il serait pourtant nécessaire de développer afin de conjurer ce danger. Aussi, la métabolisation autour de ces biens communs-là restant indécise en regard de la pression insuffisante des nouvelles symbolisations, la résignation des acteurs et des auteurs risque de gagner du terrain ! Car à symbolisations contraintes, pas de nouveaux agenda possibles et pas d’operanda associées [8]. 1.5. Enfin, la logique de symbolisation des projets reliant entre eux les membres d’une société (logique forcée, donc) asservit, à son tour et pour les mêmes raisons, la logique de production des connaissances et des savoirs critiques nécessaires à tout acteur et à tout auteur dans l’exercice éclairé de sa responsabilité. Dans de telles conditions, les anciens agenda confortent en priorité les projets portés par des logiques de spéculation rivées à des termes courts. Dans le même temps, elles désignent, pour les sacrifier, les delenda, c’est-à-dire toute composante de ces projets qui recourt à des détours exigeants et risqués, donc coûteux, ceux qu’opère la connaissance critique, en particulier. Les nouveaux commencements [9], les nouveaux agenda ne peuvent alors émerger. Les désajustements se multiplient que la transmission de nouveaux schèmes par le biais traditionnel des investissements culturels, éducationnels et formatifs n’est plus en mesure d’enrayer. Les agenda rémanents sont alors fétichisés. Le technomarché globalisé agit, en effet, par agenda. Au fond, il est une idole dont l’histoire s’est constituée en deux temps successifs : au cours du 19e siècle avec la naissance de la production et son organisation générale selon un mode industriel et marchand ; puis, dès le début du 20e, avec la naissance de la consommation et son organisation générale selon un mode industriel et marchand. La production n’a répondu à aucune limite et a fini par acquérir des traits dogmatiques : le productivisme. La consommation a fini, elle aussi, par ne répondre à aucune limite et par acquérir des traits dogmatiques : le consumérisme. De nos jours, c’est la rencontre inaugurale entre productivisme et consumérisme qui détermine l’entrée dans l’âge totalisant des agenda ainsi que la sortie hors de la modernité et des vertus des savoirs et des connaissances critiques qui lui sont associés. 10 Alors, le désir qui inspire tout auteur potentiel est en théorie menacé par les pulsions productivistes et consuméristes de tout acteur réel, « agi » désormais par le technomarché, lequel rompt avec les connaissances critiques dont l’effet vertueux est d’installer une distance d’avec la prescription (or, l’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie, l’histoire, les sciences politiques,… et les sciences même : physique, chimie et biologie sont de plus en plus (mal ou) méconnaissables lorsqu’elles ne servent pas directement la pérennité du technomarché). Bref, la logique de connaissance indispose les agenda du technomarché ! L’articulation dépressive entre ces multiples logiques ne laisse plus aux acteurs les capacités critiques nécessaires pour devenir des auteurs quand les sources créatives et cognitives mêmes de ces nouveaux commencements sont peu à peu taries. La tension entre connaissance et action, caractéristique majeure de la modernité, s’épuise en suites anomiques de processus performatifs. Logiques temporelles forcées, modernité tardive ! Notre modernité devient tardive, en effet ! La puissance d’agir que la finance de marché a acquise durant les 50 dernières années [10] et les logiques chronoclastes qu’elle a imprimées à chacune des phases du processus économique ont pris une part déterminante dans le renforcement des facteurs objectifs qui donnent cette tonalité à notre modernité. Aujourd’hui, tout est rendu vulnérable, à degrés, formes et modalités divers lorsqu’elle contribue directement ou indirectement à la production et/ou à la consommation de biens et de services, disions-nous auparavant, « Individus, groupes économiques et sociaux, institutions, nations, humanité, biogée dans ses différentes formes, […] ». Le pari financier minimise son propre risque en le reportant davantage sur les autres puissances d’agir, lesquelles, exténuées, commencent à montrer des signes de renoncement à produire, elles-mêmes, des engagements. La dynamique de vulnérabilisation se généralise. De nombreuses populations assument en dernier ressort une part supplémentaire de leur non-développement et, souvent, de leur pauvreté. La souveraineté de certains peuples ne semble plus renvoyer qu’à l’état de leurs dettes récentes composées d’intérêts financiers élevés. Les États et leurs cultures démocratiques semblent effacer leurs promesses de garantie de justice sociale, en particulier d’équité intergénérationnelle. Beaucoup d’entreprises qui supportent une partie des effets de ce pari financier reportent à leur tour, lorsqu’elles le peuvent, leurs surcoûts sur les autres collectivités humaines [11] et sur la biogée [12]. Enfin, l’individu même ne répond plus que d’un désir individuel pulvérisé en pulsions expertisées et financiarisées par le technomarché toutes les fois que la passion économique transforme la personne – auteur comme acteur – en agent, le plus souvent 11 « prodacteur » et en « consommacteur », et que sa liberté individuelle abdique en laissant le pari supplanter l’engagement. Fonctionnellement labile, mobilisable, transférable, pratiquement indépendante d’engagements comme ne le furent jamais autant auparavant aucune autre rente (naturelle, foncière, immobilière,…), la finance de marché installe, via son impressionnante puissance d’agir, une économie de rente autocentrée. Il faut, d’urgence, résister de toutes parts à ces démarches idolâtres, et les contraindre ! II. Maîtriser les tendances chronoclastes pour enrayer les dynamiques qui vulnérabilisent tant les acteurs que les auteurs. Nous venons de décrire longuement un processus à travers l’unité que lui donnent les articulations logiques de ses composantes. On a montré, en effet, comment les rythmes d’action qui le caractérisent sont de moins en moins rapides, les dynamiques sont de moins en moins puissantes et les temporalités d’efficience de plus en plus longues au fur et à mesure que l’on va de l’aval [13] vers l’amont [14]. C’est bien un paysage asymétrique que nous venons de présenter ; un paysage où les facteurs objectifs de vulnérabilité, pour l’essentiel, provoquent des situations et engendrent des états de vulnérabilité qui défont les subjectivités, leurs différences et leur diversité ; un paysage, enfin, où, pour le dire vite, les hommes sont appelés à observer leur propre résignation individuelle devant l’emprise de méga-systèmes incompréhensibles et insaisissables qui font d’eux… des idolâtres malgré eux ! En fait, les logiques chronoclastes qui imprègnent les actions économiques contemporaines s’inscrivent elles-mêmes, tout en le renforçant, dans un phénomène qui résulte de tendances chronoclastes lourdes. Il s’agit de tendances à la prohibition de représentation de la dimension temporelle dans toute sa diversité subjective et objective, sauf sous la forme dangereuse de deux absolus issus des mythes des origines : l’immortalité et l’éternité qui, on va le montrer, focalisent à l’excès attentions et actions de l’humanité occidentalisée. Nous allons consacrer la seconde partie de notre propos à présenter trois éclairages relatifs à ces tendances chronoclastes affectant la vie des hommes occidentalisés et aux voies possibles pour en réduire le tropisme délétère. 12 II.1. Pour des représentations temporalisées des processus de l’action économique. Les actions qui participent des différents aspects que prend l’intérêt général, celles qui, au moins, donnent lieu à production et à échanges (au fond, ce que nous appelons lato sensu l’économie), pourraient être envisagées du point de vue d’un « système problématique » formé des 5 pôles suivants : le pôle financier ; le pôle monétaire et bancaire ; le pôle budgétaire et comptable ; le pôle statistique et descriptif ; le pôle culturel, enfin. Chacun de ces pôles a un ancrage temporel qui lui est propre, plus ou moins variable, mais qui lui donne une spécificité du point de vue de l’action ; aussi, pour fixer les idées, aujourd’hui la norme pratique de référence temporelle pour . la temporalité financière, c’est la milliseconde . la temporalité monétaire et bancaire, c’est le mois . la temporalité budgétaire et comptable, c’est l’année . la temporalité statistique et descriptive, c’est la décennie . la temporalité « culturelle », c’est la multi-décennie. Ces 5 pôles de « l’économie » sont, de part en part, liés par l’action et par la connaissance. Certes, les mondes financier, monétaire, bancaire et budgétaire le sont davantage par l’action que par la connaissance et les mondes comptable, statistique, des descriptions et des cultures davantage par la connaissance que par l’action ! Mais ces pôles sont fonctionnellement liés dans la vie économique car les effets de leurs temporalités spécifiques ne sont pas indépendants ! Néanmoins, on pourrait démontrer que la variance de leurs temporalités liées s’est accrue depuis 50 ans et s’accroît encore. On observe que toutes les tensions entre ces polarités sont devenues critiques sans que, toutefois, nous puissions clairement caractériser et comprendre leurs effets. Ouvrons le champ de la réflexion en formulant quelques questions. Quelles sont les conséquences de telles différences de temporalités entre ces 5 polarités en termes d’action et de décision pour chacun de leurs 5 univers ? Comment passe-t-on aussi rationnellement que possible d’une temporalité à une autre pour donner de l’efficience aux dynamiques transversales à ces univers ? De quelle façon sont construits et s’exercent les processus de réflexivité et d’anticipation de l’action au sein de chacune de ces 5 polarités ? Ainsi, que veut dire « réfléchir et anticiper à propos de l’action au sein de la communauté financière lorsque le rythme pulsatif est aussi rapide que celui qui est pratiqué aujourd’hui » [15] ? Quel retour d’expérience est-il possible dans de telles conditions ? Dans le même ordre d’idées, que veut dire « réfléchir du point de vue de la connaissance » au sein de telles 13 communautés culturelles lorsque valeurs et comportements ne peuvent s’adosser à aucun métronome reconnu et susceptible d’être partagé ? Quel est l’impact de telles différences de temporalité sur chacune des spatialités politiques habituelles de décision au sein de chaque univers (la communauté financière est d’emblée internationale ; les communautés monétaires et bancaires sont tout au plus plurinationales ; les communautés budgétaires et comptables restent fortement nationales ; les communautés statistiques et descriptives sont également nationales mais aussi sociétales ; les communautés culturelles sont territorialisées, localisées) ? Toutes ces questions expriment d’une manière ou d’une autre l’influence du phénomène remarquable d’augmentation de la variance de la temporalité d’ensemble et surtout de la variance relative des étalons de temporalité entre les 5 polarités de l’économie, excitée par une course à l’infiniment petit (c’est-à-dire au risque nul) engagée par le pôle financier. Phénomène remarquable, et néanmoins insuffisamment remarqué… II.2. Pour des descriptions du monde pluriculturelles, donc chronophiles. Pourtant, l’enjeu est majeur. Il s’agit de faire progresser les outils qui nous servent à évaluer les richesses que créent nos sociétés, rien de moins ; et il s’agit de le faire ensemble ! Explicitons. Les richesses ne sauraient s’apprécier qu’en regard d’une définition plus ou moins permanente des fins que se donnent consciemment ou non les sociétés ; d’autre part, le PIB, l’outil principal et central d’évaluation dont nous disposons aujourd’hui, est inadapté à cet objet-là dans la mesure où il ignore avec soin la question pourtant de plus en plus inévitable : « Qu’est-ce que la richesse ? » et a logiquement tendance à y faire de moins en moins écho ; enfin, l’examen de la richesse ne peut procéder légitimement que d’une démarche démocratique. L’enjeu est majeur mais l’opportunité de relever le défi qu’il dessine ne l’est pas moins aujourd’hui. En effet, la Commission dite STIGLITZ-SEN (du nom de deux récents prix NOBEL d’économie), mise en place par le Président SARKOZY au début 2008, a consigné dans son rapport des propositions pour faire évoluer nos grilles de lecture et, en conséquence, nos indicateurs de richesse. Dans la ligne directe des travaux de cette Commission, un rapport intitulé : « Évaluer la performance économique, le bien-être et la soutenabilité » a été remis, en décembre 2010, simultanément à la Chancelière MERKEL et au Président SARKOZY, répondant à leur commande commune lors du Conseil des ministres franco-allemand du 4 février 2010 [16]. De notre point de vue, le contenu de ce rapport, accompagné de conclusions, contient une avancée considérable au sujet des représentations qu’il est 14 recommandé de privilégier. En effet, pour la première fois, un rapport officiel demandé simultanément par deux Chefs d’État en exercice n’évite pas la question « Qu’est-ce que la richesse ? ». Par ailleurs, il conseille de mettre au débat sa réponse qu’il a clairement bâtie en référence aux trois polarités génériques et indissociables qualifiant l’objectif de développement durable : l’économique, le social, l’environnemental. La principale contribution de ce travail est de proposer un tableau de bord de vingt-cinq indicateurs couvrant les trois domaines de la performance économique et du bien-être matériel, de la qualité de la vie et de la sociabilité, enfin de la soutenabilité (économique, financière et environnementale). Tout en rappelant que le PIB « résume » la performance économique avec des limites qu’il faut discuter, il prend de fait position pour son abandon comme indicateur unique en tant que meilleur « résumé » possible de la richesse, choix univoque que toutes les nations ont pourtant privilégié au 20e siècle. Par ailleurs, l’introduction dans ce rapport d’un domaine de la soutenabilité avec l’acception large qui est donnée à cette notion constitue également une première par la variété assumée des indicateurs qu’il propose d’utiliser ou de faire produire. Enfin, last but not least, c’est le choix de recourir à une variété inter-domaines en matière d’indicateurs (quantitatifs mais aussi qualitatifs !) qui manifeste le mieux, selon nous, le fait que la temporalisation des enjeux est une voie conceptuelle (enfin !) jugée souhaitable. Comment ne pas saluer vivement cet effort et son résultat : un diagnostic partagé ouvrant à terme – on l’espère ! – sur une nouvelle définition pratique et commune de la richesse dans les deux principaux pays de l’Union Européenne, et au-delà ? [17] Il conviendrait sans doute aussi d’aller plus loin et de prendre au mot les auteurs de ce rapport qui souhaitent que son contenu soit mis en débat par les Autorités auxquelles il a été destiné (ce qu’elles n’ont pas fait !) [18]. En effet, au nom de quelle légitimité (autre que celle de leurs commanditaires) quelques experts, fussent-ils parmi les plus prestigieux possibles, pourraient-ils, à eux seuls, rendre compte de la façon dont nous devrions penser et instruire la valeur de nos actes individuels en société et de nos actes collectifs ? En quoi le système d’indicateurs qu’ils ont esquissé pourrait saturer toute la légitimité à le faire alors qu’ils représentent une part, et une part seulement, de cette légitimité : la part de compétence ? Si nous voulons évaluer ensemble nos valeurs, pouvons-nous entièrement déléguer le soin de la confection de nos outils d’évaluation ? Appelons donc à un nécessaire débat démocratique et continuons à lui offrir, d’ici là, des idées et cadres conceptuels au service d’une temporalisation plus large et plus générale encore des enjeux de la richesse que celle qui est envisagée dans ce rapport-là. Tous les indicateurs sont le fruit de représentations qui sont, 15 elles-mêmes, le fruit de perceptions sur lesquelles nous mettons des mots. Or, pour « faire société », et singulièrement pour faire société internationale ou transculturelle, il nous faut mettre en scène des représentations ouvertes, puis partager en permanence ces images de réduction de la complexité, enfin co-construire des indicateurs qui rendent compte de notre accord, c’est-à-dire de la dynamique de symbolisation. Aussi, le processus de modélisation générique de nos représentations ne saurait-il se limiter ni à des indicateurs de performance ni à une expression quantitative des indicateurs. En effet, au nom de quoi refuser qu’il puisse opérer autour d’une tension conventionnelle entre indicateurs de formance [19] et indicateurs de performance ? Au nom de quoi, en outre, refuser qu’il puisse opérer autour d’une autre tension conventionnelle, celle entre indicateurs qualitatifs et indicateurs quantitatifs ? Un cœur de modélisation ainsi rénové aurait une forte vertu : il ferait évoluer rapidement les rapports d’influence tissés entre les différents acteurs à la source des richesses et in fine les représentations générales qui inspirent les grilles de lecture d’où émergent nos indicateurs. Au fond, plaider, comme on le fait ici, pour que l’on procède à l’évaluation ex ante et ex post de toute action d’intérêt général fondée tant à partir d’indicateurs de formance qualitatifs et quantitatifs qu’à partir d’indicateurs de performance qualitatifs et quantitatifs, cela revient à préparer le meilleur socle social, écologique et économique à tout développement durable, donc chronophile, donc pourvoyeur de diversités, donc réducteur de vulnérabilités menaçant tant l’individu, les groupes, l’espèce humaine, l’humanité que la biogée, enfin. Les soutenabilités temporelles d’un tel socle révèleraient, en effet, les vulnérabilités, et en les révélant, permettraient d’imaginer les décisions appropriées pour les apprécier, pour les contrôler, pour les apaiser, pour les réduire ! II.3. Contre les agenda et les delenda de sociétés engagées sur une voie « déterministe». Éclairons plus largement encore ces deux premières pistes en envisageant la question suivante : « Pourquoi et comment les puissances d’agir, à condition de les réinstaller dans leur lien moderne avec les capacités réflexives et anticipatrices, pourraient œuvrer dans le sens d’une réduction de la dynamique de vulnérabilisation qui affecte tant les acteurs que les auteurs, comme nous avons tenté de le montrer ? ». A mieux comprendre, en effet, ce que recouvrent nos tendances chronoclastes, nous saurons mieux reconnaître que nous sommes excessivement agis par les mythes des origines tels qu’ils fonctionnent 16 dans les sociétés occidentalisées, et que les crises actuelles qui mobilisent ces mythes portent les expressions de cette vulnérabilisation. On l’a dit, et montré, nos sociétés ont tendance à perdre connaissance. Autrement dit, elles commencent à faire l’impasse sur le doute, sur la dimension critique, et elles n’opèrent donc plus qu’un détour minimum par la connaissance ; elles « fonctionnent » dans une dynamique anomique et infinie d’action, dépourvues de respiration temporelle ; elles ne s’offrent plus de capacité claire de renaissance. Recherche effrénée de performance sans claire assurance de ne pas léser les moyens nécessaires de… formance régénératrice ! Le raisonnement que nous tenons est le suivant : un fantasme d’éternité, comme réponse puissante, stérile et rythmée par la disparition de l’avenir, est venu récemment s’ajouter aux effets de la vieille question féconde, elle, de l’immortalité dont la narration s’inscrivait dans l’avenir, question qui a inspiré nos civilisations mais que le 20e siècle a également fini par fantasmer en l’inscrivant dans une perspective infinie. Voilà comment. Le fantasme d’immortalité a accompagné tout le 20e siècle. Il procède d’un excès d’autorité, c’est-à-dire d’un pouvoir de commencer qui s’autorise à faire table rase de l’existant ou, dit autrement, d’un pouvoir de commencer sans continuer le déjà-là. Son émergence puis sa prospérité, on les observe dans certaines réalisations collectives dont la maîtrise s’est vue affectée d’un horizon temporel de plus en plus souvent non fini. Il est à la source de la responsabilité limitée dont nous affectons la maîtrise de nos réalisations contemporaines. Le fantasme d’éternité, lui, a accompagné la deuxième moitié du 20e siècle. Il procède d’un excès d’activité ! Il vient sur-réagir au fantasme d’immortalité. Il n’appelle ni métabolisation ni symbolisation des innovations. Il n’autorise aucun pouvoir de « continuer de commencer » quelque chose de neuf, à l’instar de tout auteur. Il ne brouille pas la question de l’horizon temporel, il la nie ! La conjugaison de ces deux postures-là, celles, par ordre chronologique d’apparition, de l’excès d’autorité et de l’excès d’activité manifeste un défaut d’altérité lorsqu’elles ne sont pas immunisées contre leurs propres toutes-puissances individuelles et collectives. Or, en modernité, le temps apparaît comme une infrastructure générale invisible qui serait bâtie sur une tension relationnelle complexe et stabilisée entre temps subjectifs et temps objectifs. Aussi, dans un tel schéma, cette tension est violentée quand elle est nourrie du choc de ces deux fantasmes et se réorganise alors autour d’eux et des dérives qu’ils expriment. Elle engendre deux figures génériques : l’imprudent (l’immortel), lequel ne maîtrise plus la disposition de projection et le précautionneux (l’éternel) qui s’abandonne à la 17 disposition d’introjection [20]. Or, dans la bataille intérieure à nousmêmes que se livrent ces deux figures, l’éternel qui nie la question même de l’avenir est en train de soumettre l’immortel qui ne faisait que la brouiller. Nos espaces sociaux et mentaux sont pris dans un étau d’instrumentalisation excessive du temps – entre valeur infinie et valeur niée – et, sur cette base, ils mettent en place dans la Cité des projets, des innovations, technologiques ou pas, caractéristiques d’une modernité tardive. La préférence pour l’avenir est dangereusement réduite et les générations à venir sont vulnérabilisées dans leur capacité d’agir et de créer à leur tour. Finalement, face à la crise des mythes des origines, émerge l’effet principal de la conjugaison des deux fantasmes : une perte d’altérité. Au-delà de cette perte d’altérité, pris entre immortalité et éternité, entre projection non maîtrisée et tendance puissante à l’introjection, chacun, au milieu de tous, semble peu à peu devenir probable, comme attaché à un destin : celui d’un enchaînement de figures imposées par des temps objectivés où chaque homme paraît indissociable de l’homme-foule, interchangeable avec tout autre homme. Dans de telles conditions, l’âge de nouvelles servitudes volontaires, d’autodomestications individuelles, devrait manifester un regain et l’idée moderne d’une irrésistible émancipation de l’individu par rapport à la puissance des normes sociales, telle que nous l’imaginons habituellement dans les sociétés occidentalisées, pourrait n’être plus qu’illusion…. Perte de subjectivité. Perte de connaissance. Perte d’altérité. Perte de subjectivité. Lutter contre cette triple perte, c’est s’attaquer résolument aux tendances chronoclastes de nos sociétés modernes tardives qui entretiennent une dynamique de vulnérabilisation généralisée. Comment ? … Ce qui doit être fait (agenda) comme ce qui doit être défait (delenda) devrait résulter de logiques moins déterministes, moins objectivantes, en appeler davantage à un nouvel équilibre de la personne dans sa relation à l’art, à la connaissance et à l’action, éviter la naturalisation des avenirs et la transformation de devenirs en destins. Toute personne doit toujours pouvoir rester en capacité singulière et de se raconter et de raconter le monde tant à soi-même qu’aux autres, autrement dit d’offrir à l’autre un récit singulier. Condition même de la morale, disait en substance Paul RICOEUR. … Également, le technomarché doit-il être déconstruit. Il engendre incessamment du « prodacteur » et du « consommacteur », supports d’une induction pulsionnelle interchangeable qui vulnérabilise trop l’acteur, lequel vulnérabilise à son tour tout auteur en soi et l’intégrité complexe de leur désir. On doit le faire en quittant le chemin idolâtre de la globalisation pour réemprunter celui exigeant, patient et 18 surtout subsidiaire de la mondialisation. … L’action régulatrice doit contraindre les effets de la spéculation autocentrée de la finance de marché (la dé-globaliser et la dé-marchandiser relativement), bâtir de nouveaux systèmes d’assurance pour nos projets collectifs et privés (les dé-financiariser relativement), diversifier les capacités d’échange entre les acteurs par l’introduction de monnaies complémentaires d’intérêt général local, faire garantir les normes comptables internationales par des autorités publiques de niveau mondial,… … L’autorité doit faire émerger les effets de la spéculation à long terme de la connaissance (bâtir une démocratie statistique internationale) et entreprendre de faire partager des représentations nouvelles et des valeurs liées à toute action d’intérêt général… La liste des voies nouvelles à prendre commence à être dressée. Notre imaginaire politique peut et doit inventer un monde « post-schumpétérien », en somme, où nos gestes individuels et collectifs d’intérêt général seront re-temporalisés, où les tensions agenda-delenda pourront changer de formes et, pour cela, encourager de nouvelles ontologies de l’engagement et des puissances d’agir…. * * * L’économisme est une passion, un désir excessif que l’utilitarisme poussé à ses limites a peut-être, d’ores et déjà, transformé en impasse théologique. L’économisme est une passion contemporaine qui dévaste la capacité d’intention, d’élaboration et de mise en œuvre de l’action des hommes. Elle est porteuse de vulnérabilité généralisée. Enfin, cette passion est fondamentalement chronoclaste ! Le chronoclasme caractérise l’attitude collective des sociétés occidentales contemporaines animées d’un mouvement hostile à la culture des représentations mentales, sensibles, théoriques et pratiques de la diversité des temporalités. Cette attitude exprime un culte non dit pour les deux absolus issus des mythes des origines comme réponses tendancielles indispensables à la condition humaine : l’immortalité et l’éternité. Ces deux absolus, réponses conflictuelles en apparence, imposent pourtant une même tendance marquée à l’interdiction de penser, de représenter et de vivre le temps autrement que sous l’une de ces deux formes uniques-là. Le chronoclasme résulte donc d’une instrumentalisation excessive des mythes des origines. 19 Depuis un demi-siècle environ, nous nous soumettons à cette logique radicalement réductrice ; nous écartons ce qui ne ramène pas à ce culte biface, celui de l’immortalité ou celui de l’éternité. Nous sommes excessivement agis par nos représentations des origines qui font de nous, peu ou prou, des candidats à l’immortalité et à l’éternité. La bataille entre l’immortel et l’éternel, mais aussi leur coopération, se déroule en chacun de nous. En chacun de nous et, simultanément, entre tous : ce faisant, elle contribue à effacer toutes les scènes du réel qui ne rendent pas compte de l’hégémonie de ces deux fantasmes. Nous devenons des chronoclastes, affectés d’agenda et de delenda. Résister à l’économicisme, c’est choisir de construire le monde plutôt autour du progrès qu’autour de la promesse ou, plus grave encore, autour du pari. Cela revient à ne pas se résigner à la perte de connaissance, d’altérité et de subjectivité ; c’est inviter chaque puissance d’agir (d’intérêt général) à soumettre ses engagements à la controverse sur leur capacité à faire vivre la diversité des temporalités. 20 NOTES [1] Néologisme que nous empruntons à Michel SERRES : « Le temps des crises », Manifeste « Le Pommier », octobre 2009. La Biogée désigne la Terre dont la vie est aujourd’hui menacée (Bio, la vie ; Gée, la Terre). [2] La distinction entre globalisation et mondialisation nous semble importante à faire. Dans le cas précis, un pouvoir ne peut se (être) globalis(é)r que par voie technique ou instrumentale ; la voie culturelle, largo sensu, l’aurait conduit à se (être) mondialis(é)r. [3] La grande majorité des économistes, tout en ayant de plus en plus l’intuition d’une telle transformation, n’a cependant pas encore entrepris de modifier les outils de modélisation qui pourraient en rendre compte et servir une science économique rénovée. [4] Ni la moyenne, ni la médiane, ni la variance de cette durée ne sont apparemment connues ; on sait seulement que les produits financiers qui correspondent à une promesse pour une nanoseconde ont été mis sur les « marchés » ces dernières années et qu’en parallèle les promesses à longue durée sont plutôt à la peine. [5] Ici, j’appelle métabolisation un processus de dissolution puis d’assimilation dans le corps social, politique et citoyen existant. [6] Cet article a été rédigé avant l’accident nucléaire de Fukushima au Japon, lequel confirme malheureusement la logique de notre argumentation. [7] Ici, j’appelle symbolisation un « processus d’alliance réflexive et anticipatrice » qui marque l’état de cohésion d’une société. [8] Parmi les logiques technomarchandes non symbolisées, et encore moins métabolisées, il y a, par exemple, le cas des OGM. Là, il s’agit d’une innovation technologique où le pronostic vital n’est a priori pas engagé. Pourtant, elle ne métabolise pas dans le corps social parce qu’on ne sait pas si elle porte ou non un danger (on verra plus bas que le problème est plus compliqué) ; a fortiori, un tel danger hypothétique n’est pas caractérisable (surtout lorsqu’on parle d’OGM au pluriel ou en général et que l’on se refuse à les considérer un par un) ; on ne peut parler de risque, autrement dit, on ne peut probabiliser le danger hypothétique que l’on ne peut donc assurer. Si le risque technologique n’est pas avéré, en revanche c’est désormais le risque social de non-symbolisation qui l’est, lui, suffisamment pour que les assureurs l’aient peu ou prou caractérisé et ne soient pas disposés à le garantir. Il s’agit là d’un cas assez nouveau dans nos sociétés, mais emblématique, où un conflit éclate entre une « imprudence présumée » (selon l’opinion publique) commise par des industriels et « une précaution excessive » (selon les industriels) exigée par l’opinion publique. Or, en réalité, c’est l’absence de symbolisation dans les milieux agricoles (et bien au-delà d’eux !) tenant avant tout à la nature même du projet social et politique nouveau consacré par les OGM, bien davantage que la question du danger de l’objet technologique lui-même, qui interdit jusqu’à présent tout espoir de métabolisation ! [9] L’expression m’est inspirée par l’ouvrage de Myriam REVAULT D’ALLONNES : « Le pouvoir des commencements », Seuil 2006. 21 [10] Les premiers pas de la globalisation financière contemporaine datent de la fin des années 1950 en Angleterre avec la création du marché des eurodollars, des dollars déposés et prêtés en dehors des États-Unis, et non du début des années 70 avec la fin du système du taux de change fixes. Lire Christian Chavagneux « Une brève histoire des crises financières – Des tulipes aux subprimes », p 113, Ed. La Découverte, 2011. [11] Au cœur de la modernité, l’engagement (individuel et social) que représente encore le travail viendrait même à être menacé si le pari devait continuer à le concurrencer en contribuant à dévaloriser relativement le détour par l’effort et la compétence durables qu’il suppose et les promesses de rémunération qui en sont l’expression admise d’équivalence. [12] La biogée ne saurait en tant que telle, bien sûr, répondre et donc renoncer à quelque engagement que ce soit ! Néanmoins, à tout niveau de sa propre « organisation », ses éléments et équilibres sont, de fait, « engagés » à enregistrer les transformations voulues par les hommes, y compris celles qui s’accompagnent de dégradations : ils deviennent à ces fins des « ressources » soumises au travers de l’acte économique, souvent, à performance immédiate et absolue. Pourtant, sans « l’action » préalable et très longue du temps, ils n’auraient pas été rendus disponibles au travail des hommes (les ressources naturelles ne sont dites non renouvelables que parce que le « facteur » temps – des milliers ou des millions d’années - ne saurait être disponible à leur renouvellement !). [13] De l’aval, c’est-à-dire de la financiarisation des actions qui imposent un retour sur investissement des ressources d’économie, d’innovation et de recherche de plus en plus court. [14] Vers l’amont, c’est-à-dire vers la symbolisation des engagements et, plus encore, vers la production des connaissances critiques avec son cortège de conditions impliquant un long détour pour investissement des ressources de culture, de formation et d’éducation. [15] Les fameux « traders » sont peu à peu remplacés par des automates, lesquels assurent (sans assumer, bien sûr !) aujourd’hui près de 80% des transactions financières informatisées mondiales. [16] Rapport du Conseil français d’analyse économique et du Conseil allemand des experts en économie, remis le 10 décembre 2010 au Conseil des ministres franco-allemand à Fribourg-en-Brisgau. [17] Il convient de signaler que, par ailleurs, tant l’ONU à travers certaines de ses agences spécialisées que l’OCDE se livrent depuis quelques années à des exercices de nature équivalente ou voisine. 22 [18] Le Président Hollande, de son côté, semble acquis à cette cause : « Je crois au progrès. Je crois que la génération qui vient doit vivre mieux que la nôtre. Mais je crois que le progrès doit se faire sur tous les plans en même temps, parce que nous ne saurions nous satisfaire d’un progrès économique qui s’accompagnerait d’une régression sociale, sociétale et environnementale. C’est pour moi tout l’enjeu de la définition des indicateurs que vous appelez de vos vœux » (extrait de sa lettre du 18/04/2012 en réponse à celle du Forum pour d’Autres Indicateurs de Richesse – FAIR). Il en appelle à la légitimité des députés européens pour la défendre. [19] Considérons les 7 domaines d’investissement où tout homme et tout collectif s’impliquent en société : culture, éducation, formation, recherche, innovation, économie, finance (hors investissement concernant les domaines de « gestion des corps », individuelle et collective : domaine de la santé ; domaine de la violence et de la guerre). Les domaines de la culture, de l’éducation, de la formation et de la recherche concourent, pour l’essentiel, à la formance de toutes les ressources avec une certaine performance dans la conduite de ce concours. De leur côté, les domaines de la recherche, de l’innovation, de l’économie et de la finance concourent à la performance de toutes ces ressources préalablement formées, tout en devant veiller à leur assurer une possibilité ultérieure de formance. On peut donc bien imaginer que chacun de ces domaines puisse être évalué du point de vue des politiques publiques ou bien des politiques d’entreprises qu’ils engagent à l’aide d’indicateurs : d’indicateurs qualitatifs et d’indicateurs quantitatifs mais aussi… d’indicateurs de formance et d’indicateurs de performance. [20] L’introjection est une notion utilisée en psychologie et en psychanalyse désignant un procédé psychique qui consiste, dans un registre fantasmatique, à s’arroger les propriétés d’objets extérieurs. Ce concept a été élaboré par Sandor FERENCZI. 23