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Résumé
Daniel MERCURE :
LES TEMPORALITÉS SOCIALES*
Julie SAMSON
Publié dans Aspects sociologiques, Vol. 5, no 1, novembre 1996, pp. 42-44.
Au-delà du temps abstrait, il y a le temps vécu. Ce qui veut dire que le temps est
vécu avant de devenir une mesure de la durée et un objet de réflexion. C'est ce que le
sociologue et anthropologue Daniel Mercure a tenté de démontrer dans son ouvrage Les
temporalités sociales, il affirme que le temps, dimension du rapport de l'homme au
monde, est avant tout une expérience subjective. Cette expérience se présente à la fois
comme un vécu individuel, notamment par les périodes de temps que chacun d'entre nous
consacre au travail, aux loisirs et au repos, mais elle se présente aussi comme un cu
social, car la société, en plus de façonner le rythme de nos activités, possède ses rythmes
propres : temps sacré, temps profane, fêtes, cérémonies collectives, etc. Comme le dit
Durkheim, tous les individus qui composent une société ont un entendement commun du
temps. C'est ce qui fait que chaque société développe sa propre culture temporelle.
Au sein de la société, chaque mode d'activité, que ce soit l'économique, le
politique ou le religieux, possède sa propre temporalité. De même, les différents groupes
et classes sociales perçoivent et vivent le temps de manières différentes. Chacun d'entre
eux possède ses propres rythmes d'activités et sa propre représentation du temps, d'où la
pluralité des temps vécus par les différents acteurs sociaux. Cela mène au concept central
de l'ouvrage de Mercure, les temporalités sociales qu'il définit comme étant :
«...La réalité des temps vécus par les groupes, c'est-à-dire la multiplicité
des conduites temporelles et des représentations du temps liées à la
diversité des situations sociales et des modes d'activités dans le temps »
(MERCURE, 1995, 13).
Les sociologues se sont intéressés très tôt à l'étude des temporalités sociales. Déjà
au début du 20e siècle, les sociologues et les anthropologues de l'école durkheimienne
affirmaient que le temps est construit et vécu différemment selon les sociétés et les
groupes. Cette reconnaissance d'une multiplicité des temps sociaux sera à l'origine d'une
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longue tradition de recherche. Les premières études dans le domaine vont porter
principalement sur l'analyse quantitative des différentes manières d'utiliser le temps,
notamment sur les emplois du temps et sur la répartition des activités dans des périodes
de temps bien délimitées. Les chercheurs voulaient alors saisir les diverses distributions
temporelles selon un temps mathématique, soit la durée. Toutefois, ces études ne tiennent
pas compte des différentes manières dont les acteurs sociaux peuvent prendre conscience
du temps. Il faut donc, selon Mercure, que les nouvelles études se concentrent
principalement sur les représentations du temps, notamment les conceptions que les
acteurs sociaux se font du passé, du présent ou de l'avenir.
Mercure croit également que ces études doivent avoir pour fondement plusieurs
notions importantes, notamment celles de multiplicité des temps sociaux et de rythmes
collectifs. La première notion se définit comme étant un temps réel associé aux diverses
expériences vécues. Cela est différent du temps social qui est un temps que Mercure
qualifie d'extérieur au vécu, car il ne rend pas compte des multiples modes d'activités
dans le temps. L'autre notion, rythmes collectifs, est l'expression concrète du temps en
tant que durée, soit la succession et la récurrence de phénomènes sociaux. L'auteur trace
les principaux fondements théoriques et conceptuels de la sociologie du temps, de même
que les questions de recherche qu'une telle sociologie soulève. Mercure note également
que l'étude des temporalités sociales permet aux sociologues de comprendre les rapports
que l'homme entretient avec sa culture et de saisir les dynamismes culturels présents au
sein de la société.
S’intéressant plus particulièrement aux temporalités vécues dans les sociétés
industrielles avancées, Mercure trace les grandes caractéristiques de ce type
de temporalité sociale. À cette fin, un retour historique lui permet de cerner l'évolution du
développement du temps industriel, temps à la base des temporalités vécues dans les
sociétés modernes.
Avec l’industrialisation, le temps de travail n'est plus un temps de l’à-peu-près
établi à partir de points de repère naturels, mais un temps marqué par la précision (le
temps de l'horloge soit un temps de travail encadré dans des périodes fixes). On assiste à
la transition du travail orienté par la tâche vers un travail mesuré par le temps. La valeur
du temps de travail devient la mesure de toute chose. Dans les industries, on réglemente
la durée du travail, on normalise les ches et on impose un rythme de travail. Ce temps
industriel va contribuer à la distinction entre le temps de travail et les autres conceptions
du temps de la vie quotidienne.
Plus on avance dans l'industrialisation, plus on assiste à l'expansion des activités
industrielles et à l'intrusion de la technologie dans notre quotidien. Par conséquent, le
temps de travail s'étendra peu à peu à toute la société et va même servir à coordonner les
divers temps propres à chaque sphère d'activités. On a qu'à penser à quel point de nos
jours les individus sont contraints de coordonner leurs activités en fonction du temps de
travail.
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Le temps industriel ou la temporalité à la base des entreprises trouve sa
justification par la primauté de l'économie sur les autres dimensions de la société. Cette
temporalité se caractérise par une conception du temps qui est linéaire et cumulative,
orientée vers le futur et régie par le progrès, qui est importante pour l'innovation des
entreprises. On veut innover et planifier. Le futur devient donc quelque chose à édifier et
à conquérir, tout en étant source d'une forte dynamique de changement. « Le changement
est devenu la règle des sociétés modernes » (MERCURE, 1995, 6). Ainsi, la temporalité
dominante de nos sociétés est façonnée par les grandes organisations et la conception
dominante du temps est celle des grandes entreprises. « C'est le temps de l'entreprise au
sens fort du terme » (MERCURE, 1995,43).
Mercure consacre la deuxième partie de son livre aux études empiriques des
représentations de l'avenir. Il présente tout d'abord son étude sur les principaux types de
représentations de l'avenir propres aux acteurs sociaux de différentes catégories socio-
économiques. Cette étude menée dans cinquante et une familles québécoises a pour
objectif de voir si les représentations de l'avenir changent selon la position sociale des
individus. Mercure propose une typologie des représentations de l'avenir comportant
deux dimensions : la perspective dominante d'avenir et le plan de vie. L'auteur montre
que les représentations de l'avenir sont liées soit aux conditions d'existence, soit aux
classes sociales. Les positions sociales déterminent donc la possibilité de s'approprier un
avenir.
L'auteur poursuit sa réflexion sur les représentations de l'avenir en examinant les
études portant sur les cheminements de carrière. Il posera un regard critique sur la
typologie des cheminements de carrière, qui ne rend pas compte de la complexité des
parcours professionnels des travailleurs actuels. Mercure va reprendre cette grille
d'analyse pour en dégager la structure logique et dimensionnelle en la reconstruisant de
façon plus systématique et dynamique, afin de rendre compte des changements de
carrière et de la dynamique de ces changements.
Finalement, Mercure fait un retour sur les fondements théoriques des catégories
d'analyse employées dans les études sur les temporalités sociales. Après avoir pris
connaissance de la plupart de ces recherches, l'auteur fait un examen critique de ces
catégories d'analyse. Selon lui, les chercheurs vont étudier les temps vécus de certains
groupes à partir d'une conception dominante du temps : un temps linéaire et cumulatif
soit le temps à la base des instances économiques. Cette conception ne rend pas compte
du vécu réel de ces groupes et elle est peu appropriée pour comprendre les temporalités
singulières, notamment celles des femmes dont les trajectoires de vie sont caractérisées
par des discontinuités et des ruptures multiples (par exemple un retour au travail après
l'éducation des enfants).
Après avoir fait un survol des études sur les temporalités sociales, Mercure
constate qu'il existe un écart entre la temporalité dominante et la temporalité réellement
vécue. C'est ce qui va l'amener, en conclusion, à examiner la place du futur dans la
société moderne. Pour se rendre compte que le projet de la modernité qui est d'ériger
l'avenir sur le mode du futur, n'est qu'une illusion. Le progrès, qui est le fondement de la
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modernité, a connu de nombreux avatars en engendrant des catastrophes causées par
l'avancement technologique : Hiroschima, Tchernobyl, etc. Donc, un avenir qui ne nous
semble plus assuré. De plus, le temps linéaire et cumulatif à la base des entreprises n'a
jamais complètement envahi notre vie quotidienne. Il n'y a qu'à penser au temps vécu par
les femmes, un temps non-linéaire et entrecoupé de ruptures multiples, mais aussi au
temps des travailleurs qui vivent une certaine complexité dans leur cheminement de
carrière en poursuivant tout au long de leur vie plusieurs types d'emplois différents.
Mercure conclut en se posant deux questions : est-ce que la modernité serait en
train de s'achever car son projet de construire l'avenir sur le mode du futur fait face à des
résistances culturelles ou si on assiste au dépassement du projet de cette modernité, un
projet qui va même jusqu'à en ébranler son existence?
Ainsi, ce livre constitue une excellente introduction à la notion de temporalités
sociales, on nous propose une analyse de la culture moderne dans ses rapports au
temps. Il est également un recueil d'études portant sur les représentations de l'avenir et sur
lequel l'auteur fait un examen critique. Les réflexions de l'auteur ouvrent à de nombreux
questionnements et à de nouvelles voies de recherche.
Julie SAMSON
Deuxième cycle,
Sociologie, Université Laval
* MERCURE, Daniel, Les temporalités sociales, Paris, Éditions L’Harmattan, Collection Logiques
Sociales, Séries Théories sociologiques, 1995, 175 p.
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