M ise au point Épaule Fracture de la clavicule Thierry Joudet Khan LA, Bradnock TJ, Scott C, Robinson CM Fractures of the clavicle. J Bone Joint Surg Am 2009 ; 91 : 447-60. Lyon Épidémiologie Les fractures non déplacées, que ce soit de la diaphyse ou de l’extrémité latérale de la clavicule, ont un bon taux de consolidation et de bons résultats fonctionnels après un traitement orthopédique : • Les fractures déplacées de la diaphyse traitées orthopédiquement peuvent donner un taux élevé de nonconsolidation et un résultat fonctionnel décevant, mais il reste difficile de prévoir quels seront les patients touchés par ces complications. Tant que l’étude d’un score fonctionnel postchirurgical n’aura pas été établie, il sera difficile de préciser les bénéfices d’une stabilisation chirurgicale primaire pour ce type de lésions ; • Les fractures déplacées de l’extrémité latérale de la clavicule traitées orthopédiquement ont un haut risque de non-consolidation, mais pas toujours symptomatique. Il est également difficile de prévoir quels seront les patients concernés par cette complication. De plus, les résultats d’une stabilisation chirurgicale sont beaucoup plus aléatoires que ceux de la fracture de la diaphyse. Les fractures de la clavicule sont fréquentes (2,6 % à 4 % des fractures de l’adulte et 35 % des fractures des traumatismes de la ceinture scapulaire). L’incidence annuelle des fractures de la clavicule est estimée entre 29 et 64 pour 100 000 habitants par an. Les fractures de la diaphyse surviennent dans 69 à 82 % des cas, les fractures de l’extrémité latérale dans 21 à 28 % et les fractures de l’extrémité médiale dans 2 a 3 %. Les fractures de la diaphyse surviennent surtout chez l’homme de moins de 30 ans et sont en rapport avec un traumatisme direct (chute sur le moignon de l’épaule) pendant l’activité sportive. Les sports concernés sont surtout le sport équestre, le cyclisme. L’autre mode de survenue concerne plus particulièrement des personnes âgées de 80 ans (surtout les femmes) associant traumatisme domestique banal et ostéoporose. Cela touche alors l’extrémité latérale de la clavicule. La plupart des fractures de la diaphyse sont déplacées alors que la majorité des fractures de l’extrémité latérale ne le sont pas. Cet article de L.A. Khan et al. fait une revue de la littérature récente considérant l’épidémiologie, la classification, l’évolution clinique et le traitement des fractures de la clavicule chez l’adulte. Il semble faussement acquis depuis très longtemps que la grande majorité des fractures de la clavicule consolide bien avec un bon résultat fonctionnel lors d’un traitement orthopédique. En effet, de récentes études ont montré un taux élevé de non-consolidation avec déficit fonctionnel dans ce groupe de patients. Ces fractures devraient attirer notre attention avec une classification bien précise des lésions et un traitement adapté. Classification de ces fractures Après celles de F.L. Allman, de C.S. Neer et de E.V. Craig, la classification d’Edinburgh, qui repose sur une analyse de 1 000 fractures de la clavicule, est la première à préciser le déplacement et le degré de comminution ainsi que de l’atteinte articulaire éventuelle. Cette classification semble être fiable d’un observateur à l’autre (cf. figure 1). 4 Fractures non déplacées (type 1A) Fractures corticales alignées (type 2A) Fractures corticales alignées (type 3A) Extra-articulaires (type 1A1) Non déplacées (type 2A1) Extra-articulaires (type 3A1). Intra-articulaires (type 1A2) Angulaires (type 2A2). Intra-articulaires (type 3A2). Fractures déplacées (type 1B) Extra-articulaires (type 1B1) Intra-articulaires (type 1B2). Fractures déplacées (type 2B) Comminutives simples ou fragmentaires (type 2B1) Comminutives segmentaires ou isolées (type 2B2) Fractures déplacées (type 3B) Extra-articulaires (type 3B1) Intra-articulaires (type 3B2) Figure 1 – Classification d’Edinburgh des fractures de la clavicule. Étude clinique et radiographique traumatisme haute énergie et ou de fracture comminutive. Dans ce cas, il est nécessaire de pratiquer une artériographie des deux membres supérieurs. Il n’est pas rare de voir un pneumothorax ou un hémothorax associé (3 % des patients) et cela est souvent associé à des fractures de côtes homolatérales. Le diagnostic radiographique systématique est fondé sur une seule vue antéropostérieure, quelques auteurs préférant incliner le rayon à 15°. Le scanner tridimensionnel permet d’obtenir une meilleure évaluation du déplacement et peut être utile pour évaluer les chances de consolidation. Les tomographies numérisées permettent de bien analyser les fractures qui touchent l’articulation. Les radiographies en stress, rarement utilisées, permettent d’évaluer les ligaments coracoclaviculaires. Les fractures de la diaphyse donnent souvent une déformation douloureuse surtout localisée au niveau du site de la fracture. Il y a classiquement un abaissement du fragment latéral et une élévation du fragment médial. Il n’est pas rare de voir, dans les fractures comminutives ou à gros déplacement, une proéminence du fragment déplacé avec un aspect en boutonnière sous-cutanée. Les fractures ouvertes ou tendant à donner une nécrose cutanée sont rares. Les fractures de l’extrémité latérale sont difficiles à diagnostiquer et peuvent être confondues avec une luxation sternoclaviculaire, une arthrose ou une arthrite septique. Une fracture de la partie médiale à fort déplacement postérieur peut être à l’origine d’une compression des gros vaisseaux médiastinaux nécessitant alors une prise en charge chirurgicale rapide, mais cette situation est très rare. L’examen clinique de la totalité du membre supérieur doit être réalisé pour exclure toute atteinte du plexus brachial ou toute atteinte vasculaire. Ces complications sont peu fréquentes, mais surviennent surtout en cas de Traitement des fractures de la diaphyse (Edinburgh type 2) Alors que les études anciennes évoquaient seulement 1 % de non-consolidation, des études récentes montrent que ce taux peut aller jusqu’à 15 %. 5 M ise au point Les complications les plus fréquentes de ce type de traitements sont l’infection, le démontage précoce, la cicatrice disgracieuse, l’absence de consolidation, la refracture après ablation de la plaque et, très rarement, la complication vasculaire peropératoire. Les deux grandes études rétrospectives réalisées dans les années 1960 par C.S. Neer et C.R. Rowe, montrant un taux de non-consolidation (après traitement chirurgical premier et fixation interne) supérieur au traitement orthopédique, incluaient des fractures de l’enfant qui consolident tout le temps. Une étude rétrospective récente d’une série de 52 traitements orthopédiques de fracture ayant un déplacement supérieur à 20 mm a montré qu’il y avait un fort taux de non-consolidation et de mauvais résultat clinique. Une autre étude montre, sur 138 patients opérés avec stabilisation par plaque, que les résultats fonctionnels sont meilleurs malgré une réopération dans 18 % des cas (surtout pour enlever le matériel d’ostéosynthèse) et un taux de complication global de 34 %. Traitement des fractures de l’extrémité latérale Fracture non déplacée (Neer type 1, Edinburgh type 3A) La conservation des ligaments coracoclaviculaires avec un périoste intact fait préférer un traitement non chirurgical. En cas de séquelle douloureuse par extension intra-articulaire, une résection de l’extrémité latérale de la clavicule secondaire peut être proposée. Le traitement conservateur Il n’y a, semble-t-il, pas de différence de consolidation entre la simple immobilisation coude au corps (la plus retenue) et l’immobilisation avec des anneaux en huit. De plus, le risque de compression axillaire neurovasculaire est plus élevé en cas d’utilisation des anneaux en huit. Il est classique de conserver l’immobilisation jusqu’à la disparition de la douleur et les patients sont alors encouragés à reprendre leurs activités. La récupération survient lorsque la fracture est consolidée et la rééducation est rarement nécessaire. Fracture déplacée (Neer type 2, Edinburgh type 3B) Cette fracture survenant, dans la majorité des cas, chez des personnes âgées, il semble raisonnable de proposer, dans un premier temps, un traitement orthopédique. La chirurgie n’est proposée qu’après 6 mois en cas de séquelle douloureuse ou d’absence de consolidation, pour réaliser une résection du quart externe. La prise en charge chirurgicale des patients jeunes actifs ou sportifs peut être regroupée en deux catégories : la prise en charge précoce lorsque les ligaments coracoclaviculaires sont atteints et les indications tardives concernant surtout les non-consolidations ou les séquelles arthrosiques acromioclaviculaires. Ces fractures peuvent être fixées par : – vis coracoclaviculaire Elle a été initialement décrite pour le traitement de la disjonction acromioclaviculaire. Cependant, il existe un risque non négligeable de démontage secondaire (8 %) et la limitation douloureuse des amplitudes articulaires globales de l’épaule nécessite souvent une ablation secondaire ; – plaque Elle reste difficile s’il existe une comminution de la partie latérale de la clavicule. Une plaque avec une crochet sous-acromial a été développée. Il s’agit d’une plaque agressive nécessitant l’ablation secondaire précoce, en raison des risques d’irritation de coiffe, entraînant une raideur d’épaule, mais aussi d’infection et d’ostéolyse autour du crochet ; – broche de Kirschner Décrite initialement par C.S. Neer, cette technique expose à des ruptures des broches et à un risque non négligeable de non-consolidation et d’infection. Le traitement chirurgical primaire Il n’y a pour l’instant aucun consensus. Il existe de nombreuses possibilités techniques : • la fixation par plaque donne une très bonne stabilité primaire. Disposée sur la face supérieure, elle donne une meilleure fixation surtout dans les comminutions inférieures, mais nécessite souvent l’ablation de la plaque par gêne sous-cutanée. Disposée sur la face inférieure, elle permet d’être mieux supportée. Les plus utilisées sont les plaques de compression dynamique, les plaques verrouillées, les plaques spécifiques précintrées et les plaques de reconstruction (qui semblent être progressivement abandonnées en raison du risque non négligeable de déformation postopératoire et de pseudarthrose). Il semble évident que, biomécaniquement, la fixation par plaque est meilleure que la fixation intramédullaire qui n’a pas de verrouillage statique précoce et qui semble être réservée, pour l’instant, aux patients qui présentent de graves traumatismes associés. Les fixateurs externes ont été utilisés et semblent être recommandés pour les fractures ouvertes ou les pseudarthroses septiques. L’utilisation des synthèses par broche de Kirschner est abandonnée en raison de complications majeures. 6 Les recommandations actuelles sont de ne plus utiliser cette technique ; – ostéosuture Utilisant soit des laçages soit des endoboutons cette technique permet d’obtenir une stabilisation primaire suffisante autorisant une mobilisation précoce sans réintervention pour ablation du matériel. L’adaptation à l’arthroscopie permet d’être moins agressif, mais n’a, semble-t-il, pas fait l’objet de publication satisfaisante aux yeux des auteurs. Les fixations intramédullaires ou les fixations par fixateur externe ont aussi été utilisées. Même si les résultats cosmétiques sont supérieurs, ces techniques sont peu utilisées en raison du risque de mauvaise consolidation. Elles gardent des indications électives pour le traitement des pseudarthroses infectées. Pseudarthrose de l’extrémité latérale Survenant dans 11,5 à 40 % des cas, le traitement de ces pseudarthroses dépend des symptômes cliniques. Chez les personnes âgées, il arrive qu’elle soit non douloureuse et, donc, non chirurgicale. Le traitement repose sur une excision de la partie latérale de la clavicule si les ligaments coracoclaviculaires sont intacts. Chez les patients plus jeunes une reconstruction avec greffe autologue peut se révéler également nécessaire avec stabilisation par plaque et reconstruction éventuelle des ligaments coracoclaviculaires. Fractures articulaires de l’extrémité latérale (Neer type 3 ou Edinburgh type 3A2 et 3B2) Ces fractures surviennent dans 2,4 à 3,3 % des cas. Elles sont traitées comme les fractures de l’extrémité latérale de la clavicule sans atteinte articulaire en fonction de leur déplacement. Il faut retenir que ces fractures peuvent occasionner des atteintes arthrosiques acromioclaviculaires nécessitant alors un traitement secondaire. Cal vicieux Toutes les fractures traitées orthopédiquement avec fort déplacement risquent de donner des cals vicieux. Le traitement chirurgical reste délicat : il peut aller de la simple résection de la déformation sous-cutanée jusqu’à l’ostéotomie avec allongement et interposition de greffe osseuse. Cela expose à des complications neurovasculaires et à des risques de non-consolidation non négligeables. Traitement des fractures de l’extrémité médiale de la clavicule (Edinburgh type 1) Ce sont des fractures très rares, le plus souvent extra articulaire avec des déplacements minimes. La stabilité dépend de l’intégrité du ligament costoclaviculaire. La plupart du temps les fractures à déplacement antérieur ne sont pas opérées, seule les fractures à déplacement postérieur peuvent être chirurgicales en raison du risque de compression vasculaire. Attention toutefois les fixations, quelque soit le procédé, risquent souvent de migrer secondairement. C’est pourquoi les broches de Kirschner sont absolument proscrites. En tout cas il n’y a pas de technique miraculeuse, la plupart des auteurs préférant traiter les séquelles. Complications neurologiques Les compressions nerveuses peuvent être liées à un fort déplacement d’un fragment fracturaire, à l’hypertrophie du cal de consolidation sous-claviculaire, ou à un pseudo anévrisme de l’artère sous-claviculaire. L’utilisation des fixations intramédullaires peut occasionner, pendant l’intervention, des atteintes du plexus brachial. Électromyogramme, artériographie, phlébographie ou examens radiologiques spécifiques sont très utiles pour un diagnostic toujours très difficile. Le traitement reste lié à la cause. Complications des fractures de clavicule Pseudarthroses de la diaphyse Survenant chez des patients jeunes ces pseudarthroses sont souvent douloureuses par la sensation de ressaut lors des mouvements, avec une limitation des amplitudes articulaires de l’épaule et une déformation cosmétique. La préférence des auteurs semble aller aux plaques à compression dynamique avec faible contact. En effet, les plaques précentrées ou les plaques de reconstruction paraissent donner un plus fort taux de non-consolidation. Il peut être nécessaire d’apporter une greffe autologue prélevée aux dépens du condyle huméral ou de la crête iliaque si le raccourcissement est important. Certains vont jusqu’à proposer un greffon pédiculé péronier. Refracture Non négligeables, les facteurs de risque de refracture sont l’épilepsie, l’alcoolisme ou le recours précoce au sport de contact. Une stabilisation chirurgicale est souvent nécessaire, mais l’absence de consolidation est alors fréquente. Arthrose acromioclaviculaire Elle relève d’une d’excision de l’extrémité de la clavicule soit à ciel ouvert soit sous arthroscopie et nécessite parfois une reconstruction du complexe ligamentaire coracoclaviculaire. 7 M ise au point Complications du traitement chirurgical La complication principale du traitement chirurgical reste l’atteinte de l’artère ou de la veine sous-claviculaire avec le foret ou le taraud. Il s’agit d’un risque rare, mais qui nécessite une prise en charge vasculaire rapide. Autres complications D’autres complications comme la cicatrice hypertrophique, l’infection, l’absence de consolidation ou le démontage d’ostéosynthèse sont rares. Le traitement reste adapté à chaque cas. Les auteurs, dans cette revue de la littérature, fournissent une analyse complète des fractures de la clavicule, que ce soit de l’extrémité latérale de la diaphyse ou de la partie médiale. Il en découle une classification précise de l’ensemble de ces fractures permettant une bonne analyse. L’analyse est exhaustive, mais les conclusions restent floues même s’il en ressort un point capital et nouveau : les fractures non déplacées peuvent relever d’un traitement orthopédique alors que les fractures déplacées courent un risque non négligeable de pseudarthrose ou de complication secondaire en cas de traitement orthopédique. Les fractures déplacées opérées précocement donnent de bons résultats, mais les données ne sont pas encore suffisantes pour affirmer qu’il faut opérer tous les patients. L’intérêt de cet article est d’analyser également les différents traitements chirurgicaux. Il est regrettable toutefois de constater que les délais de consolidation ou de guérison ne sont pas mentionnés ni les délais de reprise des activités sportives ou professionnelles. Cela pouvant bien évidemment influencer l’arbre décisionnel. Si cet article montre qu’il faut être plus chirurgical sur les fractures déplacées il n’en ressort, pour autant, aucun traitement chirurgical ni technique précise afin de nous aider dans la prise en charge de nos patients. L’indication précise d’une greffe n’est pas discutée même si, aujourd’hui, celle-ci reste largement utilisée dans les pseudarthroses. Si cet article risque de modifier nos indications, nous n’avons aucun consensus chirurgical. Il reste encore beaucoup de travail à faire dans les années futures. 8